La Menace de Chronos -- Scènes bonus

Chapitre 3 : Scène bonus 3 : Partie I – Chapitre XI ~ Isaac et Raphaël

2480 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 13/07/2023 01:00

Scène bonus 3 : Partie I – Chapitre XI ~ Isaac et Raphaël




–       … Papa ?

Raphaël avala sa salive. Ce ne pouvait pas être vrai. Il devait rêver. Tout ce temps enfermé en prison lui provoquait des cauchemars effrayants de réalité, à présent.

Et pourtant…

La silhouette crocheta la serrure de sa cellule sans aucune difficulté, ce qui n’étonna pas outre mesure l’adolescent. Elle tira la grille, qui s’ouvrit dans un grincement presque sinistre, mais salvateur, pour le voleur. En quelques pas à peine, il recouvrirait la liberté, et tout redeviendrait comme avant, ou presque. Mais malgré cette promesse alléchante, ses pieds, voire son corps entier refusaient de bouger, paralysés par l’apparition qui se dressait à juste quelques mètres de lui.

Isaac Durand.

Le géniteur que le rouquin avait passé des années à rechercher.

Et le fugitif se trouvait à présent à portée de main.

Le nom sonnait de façon très étrangère aux oreilles du jeune homme – depuis combien de temps ne l’avait-il plus prononcé, en même temps ? L’adulte s’approcha, et de découvrir qu’il restait le même que dans ses souvenirs surprit beaucoup l’alter ego de Fantôme R. Pourquoi ? Lui-même l’ignorait. Peut-être s’était-il attendu à ce que son paternel changeât, car alors, cela aurait marqué le début d’une nouvelle ère, d’un nouveau départ, que son fils espérait tant, mais en gardant cette apparence fatiguée et ces vêtements usés, l’homme balayait tous les espoirs de renouveau du futur étudiant. Cependant, le garçon de dix-huit ans n’éprouvait aucune déception ; il s’agissait plutôt d’un simple constat que les choses resteraient les mêmes.

Et cela… ne le dérangeait en fin de compte pas tant que ça.

–       Nous ne devons pas nous attarder ici plus que nécessaire. Viens, Raphaël.

Le concerné croisa les bras sur sa poitrine, tandis que le regard de Fondue, à ses côtés, naviguait entre les deux membres de la famille, perdu. Oh, alors c’était comme ça ? Pas un seul mot d’adieu tandis qu’il l’abandonnait de manière très lâche, pas la moindre lettre en trois ans, pas le moindre indice sur ses activités pendant ces mystérieuses années, et maintenant, grand seigneur, il venait le sauver sans même commencer par le saluer ?!

–       Je n’irai nulle part.

Isaac soupira.

–       S’il te plaît. Je lui ai promis de te libérer, et je tiens à respecter cet engagement.

Parce qu’en plus, il venait sur les ordres de quelqu’un d’autre ?! Même pas de sa propre initiative ?!

–       Je m’en fiche, rétorqua le rouquin, remonté à bloc. Tant que je n’aurais pas d’explications à mes questions, je ne bougerai pas.

Face à l’entêtement de son enfant, Isaac secoua la tête. Le gamin possédait une telle fierté qu’il pouvait continuer à rester enfermé des heures. Et il en connaissait une qui lui tirerait les oreilles s’il ne respectait pas sa part du contrat.

–       Je répondrai à tes interrogations, je te le promets, mais nous devons sortir d’ici.

–       Et je suis censé te faire confiance ?

–       Je crois bien que tu n’as pas le choix, souligna le père, dans un sourire.

Raphaël observa, dubitatif la main tendue, presque amicale, paternelle, du plus âgé. Devait-il vraiment accepter… ? Une part de lui, brute et instinctive, criait que l’adulte ne lui raconterait que mensonges sur mensonges, mais une autre voix, plus tempérée et raisonnée, lui soufflait qu’il s’agissait de son unique occasion de s’échapper, et que si quelque chose de tragique s’annonçait, ainsi qu’il le pressentait, il devait sortir de ce cachot, même si cela impliquait de suivre un homme qui ne se souciait plus de lui depuis des années.

Enfin, il trancha.

–       C’est bon. Mais c’est vraiment parce que je n’ai pas d’autre choix. Et tu me dois des réponses, marmonna-t-il en agrippant les doigts de son père.

Ils s’échappèrent en silence, empruntant plusieurs couloirs, certains plutôt familiers pour le voleur, d’autres non, mais voir son père s’orienter avec autant d’aisance dans un aussi grand commissariat l’étonna – connaissait-il les lieux, et si oui, comment ?

De temps à autres, ils croisaient des policiers effectuant leur ronde, ou bien d’autres attablés à leur bureau, à traiter de la paperasse. Ils prenaient garde à éviter qu’on ne les repérât, et, tandis qu’ils se dissimulaient dans une alcôve, le jeune homme se décida à poser ses questions.

–       Pourquoi tu es parti ?

Un soupir.

–       Je travaille pour un groupe. Des gens importants que je ne peux pas contrarier. T’emmener avec moi aurait créé plus d’ennuis qu’autre chose, donc je t’ai laissé.

Cette réponse scandalisa Raphaël, mais avant même qu’il ne protestât, un lien se créa dans son esprit, et il retint un hoquet de surprise.

–       On m’a dit que le tombeau de Napoléon avait été volé… C’est eux qui sont responsables ?

–       Même si c’était le cas… quoi que tu tentes, tu ne peux pas t’opposer à l’organisation.

–       Mais enfin, pourquoi est-ce que tu travailles avec des types pareils ?!

Isaac plaqua une main sur la bouche de l’adolescent aux yeux noisette, qui n’avait pu se retenir de s’écrier. Par chance, cet éclat de voix n’attira personne, et au bout de longues secondes, rassuré, l’artiste peintre se détendit et libéra la bouche du garçon, non sans lui lancer un regard sévère au passage.

–       Ils vont nous repérer si tu cries ainsi. Tu as déjà dû trouver mon journal, j’imagine ?

–       … Oui, admit le jeune homme. En gros, tu as contrefait des œuvres d’art pour payer les médecins parce que j’étais malade étant petit, c’est ça ?

Son interlocuteur approuva d’un hochement de tête.

–       Alors tu sais déjà tout ; j’ai mes raisons, et je n’ai rien à ajouter. Ils m’ont repéré et ne me laisseront pas les quitter si facilement.

–       Donc, tu ne reviendras pas… ?

Pas de réponse.

La déception brûla le ventre du voleur. Bien sûr, cette attitude de la part de son père ne le surprenait pas, mais ne le laissait pas indifférent non plus. Il ne savait plus quoi penser de toute cette histoire – son géniteur, la personne dont une part vivait en lui, celui qu’il considérait comme un modèle, travaillait désormais avec des escrocs. Et il fallait accepter cela sans broncher. Son fils ne parvenait pas à le croire.

Encaisser la nouvelle lui demanda un certain temps. Ses pensées l’absorbèrent tant qu’il ne remarqua même pas qu’il atteignait l’extérieur, puis l’arrière du commissariat ; ce fut l’air frais sur son visage qui le ramena à la réalité. Ça, et son père qui l’interpella, son regard bleu glacé indéchiffrable planté dans le sien.

–       Raphaël… Tu risques d’avoir de la visite, autre que moi. Deux jeunes filles vont probablement se présenter à ta porte ce soir ; elles ont des ennuis et cherchent un refuge. Tu es libre de leur répondre ou non.

La mâchoire du concerné se décrocha presque en entendant cela. Des inconnues ? Chez lui ? Comment connaissaient-elles seulement son adresse ? Quel genre de soucis affrontaient-elles ?

Et plus important encore : comment et pourquoi devait-il leur venir en aide ?!

–       Elles essayent d’échapper à Napoléon, déclara Isaac lorsqu’il manifesta à voix haute ses pensées.

–       Au cas où tu aurais raté des cours d’histoire, Napoléon est mort, contrattaqua le garçon en fronçant les sourcils. Depuis deux-cents ans. Qu’est-ce que ça veut dire ?!

–       S’il est décédé, tu n’as rien à craindre, dans ce cas.

–       Mais ces filles…

L’alter ego de Fantôme R soupira. Il ne comprenait rien. Mais l’arrivée d’un empereur ressuscité en ville… ça correspondait aux explications de Charlie lors de leur entrevue en prison, l’autre jour. Que devait-il en déduire ? Que Bonaparte comptait restaurer son emprise sur le pays ? N’importe qui pouvait se déguiser en lui, après tout, et puis surtout, pourquoi cherchait-il des noises à deux adolescentes lambda ? Que possédaient-elles qu’il désirait tant ?

Glissant une main dans sa tignasse rousse, il regarda dans le vague et resta songeur un court instant, pour en arriver à la conclusion que s’il souhaitait des réponses, il devrait les obtenir lui-même plutôt que d’attendre qu’elles lui tombassent dans le bec, surtout connaissant son père. Ces filles pourraient peut-être l’aider. Ça, et il ne comptait pas les laisser tomber alors qu’elles cherchaient du soutien. Il comprendrait sans doute mieux la situation lorsqu’ils se rencontreraient.

–       Bon, d’accord, je vais les accueillir, accepta-t-il en posant une main sur sa hache. Si ce n’est pas moi, personne d’autre ne le fera de toute façon. Et puisque tu as l’air de les connaître… ça devrait aller.

L’autre acquiesça, et le jeune homme se trouva surpris d’apercevoir un sourire courber les lèvres de son père. Il soupçonnait – en fait il était même sur que son père savait bien plus de choses qu’il ne le prétendait, mais il ne révélerait rien.

Il leva la tête, pour regarder le ciel. Quand même, cette soirée tournait vraiment à l’étrange.

–       Pardon, Raphaël, mais je dois y aller.

En entendant ces mots, son regard se posa sur son père, qui lui tournait à présent le dos, prêt à disparaître au coin de la rue. Soudain saisi par une mystérieuse pulsion, il tendit la main en avant, sans pour autant bouger de sa position.

–       Attends !

Isaac s’arrêta, mais ne se retourna pas. L’adolescent baissa le bras.

–       Tu as dit tout à l’heure que tu lui avais promis de me libérer… Mais de qui tu parles ?

Plusieurs secondes s’écoulèrent, avant que son paternel ne troublât le silence.

–       … Je pense que tu la rencontreras bien assez tôt.

« La »… ?

« La » sous-entendu « la personne », ou « la » sous-entendu « la personne est une fille » ?

Ses lèvres s’entrouvrirent, tandis qu’il s’apprêtait à demander des précisions – son géniteur ne pouvait pas lui déballer de telles choses sans plus expliciter ! Et surtout, il devait au moins remercier l’individu qui avait réussi à convaincre son père de le libérer – il ignorait comment son mystérieux sauveteur avait préparé son coup, mais le rouquin lui devait une fière chandelle. Et il savait aussi qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps s’il voulait rentrer à temps chez lui pour accueillir les demoiselles – elles attendaient peut-être même déjà devant chez lui, il ne pouvait se permettre de s’éterniser ici.

Le miaulement d’un chat noir qu’un chien poursuivait en aboyant, ponctué du bruit assourdissant du couvercle de la poubelle qu’ils firent tomber dans leur course poursuite, surprit Raphaël qui sursauta, regardant vers l’origine du son. Il se détendit en remarquant l’absence de danger, et se décida à prendre la parole.

–       Qu’est-ce que tu veux dire par là–

Sa phrase s’arrêta lorsqu’il remarqua qu’Isaac avait purement et simplement disparu, et qu’il se retrouvait désormais tout seul dans la rue. Encore une fois. Cela lui rappelait bien trop cette journée d’hiver environ trois ans auparavant. Il ne ressentit même pas le moindre petit étonnement. Il ne s’agissait que d’un comportement typique de son père, après tout. Le temps où ce dernier l’emmenait à la fête foraine aux jardins des Tuileries ne resterait désormais plus qu’un lointain souvenir à chérir.

Mais au fond, avoue que tu n’es qu’un idiot. Tu retrouves ton père que tu cherchais depuis des années et tu te laisses filer comme ça. Crétin.

Par-dessus le marché, son costume de Fantôme R se trouvait à l’intérieur du commissariat. Heureusement pour lui, il en possédait un de rechange pour les cas d’urgence, qu’il utiliserait en attendant un moment propice pour pouvoir récupérer l’original. Il poussa un soupir, glissant une main dans sa crinière de feu.

–       Bon, ben, j’imagine qu’il n’y a plus que nous deux, hein ? demanda-t-il en regardant Fondue, avec un petit sourire.

Le chien jappa, comme pour approuver ces propos. Mains dans les poches, Raphaël s’éloigna du commissariat en direction d’un arrêt de bus à proximité afin de pouvoir rentrer chez lui, anxieux autant qu’excité de connaître enfin les deux personnes supposées venir le voir sous peu.

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