Notre Réalité (Série Dualrivalshipping)

Chapitre 2 : L'ombre du Héros

4810 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 06/02/2021 18:40

- ...et voilà pourquoi les Sorboule, eh bah il faut pas les manger, conclut le petit Jim avec conviction. 

Le petit garçon se dressa sur la pointe des pieds pour décrocher le poster de présentation sur le tableau noir, avant de se tourner à nouveau vers ses camarades.

- Voilà, j'ai fini, fit le garçonnet, fier comme un Guériaigle, sous les applaudissements des autres élèves. 

- Parfait, déclara Tcheren en reprenant place devant sa classe, tandis que Jim regagnait sa table pour les quelques minutes restantes. 

Toutefois, une rumeur d'agitation ne tarda pas à se propager dans les rangs et le Champion d'Arène de Pavonnay dut se contenter de l'attention que tout écolier avait à pourvoir à deux minutes de la fin des cours.

- Ok, ok, dit-il en haussant légèrement la voix pour tenter de revenir à un niveau sonore décent. Encore deux minutes s'il vous plait. 

Bientôt, la clameur se calma pour passer à l'état de bourdonnement acceptable. 

- Bien, merci, reprit calmement Tcheren. D'abord, bravo à Jim pour sa présentation "animée" dirons-nous...

Quelques rires fusèrent et l'intéressé ne manqua pas de bomber le torse. 

- Ensuite, je voulais vous rappeler que demain nous aurons droit à l'exposé de Lisa sur les différentes formes de Vivaldaim. C'est bien ça ? 

La petite fille au premier rang hocha la tête. 

Soudain, la sonnerie retentit et aussitôt, Tcheren sentit le poids d'une vingtaine de regards désespérés peser sur lui. 

- Allez, vous pouvez y aller, dit-il avec indulgence. 

À ces mots, les élèves bondirent de leur chaise comme un troupeau de Statitik et se précipitèrent vers la sortie en conversant joyeusement. La salle se vida au rythme des adieux et lorsque les retardataires eurent quitté la pièce, le jeune homme se laissa tomber sur sa chaise de bureau et desserra sa cravate pour masser sa gorge douloureuse. 

Bien sûr, il aimait son travail mais parfois, gérer une classe d'enfants de sept ans surexcités débattant de si l'on pouvait décemment arroser son Sorboule de sirop à la fraise se révélait plus épuisant que n'importe quel combat...

Les cris d'amusement des enfants résonnaient désormais dans la cour de récréation et Tcheren regarda avec envie les quelques passants profiter de la douce température du milieu de l'après-midi dans la rue adjacente, à l'ombre des arbres nouvellement fleuris.

Hélas, sa journée à lui était loin d'être terminée... 

Sans plus tarder, le jeune homme se saisit de son carnet de notes et entreprit de préparer son plan de cours sur les affinités de types pour le lendemain. Mais tandis qu'il cherchait de quoi écrire dans le tiroir droit, une étrange note à motif pliée attira son attention. 

Intrigué, le Champion d'Arène la ramassa, la déplia et reconnut la liste des livres endommagés par un certain Pokémon qu'il avait dressée en compagnie de Bianca.

Le jeune homme sourit.

La "visite surprise" de son amie remontait à deux semaines maintenant. Par ailleurs, ils avaient manqué de peu de se faire enfermer à l'intérieur du bâtiment pour la nuit. Heureusement, Tcheren s'était souvenu à temps de l'heure de fermeture définitive et avait réveillé Bianca en vitesse. Pris de panique, les deux adolescents avaient couru jusqu'au hall d'entrée, juste comme Dave, le concierge, s'apprêtait à franchir la porte. Ce dernier avait considéré les jeunes gens essoufflés et hirsutes d'un air dédaigneux et les avait laissé sortir en marmonnant un commentaire sur "cette jeunesse délurée". 

Maintenant qu'il y repensait, le vieil homme avait certainement dû tirer les mauvaises conclusions quant à leur état général (qui, il est vrai, prêtait à confusion, il devait bien l'admettre). Enfin, pas qu'il puisse démentir quoi que ce soit de toute façon ; la vérité était bien plus dommageable pour eux deux qu'un embarrassant malentendu.

Malgré tout ce remue-ménage, Tcheren avait réellement apprécié de pouvoir passer un peu de temps avec son amie d'enfance, comme à la belle époque. 

À dire vrai, le jeune homme n'avait pas réalisé à quel point cela lui avait manqué ou ne s'y était tout simplement pas autorisé... 


Cette trouvaille inattendue lui donna soudain l'envie de consulter son Vokit. Il se baissa donc pour récupérer l'appareil dans sa sacoche et consulter ses messages non lus, sans trouver toutefois celui qu'il attendait. En désespoir de cause, le Champion d'Arène cliqua sur le contact de Bianca et déroula le fil de leur conversation. Le dernier message partagé par son amie insistait sur le fait qu'elle le recontacterait dès que possible et était ponctué par un impressionnant florilège d'émoticônes colorés, mignons et brillants. Hélas, rien de nouveau ; elle le lui avait envoyé il y a près de deux semaines et ne lui avait plus redonné de nouvelles depuis.

Tcheren soupira, poussa le sol du pied pour éloigner la chaise du bureau et s'affala contre le dossier, morose.


Avait-il fait quelque chose de mal ? Il n'en avait pas l'impression, mais à force, il avait fini par douter. Après tout, il l'avait peut-être mise mal à l'aise en le mentionnant « lui» ? 

Lorsqu'on le questionnait sur l'ancien Maître de la ligue d'Unys, Tcheren n'avait aucun mal à répondre avec un certain détachement. Cependant, évoquer Ludwig en l'unique présence de Bianca rendait les conséquences de sa disparition bien plus réelles. Inséparables depuis l'enfance, les trois amis avaient grandi côte à côte ; l'absence du dernier membre de leur trio lors de leurs dernières réunions avait fini par faire figure d'unique pièce manquante au milieu du puzzle.

Bien qu'inavouée, cette constatation était probablement la raison pour laquelle ils avaient fini par se perdre de vue. Une parmi tant d'autres.

Tcheren laissa son regard dériver sur les jeux des enfants dans la cour et sut qu'il n'arriverait plus à rien aujourd'hui. Procrastiner n'était clairement pas dans ses habitudes, mais tant pis, il n'aurait qu'à avancer son réveil de deux heures le lendemain pour combler son retard. 

Pour l'heure, il s'était remis à réfléchir, peut-être trop, mais il ne pouvait s'empêcher de songer à comment cela avait commencé et à la tournure imprévisible qu'avait pris sa vie, l'éloignant de ses amis les plus proches et balayant toutes ses certitudes en deux ans à peine.

Au commencement, les absences répétées de Ludwig ne les avait pas inquiétés outre mesure : avec l'agitation constantes des derniers mois, l'acquisition de son titre de Maître et la défaite de la Team Plasma, il ne leur avait pas paru étrange que leur camarade puisse se retirer au calme pendant quelques temps. Et puis, après tout, Ludwig était le dresseur le plus puissant d'Unys, il n'y avait donc pas lieu de penser qu'il ait pu lui arriver quoi que ce soit. 

De leur côté, Bianca et Tcheren s'étaient tous deux engagés sur une nouvelle voie : la jeune fille travaillait chez la professeure Keteleeria en tant qu'assistante, et lui avait vu sa candidature acceptée au Musée de Maillard. Son voyage lui ayant inculqué l'humilité et l'ayant forcé à remettre certaines choses en perspective, le jeune homme avait dû reconnaître ses limites et s'était donné pour mission d'en apprendre davantage sur la vraie puissance des Pokémon pour s'améliorer en tant que dresseur. Aussi avait-il vu en son entrée au Musée, le moyen de conjuguer son amour pour les études et l'occasion d'apprendre sous la houlette d'Aloé. 

En plus de posséder des connaissances historiques remarquables, la Championne d'Arène de Maillard était également une excellente pédagogue. 

Grâce à ses enseignements, Tcheren avait beaucoup progressé et la jeune femme était même parvenue, entre autres choses, à lui transmettre son amour du type normal.

Le temps avait continué à s'écouler ainsi alors que les deux jeunes gens se trouvaient de plus en plus impliqués dans leur activité respective. Toutefois, ils ne pouvaient s'empêcher de garder au coin de leur esprit quelque préoccupation concernant l'absence de Ludwig. Où pouvait être leur camarade en ce moment même ? D'abord modeste, cette interrogation n'avait cessé de gagner en proportion à mesure que les jours sans nouvelles étaient devenus des semaines et les semaines des mois. Durant ce laps de temps, Ludwig n'avait répondu à aucun message et ne s'était manifesté d'aucune manière, si bien que Tcheren et Bianca en étaient venus à interroger ses proches. Mais là encore, ils n'avaient rien obtenu de concluant ; Helena, la mère de Ludwig n'avait su leur donner les renseignements qu'ils attendaient et du reste, leur avait même avoué qu'elle espérait qu'ils soient au courant de quelque chose qu'elle ignorait. Malheureusement, ils s'étaient vu obligés de la décevoir et lorsqu'ils avaient pris congé d'elle au terme du repas qu'elle avait préparé pour eux, Tcheren avait deviné l'ombre d'un chagrin inappréhendable dans ses yeux cernés. 


Impuissant, le jeune homme avait poursuivi son quotidien aussi normalement que possible, tout en discutant régulièrement avec Bianca lorsque son planning le permettait. Après tout, ils se savaient seuls à partager les mêmes inquiétudes et trouvaient en l'autre le soutien nécessaire. 

Ils affrontaient la situation ensemble.

Cette période de flottement avait duré jusqu'à une nuit bien particulière où Tcheren s'était vu tiré du sommeil par des vibration répétées près de son oreille. Tout en grommelant le dresseur avait parcouru la table de nuit à tâtons pour mettre la main sur son Vokit. Lorsqu'il y était finalement parvenu, le jeune homme avait pu voir un appel entrant et avait froncé les sourcils à la vue du contact affiché sur l'écran. 

- Bianca ? avait-il décroché d'une voix endormie.

- Oh ! C'est toi Tcheren ? Oh c'est trop bien ! J'y croyais plus et... !

- Bianca... l'avait-il interrompu. Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu sais quelle heure il est au moins ?

- Oui je sais mais comme tu répondais pas à mes messages, j'ai pas trouvé d'autre moyen que de...

- Je répondais pas parce qu'il se trouve que je dormais justement, avait-il rétorqué en bâillant. Ça pouvait vraiment pas attendre demain ? 

Un silence avait accueilli sa dernière remarque.

- Bianca ? avait-il fini par demander, inquiet.

- Non... Je suis désolée, mais j'arrivais pas à garder ça pour moi, je devais... Tu peux descendre s'il te plaît ?

Il lui avait semblé que la voix de son amie tremblait.

- Euh oui, attends, j'arrive d'accord ? avait aussitôt fait Tcheren, de plus en plus préoccupé.

Le jeune homme avait attrapé ses lunettes, sauté dans ses pantoufles et s'était empressé de descendre les escaliers, le plus silencieusement possible afin d'éviter de réveiller la maison entière. Il avait traversé le salon pour atteindre la porte d'entrée et l'avait ouverte pour trouver Bianca en pyjama rose Munna sur le pas-de-porte. Lorsqu'elle l'avait vu, la jeune fille avait poussé un soupir de soulagement et avait immédiatement essuyé ses yeux humides.

- Entre, lui avait-il chuchoté sans poser de questions.

Frigorifiée, son amie s'était exécutée en vitesse et Tcheren avait refermé le verrou avec précaution avant de conduire Bianca à l'étage. Sans faire de bruit, les deux jeunes gens avaient dépassé la chambre des parents de Tcheren à pas de Lucario pour finalement arriver dans la sienne. Là, le dresseur avait allumé sa lampe de chevet et tendu sa couverture à la jeune fille grelottante. Tous deux s'étaient ensuite installés à même le sol et le dresseur avait repris leur conversation à voix basse :

- Alors ? Qu'est-ce que tu voulais me dire ?

Sans dire un mot, Bianca avait écarté la couette et déposé un appareil rectangulaire devant elle.

Lorsque Tcheren avait reconnu les traits familiers d'un Vokit qui ne leur appartenait aucunement, son cœur avait manqué de s'arrêter. 

- C'est le sien ? avait-il demandé, abasourdi.

- Oui, je crois. 

- Tu "crois" ? s'était étonné Tcheren. Où as-tu trouvé ça ?

Bianca s'était encore recroquevillée davantage dans la couverture et avait répondu d'une voix presque inaudible :

- Il était dans les cartons des Vokit en attente de réparation. Je rangeais et je suis tombée dessus par hasard. Il m'a interpelée alors je l'ai allumé juste pour voir et là j'ai vu le fond d'écran et... 

Tcheren s'était emparé de l'appareil et l'avait enclenché pour se retrouver nez à nez avec un regard marron et rieur, accompagné d'une équipe Pokémon qu'il ne connaissait que trop bien pour l'avoir affrontée tant de fois. 

- Et tu sais comment il est arrivé là ? avait-il dit calmement en faisant de son mieux pour dissimuler les tremblements qui l'agitaient désormais lui aussi.

- J'ai posé la question à la professeure Keteleeria et elle m'a répondu que Ludwig le lui avait amené il y a presque trois mois maintenant et qu'il n'était jamais venu le récupérer. Elle avait un rendez-vous alors je n'ai rien pu lui demander de plus mais je ne pouvais pas me résoudre à remettre le Vokit à sa place, alors je l'ai pris. Il doit forcément y avoir des informations qu'on ne connait pas à l'intérieur, un indice ou quelque chose qui pourrait nous conduire jusqu'à lui ! Mais toute seule, je pouvais pas... J'étais morte de trouille à l'idée de regarder et en même temps je pouvais juste pas trouver le sommeil en sachant qu'on avait peut-être les réponses qu'il nous manquait à portée de main ! 

- Je vois. Maintenant qu'on est là, on va regarder ensemble, d'accord ?

Bianca avait acquiescé et s'était rapprochée de lui pour regarder l'écran. 

- Prête ? avait fait Tcheren, nerveux à l'idée de déverrouiller l'appareil. 

- Oui, avait soufflé la jeune fille par-dessus son épaule. 

Alors, le dresseur avait appuyé sur l'écran d'accueil pour accéder au menu.

- On commence par quoi ? Les messages, les photos ? 

- Les messages, les audio et les autres.

Tcheren avait hoché la tête et appuyé sur le répertoire de contacts. 

Après actualisation, les premiers messages à apparaître avaient été les leurs. Le jeune homme avait rapidement ignoré leur centaine de notifications restées sans réponses pour passer directement à la dernière conversation de Ludwig. Sans surprise, la dernière personne que leur camarade avait contactée était la professeure Keteleeria. Leurs échanges les plus récents concernaient des problèmes de micro et ils avaient convenu d'un rendez-vous au laboratoire pour effectuer les réparations nécessaires. Tcheren avait remonté le fil de la conversation mais n'avait trouvé que des comptes rendus sur l'état du Pokédex et des informations sur certaines espèces de Pokémon indigènes. 

Après avoir examiné les messages les plus récents du répertoire entier, audio compris, sans recueillir la moindre information, les adolescents étaient passés aux photos. La galerie était peu fournie et comptait en tout et pour tout une trentaine de photographies (rien d'étonnant, après tout Ludwig était du genre fonceur et laissait peu de place à la nostalgie). La plupart des images avaient pour sujet des Pokémon sauvages ou illustraient les progrès de sa propre équipe. Bianca et Tcheren avaient rapidement fait le tour des illustrations et à la vue de la toute première photo enregistrée sur l'appareil, le jeune homme avait senti son coeur se serrer : 

La photographie avait été prise par la professeure Keteleeria aux abords de la Route 1, au premier jour de leur voyage. Ils y figuraient tous les trois en compagnie de leur tout premier Pokémon, les yeux brillants d'excitation quant aux événements à venir : Ludwig ne parvenait même pas à sourire convenablement tant il était incapable de s'arrêter de parler, Bianca tenait ses deux camarades par le bras en riant aux éclats et bien que plus réservé, Tcheren semblait s'être laissé contaminé par leur enthousiasme et souriait lui aussi. Jamais il n'oublierait le sentiment de liberté qu'il avait éprouvé ce jour-là...

Alors que le dresseur laissait son esprit vagabonder, il avait entendu un sanglot étouffé qui l'avait immédiatement ramené à la réalité.

- Bianca ? avait-il chuchoté en se tournant vers la jeune fille. 

Il avait trouvé la jeune dresseuse hoquetante, la main plaquée sur sa bouche, les joues ruisselant de larmes à la lumière de la faible lueur.

- Bianca...

- Tu crois...qu-qu'il lui est arrivé quelque chose ? avait-elle haleté en évitant son regard.

Voir son amie dans cet état l'avait instantanément mis mal à l'aise. Il avait également ressenti de la colère, la même qu'il éprouvait lorsque Bianca trébuchait pour la énième fois, se blessait encore parce qu'elle avait la tête dans les nuages ou manquait de louper le départ du voyage le plus important de toute sa vie parce qu'elle avait oublié de mettre son réveil. Sauf que cette fois, il ne pouvait rien y faire, aucune mise en garde ou remontrance n'aurait pu lui éviter cette peine-ci. 

Tcheren s'était trouvé complétement désemparé. Il voulait seulement qu'elle arrête de pleurer, qu'elle se remette à sourire, parce qu'en vérité, il ne supportait pas de...

- Tcheren... ? 

Lorsque le jeune homme était revenu à lui, il s'était retrouvé à quelques centimètres de son amie d'enfance, le bras maladroitement passé autour de la couette.

Il avait alors pris conscience de son geste involontaire et avait bredouillé quelque chose comme "J'ai froid" tout en priant pour que la pénombre ait suffi à dissimuler son fard monumental. 

Sans poser de question, Bianca avait reniflé et écarté la couverture pour qu'il puisse se glisser à côté d'elle. Elle s'était alors blottie contre lui et Tcheren s'était mis à inscrire de légers cercles sur son épaule dans ce qu'il espérait être un geste de réconfort. 

Finalement, les pleurs de la jeune fille s'étaient taries et après un long silence, Bianca avait été la première à reprendre la parole : 

- On devrait partir à sa recherche. 

Les mots de la dresseuse avaient fait écho à ce que Tcheren envisageait depuis quelques temps déjà, sans entreprendre les démarches faute d'éléments. Mais après avoir découvert que Ludwig avait délibérément coupé toute possibilité de communication avec son entourage, il était plus que jamais déterminé à connaître le fin mot de l'histoire.

- Oui, le plus vite possible. 

Animés d'un élan nouveau, les deux amis s'étaient mis à comparer leurs emplois du temps et avaient fait l'inventaire des lieux à inspecter dans la région entière. Ils avaient poursuivi leur organisation durant une bonne partie de la nuit jusqu'à ce que leurs paupières deviennent trop lourdes et qu'ils manquent de s'endormir par terre au pied du lit. 

Comme il était absolument impensable que les parents de Bianca trouvent le lit de cette dernière vide à leur réveil, Tcheren l'avait raccompagnée jusqu'à la maison voisine. 

- À demain, ici, seize heures, lui avait-elle chuchoté sur le pas de la porte avec un grand sourire. 

- À demain, avait-il répondu en lui souriant en retour. 

Puis, Bianca avait disparu à l'intérieur en lui souhaitant ironiquement une "bonne matinée".

Sur les quelques mètres qui séparaient leurs deux maisons, Tcheren s'était senti libéré du poids de la léthargie et de l'attente qui avait pesé sur ses épaules les mois derniers. Enfin, il avait l'impression de progresser ! Le sentiment de pouvoir entreprendre quelque chose de lui-même pour remédier à la situation avait quelque chose de libérateur. 

Cette nuit-là avait été à la fois la plus courte et la plus reposante qu'il avait connu depuis longtemps.

Dès le lendemain, Bianca et Tcheren s'étaient mis à arpenter Unys en commençant par les lieux majeurs, interrogeant au passage toute personne susceptible de détenir la moindre information sur Ludwig, Champions d'Arène compris.

Un jour qu'ils se trouvaient à Port Yoneuve, Bardane leur avait indiqué que Goyah était dans les parages. Ils l'avaient trouvé non loin du Hangar Frigorifique et l'avaient arrêté pour le questionner. L'homme n'avait rien pu leur dire de plus au sujet de la disparition de leur ami et leur avait confié son inquiétude quant au poste vacant de Maître Pokémon que Ludwig avait laissé derrière lui. Lui aussi menait son enquête de son côté mais après les derniers événements, Unys avait besoin plus que jamais de stabilité, cette dernière étant incarnée par le Maître. Aussi songeait-il à reprendre son ancien rôle à la tête de la Ligue tant que Ludwig n'aurait pas réapparu, même si ce n'était pas de gaieté de cœur... 

Il n'avait cependant pas eu à assumer cette charge bien longtemps. Rapidement détrôné par Iris, la Championne d'Arène de Janusia, Goyah avait pris sa retraite et coulait des jours paisibles à Amaillide disait-on. En dépit de l'absence de Ludwig, la vie suivait son cours.

La nomination d'Iris au poste de Maître d'Unys leur avait porté un coup au moral, il n'était désormais plus question d'un simple remplacement, mais elle avait aussi renforcé leur détermination. Ils devaient retrouver Ludwig et ramener les choses à la normal avant que le temps qui passe n'efface à jamais cette possibilité.

Bianca et Tcheren avaient redoublé d'ardeur et avaient étendu leurs recherches aux lieux plus reculés comme le Palais de N, la Tour des Cieux ou la Forêt d'Empoigne, sans succès hélas. 

Au terme d'une nouvelle expédition infructueuse, les deux amis avaient fait escale au Pont du Hameau pour se restaurer avant de reprendre la route pour Renouet. Après être passés chercher des sandwiches à la caravane de la boulangère, les deux adolescents s'étaient adossés à la barrière en bois, juste en face d'une maisonnette en pierre rustique. Bercés par le chant de la rivière en contrebas, Bianca et Tcheren reprenaient des forces après une nouvelle journée éprouvante. Pour Tcheren, la fatigue n'était pas moins physique que morale : cela faisait déjà plusieurs semaines qu'il cumulait les heures de travail et les excursions sans obtenir la moindre piste. Ludwig semblait s'être spontanément évaporé de la surface de la planète à l'insu du monde entier !

Le jeune homme avait soupiré de lassitude et s'était retourné pour trouver quelque réconfort dans la tranquillité du paysage environnant : un couple de Marill flottait à la surface du fleuve et se laissait porter par le courant, slalomant entre les feuilles colorées, tombées des arbres flamboyant au crépuscule. En ce début de soirée d'automne, l'air s'était rafraîchi et la douce brise transportait une odeur de pluie et d'humus.

Alors que le soleil disparaissait derrière le Mont Renenvers, le lampadaire au-dessus de leur tête s'était soudain allumé et Bianca avait soufflé d'un air rêveur, le regard rivé sur l'horizon :

- Tu penses qu'il le regarde aussi ?

Tiré de sa contemplation, Tcheren n'avait pas été certain d'avoir bien compris.

- Pardon ? avait-il fait d'un ton monotone.

- Ludwig, tu penses qu'il contemple le même coucher de soleil que nous ?


La dernière remarque de son amie était purement naïve, inoffensive, pourtant, elle l'avait piqué au vif. 

- Peut-être... Qu'est-ce que j'en sais ! avait-il rétorqué avec agacement. 

À son ton, la jeune fille avait sursauté et s'était tournée vers lui, visiblement peinée.

- Tcheren... ?

Les raisons de son énervement lui étaient apparues tant confuses que multiples. D'une part, il commençait sérieusement à penser que Ludwig les avait abandonnés dans le noir total délibérément. 

En plus d'être leur ami, Ludwig était également un dresseur exceptionnel et peut-être un des seuls que Tcheren admirait réellement : un tel manque de considération de la part de celui qui avait été son rival le minait terriblement, si bien qu'il avait commencé à éprouver un insidieux ressentiment à son égard. D'autre part, et c'était bien là que résidait tout le problème, il peinait à comprendre et à accepter l'attitude de Bianca face à la situation. Comment pouvait-elle continuer à faire preuve de tant de bienveillance à l'égard de Ludwig malgré tout ?

Bon sang ! Il l'avait vu pleurer pour lui ! Depuis le début, Ludwig agissait de la mauvaise façon et n'avait rien fait pour mériter qu'on s'inquiète pour lui ! et pourtant... 

Et pourtant, au fond de lui, il savait que quoi qu'il fasse, jamais il ne parviendrait à provoquer le même éclat qu'éveillait la mention de leur camarade dans les yeux de Bianca... 

- Écoute, désolé, avait-il poursuivi sur sa lancée, mais je suis fatigué de tout ça ! Il faut qu'on se fasse une raison : on ne reverra Ludwig que quand lui le décidera et pas avant ! S'il a considéré que nous n'étions pas dignes de sa confiance, alors je ne vois pas pourquoi nous devrions nous évertuer à lui courir après ! Qu'il continue à vivre sa vie en égoïste et à se ficher des gens qui tiennent à lui, mais surtout qu'il ne s'attende pas à trouver qui que ce soit pour l'accueillir et encore moins des amis ! 

Bianca était demeurée silencieuse pendant plusieurs secondes avant de murmurer, les yeux baissés :

- Tu ne le penses pas.

Tcheren avait haussé les épaules et soupiré amèrement.

- Peut-être Bianca, peut-être...

Ils avaient repris la route peu après, en silence, dans la nuit glacée.

La période qui avait suivi avait vu leurs rendez-vous s'espacer dans le temps, et ce principalement pour deux raisons :

La première étant qu'après avoir parcouru Unys durant près de deux mois, ils commençaient à se retrouver à court d'options. La deuxième tenait plutôt à leur quantité croissante de travail respectif. 

Avec la saison du départ des dresseurs débutants, Bianca avait dû prendre davantage d'heures au laboratoire et avec la démission d'un employé assigné à la conservation des objets antiques provenant de Sinnoh, Aloé s'était retrouvée avec un poste vacant sur les bras. 

La Championne d'Arène avait loué le sérieux de Tcheren et lui avait offert sa confiance en lui proposant la place. Naturellement, les horaires laissaient peu de place au temps libre et rien ne l'obligeait à accepter.

Mais voilà, le fait est qu'il n'avait rien fait pour refuser non plus.

Rapidement, les deux adolescents s'étaient retrouvés happés par leur quotidien et à force de non-dits et de rendez-vous repoussés, ils avaient fini par perdre lentement contact. 


Mais depuis, le temps avait passé et Tcheren espérait qu'en dépit des circonstances dans lesquelles ils s'étaient quittés, les choses pourraient revenir à la normal entre eux. 

Quant à sa colère envers Ludwig, cette dernière avait fini par s'estomper au fil des ans, bien qu'aujourd'hui encore, il hésitait entre l'accueillir à bras ouverts ou avec un poing dans la figure, histoire de lui remettre les idées en place. 

Enfin, il verrait bien sur le moment, pour autant que l'occasion se présente un jour.

Réalisant soudain que l'après-midi touchait à sa fin, Tcheren s'apprêtait à rassembler ses affaires pour libérer la salle, lorsqu'une vibration sur le bureau attira son attention. 

Le jeune homme interrompit son geste et récupéra son Vokit pour trouver son écran envahi de serpentins et d'émoticônes de Pokémon joyeux en tous genre. 

" FINI LES EXA' !!! JE SUIS CARRÉMENT TROP LIBRE MAINTENANT !!! ON SE VOIT QUAND ??" 

Sans même avoir besoin de regarder le nom du contact, Tcheren reconnut immédiatement l'expéditeur et sentit son cœur louper un battement. 

Le Champion d'Arène déroula le message en entier et rit chaleureusement, ébahi par la farandole de Pokémon dansants s'étirant sur une vingtaine de lignes au moins.

Un message excessif et spontané, du Bianca tout craché !



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