Aesragen

Chapitre 20 : Ce n'est qu'un au revoir (deuxième partie)

9296 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/08/2020 20:39

Ce n’est qu’au au revoir (deuxième partie)


D’un coup sec, Illian ramena la lanière de son fouet vers lui, bandant ses muscles à l’extrême.

Forcé de s’arc-bouter pour ne pas tomber, Zane imprima une force égale de son côté, l’onyx de ses yeux scintillant de colère tandis qu’il résistait. Maladroitement, Marc retrouva miraculeusement l’usage de ses jambes, frottant vigoureusement ses côtes alors qu’il se dirigeait vers les deux hommes.

Trouver un angle d’attaque, tenter d’aborder Illian sur l’arrière, pour l’empêcher de le mettre au tapis

Nouveau claquement fendant l’air. Le second poignet de l’extraterrestre se retrouva enserré à son tour. Dans la paume du capitaine de Koz luisait, moqueuse, une autre poignée. Sans interrompre son mouvement, le quadragénaire colla les deux poignées d’argent l’une contre l’autre, les lanières, collées l’une contre l’autre, se fondant, ne formant plus qu’un seul lien se divisant à son extrémité pour retenir les deux poignets de l’extraterrestre.

Alors qu’il s’élançait sur le flanc droit, Marc manqua s’étrangler de dépit en remarquant qu’un troisième manche était glissé dans sa ceinture.

– Le Code d’Honneur stipule qu’il est interdit de prendre le X-Reader de son adversaire, siffla le vert, tentant d’utiliser ses mains pour les libérer mutuellement de leurs entraves.

– Parce que vous connaissez le Code maintenant ? ricana Illian, sa chevelure poivre et sel contrastant avec la puissance qu’il usait pour garder le jeune homme dans ses filets. Ah oui, j’oubliais votre capacité à jouer sur les mots et les imprécisions de ce traité pour vous en tirer !

– Je ne triche jamais mieux qu’en obéissant aux règles, va falloir vous y faire ! siffla Zane, un grognement de rage lui échappant devant un nouvel échec.

Prenant de la vitesse, Marc s’apprêta à courir vers les adversaires, quitte à abandonner les sacs si précieusement laissés à sa garde, désormais à moins de deux pas l’un de l’autre. Peu importe qu’il ne sache pas quoi faire au juste, impossible de rester planté là sans rien tenter !

Selon Zane, sa petite taille descendait son centre de gravité, aussi ses jambes restaient son meilleur atout pour frapper. S’il bondissait maintenant, il avait une chance de frapper Illian au visage.

– Ézéchiel, maintenant ! cria le capitaine au même moment, ne manquant pas une miette des gestes du garçon.

Rebond de l’acier sur le métal inconnu tapissant l’ensemble de la forteresse. Roulade sur le sol, visant directement le duo, bien trop rapidement pour être honnête.

Les iris noisette de l’ex-collégien eurent terriblement envie de se tourner, chercher l’objet à l’origine de ce bruit si clair, et si menaçant. Savoir, tout simplement, attirés par le cri du capitaine.

Son corps pivota sur ses hanches, plongea en arrière, à moitié sur le flanc dans le mouvement qu’au final, il ne maîtrisait qu’imparfaitement. Pourtant, il n’oublia pas les conseils prodigués par Zane, ne résistant pas mais au contraire accompagnant sa chute volontaire pour ne pas se blesser. Quand il sentit sa pirouette sur le point de s’achever, sa main se colla au sol, stoppant son corps sans douleur. Enfin, c’était l’idée ; dommage que son poignet, mal placé en dépit des répétitions inlassables du chef des Radikors, ne manqua se tordre.

Il avait beau s’appliquer, exécuter les techniques martiales avec une conviction alimentée par le désir de ne plus être un poids, les choses différaient radicalement entre combattre bien à l’abri des quatre murs de l’entraînement, et dans l’urgence d’un combat. Pas au point que le garçon ait l’impression de perdre tous ses moyens (ça, après avoir subi pléthore de mise en situation, ses réflexes demeuraient. Surtout quand un Zane, en plein milieu d’une séance de corps à corps, ne se mette à laisser libre cours à ses coups, déstabilisant son jeune élève habitué à voir les entraînements adaptés à son niveau).

Mais pas si loin non plus.

Une poignée de petites boules, turquoise, se précipitèrent vers Zane, ne pouvant bouger car toujours aux prises avec Illian. Des accessoires que Marc se souvenait avoir déjà vu, prisonnier de Koz avec Zair. Plongé dans une espèce de brouillard cotonneux provoqué par sa rencontre prématurée avec sa première attaque kaïru à ce moment, il se souvenait tout de même du jeu de l’homme les gardant, les faisant rebondir au creux de sa paume.

Au dernier moment, le capitaine du prince sauta en arrière, laissant son seul adversaire au centre d’un cercle irrégulier formé par les boules. Zane comprit le piège, réagit au quart de tour, voulut bondir hors du guet-apens… se retrouva déséquilibré quand le fouet d’Illian frappa son flanc, laissant une déchirure sur le vêtement du jeune homme sans pour autant répandre le sang. Le capitaine savait doser sa force.

Les appareils s’ouvrirent, des liens semblables à la lanière de l’arme du quadragénaire en jaillissant. À peine le temps de cligner des paupières pour l’ex-collégien, un filet jaunâtre emprisonna le chef des Radikors, sa solidité renforcée par la souplesse de la matière, refusant de céder sous les coups furieux du vert.

Se débusquant de l’arrière du socle central de la pièce, où il s’était lentement laissé oublier, Ézéchiel tourna le bouton fixé à sa ceinture. Le piège se resserra plus encore, épousant les formes du corps de l’irascible extraterrestre, coupant net ses tentatives de se libérer. Perdant ses appuis, ce dernier ne put se rattraper, bras plaqués le long du corps, heurtant lourdement le sol dans un glapissement surpris. Pour autant, fort peu décidé à se laisser si facilement capturer, il se mit à ruer contre les liens l’entravant, tordant les mains dans l’espoir de saisir son X-Reader, tombé durant sa propre chute, à quelques dizaines de centimètres de lui.

Illian, le visage de marbre, s’avançait. D’une pression sur l’un des boutons de la poignée de ses fouets, les lanières se détachèrent, maintenues par le capitaine pour qu’elles ne tombent pas au sol. Formant deux cordes, idéales pour réduire définitivement à l’impuissance sa cible.

Aussi rapidement qu’il le put, Marc se releva, courant vers le X-Reader du chef des Radikors, à quelques pas de lui. S’il parvenait à s’en saisir, éviter les attaques d’Illian, sûrement pourrait-il s’approcher assez près pour confier le petit appareil à son propriétaire.

Un violent choc secoua les murs, le métal sous ses pieds tremblant dangereusement. Une attaque rouge, devina-t-il. Pour l’instant, Zair et Tekris semblaient réussir à contenir les Stax et Koz hors de portée du second duo, mais pour combien de temps ? Et le reste des hommes du prince, qui savait où ils se terraient ? Dès que l’ardeur du combat diminuerait, ceux ne gardant pas les issues pourraient enfin s’approcher, entrant à leur tour dans la danse. Chassant ces indésirables pensées, l’ex-collégien sauta pour gagner quelques mètres, tendit la main vers l’X-Reader, dangereusement proche du bord de la passerelle sur laquelle ils se trouvaient…

Obnubilé par le désir d’aider Zane à se tirer de ce mauvais pas. Sans prêter attention aux alentours, juste quelques petites secondes de relâchement, les premières depuis le début de la bataille.

Ce fut suffisant pour permettre à Ézéchiel de franchir, en quelques enjambées saccadées, la distance le séparant du garçon. Épaule en avant, visant le dos.

Emporté par son élan, il heurta l’autre, bien avant qu’il ne puisse refermer sa prise sur l’X-Reader. Entraînés, les deux hommes roulèrent, roulèrent, le paysage se transformant en une palette de couleurs tourbillonnantes. Ils s’immobilisèrent enfin, plus proche encore du bord, deux hommes luttant pour se remettre debout, sentant qu’à cela tenait sans doute l’issue de leur face-à-face.

La force de l’impact coupa le souffle de Marc. Étourdi, peinant à se souvenir comment respirer, il n’eut que le réflexe de croiser les bras devant soi, quand une tache sombre obscurcit soudainement sa vision. De justesse ; le poing du soldat roux frappa ses avant-bras, propageant une onde de douleur le long de ses membres. Qui disparut bien plus rapidement que le garçon ne l’aurait cru, son corps endurci par les frappes répétées de ses entraînements.

Reconnaissant qu’au moins ses réflexes continuaient de fonctionner, il tenta péniblement de remettre son cerveau en marche, censurant tant bien que mal de censurer la vague de panique montant alors que l’air continuait de parvenir erratiquement à ses poumons.

La manie de son corps à se tétaniser, et à son cerveau de cesser de fonctionner en situation exigeant une réaction prompte figurait parmi les reproches les plus régulièrement asséné par Zane, durant la formation physique de l’ex-collégien. D’après lui, avec sa fichue manie, ce seraient ses réflexes qui feraient la différence entre la défaite et la victoire, aussi répétait-il encore et encore les mêmes mouvements… jusqu’à ce que le jeune homme décide de changer brusquement d’angle d’attaque. Cependant, Marc ne cessait de rétorquer que cela ne lui servirait à rien, car une fois perdu le contrôle du corps-à-corps, ce n’était pas sa taille maigrichonne qui l’aiderait à reprendre le dessus.

En somme, s’il se trouvait en difficulté, impossible pour lui de gagner.

Une réflexion que Zair, goguenarde, avait ironiquement approuvée, déclenchant ricanements dans les rangs des Radikors. Et une flopée de provocations de la part de Zane, bien décidé à « endurcir la chair molle de petit garçon, histoire de ne pas avoir envie d’y croquer quand le gamin l’énervait prodigieusement ».

Enlaçant de ses jambes la taille du garçon, le soldat roux s’assit à califourchon sur son ventre, lui coupant toute possibilité de se relever. Dans sa main droite, légèrement tremblante, une corde plasma, qu’il semblait bien décidé à passer autour des poignets du châtain. Une alternative ne plaisait guère au principal intéressé.

Empoignant le poignet gauche du jeune soldat avant qu’il n’ait pu s’en servir pour dégainer le pistolet encore dans le holster, Marc profita de sa surprise pour crocheter ses doigts dans la corde de plasma, tirant aussi fortement qu’il put vers lui, mimant la technique d’Illian avec son fouet, quoique de manière moins… impressionnante. Enfin, il n’avait guère le temps de soigner ses entrées, comme les Radikors.

Comme il l’espérait, Ézéchiel imprima le mouvement contraire, cherchant à ramener son arme dans sa propre prise. Tentant de profiter de sa hauteur, il bascula, si furtivement, son dos en arrière. Souleva son bassin de quelques millimètres, relâchant sa prise sur la taille du garçon.

Suffisamment pour que Marc, retrouvant par miracle l’usage de respirer, pivote sèchement sur le côté. Déséquilibré, le roux laissa échapper un cri étranglé, posa sa jambe pour rétablir son équilibre.

Juste ce qu’il fallut pour lui permettre de dégager la sienne. Plaquer son pied contre le ventre du soldat.

Une fraction de seconde, durant laquelle leurs regards se croisèrent, aussi affolés l’un que l’autre, comprenant également son erreur pour le gris, un dépit profond se répandant sur son visage.

Lâchant le poignet et la corde, Marc poussa avec l’énergie du désespoir la chair souple sous son pied.

Un choc assez puissant pour que son adversaire ne s’écrase presque trois mètres plus loin, un lourd gémissement s’échappant de ses lèvres. Se redressant, enfin debout, l’ex-collégien n’attendit pas qu’il se remette, reprenant sa course vers le X-Reader de Zane.

Quelque chose capta presque inconsciemment son attention, alors qu’il cherchait encore à repérer l’endroit où il venait d’atterrir suite à l’empoignade. Miraculeusement, alors que son cerveau cherchait à comprendre de quoi il pouvait bien s’agir, ses muscles réagirent au quart de tour, ses réflexes prenant le dessus.

Sans essayer d’identifier plus précisément son origine, poussé par la peur de finir à son tour dans les filets de Koz, il plongea sur le dos, glissant sur l’espèce de métal de la forteresse. Frôlant ses mèches folles, quatre boules turquoise continuèrent leur course, provoquant de forts peu élégants jurons de la part de leurs propriétaires. Une voix qu’il ne connaissait pas encore, ou plutôt n’était pas censée se trouver ici.

Mais en poussant sur ses reins pour profiter de son élan et revenir en station debout (mauvaise idée, du moins à son niveau, grinça son dos, traversé d’une douleur ne présageant rien de bon), balayant les environs, Marc ne trouva aucune trace du X-Reader du chef des Radikors.

La peur, sourde, comprimée en lui au prix de puissants efforts, manqua se déverser en lui pour de bon. Avait-il mal calculé la position du petit appareil ?! Il était pourtant sûr de le trouver à peu près là ! Mais alors pourquoi ne faisait-il face qu’au gris-noir de la passerelle ?! Et comment allait-il le retrouver, maintenant ?

– Stupide talsi ! Derrière toi, dépêche ! BOUGE !

Même en plein rêve, Marc reconnaîtrait cette voix cassante, éraillée quand elle montait dans les aigus. Aussi obéit-il sur-le-champ. Reconnaissant furtivement le soldat appelé, durant sa brève captivité, Eliau par le prince, il sauta sur le côté, évitant la crosse de l’arme fonçant vers sa tête. Deux endroits, selon Zane, provoquaient particulièrement une douleur intolérable. Le bas-ventre pour les hommes, et le genou pour les deux sexes. Le soldat revint à la charge, parvint à empoigner son biceps, lui imprima un mouvement de rotation pour une clé de bras dans les règles. Cria de douleur quand la plante du garçon frappa avec force sa rotule, suivit d’un coup de coude dans ses parties intimes.

S’effondrant sur le sol, il libéra Marc de sa prise. Quittant immédiatement la place où il se tenait auparavant, il s’arrêta un peu plus loin, essoufflé, cherchant Zane, où qu’il se trouve.

Au bord d’une autres des passerelles, le chef des Radikors était entouré de deux soldats, que Marc ne parvenait à distinguer dans la vivacité du combat. Empoignant le jeune homme par les bras au moment où le filet l’emprisonnant disparaissait, l’un ne se méfia pas suffisamment. Trop penché en avant pour son propre bien, son nez explosa sous le talon de Zane, soulevant son corps juste ce qu’il fallut pour le cueillir, lui arrachant un cri de douleur. Malheureusement, ce ne fut pas suffisant, le second s’empressant de saisir ses jambes pour l’empêcher de nuire encore, le sang coulant des narines de son compagnon guère suffisant pour qu’il ne continue pas de plaquer ses épaules au sol. Faisant tout son possible pour ne pas laisser ses globes oculaires à portée des doigts de l’irascible extraterrestre. Incongrûment, Marc se demanda s’il s’agissait là d’un réflexe acquis par une expérience personnelle.

Stimulé par les imprécations rageuses du jeune homme, l’ex-collégien se précipita pour l’aider.

Voulu se précipiter. Bien plus vive qu’Ézéchiel quelques minutes auparavant, une silhouette mince, sans une once de graisse, se précipita sur sa rétine. Frappa du plat de la main sa tempe. Un seul coup, d’une précision remarquable alors qu’il se trouvait distrait par les trois hommes un peu plus loin.

Vacillant sur ses jambes, Marc sut que le choc était destiné à lui faire perdre connaissance. Dans son film de super-héros préféré, le protagoniste aurait tremblé une poignée de seconde, avant de relever la tête, déterminé à faire payer l’affront, une traînée de sang le long de son front mais prêt à en découdre.

Gémissant, rendu confus par le coup, Marc tomba à genoux, plaquant la main contre sa tempe. Rester conscient relevait déjà du domaine de la volonté pure et dure, alors continuer à se battre…

Il réussit néanmoins à relever le regard, incapable de se détacher de la poignée du fouet d’Illian. X-Reader de Zane dans sa poigne droite, le capitaine de Koz parut sincèrement regretter devoir infliger pareil traitement à un garçon à peine sorti de l’enfance. Mais le garçon lut également la loyauté presque incroyable dans ses iris ; rien ne l’empêcherait non plus d’exécuter les ordres de son seigneur. Pas même les tentatives de provocation du chef des Radikors, résonnant en sourdine derrière eux.

Fermement maintenu par deux autres soldats du prince (Killian et Giacomo, maintenant Marc se souvenait bien des noms aboyés par leur chef durant son bref séjour dans son camp), l’un se frottant énergiquement la cuisse tandis que l’autre maintenait tant bien que mal un morceau de tissu devant son nez duquel jaillissait de petites rigoles sanglantes, mains liées devant son ventre, Zane observait avec inquiétude la scène se déroulant sous ses yeux, la colère de l’impuissance, et de la défaite imminente, faisant étinceler l’onyx de son regard.

Pour autant, Marc devina qu’il ne le pensait pas capable de remporter la bataille. Et l’ex-collégien lui donnait entièrement raison. Si Ézéchiel, en dépit de son métier, gardait une certaine maladresse dans ses gestes, le quadragénaire en face de lui respirait l’assurance, sa garde, impeccable, trahissant un certain savoir-faire. Seuls ses scrupules à se saisir d’un gamin à terre faisait qu’il ne l’avait pas encore neutralisé.

Mais cela ne l’empêcha pas de ranger la poignée de son fouet, dégainant à la place son pistolet. Le pointant avec une grimace errante sur le garçon. Serrant les lèvres à les blanchir dans l’espoir de retenir les larmes s’amassant, Marc pria pour que Zair et Tekris, incapable de détourner les yeux du canon de l’arme pour les apercevoir, s’en sortent mieux qu’eux.

– Où avez-vous caché le Gant de Lokar ? fit soudainement le capitaine de Koz, continuant de le tenir en joue.

Ce n’était pas à lui qu’il s’adressait, mais à Zane. Hautain, celui-ci foudroya du regard ses geôliers, comme si un regard pouvait les pousser à lâcher leur prise. Ou comme si le conserver prisonnier relevait de la plus haute trahison, et de l’insubordination la plus insupportable.

Dans un sens, tant mieux. Marc n’avait aucune idée de ce que pouvait bien être ce truc.

– Et n’oubliez pas que je ne suis pas un combattant. Le Code d’Honneur ne m’affecte pas.

– Donc vous êtes prêt à tirer sur un enfant désarmé, railla Zane. Vous remontez dans mon estime, capitaine. Mieux, vous faites même de gros efforts !

– Le Gant de Lokar ! Où se trouve cette invention du Mal !?

– Parce que vous croyez vraiment que je vais vous répondre ?! Là, c’est davantage de la stupidité…

Seul la crispation des doigts sur son arme trahit l’irritation du capitaine. Ou peut-être d’autres signes renseignaient Zane sur son état d’esprit, invisibles aux yeux de Marc, vu le sourire narquois qui étira ses lèvres. L’irascible extraterrestre, à son goût, se complaisait un peu trop dans la provocation.

– Ne jouez pas avec moi. Vous avez perdu, c’est évident, alors n’aggravez pas votre cas.

– Pour ça, il faudrait retourner quelques mois en arrière. Et même, je ferais les mêmes choix.

– Ne soyez pas si stupide ! Vous vous prétendez chef d’une équipe, et vous ne veillez pas seulement à leur éviter le danger ! explosa le capitaine. N’avez-vous aucun scrupule ? Vous dépassez peut-être notre prince dans la puissance, mais il vous surpasse dans toutes les autres catégories.

Exactement le genre de réflexions qui insupportait Zane. Cependant, cela ne suffit pas à enrayer ses provocations, un rictus mauvais tenant davantage de la grimace tordant ses traits, alors que les deux soldats le maintenant devaient affermir davantage leur prise, l’effort fourni crispant leur visages.

– Quel dommage que vous n’êtes destiné qu’à rester son larbin, cher capitaine !

– Tout le monde ne rêve pas de s’élever vers les hautes sphères, argua l’intéressé, toisant le jeune homme.

– Alors vous n’êtes qu’un fou, tout juste utile à jouer le bouffon pour son seigneur !

Cette fois, Illian siffla dangereusement. Respira profondément, sous le regard de ses hommes, qui observaient la réaction de leur capitaine avec intérêt, et une certaine pointe d’impatience.

– Très bien, reprit le quadragénaire, d’un calme menaçant. Puisque tu le prends comme ça.

À peine un claquement fendit-il l’air, bien plus discret que les pistolets à poudre que Marc voyaient utilisés sans cesse dans les films. Juste avant qu’un trait de feu ne morde son bras, attirant un gémissement sur ses lèvres. Réaliser que le carmin imbibant sa manche lui appartenait bel et bien ne lui provoqua qu’un étonnement sincère, encore choqué par ce qu’il se passait. Trop d’informations à gérer en même temps, supposa-t-il, seule la peur, encore et toujours, martelant sa poitrine.

Enfin, son cerveau daigna se remettre en marche alors que la douleur fusait.

Il venait de se faire tirer dessus ?! D’accord, le capitaine de Koz n’avait laissé qu’une estafilade sur son bras, mais ce n’était pas rien. Zane en personne avait cessé de vociférer, ses lèvres s’agitant sans que Marc ne comprenne ses paroles. Pourtant, l’irascible extraterrestre l’observait, lui, front plissé, comme s’il attendait une réponse.

Enserrant son bras de sa main opposée, l’ex-collégien secoua lentement la tête, s’éclaircissant péniblement les idées, le regard brûlant du quadragénaire transperçant sans pitié son être.

– La prochaine fois, je ne viserais pas le bras, souffla l’homme. Alors, le Gant de Lokar ?!

Il venait de se faire tirer dessus, nom d’un chien !

Se remettre debout, peu importe la douleur, ne pas rester par terre comme un misérable ! Par tous les dieux, ce n’était qu’un peu plus qu’une égratignure, mais ce qu’il pouvait avoir mal !


µµµ


– Ouragan dévastateur ! cria Maya.

Impuissant, Tekris ne put qu’apercevoir du coin de l’œil Zane et le gamin balayés par l’attaque, les sacs à dos éparpillés aux quatre coins de la pièce alors que le duo atterrissait plusieurs mètres plus loin, un seul retombant près de leur propre combat. Trop proches de la passerelle à son goût. Autant pour minipuce, que pour son chef d’équipe. Incompréhensible dans un sens ; jamais auparavant (en excluant les situations de probable mort imminente bien sûr, les défis kaïru n’appartenant pas, selon lui, à cette catégorie) le colosse ne s’inquiétait pour l’irascible extraterrestre, persuadé qu’il se tirerait de toutes les situations imaginables. Ou pas. Pire, son chef d’équipe se serait outré qu’il le croit si faible.

Ce n’était pas pour rien que dans le dos de Zane, Zair et lui murmuraient qu’ils ne croiraient à sa mort qu’après avoir passé trois jours près de son cadavre, démembré et brûlé. Et encore. Une plaisanterie morbide qui pourtant les amusaient terriblement.

Mais pas aujourd’hui. Le colosse savait qu’il ferait mieux de se concentrer sur son propre combat – soit empêcher les Stax et Koz de franchir la barrière imposée par son monstre et Crapler. Les soldats, par contre, ils ne pouvaient pas non plus tout faire ! Il ne pouvait qu’espérer que les attaques kaïru volant de tous côtés sans distinction dissuadent les hommes de Koz de s’approcher de trop près.

Seulement, il ne pouvait s’empêcher d’éprouver une inquiétude sincère à l’égard de son chef d’équipe, nouvelle et aussi désagréable qu’elle lui chauffait la poitrine.

La nuit passé ensemble avait sans aucun doute sa part de responsabilité dans cette histoire…

Au souvenir du corps de Zane, collé contre le sien, de ses mains glissant contre sa peau rendue sensible par l’excitation, le colosse sentit ses joues chauffer douloureusement. Heureusement, la carnation de son monstre couvrirait la rougeur potentiellement occasionnée… Le jeune homme le tuerait sûrement pour avoir formulé de telles pensées, mais le colosse mourait d’envie d’encaisser les coups à sa place, quitte à agir en guise de bouclier vivant ! Tout comme il se demandait si ils auraient de nouveau l’occasion de partager un moment aussi intense que celui de cette nuit. À observer son chef d’équipe, il aurait tout aussi bien pu ne rien se passer entre eux, alors pourquoi lui se sentait si perturbé ?!

Impossible de savoir quoi en déduire, ou ce que cela représentait pour l’irascible extraterrestre…

– Kaïru de l’ombre ! invoqua Zair, visant Maya pour l’empêcher d’attaquer de nouveau leurs camarades.

Une vague jaillit du cercle sombre sur sa poitrine, formant un nuage compact d’un violet sombre, composé d’une multitude de ce qui ressemblait à des pointes de flèches d’un blanc éblouissant et d’éclairs turquoise, fondant promptement sur la Stax transformée. Le monstre ailé esquiva l’attaque d’un souple battement d’ailes. Se méfia un peu trop tard du rebond, frappant la balustrade pour le heurter par-derrière.

Sonnée, Maya tomba lourdement sur le dos, fermant douloureusement ses yeux uniformes. D’expérience, Tekris savait qu’il lui faudrait plusieurs minutes pour reprendre suffisamment ses esprits et se battre.

Au contraire de ses camarades.

– Marteau titane ! hurla Koz, privilégiant une attaque verte pour atteindre Zair, occupée à lancer son attaque.

– Piège cyclonique ! répliqua Tekris, s’interposant entre sa coéquipière et l’attaque, déviant cette dernière sur le prince.

Mais ce fut Ky qui protégea le jeune seigneur, le poussant peu glorieusement pour le mettre hors de portée.

– Explosion d’énergie plasma ! enchaîna le chef des Stax.

De l’œil sur sa poitrine, jaillit un flot rouge-orangé, fonçant sur le duo comme si une violente pression venait tout juste d’être relâchée. Pas assez rapide, Tekris encaissa le choc, traîné sur près de la moitié de la passerelle. Heureusement, son monstre de l’ombre supportait mieux les attaques rouges que son précédent…

– Raz-de-marée ! asséna Boomer, une vague, immense, d’eau déchaînée jaillissant de ses mains.

– Tremblement de terre, l’épaula Koz.

Déséquilibré par l’attaque du prince, les deux Radikors ne purent éviter l’océan engloutissant le sol de la forteresse dans un grondement furieux, ravageant tout sur son passage. Retenant sa respiration, Tekris ne tenta pas même de nager à la surface, ou de lutter contre le courant. Ce serait peine perdue, pas face à ce « raz-de-marée » là. Une attaque qu’il ne parvenait, de toute manière, jamais à éviter.

Enfin, l’eau se retira, laissant les extraterrestres tousser comme des perdus, à genoux.

Du regard, Tekris fouilla les environs à la recherche de Zane et de minipuce. Pourvu que leurs compagnons s’en tirent mieux qu’eux ! Comment gagner une bataille à quatre contre deux ? Qui plus est face aux Stax ?

Son cœur se serra douloureusement. De l’autre côté de la pièce, poignets entravés, le chef des Radikors se débattait entre les soldats de Koz. Pourquoi ne se transformait-il pas, enfin ?! Et où était le gamin ?

Une brusque poussée le ramena au combat en cours. Collée contre Maneglor, Crapler le força à pivoter, une « épée plasma » frôlant l’épaisse toison courant le long de sa colonne vertébrale.

– Si tu as une idée de génie, je suis preneuse, souffla sa coéquipière. Mes réserves d’énergie ne sont pas au beau fixe.

– Parce que tu crois que les miennes frôlent la promenade au clair de lune ?

Volontairement repoussés à l’écart de la porte, gardée par deux hommes du prince, les deux Radikors avaient été projetés par la vague tempétueuse du Stax près du socle central de la salle. Bien loin de leur objectif de départ, donc… Mais plus très loin de Zane et du minipuce.

– Essayons de rejoindre les autres, proposa dans un souffle le colosse.

Zair n’eut même pas à contester son idée.

– Rafale de vent ! cria Maya, de nouveau prête à en découdre.

Dans son sillage, un tourbillon, tel un voile smaragdin ondulant furieusement, se déploya à partir du bas de ses ailes, tournoyant furieusement autour de ses victimes, avant de plonger pour les balayer sans pitié.

D’un bond fluide, Zair sauta sur le côté, à peine ébouriffée par la petite brise. Se sachant moins rapide qu’elle, Tekris décida de sacrifier un peu plus de son énergie, usant de sa super-vitesse en la communiquant à son monstre, parvenant de peu à rester à sa hauteur.

Ses mains luisant d’une flamboyante aura écarlate, le colosse s’apprêta à répliquer, préparant une puissante attaque rouge en ignorant le risque de se détransformer…

Une détonation figea instantanément le combat, si incongrue dans un défi kaïru que les combattants doutèrent avoir correctement entendu. Après tout, si la déferlante de kaïru ne s’était brièvement ralentie, le son, discret comparé aux pétoires et autres mitrailleuses dépourvues de silencieux, serait passé inaperçu.

Puis, dans un seul mouvement, les six adversaires se tournèrent vers le fond de la salle. Cela ne pouvait venir que de là, puisque seuls deux endroits subissaient les affres d’un affrontement…

Tekris se figea, son sang glacé au sein de ses veines.

– La prochaine fois, je ne viserais pas le bras, souffla Illian, presque inaudible à cette distance. Alors, le Gant de Lokar ?

En face de lui, à terre, un pistolet braqué sur lui, le gamin gémit, une main plaquée sur son bras.


µµµ


– Non ! s’écria Zair, hésitant à s’avancer vers la scène et provoquer une réaction malheureuse du soldat.

Tekris, lui, ne pouvait articuler le moindre son, immobilisé. Première fois que cela lui arrivait, de toute sa vie. Ignorant l’appel de l’adolescente, car il ne venait pas de son seigneur, Illian ne fit pas mine d’esquisser un geste, tournant son regard sombre vers le chef des Radikors, impuissant.

– Koz, ça va trop loin ! l’alpagua Boomer. Arrête ça !

– Je… Oui, oui bien sûr, bredouilla le prince, la voix mal assurée. Illian, cesse de, heu, de menacer le gosse !

Cette fois, le capitaine releva la tête en direction de son seigneur, sincèrement perplexe. Les deux soldats encadrant Zane semblaient également ne plus savoir quoi penser, scrutant leur supérieur dans l’espoir d’obtenir une réponse. La distance ne masquait guère la colère et le ressentiment qu’ils éprouvaient envers l’équipe d’extraterrestres, des sentiments insufflés depuis des mois par leur prince qu’ils suivaient sans jamais discuter. Alors pourquoi, quand le capitaine du contingent tenait les Radikors entre ses griffes, sur le point de les pousser à avouer et révéler l’un des éléments les plus importants pour le Redakaï, ledit prince ordonnait de cesser les hostilités ?

Koz lui-même ne semblait pas particulièrement ravi de devoir agir ainsi, évitant de regarder ses hommes dans les yeux. Bien sûr, ricana intérieurement Tekris. En dépit de son accord passé avec le Redakaï, aucune confiance ne renforçait les liens entre anciens ennemis. L’alliance n’était cimentée que par la nécessité. En tant que membre des Imperiaz, l’ancien E-Teens ne pouvait se permettre de contrarier l’équipe de Maître Baoddaï, de quelque manière que ce soit, s’il ne voulait pas finir impitoyablement écarté.

Instant de flottement insupportable, chacun marchant sur des œufs, ne sachant quelle position adopter.

L’instant que choisit Zane pour agir, maintenant ou jamais.

Relevant la jambe, l’irascible extraterrestre la rabattit brutalement, frappant violemment le tibia du soldat à sa droite, Giacomo. Poussant un cri étranglé, celui-ci raffermit sa prise sur le bras du jeune homme. En vain. Balançant son autre jambe, Zane profita de la surprise pour envoyer son pied sous la ceinture du soldat, qui se plia en deux sous la douleur. Ses deux coups favoris.

Réagissant en suivant les réflexes inculqués par son entraînement militaire, Illian se détourna, pointant son pistolet sur le chef des Radikors.

Enfin, Tekris retrouva l’usage de la parole, l’image de son amant menacé sans pouvoir réellement se défendre électrisant ses muscles tendus à l’extrême.

– Séisme sonique ! invoqua-t-il, faute de parvenir à se rappeler d’autres attaques ne risquant pas d’atteindre en même temps ses deux amis.

De sa gueule ouverte surgit un trait large, si lumineux que son centre en paraissait blanc, hérissé de formes régulières ressemblant à des marqueurs sonores. Aussi véloce puisse être le capitaine de Koz avec ses armes plasma, il n’atteignait pas la rapidité d’un combattant kaïru ; impossible d’échapper à l’attaque pour lui.

Projeté avec violence, son dos heurta le mur derrière lui, rebondit, s’immobilisa face contre terre.

– Oh non, Illian ! s’étrangla Ézéchiel, oubliant toute prudence pour se précipiter vers son mentor.

Interdit l’espace d’une seconde, Zane se tourna doucement vers son coéquipier. Lentement, il hocha la tête, en guise de remerciement muet, une vague reconnaissance détendant brièvement ses traits. Puis, ignorant le remue-ménage faisant rage autour de lui, empoigna le dernier de ses geôliers, frappant son torse de son épaule, amenant les deux hommes au bord du gouffre. Vacillant, Killian fut obligé de le relâcher s’il ne voulait pas chuter avec le chef des Radikors, battant des bras pour retrouver son équilibre.

Impitoyable, Zane le frappa du revers de la main en pleine poitrine.

Hurlant d’horreur, si puissamment que Tekris s’en sentit profondément ébranlé, Giacomo oublia ses propres douleurs, la bataille en cours ayant tout aussi bien pu ne jamais exister, tendant désespérément la main, tentant de rattraper le bras de son collègue. Il ne brassa que du vide.

Continuant sa course, Zane glissa sur le métal, attrapant au vol son X-Reader, tombé de la main d’Illian quand le quadragénaire avait heurté le mur, toujours inconscient.

– Bruteron ! clama-t-il, les liens l’entravant se distordant, tentant de remplir leur fonction en épousant les formes du monstre, avant de céder, disparaissant sans même toucher le sol.

Transformé en monstre, le chef des Radikors se plaça devant le gamin, vérifiant brièvement qu’aucune autre blessure ne martelait son corps malingre. Une attention presque machinale, et qui pourtant réjouit Tekris, bien plus qu’il ne l’aurait imaginé.

– Dégénération !

Un faisceau d’énergie brute, son rouge agressif n’en ressortant que davantage sur le doré et l’orange s’enlaçant, apparut entre ses mains. Mais au lieu de viser les Stax, déjà en position de riposter, le chef des Radikors frappa de plein fouet la baie vitrée avoisinante, forçant les soldats censés retenir l’équipe entre les quatre murs de la forteresse à s’écarter promptement.

Dans le feu d’artifice difficile à supporter tant il fusait promptement, Tekris distingua la petite silhouette du minipuce, récupérant les sacs à dos aussi vite qu’il lui était possible.

Les murs tremblèrent, une pluie de bris de verre et de morceaux de métal fusant partout dans la pièce, explosant sous la pression. Quand la poussière retomba enfin, seul subsistait un trou béant là où les vitres tant appréciées de Lokar formaient une protection efficace contre les frimas hurlants des steppes glacées.

Satisfait de son œuvre, Zane leva le bras, alpaguant ses coéquipiers.

– Radikors, repliez-vous !

Comprenant le message, Zair et Tekris abandonnèrent le défi, le dépit de devoir abandonner occulté par le désir de quitter cet endroit, le plus vite possible. Rejoindre Zane et le garçon, voilà tout ce qui comptait pour Tekris, à cet instant précis. S’assurer que tous les deux se portaient relativement bien, quitte à subir les invectives de l’irascible extraterrestre quand il finirait par le trouver collant, comme à son habitude.

– Quoi ? Non, je refuse de vous laisser partir, siffla Koz, tremblant de rage. Griffes…

– Ne gaspille pas ton énergie, le coupa Boomer. Je m’occupe d’eux. Froztok Platine !

À cette seconde précise, Tekris sut qu’ils n’avaient aucune chance d’échapper aux Stax. Le Platine, l’évolution supérieure des monstres kaïru. Plus forts, plus puissants. Plus difficiles à maîtriser, plus gourmand en énergie. Boomer jouait le tout pour le tout, invoquer ce monstre le laisserait, dès sa première attaque, incapable d’en lancer d’autres, le retransformant en humain presque sur-le-champ.

Mais sa force de frappe, et ses trois camarades encore capables de se battre, l’assurait de la victoire.

Une myriade de losanges, couleur du matériau invoqué, surgit de nulle part, s’accolant contre le corps du monstre jusqu’à le recouvrir complètement. Mais très vite, la coque ainsi créée s’éloigna de la créature de Boomer dans un nuage nitescent d’un vert, qui en toute autre circonstance aurait parut apaisant au colosse des Radikors, laissant apparaître Froztok Platine en personne. Paraissant une version plus âgée que son petit frère, munie d’une longue barbe gelée, une couronne surplombait la tête du monstre, soulignant sa supériorité. Une ceinture prenait désormais place autour de ses reins, seule note de gris parmi le platine et le bleu glacé. Des plaques d’armures recouvraient désormais les épaules, le haut du torse, le dessus des avant-bras et des jambes de Froztok, le rendant bien plus résistant aux attaques kaïru.

Cependant ce n’était pas celles des autres qui inquiétait Tekris, mais bien les offensives propres au monstre de Platine. Et parmi ces dernières, ce fut exactement la combinaison redoutée qui retentit à ses oreilles.

– Lumière prismatique ! commença Boomer.

Trois frappes triangulaires, nimbées d’une aura écarlate, se matérialisèrent, taches claires retenues à grand-peine par leur propriétaire.

– Frappe purifiante !

Un poing d’un bleu pur, cognant, Tekris l’avait déjà expérimenté, de manière circulaire apparut auprès de la première invocation. Tout cela n’avait duré que le temps pour le Stax de prononcer les noms de ses X-Drives.

– Frappe prismatique !

L’écarlate enroba le turquoise, l’accompagnant dans sa route, une ronde infernale de laquelle jaillissait des dizaines, des centaines de minuscules poings. Droit vers Zair et Tekris, emporté par la vitesse de l’attaque.

Ils ne se retrouvèrent pas projetés, ni réellement frappés à dire vrai.

Leurs corps s’entourèrent d’une aura orangée, rapetissant, se tordant, jusqu’à ce que les adolescents, redevenus tels qu’eux-mêmes, n’eurent d’autres choix que de constater la disparition de leurs monstres.

– Où sont passés Crapler et Maneglor ?! s’écria le gamin, si proche, et pourtant trop loin.

Zane ne répondit pas, s’élançant vers ses coéquipiers sans défense, leur énergie leur permettant à peine de tenir debout. Une bouffée de tendresse envahit le colosse. Quelques temps auparavant, nul n’aurait pu prédire les actions du chef d’équipe. Aujourd’hui, le jeune homme se lançait à corps perdu dans la bataille dans le but de repousser les Stax, peu importait que ses chances avoisinaient le zéro.

– Arrête, Zane !

La voix de la seule fille des Radikors avait retenti par-dessus le son des pas furieux de Bruteron, impérieuse, autant que pouvait l’être celle de Zane durant ses passades autoritaires.

L’intéressé s’immobilisa, transformant sa course en arrêt incrédule.

Silencieusement, Tekris approuva le geste de sa coéquipière.

Verbalement, il le justifia. Bien que l’idée de ne pas savoir ce que signifiait leur nuit ensemble lui crevait la poitrine.

– Pars avec le gosse, on se débrouillera. Tu ne peux pas gagner, pas cette fois, expliqua le colosse, surpris de trouver sa voix si calme.

Déjà, Koz et les Stax s’approchaient, le prince dépassant le duo pour se ruer sur Bruteron.

Mais Zane refusa de quitter aussi facilement son équipe. Pas après s’être si peu battu ! Connaissant un minimum son tout nouvel amant, abandonner, admettre ne plus pouvoir rien faire, le déchirait intérieurement.

– Prend soin de lui, murmura-t-il doucement.

Il n’avait pas élevé la voix, pourtant le chef des Radikors l’entendit. Croisa son regard. L’espace d’un instant, n’existait plus qu’eux deux, plongés dans un chaos mordant et tellement distant, face à l’intérêt que se vouaient les jeunes hommes. Un instant durant lequel Zane, dépouillé de ses humeurs et de ses façades, apparut tel qu’en lui-même, dénué de toutes les protections patiemment érigées.

« Prend soin de toi », soufflaient les iris camouflés de Tekris, suppliant muettement son vis-à-vis de partir, tant qu’il le pouvait encore.

La résignation, douloureuse, envahit l’onyx dissimulé derrière le jaune monstrueux, juste avant qu’il ne détourne les yeux.

Se mettant en mouvement, étonnamment vite pour une créature de cette taille, Bruteron agrippa le gosse alourdi des sac à dos, son bras blessé passé en écharpe dans son T-shirt, celui-ci se collant nerveusement au bras musculeux l’enserrant. D’un bond puissant, alors que Koz ne se trouvait qu’à une vingtaine de centimètres de lui, le monstre franchit l’ouverture par laquelle pénétrait la bise glaciale, sans que personne ne puisse le freiner, et encore moins l’arrêter.

Seulement à ce moment, Tekris s’autorisa à expirer de soulagement. Au moins, le plus important restait, même momentanément, hors des mains des monastériens. Et avec un peu de chance, Zane réussirait à échapper à ses poursuivants, minipuce bien plus en sécurité à ses côtés qu’accompagné par n’importe quel Stax. Ne restait plus qu’à Zair et lui de trouver une solution pour se tirer d’un pareil guêpier.

Dommage que son cœur lui hurlait tellement son envie d’être avec eux.

Ne restait plus qu’un détail.

– On dirait bien que votre chef d’équipe a quitté le navire, commenta Ky, l’acier de son Métanoid planté devant les deux derniers Radikors. Rendez-vous, vous savez que c’est terminé pour vous.

– Zair ? interrogea Tekris, observant nerveusement l’arc de cercle leur barrant le passage.

L’adolescente sursauta, détachant son regard du gouffre, à tout juste un pas d’eux. Sans répondre, et sous les regards médusés des soldats, à l’exception de Giacomo penché par-dessus la passerelle et d’Eliau, venu le rejoindre, l’adolescente s’avança jusqu’à son propre sac, le seul à leur portée.

Comme si elle s’apprêtait à partir en randonnée, elle passa ses bras dans les anses, la décontraction apparente de ses gestes trahit par la respiration saccadée sortant de sa poitrine.

– À quel point es-tu prêt pour leur échapper ? répondit-elle enfin, énigmatique.

– Heu, à peu près tout. Sauf sauter à pieds joints dans le trou que tu regardes avec autant d’insistance.

L’étincelle qui s’alluma dans les yeux pâles de la jeune femme ne rassura pas le moins du monde le colosse.

– Tu as une meilleure idée ?

– Non, mais…

– Alors, ferme les yeux si tu as peur.

Les doigts fins de l’adolescente se crispèrent sur le poignet de son coéquipier.

Juste avant de basculer dans le vide. Avec un peu de chances, eut le temps de penser le colosse, le gouffre serait assez profond pour qu’ils puissent se rattraper, avant d’en percuter les tréfonds.


µµµ


– Il ne faut pas les laisser s’échapper ! vociféra Koz, reprenant forme humaine afin d’économiser l’énergie lui restant. Ils ne peuvent pas nous filer entre les doigts !

– Je me charge de Zane et du garçon ! répondit promptement Maya, s’apprêtant à décoller.

Toujours transformée en Harrier, elle avait de bonne chances de suivre la trace de Bruteron, plus lent, et surtout chargé. Oui, tout n’était pas encore perdu, pensa le prince, sans toutefois exprimer son avis à voix haute. Cela, au fond, ne changerait rien, les Stax ne le consultant que très occasionnellement. Les fois où ils lui faisaient confiance, elles, ne se comptait pas même sur les doigts d’une main.

À la surprise générale, Ky tendit le bras, barrant symboliquement le passage à sa coéquipière.

– Ce n’est plus notre combat, déclara sentencieusement le chef des Stax. Zane a conservé presque toute son énergie, si tu te lances à sa poursuite, il n’hésitera pas à te frapper, voir à te faire payer sa défaite. Ton monstre est le seul capable de voler, nous ne pourrons pas te venir en aide ! Et nous ignorons encore tout des capacités du garçon qu’il a récupéré. De toute façon, Boomer ne peut plus se battre.

Entendant son prénom, le blond fit le suprême effort de se remettre debout, épuisé par ses transformations monstrueuses et ses attaques successives, adressant à ses amis un bref regard d’excuse.

– Mais enfin, nous les tenions ! Ce n’est pas possible qu’ils s’en tirent encore !

– Dis donc, tu t’es suffisamment distingué aujourd’hui, non ? Tança Maya, croisant les bras sur son torse tandis que son corps s’illuminait d’une aura céladon, diminuant à mesure qu’elle redevenait la jeune adolescente connue de tous. Tu ferais mieux de rappeler les ordres à tes soldats, au lieu de nous en donner.

Poings serrés, Koz eut toutes les peines du monde à ne pas répliquer vertement, reportant son attention sur la balustrade courant le long des murs, en partie détruite durant l’affrontement. À quoi servaient tous ces efforts face aux Radikors, s’il ne pouvait les garder prisonnier une bonne fois pour toutes ?! Pourquoi se transformer en monstre platine et utiliser l’une de ses plus puissantes attaques pour laisser partir le chef de l’équipe ?

Froztok Platine ! Mais bien sûr !

Délaissant les monastériens, le jeune prince courut jusqu’au précipice, se jetant à genoux tandis qu’il sondait les ténèbres au sein desquelles Zair et Tekris avaient sauté quelques minutes auparavant. L’inexplicable lueur orangée, si caractéristique de la forteresse, semblait fixée sur le fond du gouffre, immobile, trop éloignée pour que Koz puisse en évaluer la profondeur. Restait un espace gigantesque entre le sol de métal et son aura soulignant les formes des objets à sa portée, sans réellement les éclairer davantage, assez large pour permettre aux deux extraterrestres de se dissimuler dans ses tréfonds, n’importe où. Au moins, la transparence de la dalle centrale, sous le socle, garantissait qu’ils ne se trouvaient pas de ce côté du gouffre.

Mais en aussi peu de temps, il leur était impossible de fuir bien loin, à supposer qu’ils ne gisaient pas six pieds sur terre, blessés et gémissant contre leur stupidité. Totalement à sa merci !

Galvanisé, Koz s’éloigna de quelques pas, ouvrant la bouche pour ordonner à ses hommes de débuter sur-le-champ les recherches. Quelques cordes, et cela suffirait pour fouiller minutieusement les parois !

Ses paroles moururent sur sa langue, dès qu’il tourna le regard vers ses troupes. Reprenant tout juste connaissance, Illian était parvenu à se mettre en station assise, courbé en maintenant ses côtes alors qu’Ambrosios, précipité au chevet des blessés, tamponnait l’arrière de son crâne. Le tissu qu’il levait chaque fois se trouvait teinté d’une couleur saumâtre, inquiétant visiblement Ézéchiel, le jeune homme maintenant son aîné par le bras sans se rassurer des sourires crispés que lui envoyait ce dernier.

Portant une plaque de métal aussi grande que lui sur ses épaules, Féris lâchait un grognement étouffé, le visage rougi par l’effort, tandis que David saisissait Balthazar sous les aisselles, tirant le vétérans de sous les décombres. David tirant promptement son fardeau à l’écart, Féris céda sous le poids de sa propre charge, courant en avant pour ne pas finir écrasé à son tour, descendant au niveau de l’homme tout juste dégagé, s’assurant de sa relative bonne santé.

Soutenu par Lohan, Eliau boitait bas, maudissant de tous les jurons le gamin accompagnant les Radikors. Emmené jusqu’à une poutre tombée du plafond (impossible de dire quelle attaque était à l’origine de cette destruction), il posa son postérieur en soupirant, gardant sa jambe précautionneusement tendue, plaçant ses mains de chaque côté de son genou tandis que son camarade lançait une plaisanterie à propos de sa virilité, que le jeune prince ne comprit pas.

Déjà auparavant secoué par l’attaque des spectres, dont il avait failli devenir un repas, Noham maintenait son épaule, glissant sa main le long de sa jambe sensibilisé par le précédent affrontement contre les Radikors, dans la jungle cambodgienne. D’après ce que Koz avait pu voir, le raz-de-marée de Boomer l’avait en partie atteint, le poussant contre le socle central. Sûrement son omoplate avait-elle frappée en premier l’objet. Et dire que sur le moment, le prince se n’y prêta aucune attention…

Le pire lui sauta aux yeux, quand il se décala un peu plus sur la droite. Le corps tendu au-dessus du gouffre, prêt à sauter si Caddar et Mynnyd relâchait une fraction de seconde leur prise, Giacomo se débattait contre ses geôliers, son être entier absorbé par le gouffre ayant englouti son amant. Son nez, probablement cassé, dégouttait sur son plastron, tâchait la tunique qu’il prenait tant de soin à nettoyer durant les haltes, sans qu’il ne paraisse seulement le remarquer.

Killian ! cria son esprit, soudainement rappelé à l’ordre.

Et tous ces hommes, presque impuissants face au kaïru et à ses formidables capacités, s’étaient retrouvés au sein d’un combat qui les dépassait, juste parce que leur prince le leur avait ordonné. Aucun des soldats de son contingent n’avait émis la moindre protestation, pas même Caddar, Dolg ou Mynnyd, pourtant tout fraîchement recrutés, par sa sœur qui plus est. Et aucun n’en ressortait intact, d’une manière ou d’une autre.

Douloureusement, le jeune prince apprenait ce que signifiait être responsable d’êtres vivants.

– Maintenant, il faut descendre là-dedans au plus vite, déclara Ky, le sortant de ses réflexions. Avant que Zair ou Tekris ne trouve un moyen de s’échapper.

Le chef des Stax désignait le précipice sous leurs pieds. Oui, les Radikors…

– Koz, tu crois que tes hommes peuvent nous aider ?

L’intéressé n’hésita pas une seconde.

– Non, répondit-il simplement, quittant le trio pour se diriger vers les soldats.

Derrière lui, Ky faillit protester ouvertement. Se tut quand Maya posa une main conciliante sur son bras.

Elle, avait vu les hommes en question.

Voyant son prince arriver à sa hauteur, Illian s’appuya sur Ézéchiel, ignorant grossièrement les protestations du médecin ou du roux, refusant de se trouver à genoux devant le jeune homme. Même ainsi, Koz ne pouvait pas ne pas remarquer son dos voûté et les muscles de ses joues contractés par la douleur.

– Mon prince, je vous supplie de me pardonner. Je ne pensais pas que vous seriez opposé à l’idée de brusquer les Radikors, et j’ai eu le culot de ne pas demander votre avis. Mon comportement est impardonnable.

– Ne vous en faites pas, déclara Koz, tapotant l’épaule du quadragénaire. Les Stax sont plus sensibles que prévu, et je vous avais dit de les faire parler à tout prix. Reposez-vous. Ézéchiel, j’ai besoin de toi.

Le soulagement dans les iris de son capitaine serra la gorge du prince. L’image même de la loyauté, selon lui. Confiant son mentor aux bons soins d’Ambrosios, Ézéchiel lui emboîta le pas, alors qu’il se dirigeait vers Giacomo et les hommes le maintenant toujours avec peine.

– Que tous les hommes valides me suivent ! cria-t-il. Nous allons récupérer Killian, coûte que coûte !

Laisser fuir Zane, et pire encore ce maudit gamin qu’il apprenait à détester tout autant, laissait un goût affreusement amer au fond de sa gorge. Mais ses hommes avaient besoin de lui, immédiatement. Ses priorités changeaient, sans qu’il ne se décide s’il s’agissait d’une bonne ou d’une mauvaise chose.

Il gardait néanmoins un atout dans sa manche. Un avis de recherche, que les policiers d’une bonne partie de la Terre étaient heureux de récupérer.


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Bonjour, ou bonsoir !


J’espère que le chapitre vous aura plu ! Et ce n’est que le début des ennuis ;)


Bonne journée, ou bonne soirée !


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