Aesragen

Chapitre 21 : Jour 1 : De rêves et de regrets

10893 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/08/2020 18:56

Premier jour : De rêves et de regrets


Les flammes, partout. Sur les murs recouverts de tapisseries tant appréciées de son akni, représentant pour la plupart des scènes d’un calme et d’une plénitude contrastant tellement avec son lieu de naissance – peut-être était-ce dû aux nuances de bleu et de blanc qu’il utilisait, alors que le paysage autour de la maison n’était que nuance d’ocre, de doré, de terre de Sienne martelant la roche aride asséchée par les flamboyantes lunes ?

Sur les dalles d’un seul tenant formant un plancher aussi solide qu’il était râpé par les incessants piétinements le long des couloirs des ahtahan nere, les prisonniers de guerre, courant de droite et de gauche pour s’acquitter de leur service obligatoire d’un cycle et un jour de la première lune, des thansrkai, ou servants personnels s’acquittant des tâches dédiées à leur métier, ou encore les soldats patrouillant incessamment dans l’ensemble du pays – quoi de plus normal pour une nation réputée guerrière ?

Le sang aussi. Sur les corps des malheureux trop lents pour s’écarter, des gardes s’élançant contre le bon sens pour protéger de leurs corps les enfants encore sur place, des garçons à peine plus que des éphèbes aveuglés par la rage et la haine d’avoir perdu leurs proches.

Comprendre l’ultime trahison, l’identité de l’immondice qui s’était arrangé pour ouvrir un passage aux envahisseurs, provoquant souffrance et destruction dans son sillage.

Et puis l’après. La « pêche », comme ils disaient, avec leurs rires gras et le mépris dont il affublait des hommes ayant combattu mille fois plus courageusement qu’eux. La séparation des parents et des enfants, comme ça aucun des adultes encore en état de se battre n’oserait désobéir. Ç’avait toujours été la plus grande force et la faiblesse de son peuple, les gosses, les talsi.

L’envoi de ces derniers au loin, les rugissements et les quelques rébellions réprimées dans le sang, les exemples exécutés sur place. Mais parfois, rarement, la réussite et la fuite de quelques gamins. D’autres qui, en dépit de l’occasion, couraient se réfugier dans les bras de leurs parents. Pire erreur de leur courte vie.

L’arrivée sur une planète froide, si froide, si différente des terres brûlées par la chaleur, fatale pour beaucoup de jeunes organismes trop immatures pour s’adapter. De toute façon, même les plus âgés souffraient d’engelures, pneumonie et toute autre joyeuseté propre à un expatriement brutal et forcé.

Découvrir ne pas être le seul peuple frappé en plein cœur, réduit à l’état de servitude si contraire aux traditions tant inculquées, années après années. Et surtout, réaliser que les valeurs prônées n’avait menées qu’à la mort et la destruction, juste parce que ceux d’en face ne respectaient guère ce qui forgeait l’identité même des siens. Quitter le sentier tout tracé de l’honneur et du respect, prendre l’oblique de ce que croyaient les envahisseurs, se forger une carapace impossible à briser, apprendre à la dure les leçons menant à la survie. Partir d’ici, un jour, seul cela comptait.

Rêver de puissance, de vengeance, de destruction et de souffrance.

Peu importe le prix, acquérir de la puissance. Le plus rapidement possible.

Retrouver sa sœur, élaborer des plans pour creuser sa propre destinée en dépit des insultes et de la condescendance, quitte à être le seul à croire en ses chances.

Je ne crèverais pas ici. Pas comme ça, pas avec eux, qu’ils aillent au diable !

La répartition, ignoble. On prend une corde, fendons la foule en deux ; ceux à droite vont dans le vaisseau de droite, ceux de gauche dans le vaisseau de gauche, aussi simple que ça.

Comprendre se retrouver séparé de sa sœur. Se rebeller ouvertement, tendre la main vers elle. Elle fait de même. Les soldats interviennent, les séparent.

Se rendre compte que leurs cris ont un écho. Un garçon du côté de sa sœur hurle de colère ; très grand pour son âge, promettant une belle carrure en dépit de la maigreur actuelle de sa chair, un bandeau noué autour de ses yeux, il faut trois adultes pour la maîtriser alors qu’il appelle une petite fille, juste à côté de lui, qui pleure toutes les larmes de son corps sans oser bouger. Son frère ?

Une impulsion, il empoigne la petite fille, crie au grand garçon qu’elle est avec lui.

En face, la chevelure flamboyante de sa sœur rejoint le grand garçon, touchée par sa détresse, lui explique que c’est son frère qui a récupéré la petite fille. L’inconnu se calme, autant que possible dans cette situation.

Et puis, il lui hurle de prendre soin de sa petite sœur, si menue comparée à son imposante carrure. Lui accepte, le menaçant des pires tourments si jamais quoi que ce soit arrive à la sienne, un si fine tige, avec sa peau rosée. Dernière image, cette dernière guidant le grand garçon par la main, tandis que lui porte la fillette.

L’arrivée dans l’immense complexe des envahisseurs, enfin l’un d’entre eux s’il y avait plusieurs trains. Le travail incessant, les leçons de combats à l’infini, les esprits sont formatés, voilà votre seule chance de survivre. Il n’existe qu’une seule puissance, battez-vous pour elle, encore et encore.

Mais lui ne s’y trompe pas ; son identité, il l’a perdue, c’est à lui de la trouver. Il résiste en courbant faussement l’échine, attendant le bon moment, enchaîne les exercices dans le but de s’endurcir.

Seulement la fillette est moins résistante. Toujours perdante, régulièrement malade, elle s’affaiblit de jour en jour, si différente de sa si forte propre sœur. Lui met en place des stratagèmes, la rejoint dès que possible pour l’encourager. Alors elle tient, lui parle de son grand frère, si costaud qu’il peut la porter à bout de bras sans se fatiguer. Il commence à imaginer ce que cela pourrait donner d’avoir un tel garçon en guise d’armoire à glace. Assurément, peu oseraient les attaquer.

La petite est malade, encore. Il ne s’inquiète pas plus que d’habitude, c’est tellement régulier, s’occupe d’elle comme à l’accoutumée. Mais cette fois l’état de la fillette s’aggrave rapidement. Le délire s’ajoute aux courbatures, elle n’est plus capable de se lever, peu importe les menaces et les coups dans les côtes.

En la redressant péniblement en position assise, il prend véritablement peur, pour la première fois. Les yeux de la petite sont différents, toujours d’un bleu glacé, mais c’est quelque chose comme une poupée cassée au fond de ses pupilles. Il lui parle de son grand frère si fort, rassemble ses souvenirs sur ses précédentes déclarations. En vain, elle ne réagit plus. Exceptionnellement, elle a droit à un peu de repos, ou plutôt personne ne s’occupe plus d’elle.

Il doit repartir à l’entraînement. Instinctivement, il sait qu’elle n’en a plus pour longtemps. Elle a abandonné l’idée de s’en sortir, il le devine. Néanmoins, il lui reste un espoir, tente de l’encourager avant de s’enfoncer dans les couloirs menant à l’arène de combat.

Elle ne tiendra pas plus de quelques heures sans personne à ses cotés. Quand il revient, tard le soir, elle n’est plus là. Rien ne subsiste du petit corps habitué à se pelotonner contre lui la nuit.

Les larmes mouillent ses yeux fatigués. Peu importe, il les repoussent sans aucune pitié, alimentant la haine et la colère bouillonnant dans son sang, brûlant à l’acide ses veines.

La fuite ensuite, inespérée. Plusieurs sont morts sur son passage, mais il s’en moque. Retrouver l’endroit où a été envoyée sa sœur. Parcourir la distance les séparant ; il a besoin d’elle pour survivre et devenir plus fort.

Elle n’a pas quitté le grand garçon. L’espoir sur le visage de celui-ci brise brièvement son coeur, mais il se reprend. S’il veut venir avec lui, avec eux, il lui faudra s’endurcir, abandonner ses scrupules et ses stupides espérances. Un guerrier sous ses ordres, voilà ce que sera le grand garçon, se répète-t-il mentalement. Un chef ne doit pas se laisser atteindre, les autres doivent lui obéir, et voilà tout.

Comme ça, il a moins mal. La vie exige des guerriers, oui, sûrs d’eux et sans émotions.

Le grand garçon pleure, longtemps, même quand ils faussent compagnie aux envahisseurs et marchent de toute la force de leurs jambes vers le spatioport. Étrangement, quand les larmes se tarissent, le grand garçon ne part pas. Il les suit sans discuter, faisant ce qu’on lui dit. À croire qu’il s’est attaché à sa sœur.

Tant mieux, lui n’a plus le temps d’être un frère. Il lui faut acquérir de la puissance, régner sur l’Univers pour que plus personne ne puisse les atteindre. L’atteindre.

Il n’existe que deux types de personnes : ceux qui dominent et vivent comme ils l’entendent, et le bétail, les esclaves destinés à servir impitoyablement. Sinon, c’est la mort assurée. Il refuse d’être un esclave, il n’est pas une victime.

Ne laisser personne le toucher. Se laisser attendrir, c’est souffrir à nouveau, obligatoirement.

Il est le chef, le supérieur, les autres ne sont là que pour le servir. Point final.

Seul compte sa destinée, son futur contrôle du monde ! Il n’a pas de temps à perdre avec quoi que ce soit d’autre ! Ne pas se laisser atteindre.

Juste un désir momentané, un besoin de se soulager.

Il a juste prit, sans rien donner en échange. Absolument rien. RIEN !

– Zane ? Zane !

Le chef des Radikors se réveilla en sursaut, le visage lustré de sueur, le T-shirt collé à sa peau tiède. Se débattant contre quelque chose lui enserrant la poitrine, son œil capta une petite forme sur sa droite, glissant dans les ombres pour se rapprocher encore un peu de lui.

Serrant le poing, il le brandit en l’air, prêt à frapper l’assassin imprudent décidé à le faire passer de vie à trépas. S’il croyait le surprendre aussi stupidement, il allait vite se rendre compte ne pas avoir pas affaire à un vulgaire débutant !

– Non, non, attends, c’est moi, minipuce !

La petite silhouette leva les bras en signe d’apaisement, sur le point de détaler.

Haletant, Zane plissa le front, rassemblant un peu trop péniblement à son goût les pensées tourbillonnant sous son crâne. Pourvu que cette fois, aucune migraine ne vienne l’agresser !

Enfin, il abaissa son bras, réalisant enfin où il se trouvait. Il cligna plusieurs des yeux, promenant son regard sur les parois rocheuses les entourant, la lueur blafarde de la lune gibbeuse n’atteignant que très imparfaitement le fond de la grotte dans laquelle ils s’étaient réfugiés. Tout lui revint en mémoire, l’attaque de la forteresse, la séparation des Radikors, Tekris lui demandant de prendre soin de prendre soin du gosse.

Un lourd soupir s’échappa de ses lèvres serrées. Tekris. Avait-il fait exprès d’utiliser cette tournure de phrase en particulier ? Pourtant, il savait pertinemment que ce n’était pas une bonne idée, loin de là. Et Zair, stupide Zair qui avec ce maudit colosse l’avait persuadé d’abandonner le combat !

Glissant ses iris onyx vers le gamin, il manqua soupirer de nouveau. Tout en lui criait la faiblesse à la fois de sa constitution, et les récentes semaines prouvèrent également la fragilité de son esprit. Même si étrangement, l’entraîner à ne pas s’effondrer à chaque coup, physique ou métaphorique, se révélait moins difficile qu’il ne l’aurait cru de prime abord.

Quand il était question de ne pas décevoir les personnes chères à son cœur d’humain, le gosse pouvait se montrer très surprenant. Il ne fut jamais aussi fort que quand Tekris observait ses entraînements, ou que le colosse s’enhardissait à l’encourager. À croire que certains humains pouvaient être exploités, et pas seulement réduits en servitude.

Il faudrait y réfléchir, pour sa future conquête du monde, tiens. Dommage que la majorité des habitants de cette planète ne soient bons qu’à cirer les bottes de sa glorieuse personne.

Le talsi ne disait toujours rien, un genou en terre, l’autre pied bien en appui sur la roche froide de manière à détaler prestement en cas de danger. Malgré son animosité envers le gosse, Zane ressentit une très légère pointe de fierté en remarquant que même si son esprit se préoccupait de tout autre chose, il mettait instinctivement en application les leçons inculquées par le jeune homme. Après tout, durant son face-à-face avec les soldats de Koz, il ne s’était pas tellement fait réduire en bouillie.

D’autant plus qu’il ne paraissait pas tellement effrayé, remarqua Zane du coin de l’œil. Clignant rapidement des paupières, le gamin le fixait avec insistance, d’un mélange de curiosité et d’inquiétude, son corps oscillant sur ses appuis comme s’il hésitait sur la démarche à adopter. Une attitude ne ressemblant pas au talsi qu’il connaissait, loin de là.

Suivant son regard noisette, il baissa le nez. La couverture censée le protéger de la fraîcheur nocturne était en partie rejetée sur le côté, sûrement quand il s’était débattu alors qu’il pensait encore être en plein cauchemar. Mais ce n’était pas ce qui inquiétait le garçon. De multiples traînées noirâtres en maculaient le dessus, une odeur de brûlé flottant dans l’air. Écartant entre ses doigts les pans de l’objet, un grognement lui échappa en révélant un trou de la taille de deux de ses mains, les extrémités racornies alors que les bords s’effritaient sous ses doigts.

– Est-ce que ça va ? demanda timidement le talsi, triturant le bord de son short.

En réponse, Zane lui dédia un regard furibard, qui le fit reculer machinalement, son corps de préadolescent tendu comme un arc. Il ne manquerait plus qu’un misérable humain s’inquiète pour lui. S’inquiète, vraiment ?! Plutôt passer une journée entière enfermé avec Diara !

La colère de s’être si facilement trouvé prisonnier des hommes de Koz, et son impuissance à coller une bonne raclée à ses ennemis, forcé d’observer la scène sans pouvoir esquisser le moindre geste, restaient encore trop vive pour qu’il fasse un effort d’amabilité.

– Je ne t’avais pas dit de rester loin de moi parce que j’avais besoin de réfléchir ? grogna l’irascible extraterrestre, peu amène.

Coupant le contact visuel, il se frotta les yeux, les paumes de ses mains gantées plaquées si fort contre ses globes que de petites taches tourbillonnantes commencèrent à apparaître. Ses protections manuelles n’avaient apparemment subies aucune séquelle, elles n’étaient même pas chaude à dire vrai. Pourtant, Zane se doutait qu’à un moment, l’inverse fut probablement tout aussi vrai. Ce n’était pas pour rien que l’intérieur de ses gants se trouvait cousu d’un revêtement censé être ininflammable. Même si cela tenait davantage d’une manière de se rassurer, que d’une véritable sécurité.

Optant pour la négation, il fit mine de n’avoir rien vu, repoussant au loin le morceau de tissu qui pour le moment ne lui servait plus à rien. Le vent de la nuit, s’engouffrant par la crevasse tenant lieu d’entrée à la grotte, frappa sa peau épaisse avec plus de force qu’habituellement, aussi devait-elle être encore trop chaude.

Passant une main dans sa chevelure bleutée, il remarqua que le gamin transpirait lui aussi, dérivant régulièrement visuellement sur la gourde appuyée contre son propre sac à dos d’écolier. Lui qui frissonnait en se glissant hâtivement sous ses couvertures, tirait à présent sur le col de son vêtement, s’éventant aussi discrètement que possible. Zane, quant à lui, se sentait presque bien à l’intérieur de son cocon de chaleur, n’était cette foutue brise nocturne qui venait casser l’atmosphère accueillante de l’endroit.

La raison de la soudaine chaleur bienvenue, il décida de l’ignorer à son tour.

Le talsi eut au moins la décence de paraître confus, baissant le nez en conservant une distance prudente entre eux. Néanmoins, Zane ne le voyait pas quitter cette attitude réservée, presque emplie de culpabilité, depuis que l’adrénaline du combat avait quitté leurs jeunes corps, ne les laissant accompagnés que de la fatigue, et des souvenirs. Trop occupé à imaginer la façon dont il ferait payer cette attaque aux Stax – et à Koz, surtout –, le chef des Radikors n’y prêtait qu’une attention toute relative, se contentant de lui adresser la parole au travers d’ordres brefs, souvent rageurs, incitant le garçon à réfléchir soigneusement à ses paroles avant de seulement ouvrir la bouche.

Excepté ce soir-là, évidemment.

– Je t’ai entendu, hum, t’agiter ? commença-t-il, l’air de ne pas savoir s’il s’agissait du bon mot. Je t’ai appelé, mais tu n’as pas répondu, alors je me suis dit que ce serait bien que je te réveille, au cas où tu ferais un patlirqu…

Zane haussa un sourcil qu’il n’avait pas, incertain d’avoir bien entendu. Le gosse qui utilisait un terme de sa langue natale ? Autant il se demandait par quel miracle il pouvait bien en connaître la signification, autant il se trouvait plus étonné encore de l’entendre l’utiliser à bon escient.

Hum, peut-être le talsi passait un peu trop de temps avec les Radikors tout compte fait. Dommage que ce soit pile ce soir-là, lorsque l’irascible extraterrestre désirait tout oublier de son pays de naissance, de sa vie d’avant, bref, renier son existence avant le kaïru en bloc.

– Qu’est-ce que tu viens de dire là ?

Incertaine, la petite touffe érable se secoua brutalement, en signe de dénégation vigoureuse.

– Je te jure que je ne voulais pas te déranger, seulement, j’ai cru bien faire et…

– Bien sûr, c’est toujours le cas avec toi, railla Zane, étonnamment sincère pourtant. Tu dis la vérité, même si cela doit blesser les autres.

Néanmoins, il lui adressa un signe destiné à calmer ses ardeurs, une main venant masser ses tempes douloureuses. Si en plus le gosse ne se rendait plus compte de ce qu’il disait, autant aller se pendre tout de suite. Quand la situation serait un peu moins… compliquée, ils allaient devoir avoir une petite discussion tous les deux. S’il acceptait encore de le garder avec eux. Déjà, le bon sens lui intimait de le laisser en arrière, bien à l’abri de la grotte trouvée par hasard (enfin, à force de fouiller les montagnes à la recherche d’un abri), histoire de ne plus avoir à s’encombrer l’esprit pendant que lui irait récupérer leurs compagnons de route. Et son sommeil en profiterait joyeusement, par exemple.

Mais autre chose, derrière les barrières de son esprit, lui murmurait qu’il valait mieux lui laisser une chance de survivre. Certainement pas de la compassion, ou quelconque analogie obscure établie par son cerveau embrumé. Juste que laisser un cadavre derrière soi, cela faisait désordre.

– D’ailleurs, continua-t-il, répondant à sa propre pensée, comment ça se fait que tu ne dormais pas ? Un cauchemar ? Non pas que ça m’intéresse, mais je veux m’assurer que tu n’essayais pas de fouiller dans mes affaires en profitant de mon sommeil.

Les traits du talsi se tordirent en une petite moue vaguement agacée, qui disparut rapidement, remplacée par un malaise évident. Gêné, il se laissa choir sur le sol rigide, haussant les épaules.

– Je n’arrivais pas à dormir, voilà tout.

Zane ricana sans chercher à se montrer discret. Ben voyons, sûrement pour ça que le gosse s’était écroulé sur son matelas improvisé, sitôt les corvées nécessaires achevées !

– Tu devrais t’éloigner un peu pour plonger dans les bras de Morphée, marmonna l’extraterrestre entre ses dents.

Perdre un équipier parce qu’il ne parvenait pas à se contrôler dans son sommeil serait vraiment ridicule. Et aussi déprimant cela puisse-t-il être, il fallait garder en main toutes les cartes possibles.

Tekris avait-il au moins un toit au-dessus de sa tête, comme eux ce soir ? Et Zair, était-elle parvenue à rester avec lui ? Par les Enfers, pourquoi devait-il se récolter en guise de paire le moins expérimenté de l’équipe !

Si un jour, il se réveillait et s’apercevait avoir blessé Tekris durant son sommeil, juste parce qu’il avait instinctivement lutté contre ses souvenirs, comment réagirait-il ?

– Ça va, assura le gosse, se méprenant sur ses réactions, son visage rond plissé par une peur tout bonnement incompréhensible pour l’extraterrestre. Et je te jure que je ne volerais rien, et même que je ne suis pas un espion !

– J’ai compris, coupa-t-il, grinçant des dents dans l’espoir de repousser sa migraine naissante.

Bien plus discrètement que le talsi auparavant, Zane vérifia l’intégrité de ses vêtements, soulagé de constater que rien n’avait été détruit, ou tout autre manifestation peu enviable.

Si son compagnon n’avait pas ouvert une nouvelle fois la bouche, son humeur aurait même pu remonter légèrement. Cependant, poussé par sa curiosité, l’insupportable humain s’avança légèrement, stoppé dans sa progression par un énième regard mauvais d’avertissement. Étouffant un bâillement, il voûta le dos, tentant de paraître le moins menaçant possible, devina Zane. Comme s’il inspirait la moindre crainte en temps normal…

Il ouvrit la bouche, sembla réfléchir, puis se ravisa au dernier moment.

Une sage décision que le vert approuvait ; son humeur virant aux idées noires, il n’était pas certain de se retenir si jamais les interrogations du gosse l’importunaient.

– Hum, Zane… Je peux te poser une question ? reprit ce dernier après un moment.

– Ce n’est pas ce que tu es en train de faire ? ironisa son vis-à-vis, retroussant ses lèvres sur ses canines carnassières, se délectant du mouvement de recul qu’elles provoquèrent. Je n’ai aucune envie de te répondre. N’oublie pas que Zair et Tekris ne sont plus là, du moins pour le moment, aussi tu devrais t’attendre à apprendre moins de détails censés rester confidentiels.

Pensif, le talsi acquiesça bizarrement, un doigt tapotant son menton. Il avait beau sembler retenir la leçon à chaque remontrance, c’était comme s’il fallait chaque fois lui administrer une nouvelle piqûre de rappel. Tout en connaissant les dangers de chatouiller trop fort la rate de l’irascible extraterrestre, il continuait à tâter du bout de ses exaspérantes interrogations l’étroite limite de sa patience, déjà fort peu prodigue. Mais Zane ne pouvait pas se permettre de lui laisser trop longtemps la bride autour du cou ; déjà, la suite des opérations allait obligatoirement plonger le talsi à pieds joints dans ce qu’il était censé ne pas savoir, alors mieux valait surveiller étroitement ses connaissances en s’assurant qu’il ne sache que ce qui lui était profitable.

D’un autre côté, si Zane ne se trompait pas et parvenait à mettre son ébauche de plan à exécution, Lokar apprendrait forcément le talent du gosse pour détecter le kaïru. Et de là, son Maître déciderait quelle place donner à la « nouvelle recrue », en fonction de ses propres desseins.

Hors, si Lokar devait d’aventure perdre son temps en expliquant les bases les plus élémentaires de l’art du kaïru, il y avait fort à parier qu’il tiendrait les Radikors responsables de l’inculture du gosse, entièrement préoccupé à accomplir sa vengeance sur le Redakaï, et revenir au faîte de sa gloire et de sa puissance.

Mais pourquoi ce garçon à peine sorti de l’enfance détenait-il un talent aussi rare, tout en étant incapable de maîtriser la formidable énergie en elle-même ?! De mémoire, c’était la première fois que Zane entendait parler d’une telle chose, et il hésitait encore entre se réjouir de peut-être posséder un avantage sur les Stax (bien qu’il ne sache pas encore vraiment comment l’utiliser), ou rager de devoir se charger d’un tel novice.

– Et si c’est une toute petite question ? réitéra Marc, de l’air innocent du psychotique venant de naître.

Zane soupira ostensiblement. Voilà que l’option pipelette venait de s’enclencher !

Résigné, il lui fit sèchement signe de parler, l’entièreté de son visage clamant qu’il ne se sentait pas obligé de répondre si jamais les tribulations du garçon lui déplaisaient. Après tout, il restait maître de la conversation ! Et avec un peu de chances, cela détournerait son attention des réminiscences impalpables rognant impitoyablement l’intérieur de son crâne.

Heureux comme un gosse (ce qu’il était, au fond), le châtain déplia ses jambes, s’asseyant en tailleur.

– Pourquoi est-ce que l’attaque de… Boomer vous a retransformés en humains ? Je croyais que ça n’arrivait qu’en cas d’épuisement de vos réserves de kaïru ?

– Ou que nous redevenons humanoïdes parce que nous l’avons décidé, comme à la fin des défis kaïru, grommela Zane, affublé d’une très légère mauvaise foi. C’est la particularité de l’attaque de ce fichu monstre Platine, Froztok, voilà tout.

– Ah, je savais bien que c’était un monstre spécial ! jubila le gosse, tressautant sur place comme s’il voulait sautiller, chose impossible dans sa position. Mais je croyais qu’il avait lancé trois attaques, pas une ?

Jetant les restes de couvertures à l’écart, Zane ouvrit plus bruyamment que prévu son sac à dos, manquant arracher la languette de la fermeture éclair. Ne pouvait-il pas ranger ses oreilles à la commande de temps en temps, au lieu de les laisser traîner sans rien dire et sortir des énormités aux moments où le jeune homme l’attendait le moins ?

Bon, pour être tout à fait honnête, la réponse à la question ne faisait pas partie des arcanes du kaïru. À la limite, au point où ils en étaient, il s’agissait de l’une des moins dérangeantes.

Mais dévoiler la plus petite bribe d’information arrachait la langue de l’irascible extraterrestre.

– Et si tu réfléchissais un peu par toi-même, pour une fois ?!

– D’accord ! Alors justement, je me suis dit que soit les combattants kaïru (chaque fois que le talsi prononçait ce mot, encore nouveau pour lui, il paraissait sucer un bonbon particulièrement goûteux, le faisant rouler un instant sur la langue pour en savourer tous les arômes) peuvent lancer des attaques en méga-rafale de l’espace, ou bien c’est, genre, comme une association d’attaques ?

– Une combinaison, oui, grogna Zane, étranglant à demi une quelconque chiffe malencontreusement tombée entre ses mains au mauvais moment.

Rien à faire, voir le gosse tirer des conclusions correctes le vexait affreusement !

Plus encore quand sa pique, censément désagréable, tombait à l’eau avec une telle ingénuité. Sérieusement, à quoi bon pleurnicher pour un rien, s’il prenait tout le reste au premier degré ?!

Ah… Bien, avec un peu de recul, la question se répondait de manière si évidente que le jeune homme se félicita de ne pas l’avoir posé à voix haute.

– Et toi, tu peux faire pareil ? continua l’autre, son corps se penchant en avant pour mieux entendre.

– Bien évidemment ! Mais si ces attaques sont plus puissantes que la normale, cela demande beaucoup d’énergie d’associer les deux X-Drives la composant, toutes les attaques ne se prêtant pas à cet exercice. Et sache, pour ta gouverne, que je suis capable de former l’une des plus puissante combinaison d’attaques de tout le Redakaï.

Il n’avait qu’une seule couverture de réserve. Et encore, uniquement parce que, ne voulant de base pas l’utiliser, Zane ne l’avait pas étalée sur les pierres froides pour se protéger un minimum du tranchant de leurs arêtes. Il envisagea un instant de dormir sans couverture, tout simplement.

Il ne mit pas plus de quelques secondes avant de frissonner, debout dans la semi-obscurité de la grotte. Venir d’un pays martelé par la chaleur n’avait pas que des avantages, sur cette maudite planète frigorifiée !

Résigné, il tira de son sac le morceau de tissu pourpre au liseré d’or grossièrement cousu. Le talent pour les travaux d’embellissement de son akni ne s’étaient guère transmis à son fils…

– Je le savais ! Par contre, si Boomer peut détransformer tous les monstres avec sa… « frappe prismatique » ? Ce n’est pas un peu déloyal ?

Caressant du bout des doigts le paquet soigneusement plié, Zane laissa errer une fraction de secondes ses pensées. C’était sur ce bête carré de laine que Tekris et lui, la nuit dernière…

– Non, ça ne marche pas sur chaque monstre, s’empressa-t-il de répondre, ravi de pouvoir détourner son attention de son esprit visiblement encore embrumé. Elle ne marche que si l’adversaire est transformé en monstre obscur. Et c’est là que tu vas me demander ce qu’est un monstre obscur, hein ?

– Hum… Si je dois y réfléchir avant, ce sont les monstres que vous utilisez, Tekris, Zair et toi ? Ils ne dégagent pas la même… euh, énergie, que les autres. Enfin, sauf pour Koz je crois. Mais son monstre est vraiment moche.

Zane ricana, sincère. Par moments, le gosse pouvait sortir des choses sensées finalement !

– Affreux, même, à l’image de son propriétaire, confirma-t-il, se tournant de trois-quarts vers lui.

Heureux que son trait d’humour ait fait mouche, le talsi s’enhardit un peu plus, se rapprochant du jeune homme tout en grattant le bout du nez avec ce qui ressemblait à de l’appréhension.

– Zair t’a appris qu’il existe une énergie qui sous-tend l’Univers tout entier (à cette évocation, Zane eut un sourire sardonique), une énergie vitale nécessaire à son existence, positive. Eh bien, il existe son opposé en quelque sorte, le kaïru obscur, créé à partir de son côté sombre par Lokar. Bien plus imprévisible, elle exige de véritables guerriers capables de la manipuler, mais une fois entre tes doigts, sentir toute la puissance de cette force, la soumettre à ta volonté, est véritablement… euphorique.

– Hum, Lokar ton Maître, si j’ai bien tout compris ?

– Qui d’autre ?! soupira Zane, levant les yeux au ciel. Personne n’est assez puissant pour parvenir à séparer bon et mauvais kaïru à part lui. Puis de l’employer à son seul usage, sans subir son emprise dévastatrice ! Personne n’est plus habile dans sa maîtrise que notre Maître, crois-moi !

Ce qui en faisait un adversaire redoutable, du moins en temps normal, ajouta mentalement le jeune homme. Mais non dénué de profits plus… personnels. Le tout étant de rester très prudent sur la manière d’obtenir ces privilèges en question, et ne laisser planer aucun soupçon sur un quelconque désir de prendre la place de Lokar par la suite. Le but ultime du jeune homme, justement, un but qu’il avait été à deux doigts d’atteindre l’année dernière !

Mais jamais plus il ne referait l’erreur de sous-estimer Lokar ; l’homme le lui avait fait comprendre de la manière la plus directe qu’il soit. Heureusement, pour le moment, Zane était remonté dans l’estime de son Maître, au point d’occuper le rôle de son combattant favori. Et ça, le chef des Radikors n’était pas prêt à le lâcher. À savoir si le gosse renforcerait la considération (parler de confiance était bien trop prématuré, si tant était que Lokar puisse accorder sa confiance à quelqu’un) du Maître à son égard, ou ferait douter l’homme de ses véritables capacités.

Transmettre sa passion et son admiration pour le kaïru obscur était sûrement le meilleur moyen d’inciter le gosse à tant vénérer son créateur, et Lokar ne pourrait que récompenser celui qui lui amènerait cet hère providentiel.

Hélas, au lieu de se trouver exalté par l’exploit de Lokar, le gosse ne disait rien, mordillant tour à tour ses lèvres inférieure et supérieure, indécis. Son corps se balançait doucement, tandis qu’il évitait soigneusement de croiser le regard de son vis-à-vis.

– Mais pour fabriquer une énergie aussi, ben, présente, il a bien fallut qu’il donne quelque chose en échange, non ? Vu qu’elle n’existait pas du tout avant. Ou un peu.

– Et alors ? Qu’est-ce que ça change, tant que l’on a la puissance ? s’étonna Zane, ne s’attendant pas à une réflexion de ce genre.

Le talsi ne répondit rien, profondément concentré. Le chef des Radikors allait l’interpeller, agacé de son soudain mutisme qu’il aurait, quelques secondes auparavant, accueilli avec gratitude, quand il ouvrit de nouveau la bouche, bien plus hésitant.

– Je suppose que si le kaïru est, de base, positif, et que Lokar a réussi à isoler le côté bon et le côté mauvais de l’énergie, il s’est servit de ce dernier pour créer le kaïru obscur ?

– Bien sûr que non, voyons, le mot obscur évoque des champs de fleurs et de jolis petits oiseaux gazouillant dans les prés, railla Zane. Je viens de te le dire ! (Comprenant que sa déclaration pouvait se révéler préjudiciable sur un naïf idéaliste tel que le gosse, il reprit, plus doucement) Mais ça ne signifie pas que nous l’utilisons pour tout détruire. Écoute, c’est une question de point de vue, d’accord ? Pour l’instant, tu as pu constater que nous, les Radikors, n’employons cette formidable énergie que pour nous défendre, pas vrai ?

Encore une fois, la prochaine question du garçon manqua le désarçonner.

– La première fois que nous nous sommes rencontrés, toi et Zair, vous étiez transformés en d’autres monstres que Bruteron et Crapler, commença-t-il, bien plus sérieux que Zane ne l’avait jamais vu.

Le jeune homme plissa le front, ne comprenant pas où il venait en venir.

– Oui, et alors ?

– Mais ils n’ont pas l’air de monstres obscurs. Enfin, j’avais tellement peur à ce moment-là que je ne me souviens pas de tout, mais je crois quand même que j’ai ressenti autre chose qu’avec vos monstres obscurs. Et même si vous ne les avez plus utilisé depuis, pourquoi tu continuais à t’entraîner avec si le kaïru obscur est si intéressant ?

Un frisson remonta le long de la colonne vertébrale de Zane, sa respiration se bloquant dans sa gorge, sur le point d’envoyer balader le garçon. Morigénant sa bête réaction, il se força à reprendre un souffle calme, adoptant une attitude hautaine, et surtout, parfaitement sûre de lui. Ce gamin n’en savait pas suffisamment pour tirer des conclusions, disons, potentiellement préjudiciables, de ses observations, cependant il ne souhaitait absolument pas prendre le risque de le laisser réfléchir trop longtemps par lui-même.

– Il y a quelques temps, Lokar a faillit gagner la guerre pour le kaïru, en usant de sa création. Dans le but stupide de retarder l’inéluctable, les humains ont trouvé un antidote au kaïru obscur, « purifiant » celui se trouvant encore dans la nature, attendant d’être récolté. Jusque là, il s’est avéré impossible de supprimer les monstres et attaques obscurs déjà récoltés, mais au cas où, je ne compte pas me laisser prendre par surprise juste parce que je ne sais plus manipuler un kaïru plus classique.

Les meilleurs mensonges contenaient tous une part de vérité ; Zane ne mentait pas sur la brusque disparition du kaïru obscur, à cause de son ennemi de toujours évidemment, ce cher « Ky Stax » !

Par contre, ce n’était pas exactement la raison de ces entraînements maintenus en dépit des interrogations de Zair et Tekris. Il devait conserver le gosse dans un état d’esprit soigneusement calculé, pour ne pas le laisser s’échapper. Il mettrait sans crainte sa main à couper qu’il ne suivrait plus les Radikors s’il comprenait l’étendue des ambitions de Lokar. Et peut-être aussi des siennes, quoique cela avait moins d’importance, du moins pour le moment.

Zane s’était fait à l’idée que personne ne pourrait réellement l’apprécier, excepté ses coéquipiers, et encore. Le gosse n’échapperait pas à la règle, filant à l’anglaise dès que lui ou son équipe ne lui apporterait plus ce qu’il désirait, en dépit de ses affirmations comme quoi il se sentait bien avec eux, et bla et bla, affreusement niaises. Mais il ne leur tournerait pas le dos avant que Zane n’ait tiré de lui tout ce qu’il voulait. Peu lui importait, au fond ! Nul besoin d’être entouré, pour régner sur le monde !

Il suspendit son geste, un subit doute l’étreignant.

Sa pensée se trouvait aussi radicale par nécessité (s’il voulait atteindre ses objectifs le plus rapidement possible, oublier les scrupules figurait parmi les étapes obligatoires), et il se savait relativement proche, au niveau des considérations, de Lokar, son Maître.

Il secoua vigoureusement son crâne. Impossible ! Au moins pour le moment, Lokar avait plus que jamais besoin de ses E-Teens, ses combattants, restants. Vulnérable, mais rarement stupide, il ne prendrait pas le risque de voir échouer ses plans par pur égoïsme ! De toute façon, le gosse continuait de parler ; le moment se trouvait mal choisi pour s’épandre en d’aussi stupides considérations.

Pourtant, quand son regard se posa sur la bouille ronde lui faisant face, il ne put s’empêcher, à son propre étonnement, de songer que si Lokar décidait de le faire tomber, le gosse, ramené par ses soins, subirait forcément le même sort. Oh, Zair et Tekris aussi, mais ce n’était pas pareil : en dépit de la vague inquiétude mordant sa poitrine (uniquement parce qu’il ne voulait pas perdre des sous-fifres, bien évidemment !), il n’imaginait guère que ses coéquipiers ne puissent s’échapper du guet-apens leur ayant été tendu, grâce à toutes leurs compétences acquises par les années d’entraînement.

Mais ce gamin, songea-t-il, étendant la couverture sur le sol glacé, en dépit de ses éclairs d’utilité, ne pourrait sûrement pas résister à l’ire de son Maître.

Non pas qu’il se sente réellement responsable, bien sûr. Mais tout de même, pour le principe.

Tekris, stupide adolescent sans une once de jugeote ! Comment veux-tu que je prenne soin de cet humain ?

Bah oui quoi, son credo, c’était plutôt cratères fumants et face-à-face musclés, pas jouer la nounou !

– Alors ? fit soudainement le gamin.

– Pardon ? Parle plus fort, si tu veux que je t’entende ! rétorqua Zane, oblitérant sélectivement sa pure mauvaise foi. Lokar, tu disais ?

– Je te demandais comment Lokar avait fait pour fabriquer le kaïru obscur, répéta Marc, sans trace de moquerie dans sa voix.

Plutôt, il semblait redouter que Zane ne s’énerve. Plus que tout le reste, cela persuada l’intéressé que le gosse avait quelque chose derrière la tête. Qui, visiblement, ne lui plairait pas particulièrement.

Aussi, frustré de ne pas comprendre où le menait la conversation, le jeune homme se contenta de grogner, peu amène, entrouvrant l’ouverture de son sac tout en vérifiant que rien n’avait été dérobé, ou même dérangé, couvant d’un regard soupçonneux la petite touffe érable en face de lui.

Soulagé de constater que rien ne manquait dans son paquetage, Zane referma le tout, satisfait.

– Qu’est-ce que j’en sais ? Ça n’a aucune importance, du moment que cela peut nous permettre de gagner en puissance, et de coller une belle raclée à nos poursuivants.

Pas question de laisser Zair et Tekris entre les mains du Redakaï, et d’un parvenu lui léchant copieusement les bottes. Les Stax avaient osé frapper son orgueil de plein fouet ?

Zane le leur ferait payer au centuple.

Son sac, quand il le reposa près de la tête de son « lit », lui parut soudain bien plus lourd. Comme pour lui rappeler que l’objet contenu en son sein avait été acquis à un prix plus qu’élevé pour les monastèriens.

Pourtant, aucune compassion ne vint éclairer ses pupilles onyx. Au contraire, elles s’assombrirent encore, de détermination et de haine.

Si le talsi remarqua le subtil changement de son attitude, il n’en dit rien, frottant ses yeux gonflés de fatigue.

– C’est trop… Je veux dire, très intéressant, déclara-t-il d’une voix pâteuse, tentant de prendre la posture d’une écoute attentive et calme, luttant contre le sommeil engourdissant.

Effet totalement gâché par le large sourire mangeant la moitié inférieure de son visage, et l’excitation faisant tressauter ses genoux pendant dans le vide en dépit de ses muscles lourds.

– Dis donc, tu pourrais être un peu moins ravi quand même. Zair et Tekris sont loin de nous, sans que nous ne sachions s’ils ont échappé aux Stax et à ce prince de pacotille !

Et sans leurs sacs à dos, récupérés par le gamin…

Zane fut une nouvelle fois déçu. Au lieu de se décomposer comme d’habitude, ce qui exceptionnellement ne l’aurait pas énervé mais grandement satisfait, le gamin se contenta de diminuer son sourire, braquant ses iris noisette dans les pupilles onyx de son vis-à-vis.

Dérangé de ce soudain contact visuel franc, le chef des Radikors raidit instinctivement ses muscles, refusant de détourner le regard à cause d’une soudaine impulsion d’un humain.

– Je sais, hors de question que je l’oublie. Ils me manquent déjà, tous les deux, et en plus je dors mal quand Tekris n’est pas juste à côté de moi. Mais toi tu n’as pas l’air inquiet, et je sais que tu vas les libérer (la ferveur des mots du garçon le surprit, au point qu’il se demanda encore s’il cherchait à gagner sa confiance dans des buts inavouables), tu l’as déjà fait. Je n’ai pas peur pour eux.

– Tu es complètement fou, souffla Zane, choqué.

– Pourquoi ? Parce que j’ai confiance en toi ?

Le pire, dans tout ça, résidait probablement dans le ton sincère du gamin.

« Ça va pas bien, oui ? J’ai suffisamment confiance en moi pour nourrir les dix générations à venir ! ».

Voilà ce que Zane s’apprêtait à rétorquer, assortissant ses propos d’une quelconque corvée nocturne destinée à lui apprendre le sens de « tenir sa langue ».

Au dernier moment, il se ravisa. Le gosse tanguait de gauche à droite, ses paupières se fermant toutes seules, un à-coup brutal le tirant par moments de son semi-endormissement, alors qu’il mobilisait toute sa volonté pour écouter encore les explications du chef des Radikors. Même dans cet état, ce dernier voyait la lueur avide de la connaissance derrière les iris noisette, pas encore rassasié en dépit de tout ce qu’il venait d’apprendre. Ce qui était presque incompréhensible pour l’irascible extraterrestre d’ailleurs.

Quel intérêt à rassembler autant d’informations sur un sujet qui ne pouvait lui servir qu’à accumuler de la théorie ? Impossible d’en tirer autre chose, puisque le talsi ne pouvait manipuler le kaïru !

– Non mais regarde-toi, marmonna-t-il, poussant du doigt la fine silhouette.

Brusquement déséquilibré, le gosse faillit s’étaler dos contre terre, se rattrapant de justesse en balançant ses bras à l’arrière. Surpris, il cligna plusieurs fois des paupières, jetant au jeune homme un regard intrigué.

– Tu tiens à peine debout. Va te coucher, la journée a été dure pour tout le monde.

– Je ne suis pas fatigué, protesta mollement son vis-à-vis, se redressant de toute sa hauteur.

Zane n’ajouta rien. Plissant le front au point que le noir ceignant ses yeux soit sur le point de se toucher, il darda ses prunelles, sa bouche se tordant en une moue désapprobatrice.

Cela suffit. Tentant d’abord de soutenir l’intensité du contact visuel, le talsi ne tarda pas à baisser le nez, triturant nerveusement le bord de son short.

Détournant la tête, le gamin se mit à fixer les ombres entourant sa couchette, presque à l’exact opposé de l’endroit où Zane couchait. C’était exactement ce « presque » qui lui faisait penser que le satané gosse avait profité de son sommeil pour se rapprocher de lui.

Comme si ses membres pesaient maintenant plus lourd que du plomb, il se releva néanmoins, continuant d’observer son ersatz de lit d’un air angoissé. Retourner sous la couverture, dos contre la pierre et fixant obstinément le plafond, parut être la tâche la plus difficile qu’il n’eut jamais à effectuer de sa vie.

Soupirant ostensiblement, Zane quitta à son tour sa place encore tiède.

Mû par une impulsion, il s’avança jusqu’au talsi, posant une main sur son bras. Un si bref instant qu’il aurait tout aussi bien pu ne rien s’être passé.

Pourtant, le jeune garçon sursauta comme s’il venait tout juste de le gifler.

– Je vais monter la garde, d’accord ? Alors arrête de trembler comme une feuille. Faut que tu dormes un minimum, sinon je vais me traîner un véritable boulet demain !

L’autre hocha la tête, ses mains fines relâchant très légèrement le tissu de sa couverture. Quelques secondes plus tard, après s’être assuré que Zane se postait effectivement à une demi-douzaine de pas de lui, scrutant alternativement l’entrée de la grotte, et l’obscurité de ses tréfonds, il osa enfin fermer pour de bon ses yeux.

Alors que le chef des Radikors doutait de l’utilité de sa déclaration, la respiration régulière du dormeur résonna presque sur-le-champ.

Vraiment bizarre, ce petit humain.


µµµ


Battant la mesure avec ses pieds, Koz se pencha pour la énième fois, cherchant à deviner depuis combien de temps il se tenait assis sur cette chaise. Suite à l’attaque des spectres de Lokar, ses hommes se trouvaient bien trop épuisés pour coucher une fois encore à la belle étoile ; aussi avait-il poussé son contingent à dresser promptement le campement dans l’une des salles de la forteresse, largement assez grande pour contenir la quinzaine d’hommes. Certes, ce n’était pas un hôtel de luxe, mais néanmoins d’un confort exquis après tant de jours à dormir sur un lit pliable, au sein de la jungle cambodgienne.

Mais pour le moment, le prince, ainsi que deux de ses hommes ayant emmené Killian, le plus sérieusement blessé du groupe militaire, attendaient impatiemment dans l’antichambre de la tente médicale. À sa droite, Giacomo reniflait par intervalles réguliers, les yeux rouges et brillants de larmes contenues, sa lourde poitrine se soulevant douloureusement alors qu’il tentait péniblement de retrouver le calme et la rigueur seyant à tout militaire. Quand il ne fixait pas désespérément la porte de tissu derrière laquelle son amant, plus de trois longues heures auparavant, avait disparu, le soldat jetait de fréquents regards inquiets à son prince, de plus en plus angoissé à mesure que les minutes s’égrenaient.

Le jeune seigneur comprenait sans peine ses sentiments ; personne, après la violence de sa réaction en découvrant le corps inanimé de Killian, ne pouvait douter de la nature du lien l’unissant à son camarade. En tant que prince, Koz se devait de signaler le comportement déviant de son homme aux souverains, ses parents. Mais en faisant cela, il se doutait que les chances à la fois de Giacomo, et de Killian, de jamais monter en grade s’évanouiraient sans possibilité de revenir en arrière. Oh, aucun des deux ne seraient rétrogradés, ni ouvertement brimés à l’exception d’un fort encouragement à changer de voie ; simplement, toutes les portes se fermeraient devant eux. Et Koz ne voulait pas détruire l’avenir de ces soldats qui se trouvaient à présent blessés, l’un physiquement, l’autre mentalement, parce qu’ils l’avaient suivi dans sa quête. D’autant qu’aucun soldat du contingent ne semblait choqué, ou répugné.

Quelques mois auparavant, sûrement se serait-il empressé d’accomplir son devoir, ne serait-ce que pour espérer remonter dans l’estime de ses parents et grappiller un peu de l’attention accordée à Diara.

Illian ne se trouvait pas avec lui cette fois, et sur son propre ordre. Ne connaissant que depuis très peu les trois recrues venues avec Teeny, Koz lui avait ordonné de ne pas les quitter d’une semelle, en particulier depuis que Balthazar était venu l’informer que sa sœur, pourtant sur le point de repartir sur Mandraliore, avait finalement décidé de le rejoindre en apprenant les derniers évènements. Il ne fallait pas que ces soldats fraîchement arrivés de sa planète natale ne se mettent à parler à tort et à travers. Pour cela, Koz savait que son capitaine avait réquisitionné les frères Lohan et Noham. Aussi Illian et ses subalternes gardaient ces jeunes arrivants dans l’enceinte du camp, le quadragénaire leur posant toutes sortes de questions censées évaluer leurs aptitudes et compétences militaires pour leur assigner le plus judicieux rôle possible.

Bref, pile ce qu’il fallait pour que le prince soit considéré comme complice désormais.

Assis sur le siège de gauche, seulement son poignet foulé enserré dans un bandage épais, Ézéchiel ressassait les derniers évènements, soulagé malgré tout que Koz ait confié une tâche relativement reposante à Illian. La mine défaite de celui s’apercevant de la véritable dangerosité de sa mission affaissait les traits si fins et si délicats du roux, sa peau de miel prenant une teinte légèrement cendrée.

Comment allait-il pouvoir tenir sa promesse de garder le jeune soldat en sécurité ?

Il n’eut pas le temps de s’interroger plus avant. Presque sans un bruit, le battant menant à la salle de soin d’Ambrosios s’entrouvrit, laissa passer la silhouette trapue du médecin.

Giacomo se releva à demi, la bouche déjà entrouverte. Se ravisa quand son regard se posa sur Koz, se détournant presque immédiatement, portant le doigt à sa bouche pour en ronger l’ongle.

– Comment va-t-il ? demanda le prince.

– Avec un peu de chance, il s’en sortira, assura le canadien par l’intermédiaire d’Ézéchiel. Mais il ne marchera peut-être plus, du moins pas sans séquelles. Les os de sa jambe droite, en particulier, ont été brisés en plusieurs morceaux.

À ces mots, Giacomo laissa échapper un petit cri, qu’il étouffa tant bien que mal. Le prince et le roux esquissèrent à leur tour une grimace douloureuse. Bien que le gouffre de Lokar soit moins profond que Koz ne le croyait, retrouver Killian vivant, mais inconscient, relevait déjà du miracle ; personne ne s’était assez voilé la face pour supposer qu’il s’en tirerait sans séquelles. D’après David, descendu avec le prince et quelques autres, qui avait retrouvé plusieurs sphères d’énergie auprès du blessé, Killian aurait utilisé ces appareils pour se créer un filet rudimentaire, contre l’une des parois, dans le but de ralentir sa chute. Une manœuvre payante, supposait le prince, puisqu’il respirait encore, bien qu’il ne comprenne pas vraiment comment son soldat s’y était prit.

– Comment est-ce qu’il va faire, s’il ne peut plus marcher ? Ou même s’il marche mal ? C’est un soldat, il a besoin de ses jambes !

– Suffit, Giacomo ! ordonna Koz, prenant son ton le plus autoritaire.

Heureusement, l’homme obéit, courbant piteusement la nuque.

En son for intérieur, le prince espéra de tout cœur qu’il reprenne rapidement ses esprits : Giacomo figurait parmi les plus robustes et les plus compétents de ses hommes. Il ne pouvait se permettre de le perdre.

– Est-ce que nous pouvons le voir ? demanda-t-il, s’adressant cette fois au médecin.

– Bien sûr, à condition de ne pas vous attarder. Il est encore faible.

Hochant la tête pour montrer son assentiment, le prince se tourna vers Giacomo, plaçant une main réconfortante sur son épaule.

– Alors, allez-y. Vous avez besoin de vous retrouver, juste tous les deux.

La surprise de l’intéressé trouva son reflet sur le visage d’Ézéchiel. Koz savait parfaitement qu’en agissant ainsi, il donnait sa bénédiction au couple de soldats, et s’il conservait quelques réticences dues à son éducation, il ne pouvait cependant pas nier que le désespoir de Giacomo le touchait plus qu’il n’aurait pensé.

Ému, le solide garçon s’inclina respectueusement, balbutiant des paroles de remerciements rendues incompréhensibles par son ton presque inaudible. Se redressant toutefois promptement, Giacomo suivit Ambrosios, écoutant d’une oreille distraite des propos qu’il ne comprenait de toute façon quasiment pas, entièrement préoccupé par l’idée de revoir enfin l’homme qui occupait ses pensées.

Un doux sourire éclairant enfin son visage ovale, Ézéchiel se tourna vers son prince, une admiration sincère brillant dans ses prunelles pailletées d’or.

– Merci, pour eux.

– Donc tout le monde, excepté moi jusqu’à récemment, savait que Giacomo et Killian ont une… relation extra-professionnelle, déduisit le prince, dépité.

Le roux eut un petit rire discret, sa chair reprenant doucement la couleur du miel à mesure qu’il s’éclairait. Intérieurement, Koz se sentit heureux de parvenir à le distraire un moment de son inquiétude au sujet d’Illian. Et du futur.

– Ne nous en voulez pas, s’il-vous-plaît, de n’avoir rien dit. J’ai bien essayé de leur expliquer que vous n’êtes pas comme les autres nobles de Mandraliore et qu’ils pouvaient vous en parler, mais personne ne m’a écouté.

Gêné, Koz se tut, raclant bruyamment sa gorge.

– Ne vous inquiétez pas, reprit, plus bas, le jeune soldat. Je suis certain que d’ici peu, les Radikors seront sous votre contrôle, et que le Redakaï vous prendra enfin au sérieux.

Incrédule que son vis-à-vis ait pu deviner si aisément ses sentiments, le prince ne sut, une fois encore, que répondre. Avant, tout de suite après, de se morigéner mentalement pour sa facilité à se retrouver décontenancé, en particulier face aux soldats sous ses ordres. Pourtant, en presque un an, aurait-il déjà dû prendre ses marques, se comporter en véritable chef de guerre. Mais suite à une série d’erreur commises les premiers mois suivant sa prise de commandement, provoquées par son manque d’expérience et son orgueil de tout jeune promu, il n’avait plus su comment réagir, réalisant que prendre son indépendance, acquérir des compétences guerrières, était bien différent des leçons de ses parents assurant que jamais il ne lui serait nécessaire de prendre les armes. Et maintenant qu’Illian, encore sonné, ne pouvait plus lui prodiguer ses habituels conseils, il lui fallait s’empresser de réfléchir, seul, sur la bonne décision à choisir.

Néanmoins touché de l’attention d’Ézéchiel, Koz prit une de ses mains dans les siennes, la pressant brièvement dans l’espoir de le réconforter.

– Je me disais, comme tu passes souvent sous ma tente pour m’apporter mes repas, remettre un peu d’ordre, ce genre de choses, tu pourrais peut-être me tutoyer en privé ?

– Mon prince ! C’est un honneur insensé que vous me faites là ! s’écria Ézéchiel, bouleversé. Comment pouvez-vous seulement penser à m’accorder un tel privilège, alors que je ne suis qu’un simple soldat ?!

– Cela ne fait que quelques mois que nous nous côtoyons, mais je te considère davantage que comme un simple sous-fifre, avoua doucement Koz. N’y vois aucune attention perverse de ma part.

– Aucune… bien sûr que non, assura le roux, son souffle s’accélérant presque imperceptiblement.

Le soldat pressa plus fort les mains de son prince, à son grand étonnement venant d’un garçon aussi réservé.

Ce dernier le sentit hésitant, sur le point d’ajouter quelque chose ; l’encourageant du regard, il s’apprêta à l’inciter à parler sans crainte, quand il vit le roux s’écarter brutalement de lui, un éclair de panique assombrissant brièvement son regard, tandis qu’il s’inclinait humblement, obnubilé par une soudaine apparition dans le dos de son prince. Ce dernier devinant, dans un soupir, qui osait s’introduire sous la tente médicale en un moment aussi pénible, alors qu’il venait d’ordonner de refouler toute personne sans autorisation. Dans un sens, une seule avait le pouvoir de contredire ses propres ordres.

– C’est une joie de vous voir en pleine santé, princesse.

Sursautant comme un gamin prit la main dans le pot de chocolat, Koz s’écarta plus encore de son vis-à-vis, faisant mine de détacher les premiers boutons de son col afin de se donner une contenance.

Au beau milieu du couloir donnant accès à la salle des soins, Teeny dévisageait les deux hommes, bras croisés sur la poitrine, une chemise de nuit vaporeuse délicatement brodée soulignant sa taille encore fine. En plissant un peu plus les paupières, Koz parvenait néanmoins à deviner les douces rondeurs caractéristiques de l’état de sa sœur. Déglutissant nerveusement, il contempla le blason de la famille royale affiché un peu partout dans son camp, connu pourtant sur le bout des doigts par tous les hommes, prince compris.

– Koz, j’ai à te parler, déclara sentencieusement la jeune femme, se plantant entre le prince et son soldat. Mon garçon, si tu avait l’obligeance de t’écarter…

Impossible pour un militaire si peu gradé de s’opposer à un ordre direct de l’un des membres de la famille royale. Tous les trois le savait pertinemment ; aussi Ézéchiel n’eut-il d’autre choix que de s’incliner respectueusement, s’éloignant à grandes enjambées des deux enfants souverains, sous le regard déçu de son seigneur, peu appréciateur de la condescendance avec laquelle la princesse venait de le congédier.

– Que me veux-tu encore ? marmonna Koz, mettant dans son ton davantage d’humeur qu’il ne l’aurait cru. Tu sais qu’il est à peine plus jeune que moi ; tu aurais pu le traiter avec un peu plus de considération…

– Non mais à quoi tu jouais, là ? explosa la princesse.

– Excuse-moi ? Cela fait déjà un an que j’ai cessé de jouer tout court à quoi que ce soit !

Affreusement soupçonneuse, ses lèvres plissées en une moue furieuse peu convaincue, Teeny désigna d’un large geste le couloir dans lequel Ézéchiel venait de disparaître.

– Tu tenais la main de ce soldat comme tu tiendrais celle d’une femme ! Moi, je te connais assez pour savoir que ce n’est qu’une imprudence de ta part, mais quelles conclusions tireraient papa, maman ou même Diara ?

– Il a été secoué par l’assaut des spectres de Lokar, autant au Cambodge que dans la forteresse de Lokar. Je me contentais de le rassurer du mieux que possible. C’était sa première véritable bataille menée de front !

– Eh bah trouve une autre façon de faire ! Au lieu de t’engager dans des fiascos perpétuels !

Koz sentit la moutarde lui monter au nez. Non seulement Teeny se permettait de s’immiscer dans ses affaires personnelles, ne venait que pour lui coller d’autres problèmes s’ajoutant à ceux déjà en cours dans les pattes, et en plus de tout elle se permettait de critiquer sa façon de diriger ses hommes ?!

– Je crois plutôt, siffla-t-il, outré, que ton état de provoque certaines « humeurs », que tu ferais bien de cacher aux regards indiscrets. Peut-être en retournant au plus vite sur Mandraliore, avant de provoquer une émeute uniquement due à tes fichues hormones ? Et je me contenterais d’ajouter que si les soldats formant ta garde nous avait accompagnés, sûrement les Radikors seraient-ils entre nos mains à l’heure actuelle.

Se redressant de toute sa hauteur, il n’attendit guère que sa sœur, bouche bée, ne se fusse remise de ses émotions. Quittant la tente médicale, le prince tourna les talons, le battant de la toile de bonne qualité fouettant l’air derrière lui, la tête haute, non sans avoir vérifié une dernière fois que Giacomo ne revenait pas déjà de sa visite à son amant.

Pour autant, il ne jeta pas un regard vers Teeny, l’ignorant des plus grossièrement, avant de suivre le chemin emprunté quelques minutes auparavant par Ézéchiel.


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Bonjour, ou bonsoir !


Comme d’habitude, j’espère que le chapitre vous aura plu ! Pas mal d’explications ont été données sur le lore de la série ; si jamais quelque chose n’était pas clair, n’hésitez pas à me le dire, et je tâcherais de répondre de mon mieux !


Sur ce, bonne journée ou soirée, et à bientôt !


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