Les Train Twins

Chapitre 20 : The book of love is long and boring...

13524 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 25/10/2021 23:51

Chapitre 20

 

The book of love is long and boring…

 

[Florine travaillait tard ce soir-là, j’avais envoyé les filles se laver pendant que je faisais le ménage. Les jumelles déboulèrent dans la cuisine alors que je récurais l’évier en chantant du Zouk Machine…]

Fry affligé se pinça l’arête du nez en imaginant la scène, il n’avait pas la foi de commenter le choix de la musique. Et heureusement Seb s’était bien gardé de lui parler du petit tablier rouge avec des ceribou…

[« Alors les filles, propres comme des sous neufs ?

- Oui ! Me répondit Jenny avec bonne humeur. Et Jessy me demanda :

- Maman est encore au labo ?

- Eh oui, toujours.

- Puf c’est nul, quand est-ce qu’on mange ? J’ai faim moi !

- Moi aussi j’ai faim. »

J’avais de la peine pour ces deux petits ventres gargouillant. J’ai regardé à l’intérieur du frigo, il était quasiment vide, seul le bac à légumes était à moitié rempli de tomates, de carottes et de concombres.

« Vous mangez quoi d’habitude ? Demandai-je

- Si tu cherches un truc ouvre les placards ! » Me lança Jessy.

J’ai suivi son conseil et découvris une montagne de boites de conserves contenant tout et n’importe quoi. Ca me rappelait le ranch d’Eulalie – une fermière un peu zinzin – qui ne mangeait que des boites de conserves.

« Vous… Vous mangez des conserves tous les jours ?

- Non pas le mardi, le mardi c’est…

- Pizza !

- Mais ce n’est pas bon pour des enfants !

- On mange cinq fruits et légumes par jour !

- Et trois laitages ! Rajouta fièrement Jessy.

- Bon. Ne bougez pas les filles, je reviens. »

J’ai laissé les jumelles avec mon mentali et Mélodelfe et je suis sorti du laboratoire. Je suis allé jusqu’à la maison du professeur Léon.]

« C’est celle qu’on voit là bas, il reste une lumière allumée à l’étage, regarde. »

Seb pointa le bras de l’autre côté de la pâture.

« Les parents de Al étaient les voisins du Professeur Chen dans le temps, elle a hérité de la maison et Florine a grandi là bas.

- Donc tes beaux-parents sont tes voisins. Heureusement que vous vous entendez bien.

- Tu l’as dit ! J’ai de la chance : je suis leur gendre préféré à tous les deux. »

[Un quart d’heure plus tard, après une razzia dans le frigo du professeur, j’étais de retour dans la cuisine où les filles s’ennuyaient grave. Elles essayaient de chevaucher mon mentali qui était au supplice.

« Les filles j’ai besoin d’un coup de main ! » Criai-je en posant un énorme sac sur la table. On s’est lancé dans un atelier cuisine avec Mélodelfe, c’est un de mes souvenirs les plus heureux avec Jessy et Jenny. Quand Florine termina enfin son travail et débarqua dans la cuisine pour diner elle se retrouva face à une table digne d’un banquet médiéval, la cuisine était remplie de délicieuses odeurs d’épices. Je n’avais jamais vu Florine aussi surprise que ce soir là. Elle était totalement ébahie.

« Mais qui…

- C’est moi ! » J’étais carrément fier de moi sur ce coup là. « Ah pardon, c’est nous ! » Me rattrapai je avant que les filles m’assassinent du regard.

« Euh… Oui je m’en doute mais comment as-tu fait tout ça ? Je sais ce qu’il y a dans mon frigo et là…

- Je suis allé racheter des aliments à ta mère. Son frigo était plein à craquer, elle m’a dit que je pouvais prendre ce que je veux. Je crois qu’après avoir élevé six enfants , tes parents ont du mal à réduire les quantités de leurs courses … »

J’ai reculé la chaise libre et j’ai invité Florine à s’y asseoir avec galanterie. Les filles étaient affamées, elles s’aggripaient férocement à leurs couverts quant à moi j’étais de très bonne humeur, pendant deux petites heures j’avais complètement oublié la mort de Justine… Je suis resté debout pour présenter les plats à ces dames, façon grand restaurant.

« Alors au menu ce soir : salade de tomates à la mozzarela aux herbes du Sud avec son filet d’huile d’olive, clubs sandwichs à la mode de Galar, taboulet de Sinnoh, poivrons et oignons grillés, plateau de fromages de Kalos et en guise de dessert bananes frites avec coulis de baies rouges. »

Florine regardait la table sans dire un mot, j’étais vraiment content de mon effet. Jessy leva les pouces en signe de victoire et avec sa sœur elles lancèrent un « B’n’appétit ! » enjoué avant de dévorer leurs plats. Après le diner, Florine laissa les filles s’installer dans le canapé pour regarder les dessins-animés vu que c’était les vacances et moi je l’accompagnai au laboratoire pour rentrer la plupart des pokémon pour la nuit.

« Je vais laisser sortir les pokémon nocturnes et brancher l’alarme, me dit Florine. Moi je jetai un coup d’œil à l’horloge du labo.

- Tu travailles jusqu’à quelle heure comme ça ?

- Ca dépend, l’hiver je travaille beaucoup moins puisque certains pokémon hibernent et que la nuit tombe plus vite, mais parfois l’été je travaille jusqu’à  vingt-trois heures voire minuit…

- Tu es folle Florine.

- Je n’ai pas le choix surtout. »

Alors qu’on rangeait les pokéballs dans la salle dédiée, Florine, un peu mal à l’aise se tourna vers moi mais sans me regarder dans les yeux.

« Au fait je voulais te dire, pour aujourd’hui… Merci beaucoup.

- Merci pour quoi ?

- Pour tout : pour m’avoir aidé, pour t’être occupé des filles, pour avoir préparé à manger… Elle finit par redresser la tête et elle me sourit avec reconnaissance, j’en étais tout retourné.

- Et pour être revenu me voir. Merci, d’être mon ami. »

Encore une fois je sentais mon cœur s’emballer. Je mourrai d’envie de l’embrasser, de lui prendre les mains, de caresser ses cheveux… Je me retenais de toutes mes forces, comme on dit : miaouss échaudé craint l’eau chaude et je ne voulais pas refaire la même connerie qu’au colloque de Doublonville. Et puis je me suis rappelé que c’était Justine qui m’avait supplié de revenir. Je me demandais toujours : pourquoi ?]

« Bah je crois que c’est un peu évident là…

- Ah bon ?

- Tu es dingue du professeur Léon ! Enfin de Florine, pas Jacky. Ca fait une heure que tu me racontes dans les moindres détails ta vie à ses côtés au Bourg Palette en me répétant à quel point elle est belle. Si j’ai bien compris, c’était déjà comme ça du temps où tu faisais ton voyage initiatique, je pense pas que tu aies pu cacher ça à ta femme pendant vos dix ans de vie commune.

- Oui ok, mon amour pour Florine était toujours vivace j’avais compris, mais ce que je ne pigeais pas c’est comment Justine pouvait m’envoyer dans un foyer avec un mari et des enfants.

- Florine avait sans doute tout raconté à Justine.

- Je peux m’arrêter là si tu veux, je vois bien que c’est long et que je t’ennuie.

- Ah non pas du tout, j’attends juste le moment croustillant.

- Euh pardon ?

- Je veux dire le moment où Jessy et Jenny vont pêter un plomb ! Parce que je me doute bien que ça va dégéner à un moment.

- Oui… »

Evidemment ce n’était pas ce que Fry avait en tête, il pensait surtout au moment où Florine et Seb finiraient par commettre l’adultère.

[Florine toussota et reprit une voix plus froide pour me dire bonne nuit. Elle filait plus vite qu’un doduo qui faisait la course, ça aussi je m’en souvenais bien, c’était déjà comme ça quand elle était ado : à chaque fois qu’elle ouvrait son cœur, ne serait ce qu’un bref instant, elle redevenait très froide l’instant d’après, comme si pour elle exprimer ses sentiments était une marque de faiblesse.]

"Mais comme ça me rappelle quelqu’un…" Songea Fry qui visualisait dans sa tête la figure de Jessy entourée par des néons fluo.

[Le lendemain, je me suis décidé à aller faire les courses, je ne pouvais pas me contenter du marché noir qu’Al organisait dans sa cuisine. J’ai bien évidemment demander l’autorisation au patron de mon cœur, surtout qu’il fallait quelqu’un pour garder les filles en mon absence. Jenny supplia sa mère de la laisser m’accompagner, Jessy elle préférait rester avec sa grand-mère pour entrainer son pichu. J’eus également la bénédiction de Florine pour acheter des bonbons à Jenny. Je suis allé à la seule supérette du village avant de passer au petit marché couvert pour les produits frais. Mangriff et Kangourex portaient les paquets, tandis que je portais Jenny sur mes épaules. Elle me décrivit tout le village alors qu’on passait de rue en rue. J’adorais ça : sentir cette petite fille toute légère sur mon dos, m’ébourrifer les cheveux et entendre son rire résonner à mes oreilles…

« Ih ih… Tu es trop gentil Seb ! »

Et puis, sans que je m’y attende, elle posa la question qui tue de sa petite voix fluette et légère.

« Pourquoi tu n’as pas de femme ?

- Euh, quoi ?

- T’es gentil, tu ferais un bon papa et un bon mari ! Alors pourquoi t’es pas marié ?

- Eh bien… Ma femme est morte un peu avant que je vienne habiter chez vous. »

Et la deuxième question qui tue me tomba dessus…

« Morte ? C’est quoi morte ? »]

« Le combo super efficace. Ça fait mal, même au stade.

- Eh ouais… Soupira Seb. C’est ça aussi d’avoir des enfants. »

[J’ai essayé de trouver les mots les plus simples possibles, mais le terrain était glissant.

« Eh bien c’est… Quand on s’endort pour toujours. Ça arrive quand on est très vieux ou très malade.

- Ta femme était très vieille ?

- Non, très malade.

- J’ai eu la grippe. Je ne suis pas morte.

- La grippe ce n’est pas très grave comme maladie.

- Ah bah c’est pas ce que disait maman ! J’ai eu quarante de fièvre quand même ! Jessy elle ne sait pas compter au-delà de quarante alors c’est beaucoup !

- Ne t’inquiète pas, on ne meurt pas quand on est enfant.

- Maman m’a dit, reprit Jenny après un moment de réflexion, que le vieux monsieur sur les photos au labo était morte aussi.

- Le professeur Chen. Oui il est mort parce qu’il était très vieux… »

Parler de la mort comme ça avec une fillette de sept ans était assez apaisant, car les mots que j’utilisais étaient enfantins, le souvenir de ma Justine était un peu moins douloureux. Mais arriva la troisième question qui tue…

« Pourquoi t’es pas morte avec ta femme ?

- P…Pardon ?

- Tu aurais pu t’endormir avec elle. Comme ça t’aurais rêvé avec elle pour toujours. Comme dans les histoires de pokémon fées.

- Non parce que… Si j’étais mort avec elle, qui se serait occupé de mes pokémon ? Et de ceux de ma femme ? Ils auraient été tout seuls et malheureux.

- Ah voui. J’suis bête. »

J’ai cru en avoir terminé mais…]

« Quatrième question qui tue ?

- La dernière me fut fatale… »

[« Dis Seb…

- Oui ?

- Tu crois… Que papa est mort ?

- Quoi ?!? »

Je m’arrêtai brûtalement, choqué. Mes deux pokémon qui marchaient devant moi se retournèrent en m’entendant crier. J’ai pris Jenny délicatement et je l’ai fait descendre de mon dos. Je me suis agenouillé devant elle et je l’ai regardé droit dans les yeux. Jenny avait l’air si triste… C’est à ce moment là que j’ai pris conscience que l’absence de Sylvain pesait aussi lourd sur les jumelles que sur Florine.

« Non ton papa n’est pas mort, je te le jure !

- Alors pourquoi il ne vient plus nous voir ? Il ne m’aime plus ? Il n’aime plus Jessy non plus ?

- Bien sûr que si, il… »

Je cherchais comment expliquer la situation à Jenny pour qu’elle comprenne au mieux. Je ne savais pas ce que Florine leur avait dit au sujet de Sylvain mais je ne pouvais pas simplement garder le silence. J’ai pris une profonde inspiration et je lui ai répondu :

« Tu sais, les gens aiment un tas de choses : le chocolat, les pokémon, leurs enfants, leurs parents, leur mari ou leur femme. Euh, les vacances, les jouets…

- Les sucettes ?

- Oui, les sucettes. Et… Parmi toutes ces choses que l’on aime et même qu’on adore, on doit faire des choix. Tu ne peux pas manger du chocolat et des sucettes en même temps, tu dois faire un choix entre les deux, tu comprends ?

- Voui…

- Eh bien ton papa… Tu sais, je le connais bien, c’était… C’est mon meilleur ami. Et ce qu’il adore c’est voyager. Visiter tous les pays du monde et chercher ce qu’il va pouvoir rapporter au Bourg Palette. Mais les voyages c’est long , alors en attendant il ne peut pas faire les autres trucs qu’il aime comme embrasser ta maman ou jouer avec toi et ta sœur. »

D’une voix timide et un peu boudeuse, Jenny me répondit :

« Moi je préfèrais qu’il reste ici, avec moi, Jessy, maman, papi, mamie, Pit, Chu et toi… On est une famille. Pourquoi c’est le seul à pas être là ? »

J’étais trop ému, Jenny venait de me dire avec ses mots à elle qu’elle me considérait comme un membre de sa famille.

« Jenny, ce n’est pas parce que ton père n’est pas là que vous n’êtes plus une famille. Tu n’as qu’un seul papa , alors même s’il est loin et même s’il était mort, il sera toujours un membre de ta famille. Tu dois penser à lui très fort et il sera toujours avec toi.

- Je n’comprends pas tout mais c’est d’accord…

J’ébouriffai ses cheveux avant de la remettre sur mon dos.

- Bon aller, on va se remettre en route, sinon ta mère va s’inquiéter.

- Ah ! Dis, Seb… Si t’attends que je grandisse, moi je veux bien devenir ta femme !

- Oh, alors je viens de me trouver une très jolie fiancée… »]

« J’y crois pas, à sept ans elle faisait déjà des conquêtes masculines !

- Tous les enfants font ça, Robin est fiancé à sa cousine Victoria depuis l’année dernière.

- Tu sais… Les filles ne me parlent jamais du Bourg Palette, mais elles ne parlent pas non plus de leur père, pas vraiment.

- Parce qu’elles n’ont rien à dire sur lui, dit tristement Seb.

- Elles l’ont revu depuis ? »

Seb hocha positivement de la tête mais il avait un air triste.

« Je crois… Qu’elles me tiennent pour responsable de cette situation. J’ai accepté d’être leur chevroum émissaire mais elles se voilent la face. »

[Ce soir là, j’avais envie d’appeler Grégoire, alors j’ai commencé à chercher son numéro dans le répertoire du vidéophone du labo, je suis tombé par hasard sur l’historique des appels : Sylvain Ketchum… 364 appels en absence. L’historique n’avait qu’une capacité d’un an et depuis au moins un an, probablement plus, Florine essayait d’appeler Sylvain tous les jours sans exception. Elle avait même appelé aussitôt après son retour du colloque et le jour de notre départ. Il ne répondait jamais et effectivement le dernier appel reçu remontait à six mois et neuf jours, il avait duré vingt-cinq minutes et vingt-trois secondes exactement. J’ai renoncé à appeler Grégoire, à la place j’ai essayé d’appeler Sylvain… Et personne n’a répondu. J’ai regardé la photo où on était tous ensemble à Lavanville, je me suis mis à grogner contre Sylvain.

« Quel imbécile tu fais ! T’as une femme superbe, des filles adorables, une maison remplie d'amis et de plus de pokémon que tu ne pourras en dresser dans toute ta vie, qu'est-ce que tu veux de plus à la fin ? » Je suis allé me coucher en ressassant ma conversation avec Jenny. Le lendemain, j’ai bien vu que Jenny avait une petite baisse de régime, elle était un peu moins joviale depuis notre discussion, je pensais pourtant m’en être bien tiré… Quant à Jessy, elle semblait sensible aux émotions de sa sœur. J’ai attendu que les filles soient couchées et que Flo se soit détendue un peu dans un bain avant de venir l’embêter avec mes réflexions…

« Florine ? Il faut que je te parle, c’est important. »

Je sais que mon ton grave l’a inquiété. On s’est installé dans le salon mais on est resté debout.

« Qu’est-ce qu’il y a ?

- Jenny m’a dit un truc hier, elle m’a demandé si son père était encore en vie. »

Florine, les bras croisés, prit une profonde inspiration, quand j’ai vu sa tête contrariée j’ai tout de suite enchainé, car les idées noires de Jenny n’étaient pas ma seule préoccupation.

« Je l’ai rassuré tout de suite bien sûr, mais j’ai ruminé toute la journée après ça, et aujourd’hui aussi. Je me demandais… Puisque Sylvain ne t’a pas donné de nouvelle depuis six mois, comment tu sais s’il va bien ? Il pourrait lui être arrivé quelque chose…

- Il va bien Seb… Franchement, après ce que tu viens de me dire je m’inquiète plus pour Jenny.

- Comment tu sais qu’il va bien ? Insistai-je. C’est pas parce que les gens sont jeunes qu’ils ne peuvent pas mourir du jour au lendemain. On croit qu’on est à l’abri mais… »

Je ne sais pas pourquoi je pensais à ça. Enfin si, je me doutais bien que la maladie et la mort de Justine m’avaient rendu anxieux, mais ça ne justifiait pas que je m’imagine la mort de Sylvain. Je crois qu’au fond de moi j’avais envie de remettre le sujet sur le tapis. Je voulais trouver une explication valable au fait qu’il plante comme ça sa famille et ses amis. Florine me fixait avec un regard insondable.

« Viens, je vais te montrer quelque chose. »

Je l’ai suivi au laboratoire. Elle s’est installée devant le gros ordinateur et a lancé un logiciel que je n’avais jamais vu. J’ai beau ne rien y connaître en informatique, j’ai tout de suite vu que c’était du costaud.

« C’est une base de données mondiale, m’expliqua Florine. Elle est alimentée en temps réel par un réseau international de chercheurs en Pokémonologie, c’est un programme qui a couté plusieurs milliards de Pokédollars à mettre en place. »

Elle ouvrit devant moi une carte du monde connu et une fenêtre en pop-up dans laquelle elle fit une recherche : KETCHUM_SY. Aussitôt une liste de données est apparue en bleu dans un onglet. Des lignes de chiffres et de lettres en colonnes, je ne comprenais pas trop ce que c’était.

« Sylvain, tout comme mon père et moi, on participe à ce projet. Il est équipé pour ses explorations d’un équipement GPS et d’un téléphone satellite pour les urgences. Il télécharge des données de manière hebdomadaire.

- Euh quel genre de données ? Attends, tu as dit hebdomadaire ? »

- Oui soupira Florine. Sylvain envoie tout un tas de choses vers la base : des coordonnées cartographiques ordinaires, des informations sur la faune ou la flore, parfois il recrute des nouveaux participants au programme. En fait, avec son GPS on pourrait même le localiser de manière extrêmement précise là maintenant, mais ça demande beaucoup de mémoire à l’ordinateur alors je ne le fais plus depuis des années. Mais je sais, grâce à ça, qu’il est en vie même si ce programme qui a couté des milliards n’a pas été conçu pour jouer à où est Charlie ? Ou en l’occurrence : où est Sylvain Ketchum ? »

Elle se tourna vers moi.

« Tu es rassuré ? »

J’ai explosé.

« Donc il communique avec ce truc mais à toi et aux jumelles il n’envoie aucun message ? Depuis plus de six mois ?!? »

Elle soupira, blasée, je crois qu’elle n’avait pas envie de répéter la discussion du colloque et je n’en avais pas envie non plus, mais j’étais fou de rage.

« Il… Comment peut-il… C’est…

- Même avec un téléphone satellite c’est difficile de communiquer, il n’est pas toujours dans des endroits faciles d’accès ou je l’appelle à la mauvaise heure.

- Tu lui trouves des excuses en plus ? »

Elle frappa du poing sur le bureau.

« Qu’est-ce que je peux faire d’autre bon sang ?!? »

Elle se massa les yeux. Elle était fatiguée, elle travaillait trop et moi je n’étais pas en état de parler.

« Désolé, lui dis-je. Je vais me coucher, merci de m’avoir rassuré et… Pardon. »

Très brièvement, je lui ai caressé l’épaule et je filai par l’escalier de la mezzanine. C’était un peu con car je ne pouvais pas m’isoler, techniquement j’étais encore dans la même pièce. J’ai hésité à aller m’isoler aux toilettes le temps que Florine remette en veille l’ordinateur mais je trouvais ça encore plus con.]

"C’est clair, songea Fry. Parfois il se comporte comme un ado de série teenager."

[Contre toute attente, Florine monta par l’escalier de la mezzanine pour venir me voir sur mon clic-clac.

« Je vais parler à Jenny demain. » Me promit Florine. Et là, d’un seul coup, je ne sais pas ce qui m’a pris, je lui ai dit :

« J'ai un aveu à te faire. Si je suis revenu… C’est parce que Justine me l’a demandé.

- Quoi ?

Florine était tellement surprise qu'elle dut s’adosser contre la porte du couloir. Moi je regardais fixement le labo en contrebas.

- Sur son lit de mort, elle m’a fait promettre de revenir te voir. Je ne savais pas pourquoi mais je crois que je commence à comprendre aujourd’hui. En fait, les pièces du puzzle s’assemblent dans ma tête. T’as raconté à Justine que Sylvain te laissait sans nouvelle. Et t’as dû le dire à Greg aussi, d’où ta question le soir du colloque. Le comportement de tes filles m'a aussi mis la puce à l'oreille. Elles ont mal de ne pas voir leur père et toi ça te fait mal de les voir comme ça. Et personne ne m’a rien dit, parce que tout le monde sait que je suis toujours amoureux de toi… J’aurais probablement planté Justine pour venir pleurer à ta fenêtre au Bourg Palette en apprenant ça. Justine le savait, alors elle a attendu d’être condamnée à mort pour me le dire. »

J’ai relevé la tête et je l’ai regardé droit dans les yeux.

« Je ne serais jamais revenu si elle ne me l’avait pas demandé. Si elle ne l’avait pas fait à ma place, je ne t’aurais jamais donné la moindre nouvelle pendant toutes ces années, je ne t’aurais même pas prévenu de son décès, tout ça parce que te savoir avec Sylvain ça me fait trop mal, même encore aujourd’hui. Je ne suis pas ton ami Florine, je suis juste un type amoureux de toi depuis tellement longtemps qu’il ne sait plus rien faire d’autre. »

Je ne sais pas quelle tête je faisais, mais je devais avoir l’air sacrément minable. Florine ne dit absolument rien, son regard était vide. Elle ouvrit la porte du couloir et se traina d’un pas lent jusqu’à sa chambre. Je l’ai suivi des yeux par l’entrebâillement de la porte qui se refermait lentement. Je l’ai vu s’effondrer à genoux devant la porte de sa chambre et se mettre à pleurer toutes les larmes de son corps. Je tremblais et je n’ai pas pu résister : je me suis levé d’un bond pour aller la rejoindre. Je ne l’avais jamais vu dans un état pareil. Je m’en voulais tellement…

« Pardon ! Je t’en supplie, pardon… Je suis là. Je ne partirai plus jamais. Pardon… »

Je l’ai serré dans mes bras comme j’ai pu et j’ai essayé de la relever, ses jambes ne la portaient plus, et pour couronner le tout, j’avais envie de chialer aussi.

« Je t’en prie Flo, je te le jure sur tout ce qu’il me reste : mes parents, mes pokémon, ma vie ! Je reste avec toi ici pour toujours. Calme-toi, arrête de pleurer… »

Elle se releva tant bien que mal en se cramponnant à moi. Son buste était secoué par un hoquet nerveux. Ses yeux verts luisaient dans l’obscurité, la seule lumière provenait de la mezzanine que j’avais laissée allumée. Je lui ai souri tendrement et je lui ai caressé la joue droite. Elle savoura la douceur de ce geste et elle m’imita en carressant ma propre joue avec tendresse. Elle commença à m’embrasser sans lâcher mon visage. Avec son autre main, elle tirait sur le col de mon pull pour m’attirer vers l’avant et elle poussa la porte de sa chambre avec son pied. Elle se collait amoureusement à moi et m’entrainait vers l’intérieur. J’ai eu une bouffée de chaleur intense quand j’ai compris ce qu’elle faisait...

« Florine, je ne... Je ne...

- Tais-toi... Tais-toi bon sang, tais-toi. » Murmura-t-elle à mon oreille avant d’ajouter un :

« Je t'aime... »]

« C’était la toute première fois qu’elle me le disait. Ces trois petits mots, je les entends encore…

- Euh… Du coup, il s’est passé quoi après ? » Demanda maladroitement Fry. Seb lui jeta un regard éloquent, il n’était pas dupe sur l’absence de candeur du jeune homme. Fry espérait avoir quelques détails savoureux sur la vie sexuelle de la professeure Léon, mais non. Tout ce temps à écouter le vieux Seb radoter en espérant avoir la scène cochonne du scénario, pour rien. Fry était affreusement déçu, mais il attendait encore de savoir comment les jumelles allaient accueillir ces évènements.

[Je l’ai gardée dans mes bras toute la nuit, quand je me suis réveillé à l’aube, je la serrais encore fermement contre moi, je crois que mon inconscient avait peur qu’elle s’échappe une fois de plus, comme quinze ans auparavant… C’était idiot, Flo a toujours été têtue et déterminée, elle ne ferait pas machine arrière à ce stade. Enfin je me suis levé, je me suis habillé et je lui ai dit que j’allais préparer le petit-déjeuner. J’étais un peu nerveux en sortant de la chambre, je me demandais si ce que j’avais fait était bien ou mal… Justine était décédée depuis à peine un mois et je me consolais dans les bras d’une autre femme, mariée qui plus est avec un ami… Pourtant je ne regrettais rien. Cette nuit m’avait fait du bien, hem ! Sur le plan moral j’entends ! J’avais enfin mis de l’ordre dans ma tête mais la situation restait compliquée. La veille j’angoissais à l’idée qu’il soit arrivé un malheur à Sylvain sans que personne ne s’en soit rendu compte et ce matin-là je me disais que ça règlerait tous nos soucis, je me dégoutais en pensant à ça. Jenny me surprit en train de sortir de la chambre de ses parents.

« Seb ?

- Je… Jenny. Tu es déjà levée ?

- Jessy s’est levée avant moi. Je crois qu’elle est partie s’entraîner dans le jardin.

- Ah, très bien, je vais…

- Qu’est-ce que tu fais là ?

- Là ? Là où ?

- Bah dans la chambre de maman et papa. »

J’ai rarement été aussi mal à l’aise de ma vie, et pourtant j’étais seul avec une fillette de sept ans. Mais Jenny était une gamine déjà très perspicace, elle avait atteint l’âge suffisant pour comprendre ce qu’étaient une cachotterie et un silence gêné. Je ne savais pas quoi répondre, j’avais beau réfléchir, je ne trouvais aucune explication satisfaisante. J’ai fini par dire :

« Je vais préparer le petit-déjeuner, tu viens m’aider ? »

Je lui ai tendu la main, elle hésita un instant, puis se décida à m’accompagner mais elle refusa de me donner la main. A table, elle n’avait pas beaucoup d’appétit, j’étais inquiet. Dans un premier temps, j’ai cru qu’elle était peut-être malade, puis je me suis imaginé avec horreur qu’elle avait entendu des choses la nuit précédente, vu que les deux chambres ne sont séparées que d’un mince couloir, mais Jessy contrairement à sa sœur se comportait normalement, elle était même de très bonne humeur. Elle jacassait non-stop et nous décrivait en détails les progrès faits par Pit.

« Où est maman ? Me demanda Jessy. Jenny me fixait attentivement en attendant ma réponse.

- Euh… Bah elle était encore dans sa chambre quand je suis descendu avec Jenny. Elle est peut-être dans le laboratoire maintenant.

- Pff… Elle va encore bosser toute la journée ! Râla Jessy et jetant avec dédain le reste de sa brioche. Tu restes avec nous toi ou on va chez mamie ?

- Je… Je vais demander à ta mère.

- T’es pas allé lui demander ce matin ? Fit Jenny.

- Non je… Je lui ai parlé d’autre chose.

- De quoi ?

- Bon ça suffit l’interrogatoire là, vous verrez bien. Allez-vous entrainer dehors, la ligue Pokémon ne va pas se remporter comme ça.

- Roh là là, maman elle déteint sur toi hein, tu deviens désagréable ! » Me lança Jessy. Sa réflexion m’amusa plus qu’autre chose. Les filles sortirent de la cuisine et comme si Florine n’attendait que ça, elle m’y rejoignit une minute plus tard après s’être assuré que les filles étaient bien dans le jardin en train de jouer.

« Seb ? »

J’étais extrêmement concentré sur ma tasse de thé, j’avais du mal à oublier les formes de son co… La… Enfin que j’avais vu… Bref. »]

« C’est bon j’ai pigé. Pas la peine d’être mal à l’aise comme ça, j’ai sans doute connu plus de filles que toi. » Lâcha Fry avec une désinvolture terrible.

Seb écarquilla les yeux en dévisageant le jeune homme de la tête aux pieds dans la pénombre de la nuit. Fry avait réussi à le perturber dans son récit ; entendre un gamin de dix-sept ans fanfaronner d’avoir eu plus de conquêtes féminines que lui à quarante-trois ans était très déstabilisant, mais c’était un fait. Seb avait rencontré Florine à treize ans et était resté son amoureux transi pendant cinq ans, puis Justine était entrée dans sa vie à dix-huit ans, alors pour Fry le calcul était vite fait.

« Euh… Où j’en étais ? Ah oui… »

[Je levai timidement les yeux vers Florine.

« Moui ?

- J’ai envoyé un email à Sylvain, pour lui dire ce qu’on a fait… »

Je me suis étranglé avec mon thé.

« Arg ! Kof kof kof ! Mais pourk, kof kof kof !

- Et pour lui demander le divorce. 

Quand j’ai enfin fini de m’étrangler,  j’ai regardé Florine avec de grands yeux ronds.

- T’es sérieuse ?

- Evidemment ! » Je l’avais choqué avec mon "T’es sérieuse ?" et puis elle a soupiré, agacée.

« Il faut qu’on soit honnêtes les uns avec les autres et qu’on règle cette histoire pour avancer. »

L’entendre de sa bouche me soulagea énormément, mais je la relançai au sujet des jumelles.

« Oui, tu as raison… Et on fait quoi avec les filles ?

- Tu me laisses régler ça.

- Florine, tu travailles tout le temps et je suis seul avec elle depuis plusieurs jours déjà. Je ne vais pas réussir à noyer le magicarpe éternellement.

- Elles retournent à l’école lundi, tu devrais tenir jusque-là.

- Et si Sylvain met six mois ou plus à te répondre ?

- On s’en fiche de Sylvain, Seb. Je vais parler aux filles, on va simplement attendre qu’elles s’habituent encore un peu à ta présence avant de leur expliquer la situation. »]

« La formule de Florine était sans doute la bonne, mais tu connais les jumelles : elles ne sont ni stupides, ni aveugles, même du haut de leurs sept ans, elles ont dû se rendre compte de quelque chose. J’avais l’impression d’être assis sur un électrode qui pouvait exploser à n’importe quel moment.

- Et toi et la professeure Léon vous étiez en couple ? Je veux dire, ok vous avez couché ensemble, mais elle était vraiment prête à refaire sa vie avec toi ?

- Oui. Flo et moi étions bien décidés à réparer les erreurs du passé.

- Vous avez mis combien de temps avant de tout avouer aux filles ?

- On n’a pas eu l’occasion de le faire correctement. »

[Cela faisait plus de deux semaines que Florine avait envoyé un email à Sylvain, dans lequel elle lui expliquait tout : la mort de Justine, mon arrivée, sa solitude, le malaise des filles et son désir de divorcer pour refaire sa vie. Elle avait cessé d’essayer de l’appeler, ça ne servait plus à rien. Elle savait qu’il réagirait en voyant le mail, s’il n’appelait pas, c’est qu’il ne l’avait pas lu et qu’il n’était pas joignable. Les filles avaient repris l’école, moi je faisais mon taf d’assistant du professeur Léon sénior, Florine avait enfin du temps pour ses recherches. A distance, avec l’aide de mes parents et de Greg, j’ai commencé à régler les dernières affaires de Justine. Je ne suis même pas sûr que Florine ait eu besoin de parler à ses parents pour leur expliquer la situation, Al et le professeur ont compris tous seuls…]

« Deux semaines ? Et le professeur n’avait toujours pas parlé à ses filles ?

- Elle a parlé à Jenny pour la rassurer, lui dire que Sylvain était en vie et qu’il avait juste beaucoup de travail. Je n’étais pas là mais apparemment Jenny lui a demandé un truc du genre : si papa revient, est-ce que Seb sera obligé de partir ? Et autres question de cet acabit.

- Et pendant ces deux semaines tu dormais où ?

Seb jeta un regard en biais à Fry.

- C’est quoi cette question ?

- Bah ça me parait difficile de cacher votre liaison aux jumelles si elles te voient entrer et sortir de la chambre de la professeure.

- On a laissé le clic-clac déplié, je ne rejoignais Florine que les soirs où elle travaillait très tard… Ce qui au final arrivait presque tous les jours… » Avoua Seb avec un sourire confus en se frottant l’arrière du crâne. « Je me levais tous les matins à l’aube avant tout le monde pour préparer le petit déjeuner et sortir les pokémon, alors les filles ne m’ont jamais vu. Bref, je disais donc que cela faisait deux semaines que le mail avait été envoyé à Sylvain… »

[Il était dix-sept heures passées. Florine était dans le laboratoire avec son père en train d’examiner un pokémon malade, moi j’étais en train de trier les pokéballs sur la mezzanine quand le vidéophone s’est mis à sonner. Avant d’aller répondre, j’ai entendu Florine râler parce que quelqu’un les dérangeait dans leur travail. Et là j’ai entendu Flo s’exclamer :

« Sylvain ! »

J’ai lâché les pokéballs que j’avais dans les mains sous la surprise et je me suis précipité vers la rambarde pour regarder en bas dans le labo. Le professeur Léon semblait lui aussi très surpris mais Florine, bien qu’étonnée aussi, se reprit rapidement. Je la sentais plus glaciale qu’une momartik.

« Florine ! J’ai eu ton email, dis-moi que c’est une mauvaise blague ?

- Parce que c’est mon genre d’humour d’après toi ? »

Elle croisait les bras devant le vidéophone. J’entendais Sylvain balbutier, il cherchait ses mots. Depuis ma tour d’observation, je voyais le professeur Léon s’approcher timidement, je crois qu’il commençait à redouter un truc. Moi je me sentais à l’abri sur la mezzanine mais aussi pris au piège. En entendant la voix de Sylvain plein de souvenirs me sont revenus à l’esprit et j’avais envie de voir son visage, mais je ne pouvais pas.

« Mais il… Bordel Florine, c’est pas parce que je voyage que je te trompe moi !

- Je sais, répondit sèchement Florine.

- Alors pourquoi ? Après toutes ces années pourquoi maintenant ?!? Je croyais qu’on s’était mis d’accord. Il y a deux ans tu…

- Abruti ! » Beugla Florine, sa froideur n’était qu’une façade, elle était très en colère et se retenait d’exploser pour rester la plus claire possible.

« Deux ans ! On ne s’est parlé que quatre fois en deux ans, et à peine quelques minutes ! Qu’est-ce que tu sais de mon état d’esprit ou de celui des filles ?!? »

Le professeur Léon attrapa à toute vitesse le bulbizarre qu’il était en train d’examiner, passa derrière Florine lança rapidement un « Bonjour Sylvain ! Je file ! » et détala comme un laporeille dans le jardin avec le pokémon malade dans ses bras. Je me disais que je devais faire la même chose et je me glissai par la porte de l’étage en entendant un truc du genre : « C’est mon métier, on était d’accord ! T’es bien contente que je t’envoie des données pour tes recherches sans que t’aies à bouger ton cul de ton labo ! ».

La discussion était violente, mais dans le couloir du premier je n’entendais plus rien, le labo est plutôt bien isolé. Je suis descendu quatre à quatre par l’autre escalier et j’ai rejoint le professeur à l’extérieur. Il m’a regardé avec un air confus mais je n’ai pas eu le temps de lui parler, les filles étaient rentrées de l’école avec leur grand-mère.

« C’est nous que v’là ! » Chantonna joyeusement Al avant de se rendre compte de la tête bizarre que le professeur et moi on tirait. Alors elle demanda :

« Il y a un problème ?

- Elle est où maman ? » Ajouta Jenny avec l’expression bien spécifique des gosses qui ont deviné qu’on leur cachait un truc. Et là, le professeur a fait la gaffe du siècle…

« Florine est au labo, elle parle avec Sylvain mais elle ne…

- Papa ?!?

- Papa !!! » Hurlèrent les jumelles avant de lâcher leurs cartables et de courir comme des bourrinos sauvages jusqu’au labo. Je me suis aussitôt précipité pour rattraper les jumelles.

« Non ! Les filles attendez ! »

Jessy ouvrit la porte du labo, j’ai réussi à attraper Jenny par la main avant qu’elle ne pénètre dans le bâtiment mais c’était trop tard pour Jessy.

« Lâche-moi Seb ! Je veux voir papa ! Râla Jenny et moi je criais après Jessy.

- Non Jessy reviens ! Tes parents sont en train de parler entre grands ! Laisse-les !

- Papa ! » Appela Jessy, elle avait l’air tellement heureuse en rentrant dans le labo... La porte ouverte, j’entendis vaguement les derniers échanges entre Flo et Sylvain.

« J’en ai assez Sylvain. Je t’ai expliqué la situation. Essaye de revenir dès que possible pour les papiers du divorce, c’est important. »

J’ordonnais à Jenny de rester en arrière et je rentrais finalement pour récupérer Jessy. La petite s’était figée en entendant sa mère parler, Flo par contre devait être concentrée sur sa discussion avec Sylvain car elle n’a pas réagi quand Jessy et moi on est entré dans le labo. J’ai chuchoté à l’oreille de Jessy :

« Jessy s’il te plaît, laisse ta maman finir, viens dehors. » J’ai entendu Sylvain supplier Flo et malheureusement Jessy n’en perdit pas une miette non plus.

« Florine je t’en prie, je t’aime, laisse-moi une chance…

- Désolée, mais j’ai fait mon choix, et mon choix c’est Seb. Tu seras toujours chez toi ici, mais nous deux c’est fini.

- Papa ! »

Cette fois Florine sursauta et se retourna vers nous. J’aperçus rapidement Sylvain, de loin sur l’écran. J’ai eu du mal à le reconnaître, lui qui avait toujours eu un visage un peu poupon, il était barbu, hirsute même, et il portait une casquette très usée mais différente de celle que je lui connaissais autrefois. Je ne sais pas avec certitude si c’est moi ou Jessy qu’il regardait, mais j’ai toujours pensé que c’était Jessy et que ça l’a achevé ce soir-là.

« Je… Te rappelle plus tard. » Dit-il faiblement à Flo avant que l’écran ne devienne noir.

« Non ! Papa !!! » Jessy fondit en larmes et se jeta le vidéophone éteint. Jenny ne m’avait pas obéi, elle entra en attendant sa sœur crier. Elle aussi réclamait son père. Jessy se tourna vers sa mère, elle était folle de rage.

« Qu’est-ce que t’as fait ?!? Qu’est-ce que t’as dit ?!?

- Jessy du calme, lui demanda Flo.

- Qu’est-ce que t’as dit à papa ?!? T’avais pas le droit !!! »

Jessy se mit à frapper violemment sa mère. Florine dût mettre ses bras en croix devant son ventre pour le protéger.

« Jessy arrête !

- Je te déteste ! Je te déteste !!! » Répétait Jessy dans un état d’hystérie difficile à décrire. Les deux pichu étaient là, ils se précipitèrent sous l’escalier du laboratoire, terrifiés par la tension ambiante. Florine n’osait pas bouger alors je suis intervenu. J’ai attrapé Jessy et je l’ai forcé à reculer.

« Jessy calme toi ! » Criai-je. J’avais trop peur de faire mal à Jessy en l’attrapant par le bras, mais je me suis pris un sacré coup de pied dans le tibia et elle profita que je m’abaisse sous le coup de la douleur pour me frapper au visage avec sa main à moitié crispée.

« Toi dégage ! Tout est de ta faute !!!

- Jessy ! »

Cette fois Florine a réagi, elle gifla Jessy. Elle regretta aussitôt son geste mais elle ne savait vraiment pas quoi faire d’autre sur le moment. Jessy nous jeta un regard assassin à tous les deux… J’en ai eu froid dans le dos. Elle a pointé son doigt sur moi.

« Fatal foudre Pit ! Fatal foudre ! »

Le pauvre pichu tremblait comme une feuille sous l’escalier, Jessy pleurait toujours, elle jonglait entre la colère et le désespoir, ça se voyait sur son visage.

« Jessy… S’il te plait calme-toi… Souffla Florine, elle ne savait plus comment s’y prendre.

- N…Non… Hoqueta Jessy. Pichu attaque… Vous n’avez pas le droit ! Pas le droit… Non ! »

Elle se moucha dans sa manche et alors que Jenny s’approchait d’elle lentement en pleurant, Jessy bouscula sa sœur et s’enfuit dans le jardin.

« Tout est de sa faute !!! » Hurla-t-elle avant de partir. Evidemment, c’est de moi qu’elle parlait. Sa sœur et sa mère l’appelèrent, mais c’était peine perdue.

« Jessy ! Jessy reviens ! » Supplia Florine. Elle voulait sortir à son tour mais je l’ai retenu par le bras.

« Je vais la chercher, lui annonçai-je.

Elle hésitait mais moi j’étais bien décidé à en finir avec tout ça.

- Seb ce n’est pas…

- Cette fois, c’est à moi de m’expliquer avec tes filles. »

Je suis sorti. J’ai croisé Al et le professeur, tous les deux semblaient inquiets mais ils ne savaient pas quoi faire. Jenny avait discuté avec moi et avec Florine, elle m’avait vu sortir de la chambre de ses parents comme un roublenard dans un poulailler, elle avait eu le temps de se préparer psychologiquement à ce qui allait se passer, mais pas Jessy. Jessy tout venait de lui péter à la gueule, désolé pour la vulgarité… Et même si je n’étais pas responsable de la vie de couple désastreuse de Flo et Sylvain, elle avait raison de penser que c’était à cause de moi que Flo divorçait. J’ai rattrapé Jessy dans la pâture, elle avait dû me voir arriver ou bien elle était essoufflée parce qu’elle ne pouvait pas pleurer et courir en même temps. Toujours est-il, qu’elle s’était arrêtée. Les pokémon nous regardaient avec curiosité. Mes intentions étaient louables mais une fois devant Jessy je ne savais pas quoi lui dire.

« Jessy, s’il te plaît…

- J’te provoque en duel ! »

J’étais un peu étonné par sa provocation, mais après tout Jessy était une très jeune dresseuse de pokémon, elle a grandi avec d’autres dresseurs, alors elle réagissait comme telle.

« Jessy, c’est pas vraiment le moment de combattre, on doit parler avant…

- T’es pas chez toi ici ! Dit-elle dans un grondement digne d’un lougaroc. Le seul moyen pour te faire partir c’est de te battre !

- Jessy ça ne marche pas comme ça. Et puis ton pichu ne peut pas battre tous mes pokémon, il est trop jeune.

- Je n’ai pas que pichu ! Ici j’suis chez moi, et tous les pokémon m’obéiront ! Dardargnan ! »

Je ne m’y attendais pas à celle-là. J’ai continué d’essayer de me la jouer diplomate quand le gros dardargnan de Sylvain s’est approché de nous dans un vrombissement. C’était un de ses tout premiers pokémon, il l’envoyait très rarement au combat mais il me connaissait bien et je crois qu’il m’a reconnu. Moi par contre, je ne suis pas très doué avec les pokémon insectes…

« Dardargnan ! Tu te souviens de moi ? »

Son bourdonnement s’est intensifié, il n’avait pas l’air de bien comprendre la situation. Jessy me beugla dessus :

« Tu dégaines ou tu dégages ! Dard- nuée ! »

Dardargnan était prêt à attaquer sauf qu’il ne voyait pas d’adversaire, il ne voyait que moi, ça l’a bloqué. Sylvain ne lui a jamais fait attaquer d’être humain… Mais je ne me sentais franchement pas rassuré pour autant. Mes pokémon et ceux de Justine étaient en liberté dans le jardin, ils ont vite rappliqué en entendant les cris de Jessy. Comme ils ont commencé à s’approcher trop près, dardargnan a lancé son attaque. Ma leuphorie m’a protégé avec sa boul’armure, quant aux autres ils ont encaissés, un peu surpris. Seul mon mentali a réagi, il a bon caractère mais il n’est pas du genre à se laisser emmerder. Dardargnan s’est pris une rafale-psy en pleine face. Il est tombé aussi sec à côté de Jessy. Elle était hors d’elle. Elle enfila ses doigts dans sa bouche et elle lança un sifflement strident. Une ombre inquiétante nous a survolés furtivement avant que son propriétaire se pose lourdement devant moi. J’ai senti que mes pokémon étaient consternés, je ne l’étais pas moins et je me suis lamenté :

« Merde… Pitié Drattak, pas toi ! »]

« Ce pokémon là te connaissait aussi ?

- C’est moi qui ai récupéré draby à l’origine, pour mon père. Je l’ai échangé avec Sylvain contre mangriff. Autant te dire que ça leur a fait bizarre de se retrouver l’un contre l’autre après toutes ces années… »

[Drattak m’a regardé de la tête aux pieds, il a ensuite regardé mes pokémon, c’étaient d’étranges retrouvailles. Jessy s’énervait toute seule derrière lui.

« Drattak, dracosouffle !

- Jessy s’il te plaît, c’est ridicule et ça va mal finir… » Tentai-je, en vain. Drattak a hésité, pas parce qu’il avait de la sympathie pour nous, ce n’est pas le plus chaleureux des pokémon que j’ai croisé dans ma vie, mais parce qu’il a toujours été flegmatique. Il ne devait pas trop comprendre le pourquoi du comment. Jessy s’est énervée, elle a insisté et il a cédé.

« Dracosouffle ! »

Contrairement à l’attaque de dardargnan, celle-là fit du mal à mes pokémon. J’ai commencé à m’inquiéter sérieusement, mais c’était un dragon alors les pokémon de Justine ont réagi. Ce ne sont clairement pas des combattants féroces, pourtant ils sont venus à mon secours sans que je leur demande quoi que ce soit. Nymphali et Farfaduvet ont lancé un vent féérique, Drattak n’a pas apprécié, alors il s’est mis à écouter Jessy, bien décidée à me faire mordre la poussière.

« Draco-queue ! »

J’ai eu peur en voyant la violence de son coup de queue, j’ai reculé précipitamment et j’ai bousculé cette pauvre Mélodelfe. Elle avait l’air si désemparée elle aussi… A ce moment-là, je me suis dit qu’il fallait que je réagisse, qu’il fallait que je me comporte en dresseur. Ce n’est pas toujours évident car je suis collectionneur à la base, les compétitions pokémon c’est pas trop mon truc.

« Ca suffit drattak ! Mentali regard touchant ! Absol coup’psyko ! Leuphorie bomb’œuf !

- T’es qu’un lâche ! Me hurla Jessy. Trois pokémon contre un seul ! T’es vraiment le plus gros minable de la terre !!! »

J’étais complètement dépassé, pas tant par le combat que par la colère de Jessy. Je ne voyais vraiment pas comment j’allais faire pour m’en sortir.

« Dracosouffle !!! »

Drattak n’appréciait pas trop non plus d’être attaqué par plusieurs pokémon en même temps, alors il se lâcha sur sa dernière attaque. Je m’en voulais, mais il a fallu le mettre hors d’état de nuire, vu que ni lui, ni Jessy ne voulaient entendre raison.

« Bouchez-vous les oreilles vous autres ! Leuphorie berceuse ! »

Ils m’ont tous obéi comme ils ont pu, avec leurs pattes plaquées sur leurs oreilles. Grâce à ma leuphorie, j’ai réussi à endormir drattak. Jessy n’a pas soufflé une seule seconde, elle s’est mise à crier comme une dingue en direction du groupe de pokémon amassé autour de nous.

« Ty !!! »

Et là un tygnon arriva au pas de course. Il n’était plus de sa première jeunesse mais il était fort, vraiment très fort. Lui aussi je l’ai reconnu, mais lui ne se souvenait pas vraiment de moi.

« Ty j’ai besoin de ton aide pour que tu chasses cet intrus de ma maison !

- Ty-ty ! Lui répondit le pokémon étonnement docile.

- Ty ! Tu sais que je ne suis pas un intrus ! Ne fais pas ça ! Ton dresseur ne serait pas d’accord !

- L’écoute pas, c’est qu’un menteur ! Il ne fait que mentir depuis qu’il a débarqué ici ! Mach punch ! »

Pas de chance pour lui, mon mangriff se trouvait devant lui, alors Ty lui a collé un Mach Punch dans la gueule. Avec ce seul coup de poing, il a envoyé valdinguer mon pauv’vieux mangriff dans l’étang. C’était horrible… Ce sont les tétartes de l’étang qui l’ont sorti de l’eau, il était complètement sonné. Mes pokémon et moi on n’avait clairement pas le niveau pour affronter le tygnon le plus fort de tout Kanto.]

« Attends attends… Ce tygnon, il appartient à qui ? Intervint Fry d’une voix fébrile.

- A Izzy.

- Tu veux dire Maître Izzy ? LE Maître Izzy ?

- Oui… Je sais que pour toi ça doit être impressionnant, mais pour moi ça reste le petit frère turbulent de Florine. Lui aussi je l’ai connu quand il avait sept ans… Florine avait gagné tygnon au dojo de Safrania et elle l’a offert à Izzy pour son anniversaire.

- Et il obéissait à Jessy ? Un pokémon du Conseil des Quatre ?!? S’exclama Fry, toujours sidéré.

- Ty s’entrainait souvent avec Jessy à l’époque où il était en pension ici, ils s’entendaient bien tous les deux… »

[Je voulais encore essayer de résonner Ty, mais il fallait d’abord que je protège mes pokémon.

« Leuphorie Lilliput ! Absol, mentali en arrière ! Kangourex ténacité ! Tiens-toi prête ! Ty s’il te plaît ! Je n’ai pas envie de me battre ! »

Le tygnon a réagi à mes mots. Il m’a regardé fixement, je crois qu’il essayait de capter mon attitude, mes sentiments véritables… Jessy était toujours survoltée.

« Utile poing éclair !

- Non Jessy, pour la énième fois arrête ! Ça ne règlera rien ! Tu ne peux pas régler tous les problèmes avec des combats pokémon !

- C’est ce qu’on va voir : poing éclair !!! »

Et finalement Ty a obéi. Coup de bol, ma kangourex est ultra-résistante aux attaques électriques, elle tient ça de son père : c’était un tyrannocif. Ty parut surpris, j’ai pas donné d’ordre à Kangourex mais elle a riposté avec un uppercut. L’écart de niveau était énorme, Ty n’a quasiment rien senti, je voyais bien que Kangourex était frustrée. Ty a riposté et s’il n’y avait pas eu la ténacité, Kangourex serait tombée K.O. Je ne voulais pas utiliser mentali, c’était mon seul atout face à Ty mais je ne voulais pas lui faire du mal… Sauf que mon mentali s’est avancé avec son air déterminé, je crois qu’il en avait ras-le-bol de cette situation. Je me suis interposé entre lui et tygnon, croisant les doigts pour que ça les arrête tous les deux.

« Ultimapoing ! » Ordonna Jessy.

Tygnon s’arrêta juste à temps pour ne pas me cogner, j’ai vu dans son regard qu’il était horrifié à l’idée de me faire mal. Il s’entrainait souvent avec Izzy aux arts martiaux, mais il n’utilisait jamais de technique pokémon contre les humains. Ty s’est retourné vers Jessy. Il lui a crié un truc, je crois qu’il refusait de combattre. J’ai vu de nouvelles larmes perler au coin des yeux de Jessy, c’était de la haine liquide, enfin c’est ce que je croyais à ce moment-là…

« Ty ! Brailla-t-elle, mais tygnon restait les bras ballants en la regardant avec un air triste. Il avait fini par comprendre qu’elle était désespérée et que je n’y étais pour rien en vérité… Jessy a alors appelé un autre pokémon.

« Bruyverne !!! »

Le pokémon a aussitôt jailli de derrière les arbres. Celui-là je ne l’avais jamais vu avant de débarquer au Bourg Palette mais je savais à qui il appartenait… C’était le bruyverne de Sacha Ketchum.]

« Bordel de merde… Souffla Fry.

- Ouais, à peu près ça… » Répondit doucement Seb avant de reprendre son récit.

[Des quatre pokémon, ce fut bruyverne qui obéit le plus docilement à Jessy. C’est un bon pokémon, très affectueux et très loyal, mais j’étais dans le mauvais camp pour lui ce jour-là.

« Tranch’air ! » Ordonna Jessy. Au hasard, Bruyverne s’est attaqué à ma leuphorie. Guériaigle est intervenu, vu que c’est mon seul pokémon vol, mais il n’avait clairement pas le niveau face au bruyverne de Sacha. Il a repoussé mon guériaigle avec un vent violent, puis Jessy a continué de lui donner des ordres.

« Ultrason ! »

Il nous a tous déchiré les tympans, c’était atroce. Mes pokémon et ceux de Justine étaient très perturbés, seule Mélodelfe a pris sur elle. Jessy profita de la confusion pour lancer une nouvelle attaque.

« Vent violent ! »

Avec sa technique, il a balayé nymphali et farfaduvet, Mélodelfe s’est mise à crier, elle était bouleversée. Ça ne m’a pas plu du tout… Mes pokémon n’avaient déjà pas grand-chose à voir avec cette histoire, mais ceux de ma pauvre Justine… J’ai crié avec plus de fermeté et d’autorité cette fois :

« Jessy stop ! Ça suffit maintenant ! Même si tu me bats je ne m’en irai pas !

- Si ! Tu vas partir et papa va revenir !

- Ça ne marche pas comme ça ! Il faut que tu arrêtes maintenant !

- La ferme ! La ferme ! La ferme !!! Je veux mon papa !!! Dracochoc !!! »

Le dracochoc a mis K.O. ma kangourex. J’ai décidé de riposter, malgré toute ma compassion pour Jessy, je commençais à être à bout de nerfs moi aussi.

« Leuphorie mur lumière sur tes camarades ! Mentali psyko ! Absol tranche-nuit ! »

Il ne me restait que ces trois pokémon et je ne savais pas combien de temps encore Jessy allait chercher à se défouler sur nous et combien de pokémon elle pouvait encore appeler comme ça, il y a plusieurs centaines de pokémon au labo… Mentali et Absol étaient bien décidés à se battre, alors je les ai épaulés.

« Prescience en duo ! »

Ce n’était pas un très bon choix, car malgré la puissance de cette double attaque, elle mettait trop de temps à être préparée. Jessy ordonna à bruyverne de contre-attaquer.

« Dracochoc ! »

L’attaque dragon réussit à mettre K.O. mon absol. J’étais en très mauvaise posture quand la Mélodelfe de Justine est intervenue, de sa propre volonté. Elle a lancé son métronome et tout s’est figé, même Jessy… Bruyverne flottait dans les airs, paralysé par le mystérieux pouvoir du métronome. Moi elle m’avait épargné, mais je ne bougeais pas d’un millimètre pour autant. Mélo s’est avancée au milieu de tous les pokémon, elle se dirigeait vers Jessy. Mentali profita de ce moment de flottement pour ramener bruyverne au sol avec ses pouvoirs psy, c’est tout ce qu’il pouvait faire. J’ai décidé de m’approcher aussi. Jessy retrouvait lentement l’usage de ses mouvements. Elle me toisa avec hostilité et voulut se jeter sur moi, c’est là qu’un cri de fillette s’éleva derrière nous.

« Arrête Jess ! Ça suffit maintenant ! »

Jessy s’est à nouveau figée et ce n’était plus à cause de Mélodelfe. Je me suis retourné, il y avait Jenny accompagnée par les deux pichu morts d’inquiétude. Florine était aussi sortie du laboratoire, mais elle ne faisait que nous regarder de loin.

Et là, brutalement, Jessy s’est effondrée en sanglots à genoux devant moi.

« Je veux mon papa ! » Pleurait-elle. Mélodelfe l’a prise dans ses bras avec douceur, moi j’osais pas et je n’avais pas l’impression que ce soit une bonne idée. Elle était toujours tellement en colère après moi… Jenny s’est précipitée sur sa sœur pour la serrer dans ses bras à son tour.

« Arrête de pleurer… » Lui demanda Jenny d’une voix très douce. Malgré le câlin de Mélo et de Jenny, Jessy continuait de répéter entre deux pleurs « Je veux papa ! » J’ai alors entendu Jenny lui dire :

« Et moi je veux que maman soit heureuse. »

Je n’en revenais pas, je l’ai vu du haut de ses sept ans, attraper sa sœur par les épaules, très calmement mais avec fermeté, et la regarder entre quatre yeux. C’est à ce moment-là que j’ai compris qui était réellement Jane Ketchum, à quel point elle était intelligente et aussi à quel point elle était plus solide que Jessy, malgré ses airs mignons de petite fille modèle. Jenny est un peu comme un pokémon de type roche, alors que Jessy est plutôt de type feu. Une flamme ça peut s’éteindre, et une fois que tout a brûlé, il ne reste rien. Mais pour briser la roche, il faut se lever de bonne heure…

« Tu ne penses qu’à papa, tout le temps, dit Jenny à sa sœur. Mais maman elle ne souriait plus jamais, même quand elle nous racontait une histoire. Et quand Seb est arrivé, maman elle a souri, elle n’arrête pas de sourire et quand elle me fait un bisou c’est … C’est chaud et c’est doux comme quand je caresse un évoli. Avant ses bisous ils étaient tristes… Je veux que maman reste comme ça pour toujours. »

Jessy dévisageait sa sœur, son regard… Je m’en souviens encore, c’était un mélange de plein de choses : de la détresse, de la dureté, de la colère mais aussi une espèce de candeur et de vulnérabilité… Lorsque Jessy parut enfin calmée, je me suis approché prudemment.

« Jessy… Je suis désolé que ton père ne soit plus là, j’aurais voulu… Que vous soyez une famille unie et heureuse, j’aurais voulu le voir moi aussi mais… »

Elle me cria dessus en se cramponnant au pelage de Mélodelfe et quelques larmes isolées coulèrent sur ses joues :

« Arrête de mentir ! »

J’ai dû changer d’approche, surtout qu’elle avait raison dans le fond.

« Je… C’est vrai. J’étais jaloux de ton papa, moi aussi je voulais Florine pour moi et avoir une famille, mais je ne peux pas lui voler sa famille. Ta maman a le droit d’aimer un autre homme, mais toi Jessy, tu es sa fille, tu ne seras jamais la mienne, c’est pareil pour ta sœur. Je vous aime énormément toutes les deux, mais je ne suis pas là pour être votre père, je n’ai pas cette prétention et cette maison reste la sienne. Même si je viens vivre avec vous, jamais ta mère ne chassera Sylvain pour moi.

- Tu… Tu le promets ?

- Je te le jure. »

Florine arriva derrière nous et confirma ma dernière phrase :

« Oui, je te le jure aussi. »

Jessy demanda d’une voix méfiante :

« Alors quand papa reviendra…

- Il ne dormira plus avec moi dans la chambre, mais nous lui préparerons une chambre sur la mezzanine. Ses pokémon resteront ici avec nous et il sera toujours le bienvenu.

- Il est chez lui après tout… Ajoutai-je. Et vous, vous l’attendez n’est-ce pas ? »

Les filles ont hoché la tête et Jenny a retrouvé un semblant de sourire. Jessy finit par me dire :

« Oui ! »

Je lui ai répondu en souriant : « Alors attendons-le ensemble. »]

« C’était mon seul et unique match face à Jessy… C’était totalement anarchique mais j’en ai bavé.

- Je comprends maintenant d’où lui vient cette confiance absolue dans sa force, elle a grandi au milieu de tous ces pokémon surpuissants… »

[Après cet épisode pour le moins catastrophique, je me suis installé définitivement au laboratoire. Florine a pris quelques jours de congés pour qu’on puisse gérer la paperasse, terminer de vider la maison de Justine et ramener mes affaires au labo. Sylvain n’avait pas laissé grand-chose au Bourg Palette, alors le peu qui restait est allé dans l’ancienne chambre de Florine, chez ses parents. La maison de Justine fut vendue en décembre et les papiers du divorce étaient prêts, ils n’attendaient plus que la signature de Sylvain. C’était la première fois depuis des années que je ne passais pas les fêtes avec mes parents, du coup on est allé les voir avant de rentrer au Bourg Palette pour Noël. Toute la région était sous la neige... On est allé admirer la vue depuis le balcon de ma chambre d’ado. Il faisait froid, je serrais Florine contre moi et j’enveloppais ses mains dans les miennes pour lui tenir chaud.

« Depuis combien d’années je n’avais pas vu ce panorama ? Me demanda-t-elle avec nostalgie.

- Je ne sais plus. »

C’était faux, je m’en souvenais très bien, chaque instant un tant soit peu romantique avec Florine est comme gravé dans le marbre dans ma tête, mais j’avais enfin atteint le bonheur auquel j’aspirais depuis toujours, alors je n’avais plus besoin de jouer les amoureux transis. Je me contentais de savourer l’instant présent et je crois que Flo aussi. Elle a levé la tête vers moi en souriant avec malice.

« Seb, je suis enceinte. »

J’étais le plus heureux des hommes. Elle l’a annoncé à mes parents dans la foulée, mon père en a pleuré de joie, lui aussi c’est un grand sensible. On est rentré au Bourg Palette, les filles n’ont pas trop apprécié la nouvelle. Elles ne m’ont pas adressé la parole pendant plus d’une semaine. Et puis, la veille du nouvel an, les filles étaient en train de faire une bataille de boules de neige sous la surveillance de Mélodelfe et de Spyke. Il y avait plein de pokémon agglutinés autour du dracaufeu, ils cherchaient tous un peu de chaleur. Je m’occupais de remplir les gamelles de croquettes quand j’ai entendu Jenny dire :

« Il y a un monsieur qui vient par là. »

J’ai relevé la tête et en effet on voyait la silhouette d’un homme avec un gros sac de voyage à dos au loin dans la pâture. Jessy suivait le type des yeux avec un air méfiant mais son regard se radoucit quand plusieurs pokémon surexcités se précipitèrent vers lui. En une demi-seconde, j’ai vu son visage s’illuminer.

« Papa !!! »

Elle courut à la rencontre de ce voyageur, c’était bel et bien Sylvain. De loin, je le vis s’agenouiller, enlever son sac à dos et serrer Jessy contre lui. Jenny était restée immobile un moment, elle avait du mal à réaliser, et puis finalement elle accourut à son tour et Sylvain enlaça ses deux filles en même temps. Moi j’ai filé à toute vitesse au labo pour prévenir Florine et le professeur avant d’aller me cacher dans la cuisine. Ouais je sais, c’était lâche de ma part, mais vu la situation, j’avais peur de faire tâche dans le décor. J’entendais des éclats de voix étouffés par les murs et les portes, pendant que je préparais le diner, des éclats de voix joyeux cette fois. Et là, Sylvain a débarqué, seul dans la cuisine. On s’est figé tous les deux, face à face, il me fixait avec ses petits yeux bleus brillants. Il avait de la barbe et ses cheveux longs pas coiffés tombaient sur sa nuque et ses épaules, il était aussi beaucoup plus bronzé qu’autrefois. Il tenait sa casquette à la main. Il finit par me sourire avec un air fatigué.

« Salut Seb.

- Salut Sylvain. »

J’ai répondu à son sourire. Je ne m’y attendais pas du tout mais le revoir m’a fait exactement le même effet que quand j’ai revu Florine… Plein de souvenirs sont remontés à la surface. Je pensais que je serais gêné, honteux, jaloux ou en colère, mais à la place j’étais juste heureux de revoir un vieil ami. Je crois que c’était pareil pour lui. Il s’est avancé vers moi et on s’est pris dans nos bras. J’ai tapé dans son dos pour être sûr que tout cela était bien réel.

« Tu m’as manqué vieux ! Me dit-il. J’étais perplexe.

- Tu… Tu ne m’en veux pas ? Lui demandai-je.

- Pourquoi je t’en voudrais ? » Il relâcha son étreinte amicale et me sourit en ajoutant :

« Désolé de vous avoir laissé tomber. »

J’ai simplement hoché la tête avant de l’enlacer encore une fois.]

« Je comprends pas, dit Fry en clignant des yeux, il ne t’en voulait vraiment pas ? Tu lui piques sa femme et lui il dit rien ?

- Sylvain savait très bien que j’étais amoureux de Florine depuis des années, malgré ça, il l’a emmené loin de moi. Quand ils sont partis, je l’avais même menacé en disant que s’il ne s’occupait pas bien d’elle, je reviendrai. Il paraissait perplexe à l’époque, mais il m’a avoué que cette phrase l’avait hanté pendant des années… Je crois qu’il a dû culpabiliser, de la même façon que j’ai culpabilisé en débarquant ici après la mort de Justine. J’avais l’impression de les avoir trahis, elle et Sylvain. Mais en fait tout ça, c’était juste pour remettre les choses dans le bon ordre. Sylvain aime sa vie d’aventurier, Florine aime sa vie de scientifique et moi j’aime ma vie tranquille avec la femme que j’ai choisie. Chacun est enfin à sa place… C’est ça devenir adulte : regarder posément sa vie et faire enfin les bons choix. Sylvain est resté quelques jours, il a fait du camping dans la chambre des jumelles, il a signé les papiers du divorce et il est reparti. A vrai dire, sa visite avait des allures de chant du lakmécygne, mais… »

Seb fouilla dans sa poche pour prendre son portefeuille.

« Le destin est parfois étrange… Comme je venais d’emménager au Bourg Palette, Greg et Alex avaient prévu de venir nous rendre visite pour le nouvel an. Ils ont été surpris de voir Sylvain avec nous mais ils étaient aussi très contents… »

Seb sortit de son portefeuille une photo pliée en quatre et la tendit à Fry. Dans l’obscurité, Fry ne voyait pas grand-chose. Il se pencha pour profiter de la lumière de la lune. Son œil s’était habitué à la pénombre nocturne et il parvint malgré tout à distinguer les visages sur la photo. Il reconnut facilement les cinq mêmes personnes que sur la photo sous cadre du laboratoire, mais cette fois ils avaient tous la trentaine. Dans un paysage enneigé, Sylvain et Seb riaient ensemble à gorges déployées. Derrière eux, adossés à la même barrière que celle sur laquelle étaient appuyés Seb et Fry, Grégoire et Florine les regardaient avec deux discrets sourires, ils étaient installés dans la même position, les bras croisés, il y avait quelque chose de drôle dans cette mimétique. Au premier plan, dos à l’objectif, Alex tournait la tête pour regarder par-dessus ses lunettes en cul de bouteille le ou la photographe avec une certaine suspicion. Il n’avait pas l’air ravi d’être pris en photo par surprise et se tenait les côtes, frigorifié dans le vent de janvier. Fry contempla la photo un bon moment et Seb regardait le jeune homme avec un sourire paternel.

« L’amour et l’amitié c’est compliqué, même à mon âge… »

Seb avait terminé son récit. Avec mélancolie, il se tourna vers les étoiles en attendant que Fry décide soit de rentrer, soit de poursuivre la discussion. La nuit était bien entamée, Fry était fatigué, l’histoire était longue, mais il s’imprégnait toujours de ce que lui avait raconté son ainé. Il songeait à l’égoïsme des gens… Il avait toujours trouvé Jenny et Jessy très égoïstes et un peu superficielles, des filles à papa trop gâtées, mais il s’était lourdement planté. Lui, il avait utilisé les jumelles pour qu’elles l’emmènent à Kanto, en ignorant leurs propres désirs et souffrances, il se sentait con. Il s’était même réjoui de la catastrophe causée par Lucario. Aux yeux de Fry, Seb était une bonne personne et son égoïsme n’était au final qu’une quête du bonheur, tout comme la soif d’aventure de Sylvain Ketchum… Fry avait un peu de mal à comprendre l’obsession de Seb pour Florine, il était tombé amoureux par le passé mais jamais à ce point. Cette longue histoire lui avait fait comprendre que le père des jumelles était plutôt comme lui, il n’avait pas la passion de Seb pour sa femme. Cela dit, il ne comprenait pas du tout comment Sylvain avait pu passer plus de quatre ans sans tirer son coup… Fry n’avait pas eu d’aventure depuis Azura, quatre mois plus tôt, et il ressentait déjà un certain manque. Puis il repensa à Scott, au regard fou d’amour qu’il jetait à Jenny à chaque minute. Lui, sans doute qu’il sera comme Seb : il n’arrivera jamais à oublier le doux sourire de Jane et la finesse de ses traits... Fry avait eu tellement mal au cœur pour lui lorsqu’elle l’avait rejeté, mais en même temps il comprenait Jenny. A sa place, il aurait probablement agi comme elle. Là encore, il se sentit con.

« Dire que je trouvais les histoires de cœur de Jenny compliquées, mais la professeure et toi vous explosez les records. » Finit par lâcher Fry. Seb secoua la tête pour se sortir de ses pensées.

« Jenny ? De quelles histoires tu parles ?

- Ah euh, fais comme si j’avais rien dit. »

Seb bailla à s’en décrocher la mâchoire et Fry se mit à frissonner. Il était en t-shirt, et lui qui n’avait connu toute sa vie que le climat tropical des îles Orange n’était pas adapté aux nuits fraiches de Kanto.

« Il est très tard, on devrait aller se coucher sinon ça va finir en nuit blanche.

- Si je ne suis pas mort de froid avant ! Bre-wah ! Ça caille !

- Rentrons. C’est dommage, j’aurais bien aimé que tu me racontes tes propres histoires de filles. »

Fry étouffa un rire tout en marchant, c’était prévisible après s’être vanté d’avoir eu plus de conquêtes que lui.

« Je suis sûr que t’as plein d’anecdotes à raconter. Et puis je me demande pour laquelle des deux jumelles tu en pinces…

Seb fit un clin d’œil à Fry.

- Ah non, mais alors non merci. Aucune. Elles sont trop galères…

- Je m’en doute, leur mère aussi était galère, c’est pour ça que je l’ai épousé. »

Seb se mit à rire tout seul et Fry lui répondit en grimaçant :

« T’es vraiment grave… »

 

A suivre…

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