Ranger à Alola

Chapitre 11 : Paradis, Souvenirs.

2916 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 14/07/2023 17:53

Paradis, Souvenirs.


« Sharpedo est très agressif envers les Pokémon qui lui font concurrence sur son territoire, notamment les autres Sharpedo avec qui il se bat souvent. Les cicatrices sur son museau sont les témoignages de ses nombreuses bagarres, il n’hésite pas à attaquer des espèces bien plus grosses telles que des Wailmer. »

Pokédex d’Alola

 

L’air iodé de l’océan m’avait manqué. Depuis mon Arrivée à Alola, je n’avais eu l’occasion d’en profiter qu’une seule fois durant mon trajet pour accompagner Lilie au pied du Parc Wela. Après toute cette aventure sur ce maudit volcan, je me rappelais à quel point j’aimais cela.

Mes blessures avaient plutôt bien guéri et d'après l'infirmière qui me soignait au Paradis Æther, je semblais bientôt prêt à reprendre le cours de ma mission après deux semaines à végéter tel un Concombaff sur la plage. Mon épaule et mes côtes étaient parfois douloureuses et je peinais encore à bouger mon bras gauche correctement, mais rien d'insurmontable. On m'avait tout de même fait comprendre qu’étant toujours en convalescence, de nouvelles mésaventures pourraient très mal se terminer, peut-être encore pire que les dernières.

Je reçus quelques gouttes sur le visage portées par les embruns de la mer cristalline, et mon esprit voyageait jusqu'à Myokara à Hoenn, seul autre endroit où j'avais déjà vu pareil océan translucide. Je profitais de cette odeur iodée et pris une profonde inspiration.

Une douleur fulgurante me frappa le flanc gauche me rappelant ainsi qu'il n'était pas bon d'ignorer les mises en gardes sur ma santé.

Agacé de ma fragilité, je quittais la grande terrasse extérieure et me dirigeais vers la salle d'entraînement dont on m'avait laissé les clefs afin que j’en profite à volonté durant mon séjour. Ni les laborantins ni les éthologues, n’avaient l’habitude de l’utiliser, si bien que les équipements de luxe étaient encore neufs même six ans après.

 

J’avais appris trois choses après cette première grosse mission et ses conséquences.

 

Premièrement, la situation était plus dangereuse que ne le pensait Euphorbe et les Doyens. Si la Team Skull était bien à l’origine de tous les problèmes récents à Alola, alors ils avaient clairement gagné en ambition, en puissance et donc en dangerosité. Rien à avoir avec le groupe de racaille d’il y a quelques années qu’on m’avait décrit à mon arrivée. Pourtant de ce que j’avais pu voir, ils n’étaient qu’une bande de gamins...


Ensuite, mes blessures me l’avaient fait comprendre, je m’étais affaibli après toutes ces années tranquilles à Kanto. Une région bien trop industrialisée et trop peu sauvage pour un Ranger tel que moi. Où était donc passé mon adolescence d’aventurier à Hoenn ? Le moi fougueux qui s’était retrouvé impliqué avec les deux enfants dans le conflit des Titans Ancestraux ? Devoir affronter les colères de Kyogre et Groudon dans toute la région n’avait rien à voir avec affronter un petit volcan et quelques têtes brûlées.


Ce qui me menait directement au point numéro trois : je n’étais pas au niveau.

Je n’avais jamais eu la fibre de dresseur et j’avais toujours compté sur les Pokémon pour me sortir d’affaire, en particulier sur Libegon que j’avais vu éclore, qui était si forte et si bien entraînée… Je voyais désormais les limites de cette façon de penser, et si Moon ne m’avait pas sauvé par deux fois là-bas, j’aurais très bien pu y mourir. Je ne pouvais plus ne penser qu’à moi, j’avais désormais des responsabilités, des Pokémon à protéger. À commencer par cette petite Candine qui s’était entichée de moi, jusqu’au point de venir me sauver.

Il était temps que j’apprenne à me battre et les rudiments de la stratégie.

 

Avant ça, tant que j’étais ici, priorité à la rééducation et à améliorer mes réflexes.

J’ouvris la porte de la salle d’entraînement et j’admirai l’ardeur de l’effort de mes compagnons : chacun frappait avec ferveur dans son sac de sable pour augmenter ses "Effort Values" comme disait ce bon Mohn. Non pas que je sache exactement de quoi il s'agissait, mais il m’avait expliqué comment perfectionner les qualités de mes Pokémon au meilleur de leur potentiel, avec un sac différent pour optimiser chaque statistique. Alors, tandis que Mangriff se défoulait sur un sac mobilité, le vieux Torterra se remit juste à ce moment à taper doucement le sac puissance devant lui. Je commençai pour ma part les tractions, seul exercice qui m'était possible. Au bout de dix minutes, en nage, je quittai ma chemise, pris un verre d’eau et m’y remis.

C’est pour cela que je ne la vis pas arriver dans mon dos, jusqu’à ce qu’elle toussote pour indiquer sa présence.

Surpris de voir débarquer quelqu’un, je lâchai précipitamment la barre transversale pour trouver Lilie dans sa robe blanche habituelle et rougie jusqu’aux oreilles.

— Lilie ! Je ne t’avais pas entendu avec toute cette agitation, que me vaut ce plaisir ? lançais-je en attrapant ma chemise pour la renfiler.

Le regard de côté, au loin, elle commença :

— Hum… Mohn se demandait si le Wailord qui flotte derrière l’île était le tien, je lui ai confirmé et il m’a dit qu’un Sharpedo semblait l’importuner. Je suis donc venue te chercher tandis qu’il tente de le calmer.

Je me précipitai immédiatement dehors :

— Merci de m’avoir averti. Les deux sont mes Pokémon et Sharpedo a tendance à enquiquiner sa camarade. Je pensais que ça leur était passé, mais visiblement pas…

Je débarquai à l’arrière du Paradis là où le Soleil n’arrive jamais, caché par les grands bâtiments. À mes côtés Lilie ne s'était pas faite distancer.

Mohn m’aperçut de suite et me rejoignit.

— Salut Petit. On a du mal à calmer ce poisson teigneux, alors le plus simple serait que tu rappelles ton Wailord, pour éviter qu’il se fasse attaquer.

— Ne vous en faites pas, ce Sharpedo aussi est à moi, et les deux se connaissent bien. Wailord ne risque pas grand-chose, mais je pensais quand même qu’ils avaient fini par s’entendre récemment. Qu’importe…

Je pointais ma Filet-Ball au-dessus du bastingage, et j’appelai :

— Sharpedo ! Reviens canaille ! Toujours à faire des tiennes, hein ? Soit ! Tu ne sortiras plus jusqu’à ce que j’aie absolument besoin de toi.

Me tournant vers Mohn, je lui demandai pardon pour le désagrément, très gêné. Il balaya d’un geste mon embarras et abattit sa grosse main sur mon épaule.

— Ce n’est rien. Cependant tu devrais faire plus attention à l’entente entre tes Pokémon. À l’époque où je m’occupais de l’Ilot Biscoteaux, tu peux être sûr que je veillais au grain avec les précieux partenaires des dresseurs.

— Papa sait de quoi il parle Catherine, intervint Lilie, il a longtemps géré un ensemble d’îlots à l’écart de l’archipel qui sert de détente et d’entraînement pour les équipes des dresseurs de passage dans la région.

Je mis quelques secondes à traiter l’information avant de comprendre ce que j’avais raté :

— Papa ?! Vous êtes le père de Lilie ?!

Mohn avait été mon seul soutien depuis ma sortie de la clinique : il m’avait expliqué l’organisation du Paradis Æther, m’avait présenté la salle d’entraînement, comment utiliser les différents agrès, m’y avait même donné un accès illimité ; et puis il m’avait écouté parler de la mission sur le volcan, de mon enlèvement, et de toute cette brutalité… Et voilà que j’apprenais qu’il était le père de Lilie ? Pourquoi les gens ne me parlaient-ils jamais dans cette fichue région ?

— Tu ne le savais pas encore depuis le temps ? Je te pensais plus perspicace !

Mohn avait dit ça sur le ton de la plaisanterie mais ça ne me faisait pas tant rire.

— C’est vrai que notre relation est compliquée, reprit-il. Lilie et son frère n’ont pas eu beaucoup de chance depuis leur enfance d'autant que les dernières années ont été dures pour tous les aloliens mais on se relève toujours avec le sourire.

Père et fille prirent soudain un air grave. Le passé dans cette région semblait toujours plus présent pour ses habitants, incapables de parler au futur.

— Excusez-moi mais, pourriez-vous me raconter votre histoire s’il-vous-plaît ? J’ai l’impression que ça m’aiderait à mieux comprendre le nouveau visage d’Alola aujourd’hui.

Ils se regardèrent, échangeant un air entendu et Lilie me prit par le bras :

— Viens, allons dans un endroit plus agréable pour discuter. Il est temps que tu saches les évènements liés à ma famille et qui ont mené Alola jusqu’ici…

Lorsque nous fûmes revenus côté Nord, dans une partie plus tranquille et ensoleillée du complexe, Mohn commença son récit.

— Il y a une bonne trentaine d’années, lorsque nous nous sommes rencontrés avec Elsa-Mina, la mère de Lilie et Gladio, je venais de créer la fondation Æther et j’étais fasciné par les Ultra-Chimères. Ces Pokémon, pardon, ces créatures venues d’autres dimensions n’étaient encore mentionnées que dans quelques vieux et rares témoignages, passant pour des élucubrations ou des histoires fantaisistes. Nous sommes très vites tombés fous amoureux et comme moi, Elsa aimait beaucoup son travail ici. Les "UC", comme on les appelait souvent, la fascinaient totalement.

Il poussa un soupir et inspecta sa main gauche, caressant machinalement son annuaire, nu.

— Après nous être mariés, nous avons rapidement eu deux enfants. D’abord Gladio, qui est aujourd’hui le directeur officiel de la fondation, et qui est en ce moment auprès de sa mère à Kanto, sa région natale ; et puis deux ans plus tard a suivi Lilie que tu connais. Nous étions heureux seulement…

— Seulement alors que j’étais encore bébé mon père s’est fait happer par une Ultra-Brèche, une faille entre les dimensions qu’utilisent les UC pour voyager d’un monde à un autre, avait poursuivi Lilie.

J’écoutais attentivement, attendant de savoir le lien entre l’histoire de leur famille et celle de l’Alola moderne .

— À la suite de ça, Maman a complètement perdu pieds et est devenue totalement obsédée par ces créatures. Au point de vouloir nous y faire ressembler, mon frère et moi, jusque dans nos vêtements. Elle ne vivait plus que pour ces êtres, et nous a délaissés durant des années. Quand Gladio a quitté la maison pour rejoindre la team Skull, Maman avait déjà perverti la fondation pour réaliser son rêve : rejoindre une Ultra-Dimension, comme notre père. Voulait-elle le retrouver à tout prix ou bien assouvir son obsession envers ces choses, je n’en sais toujours rien. Cela dit entre temps, Papa était revenu dans notre monde sans que l'on sache comment mais amnésique il se contentait de s’occuper des îlots détentes pour Pokémon. C’est aussi à cette époque que Moon et les autres ont commencés leur tour des îles et que nous nous sommes rencontrées, je peux dire qu'elle m'a sauvée. Malgré nos efforts pour l’en empêcher, ma mère réussit à ouvrir plusieurs passages qui permirent à plusieurs Ultra-Chimères mais aussi à Necrozma d’envahir Alola. Tu as déjà entendu parler de la « crise des UC », n’est-ce pas ?

Je hochais la tête, acquiesçant silencieusement.

— Finalement grâce à l’aide des professeurs, et surtout grâce à Moon et aux Pokémon légendaires d’Alola, nous avons pu retrouver ma mère, puis refermer les passages. Les UC restantes sur les îles furent chassées ou attrapées peu après avec l’aide de tout le monde, notamment les dresseurs du Tour des Iles à l’époque, et mon frère et l’exceptionnelle Moon bien sûr. Tout ça juste quand Alola s’ouvrait enfin au monde…

— Elsa-Mina et Lilie sont partis à Kanto pour soigner ma femme, et avec tous ces événements la mémoire a fini par me revenir petit à petit. Depuis je me suis installé ici et j’aide mes enfants à gérer Æther et faire ce pour quoi je l’avais créée : protéger les Pokémon et surtout pour soigner ceux blessés par l’anthropisation de leur milieu. En bref, Elsa a traumatisé un bon nombre de gens à Alola et la peur des UC reste vive et douloureuse dans les mémoires.

— J’espère que tu comprends mieux notre histoire à présent. Le talent de Moon a été crucial dans tout ça, à ce moment elle est devenue une héroïne pour tous les habitants, et quelques mois plus tard elle était Maître d’Alola.

Je commençais à prendre pleinement l’importance de cet événement et celle de Moon dans l’histoire de l’archipel. Cela étant, je n’étais pas originaire d’Alola et je ne connaissais pas non plus ses habitants, il m’était donc difficile de comprendre et partager leurs peurs. De mon point de vue d’étranger, la population comme ses dirigeants devaient se tourner vers le futur maintenant que plus rien ne les reliait au passé ni aux UC.

— Lilie, tu ne devais pas aller t’occuper de Doudou ? C’est ce que tu m’as dit avant d’aller chercher Catherine.

La jeune fille sursauta brusquement, affolée comme si la mémoire lui revenait subitement.

— Doudou ! Comment ai-je pu l’oublier ?! Cath, tu veux venir avec moi ?

— C’est-à-dire… Mes propres Pokémon m’attendent à la salle d’entraînement.

Elle me prenait au dépourvu, passer encore une heure avec elle, en avais-je très envie ?

— Bien je vous laisse les jeunes, j’ai à faire. Amusez-vous bien. Lilie, repose-toi un peu. Tu te surmènes trop. Et fais attention à ne pas faire sortir Doudou, tu sais que c’est dangereux.

— Oui Papa, promis ! Bon Cath, on y va ? Il n’y en a pas pour longtemps, je te fais juste visiter rapidement, de toute façon j’ai une réunion juste après. Je tiens à te présenter Doudou, et avec tout ce qui arrive, le Défi au Maître, toi ton entraînement, je ne sais pas quand je pourrai le faire…

Elle m’avait agrippé la manche et m’entraîna à sa suite, visiblement je n’avais pas le choix de l’accompagner ou pas. J’espérais quand même que mes compagnons reprendraient sérieusement l’entraînement en m'attendant.

 

Après un dédale de portes, couloirs, escaliers ou ascenseurs censés nous mener aux « quartiers privés » de Doudou, je posais la question qui me taraudait depuis un moment :

— Quel genre de Pokémon est Doudou en fait ? Tu en parles comme d’une peluche, mais il a besoin de quartiers privés pour lui tout seul, c’est quoi un Ronflex ?

Elle s’arrêta finalement devant une porte menant à une serre immense à l’écart du reste du complexe.

Un large sourire tenta d’éclairer ses yeux ternes, Lilie répondit :

— Non. Doudou est un Solgaleo. Je lui ai aménagé cette serre pour qu’il puisse avoir son espace nature à lui.

Elle ouvrit la porte et nous rentrâmes.

Le toit de verre accentuait la lumière solaire à l’intérieur rendant le ciel impossible à regarder directement, aveuglant par sa sur-luminosité.

L’air naturellement chaud et humide à Alola étant brûlant à l’intérieur, sec. Quelques arbres bas et étendus étaient dispersés çà et là au milieu de la steppe aux herbes hautes et à la terre aride. Au milieu, une créature commença à se distinguer à travers les mirages d’air chaud émanant du sol.

Un Pokémon massif s’avançait à ma rencontre, bridant le pas surpuissant de ses quatre énormes pattes, des yeux pâles d’un esprit étincelant dans une crinière acier vinrent trouver les miens.

Mon âme fut transpercée. J’étais fasciné par ce museau couleur nuit, orné de huit pics séparant de larges touffes de fourrure blanche, telle une couronne.

Dans le rugissement surnaturel qu’il retint délicatement pour ne pas m’effrayer, je reconnus ce son métallique que j’avais déjà entendu une fois, chez sa contrepartie : Lunala. Un son commun, celui d’une Ultra-Chimère qui ne venait pas de notre monde.


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