Fer de Lance

Chapitre 11 : Un diable turquoise

2208 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 05/09/2017 22:52

Sandra était assise sur l'un des sièges du hall, le nez plongé dans une BD que son oncle lui avait achetée à la boutique de l'hôpital, lorsque celui-ci revint avec deux gobelets fumants. L'un d'eux contenait du café et l'autre, destinée à sa nièce, était rempli de chocolat chaud.

- C'est long ! protesta-t-elle.

- Ils n'ont descendu Peter au bloc que depuis vingt minutes, sois un peu patiente.

- S'ils tardent autant, c'est peut-être parce qu'il est mort et qu'ils ne veulent pas nous l'annoncer.

- Sandra ! Il y a des sujets avec lesquels il ne faut pas plaisanter. Tu serais la première à pleurer s'il devait arriver malheur à ton cousin.

- Pourquoi ? demanda-t-elle. Quelle différence ça ferait ? Je l'ai si peu vu ces derniers temps qu'il aurait tout aussi bien pu être enterré six pieds sous terre.

- Tu ne devrais pas en vouloir à Peter pour son absence. D'une part parce qu'il en souffre autant que toi et de l'autre parce que si tu avais été l'aînée, c'est toi qui serais partie la première pour Mauville.

- Non. Je serai restée à Ébènelle.

- Vraiment ? insista Nicolas. Alors que tu as toujours aspiré à devenir dresseuse ?

- De toute façon, ça n'a rien de comparable, répliqua la fillette en croisant les bras. Moi, je suis faite pour ça. Peter, lui... Il passe plus de temps dans les livres que sur un terrain, même quand c'est toi qui combats. Avec ça, je le vois plus devenir professeur pokémon que dresseur. En plus, il est aussi ennuyeux que le professeur Chen lorsque Papa regarde ses conférences à la télé.

- À t'entendre, j'ai l'impression que mon fils n'a que des défauts, et pourtant tu l'aimes quand même.

- C'est pas comme si j'avais le choix, grogna Sandra. C'est mon cousin.

Instinctivement, ses doigts se serrèrent autour de sa pierre fraîchement montée en collier, geste qui n'échappa pas à Nicolas. Personne n'était dupe de la colère de Sandra, qui masquait en réalité un amour tendre et sincère pour son cousin, mais cela ne l'empêchait pas de s'obstiner dans cette voie.

- J'avais raison, lâcha-t-elle au bout d'un moment. En fait, j'ai toujours raison.

- À quel sujet ?

- Que c'est le pire anniversaire de toute ma vie. Et tout ça à cause de Peter.

- Je crois aussi que c'est le pire jour de sa vie, déclara Nicolas. Tu aimerais être à sa place, dans un lit d'hôpital, avec une cheville cassée ?

- Il passe son temps assis à lire ou à dessiner, ce n'est pas comme s'il allait en souffrir. Il aurait plutôt dû se casser le poignet...

Les lèvres de Sandra s'étirèrent en un rictus tandis que ses yeux scintillaient d'une lueur mauvaise. Nicolas le remarqua aussitôt, car il s'empressa d'ordonner :

- N'y pense même pas !

- Pff... On ne peut jamais s'amuser, de toute façon.

- Si, mais il y a d'autres façons de le faire que torturer ton cousin qui, je te le rappelle, est également mon fils.

- Personne n'est parfait, Tonton, et tout le monde ne peut pas avoir la chance de mes parents.

- Étrangement, il est rare que je les envie... répliqua Nicolas si bas qu'elle ne put l'entendre.

***

Le visage de Peter s'illumina lorsque son père et sa cousine pénétrèrent dans sa chambre. Le docteur les avait informés que l'opération s'était bien passée, au grand dam de Sandra, après quoi ils étaient montés directement le voir.

- Dans quelques semaines, tu seras parfaitement remis, fiston, commenta Nicolas. Il faudra juste que tu te ménages un peu pendant les vacances.

- Comme c'est triste ! singea la fillette. Tu ne pourras plus escalader le Mont Cristal, ni jouer dans l'Antre du Dragon. Oups... En fait, tu ne faisais rien de tout ça.

- Non, mais quand je serai rétabli, je pourrai peut-être essayer de... de m'y mettre.

Peter avait dit cela sans entrain. En réalité, il n'avait aucune envie d'entrer dans la grotte où seuls les dresseurs émérites comme son père ou comme son oncle pouvaient s'aventurer sans craindre les pokémon sauvages, pas plus que de se lancer dans l'ascension d'un flanc de montagne, lui qui était sujet au vertige.

Ce qu'il voulait par-dessus tout, néanmoins, c'était faire plaisir à Sandra. Pour elle, il décrocherait la lune et les étoiles, même si d'une part il savait que c'était impossible, et de l'autre parce que cela ne suffirait pas à satisfaire sa cousine.

- Arrête de dire des bêtises et contente-toi de faire ce pour quoi tu es le moins mauvais, répliqua-t-elle.

Elle avait gardé les mains dans le dos jusqu'à présent et déposa sur les genoux de Peter une boîte de feutres, avec lequel il pourrait décorer son plâtre. Il lui adressa un sourire reconnaissant, couplé à ses remerciements, mais elle l'interrompit :

- Tut tut... Moi, je voulais te casser le poignet. C'est Tonton qui a eu cette idée. J'en reviens pas, quand même ! C'est mon anniversaire, et c'est à toi qu'on fait des cadeaux. En fait, j'aurais dû tomber dans les escaliers, moi aussi.

- Oh oui ! s'exclama Peter avec enthousiasme. On aurait pu partager la même chambre.

- Je ne suis pas folle à ce point, répliqua Sandra.

Nicolas garda le silence, mais le regard qu'il afficha indiquait clairement qu'il en doutait. Comment sa nièce, du haut de ses sept ans et quatre heures, pouvait-elle avoir de telles idées ? Ce n'était même pas de la folie, mais clairement un mélange de sado-masochisme.

Il secoua la tête, s'en voulant de nourrir de telles pensées. En dépit des caprices et des bêtises de sa nièce, il l'appréciait énormément et, dans le fond, il ne se l'imaginait pas autrement. Exubérante. Exaltée. Passionnée.

***

Peter se redressa, le dos endolori à force de rester plier vers l'avant, et contempla son ouvrage. Son plâtre, blanc et triste à sa sortie du bloc opératoire, était devenu majoritairement bleu. Grâce à son talent en dessin et malgré sa posture inconfortable, il avait réalisé un magnifique Draco. Ce choix n'était pas anodin, puisqu'il s'agissait du pokémon favori de Sandra.

- Qu'en penses-tu ? demanda-t-il à son père, assis dans l'unique fauteuil, une revue de dressage à la main.

- Très beau. Il va plaire à ta cousine.

- Elle me dira qu'il est laid.

- En effet, mais il lui plaira quand même.

Sandra avait demandé de la monnaie à son oncle pour descendre au distributeur acheter un paquet de bonbons. Ils avaient laissé Peter seul après qu'une infirmière lui eut porté son déjeuner et s'était eux-mêmes rendus à la cafétéria de l'hôpital, mais la nourriture y était si médiocre que la fillette n'avait presque pas touché à son assiette. Elle en avait naturellement rejeté la faute sur son cousin, sans la maladresse de qui elle serait en train de savourer les parts restantes de son gâteau d'anniversaire.

Soudain, on toqua à la porte. Supposant qu'il s'agissait probablement d'une infirmière ou du médecin lui-même, car Sandra serait entrée sans frapper, Nicolas invita la personne à entrer. Le panneau s'écarta pour dévoiler un aide-soignant à la haute stature, qui affichait un air affecté.

- M. Lance ? Je dois vous avertir que...

- Oh non ! C'est ma nièce, n'est-ce pas ? Que lui arrive-t-il ?

- Elle a fait une chute dans les escaliers. Le docteur est en train de l'examiner.

- Elle a fait... une chute... dans les escaliers ? répéta Nicolas. Peter, je crois que ta cousine veut ma mort, par moments. Où sont-ils ?

- Suivez-moi, je vais vous escorter jusqu'à la salle d'examen.

Le Champion adressa un regard d'excuse à son fils, qui le pressa de suivre l'aide-soignant d'un geste de la main. Tandis que Nicolas lui emboîtait le pas, il passa nerveusement une main dans ses cheveux. Cette enfant était décidément impossible.

***

- Comment ça, je n'ai rien ? aboya Sandra. Même pas une petite fracture ? Un traumatisme ? Un...

- Non, rassure-toi, tu es en pleine forme, certifia le médecin. Il faut croire que c'est de famille, chez vous, de trébucher dans les escaliers. Si tu veux mon avis, ton cousin et toi feriez mieux de prendre l'ascenseur.

- Oui, mais pourquoi lui s'est cassé la cheville, et pas moi ?

- Tout le monde n'a pas la même constitution. Peter est plus chétif que toi, et par conséquent plus fragile. Qui plus est, il m'a confié lui-même être peu sportif, ce qui ne semble pas être ton cas. Tu es donc logiquement plus solide que lui.

- Pff...

Pendant que Sandra grommelait une série de phrases inaudibles trahissant son mécontentement, l'aide-soignant introduisit Nicolas dans la pièce. Il fondit aussitôt sur sa nièce, tandis que le médecin la rassurait quant à son état de santé.

- Qu'est-ce qui t'a pris ? s'exclama-t-il. Tu aurais pu te blesser grièvement en agissant comme tu l'as fait.

- La preuve que non !

- Écoute, je comprends que tu veuilles rester avec ton cousin...

- Qui voudrais rester avec lui ? répliqua-t-elle.

- ... Mais tu ne dois pas faire n'importe quoi. Je ne plaisante pas, Sandra. En apparence, une telle chute n'a pas l'air méchante, mais il en faut parfois moins que ça pour provoquer la mort de quelqu'un. Tu n'as jamais été prudente, c'est un fait, mais ne tente pas Darkrai pour autant.

Le docteur, qui avait suivi l'échange entre l'oncle et la nièce d'une oreille attentive, attendit qu'ils aient terminé pour prendre la parole. Avec un sourire avenant, il déclara :

- Vous savez, M. Lance, je pense que même si miss Sandra semble aller pour le mieux, il vaudrait mieux la garder en observation pour la nuit. Juste au cas où...

***

- Si ta maladresse n'était pas contagieuse, je n'en serais pas là ! pesta la fillette.

Un second lit avait été installé dans la chambre de Peter, dans lequel elle dormirait. Pour l'heure, elle était installé dans le sien et piochait dans son plateau repas, car elle avait déjà terminé son propre dîner.

Son cousin ne disait rien, trop heureux de l'avoir auprès de lui. S'il avait su qu'un séjour à l'hôpital serait aussi agréable, il se serait probablement cassé la cheville bien plus tôt. Pour la première fois de sa vie, il éprouvait presque de la reconnaissance à l'égard de Kévin et de ses acolytes.

- Je te laisse les brocolis, mais je te préviens, je veux le cookie, exigea Sandra.

Elle s'apprêtait à lui rappeler, pour pas moins de la cinquantième fois depuis qu'elle se trouvait à Mauville, qu'il s'agissait de son anniversaire et qu'elle était par conséquent en droit de réclamer tout ce qu'elle désirait, mais ce ne fut pas utile. Peter lui tendit le gâteau aux pépites de chocolat sans rechigner.

- Tu cèdes trop vite, ce n'est même pas marrant. Il n'y a qu'avec moi que tu es comme ça, ou tu te laisses également marcher dessus par tous les élèves de l'École ? Franchement, ça ne me surprendrait pas.

Le regard de Peter se fit fuyant et il fut soulagé que Sandra, savourant son second cookie de la soirée, ne le remarque pas. Elle était perspicace et, surtout, elle le connaissait mieux que quiconque, assez pour viser juste. Il se garda cependant de lui donner raison. C'était si souvent le cas qu'une fois de moins ne ferait pas grande différence.

Tandis qu'ils regardaient tous les deux la télévision, après qu'une infirmière fut venue les débarrasser de leurs plateaux, désormais vide, Peter passa un bras autour de la taille de sa cousine. Elle le fusilla du regard, mais le repoussa pas. Au fond d'elle, elle était heureuse de cette étreinte.

- C'est long, un an à attendre... murmura-t-elle soudain.

Le garçon crut, tout d'abord, qu'elle faisait référence à la durée qui la séparait de son prochain anniversaire, avant de comprendre qu'elle parlait probablement du temps qui la séparait des vacances scolaires qui marqueraient leurs retrouvailles définitives. En mai prochain, Sandra aurait huit ans, et en septembre, elle intégrerait à son tour l'École des dresseurs, où ils seraient réunis.

- Ça en vaut vraiment la peine, cet établissement ? demanda-t-elle.

- Non, répondit Peter, sans la moindre hésitation. Mais dans un an, oui. Ça la vaudra.

Il lui adressa un sourire et, pour la première fois depuis qu'elle l'avait retrouvé, Sandra le lui rendit. Elle posa sa tête sur son épaule, avec le sentiment d'avoir comblé pour quelques heures le trou béant qui avait habité sa poitrine tout au long de l'année passée.

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