Notre Réalité (Série Dualrivalshipping)

Chapitre 4 : Briser la glace (partie 2)

3165 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 14/03/2021 17:34

Échec...

Échec...

Échec... !

L'écran du Vokit se trouble derrière ses yeux embués de larmes et Bianca ne peut contenir un sanglot. Incapable de la soutenir plus longtemps, les jambes de la jeune fille se dérobent sous son poids et Bianca s'écrase au pieds du mur, le visage entre les mains. 

Pourquoi ?

D'un geste rageur, la dresseuse chasse les larmes indésirables et ramène le Vokit dans son champ de vision pour faire défiler le détail de ses notes d'examen. Ses résultats, certes un peu en dessous de la moyenne, n'ont rien de catastrophiques non plus ! Le tout donnerait même un ensemble correct, si la débâcle des quelques chapitres de Physique Générale ne suffisait pas à ruiner l'entièreté de la pondération...

Écœurée, la jeune fille exhale un soupir tremblant et jette la tête en arrière.

Risquer de tout foutre en l'air ? pour ça ? Pour de la thermodynamique inutile qu'elle n'emploierait probablement jamais après ses études ?!

Une clameur étouffée provenant du stade en ébullition ramène Bianca à d'autres préoccupations imminentes. Au bout du couloir désert, de nombreux participants du Pokémon World Tournament se pressent dans l'entrée des loges et échangent les derniers résultats avec animation. Certains semblent même évoquer le prochain match :

Le sien.

Théoriquement, Bianca dispose d'un quart d'heure supplémentaire avant de disputer sa propre rencontre. Cela ne veut pas pour autant dire qu'elle est autorisée à se morfondre seule plus longtemps... Près de vingt minutes se sont écoulées depuis la réception du message de Boletta et son absence prolongée ne passera pas inaperçue plus longtemps.

Secouée d'un petit rire nerveux, la jeune fille enserre ses genoux ramenés tout contre elle, inspire, expire longuement. 

Il est temps d'y aller.

---

Au prix de quelques bousculades, Bianca franchit l'accès aux loges et replonge à contrecœur dans l'atmosphère effervescente de la compétition. La jeune fille se fraye un passage entre les groupes de dresseurs survoltés et finit par arriver en vue de sa propre tablée. De loin, Aloé lui fait signe et Bianca reprend sa place autour de la table haute, au-dessous de l'écran des scores, juste en face d'Artie et Tcheren, en pleine conversation.

Égale à elle-même, Aloé s'empresse de la questionner sur son départ et Bianca s'efforce de rester évasive autant que possible. Bianca le sait, l'ancienne Championne d'Arène de Maillard n'est pas femme à être facilement détournée une fois sa curiosité piquée... Mais heureusement, la soudaine intervention d'Artie la force à se désintéresser d'elle pour un temps. Tout en remerciant mentalement le dresseur de types insecte, Bianca récupère son verre de soda à moitié vide et tente vainement de reprendre le fil de la discussion dont le sujet d'origine n'est apparemment plus qu'un lointain souvenir : de passionnantes anecdotes de voyages, ses trois amis avaient dérivé sur la logistique des Arènes de Volucité et de Pavonnay pour la saison à venir. Un thème qui lui évoque bien peu à vrai dire... Et quand bien même, tout effort d'écoute est rapidement rendu vain lorsque les mots des trois dresseurs se perdent dans l'ovation sonore et grasse montant de la table voisine :

Porté en triomphe par cinq de ses camarades hilares, un garçon en uniforme de Topdresseur braille un chant de victoire à pleins poumons. Dans la salle, l'agitation se transmet comme une traînée de poudre : encouragés par les acclamations de la masse, les jeunes gens entonnent le refrain à l'unisson et conduisent leur stupide cortège entre les rangées de tables, ébranlées à grands coups de poings.

Les dents serrées, Bianca trésaille.

Stop !

Les cris, le tintement des verres entrechoqués sont autant d'intrusions intolérables et manquent de la faire imploser. Il s'en faut de peu pour que la main sur son épaule la retienne de sortir sur le champ. 

- Bianca ?

La jeune fille sursaute et lève les yeux pour rencontrer la mine préoccupée d'Aloé.

- Tout va bien ? 

Bianca déglutit et ne peut s'empêcher de couler un dernier regard vers la sortie.

Ses bribes de réponses n'ont rien de convaincant et sous l'œil affuté d'Aloé, Bianca à le désagréable sentiment d'être un objet antique dont le mystère resterait à percer. 

- Hé, qu'est-ce qu'il se passe ?

- Je... rien... ! Juste... tu sais, le trac...

Les yeux aussitôt ramenés à l'écran des scores, Bianca scrute l'heure digitale au bas des résultats et étouffe un soupir de soulagement.

Plus que sept minutes...

Bientôt, elle pourra mettre un terme à cet échange chaotique en prétextant devoir rejoindre le terrain, s'isoler un instant sur les docks pour se reprendre, faire ce qu'elle a à faire et détaler d'ici au plus vite. Sans se donner en spectacle avec un peu de chance...

La chance cependant, ne s'est définitivement pas rangée de son côté aujourd'hui.

Trop occupée à paniquer et à répondre aux sollicitations d'Aloé, Bianca a négligé de prendre en compte le volume sonore ambiant, désormais bien plus bas. En effet, les fauteurs de trouble semblent avoir déserté la salle, et le bruit de fond modéré des conversations y a repris cours, ce qui signifie que...

Ses doutes se trouvent aussitôt confirmés : de l'autre côté de la table, Tcheren et Artie ont cessé de discuter pour se focaliser sur elles deux.

- Un problème ? s'enquit Artie, la main figée dans ses boucles châtain clair d'un air désinvolte.

Aloé soupire et désigne Bianca de la tête :

- C'est bien ce que je cherche à savoir, Artie...

- Non ! C'est rien de grave, vraiment ! Je t'ai déjà dit que... !

- Bianca ?

Le ton de Tcheren est sans équivoque : son ami d'enfance n'est clairement pas dupe.

Face à son regard perçant, inquisiteur, Bianca détourne les yeux, fixe le sol. Ses agissements prennent la forme de semi-aveux malgré elle, elle en a bien conscience. Mais que faire quand toute tentative de démentir lui reste coincée en travers de la gorge ? quand Tcheren a toujours su la percer à jour mieux que quiconque ?

Tous petits déjà, lorsque Ludwig et elle avaient eu la mauvaise idée de subtiliser un paquet de gâteaux dans le grand placard de la maternelle, Tcheren avait aussitôt vu clair dans leur jeu et les avait forcés à le remettre à sa place, leur évitant de ce fait bien des ennuis. Et puis aussi, il y avait eu cette fois, où lors d'une excursion, Bianca avait trébuché sur l'un des nombreux cratères d'un sentier forestier irrégulier et s'était méchamment foulé la cheville. Par peur de mettre fin à toute une après-midi de jeu, elle avait obstinément tu sa douleur, mais là encore, Tcheren avait été le premier à remarquer son boitillement. Il avait d'abord fait part de son observation à Ludwig avant de demander à leur professeur de bien vouloir les excuser tous les trois. Malgré ses protestations, ses deux amis l'avaient reconduite chez elle et étaient restés à ses côtés jusqu'à la fin de la journée. 

Le dernier souvenir, peut-être le plus limpide et le plus douloureux remonte à deux ans de cela, lorsqu'après lui avoir fait part de ses doutes, assis au pied du grand moulin de Flocombe, Tcheren lui avait demandé d'exprimer son propre ressenti. Pour la première fois, le jeune homme voyait son inébranlable idéal de puissance usé à force de défaites contre Ludwig et par le fossé infranchissable qui se creusait entre eux deux...

Bianca n'avait pas eu le cœur de lui faire remarquer le gouffre abyssal séparant leurs aptitudes des siennes.

Et de toute façon, lui avait-elle prétendu : Elle avait eu la chance de faire un beau voyage et que jamais elle n'avait eu l'intention de prendre cette histoire de Ligue Pokémon au sérieux. Que comme toujours, et contrairement à eux, elle s'était laissée portée par les événements, sans véritable objectif à atteindre...

Cette fois, l'estomac de Bianca se soulève. Et tandis que son champ de vision se trouble une fois de plus, la jeune fille s'empare brusquement de son sac à main et tourne les talons avant de laisser le malaise la submerger totalement.

- Ça va aller. Je... souhaitez-moi bonne chance, hein ? 

Sans attendre la réponse de ses camarades, Bianca fonce vers la sortie et franchit la loge sans un regard en arrière.

----- 

La suite passe en un éclair et, comme coincée derrière un écran de fumée, Bianca se retrouve spectatrice plus qu'actrice de sa propre défaite. Ses Pokémon tombent l'un après l'autre, conduits à leur perte par les ordres insensés d'une voix qui n'est pas la sienne.

Dans l'assistance, les applaudissements se font timides, presque gênés devant cet anéantissement pitoyable, à peine digne du nom de match. Ce n'est qu'à l'annonce du résultat définitif que le sortilège se dissipe. La brume épaisse se lève sur la lumière écrasante des projecteurs, révèle la vive incompréhension dans les yeux de son adversaire, le poids des regards et de la Poké Ball inerte dans sa main.

Encore une fois, j'ai...j'ai...

Du haut de sa torpeur, Bianca se sent chuter, précipitée à terre, écrasée par une déferlante de sentiments incontrôlables. Comme une machine défectueuse, la jeune fille inspire des goulées d'air par saccades, le cœur prêt à exploser sous la pression de sa poitrine en cage. À nouveau, Bianca sent monter la brûlure des larmes contenues. 

Non, pas maintenant... ! Stop !

L'éclairage du grand écran des scores vire à la pénombre et le soulagement des premiers instants est rapidement précédé d'une nouvelle attaque de panique quand, désorientée, Bianca se retrouve piégée sur scène.

Comment sortir d'ici ?! Comment... !

À ses pieds, des bandes lumineuses s'étirent par-delà les marches d'escalier pour signaler la voie à suivre et Bianca s'accroche aux lignes de marquage comme si sa vie en dépendait. Parvenue au bout du boyau sombre, la dresseuse repousse le battant de toute ses forces et troque l'ombre suffocante contre le chaos du vestibule. Sous ses airs de véritable foire, la grande halle est noire de monde. Des hordes de clients assaillent les guichets surchargés, font pleuvoir les demandes au rythme des allers-retours effrénés du personnel dépassé, crient leurs plaintes dans le brouhaha incessant, des cris, toujours des cris... !

Les ongles de Bianca percent la paume de sa main crispée et la jeune fille accueille la douleur comme un ancrage forcé, servant à mobiliser toute la lucidité nécessaire à la recherche d'une échappatoire. La tâche est pourtant plus qu'ardue : la simple perspective de se retrouver piégée dans la masse la rend malade et il est inconcevable d'atteindre les sorties principales sans s'y mêler. Quant aux sorties secondaires...

Là !

Dissimulée derrière une colonne grillagée, à l'abri des regards, se trouve une petite porte de service. Sans perdre une seconde, Bianca dévale les quelques marches menant au rez-de-chaussée, enfonce la poignée et s'engouffre dans l'air marin des quais de Port Yoneuve.

- Bianca !

La voix et l'absence du cliquetis de la porte dans son dos forcent la jeune fille à faire lentement volte-face. 

Sans surprise, c'est Tcheren qui se tient là, debout dans l'embrasure de la porte. Le jeune homme a le souffle court et ses cheveux noirs hérissés d'épis épars et ses pommettes rougies par la course sont une entorse flagrante à l'image bon-chic bon genre du parfait Champion. Comme ça, songe-t-elle, Tcheren ressemble un peu moins au jeune adulte serein des derniers temps et un peu plus au jeune dresseur intrépide d'autrefois. En revanche, l'air réprobateur de son ami d'enfance demeure, comme une constante au cours du temps, prête à réapparaître au moindre de ses faux pas... À la différence que, cette fois-ci, Tcheren laisse ouvertement transparaître ce qu'elle ne croyait que deviner jusqu'alors : cette ombre dans le regard, ces froncements et lèvres pincées, c'était quoi ? de l'inquiétude ?

Bon sang, comme elle le déteste ce regard ! Elle ne peut pas avoir l'air aussi misérable que ça, si... ? 

Comme pour lui prouver le contraire, un sanglot lui soulève la poitrine et échoue contre la barrière de ses lèvres closes en un gémissement pitoyable.

Décontenancé, Tcheren semble chercher ses mots pour un temps et finit par souffler : 

- Parle-moi, Bianca. S'il te plaît...

Face aux cognements qui lui martèle les tempes, Bianca recule pour gagner la rambarde du perron et l'agrippe dans l'espoir de calmer ses tremblements. 

- Parler...de... quoi... ? parvient-elle à hoqueter.

Les cris pressés d'un membre du staff traversent la porte entrebâillée et exhortent Tcheren de se rendre sur le terrain pour le début imminent de son match. 

- Deux minutes ! 

La réponse laconique de son camarade ne lui offre hélas qu'un répit de courte durée : avec un grognement de frustration, Tcheren claque le battant et vient rejoindre la barrière. Incapable de lui faire face, Bianca devine pourtant sa présence comme une évidence. Clairvoyant comme à son habitude, le jeune homme prend soin de maintenir une distance confortable entre eux deux.  

- Bianca, je veux t'aider mais pour ça, j'ai besoin de comprendre...

- Non, non... ! c'est rien du tout, vraiment... !

Les yeux fixés au bas de la rampe d'escalier, Bianca s'efforce de garder les rênes mais son cœur, hors de tout contrôle, s'emballe comme un train fou.

- S'il te plaît, Bianca ! 

- Non ! 

Une main ferme agrippe la sienne et un hoquet de surprise suffoque sa poitrine suppliciée. 

- Regarde-moi !

- Ça va passer ! souffle-t-elle. J'ai juste besoin de temps et... et... !

Au dos de sa main, Tcheren trace des cercles du bout du pouce pour soulager ses spasmes et rétorque calmement : 

- Si c'est assez sérieux pour te déstabiliser à ce point, j'en doute... 

Une fois de plus, Tcheren perce ses défenses à coup d'arguments bien sentis. Non, pense-t-elle. Le pragmatisme froid n'a rien à voir là-dedans. En vérité, ce sont les démonstrations de gentillesse, aussi nouvelles qu'inattendues de la part de son ami de toujours qui menacent de la désarmer complétement. À peine en a-t-elle pris conscience, que le voile de panique qui la coupait du monde se soulève juste assez pour permettre à Bianca de remarquer la façon dont son sang bout au contact de sa main chaleureuse. Maintenant qu'ils ne sont plus qu'à un pas l'un de l'autre, Bianca se retrouve enveloppée dans la présence réconfortante du jeune homme, subtile mélange de senteur savon, rehaussée d'une pointe de café et de ce quelque chose d'unique qui lui donne le sentiment d'être un peu chez elle où qu'elle aille. Le temps d'un instant fugitif, la jeune fille se laisse aller à contempler ses traits finement ciselés, ses yeux si bleus emplis de sollicitude, penchés sur elle et elle seule. Le cœur saisi d'un élan profond, Bianca brûle de franchir la distance dérisoire et de...

De faire quoi au juste ? 

Glacée par la réponse, Bianca recule, le souffle coupé.

Non, impossible... ! Ce n'est pas... ! Elle ne peut pas avoir réellement pensé à... !

- Me déstabiliser ? hoquète-t-elle, prête à défaillir. C'est vrai, j'étais pas... au top de ma forme, mais... !

Le regard de Tcheren se durcit. 

- Au top de ta forme, répète-t-il amèrement. Bianca, on sait tous les deux qu'aucune « baisse de forme » au monde ne te conduirait à lancer « Retour » sur un Lugulabre ! Honnêtement, tu agis comme si ces trois dernières années ne t'avaient rien appris !

Le coup est brutal, venu d'un angle mort. Aussitôt, Bianca arrache sa main à la sienne.

- Comment... ! s'écrie-t-elle d'une voix rauque. Comment tu saurais quoi que ce soit... !? 

Son accès de colère laisse Tcheren sans voix. Bianca lit dans ses yeux écarquillés la même incrédulité qu'elle, mais par-dessus tout, une peine bien visible. 

- Je...

Privée de la douce chaleur du contact, Bianca est plus seule que jamais. Et tandis que la colère laisse place à la culpabilité, la jeune fille réalise avec horreur la façon dont ce qu'elle vient de dire peut être interprété. Malgré cela, les mots lui font désespérément défaut.

- Désolé. Si tu ne veux pas m'en parler, je respecte ta décision mais j'espère que... 

Désemparé, Tcheren esquisse un geste vers l'avant, avant de se raviser et de murmurer :

- Tu peux toujours me faire confiance, tu sais ?

La gorge nouée, Bianca acquiesce.

Bien sûr qu'elle le peut ! 

Qu'il puisse penser le contraire lui brise le cœur. Et soudain, Bianca est saisie par l'urgence de tout déballer, tout, absolument tout : le tourment de ses années d'études bien loin d'avoir été aussi paisibles que ce qu'elle a laissé paraître, le découragement et les craintes qui la tiennent éveillée jusqu'à plus d'heure, la raison pour laquelle la perspective de rentrer la terrifie au moins autant que de rester ici et pourquoi par manque d'alternative ou par lâcheté elle finira par se plier docilement aux règles du couvre-feu. Parce que personne d'autre au monde ne semblerait mieux à même de l'aider, de la comprendre. Parce que peu importe la distance des dernières années, Tcheren est et demeure son meilleur ami, quelqu'un de confiance ! Mais c'est bien parce que c'est Tcheren que dernièrement, tout semble si... compliqué !

La sonnerie du Vokit met un terme définitif à cette opportunité. 

À contrecœur, Tcheren décroche. Le jeune homme met rapidement fin à l'appel avant de porter son regard au loin, sur l'eau calme et le ballet frénétique du grand Pont Yoneuve. 

- Bonne chance, reprend timidement Bianca.

- Oublie ça, rétorque Tcheren, catégorique. Je peux pas te laisser comme ça. 

Hein !?

- Mais tu dois ! proteste la dresseuse, scandalisée.

Le jeune homme fait volte-face.

- Quel genre de pauvre type laisse tomber ses amis pour participer à un stupide tournoi... !

À regret, Bianca plante son regard dans le sien.

- Un Champion d'Arène.

Laisser un commentaire ?