L'Arche du Péché

Chapitre 39 : Les noces barbares

10383 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 29/06/2022 18:42

Les noces barbares


Les gémissements plaintifs de son corps meurtri. Ce fut la première sensation dont Tekris eut conscience lorsqu’il se réveilla pour la première fois. Avant même d’ouvrir les yeux, le murmure moqueur qui bourdonna tout autour de lui était suffisant pour qu’il comprenne ne plus être avec ses coéquipiers. Avec Zair. Penser à la jeune fille lui fit l’effet d’un poinçon planté droit dans son cœur, plus atroce que les brûlures continuant de marteler sa chair à vif. Réaliser avoir quitté ce qui fut son foyer durant des années, lui qui s’attachait à de rares, mais puissants repères dans son existence, lui donna envie de pleurer.

Combien de temps s’était écoulé depuis qu’il ouvrit les paupières dans cet environnement étranger ?

Une lourde chaîne liait ses pieds et ses poings au-delà de toute mesure (ses geôliers, avertis de sa corpulence massive, exécutèrent leurs œuvres avec application), renforcées encore à chacune de ses tentatives d’évasion. Car l’adolescent ne se contenta pas de rester immobile, en attente d’un jugement infernal qui le condamnerait à coup sûr. D’abord en usant de la force brute – son meilleur essai, quand ses tortionnaires ignoraient l’étendue de sa puissance physique, mais qui ne lui permit que de progresser de quelques mètres. Puis en tentant de frapper Teos, qui se réjouissait de rendre visite à son prisonnier, parfois si proche de lui que c’en devenait frustrant à hurler. Mais le noir se montrait chaque fois bien trop rapide pour se prendre au jeu des provocations faciles que tenta de lui lancer le colosse. Pourtant, quand Zane employait sa langue à insulter ses adversaires, ceux-ci ne manquaient jamais de s’enflammer. À croire que lui ne détenait pas ce talent.

Rien ne lui servit davantage qu’à récolter une punition de plus en plus insupportable. Si les châtiments physiques n’étaient que très rarement ordonnées par Teos, décidément au centre de cette mascarade, sentir le poids de ses chaînes augmenter au fur et à mesure, lui offrant de moins en moins d’options de fuite et de plus en plus de raisons de désespérer, manquait le rendre enragé. Ajouté à cela son désir brûlant de retrouver ce qui était son foyer, la femme qu’il aimait, les incertitudes sur le sort de ses compagnons, il se trouvait forcé de s’accrocher à l’idée que eux, au moins, avaient pu s’échapper, pour ne pas finir complètement cinglé.

– Te voilà bien silencieux aujourd’hui, railla Teos.

Fatigué d’observer sa victime debout, le Daminien avait opté pour un fauteuil orné de riches gravures, une tête gigantesque d’arsank surplombant son propre crâne sur le dossier. Tekris n’apercevait que lui dans les ombres de sa cellule, mais il ne se laissait plus prendre à cette illusion. Voilés par les ténèbres, les ricanements résonnaient à intervalles réguliers, sortant de bouches qu’il ne pouvait distinguer, mais de moins en moins discrètes à mesure que les jours s’écoulaient. Les jours ? Impossible de donner une donnée précise du temps écoulé depuis sa capture. Dire qu’il riait innocemment quand, lors de leurs rares discussions calmes à trois, Zane affirmait que la perte de repère temporel était l’une des pires choses existantes. Il ferma les yeux, les avoir gardés ouverts aussi longtemps commençait à lui donner mal au crâne.

– Allons, un petit effort. Notre public risque de s’ennuyer si tu ne te débats pas.

Tekris mobilisa toute sa volonté pour ne pas desserrer les lèvres. Jusqu’ici, Teos n’avait jamais fait mention du peuple des ombres gravitant autour des deux hommes. Peut-être voulait-il le provoquer, attiser ses velléités de rébellion pour offrir un joli spectacle aux marionnettes que, certainement, il manipulait à l’aide d’un sourire, une menace ? Ou alors, l’avait-il trompé pendant toutes ces sessions humiliantes, et restaient-ils parfaitement seuls, face-à-face. Non, il avait lui-même entendu les chuchotements, senti le poids des regards sur son corps entravé, deviné des présences impies tourbillonnantes…

Impossible de douter que Teos appréciait de le voir réduit à l’impuissance, jusqu’à ce que l’inconscience ne vienne le réclamer, encore et encore. Enfin, il daigna ouvrir de nouveau les yeux, foudroyant son tortionnaire d’un air mauvais. Dès son arrivée en ces lieux, le masque oculaire divisant son visage en deux lui fut retiré, achevant de brouiller des contours que sa fièvre avait déjà commencé à troubler. Sans son dispositif, il lui fallut de nombreuses secondes pour comprendre que Teos se trouvait un peu plus proche qu’à l’accoutumé, vêtu d’un manteau qui, dans les couleurs fades qui ne permettait pas à l’adolescent d’y voir plus loin que la masse imposante du fauteuil. Par contre, il ne parvint guère, encore, à déterminer si le sombre de sa cellule était aussi imposant, ou s’il s’agissait d’un mauvais tour joué par sa vision exécrable.

Pas la peine de gaspiller sa salive. Bien sûr, la sécheresse de sa bouche expliquait aussi pourquoi il n’était pas enclin à répondre, mais il comptait également montrer tout son mépris pour le Daminien.

– Il semblerait que tu commences à apprendre ta leçon. Attends, non, tu n’as jamais fait preuve de bon sens. Ou même de capacité de réflexion. Juste bon à suivre les ordres. Et si j’exigeais que tu renies ton allégeance à ta stupide équipe pour me servir ? Obéiras-tu, mon petit cabot ?

Tekris était habitué aux provocations, qu’elles proviennent du Daminien ou des autres ennemis qu’il avait dû affronter dans sa vie. Venant d’un homme pour lequel il ne ressentait que dégoût, elles ne valaient rien. Peu importe à quel point ses mots pouvaient être vicieux ou blessants, cela ne sonnait que comme cloches vides à ses oreilles. Il avait déjà accepté sa défaite, de toute manière, entravé comme il l’était, essayé d’utiliser toutes les suggestions qui lui venaient à l’esprit sans résultat. Établir des plans n’était pas non plus son point fort. Il ne lui restait plus qu’à prendre son mal en patience, espérant une ouverture qui finirait bien par arriver.

Tout ce qu’il avait récolté, ce fut d’être entravé plus solidement, et de faire rentrer les chaînes dans sa chair plus profondément. À chaque fois, Teos n’esquissa pas le moindre geste – sauf quand Tekris tenta de le frapper au visage, ses jambes ayant juste assez de leste, à l’époque, pour lui donner envie de tenter. Aucun garde ne se trouvait jamais dans les parages. Du moins ne le voyait-il pas. Teos ne recula pas, regarda, sans perdre une miette du spectacle offert à son regard. Parfois, quand il se concentrait avec violence, le colosse distinguait un sourire triomphant, narquois. Oh, ce qu’il aurait donné pour l’effacer à coup de poings !

Mais jamais le Daminien ne parut inquiet de se trouver seul. Tekris se blessait très bien tout seul.

S’il avait cru que son dernier affrontement contre l’équipe ennemie, après la fuite des Radikor de la forteresse, fut douloureux et humiliant, il s’était fourvoyé. Même son épaule démise, suite à une frappe de Saïn, n’était rien comparé à cela. Son esprit lui soufflait qu’il devait accepter la défaite, il l’avait fait. Reconnaître que Zair ne serait plus là pendant un moment pour illuminer les inquiétudes de l’avenir, plus difficile encore, il y était pourtant parvenu. Tout comme il réussit à mettre entre parenthèses ses craintes vis-à-vis de Zane, baignant dans son sang après avoir vu sa jambe déchiquetée. Mais le sentiment d’impuissance absolue ne cessait de le tourmenter, autant que les liens qui l’enserraient.

Plus il luttait, plus son incompétence lui sautait au visage. Sans son X-Reader, il n’était rien. Zane pouvait créer des espèces de portails et déchaîner son énergie pour se libérer. Zair, utiliser ce qu’elle appelait les chemins. Et cela sans avoir recours aux petits appareils leur permettant d’accéder à leurs attaques kaïru. Mais lui ? L’émergence de son kaïru intérieur se résumait à une plus grande résistance aux coups, parfois la création de boucliers, bien souvent inutiles étant donné la puissance de frappe de leurs adversaires. Il savait ne jamais atteindre le niveau de ses coéquipiers, bien sûr. Cela arrivait partout : Zair et Zane étaient plus doués dans l’art du kaïru que lui, comme Maya et Ky étaient supérieurs à Boomer dans le domaine.

Mais Tekris, privé de sa force étonnante, ne valait rien de plus qu’une carcasse privée de vie. Il ne lui restait plus que ses mots pour se défendre, ô combien faible défense pour quelqu’un de peu bavard à l’origine.

– Tu es vraiment aussi faible que ça ? cracha-t-il, incapable de tenir davantage sans faire quelque chose, n’importe quoi. Tu nous tends un guet-apens, jette toutes tes forces dans la bataille, pour ne te contenter que de moi ? Avoue, tu es terrifié par mes coéquipiers, tu ne peux pas les soumettre à toi !

Un rire éraillé, cassant, s’échappa de sa gorge. Une seconde, il fut surpris, tant cette voix ne lui ressemblait guère. Le résultat de n’avoir pas bu depuis une éternité, sûrement. À quand datait son dernier verre d’eau ? Il se souvenait d’un seul passage de Teos accompagné du précieux liquide, daignant l’abreuver… en disposant une gamelle à demi-remplie devant son prisonnier, à même le sol. Oui, il aimait l’humilier.

– Pas trop dégoûté de n’être rien de plus qu’un ennemi perdu dans la masse ? Tu ne vaut pas plus qu’un Stax.

Un long moment s’écoula, sans que Tekris ne puisse observer l’effet de sa moquerie, les traits de Teos restaient brouillés, indistincts. Néanmoins, il vit clairement sa main se lever en direction des ombres, tête tournée vers quelque chose hors de son champ de vision. Enfin, le Daminien décroisa ses jambes, s’avança vers son prisonnier, sans lui intimer de rester à sa place ou se moquer de la pauvreté de ses insultes. Une alarme sonna sous le crâne de Tekris. Il était bien trop confiant, calme, lui qui ne supportait pas que son statut social, qu’il devait considérer comme unique, soit malmené. Il y avait quelque chose que Tekris ignorait à son sujet, c’était évident. Quelque chose qu’il n’aimerait pas, ça aussi il n’y avait pas de doutes.

– Quelle déception… Tu gardes confiance en tes… Tes quoi ? Supérieurs ? Maîtres ? Alors que Zane a fui en te laissant derrière. Mais ne t’inquiète pas, Père a des plans pour chacun de vous. À ses yeux, tu n’es pas aussi insignifiant qu’à ceux de tes coéquipiers.

Tekris le fixa sans comprendre, ne sachant quoi répliquer. Au moins, il avait appris que Teos n’était pas au sommet de la chaîne hiérarchique. Il ne croyait pas un mot sortant de la bouche du Daminien. Ce n’était qu’une manière de déguiser son échec pour faire croire à son prisonnier qu’il gardait toutes les cartes en main. Oui, comme lorsque Zane prétendit avoir tout prévu, quand Zair et lui lui avaient demandé des explications quant à la présence d’Ekayon.

– Tu nous a déjà donné beaucoup, petit chien, mais tu vas nous aider encore plus.

– Je ne vous ai jamais aidé ! rétorqua Tekris avec fureur, cette seule idée faisant bouillonner son sang. Plutôt crever !

Cette fois, il vit avec netteté le large sourire satisfait du Daminien. Le Radikor lutta contre lui-même, tendit une main mentale vers son énergie intérieure, encore, afin de l’atteindre. Comme il le fit des milliers de tentatives avant celle-là. Juste une petite étincelle de pouvoir, afin d’effacer cet air auto-suffisant un instant !

– Ce n’est pas exclu, mon gentil toutou. Mais pas tout de suite. Continue d’essayer de te battre avec tes pouvoirs, juste un peu.

Une douche glacée tomba sur le colosse à ces mots. Quoi ? En quoi son kaïru inutile, hors de portée, inutile, pouvait intéresser le Daminien ? Une manière de se moquer encore davantage de lui, rien de plus… ? Par réflexe, il tira sur ses chaînes, les tendit à craquer, comme si cela lui permettrait de se dégager. Il n’aboutit qu’à resserrer encore ses liens, rongeant sa chair là où elle avait déjà cédé auparavant. Penser au sang qui, s’il se fiait à ses sensations plus efficaces de sa vie, coulait de ses plaies par endroits, fit monter la nausée au creux de ses entrailles. Pas ça en plus de tout…

Teos éclata à son tour de rire, un rire cruel, brutal, crispant les muscles du colosse.

– Tu ne t’es jamais demandé pourquoi tu résistais mieux que tes amis aux manipulations mentales d’Adriel ? Pourquoi tu es parvenu à résister à son emprise… définitive ? Tu aurais du perdre ton libre-arbitre à jamais. Et finir contaminé par le kaïru de Thiers, à force d’encaisser nos attaques. Tu n’es pas censé l’avoir rencontré auparavant, et son effet sur des novices est…

Un frisson de plaisir parcourut la peau du Daminien, qui mordilla sa lèvre inférieure à ses souvenirs.

– Enfin, il aurait fallu demander son avis au solitaire. Sa blessure n’est sûrement pas encore guérie, en dépit de son ancienneté. Kaïru de Thiers. Insidieux. J’espère pour lui que sa constitution est solide, ou il pourrait bien devenir une bombe à retardement sans s’en rendre compte.

L’esprit de Tekris fonctionna à toute allure, alors qu’il assimilait tant bien que mal les dernières déclarations de Teos. Non, il ne s’était pas posé la question, mais ça ne voulait rien dire ! Lors de la première attaque de la forteresse, il s’était retrouvé possédé par la magie d’Adriel, alors parler de résistance apparaissant ridicule. Oui, mais s’il disait vrai, et que cette violation de son être aurait dû s’accompagner d’une zombification irréversible ? Il essaya de se rappeler ce moment où, privé de libre-arbitre, il s’en était pris aux personnes auxquelles il tenait le plus, tel un cauchemar éveillé sur lequel il n’avait aucune prise. Comme un film qui se déroulait au ralenti devant son œil mental, conscient de la réalité de sa situation mais, impuissant, encore, ayant choisi de repousser cette certitude pour se persuader qu’il ne s’agissait que d’un mauvais rêve. Jusqu’à son véritable réveil, enchaîné au pied du lit, surveillé par un Zane avide de punir son faux-pas à la moindre incartade.

Se pouvait-il que cette simple compréhension de ses actes sur le moment, même si transformée instinctivement en déni, était le signe d’un contrôle qu’il n’aurait pas dû avoir ? Quelle que puisse être la véritable réponse à ses doutes, aucun scénario ne finissait bien pour lui.

– Jusque-là, je n’avais pas eu l’occasion de t’observer de près. Mais à présent que je t’ai devant moi, tu vas tout nous donner… Tu seras notre test ultime, notre dernier essai avant que tout ne soit terminé !

Tekris voulut ouvrir la bouche pour l’injurier de plus belle – et tant pis si ce n’était guère naturel pour lui –, jurer sur tout ce qui faisait de lui le combattant kaïru que jamais il ne le laisserait atteindre ses objectifs, peu importe lesquels, il sut que cela ne servait à rien. Dans sa position actuelle, que pouvait-il opposer à un homme qui détenait tout pouvoir sur lui ? Pouvait-il juste l’empêcher de se servir de lui ?

Si seulement il ne s’était pas acharné à repousser tout ce qui lui rappelait sa possession, les dernières offensives des Daminiens, tout ce qui avait un rapport avec le kaïru de Thiers dès qu’il s’approchait trop de lui ! peut-être aurait-il pu dénicher la faille, la clé de sa résistance…

– J’ai à faire ailleurs, mon cher toutou, soupira Teos devant le silence de l’adolescent. Mais ne t’inquiète pas, je reviendrai bientôt te voir. Tu n’imagines pas à quel point tu m’es précieux… pour l’instant.


µµµ


Tekris attendit un instant après le départ de Teos avant de sombrer de nouveau dans l’inconscience. Ce n’était pas normal de se sentir aussi somnolent. Peu importe à quel point il se levait tard quand aucune mission ou entraînement n’étaient prévus durant la matinée, il savait posséder un excellent sommeil, réglé comme du papier à musique, et qui lui permettait de tenir toute la journée sans se sentir excessivement épuisé. Enfin, du moins en temps normal. Les effets d’une manipulation de Teos ? Difficile à dire.

Ses paupières papillonnèrent avec difficulté. Dommage, sa fatigue ne lui permettait pas pourtant d’oublier l’espace d’un instant où il se trouvait, quelle était sa position dans cet univers hostile. Devant lui, une écuelle de métal noirci par l’oxydation trônait. Sa soif tambourina contre les parois de sa gorge, achevant de le réveiller pour de bon. Mais pour pouvoir absorber le précieux breuvage, il lui fallait tirer au maximum sur les chaînes qui le reliaient au mur, brisant un peu plus son épaule en miettes, tordre le coup pour enfin parvenir à laper le fond aqueux. Se comporter exactement comme un animal.

Alors Tekris ne remua pas, détourna ses yeux clairs avec mépris. Si Teos avait besoin de lui en vie, il emploierait un autre moyen pour le faire boire. Hors de question de céder une seconde fois à cette humiliation. Son orgueil s’en était trouvé assez malmené pour qu’il réitère.

Un faible sourire éclaira son visage fatigué. Petit, alors qu’il venait seulement de rejoindre les Radikor, il avait souvent joué les appâts pour que ses coéquipiers puissent s’emparer de précieuses vivres. Le vol restait l’unique possibilité pour des enfants sans le sou de survivre. Et si Zane protestait avec vigueur de l’importance de son rôle dans la réussite de l’opération – après tout, c’était lui qui établissait, la plupart du temps, les plans qui leur offraient leur pitance quotidienne –, il n’avait jamais oublié de partager équitablement les rations dérobées. Plus que les reliques kaïru, d’ailleurs. Un jour, cependant, un fusil deux coups avait fait tourner court le vol d’un champ de patates. Les trois enfants avaient fui aussi vite que le leur permettaient leurs jambes, mais Tekris, qui ne possédait pas encore ses lunettes à l’époque, avait bêtement trébuché sur une faux abandonné dans un coin. Persuadé que c’en était fini pour lui, il n’avait pas compris d’abord que le coup de feu qui venait de trancher le silence alentour ne l’avait pas atteint. Relevant la tête, il avait juste eu le temps de distinguer Zane se prendre un violent coup de crosse au visage, après avoir dévié le tir destiné au garçon maigre d’alors. De cette altercation le vert en avait gardé un nez plus large, tordu à sa base.

Si Zane, sonné, s’était instantanément effondré parmi les rangs de patates, ce fut suffisant pour que Tekris se relève et assène un coup de poing magistral sur la tempe du fermier, leur assurant une fuite salvatrice. Par chance, tout ne se révéla pas négatif cette nuit-là : profitant de la confusion, Zair avait récupéré assez de tubercules pour qu’ils s’endorment le ventre plein. Sur le moment, la peur tordait encore trop ses entrailles pour qu’il se réjouisse de partager un nouveau repas, mais avec du recul, Tekris y repensa avec affection.

Mais Zane n’était pas là, et ne surgirait pas d’un recoin de sa cellule pour frapper Teos, ni Zair ne l’attendrait à l’extérieur, clé en main, prête à ouvrir le chemin vers la liberté. Pour la première fois de son existence, il était absolument seul. Pas de parfum délicat des filles de la maison close pour le border le soir, pas de râleries incessantes mais familières à la longue… Pas de sourire incertain, mais toujours présent quoi qu’il arrive, de Zair. Rien qui ne puisse le soulager, lui offrir une ancre à laquelle s’agripper de toutes ses forces, pour l’encourager à continuer de se battre ou l’inciter à jouer la carte de la sympathisation, selon l’humeur. Et qui le laisserait dubitatif, attendant avec patience que ses deux amis parviennent enfin à s’accorder, ne lui laissant que le soin de suivre le chemin finalement choisi.

À dire vrai, Tekris avait toujours eu besoin d’être guidé. Ou du moins, encadré. Prendre des décisions seul le remplissait d’angoisse, menaçait de le submerger alors qu’il restait pantois, hésitant sans cesse. Il préférait avoir l’approbation de quelqu’un afin de garder une corde de sécurité. Seules les situations d’extrême urgence l’incitaient à agir de lui-même, mais là encore, ce n’était que le résultat d’années d’entraînement, passées à développer des réflexes réutilisables. Autant dire que dans ce bourbier, aucun repère ne pouvait l’aider à choisir le comportement à adopter, maintenant qu’il était certain de ne pouvoir se libérer. Les dernières paroles de Teos avait marqué son esprit au fer rouge, mais il ignorait comment les interpréter, comment les retourner à son avantage, comment enrayer la progression du Daminien.

Il ne lui restait plus que ses souvenirs auxquels se raccrocher. Ça, Teos ne pourrait pas s’en emparer, ni les soumettre aux liens qui l’immobilisaient. Il en avait atrocement besoin pour rester à la surface.

– Tu me déçois, siffla la voix de Teos.

S’il ne comprit pas immédiatement la raison de ce changement, Tekris ne put qu’éprouver une immense satisfaction à entendre l’agacement contenu dans son souffle rocailleux.

– Je croyais que tu voulais rejoindre ton équipe ? Ce n’est pas en restant ici, à faire la sieste, que tu y parviendra. À croire que tu aimes ta niche, petit cabot.

Son ton prit un aspect presque impatient, comme un maître grondant un animal particulièrement réticent. Mécontent du manque de capacité du colosse à se révolter contre le pied qui le frappait, plongeant dans un sommeil sitôt que personne ne le stimulait plus.

C’était ça, réalisa le colosse. Il lui fallait davantage qu’un prisonnier calme et inerte. Teos voulait qu’il continue à tout mettre en œuvre pour s’échapper, peu importait que ses tentatives soient vouées à l’échec. Quel que soit son objectif final, Tekris ne lui avait pas encore offert tout ce qu’il désirait.

Dès qu’il le comprit, il étira ses lèvres, ne délivrant au Daminien qu’un rictus narquois. Il cessa de lutter, d’essayer de comprendre, accueillant avec reconnaissance les ténèbres qui s’infiltraient dans son esprit.


µµµ


La fois suivante, il regretta instantanément avoir déjà reprit conscience. S’il était parvenu à l’occulter jusque-là, son épaule grignotait avec voracité les limbes de sommeil bienfaisantes, le laissant dans un état ni tout à fait endormi, ni tout à fait conscient, un entre-deux au sein duquel il parvenait à produire de brèves réflexions, mais qui dès qu’il remuait la tête le faisant nager dans un brouillard cotonneux dont il ne pouvait se débarrasser. Ce qui ne l’aurait guère dérangé si cela ne l’empêchait de retourner dans l’inconscience.

Il n’avait jamais connu cette sensation autrefois. En plus de son impuissance désormais chronique, il se sentait si faible… S’il connaissait un sort capable de faire apparaître près de lui ses coéquipiers, sûrement l’aurait-il utilisé sur-le-champ. Quoique, cela serait d’une cruauté sans nom de leur infliger le sort qui était le sien. Allons, il n’était pas le premier prisonnier de l’histoire de l’univers, et certains subissaient sans aucun doute un traitement pire encore. Se plaindre ne mènerait à rien…

– Qu’est-ce que tu crois faire ? railla Teos quand le regard du colosse réussit enfin à se fixer sur sa silhouette.

– Qu’est-ce que toi tu me fais ? souffla simplement l’intéressé, grimaçant à la sensation de chaleur intense qui entourait son épaule.

Après tout, elle n’était peut-être pas démise, mais bel et bien cassée ? Un point positif quand même : ses poignets sanglants lui apparaissaient comme négligeables, comparés à cette vrille plantée dans sa chair.

– Va te faire foutre, ajouta-t-il sans attendre que l’autre reprenne la parole.

Sa voix sonnait comme rouillée, à peine audible. Le fait de n’avoir pas parlé depuis longtemps, couplé à l’absence de nourriture. L’espace d’un instant, il l’avait complètement oubliée celle-là. Il baissa le nez. L’écuelle demeurait à la même place, aussi pleine qu’auparavant si ce n’était qu’un peu de poussière avait du s’être accumulée.

– Ne fais pas l’enfant. Tu as soif, alors bois.

Tekris ferma de nouveau les paupières. Retourner dans l’inconscience, vite.

– Quoi que tu fasses, je t’utiliserai. J’extrairai de toi tout ce dont j’ai besoin, tôt ou tard. Tu prolonges juste ton agonie. N’en as-tu pas marre de souffrir ? Cette épaule doit être insupportable. Tu ne la vois pas, mais moi, je peux t’assurer que son angle n’est absolument pas naturel.

– Tu crois que juste en me promettant une mort rapide, tu vas pouvoir te servir d’une arme contre mes amis ?

Car cela seul pouvait être le but du Daminien. Toutes ses actions avaient été guidées par la destruction et la violence envers les Radikor. L’utilité de Tekris se résumait sûrement à lui permettre d’obtenir une arme plus puissante, ou quelque chose de similaire, dans le but de les vaincre. À moins qu’utiliser un otage pour pousser ses coéquipiers à se rendre soit un moyen accepté par Teos, mais il ne le pensait pas un instant.

– Quand Zane et Zair vont te retrouver, tu vas passer le pire moment de toute ta vie, souffla-t-il, retrouvant un semblant d’énergie. Ils sont beaucoup plus forts que toi, et tu n’imagines pas à quel point ils ont progressé. Tu ne pourras pas lutter, et cette fois, tu ne les auras pas par surprise.

La provocation risquait de lui coûter cher, mais au moins ne restait-il pas inerte tandis que le sommeil continuait de le fuir. Il prit une profonde inspiration, forçant ses muscles à se détendre autant que possible. Il ne devait pas essayer d’utiliser son énergie intérieure, surtout pas. C’était ce que voulait Teos.

Ce dernier ne parut pas aussi indigné que Tekris le souhaitait. Au contraire, le noir ne se départissait pas de son aura d’assurance. Voir son prisonnier aussi peu coopératif ne l’inquiétait guère outre-mesure. Peut-être la fatigue et les jours d’emprisonnement grillaient ses neurones, mais Tekris ne parvint pas à comprendre pourquoi.

– C’est vrai qu’ils ont fait des progrès. Et, au cas où tu l’ignorerais, seuls Saïn, Adriel, son arsank et moi pouvons quitter l’enceinte du Dôme. Si tu ne t’étais pas caché en permanence derrière tes coéquipiers – pardon, tes « amis »…

Teos ne put se retenir de ricaner, assis en tailleur dans son fauteuil. Alors, ils se trouvaient au Dôme ? Est-ce que les regards que Tekris ne cessait de sentir sur son corps enchaîné venaient de nobles ? De geôliers discrets ? Si encore ces regards existaient réellement…

– J’aurais accompli les objectifs de Père bien avant que vous ne puissiez subir l’assaut d’Adriel. Ni que Zane ne parvienne à t’abandonner en arrière.

Évoquer constamment Zane et Zair était autant une bénédiction qu’une malédiction. Cela lui rappelait que s’il se trouvait seul enchaîné, ils l’accompagnaient depuis le début dans la lutte contre les Daminiens. Et songer à la femme qu’il aimait, qui répondait à ses sentiments de son propre aveu, lui permettait de se saisir de quelque chose, de trouver une raison valable de continuer à résister passivement, malgré son tempérament d’homme d’action.

Cependant, l’incertitude accompagnait toujours ces chers souvenirs. Si Teos avait raison, et qu’au moment de leurs séparations en deux groupes, Zane avait engagé la création d’un portail, le choc d’une collision démente ne permit guère à Tekris de connaître le sort exact qui leur fut réservé après son évanouissement. Il avait déjà établi qu’il ne se situait plus sur Terre, et Teos n’avait pas fait mention de leur éventuelle présence dans les geôles. Aussi le colosse se trouvait presque persuadé qu’ils n’avaient pas été capturé comme lui. Mais cela ne suffisait pas à apaiser son esprit troublé.

Trop d’inconnues s’obstinaient dans l’équation. D’autant qu’Ekayon aussi pouvait avoir été confronté aux Daminiens. Il n’appréciait que très moyennement le solitaire, néanmoins ce serait mauvaise foi que de refuser d’admettre qu’il était une force de frappe non négligeable. Et puis il ne souhaitait pas non plus sa mort. Une chance que les connaissances amicales de Tekris soient aussi limitées, cela l’empêchait d’ajouter d’autres éléments potentiellement en danger.

Cependant il ignorait encore comment la bataille s’était terminée, et les choses tournaient mal lorsqu’il les avait quittés. Étaient-ils seulement sains et saufs ? L’écarlate sur les vêtements de Zane n’était-il que celui de ses ennemies ? La perte de conscience de Zair avait-elle empirée ? Elle aussi saignait…

Cocasse de s’inquiéter du sort de ses alliés, quand lui arrivait à peine à comprendre ce qui lui arrivait.

– Vous échouerez. Tous autant que vous êtes. Vous avez réussi à mener une rébellion sanglante il y a dix ans, et ça vous est monté à la tête. Vous vous casserez les dents. Tu finiras brisé.

Il ne parviendrait pas à arracher ses chaînes, mais il pouvait encore l’empêcher d’accéder à son pouvoir. Quitte à le repousser de toutes ses forces et ne plus profiter de ses effets bénéfiques sur son corps, telle qu’une régénération plus rapide. De toute manière, celle-ci ne se révélait guère efficace.

Teos dut comprendre son projet, car il le distingua se figer, son sourire s’affaissa alors qu’il le considérait avec plus d’attention.

– Tu crois être capable de me résister, conclut-il.

– Je sais que je peux y arriver.

Pour un peu, il devinait l’amusement qu’aurait montré Zane à sa place. Son chef d’équipe prendrait certainement tout cela pour un défi à relever, et s’il énervait Teos ce serait la cerise sur le gâteau. Et le vert savait se montrer des plus hargneux quand il s’agissait de gagner. Quant à Zair… eh bien, elle était tellement souple que plier les bras comme l’étaient ceux de Tekris ne valait pas la moitié de ses étirements, alors…

Teos se rapprocha, abandonnant la fausse amabilité pour une aura menaçante, plus conforme à ce que connaissait le Radikor. Pourtant, Tekris avait dépassé le stade où il avait peur de lui. Quoique, s’il sortait de nouveau son monstre kaïru… Sous cette forme, malgré tout, il ne le craignait pas. Bien qu’il soit réaliste, conscient que le Daminien pouvait le faire souffrir au-delà des mots s’il se laissait de son petit jeu, il conserverait sa confiance absolue en ses compagnons. De leur côté ils se battraient jusqu’au bout. Il se devait de se montrer au moins à la hauteur de leur opiniâtreté.

L’autre se rapprocha tant qu’il put apercevoir ses iris argentés et froids, étincelant d’irritation alors qu’il le scrutait avec une attention nouvelle. Comme ça, le public ne regretterait pas de s’être déplacé.

– Je me demande… ce qui te rend si bête. Habituellement, ça ne me gêne pas de voir mes ennemis se bercer d’illusions, mais ton ânerie frôle la crétinerie totale, pauvre petite chose.

Tekris ne répondit rien, lui dédiant un regard noir. Sûrement pas aussi impactant qu’il ne l’eût souhaité, mais cela suffirait pour le moment.

– Pourquoi refuses-tu d’évoluer, t’enfermer dans des chimères qui t’empêchent de prendre ton envol ?

– Pour le coup, ce n’est pas ça qui me bloque, railla le colosse.

Il accompagna ses paroles d’un léger mouvement du menton, en direction de ses chaînes.

– Tu es attaché à tes bourreaux, c’est ça, pas vrai ? Tu adores qu’ils te frottent derrière les oreilles une fois que tu as accompli leurs basses besognes.

Teos venait de frapper juste, Tekris en avait conscience. Mais en même temps, il se trompait. D’accord, durant des années le colosse s’était demandé quelle importance revêtait sa présence au sein de l’équipe. Il ne se leurrait pas non plus, Zane et Zair a s’étaient déjà servis de sa force pour obtenir ce qu’ils convoitaient, et le premier ne voulait, ni ne pouvait, s’empêcher de tout faire pour s’assurer qu’il obéisse sans chercher à discuter sa position. Néanmoins, il n’était pas juste l’esclave de deux caractères contradictoires.

Penser à eux lui donnait une force incroyable, qui maintenait sa tête hors de l’eau. Ceux qui l’avaient recueilli sans poser davantage qu’une exclamation surprise, son chef d’équipe toujours de mauvaise effort, mais qui s’efforçait d’assouplir son caractère quand il mettait ses ambitions de côté, qui ne l’avait finalement jamais laissé à son sort. Et sa Zair, sa si forte et entêtée coéquipière qui lui avait montré, d’abord inconsciemment puis de vive voix, que l’amour n’était pas juste une fable pour enfants, destinée à s’achever douloureusement. Ils étaient son monde, les fondations d’une vie qu’ils avaient du conquérir à la force de leurs poignets. Malgré les difficultés, ils revenaient sans cesse tous les trois. Ça avait toujours été eux trois contre le reste de l’Univers. Cela faisait si longtemps qu’ils arpentaient le même chemin ensemble, côte à côte, et maintenant côte à côte avec Zair.

Sa capture, son éloignement des siens ne changeait rien. S’il parvenait à s’extirper du gouffre, d’une manière ou d’une autre, il était persuadé que sa famille l’attendrait au bord, une main tendue vers lui pour l’aider à remonter. Il lui suffisait juste de s’en sortir, revenir vers eux.

– Est-ce que tu t’attends à ce qu’ils viennent à ton secours ? susurra Teos, s’éloignant de son prisonnier pour se rasseoir sur son fauteuil, un doigt passé sur les ornements de l’accoudoir.

Tekris força sa respiration à continuer sa course habituelle. Il ne devait surtout pas dévoiler ses espoirs à ce sadique joueur. Tout comme il ne fallait pas qu’il se repose uniquement sur cette possibilité. Le colosse avait certes tout de la demoiselle en détresse, aussi désagréable cette situation dusse-t-elle être insupportable, néanmoins il devait garder son esprit fort aussi longtemps qu’il serait nécessaire. Teos finirait bien par se lasser de son inutilité, et le jetterait au fin fond de quelconque geôle putride. À partir de là, dénicher un moyen de contacter les siens serait plus aisé, voir pour s’échapper. Si les Radikor se pointaient avant, ce serait idéal, mais il ne pouvait pas compter toujours sur les autres, subissant sa captivité en priant que quelqu’un l’aide. Il ne pouvait rien faire pour le moment, seulement il lui suffisait d’attendre une ouverture. Elle viendrait, comme chaque fois qu’il s’était trouvé, lui ou les autres, dans une mélasse insondable.

Teos laissa s’écouler un instant de silence, la tête penchée sur la tempe, comme s’il somnolait. Le Daminien parut se souvenir de l’existence de Tekris, se releva avec grâce pour se planter devant lui. Encore. Il ne parla pas tout de suite, l’observant calmement, en dépit de la crispation de ses traits. Luisait d’une satisfaction mauvaise, comme s’il savourait une friandise particulièrement goûteuse, qu’il devinait répugnante pour le reste de l’Univers.

– Ma pauvre petite chose insensée… murmura-t-il, glissant l’index sous le menton de Tekris pour qu’il puisse profiter de sa réaction. Ils sont morts, tous les deux.

La respiration de Tekris se bloqua dans sa poitrine, sans qu’il ne fasse aucun autre mouvement. Il ne savait pas comment réagir à cela, non, les mots tourbillonnaient sous son crâne sans qu’il ne parvienne à les prendre au sérieux. Cela ne ressemblait pas à quelque chose qu’auraient pu faire Zane et Zair. Mourir, quelle idée saugrenue ! Non, ça ne collait pas avec le caractère de ses coéquipiers, il n’avait jamais seulement envisagé que ce serait possible…

Satisfait, Teos laissa retomber sa tête, claqua comme sans y penser la gamelle d’eau du bout de sa botte. Tekris le fixa, fouilla le moindre tic nerveux à la recherche d’une trace qui contredirait son affirmation.

– Tu mens, lâcha-t-il, doucement.

Sa voix lui parut étrangement faible, prête à s’évanouir au premier souffle.

Teos lui rit au visage, ramassant l’écuelle pour la renverser, la posa sur les cheveux sales de l’adolescent.

– Tu ne te trompais pas, en vrai, admit-il plaisamment. Ils sont venus pour toi, il y a quelques jours. Pour essayer de te sauver. Sans vaisseau lourdement armé pour espérer nous perturber. Dire que je croyais qu’ils connaissaient un peu notre culture.

L’air circula de nouveau dans les poumons du colosse, filet de lave immatérielle dévastant sa poitrine à mesure de sa progression. Ses liens se tendirent alors que ses poings se refermaient autour, rongeant encore davantage sa chair meurtrie.

– Tu mens comme tu respires ! répéta-t-il, avec plus de conviction cette fois.

Alors que ses sens se déployaient pour entrer en contact avec son kaïru intérieur, tout pourvu que ce sourire ravi s’efface du visage sombre, Tekris réalisa que, ce qui lui était encore inconnu un mois auparavant, il haïssait de tout son être le Daminien. Pas un simple mépris, ou une détestation logique entre ennemis, non. Une haine pure, profonde, qui fourrageait ses entrailles, avide de frapper, de cogner, d’employer toutes ses forces non plus à se libérer, mais à réduire à néant l’ignoble créature qui lui faisait face.

– Je ne me suis même pas déplacé. Adriel est partie avec son arsank – tu serais surpris de leurs capacités de régénération. Les moteurs ont complété son dîner, et la totalité du vaisseau a explosé. Eux avec. À la réflexion, ils pensaient peut-être que sa petite taille serait suffisante pour passer inaperçus.

– Tu mens ! continua Tekris, parce qu’il fallait que ce soit un mensonge.

Si son amour, la femme de sa vie, avait péri, il l’aurait senti au plus profond de son cœur ! C’était toujours comme ça, dans les histoires qu’il avait pu entendre ! Leurs sentiments étaient trop forts, trop vrais, pour qu’elle ait disparu sans que lui ne le sache avec certitude.

Hilare, Teos ne put continuer avant un long moment, inspirant et expirant par à-coups pour retrouver son sérieux.

– C’était tellement ironique ! Les braves petits Radikor qui, lorsqu’ils abandonnent leur égocentrisme habituel, décident d’aller chercher leur petit toutou, sont détruits par leur propre stupidité. Ça ne valait même pas la peine que je me déplace.

Le Daminien se tourna franchement vers le combattant. Son sourire cruel était revenu, brillant dans les ténèbres de sa vue de taupe avec plus d’éclat que les pierres luxueuses ornant ses habits.

– Ils ont été une épine dans le pied de Père trop longtemps. Il était temps qu’on en finisse. Et j’avoue que j’ai adoré assister à leur agonie.

– Tu mens ! hurla Tekris, jetant son corps en avant, les muscles crispés dans l’espoir de gagner quelques centimètres supplémentaires, son énergie intérieure brûlant au creux de son ventre, trop loin pour qu’il puisse s’en emparer encore.

L’adolescent s’effondra sur le sol en gémissant, un hurlement fleurissant sur ses lèvres gercées. Incrédule, il ne comprit pas tout de suite pourquoi il se trouvait affaissé, comme suspendu au-dessus du sol métallique, le corps en sueur et agité de tremblements. Lorsqu’il tenta de bouger ses bras, la réponse lui apparut : son épaule n’avait pas supporté sa faible tentative d’évasion, ployant son enveloppe physique à s’agenouiller devant l’absence totale de soin. Se retenir de dégobiller le vide de son estomac fut une épreuve presque insurmontable.

Les chaînes qui le retenaient luisirent d’un vif éclat grisâtre, devenant un instant visibles même pour l’adolescent. Il vit qu’il se trouvait dans une cellule bien plus grande qu’il ne l’aurait d’abord cru, dénuée de tout mobilier. Excepté les lourdes portes aussi outrageusement sculptées que le fauteuil de Teos, un dénuement extrême marquait les lieux. Il ne put déterminer si un public demeurait bien quelque part au sein de cette alvéole métallique, la lueur perdant rapidement de son intensité.

Il abandonna son observation, continua de fixer Teos. Celui-ci ne lui accordait plus la moindre importance. Il regardait avec une extase rare les liens qui le contraignaient. Le Daminien paraissait si satisfait, si fier de lui que Tekris serra plus fort encore les poings. Il devait surprendre un signe, un détail, qui lui indiquait que les paroles n’étaient que du fiel, une provocation qui avait fonctionné, mais fausse de bout en bout.

L’adolescent ne se relâcha pas, même lorsque la douleur fut intolérable, sur le point de le faire vaciller dans l’inconscience. L’envie de faire souffrir Teos, de le mutiler, qu’il implore sa clémence, rugit dans sa poitrine.

– Voile-toi la face autant que tu le veux, pour ce que ça m’importe, finit par lâcher Teos, haussant les épaules. Mais tu sais déjà que personne ne viendra pour toi. Tu le sens au plus profond de toi, dans ton âme même. Peu importe, n’est-ce pas ? Tu es habitué à l’abandon, déjà avec ton père.

Tekris se rua de nouveau en avant, la lueur de ses chaînes recouvrant tout son champ de vision. Le contrecoup de son corps épuisé fut plus violent encore, sans qu’il ne franchisse davantage que la première fois. Il lutta, encore un peu, avant que tout ne devienne trop dur à supporter. Il perdit connaissance, ne cessant de murmurer que tout ça n’était qu’un mensonge, que c’était impossible qu’une once de parole soit véridique, ne sachant plus s’il appelait l’inconscience de ses vœux, ou désirait la repousser.


µµµ


Tekris refusa de prononcer le moindre mot à partir de cette révélation. De toute façon, à présent que rien ne pouvait plus l’écarter, la douleur réveillée de ses membres maltraités vrillait sa langue, l’empêchait d’aligner plus de quelques mots sans se perdre dans un brouillard infranchissable. Pourtant, par moments, il essayait encore de formuler une pensée cohérente, fouillait les bribes de mémoire qui daignaient s’approcher pour s’accrocher à quelque chose qui lui permettrait de conserver sa raison. Même la pensée du sang, séché ou qui coulait à intervalles réguliers sur sa peau nue, ne lui provoquait plus de hoquet dégoûté.

Après son instant de révolte, il se sentait juste… apathique. Son esprit refusait d’accepter que ce fusse vrai, refusait de s’éveiller davantage pour qu’il puisse réfléchir, se souvenir, de son dernier échange avec Teos.

Un mensonge. Ce n’était que cela. Voilà ce à quoi il s’agrippait, désespéré, quitte à tourner en rond.

Quelque chose d’autre le titillait par moments, quand il parvenait à s’extirper du magma d’émotions qui gravitait autour de lui. Il ne réussissait pas à mettre le doigt dessus, mais cela l’avait frappé quand ses chaînes s’étaient illuminées. Une évidence qui continuait à le fuir, mais pourtant bien là.

Puisque l’inconscience avait décidé de le fuir pour un moment, en dépit de son état d’épuisement, l’adolescent décida de se concentrer sur ce détail qui lui échappait. Ça, et les étranges déclarations du Daminien sur sa capacité à ne pas finir transformé en légume. Qu’est-ce que cela pouvait vouloir dire ? Tekris se savait plus résistant que la normale, bien sûr, mais c’était le lot de tous les combattants kaïru : manipuler la précieuse énergie apportait son lot de contrariété, et d’avantages. Une constitution physique capable de résister à une projection contre la roche en étant l’un des principaux.

Cependant, l’adolescent eut beau essayer de se concentrer sur ce que cachait Teos, il ne parvenait pas à trouver. Peut-être son esprit se trouvait trop fatigué pour penser clairement, mais il ne pouvait juste pas.

Cela ne pouvait pas être vrai. Ses coéquipiers n’avaient pas péri aussi stupidement, pas en essayant de le libérer lui. Il ne cessait de se le répéter encore et encore, véritable mantra destiné à conserver la maigre lueur d’espoir palpitant au creux de sa poitrine – dusse-t-elle se réduire en peau de chagrin au fil des jours. Et puis, Zane n’aurait pas pris le risque de charger comme un taureau fou juste pour récupérer le colosse.

Tekris grimaça douloureusement, pas seulement à cause de la douleur lancinante de ses chairs. Si, c’était exactement le genre de comportement que le chef des Radikor pourrait adopter, sans prendre le temps de considérer toutes les options. Enflammé comme il l’était, son caractère ne l’aurait certes pas arrêté. Peut-être Zair ? Est-ce que son amour pour lui était assez fort pour se précipiter tête baissée contre les défenses de Teos ? Par pitié, faites que ce ne soit pas le cas, ou les mensonges de ce dernier revêtait un aspect ô combien plis crédible… Si seulement il possédait les moyens de s’assurer de la véracité, ou non, des paroles du Daminien ! Mais la vérité était qu’il n’en était tout simplement pas capable…

– Tu n’es qu’un déchet, grinça Teos, poings crispés sur son accoudoir. Si faible, si ridicule, alors que tu vas me céder, comme tous les autres avant toi.

– Si je t’emmerde tellement, tu n’as qu’à me tuer, rétorqua sèchement Tekris.

Une option qu’il savait que Teos refuserait. Une fois, celui-ci était entré dans sa cellule, furieux de constater que la gamelle d’eau qu’il lui avait laissé était demeurée intacte. Ce fut la seule fois où le Daminien appela Saïn, plus que ravie de constater en personne la déchéance de l’un de ses ennemis. À deux, ils l’avaient maintenu contre le mur glacé, le forçant à boire tout ce qu’il ne pouvait pas recracher dans une ruade brutale.

Mais à aucun moment il ne l’avait brutalisé plus que nécessaire. En bon sadique, Teos s’arrangeait toujours pour qu’il souffre autant que possible, mais sans mettre sa vie en danger.

– Parce que tu crois que je vais te laisser filer entre mes doigts aussi facilement ? Oh non, pour qui a brisé les Tabous, rien n’est assez doux comme punition. Estime-toi chanceux que Père t’ai trouvé une utilité, sinon tu serais en train de te convulser dans tes propres entrailles.

Le colosse retint un soupir désabusé, fermant lentement ses paupières afin de préserver un peu ses yeux fragiles. Autant de temps passé sans protection oculaire ne fatiguait pas seulement son esprit, au point qu’une migraine diffusait sa litanie lancinante en permanence à présent. Ses iris commençaient à le brûler, comme titillés par la pointe d’un couteau. Les recouvrir de la seule protection naturelle dont il disposait était l’unique moyen de les apaiser vaguement.

– Tu échoueras, de toute façon, murmura Tekris. Si ce ne sont pas les Radikor, le Redakaï et leurs gentils soldats de plombs ne te laisseront pas t’emparer de leur précieuse planète.

– Mais je me fiche bien de ces créatures humaines. Tout comme Père.

– Peu importe. Tu ne gagneras pas.

– Du déni ? J’aurais du m’en douter. Tu n’es pas prêt à abandonner ? Ou il te reste encore un peu de ce ridicule espoir ?

Tekris laissa échapper un rire rauque de sa gorge trop sèche. Peut-être regrettait-il un peu son entêtement à ne pas laper l’écuelle, à la réflexion. Mais il refusait de n’être qu’un vulgaire quadrupède, se pliant aux moindres volontés du Daminien. Non, il le détestait bien trop pour se plier à ses humiliations plus longtemps.

Dans un effort qui mobilisa toutes ses forces, l’adolescent releva le menton, plantant ses prunelles dans celles de son geôlier. Intrigué, ce dernier inclina la tête sur le côté, soudain plus attentif. Sûrement croyait-il que Tekris allait enfin se montrer plus véhément. Voir céder à la tentation de lui écraser son petit sourire suffisant sur le sol de la cellule. Mais y avait-il, oui ou non, des spectateurs tapis dans les ombres ?!

– Toi et ton équipe de cinglés, vous allez perdre ! (Il passa la langue sur ses lèvres gercées, dans une inutile tentative de les humidifier.) Vous n’êtes pas les seuls conquérants avides de domination. La compétition sera rude, et vous ne faites pas le poids…

Il s’interrompit, plié en deux par une quinte de toux qui lui donna l’impression que l’on raclait l’intérieur de ses poumons à la serpe. Pourtant, ce ne fut pas cette sensation nouvelle qui le fit retenir ses expectorations, mais le fou rire sincère de Teos, le seul qui ne contenait pas plus de moquerie ou de mépris que celui qui habitait naturellement le jeune homme.

– Mon pauvre petit… Tu penses à Lokar, je suppose ? sourit l’autre, quand il put enfin reprendre sa respiration.

Le manque total de conviction de Teos intrigua son prisonnier, tout juste capable de se redresser, usant de mille précautions pour ne pas peser sur son épaule blessée. Il se montrait beaucoup trop sûr de lui… Enfin, encore plus que d’habitude. Pas exactement, il y avait comme… une espèce de pitié compatissante dans son ton. Une association aussi improbable que d’imaginer Zane en train de servir un thé au chef des Stax.

Pourquoi ce subit changement dans son comportement ? Il n’avait pas hésité une seconde avant de proposer le nom de Lokar, mais quel était le rapport ? Ce n’était peut-être que son cerveau qui surinterprétait la moindre de ses paroles… Si son équipe connaissait les Radikor avant de venir s’en prendre à eux sur Terre, elle s’était probablement déjà renseignée sur leur entourage. Et il était de notoriété publique que Lokar fut leur Maître, jusqu’à l’explosion de son repaire…

Enfin, il comprit ce qui le chiffonnait tant, à l’exception des desseins de Teos. Ses liens ne se trouvaient pas construits dans le même matériau que le reste de la cellule. Au contraire, alors que la structure presque souple par endroits, lorsque le colosse se laissait reposer contre elle, épuisé, l’avait perturbé par son originalité, il connaissait très bien cet aspect vieilli, parcouru de minuscules lignes gravées par moments. Et pour cause, il les avait manipulé pendant des mois, tentant de comprendre son fonctionnement, parfois ponctué de réussites, souvent accompagné d’échecs, tandis qu’il tentait de réparer le réseau de la forteresse. Ce matériau, c’était celui qu’employait Lokar pour faire circuler l’énergie kaïru dans tout son repaire, pour alimenter les lumières, les radiateurs, bref, ce que Zane lui ordonnait de remettre en état correct depuis des mois.

Non seulement son chef d’équipe avait raison, et leur ancien Maître était encore vivant, mais en plus de cela il les avait vendu aux Daminiens. Aucune autre explication, pas avec toutes ces coïncidences, n’était plausible.

Alors que son esprit intégrait difficilement cette réalité, Teos cessa sa nonchalance forcée, quittant d’un bond son trône luxueux. Du pas souple d’un serpent – qu’il avait du copier de Saïn, songea le colosse –, il se retrouva devant lui, si près que leurs nez se touchaient presque. Une lueur mauvaise luisit au fond des iris clairs, une flamme à peine contenue. Une alarme résonna sous le crâne de Tekris, malgré la situation catastrophique dans laquelle il se trouvait.

– Tu te crois intelligent ? Tu t’imagines que tu vas m’empêcher d’aller jusqu’au bout en me résistant ?! Je trouverai une autre façon de te faire souffrir, tellement que tu n’auras plus que le goût de ton sang et de tes propres cris sur ta langue. Je réussirai à extraire la moindre parcelle d’énergie qui parcourt tes veines, quitte à la récolter par la force, là où il te suffirait d’utiliser ton kaïru intérieur pour cesser d’avoir mal.

Sournoisement, le Daminien tendit la main vers l’épaule gonflée de son prisonnier, appuya de toutes ses forces dessus, guettant les réactions du colosse. Tout son corps de tendit sous la douleur, une saveur âcre envahissant son palais alors que Tekris réalisait qu’il venait de se mordre la joue pour ne pas hurler. Nauséeux, il se plia en deux – enfin, autant que ses chaînes le lui permettait –, tenta de maîtriser le tournoiement de sa cellule à l’aide de profondes inspirations. Un réflexe qui parut grandement satisfaire Teos, qui ne relâcha pas pour autant la pression.

– Ce n’est qu’une question de temps, et j’en ai plus qu’il ne m’en faut, susurra le Daminien à l’oreille du colosse. Car tu demeureras ici aussi longtemps que je le désire. Jusqu’à la fin des temps s’il le faut, et si je le décide. Ici, tu n’as aucun allié, mon petit clébard, et tous sont à mon service.

– Vu que tu es quasiment le seul que j’ai vu, ce n’est pas très impressionnant, marmonna Tekris.

La gifle qui suivit fut si violente qu’il crut, l’espace d’un instant, avoir perdu de nouveau connaissance. La poigne de Teos sur son cou le corrigea rapidement, alors qu’il comprit que pas un instant son geôlier n’avait cessé de l’invectiver.

– Si jamais tu penses que tu as une chance, même minuscule, de t’échapper de mon domaine, je réduirai tes espoirs en cendres. J’ai détruit tes plus proches camarades, plus personne ne viendra te chercher. Quand bien même si c’était le cas, je détruirai tous ceux qui viendraient à ta rescousse. Je te forcerai à regarder leur lente agonie… Et si jamais tu avisais essayer de fuir par tes propres moyens, je te donnerai une leçon que tu n’es pas près d’oublier ! Nous verrons bien si tu pourras rester aussi entêté.

Tekris reprit une profonde inspiration quand la main de Teos lâcha enfin sa trachée. Les insultes qu’il lui lançait n’avaient aucune valeur, non. Il mentait comme il respirait pour parvenir à ses fins. Oui, ce n’était que ça, un mensonge, il fallait que ça en soit un !

L’image de Zair, courbée sur le sol de la forteresse alors qu’elle lui dévoilait ses secrets les plus enfouis, s’imposa à son œil mental. Sa si forte Radikor, bien trop décidée à se frayer un chemin dans cet Univers pour son propre bien… Il savait pertinemment ne pas être à sa cheville, mais il avait espéré, l’espace d’un instant, pouvoir se tenir à ses côtés pour la protéger des attaques en traître. Même si, à bien y réfléchir, elle endossait plus souvent ce rôle que lui. Bien qu’éloignée physiquement, elle restait proche de son cœur, de ses sentiments, dans cet endroit si profond, intime, qu’il tenait hors de portée de tout agresseur.

Que Zane lui pardonne, il désirait avant tout se montrer digne de celle qui lui avait accordé une chance.

– Ce que je veux et ce que je souhaite n’a que peu de valeur, souffla-t-il doucement. Même morte, elle ne voudrait pas que j’abandonne.

C’était une certitude absolue. Zair se battait contre l’adversité sans jamais laisser tomber, luttant avec lui en dépit de sa possession par Adriel. Dès son arrivée dans le trio, elle l’avait poussé à se dépasser, amené dans ses derniers retranchements quand il se sentait sur le point d’abandonner, toujours la première avant que Zane ne se retourne à son tour, si besoin. Cela dusse-t-il être la dernière chose qu’il ferait, il se montrerait digne de son amour et de sa confiance.

– Alors je n’échouerai pas.

Teos, son père, Adriel ou Lokar – pourquoi pas, après tout – pouvaient bien inventer de nouveaux stratagèmes pour pomper son énergie. Il se débrouillerait pour dénicher une autre manière de leur résister. Quitte à jouer à ce jeu « jusqu’à la fin des temps », comme l’avait juré Teos, il refusait de perdre le seul acte de rébellion et de loyauté amoureuse dont il disposait.

Teos dut comprendre la teneur générale de ses décisions, car la colère revint sur ses traits, les déformant en une grimace que Tekris devina hideuse – mais cela non plus n’avait pas d’importance, il ne distinguait plus rien d’autre que de vagues contours.

Pourtant, le Daminien ne pipa mot. Son expression parut changer, sa respiration légèrement relâchée alors qu’il paraissait considérer Tekris sous un angle inattendu.

Le colosse aurait adoré achever son serment par une réplique cinglante, comme il en entendit des milliers sortir de la bouche de Zane, mais il se sentait vidé de toute son énergie, à peine capable de remuer les muscles de son dos pour tenter de trouver une position un peu plus acceptable.

– Intéressant, finit par déclarer Teos, le ton étrangement pensif. Tu te raccroches à tes souvenirs pour ne pas tomber. Un long endoctrinement dans lequel mon peuple est le méchant de l’histoire, sûrement.

Le Daminien recula de quelques pas, sans pour autant se rasseoir. Ses lèvres bougèrent, émettant un sifflement sec, désagréable. La lourde porte cloisonnant ce qui était l’environnement du Radikor s’entrouvrit lourdement, laissant passer un petit cortège d’individus dont il ne vit rien de plus qu’un amas de formes et de couleurs. La lumière jaillit brutalement dans la pièce, le forçant à détourner la tête, aveuglé par des journées passées dans un noir crépusculaire.

– Alors il est temps que tu rencontres Père – loué éternellement soit son Nom. Et que tu oublies tout de tes chers coéquipiers.


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Bonjour, ou bonsoir ! J’espère que ce chapitre vous a plu, et à bientôt pour la suite !


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