Ciléo (ou ma vie de PNJ)

Chapitre 4 : Ciléo - 25 ans

4369 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 23/01/2022 21:45

« Coucou Ciléo ! »

Le jeune homme toujours afféré autour de sa machine au centre pokémon détacha ses mains de l’immense clavier de l’ordinateur principal et se retourna en souriant à sa visiteuse, il reconnaissait désormais sa voix aussi bien que celles de Léo et de ses parents.

« Bonjour Leaf ! De retour dans l’archipel ?

- Eh oui ! Je t’ai apporté ton déjeuner !

- Oh. Merci, c’est adorable. Tu es trop gentille avec moi. »

Leaf l’aventurière parcourait tout le pays de long en large depuis des années, mais elle revenait souvent dans les îles Sevii, tous les trois mois environs, parfois plus. Elle commençait toujours par faire une escale sur l’île une pour rendre visite à Ciléo. Elle grandissait toujours et sa silhouette s’arrondissait pour prendre des formes clairement féminines au buste et aux hanches. Elle avait beau changer de vêtements régulièrement pour s’adapter à sa croissance, ses chaussures s’usaient toujours à toute vitesse sur les routes du pokémonde. Ciléo au contraire n’avait pas changé ses chemises depuis plus de cinq ans.

« Tu as besoin de quelque chose d’autre ?

- Je commence à m’en vouloir de t’envoyer en mission aux quatre coins de la région.

- Léo ne se gêne pas pour le faire. C’est mon boulot de dresseuse tu sais ? »

Ciléo se gratta l’arrière du crâne et répondit à son sourire chaleureux par un autre du même type.

« Oui je sais mais quand même… Enfin c’est vrai, je t’avoue que j’aurais peur d’être un gros boulet si je t’accompagnais.

 - Ce serait peut-être l’occasion de faire évoluer ton évoli.

- Evo ? S’offusqua le pokémon en la fusillant du regard.

- Vois ça avec lui, moi je n’ai pas envie de me faire mordre ou griffer.

- Je vois que les choses n’ont pas changé ici, c’est toujours lui le patron ! Plaisanta Leaf.

- Vo. » Confirma le pokémon.

Les deux humains le regardèrent en grimaçant. Évoli était indépendant, un poil tyrannique aussi. Heureusement, granivol était autrement plus agréable. Il vola jusqu’à Leaf pour réclamer une caresse.

« Tu as quelque chose de prévu mercredi ? Demanda Leaf en souriant à Ciléo.

- Non, enfin je bosse ici comme d’habitude, pourquoi ?

- Parce que mercredi c’est… Hem… C’est… »

Les mots restaient bloqués. Il avait l’air tellement ingénu, tellement déconnecté de la réalité et de ce genre de choses. C’était frustrant et attirant en même temps.

« Non rien de spécial, je viendrai prendre le goûter avec toi d’accord ?

- Avec plaisir ! »

Leaf rougit de bonheur.

 

Mercredi, le jour de la Saint Valentin, Leaf vint rendre visite à Ciléo comme convenu. Elle avait sur elle un petit paquet brillant avec un ruban qu’elle avait prévu de lui offrir. Elle l’avait acheté exprès à Céladopole quelques mois plus tôt. Elle avait aussi ramené des chocolats et du thé pour les partager avec son ami informaticien.

Assis à table dans la cantine du centre pokémon, Leaf gardait sa main enfoncée dans son sac. Elle tapotait le cadeau pour Ciléo du bout des doigts. Si elle arrivait à lui offrir, que dirait-elle ? Comment justifier ce présent ? Ciléo était totalement incapable de comprendre les messages implicites de ce style, elle devait parler franchement, or elle craignait de ne pas y parvenir.

« Ci… Ciléo ? » Murmura-t-elle.

Il la regarda avec gaieté et candeur.

« Oui ?

- Je… Je t’ai apporté un cadeau… »

Elle déposa sur la table son paquet et Ciléo écarquilla les yeux, surpris mais ravi.

« Oh merci ! Tu me gâtes trop tu sais ? J’ai presque l’impression d’avoir une deuxième maman. »

Alors qu’il ouvrait le paquet avec enthousiasme, Leaf résistait à sa pulsion morbide : elle voulait se fracasser la tête sur la table. Il l’avait comparée à sa mère, le jour de la Saint Valentin en plus, c’était atroce… Elle aurait encore préféré qu’il la compare à Léo.

« Une pierre foudre ?

- C’est pour ton évoli… » Marmonna-t-elle.

En admirant le cristal jaune et vert chargé d’électricité, Ciléo repensa à sa machine, à l’ultime pièce manquante. Depuis trois ans, il fantasmait dessus, depuis que Leaf lui avait apporté le rubis. Il touchait enfin au but…. Il n’avait que quelques mots à prononcer et son amie repartirait pour la chercher, la dernière pierre. Sauf qu’il n’osait pas.

Il était sincère quand il disait qu’il culpabilisait. Il avait l’impression de se servir de Leaf, de la diriger comme un caninos domestique et il détestait ça. Certes il était nul en combats pokémon, car il n’aimait pas la violence et qu’il ne supportait pas de voir ces créatures souffrir, mais s’il avait renoncé à devenir dresseur, c’était surtout parce qu’il avait horreur de donner des ordres. Il refusait de traiter des êtres vivants comme des subalternes.

Il luttait intérieurement, il était conscient que Leaf était son seul atout, sa seule solution. Il avait besoin d’elle... Il avait perdu son sourire. Les yeux baissés, les mots sortirent de sa bouche malgré lui.

« En fait… Est-ce que je peux te demander encore une grosse faveur ?

- Une faveur ? Répéta Leaf en émergeant difficilement de sa désillusion romantique.

- Quand j’étudiais les pierres précieuses, j’ai découvert quelque chose d’important. Il y a une autre pierre qui va de pair avec le rubis que tu m’as ramené il y a trois ans. Cette pierre aussi devrait se trouver dans les Iles Sevii. Leaf, pourrais-tu aller chercher cette pierre pour moi ? »

Leaf était décontenancée, elle avait beau savoir que Ciléo était à la masse et qu’il ignorait royalement la Saint Valentin, elle ne s’attendait pas à recevoir ce genre de demande un jour pareil. Elle était désenchantée, mais le regard suppliant et malheureux de Ciléo réussit à lui retourner l’estomac.

« Leaf, j’ai vraiment besoin de ton aide…

- Tu sais que je ne peux rien te refuser. »

Elle lui fit un clin d’œil complice, il regrettait déjà sa requête. Il sourit malgré lui, tout comme elle.

« Montre-moi ta carte, je vais t’indiquer l’emplacement théorique de la pierre. Elle doit se trouver au Trou Percé dans la Vallée Ruine. Fais attention, les pokémon là-bas sont très puissants. »

Ciléo la regarda partir avec un profond sentiment de culpabilité. Il se trouvait nul de devoir envoyer une gamine de seize ans affronter la faune sauvage pour récupérer son matériau. En tant que gestionnaire du Système de Stockage Pokémon, c’était un peu comme s’il travaillait pour les dresseurs, alors il pouvait leur demander des petits services de temps en temps, c’était un échange de bons procédés entre eux et lui. Mais Leaf était son amie, il était attaché à elle et de fait il avait peur pour elle, contrairement aux autres dont il se fichait pas mal.

 

Ciléo jeta une nouvelle fois un œil à l’horloge du centre pokémon. Il ne le faisait jamais normalement, mais là il n’était pas tranquille.

« Grani grani ? S’enquérait son granivol, il voyait bien que son dresseur était inquiet.

- Elle devrait déjà être revenue. Si je tiens compte des horaires de la Flèche des Mers, de la durée de la traversée, du temps nécessaire pour descendre au fond du Trou Percé…

- Grani.

- Je n’ose pas l’appeler, si elle est dans une situation périlleuse je risque de lui causer des problèmes supplémentaires. »

Leaf était partie depuis deux jours maintenant. La dresseuse était rapide et efficace, quarante-huit heures auraient dû être largement suffisantes pour rejoindre la sixième île. Elle avait déjà exploré la Vallée Ruine à plusieurs reprises, Ciléo et elle avaient même fait de la randonnée ensemble là-bas. Elle ne risquait donc pas de se perdre.

Deux jours de plus s’écoulèrent. Ce n’était pas normal, Ciléo n’en dormait plus la nuit. A plusieurs reprises, il fit des erreurs de programmation, ça ne lui était jamais arrivé en dix ans. Il n’arrêtait pas de songer à Leaf, il se demandait où elle était en s’imaginant le pire à chaque fois.

En la voyant apparaître dans le hall du centre pokémon, Ciléo poussa un gros soupir de soulagement, il ne pensait plus du tout à sa pierre, c’était paradoxal vu que c’était à cause de sa quête que Leaf était partie vagabonder sur l’île six. Il accourut vers elle avec ferveur, elle se sentit bercée par un millier de tyltons, avant de déchanter très vite.

« Te revoilà ! Je me demandais ce que tu faisais, c’était plus long que prévu ! »

Les mots de son angoisse étaient très maladroits, Leaf relâcha les épaules et grimaça. Dépitée, elle lui présenta le saphir. Son bras était assorti à la gemme azur : il était couvert de bleus, Ciléo le remarqua immédiatement. Avant qu’elle ne déballe la pierre, il allait lui demander si elle allait bien, si elle n’était pas blessée, il se tût, il avait la réponse sous les yeux. Il se mordit la lèvre inférieure avant de prendre délicatement le saphir.

« Leaf, tu as dû te donner du mal pour l’obtenir, n’est-ce pas ? »

Il osait à peine la regarder, une fois de plus elle était revenue victorieuse mais dans un état lamentable.

« Ne dis rien, je sais que ça a dû être difficile. Merci, énormément ! »

Difficile c’était le mot. Déjà, la descente au fond du Trou Percé avait été plus longue que prévue, elle avait bien failli se perdre, sans parler du manque d’oxygène au fond de la grotte. En plus il faisait un froid de couaneton. En remontant, elle était tombée sur un mec louche, il avait négocié avec elle pour récupérer la pierre. Il disait en avoir besoin pour quelques heures, ça sentait l’embrouille à plein nez, mais elle avait dû céder le saphir. Le terrain lui était défavorable, elle ne voulait pas risquer sa vie pour un pauvre caillou…

Une fois sortie de la grotte, elle était bien embêtée sans la pierre de Ciléo. Elle n’avait pas envie de rentrer sur l’île une les mains vides. Elle n’était pas du genre à renoncer et justement elle savait où retrouver le type louche en blouse blanche. Il avait évoqué la Team Rocket, or il était de notoriété publique que leur quartier général se trouvait dans un entrepôt dans la forêt de l’île cinq. Elle avait dû se préparer sérieusement avant de se jeter dans la gueule du lougaroc. Elle n’avait pas prévenu Ciléo parce qu’elle ne voulait pas qu’il panique, elle s’était contentée de glisser un mot au commandant de la Flèche des Mers, au cas où son ami appellerait l’un des centres pokémon pour prendre des nouvelles. Elle avait battu les sbires de la Team Rocket et le scientifique Gédéon pour enfin récupérer la pierre tant désirée. Elle était revenue auprès de Ciléo avec le sentiment du devoir accompli.

« A mon tour de te rendre service ! » Clama Ciléo.

Il fonça vers sa machine. Leaf le regarda avec un sourire tordu. Elle savait que son invention lui serait utile, très utile même, mais ce n’est pas un service qu’elle voulait là tout de suite, c’était un mot doux, un geste tendre, un truc plus personnel qu’un torrent de remerciements, certes sincères mais froidement professionnels.

En voyant son sourire discret si mignon qui la faisait fondre, elle eut un petit pincement au cœur. Il se fichait bien de savoir quels obstacles elle avait traversés, il était simplement content d’avoir sa foutue pierre pour sa machine infernale. Du moins, c’est ce qu’elle croyait.

 

Leaf était accoudée au comptoir du centre pokémon, elle avait envie d’un verre de limonade plein de sucre. L’Infirmière Joëlle lui sourit avec sa douceur et sa bienveillance intemporelles en prenant son plateau de pokéballs.

« Je suis heureuse que tu sois revenue saine et sauve Leaf.

- Merci Infirmière Joëlle… »

"Il y en a au moins une ici qui se soucie de mon sort…" Ruminait Leaf.

« Le pauvre Ciléo n’arrêtait pas de tourner en rond comme un némélios en cage, il était fou d’inquiétude alors moi aussi. Il m’avait dit que tu devais revenir samedi.

- Attendez, Ciléo était inquiet ? Releva Leaf en écarquillant les yeux.

- Évidemment ! Il est toujours inquiet lorsque tu t’en vas. La vie de dresseur pokémon n’est pas facile, il en est bien conscient. Mais là je t’avoue que c’était pire que d’habitude. »

Leaf tourna lentement la tête en direction du Centre Réseau Pokémon. Ciléo était toujours afféré autour de sa machine, le capot grand ouvert, il préparait l’emplacement de la gemme. Il était hyper concentré sur son travail, le reste du monde n’existait plus, alors que quelques minutes plus tôt la seule chose qui l’obsédait c’était que Leaf n’était pas encore revenue.

« Leupho leuphorie !

- Ah, ça y est : tes pokémon sont en pleine forme ! » Annonça l’Infirmière Joëlle en prenant des pattes de sa leuphorie les pokéballs de l’équipe de Leaf.

La top dresseuse raccrocha les pokéballs à sa ceinture avant de retourner voir Ciléo en train de vérifier son câblage au mur.

« Tu t’en sors Ciléo ? » Demanda Leaf en se penchant en avant.

Ciléo ne répondit pas. Il courut jusqu’au clavier et lança le logiciel, elle le vit croiser les doigts, littéralement. L’écran s’illumina, un petit bip suivi d’un bref jingle le fit sursauter comme un ouisticram.

« Leaf ! J’ai réussi ! Hurla Ciléo au bord de l’hystérie. Je me suis connecté avec Annette ! Leaf… Leaf, j’ai réussi ! J’ai vraiment réussi à me connecter avec les dresseurs d’Hoenn. Ma machine est complètement opérationnelle ! »

Il se jeta sur elle et lui attrapa les mains, il les serrait si fort qu’elle avait l’impression de se faire écraser par des pinces de krabby.

« Tout ça c’est grâce à toi ! Merci ! Mon rêve s’est enfin réalisé… »

Le sourire radieux de Ciléo emplît de chaleur le cœur de Leaf, elle se sentait tel un pyroli à la saison des amours. L’informaticien lâcha les doigts de son amie et ôta ses lunettes, il se frottait les paupières. Leaf n’en revenait pas, il était vraiment en train de pleurer.

« J’en ai les larmes aux yeux… »

Leaf fouilla dans sa poche et lui tendit le mouchoir soie qu’elle faisait d’habitude porter à son mélodelfe.

« Merci… »

Il épongea le coin de ses yeux avec dignité puis rendit son mouchoir à Leaf.

« Dès que tu en auras envie, viens me voir et on fera des essais avec ta boîte de stockage personnelle. Léo va être tellement heureux quand je vais lui apprendre la nouvelle… C’est un grand jour pour moi mais aussi pour tous les autres gestionnaires du système. Merci infiniment Leaf, merci… »

 

Ciléo bichonnait sa machine tous les jours, il la traitait comme son bébé et son bébé venait de faire ses premiers pas grâce aux deux pierres de Leaf. Leaf justement venait aussi lui rendre visite tous les jours. A chaque fois, elle essayait de se motiver :

"Aujourd’hui je lui dis… Aujourd’hui je lui demande… Aujourd’hui je lui dis…"

Et à chaque fois elle se décourageait.

Devant le miroir des toilettes du centre pokémon de l’île une, elle se fixait droit dans les yeux. Elle prit une profonde inspiration, cette fois elle y arriverait. D’un pas décidé, elle retourna dans le grand hall où trônait le fameux Centre Réseau Pokémon. Droite et raide comme un simularbre, elle se planta devant Ciléo en train d’éteindre son appareil.

C’était la fin de journée, la nuit était déjà tombée et il n’y avait plus qu’eux deux dans la salle, en tant qu’humains du moins. Leuphorie assurait la garde de nuit à l’accueil, Évoli attendait mollasson que son maître rentre chez lui, tout comme granivol perché sur le CRP.

« Oh bonsoir Leaf ! Tu sais quoi ? J’ai enfin trouvé un surnom pour ma machine. J’ai décidé de l’appeler Green.

- Euh… Green ? Pourquoi Green ? Demanda Leaf perturbée, elle avait du mal à rester sereine.

- Green Leaf : vert feuille, c’est un jeu de mot avec ton nom. C’est une sorte d’hommage, vu qu’elle fonctionne grâce à toi. »

Comme elle faisait une drôle de tête, digne d’un cradopaud, il crut à tort que c’était à cause de ce qu’il venait de lui annoncer.

« Ce n’est pas trop ridicule tu penses ? Pardon, j’aurais dû te consulter avant.

- Non… Non. Green c’est bien, répondit-elle perturbée.

- Ah cool. Content que ça te plaise alors ! » Chantonna Ciléo.

La jeune fille se mit à triturer ses doigts nerveusement. Les joues plus roses que deux baies pêchas, elle susurra :

« Ciléo, tu… Tu as une petite amie ? »

Il lui sourit avec son air béta, c’était son expression habituelle lorsqu’il abordait un sujet sur lequel il se savait particulièrement nul.

« Et non, toujours pas. Pour ça aussi je manque de concentration. Les femmes me trouvent généralement ennuyeux à mourir et j’ai posé un ou deux laporeilles en oubliant que j’avais rendez-vous… Je sais : c’est complètement nul et grossier de ma part. »

Leaf pinça les lèvres en regardant Ciléo rire tout seul comme un ahuri tout en rangeant son matériel.

« Est-ce que tu veux être mon petit copain ? » Lâcha-t-elle brusquement.

Ciléo quant à lui lâcha ses outils.

Ils heurtèrent le sol bruyamment, faisant sursauter granivol et dresser les oreilles d’évoli. Le son du métal et du plastique fracassant le carrelage résonna en écho dans le hall vide. Le visage de Ciléo restait figé dans son sourire benêt d’autodérision, du para-spore aurait été moins efficace pour le paralyser.

Leaf déglutit avec difficulté, ses pommettes passèrent par toutes les nuances de pourpre jusqu’à prendre une teinte colhomard. Le silence installé entre eux était un véritable supplice pour elle, chaque seconde lui paraissait durer une heure…

L’informaticien peinait à croire ce qu’il venait d’entendre. Dans un premier temps, il se dit qu’il avait mal compris, mais la phrase tournait en boucle sous son crâne, il n’y avait pas de doute à avoir. Ensuite, il se dit que Leaf devait lui faire une blague pour le taquiner, ou bien elle avait juste un petit moment de folie. Vu son expression, ce n’était pas le cas non plus.

Les pokémon de Ciléo regardaient alternativement les deux humains avec circonspection, eux non plus n’étaient pas certains d’avoir bien compris. Au bout d’un moment, Ciléo réalisa que c’était à lui de parler. Ça ne fit que le bloquer quelques secondes de plus. Avec un sourire crispé, il répondit à la jeune dresseuse. Inconsciemment, sa main se dirigea vers sa nuque. Toujours ce même tic.

« C’est-à-dire que… Je suis beaucoup plus âgé que toi.

- Ce n’est pas grave ça ! S’empressa de répondre Leaf.

- Si… Si quand même, tu es mineure.

- J’ai seize ans, dans deux ans je serai majeure. Ciléo, je suis amoureuse de toi depuis longtemps. Je ne te dis pas ça sur un coup de tête.

- Tu veux bien qu’on en reparle dans deux ans ? Je… Je suis mal à l’aise là. »

Leaf sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle fit volte-face et s’enfuit rapidement pour rejoindre le dortoir. Ciléo tendit le bras dans sa direction et bredouilla son nom, en vain. Il n’allait certainement pas lui courir après. Il aurait voulu la rassurer ou la consoler, mais il n’était pas en état de le faire. Désormais, il marchait sur des noeunoeufs avec elle, la programmation de leur relation était à revoir de fond en comble.

 

Dans sa chambre de plus en plus encombrée, Ciléo fixait le plafond allongé sur son lit. En rentrant chez ses parents, il avait essayé de se mettre à bricoler, mais pour la première fois de sa vie, la balance de sa concentration s’était penchée vers l’humain plutôt que vers les machines. Il n’arrivait pas à penser à autre chose qu’à la demande de Leaf.

Il l’aimait beaucoup et sincèrement. Elle l’avait aidé plusieurs fois, elle était son amie, mais c’était une fillette, alors son affection n’avait qu’une dimension platonique. Etre le petit ami de quelqu’une c’était aller plus loin, avoir des gestes familiers, poser ses mains sur le corps de l’autre, l’embrasser, sans parler du reste…

Ciléo rougit en y pensant. Il avait brandi l’argument de la différence d’âge parce qu’elle était mineure et qu’il savait que ce n’était pas moral, en plus d’être pénalement répréhensible. Mais la vérité c’est qu’il n’avait pas plus d’expérience amoureuse que Leaf malgré leurs neuf ans d’écart. Il en était parfaitement conscient.

S’il s’entendait si bien avec elle, c’est parce que psychologiquement ils avaient plus ou moins le même âge. Intellectuellement, Ciléo était précoce. De sa surdouance était née son amitié avec Léo, de quinze ans son ainé. Emotionnellement, il était en retard. A cause de ou grâce à ce retard, il se liait facilement aux dresseurs adolescents qui traversaient son archipel natal. Il était insouciant, rêveur et obsessionnel, en plus il vivait encore chez ses parents, principalement parce que c’était plus pratique. Il trouvait illogique de prendre un logement seul sur une petite île alors qu’il y avait suffisamment de place dans la maison familiale.

Il repensa au pendentif en rubis qu’il avait offert à Leaf quand elle était plus jeune. Il l’avait fait sans arrière-pensée à l’époque, il voulait juste faire plaisir à cette gamine courageuse qui l’avait aidé dans son projet. A la lumière de ses réflexions du jour, il se rendit compte qu’il n’avait jamais offert ce genre de cadeau à qui que ce soit d’autre et qu’il était ambigu. Il se trouvait idiot. Profondément et complètement idiot. Et encore, il ne se souvenait toujours pas qu’il avait offert le pendentif le jour de la Saint Valentin, ce qui faisait de lui un idiot puissance mille.

Il était minuit passé. Il se leva brutalement de son lit, son évoli ouvrit un œil vaseux pour le regarder se ruer vers son ordinateur. Il tapota frénétiquement sur le clavier, terminant sa cavalcade des doigts sur la touche entrée. Il avait intitulé son email : "ma réponse".

[Bonjour Leaf,

J’ai réfléchi à ce que tu m’as demandé. Je me répète : viens me voir dans deux ans, je te promets qu’on en parlera sérieusement. En attendant, j’espère que ton voyage se passe bien, fais attention à toi.

Ton ami, Ciléo.]

Statut : envoyé.

Le courriel était parti depuis un moment déjà, Ciléo continuait de fixer le texte affiché à l’écran. Son granivol, intrigué par l’attitude de son maître vint se poser sur son épaule.

« Grani ? »

Évoli n’avait pas la force de se lever, il était lové sur son coussin près du lit et tentait de retrouver le sommeil. Ciléo caressa le flanc de son pokémon plante.

« Tu sais Granivol, je suis très nul comme dresseur, mais je me dis que comme ami je suis encore plus nul. Dans le fond, je comprends peut-être mieux les pokémon que les humains… »

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