Notre Réalité (Série Dualrivalshipping)
Chapitre 3 : Briser la glace (partie 1)
2125 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 17/07/2021 22:00
Le sang battant aux tempes, Tcheren double un passant hagard à la hâte, en bouscule un autre, néglige les excuses, pressé par le temps et l'évidence du désastre en cours.
Dans le silence assourdissant des convois à l'arrêt, le jeune homme presse le pas, martèle le grillage du Pont Ferroviaire, dépasse la foule abasourdie, largement massée aux barrières. Bientôt, la rumeur de terreur enfle et Tcheren tourne la tête vers l'horizon : au cœur du ciel brumeux, flotte maintenant l'ombre d'un inquiétant galion.
Il est arrivé trop tard.
Bon sang !
Gagné par un profond sentiment d'urgence, Tcheren accélère, encore. L'extrémité du pont n'est plus qu'à quelques mètres de là, engorgée par un afflux massif de rescapés transis et désespérés d'échapper au piège qui les a saisis si brusquement. Un piège qui a pris tout Unys au dépourvu.
Par Arceus ! Ce maudit rafiot avait flotté sous leur nez des jours durant sans qu'ils y prêtent la moindre attention ! Cette nouvelle Team Plasma était parvenue à duper l'élite des dresseurs, alors même qu'ils étaient tous réunis à Volucité, bien trop accaparés par les championnats du Pokémon World Tournament pour faire attention aux signes. Tous avaient baissé leur garde, leur vigilance émoussée par deux années de répit, et maintenant... !
Au cœur de la foule, Tcheren lutte pour se frayer un chemin en sens inverse et profite du chaos général pour échapper à l'attention des vigiles dépassés. Mais à peine a-t-il quitté l'amas suffoquant et la chaleur du poste clos, qu'une violente bourrasque manque de le geler jusqu'aux os. Sonné, le jeune homme exhale un cri de douleur, le souffle glacial perçant à travers sa chemise de lin comme un milliers d'aiguilles.
D'aussi loin qu'il s'en souvienne, Tcheren a toujours haï le froid, mais jamais encore il ne l'avait subi dans de telles extrémités.
Malgré tout, le jeune homme trace sa route sur le goudron craquelé, au milieu des cadavres de bécanes abandonnées dans la précipitation et se trouve bientôt alerté par la sonnerie du Vokit à son poignet.
Sans ralentir une seule seconde, Tcheren décroche l'appareil et le visage renfrogné de Matis apparaît à l'écran.
- Eh ! T'as vu les infos ?
- Oui j'ai vu... ! Je suis en route... ! souffle-t-il dans un nuage de buée.
- Pour Janusia ?! Attends un peu, j'suis à Vaguelone là, mais compte sur moi pour éclater la tête de ces sales types !
Une seconde alarme retentit et Tcheren ouvre la carte d'Unys pour y découvrir de nouvelles températures absurdement négatives. Un simple coup d'œil au-dessus des cimes des arbres pétrifiés lui apprend tout ce qu'il y a à savoir : sans surprise, la Frégate Plasma est désormais introuvable.
- Non, attends ! Reste où tu es !
-Quoi ?!
Furieux, Matis s'apprête à répliquer, mais Tcheren le prend de vitesse :
- Tout porte à croire que... !
Les poumons à vif, le jeune homme inspire une goulée d'air glacial avant de poursuivre avec peine :
- Que leur prochaine destination est Papeloa !
- Ok. J'y vais tout de suite !
- Je te rejoins dès que possible ! Surtout évite de foncer tête baissée, d'accord ?
Avec un agacement à peine contenu, Matis soupire et grogne :
- Mouais... me fais pas attendre !
La communication est coupée alors que Tcheren touche au but : plus qu'un mètre, qu'un pas... Le jeune homme écarte les portes du bâtiment relais à la volée, fonce à travers le hall et...
Impossible !
Pétrifié sur place, Tcheren tente d'assimiler la vision absurde dans toute son horreur, témoin d'une désolation dont aucune retransmission ne pourra jamais totalement rendre compte : La mégapole naguère florissante n'est plus que désert de glace, baignée d'un silence de mort. Ses larges avenues apparaissent irrémédiablement défigurées, éventrées de stalagmites aussi grosses que des maisons et semées de ruines d'anciens buildings high-techs criblés d'impacts, aux façades rongées par le givre.
Leurs ennemis avaient donc en leur possession une arme capable de déchaîner des forces comparables à celles d'un châtiment divin ?!
Assailli par une nouvelle rafale, Tcheren lutte pour garder l'équilibre et enfouit son visage au creux de son coude. Le choc de la morsure glacée lui fait instantanément regagner ses sens.
Le jeune homme se précipite au cœur de la rue fantôme pour échapper aux lames de vent cinglantes et tente de déterminer l'emplacement d'alliés potentiels. La réponse est évidente :
L'Arène.
Dans son empressement, Tcheren glisse sur les pavés verglacés, manque de tomber, se reprend de justesse. Autour de lui, le paysage se fait de plus en plus reconnaissable : Même prisonnières d'un étau de glace, le dresseur devine les structures familières de l'avenue principale, et à son extrémité, les traits de pierre d'un Dragon tricéphale. Sur le parvis de l'arène de Janusia, Tcheren ne tarde pas à repérer une forme voutée, agenouillée à même le sol.
- Watson !
Saisi d'effroi, Tcheren se précipite auprès du maire de la ville et passe un bras sous ses larges épaules pour le relever tant bien que mal. Dès lors qu'il parvient à hisser Watson sur ses pieds, ce dernier grogne et souffle d'une voix rauque :
- Tcheren, c'est bien toi ? Tu as gagné en carrure, dis-moi...
- Vous êtes blessé ! réplique-t-il en s'efforçant de le conduire à l'intérieur. Qu'est-il arrivé ?
Le regard brûlant de colère, le shérif déclare, amer :
- Ces bandits ont réussi à mettre la main sur un artefact de grande valeur. J'ignore ce qu'ils comptent en faire, mais je ne peux imaginer ce qu'il adviendrait s'ils venaient à s'en servir...
Alarmé par des échos de voix dans la nuit, Tcheren tourne la tête à temps pour voir débouler un petit groupement de dresseur depuis la rue adjacente : deux hommes et une femme, qu'il suppose appartenir aux effectifs de l'Arène accourent à leur rencontre.
- Monsieur Watson ! Vous êtes sain et sauf ! s'écrie l'un d'eux, un dresseur vénérable d'une quarantaine d'années, vêtu d'un manteau déchiré jusqu'au col.
- Nous avons libéré le Nord, rapporte la femme, ébouriffée et transie sous le mince tissu de son trenchcoat, tous les citoyens qui s'y trouvaient encore ont pu être évacués et la Team Plasma a battu en retraite.
Perplexe, Watson acquiesce d'un air distant, le regard porté plus loin. Tcheren sent le poids de son collègue vaciller et ajuste distraitement sa prise en conséquence.
- Hélas, nous n'en savons toujours pas plus concernant l'incident ou leurs intentions, renchérit le dernier homme. Ces scélérats ont pris la fuite avant que nous ayons pu leur soutirer la moindre information !
- Je crois savoir où ils se terrent, intervient Tcheren. On relève une température anormalement basse près de Papeloa ; ça ne peut être une coïncidence ! Matis est déjà sur leurs traces et maintenant que la situation s'est tassée, je vais...
- Ngh... !
Le poids pesant sur ses épaules disparaît instantanément et le Tcheren se retourne pour faire face à l'homme, désormais dressé de toute sa hauteur, qui le retient par le bras.
- Attends, l'exhorte gravement Watson, le combat n'est pas terminé : des renforts risquent d'arriver prochainement et je crains que nous ne soyons noyés sous leur nombre. Je ne doute pas que quelques esprits retors aient prévu de nous retenir ici le plus longtemps possibles. Et aussi... !
Une détonation assourdissante interrompt le Champion d'Arène de Janusia alors que le groupement de stalagmites le plus proche vole en éclats.
- Bon sang !
Déferlant de la voie ainsi libérée, une formation entière de sbires se déploie tout autour de l'arène, les prenant en tenaille.
Sa faiblesse momentanée longuement oubliée, Watson s'avance au cœur de l'esplanade, fier et fort comme un Polagriffe.
- Rends-toi, vieil homme ! à genoux devant la grande Team Plasma ! le somme l'une des femmes en noir, accompagnée d'un imposant Séviper.
Pour toute réponse, Watson libère son Tranchodon et gronde :
- Venez donc ! Il est temps de vous faire payer pour toutes les horreurs que vous avez commises !
L'étau de la meute de Léopardus se resserre, les félins fébriles à l'affut du moindre ordre de leurs maîtres. L'un d'eux, enhardi, se risque à briser le rang et feule d'un air provocateur, avant d'être aussitôt rembarré par un claquement de queue sur le pavé.
Tranchodon grogne en signe d'avertissement et Tcheren ne tarde pas à envoyer Mastouffe au combat pour le seconder. Les adjoints de Watson en font de même et trois autres Pokémon dragon viennent grossir leurs rangs. Les deux camps se toisent en silence, prêts à déchaîner toutes leurs forces dans la bataille à la moindre étincelle.
Certes, leurs ennemis ont l'avantage du nombre, mais la puissance brute qu'ils sont capables de déchaîner est loin d'être négligeable. Malgré la fatigue des combats précédents, les yeux de Tranchodon brillent d'un éclat décidé et Tcheren sait à ses dépens combien il est dangereux de sous-estimer le Pokémon de Watson.
- Je prends le flanc droit, dit-il en jetant un regard entendu à Mastouffe, posté en première ligne.
A son commandement, le molosse passe à attaque et perce l'extrémité de la formation de félins désorganisés.
- Utilise Vendetta ! crie Tcheren, alors qu'un attroupement de Léopardus se reforme autour de Mastouffe.
Surgissant de son angle mort, l'un des Pokémon panthère saute à la gorge du chien massif et échoue à trouver la moindre prise dans la toison épaisse. Inévitablement, le félin perd l'équilibre et ainsi déstabilisé, devient une cible facile. D'un coup de griffe vengeur, Mastouffe projette la panthère contre le mur givré d'un building. Définitivement sonné, le Léopardus git sur le sol, offrant l'opportunité rêvée pour contre-attaquer. Sans hésiter, Mastouffe s'engouffre dans l'ouverture et échappe à la meute pour prendre le reste du groupement à revers. A coups d'aboiements féroces, de tacles et de crocs, le Pokémon de Tcheren fond sur ses opposants mal préparés et sème la terreur dans les rangs ennemis.
- Stoppez cette bête ! s'écrie l'un des sbires, affolé.
Cependant le cri de l'homme est avalé par une puissante explosion. Par réflexe, Tcheren plonge à terre, le dos léché par une vague de chaleur vive. Le souffle coupé par l'onde de choc, le jeune homme relève sa tête lourde, inspire à grand coup mais ne parvient qu'à ingérer une bouffée de poussière.
De...l'air...
La gorge à vif, Tcheren manque de céder à la panique mais une poigne ferme le tire en arrière, hors du nuage de cendres et de vapeur. A peine extirpé de la zone sinistrée, le jeune homme éclate d'une puissante quinte de toux et porte frénétiquement les mains à son col pour en arracher sa cravate avec force. Lorsque le feu dans sa poitrine se calme enfin et que sa respiration reprend un rythme pour le moins régulier, Tcheren se redresse et lève les yeux vers son bienfaiteur.
Watson ?
Confus, le jeune homme reporte son regard sur le champ de bataille nimbé d'un voile de fumée épaisse et distingue aussitôt la silhouette massive de Tranchodon dont les cris de rage et les yeux ardents ne peuvent signifier qu'une seule chose :
Une attaque Colère ?
Comment un dresseur aussi expérimenté que Watson avait-il pu négliger la portée d'une attaque aussi dévastatrice ! Le chaos engendré avait certainement porté un coup fatal à l'organisation des bataillons adverses mais il constituait également un handicap considérable pour ses alliés ! Il s'agissait là d'un fait que Watson ne pouvait ignorer, à moins qu'il n'ait délibérément cherché à... !
- Vous... ! l'interpelle-t-il, la voix teintée d'une colère à peine contenue.
Mais le maire de Janusia ne lui permet pas de poursuivre : il agrippe son épaule d'une main robuste et le fixe avec gravité :
- Tu dois la rejoindre !
Le ton de Watson est pressé, presque implorant.
- Je ne mets pas en doute ses talents de dresseuse, mais même une combattante expérimentée telle que Bianca risque d'être mise en difficulté face à ce sinistre sage.