Les Train Twins

Chapitre 42

A sky full of stars



Le lundi à l’aube, les quatre musiciens plièrent bagages, soulagés d’être enfin débarrassés d’Harley et de son exubérance narcissique. Ils rejoignirent le rivage, avec leur cortège de pokémon et d’instruments, pour reprendre la navigation vers l’Est. Scott et Jenny bricolaient dans leur coin, au sens littéral du terme, aidés par magnéti. Jessy et Fry répétaient à la guitare acoustique et au cajon, accompagnés par John, sous le regard toujours assidu de Lucario. Quant aux frères raichu, ils profitaient de cette nouvelle belle journée de fin de printemps en se dorant la pilule au soleil, Katy et Médie faisaient de même.

En milieu d’après-midi, la troupe fit comme convenu une halte sur les rives au sud de Rubello, ils reprendraient la route le lendemain. Ils venaient à peine de déposer leurs bagages dans la base secrète percée par le scarhino de Fry sur un flanc de falaise sèche, quand le jeune champion fut alpagué par Jenny. Elle voulait absolument aller à la bibliothèque de Rubello avant la fermeture et insistait lourdement pour qu’il l’accompagne. Il ne comprenait pas réellement pourquoi, normalement elle arrivait de nouveau à se balader seule. Il avait la nette impression qu’elle cherchait à l’éloigner de sa sœur, mais pour quel motif, il l’ignorait. Il se dit qu’il arriverait bien à lui tirer les vers du nez à un moment ou à un autre et céda à sa requête.

Scott regarda ses deux amis s’éloigner. Pour une fois, il ne ressentait pas sa cruelle aigreur habituelle. Non, il savait pourquoi Jenny le laissait seul avec Jessy, c’était prévu au programme. A la place, son cœur était envahi d’une profonde anxiété, il tremblait presque. Il s’agenouilla pour fouiller plus aisément dans son grand sac de voyage rempli d’outils et de composants électroniques, cette position basse l’aidait en outre à se calmer et à trouver le courage dont il avait besoin. Il extirpa de son sac un appareil à électrodes enroulé dans des câbles noirs. Il posa son regard timide sur la rouquine en train de libérer un à un ses pokémon pour qu’ils se dégourdissent les pattes avant d’enfin trouver la force d’oser lui parler.

« Je… Jessy ? » Chevrota Scott.

Jessy envoya sa tengalice chercher du bois pour faire du feu avant de se tourner vers Scott et de le percer de son regard aussi incisif que des griffes de sablaireau d’Alola. Le jeune homme lui présenta sa création en inclinant humblement la tête comme s’il faisait une offrande à une déesse.

Jessy fronça légèrement les sourcils, elle se demanda l’espace d’un instant de quoi il s’agissait. Elle finit par percuter avant que Scott n’ait besoin de lui expliquer, ses yeux bleu électrique s’illuminèrent, ils rappelaient deux boules à plasma.

« C’est un adaptateur ?

- O… Oui ! Je l’ai déjà essayé sur Magnet et Chu, il fonctionne, mais il faudra que je peaufine les réglages sur ton raichu.

- C’est génial Scotty ! »

Elle se jeta sur l’appareil pour l’admirer sous toutes les coutures, même si elle ne risquait pas de comprendre son fonctionnement sans l’aide de Scott. Son sourire enjoué laissa malgré tout la place à une expression plus sévère. Elle commençait à cerner le petit technicien, or, obnubilée par sa "trahison", elle ne s’était pas préoccupée des effets que pouvait avoir la culpabilité de Scott sur son comportement. Elle se mit à imaginer qu’il avait fait une nouvelle bêtise dont il avait le secret.

« Rassure moi : ça ne t’a pas couté une fortune hein ?

- Ah euh… Non, enfin, j’ai dû acheter pas mal de pièces, mais ça n’a rien à voir avec le prix d’un appareil du marché si c’est ce qui t’inquiète. »

Elle le toisa encore quelques secondes, puis finit par se laisser convaincre. Elle retrouva le sourire.

« Ok… Merci Scotty.

- Encore pardon pour euh… Pour le concours…

- C’est bon. Maintenant, tu es avec nous et tu restes avec nous. »

Elle tendit son poing devant lui et Scott le regarda avec perplexité, il ne comprenait pas ce qu’elle voulait. Le sourire de la rouquine se transforma en légère grimace, il n’était pas toujours très dégourdi le Scotty.

« Check ?

- Ah ! Pardon ! »

Scott serra le poing et donna un petit coup dans celui de Jessy. Elle agrandit son sourire, il n’avait pas le charme de celui de Jenny, mais le technicien la trouvait quand même beaucoup plus jolie quand elle avait la mine réjouie.

« Au fait, c’est toi qui a touché à mes notes n’est-ce pas ?

- Euh… De quelles notes tu parles ? Demanda Scott en clignant des yeux.

- Quand on était dans ton hangar, quelqu’un a modifié un morceau que j’écrivais. Je n’ai pas reconnu l’écriture, c’est parce que c’était la tienne c’est ça ? »

Scott chercha dans sa mémoire et réalisa avec horreur que c’était bien lui. Il s’attendait à ce que la colère du léviator rouge s’abatte sur sa pauvre carcasse, alors, avec tous les muscles du visage crispés et les yeux à demi clos, il avoua un timide :

« Oui…

- Ok… » Fit simplement Jessy.

Scott se détendit un peu, il était étonné. Pas de réaction, vraiment ? Après un bref instant de réflexion, Jessy reprit.

« Tu veux bien me donner ton avis sur la chanson que j’ai écrite pour le festival des forêts ?

- Ah, euh, oui… » Répondit Scott, surpris par la demande, mais content de pouvoir aider son amie.

Ils s’installèrent à l’abri du vent sur une couverture étendue devant l’entrée de la base secrète. Jessy déballa les partitions de ses quatre chansons : "Les maîtres de demain", "Problème de statut", "Stop !" et "Le choix de ma vie". La dernière était la préférée de Jessy, mais également celle de Scott. Il aimait aussi beaucoup "Problème de statut", c’était celle-là qu’il avait modifié, il la trouvait plus dynamique et plus aboutie que les autres, aussi bien sur le papier que lorsque les Train Twins la jouaient.

« Je veux bien te donner mon avis, mais je ne vois pas ce que je pourrais dire de constructif, tu composes bien mieux que moi. » Fit modestement le jeune.

Jessy sentit une bouffée d’orgueil gonfler sa poitrine, c’était flatteur mais faux, elle le savait. Du peu que Jessy avait entendu des musiques de Scott, il était aussi doué qu’elle, peut-être même plus. Il n’était pas juste un bon parolier.

« Merci Scotty, mais tu dois bien avoir un avis quand même non ?

- De mon point de vue, le seul défaut de tes chansons c’est qu’elles sont impersonnelles.

- Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

- Ah euh… Elles… Euh… Ne sont pas intimes. Je veux dire, tu ne parles pas de toi, alors elles sont belles, mais il n’y a pas beaucoup d’émotion sincère dedans. C’est comme une fiction. Euh… »

Scott était intimidé par Jessy, mais si sa voix finit par mourir, c’est parce qu’il avait l’impression de l’avoir perdue dans son explication. Jessy était en pleine cogitation, son visage se durcissait sous l’effort intellectuel. Ses chansons étaient personnelles selon ses critères : elle chantait et écrivait sur ce qu’elle connaissait, sur ce qui lui parlait, sur ce qui la faisait vibrer. Scott pouvait toujours attendre qu’elle écrive une déclaration d’amour poignante comme la sienne, ça ne viendrait pas. De la même façon que Fry avait expliqué à Seb qu’il n’était pas du genre à tomber amoureux fou, elle n’était pas du genre à se laisser bercer par le sentimentalisme. Elle chassa de son esprit le souvenir de son craquage dans la Forêt de Jade, il était hors de question de lister en chanson toutes les idées noires qui l’avaient amenée à se mettre à pleurer dans les bras de Fry, pourtant c’était précisément ce qu’attendait Scott.

« Tu veux que je regarde tes autres chansons ? » Demanda gentiment l’artiste amateur.

Il se souvenait d’avoir vu Jessy avec un carnet similaire au sien dans l’ancien hangar de la Team Rocket. La belle rousse lui répondit dans un soupir.

« Malheureusement toutes mes notes ont brûlées quand Lucario nous a attaqué.

- Oh, je suis vraiment désolé.

- C’est la vie. J’ai eu du mal à digérer cette affaire, mais j’peux rien y changer alors…

- Si tu te souviens de certaines d’entre elles, tu peux me les jouer et je vais t’aider à les recopier. »

Jessy sourit à nouveau, Scott avait encore un peu de mal avec cette notion de "Jessy est capable d’être douce."

« C’est gentil, mais je n’ai pas une très bonne mémoire, enfin… »

Elle semblait hésiter.

« Peut-être que si en fait… »

Au moment de l’attaque de Lucario, Fry avait rangé dans le vieux sac à dos de son père une copie des partitions "des maîtres de demain" et de "Problème de statut". C’est de cette manière que Jessy avait pu récupérer ces morceaux, que les Train Twins avaient de plus activement répétés, ils ne les connaissaient pas encore par cœur mais presque. Quant à "Stop !", Jessy était en train de l’écrire sur une feuille volante fourrée en vrac dans son sac en bandoulière que Gali avait réussi à sauver des flammes.

Dans le carnet disparu de Jessy, il y avait une chanson qui lui tenait particulièrement à cœur, elle ne l’avait jamais montré à Fry et Jenny ne devait pas s’en rappeler, elle était très ancienne. S’il y avait bien une chanson qu’elle devait essayer d’extirper de sa mémoire, c’était celle-là. Puisque Scott voulait de la chanson intime, celle-ci devrait lui convenir.

Elle s’installa près de Scott avec sa guitare et essaya de retrouver les accords. Le jeune homme commença à prendre des notes dans un élégant carnet en cuir flambant neuf. C’était un cadeau d’au-revoir de Matt, il s’abstint évidemment de le préciser à Jessy. Il recopia les paroles de la chanson qu’elle tentait de se commémorer, elle en avait hélas oublié une grande partie, mais elle se disait que Scott arriverait peut-être à combler les blancs, il était bien plus doué qu’elle avec les mots, du moins à l’écrit...

« Tu m’expliques pourquoi tu as autant insisté pour que je t’accompagne à la bibliothèque ? Lança Fry alors qu’il arpentait les rues de Rubello avec Jane et son évoli sur l’épaule. Je croyais que tu préférais y aller avec Scott.

- Scott avait un truc à faire avec Jessy, et le connaissant, il sera moins stressé si on n’est pas là.

- Tu te trompes, nous sommes ses boucliers.

- Tu te prends pour Zamazenta ? Le taquina Jenny.

- Ce n’est pas plutôt toi qui voulais t’éloigner d’eux ?

- Pourquoi je ferais un truc comme ça ? Fit Jenny en battant des cils.

- T’avais pas l’air bien après la chanson de Scott la dernière fois. »

Il y eut un silence. Jenny s’arrêta de marcher, Fry aussi. Ils se fixèrent un long moment, aucun d’eux n’était prêt à détourner le regard le premier, ça aurait été une marque de faiblesse ou une façon de s’avouer vaincu. Fry était du genre têtu, il n’avait pas pu résister à l’envie de remettre le sujet sur le tapis, mais Jenny restait "Mademoiselle Pokémon Roche", il était hors de question de faillir devant Fry.

« En fait tu as raison, reprit-elle d’une voix doucereuse en arborant à nouveau son sourire de complaisance. Je peux aller à la bibliothèque toute seule. Tu peux disposer. »

Elle fit volte-face, rehaussa la lanière de son sac sur son épaule et s’éloigna. Fry hocha lentement la tête.

« Pire que sa sœur... » Marmonna-t-il.

Comme il était déjà arrivé en ville, il se dit que rebrousser chemin serait idiot, surtout maintenant qu’il savait pourquoi Jenny avait laissé sa jumelle et Scotty en tête à tête. Égal à lui-même, Fry libéra ses autres compagnons pokémon et activa le mode touriste.

Jenny et Fry étaient partis depuis quasiment deux heures. Installés près du feu de camp allumé par Etna avant de s’envoler en balade pour dégourdir ses ailes, Scott et Jessy tentaient de recomposer, couplet par couplet, la chanson perdue de Jessica. Pit était assis face à eux et les regardait avec attention en remuant doucement les oreilles, ces notes faisaient ressortir des souvenirs lointain de son esprit de jeune pokémon.

« Rai rai...

- Jamais jamais jamais ! Jamais je ne t'abandonnerai ! Non, jamais jamais, je n'aimerai quelqu'un plus que toi ! » Chantonnait Jessy en montant haut dans les aigus.

Scott releva la tête de sa feuille.

« Tu n’échauffes pas assez ta voix, tu vas abimer tes cordes vocales. »

Jessy s’arrêta de jouer et posa sa guitare contre ses jambes.

« Comment tu sais tous ces trucs ? Et d’abord comment t’arrives à chanter aussi bien alors qu’il ne se passe pas une journée sans que tu ne manques de t’étouffer avec ton asthme ?

- Ah, euh… Eh bien j’ai suivi des cours de chant. Le médecin avait conseillé ça à mes parents, à cause de mon asthme justement. Je… Je me doute que ça peut surprendre, mais je vais beaucoup mieux qu’autrefois. Quand j’étais petit, j’avais de plus gros problèmes respiratoires, maintenant il n’y a que quand je suis vraiment nerveux que je fais des crises. »

Il poursuivit sa copie des paroles de Jessy en notant les derniers mots qu’il avait entendu. La rouquine n’avait pas encore reprit la mélodie, elle le décortiquait du regard, de la tête aux pieds. Pour une obscure raison, le souvenir de l’audition organisée sur l’île Gélatine lui revint en mémoire.

« Scotty, je ne t’ai jamais demandé quel était ton pokémon préféré ? »

Le garçon cligna des yeux, un peu surpris par la question. Il colla son pouce contre ses lèvres et se mit à réfléchir, il n’était même pas certain d’avoir un pokémon préféré.

« Je dirais… Porygon. A vrai dire, je ne sais pas si c’est réellement mon pokémon préféré, mais quand j’étais petit je ressentais une fascination terrible pour ce pokémon. C’est la première intelligence artificielle dotée d’une conscience et d’émotions. Son existence est un miracle de la vie et de la technologie. J’aimerais bien en créer un moi-même un jour, euh… Ça fait un peu Docteur Frankenstein de dire ça non ? »

Jessy eut un rictus. Scott était un intello et un grand sensible, elle aurait volontiers misé sur un pokémon dinosaure ou sur un de ses propres pokémon : clic, magnéti ou pijako, mais en fait il était plus intello que tous les intellos qu’elle avait connus, et pourtant elle était née dans une famille de scientifiques.

« J’comprends mieux pourquoi tu plais à ma sœur. »

Scotty se força à sourire, la réplique lui faisait mal. Il ne plaisait pas à Jenny, enfin oui quelque part son esprit devait lui plaire, songeait-il, mais ce n’était qu’une sorte de curiosité intellectuelle. Quand ils étaient dans les îles Sevii, il avait cru un moment qu’elle était tombée amoureuse de lui et cette idée absurde l’avait poussé à faire sa déclaration. Il n’arrêtait pas de se dire que s’il avait réfléchi plus posément au lieu de se laisser submerger par ses émotions, il aurait évité la crise.

Jessy lui souriait toujours, elle lui rappelait Jenny. Malgré la souffrance de s’être fait éconduire, son amitié lui était précieuse et il sentait au fond de lui qu’il était en train de tisser le même type de lien avec Jessy. Comme il l’avait dit à Matthieu, il était aussi resté pour elle et pour Fry. Il dépassa sa réserve et décida de poursuivre le dialogue.

« Et toi ? C’est quoi ton pokémon préféré ?

- Moi ? Pikachu.

- Pourquoi les pikachu plutôt que les pichu ou les raichu ? »

Jessy dévisageait Scott, il posait de drôles de questions parfois, mais elles n’étaient jamais dénuées d’intérêt.

« C’est esthétique et puis le pikachu de mon grand-père n’a jamais évolué.

- Dans ce cas, pourquoi tu n’as pas laissé Pit en pikachu ?

- Parce qu’il voulait devenir plus fort et moi aussi, les raichu sont beaucoup plus puissants que les pikachu. L’esthétique c’est un truc pour les artistes et les coordinateurs. J’peux pas me permettre de me soucier de trucs comme ça.

- En musique l’esthétique compte aussi.

- On dirait Jenny quand tu parles comme ça... Mais je suis une dresseuse avant d’être une musicienne.

- Je ne pense pas qu’il faille mettre une hiérarchie. Tu es les deux, tu as du talent pour les deux, c’est ce qui fait que ta sœur et toi vous êtes uniques. »

Scotty se tût après cette phrase, trop troublé par le visage radieux de Jessy et son regard lumineux posé sur lui. Le compliment l’avait touchée en plein cœur. Scott n’avait pas eu l’occasion de rencontrer les Irish Japanese, Fry lui en avait à peine parlé, alors il ne pouvait pas comprendre à quel point ses paroles réconfortaient Jessy. Après cet instant de flottement, une bouffée d’adrénaline anima Jessy et elle se saisit de sa guitare.

« T’as raison Scotty. J’avais presque oublié c’que c’était d’être une dresseuse-musicienne.

- Ah bon ?

- Aller ! On s’y remet ! » S’exclama-t-elle en lui donnant une claque fraternelle sur l’épaule.

Il massa doucement le haut de son bras, il n’osait rien dire, mais il aurait aimé que Fry et Jessy arrêtent avec cette sale manie…

Malgré le vent qu’il s’était pris, Fry était revenu attendre Jenny avec son équipe à l’heure de la fermeture de la bibliothèque. La jolie rouquine sortit du bâtiment, petit mais assez moderne, en même temps que la bibliothécaire qui verrouilla les portes derrière elles. Jane sourit cette fois avec sincérité à son comité d’accueil pokémonesque. Ces quelques heures de solitude studieuse au milieu des livres lui avaient fait du bien, elle avait réussi à se vider suffisamment la tête pour retrouver son visage chaleureux et rassurant. Pour assurer le coup et éviter de nouvelles questions gênantes, elle décida d’acheter le silence de Fry avec de la nourriture, ça fonctionnait presque aussi bien que sur les frères raichu.

« A table ! On a ramené le diner ! » Lança Jenny dans l’allégresse une fois revenus à la base secrète.

Fry, Scarhino et Lockpin avaient les bras chargés de bento bien garnis et de quelques sacs de nourriture pour Pokémon. Ils se régalèrent de spécialités locales, du kashiwa meshi aux gyoza à l’ail, avec en dessert du kasutera. Il fallut lutter vaillamment pour protéger les gâteaux des raichus affamés et de l’évoli glouton.

Pendant le repas, Jenny jeta régulièrement des coups d’œil à Jessy et Scott. Sa jumelle paraissait joyeuse et pleine d’entrain, c’était plutôt bon signe. Mais ce qui rassura le plus Jane, ce fut la mine tranquille et apaisée de Scott. Pas de bégayement, pas de tic, pas d’excuse lâchée pour la moindre broutille, il était détendu. Intérieurement, elle soupira de soulagement : au moins une chose de réglée.

Le lendemain, Jessy s’agitait comme un capumain. La route pour Algatia était encore longue, mais grâce à la petite création de Scott, Jessy pouvait désormais se servir de sa guitare électrique sur le dos de wailord. Jenny n’était pas très emballée au départ, elle se préoccupait du bien-être de son pokémon, mais elle finit par céder. Scott avait aussi investi le reste de la récompense des Dark Love dans un nouveau générateur et une batterie portative, histoire d’assurer le coup, Jenny put donc sortir sa basse et Scott son piano synthétiseur. Il était toutefois hors de question que Fry sorte sa batterie, il devrait se débrouiller avec son cajon et Ramboum.

Ainsi, pour la première fois, le groupe réussit à répéter tout en naviguant vers Nénucrique, leur prochaine escale. Chu regardait son frère affublé de son casque sur la tête, l’adaptateur ressemblait à un grand chapeau ridicule. Il s’esclaffait au point de se tordre de rire en se roulant sur le dos lisse de Lord.

« Rai rai... Grommela Pit en fusillant son frère du regard avec un air grincheux.

- Arrête de l’embêter Chu. » Demanda gentiment Jenny entre deux couplets.

Jessy était toujours d’excellente humeur lorsqu’ils mirent le cap vers Algatia deux jours plus tard. Profitant d’une pause durant la répétition, Fry se pencha par-dessus l’épaule de Jenny qui consultait son GPS pour guider son pokémon à travers la mer orientale. Ils venaient de dépasser la cité d’Atalanopolis, les hauts récifs blancs nacrés étaient bien visibles à l’horizon.

« On ne va pas à Atalanopolis voir votre oncle ? »

Le jeune champion avait retenu que l’un des oncles des filles vivait sur cette île.

« Non, c’est impossible d’y accéder avec wailord, le port est trop étroit, et on ne peut pas laisser en plan tout notre matos, expliqua Jessy. On va pousser jusqu’à Algatia, mais y a aussi une arène là-bas si ça peut te rassurer.

- Il y a surtout un centre spatial ! J’ai vraiment hâte d’y être ! Se réjouit Scott, ses amis l’avaient rarement vu aussi enthousiaste.

- Tu aimes l’astronomie ? Demanda Jenny.

- Oui ! Enfin quand j’étais petit j’étais passionné par ça, par la paléontologie et la musique aussi. Ensuite j’ai un peu tout mis de côté en me plongeant dans l’électronique.

- Une vraie petite tête de tarsal... Je crois qu’on a trouvé pire que toi. » Fit Jessy à sa sœur avec un petit air moqueur.

Algatia était une île très rocailleuse et montueuse, malgré la présence d’un couvert forestier important. Sur la pointe de l’île, le quatuor pouvait apercevoir la base de lancement des fusées. Le Centre Spatial de renommée mondiale se situait à proximité, mais il était plus difficile de l’identifier d’aussi loin, depuis l’extrémité ouest de l’île où avaient accosté les Train Twins. Algatia était une belle île, à l’aspect moderne et sauvage à la fois. Les bâtiments à l’architecture ancienne de bois et de clayonnage côtoyaient des constructions en béton et acier. Les bâtiments les plus récents étaient surtout concentrés près de l’arène et du centre spatial, les quartiers historiques, eux, se trouvaient au nord-ouest. Il restait tout de même quelques vieux manoirs élégants à l’ancienne sur le chemin boisé menant au complexe de recherches sur l’espace.

En l’absence d’établissement de concours, les Train Twins s’installèrent au centre pokémon. Une fois n’est pas coutume, Scott semblait être le plus joyeux de la bande en débarquant sur l’île au crépuscule. Après le diner, il rejoignit ses amis dans leur chambre commune alors qu’ils étaient en train de déballer tranquillement leurs affaires.

« Je vais aller regarder les étoiles, qui veut venir avec moi ?

- Désolé vieux, mais j’ai grandi dans l’Archipel Orange, les ciels étoilés j’ai l’habitude, dit Fry qui tâtait avec envie son oreiller moelleux du bout de ses doigts.

- Et moi je m’en fous, ajouta Jessy d’une voix posée.

- Ok… Souffla Scott, un peu dépité de se faire rembarrer de la sorte.

- Je viens avec toi. »

Scott s’étonna que Jenny accepte de rester seule avec lui pour une balade au clair de lune, ce n’était pourtant pas si surprenant de la part d’une amoureuse des sciences. Les frères raichu les suivirent, trop heureux de faire une balade nocturne. Jenny emmena Scott au sud de l’île, pour s’éloigner au maximum des habitations et de la rare pollution lumineuse persistante. Jenny connaissait un coin agréable avec une belle pelouse proche de la côte, ils pourraient ainsi entendre le son des vagues pendant leur observation.

La nuit était très agréable en ce mois de juin, délicatement douce et tiède. Les deux adolescents s’installèrent par terre, allongés sur le dos, à un mètre l’un de l’autre. Pit et Chu les imitèrent, les deux pokémon trouvaient cela amusant. Le cœur de Scott battait la chamade, cette ambiance était assez romantique, il s’efforçait de ne pas y penser. Il se concentra sur le ciel étoilé, c’était presque aussi efficace qu’une machine cassée éventrée pour le relaxer. Tout ce qu’il avait appris quand il était enfant lui revint en mémoire et il suivait le firmament comme une carte au trésor, son bras dressé en l’air, à jouer l’aiguille d’une boussole.

« Là il y a la constellation Mimiqui et là la galaxie de Kyurem.

- Je me souviens d’une histoire comme quoi l’étoile de Lunala n’est visible qu’en deux points du globe : à Algatia et dans l’archipel d’Alola.

- Oui, c’est d’ailleurs pour ça qu’on l’appelle l’étoile de Lunala. En fait, il faut tellement peu de lumière artificielle pour l’apercevoir qu’il n’y a qu’à Alola qu’elle s’aperçoit facilement. Nous on ne peut pas la voir non plus, mais les astronomes d’Algatia si.

- Je suis toujours impressionnée par tes connaissances, pourtant je devrais y être habituée à force.

- Ah, euh, merci. » Dit le petit intello avec un sourire flatté.

Après un bref instant de réflexion, Jenny reprit :

« Scott... Je voulais te remercier pour ce que tu fais pour Jessy.

- Ce que je fais pour Jessy ? Répéta Scott qui ne comprenait pas. Je fais quoi pour Jessy ?

- Tu l’aides pour la musique. Je sais qu’elle n’est pas toujours commode, il fallait quelqu’un d’aussi patient et gentil que toi pour travailler avec elle. »

Scott élargit son sourire en regardant les astres, il était touché par ces mots, mais il y avait toujours cette amertume persistante qui lui étreignait le cœur. La douceur de Jenny était difficile à supporter tant il savait qu’il n’y aurait jamais rien de plus que cette tendresse fraternelle. Malgré tout, il était vraiment heureux que les filles apprécient ses chansons.

« Ah ça, ce n’est pas grand-chose, et puis ça m’amuse en fait.

- Elle adore composer, ça l’apaise, sauf qu’elle n’est pas très douée avec les mots, alors elle s’exprime autrement.

- Oui, c’est vrai que vous vous ressemblez beaucoup sur ce point.

- Comment ça ? S’écria Jenny presque vexée. Tu trouves que je parle mal ?

- Ah, non-non, euh, désolé, j’ai rien dit ! Paniqua Scott collé à la pelouse. Excuse-moi, oublie ce que j’ai dit, c’était mal formulé. C’est… C’est moi qui ne suis pas doué avec les mots.

- Il faut que tu arrêtes de faire ça, reprit Jenny avec agacement, ses yeux toujours rivés vers les cieux.

- Euh, de... De faire quoi ?

- De t’excuser tout le temps et de t’aplatir comme un limonde. Assume ce que tu dis et va au bout de ta pensée. Pourquoi tu dis que je ne suis pas douée avec les mots ?

- Tu… Tu utilises surtout ton corps pour t’exprimer. C’est difficile de savoir ce que tu penses juste en t’écoutant parler. Tu es toujours polie et diplomate, mais dans le fond tu ne dis pas grand-chose de sincère… En fait, je crois que je ne t’ai jamais vu parler franchement à quelqu’un, en dehors de Jessy et moi. Il faut observer tes gestes et ta posture pour deviner ce que tu as dans la tête. »

Un silence lourd s’était installé. Jenny savait qu’elle l’avait cherché, elle avait forcé Scott à dire ce qu’il pensait et maintenant elle devait digérer cette horrible vérité. Il avait raison, elle devait le reconnaître. Elle essaya de reprendre la conversation normalement, c’était difficile.

« C’est… Faux, je parle aussi franchement à Fry.

- Non.

- Comment ça non ?

- Tu lui as dit que tu t’en fichais d’être deuxième à toutes tes ligues et de ne pas être maîtresse pokémon alors que c’est faux. »

Pourquoi était-il aussi perspicace ? Lui qui s’était pris un râteau mémorable en public pour une déclaration maladroite et qui s’était fait manipuler en beauté par Matthieu Paris, il était pourtant capable d’analyser les gens aussi facilement qu’un problème électronique dans un pokédex. Jenny capta l’ambiance, elle ne voyait pas Scott, mais elle aussi savait lire entre les lignes. Après un long silence, elle soupira en fixant les étoiles.

« Je sens que tu as encore un truc à dire alors va-y, accouche.

- Je me demandais… Commença Scott, hésitant. Pourquoi tu ne sors pas avec Fry ? Enfin toi ou Jessy, peu importe.

- C’est quoi cette question ? Et comment ça "peu importe" ? Répliqua Jenny avec un sourire tordu.

- Laisse-tomber… Marmonna Scott.

- Non. »

Jenny se pinça les lèvres et réfléchit quelques secondes avant de reprendre.

« Fry refuse de sortir avec une fille avec qui il voyage et travaille. Il dit que c’est une mauvaise idée, alors il m’a friendzoné et Jessy s’est friendzonée toute seule. C’est aussi simple que ça. »

Scott ne fit aucun commentaire, comme Jenny il gardait les yeux rivés vers le ciel. La rouquine remonta le cours du temps dans sa tête.

« Au début, j’étais frustrée qu’il me repousse de la sorte, mais aujourd’hui je me dis qu’il a pris la bonne décision. Tout aurait été plus compliqué. »

Et le silence se réinstalla entre les deux adolescents qui regardaient paisiblement la voute céleste. Au bout d’un moment, Scott finit tout de même par reprendre la parole.

« Tu es sûre que Jessy est friendzonée ? »

Jenny se redressa brutalement pour regarder Scott comme s’il avait dit la chose la plus terrifiante au monde. Leurs regards se croisèrent, Scott semblait perplexe.

« Euh…

- Pourquoi tu dis ça ?

- Bah euh…

- Explique, ordonna Jenny.

- C’est juste une impression, Fry n’est pas… Indifférent, ni à elle, ni à toi, euh il me semble. Qu’importe ses grands principes, j’ai bien vu comment il vous regarde toutes les deux, la façon dont il touche Jessy et l’intonation qu’il prend quand il lui parle… »

Jenny le fixait intensément, à tel point que Scott commençait à se sentir mal à l’aise. Il songeait qu’une fois de plus on le regardait comme un pokémon rare qu’il fallait observer sous toutes les coutures pour bien l’identifier. C’était presque comme une vivisection du regard. Jenny quant à elle avait l’esprit divisé entre une admiration pour la finesse d’esprit de Scott, une autre de ses qualités cachées, et ses réflexions sur les sentiments de Fry.

Plutôt que de se rallonger, elle regarda les deux raichus. Pit, les pattes arrière dressées en l’air, s’amusait à les agiter dans le vide, tandis que Chu avait fini par s’endormir sur le dos dans la pelouse. Elle sourit d’un air absent et s’adressa à nouveau à Scott en le regardant dans les yeux cette fois.

« Tu vois ? Finalement c’est plutôt pas mal quand tu dis ce que tu penses.

- Non… » Répondit Scott avec une certaine froideur.

Jenny fut un peu décontenancée par la réponse. Les joues de Scott rosirent et il se leva pour rentrer. Jenny devina quand même qu’il repensait à sa première déclaration, l’année précédente. Elle réprima un soupir.

« Tu m’en veux toujours ?

- Tu te trompes, c’est à moi que j’en veux. Je rentre me coucher. »

Il ne voulait pas attendre Jenny, il s’éloigna rapidement mais s’immobilisa au bout de quelques mètres. Il se retourna, honteux.

« En fait… Je crois que je ne vais pas retrouver mon chemin tout seul. »

Jenny leva les yeux au ciel. Elle tapota dans la patte de Chu pour le réveiller et fit signe aux frères raichu de la suivre. Les deux humains, suivis des deux pokémon, retournèrent ainsi au centre pokémon dans un silence fatigué.

A suivre…