La Menace de Chronos -- Scènes bonus

Chapitre 2 : Scène bonus 2 : Partie I – Chapitre X ~ Marie et Jean-François

2661 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 13/07/2023 00:57

Scène bonus 2 : Partie I – Chapitre X ~ Marie et Jean-François




Les Chevaliers diaboliques jetèrent sans aucun ménagement Marie dans sa cellule. Elle poussa un gémissement de douleur lorsque ses genoux amortirent la chute, et en regardant par-dessus son épaule gauche, elle constata que déjà les deux sbires refermaient derrière elle, la laissant donc croupir seule dans cette prison moisie. Tant bien que mal, elle s’adossa à un mur, ramenant ses genoux contre elle, et y posa sa tête, le cœur lourd.

Elle ne comprenait rien à ce qui passait.

En voulant fuir Napoléon au Château de Versailles, elle avait rencontré Jean-François, une aubaine inespérée, du moins le pensait-elle alors. En réalité, il l’avait kidnappée à l’aide de ses sous-fifres et même giflée. Ensuite, ils l’avaient emmenée dans une voiture garée non loin du palace, prenant soin de lui bander les yeux, de la bâillonner et la ligoter sur le trajet, sans doute pour l’empêcher de reconnaître l’endroit où ils comptaient la garder captive. Une stratégie qui fonctionnait, puisqu’elle ignorait en effet où elle se trouvait. Quelque part sous terre, de ce qu’il semblait. Quand on l’avait amenée à sa geôle, son ancien tuteur avait déjà disparu, et ne restait plus que ses hommes de main… volatilisés avec non moins de célérité.

Jean-François l’avait trahie.

Elle se recroquevilla sur elle-même, anéantie. Elle ne parvenait toujours pas à digérer cette information.

Que lui avait-elle donc fait pour qu’il la traitât de la sorte ? Elle ne le reconnaissait pas, c’était comme si elle assistait à la manifestation de deux facettes opposées d’une même personne, à la manière de Docteur Jekyll et Mister Hyde. Laquelle correspondait au véritable homme qu’elle avait connu, son gardien, celui qui avait veillé sur elle et lui avait tout appris, comme le violon ? La bernait-il depuis le début, et se refusait-elle – ou ne réussissait-elle pas – à voir la vérité en face ?

Pourtant, elle l’avait bien entendu parler au téléphone, elle n’avait pas rêvé. Elle savait bien qu’il ne volerait pas à son secours. Personne ne la sauverait d’ailleurs, cette fois-ci, et cela l’effrayait au plus haut point. Qu’attendaient-ils d’elle ? Non pas qu’elle eût l’intention de le leur donner, mais elle souhaitait apprendre la raison pour laquelle on la détenait captive dans cet endroit sombre et humide. En plus de cela, elle ne possédait même pas son violon, cela aurait pourtant au moins pu lui permettre de se changer les idées. Peut-être que Gwen pourrait le récupérer…

Sa tête se redressa d’un coup et ses yeux s’écarquillèrent.

Gwen !

Elle ignorait si son amie allait bien. En fuyant, elle l’avait laissé affronter Napoléon toute seule, tout du moins, ils se préparaient à se bagarrer. Elle avait crié dans le téléphone de son tuteur pour essayer de la prévenir, mais rien ne lui garantissait que l’empereur ne l’avait pas enfermée elle aussi, ou pire encore, exécutée ou décapitée.

La blonde se mordit la lèvre, un nœud se formant dans sa gorge. Elle n’aurait jamais dû quitter sa précieuse camarade à ce moment-là ; ensemble elles auraient peut-être pu s’en sortir et éviter de se retrouver dans une situation aussi périlleuse et dramatique. Quelques larmes perlèrent à ses yeux, qu’elle essuya du bout de ses doigts. Oh, si Gwen, avait été là, comme à Montmartre, elle aurait si bien su la réconforter. Et maintenant, peut-être qu’elle n’existait déjà plus, et Marie ne pouvait s’empêcher de se blâmer à ce sujet.

Tout était de sa faute.

Alors qu’elle ressassait ces sombres pensées et son désespoir, ses iris azur lui transmirent une vision insolite. Devant elle, à quelques centimètres à peine, volait une petite coccinelle d’un rouge magnifique. Elle virevolta quelques secondes, avant d’atterrir sur la main de l’adolescente, pour se reposer. Les yeux de cette dernière s’arrondirent, avant qu’un sourire délicat ne se formât sur ses lèvres. Ces petits insectes apportaient la chance, d’après la légende, et en ce moment, elle en avait désespérément besoin. Elle pouvait bien la laisser se promener sur sa peau, la créature repartirait quand elle le souhaiterait.

Et cela arriva plus tôt que prévu : au bout du couloir, des bruits de pas lourds résonnèrent. Elle devina qu’un groupe de plusieurs personnes approchait, à n’en pas douter pour elle, puisqu’aucune personne ne séjournait dans les autres prisons, semblait-il. La bête porte-bonheur voleta jusqu’à un autre endroit de la pièce. La musicienne la suivit d’abord du regard, souhaitant dans un second temps se rapprocher d’elle, mais elle la perdit de vue, et n’eut pas le temps de partir à sa recherche, car déjà les individus approchaient.

Elle ne masqua pas sa surprise en reconnaissant son tuteur, qui de l’autre côté de porte, l’observait avec un rictus malsain qui lui glaça le sang. Un tour de clé plus tard, il se retrouvait dans la geôle avec elle, la regardant avec satisfaction. Par réflexe, elle se replia elle-même.

–       Tu t’amuses bien, Marie ?

–       Jean-François… Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que tout cela signifie ? demanda-t-elle d’une voix secouée par l’émotion.

De façon idiote, elle nourrissait l’espoir qu’il ne s’agissait là que d’une vaste méprise. On la relâcherait, elle retournerait au couvent, et continuerait à vivre sa vie. Peut-être existait-il encore une issue de secours, une explication rationnelle à laquelle se raccrocher…

–       Allons, ma chérie. Cesse donc d’être si stupide. Je pense que tu as déjà saisi la situation.

Comme elle ne répondait pas, encore sous le choc, il se permit de poursuivre.

–       Vois-tu, je fais partie d’une très ancienne organisation. Nous cherchons à renverser le régime absurde au pouvoir et à instaurer un ordre nouveau.

Non…

L’air lui manqua, alors qu’elle voyait toutes ses espérances se réduire à néant. Son ancien tuteur… ne correspondait plus du tout à celui qu’elle avait côtoyé toutes ces années durant. Ses yeux brillaient désormais d’une lueur avide, et, d’après ses dires, il poursuivait des objectifs qu’elle n’avait jamais soupçonnés jusqu’ici. Bouleverser la République ? Changer la façon de gouverner ? Elle ne l’avait jamais pensé très intéressé par la politique, pourtant.

–       Si vous détruisez toutes les institutions… Alors qui va gouverner ? souffla-t-elle, incrédule.

–       Mais, c’est très simple. Rien de moins que le dirigeant légitime de la France, Napoléon Bonaparte !

… Quoi ?! Mais c’est complètement insensé !

Napoléon ? LE Napoléon Bonaparte, instaurateur de l’Empire, grand conquérant exilé à Sainte-Hélène ? Ce groupe comptait le ramener au pouvoir, deux siècles après sa mort ?

Enfin, mort supposé, puisqu’il paraissait être de retour sur le territoire, et pourchassait Marie depuis plusieurs jours. Il portait une tenue vraiment étrange, loin de celles dont elle se souvenait des lectures de ses manuels d’histoire.

Maintenant qu’elle y pensait… Jean-François avait toujours beaucoup insisté sur cette période, durant leurs cours d’histoire. Elle se rappelait encore à quel point il parlait avec enthousiasme de l’empereur, mais de là à le sortir d’outre-tombe pour le placer à la tête de France… elle chutait de très haut. Comment n’avait-elle jamais repéré ces lubies si intenses auparavant ?! Elle encaissait difficilement le choc.

–       Les gens ne vous laisseront pas faire, souligna-t-elle, encore tremblante et secouée. Napoléon déclenchera guerres sur guerres, les autres pays n’accepteront jamais ça…

Sa tête se releva, et elle croisa son regard.

–       Ça marquera le début d’une troisième guerre mondiale. Tu connais l’histoire, ce sera un désastre !

À sa grande consternation, et à sa grande incompréhension, son ancien tuteur éclata de rire, un rire effrayant qui provoqua en elle des frissons de terreur.

–       Ils n’auront pas leur mot à dire. Car nous disposons désormais de la clé pour accéder à un moyen de pression tellement énorme qu’ils devront se ployer devant notre grandeur.

–       Un moyen de pression… ? répéta son ancienne protégée, sans comprendre.

Devant son air perdu, le directeur du couvent secoua la tête, désabusé. Il ouvrit sa veste brune, et, l’espace d’un instant, Marie crut qu’il comptait sortir une arme et la viser, se débarrassant ainsi d’elle d’une balle en pleine tête, mais au lieu de cela, il lui présenta un objet d’apparence beaucoup moins dangereuse, une sorte de couronne dorée, sertie d’un pendentif et d’une croix. Elle reconnut aussitôt la couronne du dragon et la croix du roi soleil, pour les avoir aperçues avec Gwen. Le dernier élément devait représenter le pendentif de la reine, mais elle ignorait quand son amie avait bien pu le récupérer – si c’était elle qu’il l’avait récupéré, et surtout…

… Pourquoi l’artéfact se retrouvait-il entre les mains de l’organisation ?!

–       Qu’est-ce que tu as fait à Gwen ? demanda la blonde, peu rassurée par les perspectives qui se présentaient.

Si jamais Bonaparte l’assassinait… l’adolescente ne le supporterait jamais.

–       Oh, elle ? Je m’inquièterais plus de mon cas que du sien, à ta place, ricana-t-il dans un sourire qui dévoilait toutes ses dents. Et maintenant…

Il souleva son bras, surélevant la couronne, qu’il tourna vers le sol. Et lorsqu’il agita la tiare, des lettres formant des mots apparurent soudainement par terre ; la violoniste ne put se retenir de pousser un cri. Comment cela pouvait-il être possible ?

Ses yeux se posèrent sur le message, qu’elle déchiffra en silence.

« La princesse de la lune veille sur le trône, mais seul le sang royal ouvre la voie. »

Elle cligna des yeux. Seul le terme « princesse de la lune » sonnait avec familiarité à ses oreilles : elle connaissait la mélodie par cœur tant elle la pratiquait au violon pour pouvoir un jour la jouer à sa mère. Mais pour le reste… Elle ne saisissait pas à quoi se rapportait le terme « trône », ou encore celui de « sang royal ». La seule personne noble qu’elle connaissait était la duchesse Élisabeth, mais chose étrange, elle doutait que cette femme représentât la personne mentionnée par la prophétie. Qui alors ? Plus elle y réfléchissait, moins la réponse lui venait. Pourtant, résoudre l’énigme du violon, le premier jour, avec Gwen, avait posé beaucoup moins de problèmes. Mais cette fois-ci, elle ne pouvait plus compter sur son amie.

Jean-François, pour sa part, paraissait avoir compris le sens de cette charade.

–       Hm, oui, je vois… C’est évident !

Son regard glissa vers la blonde, qui, une nouvelle fois se sentit très mal à l’aise tandis qu’il l’observait. Enfin, il rangea la couronne d’un air satisfait, et se dirigea vers la sortie de la cellule. La voix de l’adolescente le stoppa néanmoins.

–       Attends !

Il se tourna vers elle, les sourcils froncés, agacé de cette interruption.

–       Qu’est-ce que tu veux ? Je dois y aller, j’ai des choses à régler.

Ce ton sec et froid qu’elle ne lui connaissait pas lui brisa le cœur. Savoir qu’elle avait apprécié, respecté et pris pour modèle quelqu’un qui en réalité, appartenait à un groupe révolutionnaire et ne ressentait aucune sorte de considération pour elle, cela la terrifiait, de s’être autant trompée, de se dire que ces années passées ensemble ne valaient rien du tout.

–       Que vas-tu faire de moi ?

–       Pour ce soir, tu restes là, c’est tout ce qu’on te demande, siffla Jean-François. Ensuite…

Il afficha un sourire carnassier.

–       Ça dépendra de l’empereur. Je ne peux pas garantir ce qu’il décidera pour ton cas.

–       Mais, protesta Marie, vous avez ce que vous cherchez, non ? Je veux dire, le diadème.

–       La couronne du dragon n’est qu’une carte qui indique l’emplacement de la véritable clé, la clé du commencement.

Une fois de plus, il la regarda de manière insistante et appuyée tandis qu’il prononçait ces mots. Elle avala sa salive et se replia un peu sur elle-même perdue. Pourquoi souhaitaient-ils la garder ici ? S’ils savaient où se trouvait cette clé, pourquoi ne filaient-ils pas sur-le-champ la chercher ? À quoi une pauvre violoniste pouvait-elle bien leur servir, coincée ici ?

Mais surtout, ce qui préoccupait le plus la jeune fille, c’était de savoir ce qu’ouvrait cette mystérieuse clé. Son tuteur avait parlé d’un moyen de pression, elle devait donc en théorie permettre d’y accéder, mais cela laissait encore de nombreuses questions en suspens. Et Gwen qui ignorait que son oncle travaillait pour une association révolutionnaire… Elle tomberait de haut en apprenant cela.

–       Ah ah ! Je crois qu’elle n’est pas celle qui déchantera le plus, crois-moi, s’esclaffa l’adulte lorsqu’elle le lui fit remarquer. Tu comprendras mieux demain.

Et il quitta la cellule sans ajouter un mot de plus, ses pas se répercutant contre les parois du couloir.

Lorsqu’elle n’entendit plus aucun bruit, Marie relâcha toute la pression en elle et éclata en sanglots sans se retenir, dévastée comme jamais. La tête enfouie dans ses genoux qu’elle entourait toujours de ses bras, elle laissa les larmes couler sans interruption, comme si cela soulagerait la déception et la peine immense qu’elle ressentait suite à cette trahison. D’abord la duchesse supposée être sa mère la rejetait sans ménagement, ensuite son tuteur légal qu’elle connaissait lui plantait un coup de couteau dans le dos… quelle autre tragédie devrait-elle affronter, à présent ? Elle l’ignorait, mais elle sentait qu’elle n’était pas au bout de ses peines, et ses pleurs redoublèrent d’intensité.

Autour d’elle, la petite coccinelle continuait de voleter.

Laisser un commentaire ?