"Je t'attendrai"

Chapitre 25 : Chapitre vingt-cinquième

6545 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 20:16

Chapitre vingt-cinquième,

 

« Ok, alors, laisse-moi commencer par le commencement. Tu m’as demandé les détails, je vais te les donner. 

« Tout d’abord, j’ai menti quand j’ai dis que je venais d’un petit village de North Blue, d’une tribu étrangère. Je suis née sur une île reculée d’East Blue, frôlant Gran Line. L’île était plutôt tranquille, en soi. Très peu de pirates s’y arrêtaient, et lorsque c’était le cas, ils repartaient aussitôt. Mais l’île était séparée en deux, si l’on peut dire ça comme ça. Il y avait d’un côté les gens de la ville, et de l’autre, ceux de la montagne, qui avaient bâti leur propre ville dans la montagne, tu vois le truc ? 

« Les deux peuples de l’île se ressemblaient en tout point : fortunés, et étroits d’esprit. Et pourtant, ils se vouaient une haine incroyable, un mépris insoignable depuis des générations, et se faisaient plus ou moins la guerre dès qu’ils en avaient l’occasion. Conflit de couleur de peau, sûrement. Comme pour symboliser cette séparation, il y avait entre les deux camps une gigantesque forêt, hostile et dangereuse, peuplée de terribles animaux sauvages, dans laquelle personne ne s’aventurait. 

« Ma mère était de ceux de la ville. Mais de ce que j’ai pu comprendre, elle n’était pas réellement comme eux. C’était une femme pleine d’énergie, rêveuse, ambitieuse, et désireuse de liberté. Elle n’avait pas cette mentalité intolérante et fermée qu’ils avaient pour la plupart. Elle était plus... Ouverte, disons. Oui, c’est ça. Ouverte au reste du monde. Elle voulait briser les règles, voyager et partir à l’aventure, faire comme bon lui semblait. Comme disait souvent mon père, elle était de celles qui avaient le don d’illuminer tout ce qu’elles touchaient. Je pense que tu imagines bien le personnage. 

« Toutefois, comme une grande majorité des habitants de la ville, ma mère était fille de bonne famille. Et comme toute fille de bonne famille, elle devait se conformer aux règles et àl’éducation stricte et fermée qu’on lui avait inculquée. Alors qu’elle rêvait de découvrir le monde, son destin, lui, avait déjà été dessiné par d’autres qu’elle. De la naissance àl’enfantement, en passant par le mariage et l’union avec une famille tout aussi riche : tout avait été tracé. Et elle comprit bien vite qu’elle devait l’accepter. C’était comme ça, quoi qu’elle y fasse.

« Elle se maria donc à un riche inconnu et se plia aux règles. Jusqu’à ce qu’elle le voit. A la lisière de la forêt – ne me demande pas ce qu’elle foutait là-bas, je n’en sais strictement rien – elle vit un homme typé, « un de la montagne », comme on disait chez elle. Ce fut comme dans les films : ils restèrent figés, yeux dans les yeux, silencieux, leurs cœurs battant au même rythme, etc., etc. Jusqu’à ce que le typé tente de se barrer. Bah ouais, c’est qu’il avait gros à risquer dans cette histoire, le coco ! Mais elle le rattrapa, bien évidemment, sûrement en lui attrapant la main, ou en l’amadouant avec de douces paroles, qui sait. Quoi que, des souvenirs que j’ai d’elle, je l’imagine bien l’interpeler en lui hurlant dessus ou en le frappant même. Une véritable tue l’amour, celle là. Et il faut croire qu’elle m’a transmis ce gène. Telle mère, telle fille, comme on dit. Enfin. C’est bon, ne me regarde pas comme ça. Je sais, je ne suis pas très douée pour raconter les histoires.

« Tu veux que j’arrête, peut-être ? Alors, ne m’interromps pas ! Je disais donc... En bref, tu l’auras compris, ce fut le coup de foudre. L’Amour, avec un grand A.

« Les rencontres secrètes commencèrent, et avec elles, le Bonheur, leur bonheur. Jusqu’à ce que le mari les surprenne. Ce fut le début de la fin. A ce moment, ma mère parvint à s’en sortir, en jouant celle qui venait de le rencontrer et qui était tout bonnement apeurée et dégoûtée. Cependant, j’ai cru comprendre que mon père était bien moins doué pour jouer la comédie, et le mari se douta de quelque chose. Alors, par « pure précaution », il l’enferma et la séquestra dans leur maison. Les mois passèrent, sans qu’elle ne puisse voir l’amour de sa vie. Mais son ventre commença à grossir et bientôt, la nouvelle fut révélée : elle était enceinte. 

« En l’apprenant, la ville toute entière fut scandalisée et on essaya de la tuer. Mais ma mère était vraiment intelligente, elle avait un esprit de stratège taillé pour la tactique, et un sens de l’observation incroyable. Elle dut manipuler la totalité de la ville pour tenter de s’enfuir, et elle réussit. Comment ont-ils deviné qu’il s’agissait de l’œuvre du typé et pas du mari ? Et bien, tout simplement parce qu’elle n’avait jamais eu de rapports avec lui. Tu imagines ? La si belle et si gentille Elen, fille d’aristocrate, qui couche avec un gars de la montagne ? Quel sacrilège ! Quelle honte ! Quelle horreur ! ah ? Je ne t’avais pas dit son prénom ? Oui, elle s’appelait Elen. Ce n’est certes pas très original, mais j’ai cru comprendre que mon prénom était un hommage au sien.

« Enfin. Elle alla donc se réfugier auprès de celui qu’elle aimait.

« Mais la vie n’en fut pas plus facile pour autant. Ils étaient certes heureux, mais ils étaient seuls. Mon père, Hallan, alla tenter sa chance chez ceux de la montagne, mais ils furent accueillis avec la même haine et les mêmes coups. Détestés de ceux de la ville, détestés de ceux de la montagne. Il ne restait plus qu’une possibilité : la forêt. Ici, personne n’irait les chercher. A eux deux, mes parents réussirent à survivre dans cette jungle hostile et peuplée de bêtes sauvages, et ils y vécurent jusqu’à ma naissance. La forêt était réputée comme fatale et invivable pour des humains « normaux », il faut donc croire qu’ils ne l’étaient pas. Malgré ça, les premières années furent magnifiques. Pour eux, du moins, car moi, je ne m’en rappelle pas vraiment. Ils vivaient, heureux, et je suppose que je l’étais, moi aussi. 

« J’ai des souvenirs de ma mère. Je me rappelle de son élégance, de sa beauté, de sa force mentale, de son intelligence imbattable. Je me rappelle d’elle et de son caractère joueur, de ses cheveux bruns avec lesquels j’adorais m’amuser, de sa voix, de son odeur, et de tout l’amour qu’elle me portait. Mais je ne m’en rappelle pas comme je le devrais. Six ou sept ans après, elle se fit gravement blesser par une bête. Je me rappelle de mon père, le corps de ma mère mourante dans ses bras, faire des aller-retours pour supplier les deux camps de la soigner. Et je me rappelle aussi de leurs regards méprisants et dédaigneux, ainsi que de l’horreur qui peignit leurs figures lorsqu’ils me virent. Moi, le monstre, l’hybride née d’une union impensable. Mon père hurla, cria, supplia, pleura, mais rien ne fit. On essaya de le tuer, de me tuer. Et ma mère est morte dans ses bras. 

« Comme tu auras pu le deviner, mon père fut complétement détruit. Et je dois dire que moi aussi, malgré mon jeune âge, j’ai été traumatisée. Mais j’étais encore là. Son dernier espoir. Son dernier amour. Sa chair. Alors il mit sa douleur de côté pour m’élever du mieux qu’il put. Mais il devait avoir compris que l’horreur ne s’arrêterait pas là, il commença alors àm’apprendre à me battre, avec la seule force de mon corps. Il était fort, c’était un incroyable combattant. Il avait cet esprit indestructible et cette volonté inébranlable qui le rendaient imbattable. 

« Il avait passé son enfance à s’entraîner durement, pour devenir plus fort et quitter cette île, avant de rencontrer ma mère. Mais c’était avec elle qu’il en avait appris le plus. Au contact de ma mère et de son intelligence incroyable, il avait appris à penser différemment, à anticiper, à toujours garder une carte dans sa manche. Et il m’a appris à en faire autant. A ne jamais renoncer. A ne jamais s’avouer vaincu. A toujours voir plus loin. Et à devenir assez forte pour ne compter que sur moi-même. Même si, avec le recul, je n’ai pas vraiment suivi ses conseils... J’ai choisi la voie de la facilité. 

« M’enfin. Mon père était aimant. Il était incroyable. Il était mon héros. Nous vivions dans la forêt, parmi les bêtes dangereuses contre lesquelles nous nous battions constamment, chassant pour manger, à la sauvage, quoi. La jungle était notre maison. Je suis née dans ce milieu, je suppose que c’est pour ça que j’ai ce que tu appelles « l’instinct animal. » Ou peut-être l’ai-je dans le sang ? Qui sait. Plusieurs années passèrent ainsi. Jusqu’à mon dixième anniversaire. J’allais avoir dix ans, et mon père voulait fêter ça. Alors, il se déguisa du mieux qu’il put, me laissa à la lisière de la forêt et se rendit discrètement en ville. Il voulait juste m’acheter quelques habits à me mettre, et un petit cadeau, en échange des bêtes que nous avions tuées. Et je ne l’en ai pas empêché. 

« Je pensais que peut-être, après tout ce temps, nous pourrions enfin nous montrer sans provoquer d’émeutes. J’ai été naïve. Je le vis revenir vers moi, les mains vides, deux balles dans l’abdomen. Mon père s’était fait tiré dessus. Il m’emporta dans la forêt en courant et parvint à semer nos poursuivants. Je le vois encore me répéter : « Tout va bien, Elena. Tout va bien. » Il me porta jusqu’au lieu où nous avions l’habitude de nous entraîner et s’allongea ensuite sur le sol, adossé contre un rocher, avant de m’attirer contre lui. Les arbres nous empêchaient de voir le coucher de soleil, mais nous pouvions voir le ciel, teinté de magnifiques reflets qui oscillaient entre l’orange et le violet.

« Des heures et des heures s’écoulèrent. Et durant des heures, il me raconta son histoire, celle de ma mère, la leur, la mienne. Il me parla, me parla, me parla... Tout en me serrant contre lui, comme s’il avait peur que je disparaisse, comme s’il voulait continuer à rester à mes côtés... Tout en se vidant de son sang.

« Tu es ma fierté, Elena. » M’avait-il dit en me prenant la main. « Tu es ma vie. »

« Puis, le ciel a disparu, et le ciel s’est assombri. Le froid givrait mes os en même temps que le sang de mon père m’enveloppait. C’était l’été, les jours étaient longs. Et pourtant, ils ne m’avaient jamais paru aussi courts. Il faisait beau et chaud. Et pourtant, je n’avais jamais été aussi glacée. La forêt était en fleurs. Mais à cet instant, tout me semblait avoir fané. Je ne ressentais que son corps froid contre le mien, je n’entendais que les battements de son cœur qui ralentissait, je ne sentais que l’arôme métallique de son sang. 

« La nuit est descendue sur nous, sur moi. Et là, il a arrêté de parler. 

« Je... Je me rappelle d’absolument tout. La lueur dans ses yeux aimants qui avait finit par s’éteindre... Le timbre doux des derniers mots qu’il avait susurré à mon oreille... Le son de son ultime souffle, le vent qui glaçait la sueur sur mon visage mortifié... Le contact de sa joue glacée contre mon front... Le poids de son bras inerte retombé sur mon ventre... L’intensité des étoiles qui semblaient me narguer... Ou encore le désespoir qui m’a envahi quand j’ai réalisé qu’il ne reviendrait pas.

« La douleur qui m’a saisie... Je l’ai là. Ici, dans mon cœur. Elle est encore là... Elle ne disparaît pas. Je... C’est... Excuse-moi. C’est la première fois que je mets des mots sur ça... C’est la première fois que j’en parle à quelqu’un.

« Je disais donc. Mon père s’est vidé de son sang, et est mort juste sous mes yeux. Je suis restée longtemps immobile, à tenter de me réveiller de ce cauchemar, avant de réaliser que je ne rêvais pas. J’ai passé le reste de ma nuit à porter son corps jusqu’au lieu où il avait enterré ma mère, et à creuser sa propre tombe. Mais évidemment, cela ne s’arrêta pas là. Ils ne s’arrêtèrent pas là. Au lever du jour, les hommes de la ville prirent leur courage à deux mains et pénétrèrent la forêt, cette même forêt qui était ma maison, cette même forêt dans laquelle ils n’avaient jamais eu les couilles de rentrer ! 

« Dès l’instant où ils eurent compris que mon père était mort, ils se mirent à me traquer. Une véritable chasse à l’homme commença. Et le pire dans tout ça, c’est que les habitants de la montagne s’y mirent eux aussi. Tu te rends compte ? Ils étaient presque prêts à s’allier pour me mettre la main dessus ! C’est fou, hein... ? Toutefois, je réussis à leur échapper. Je connaissais la jungle entière comme ma propre poche, et je me suis réfugiée dans une grotte. J’y suis restée longtemps. Des jours ? Des semaines ? Peut-être même des mois ? Je n’en sais strictement rien. 

« Tout ce que je sais, c’est que c’est à cette époque que le déclic s’est fait en moi. J’étais complètement détruite. Ma mère était morte par leur faute, mon père l’était aussi. Ils avaient laissé ma mère mourir sous leurs yeux, et ils avaient assassiné mon père. Leur mépris, leur haine, leur peur, avaient tué mes parents. Ils m’avaient arraché ma famille. J’ai passé mon temps à ressasser ses pensées, et à ressentir la douleur qui me tordait le cœur. Dans cette grotte sombre et envahie de Ténèbres, je perdis littéralement la tête. Je suis devenue quelqu’un d’autre. Ou plutôt, j’ai laissé ma partie sombre prendre le dessus. Le monstre qui s’était développé en moi... Je l’ai laissé prendre le dessus. Je ne sais pas bien expliquer ce qui s’est fait. Mais ce monstre, je ne m’en rends compte qu’aujourd’hui... Ce monstre, c’est moi. Nous ne faisons qu’un. Et je dois l’accepter.

« Puis, je suis sortie de la grotte. Et les massacres commencèrent. Je n’avais plus qu’une idée en tête : les faire souffrir. Les briser, comme ils m’avaient détruite. Et je le fis. Je m’étais consacrée à la destruction de ce qui m’entourait, et ce serait mentir que de dire que je n’en ais pas tué. Je restais terrée dans ma jungle, et quand l’envie m’en prenait, je sortais pour faire le mal. Je les terrorisais. D’autant plus que j’étais le portrait craché de ma mère, avec en plus, la peau typée, les yeux verts, l’exotisme de mon père. Comme leur fantôme, revenant pour les hanter. Mais le pire, c’est que j’ai fini par y trouver du plaisir. Je me sentais réconfortée à l’idée de savoir qu’eux aussi, ils souffraient. Alors j’ai continué, aveuglée par la haine, pendant des années peut-être, jusqu’à ce qu’Elle arrive. 

« Cette femme typée que j’avais vainement tenté de voler, et qui en retour, m’avait flanqué la rouste de ma vie. Elle se planta devant moi, glaciale, hautaine, majestueuse. Elle avait les mêmes yeux que mon père, et la même lueur au sein de ceux-ci. Mais je ne l’ai pas de suite remarqué. Il émanait d’elle quelque chose d’effroyablement puissant, de monstrueusement incroyable, et pourtant, je n’avais pas peur. Elle avait une aura familière, que je ne compris que lorsqu’elle qu’elle m’annonça être ma grand-mère, Marisa, revenue de son long voyage pour rendre visite à son fils. 

« Bordel... Je m’absente quelques années, et voilà ce qui arrive, » avait-elle dit.

« J’ai essayé de la haïr, car c’était la seule chose que je savais faire. Mais elle ne m’en laissa pas même le temps. Elle s’empara de moi et me remit sur le droit chemin. Elle fit de moi son élève. Et il fallait dire qu’elle était le meilleur Maître dont j’aurais pu rêver. Elle était implacable, violente, dure et froide comme de la pierre, et c’était ce dont j’avais besoin. En àpeine quelques jours, elle m’avait entièrement cernée, jusqu’au plus profond de mes entrailles, jusqu’au plus sombre de mon âme. Je suis d’ailleurs sûre qu’elle me connaît mieux que je ne me connais moi-même. Et alors, elle m’apprit à devenir plus forte. Plus forte, pour me contenir, moi et ma haine. Et je réalise aujourd’hui qu’elle a fait tout ça pour m’aider àmaîtriser le monstre qui dort en moi. Pour me maîtriser. Et elle a finit par m’apprendre l’art du maniement du sabre et tout ce que cela signifiait. L’Honneur. 

« Si tu l’avais connu... Tu aurais su. Elle était vieille, mais bon Dieu ce qu’elle était forte. Elle aurait pu terrasser le plus puissant des sabreurs en un coup d’épée et je sais qu’encore aujourd’hui, même si nous nous y mettions à deux, ni toi ni moi ne pourrions la blesser. Et encore, je ne l’ai jamais vu se battre sérieusement. Elle me fascinait. Elle n’était pas n’importe qui, je le savais, mais même si j’ai réussi à comprendre qu’elle avait été pirate, elle ne me révéla jamais sa véritable identité, celle du monde des pirates. 

« Elle m’apprit tout. Elle m’entraîna durant des années et des années, m’apprit à ressentir les éléments, à vivre en symbiose avec la nature, à contrer les fruits du démon, à maîtriser chaque partie de mon corps, à lire les sentiments, ainsi que le Haki. Elle m’apprit à toujours avoir une longueur d’avance, à toujours anticiper, à ne jamais renoncer. Je devais travailler dix fois plus que les autres pour survivre, je devais m’entraîner vingt fois mieux que les hommes pour les égaler, je devais souffrir cent fois plus pour les surpasser. Je voulais être la plus forte. 

« Tu l’auras compris, elle était incroyable. Elle devint rapidement ma seule attache au monde des Hommes, ma nouvelle famille. Elle n’était pas douce, mais elle était aimante, à sa façon. Elle était comme une mère et un père pour moi, réunis en une seule et même personne. Même si je ne lui ais jamais dit tout ça... Je ne la remercierais jamais pour tout ce qu’elle a fait pour moi. Elle n’avait pas pu s’occuper de mon père à sa naissance, à cause de son avis de recherche. 

« Elle avait refusé de l’embarquer dans la piraterie avec elle, préférant lui laisser le choix de sa vie, et l’avait confié à son village natal. Elle s’en voulait énormément, même s’il lui avait déjà pardonné. Alors, elle a sûrement essayé de se rattraper avec moi, si on peut dire. Elle m’a donné un but, une passion : les sabres, ainsi qu’un moyen de maîtriser ma colère, ma rage, et moi-même. Elle m’a tout donné, tout ce qu’on m’avait retiré par le passé. Elle était mon Maître.

« Mais, dès années après, à mes 17 ans, la Grande Guerre de Marijoa commença. Oui, je parle de la Guerre dans laquelle s’est embourbé Luffy. Je ne savais encore rien de lui ou des Mugiwara à l’époque. Marisa m’avait souvent parlé des pirates, et j’avais eu la chance de l’entendre raconter quelques-unes de ses histoires. Cela me faisait rêver, mais je n’avais en rien réalisé l’immensité de ce monde qu’on appelait « Le monde des Pirates. » Enfin. Quand elle eut vent de ce qui se passait, elle partit immédiatement je ne sais trop où, me disant qu’elle avait quelque chose à faire et qu’elle reviendrait bientôt. Ce fut ce jour qu’elle me légua son sabre maudit, Shodai Kitetsu, et à sa plus grande stupéfaction, celui-ci me reconnut et s’ancra instantanément en moi, alors qu’il lui avait fallu plusieurs semaines pour se l’accoutumer. C’était comme s’il avait perçu l’intensité de la haine qui regorgeait mon cœur, comme s’il avait... Excuse-moi, ce n’est pas le sujet. Je me fais un peu longue. 

« Mais, quelques semaines seulement après son départ, Charles et son groupe de mercenaires débarquèrent. Il n’y avait pas de base Marine sur l’île, alors il leur fut extrêmement facile de tout anéantir, de tout détruire. Les gens de la ville se tournèrent vers ceux de la montagne, protégés par la forêt, qui refusèrent de les aider. Au début, je suis restée dans mon coin, savourant le spectacle. Mais bizarrement, j’avais une sorte de goût amer dans la bouche. Je ne sais pas encore analyser les sentiments qui m’ont habitée ce jour-là, mais ils étaient bien là. J’en avais besoin... J’avais besoin de faire quelque chose. Peut-être voulais-je leur montrer leur infériorité par rapport à moi ? Je n’en sais rien, mais même si j’ai eu du mal àl’admettre, je ne pouvais pas laisser ces enfants innocents subir la même chose que moi. 

« Et puis, il y avait autre chose. C’est horrible à dire... Mais j’avais comme l’impression qu’on me volait quelque chose. Qu’on me volait ma proie. Si ce village disparaissait, ma raison d’être en colère, ma raison de haïr le monde s’évaporerait avec lui. Et je ne voulais pas. J’avais besoin de ce ressentiment pour vivre, pour me sentir vivante. Sans ma rage, je n’étais rien. En vérité, je ne sais absolument pas ce qu’il s’est produit dans ma tête. Toujours fut-il que je me suis levée, et que j’ai dégainé mon sabre.

« Avec le recul, je ne sais pas si j’ai bien fait. Tout est allé crescendo. Et j’ai fini par ne plus rien maîtriser. Je n’avais pas fait coulé le sang depuis bien longtemps... Et dès que le liquide rougeâtre a commencé à salir ma lame, je n’étais déjà plus en mesure de m’arrêter. Ma haine était exaltée par Kitetsu, je le sentais. Ou plus exactement, elle était exprimée en son intégralité. Le monstre en moi se réveilla, exactement comme lors de mon ultime combat avec Shado, et le massacre commença. Les cadavres se mirent à tomber, et personne ne put m’arrêter. 

« Puis, il est apparu. Shado. Et lorsque j’ai vu le sourire stupéfait qui avait étiré ses lèvres, j’ai su que lui et moi allions avoir un combat incroyable. Et j’eus raison. Il dura des heures, des heures et des heures. Et ce fut lors de ce combat que je compris. J’aimais me battre. J’aimais le combat. Mais plus encore, j’en avais besoin. Au final, Shado gagna. Mais il avait développé pour moi une sorte d’obsession insoignable et proposa alors au village de les épargner, s’ils me livraient. Je te laisse deviner leur réponse. Mais bien entendu, il ajouta qu’ils ne les laisseraient pas en paix, qu’ils viendraient récupérer un impôt mensuel, et qu’ils seraient sous leur contrôle. On peut dire que d’un côté, cette obsession leur aura sauvé la vie.

« Et Shado devint ainsi ma nouvelle raison d’haïr. Je crois que cette haine... était mon seul moyen de vivre. Cette haine me permettait d’être quelqu’un, de me sentir vivante. Je m’en rends compte, maintenant. Cette rage... J’en avais besoin. Elle s’est ancrée dans ma peau, dans mes veines, et fait aujourd’hui encore partie de moi. 

« Il fut alors décidé que j’intégrais le groupe de mercenaires. J’ai rencontré Estel, et je me suis liée à elle, même si je ne lui ais jamais montré. Je devais leur ramener des esclaves, pour que le village reste intact. Je comprends que ce soit incompréhensible d’avoir fait tout ça pour ceux qui m’ont fait souffrir. Et à vrai dire, moi-même je ne comprends pas réellement. Je suis emplie de paradoxes. J’haïssais toujours mon île. Mais je ne voulais pas qu’ils détruisent tout. Les générations évoluaient, et j’avais l’espoir que les choses changent. Je me disais que je ne pourrais plus jamais regarder mon Maître dans les yeux, si je laissais notre île natale se faire réduire en poussière. Sans compter que mes défunts parents y étaient enterrés. Et puis, en grandissant, et en voyageant, j’ai commencé à prendre conscience de la valeur de la vie, et ça m’ait devenu complètement inconcevable de les laisser mourir. A vrai dire, même pour mon honneur de sabreuse, je ne pouvais pas laisser faire ça.

« Plus de deux ans se sont écoulés depuis que je les ais rejoint. Puis, je vous ai rencontré. Et la suite, tu la connais.

« Voilà. J’ai été longue, mais tu m’as demandé les détails, alors... Tu sais tout. Absolument tout. Maintenant... Vas-tu encore continuer à dire que ce n’est rien, après tout ce que tu viens d’entendre ? Vas-tu encore continuer à dire que je ne suis pas monstrueuse ? Je connais déjà ta réponse, mais je veux que tu prennes le temps d’y réfléchir. Je suis un démon, Zoro. Un Démon. »

 

 

La jeune femme avait les yeux rivés sur le magnifique coucher de soleil qui s’offrait à elle. Elle était assise sur l’herbe, au bord d’une falaise, les jambes pendant dans le vide, les cheveux au vent. Le bretteur à ses côtés resta silencieux quelques temps, le regard rivé sur le même horizon. Puis, il se gratta la tête, avant de lâcher :

« Sérieux. Je croyais que tu en avais fini avec cette phase stupide de ‘Je suis un monstre, alors partez et laissez-moi seule.’ Sombre idiote. Je devrais te frapper pour ça. »

Les yeux toujours rivés sur le magnifique paysage déroulé devant lui, il se redressa et se mit debout au bord de la falaise, le visage renfrogné. 

« Tu as lu en moi, tu sais ce que je ressens. Alors ne me force pas à dire des choses gênantes, grommela-t-il. Je ne te laisserais pas partir. Bien évidemment, tu peux essayer de m’en dissuader. Mais rien de ce que tu diras ne me fera changer d’avis. »

La métisse releva son visage vers lui et l’admira de ses yeux dorés. Il s’étira, avant de reprendre :

  • Oui, tu as un côté monstrueux. Tu es peut-être même un Démon. Mais...

  • Mais ? Répéta-t-elle.

Zoro lui tourna le dos et s’éloigna de quelques pas. Puis, il fit volte-face, et dégaina majestueusement deux de ses sabres. 

« Mais moi aussi. » Lâcha-t-il.

Il riva son regard au sien, un sourire malicieux étira ses lèvres lorsqu’il lut la surprise dans ses yeux. Et il reprit :

« Et tu es le Démon qui m’a été destiné, Elena. Alors, viens te battre. »

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