La Menace de Chronos -- Scènes bonus

Chapitre 4 : Scène bonus 4 : Partie I – Chapitre XII ~ Paul et Élisabeth

2575 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 27/07/2023 13:54

Scène bonus 4 : Partie I – Chapitre XII ~ Paul et Élisabeth



Élisabeth n’avait pas dormi de la nuit.

Elle s’inquiétait beaucoup pour sa fille, clé d’accès à une arme aux capacités dévastatrices. Depuis dix-sept ans, elle vivait avec ce poids sur le cœur de l’avoir abandonnée.

Puis il y avait Gwen, aussi. Lors de leur rencontre à l’Opéra, cette adolescente, pourtant banale, avait témoigné de sa connaissance d’événements dont elle n’aurait jamais dû être au courant, surtout en ce qui concernait Marie. Et puis, elle possédait le bracelet ; un véritable mystère, car en théorie, Fantôme R aurait dû le voler, d’après la presse que l’adulte lisait avec assiduité. Comment alors se retrouvait-il autour du poignet d’une fille blonde aux yeux bleus, en apparence guère liée au voleur, l’aristocrate l’ignorait. Mais elle savait que quelque chose de particulier se tramait dans la capitale, quelque chose d’effrayant.

Et ses craintes avaient redoublé depuis la visite de Gwen à son domicile, hier, vêtue de la tenue de sa fille. Cette enfant cherchait à empêcher l’émergence des jardins suspendus, et l’avait suppliée de quitter son domicile le lendemain, le plus tôt possible, car des Chevaliers débouleraient pour la kidnapper si elle demeurait ici plus longtemps.

Mais à quel jeu jouait cette inconnue ?

La duchesse savait que Gwen avait donné le pendentif de la reine à Graf. Elle possédait ses sources à l’Opéra, autant parce qu’elle jouissait d’une grande influence que parce qu’elle était une habituée du lieu. Elle et son majordome, Alfred, connaissaient par cœur le personnel de Garnier, alors après la représentation du spectacle qu’elle avait été voir, elle s’était renseignée sur cette jeune fille. Il s’avérait que tout le monde ignorait son identité, mais on l’avait aperçue discutant avec un homme dont la description correspondait en tous points à celle de son cousin, et puis elle lui avait échangé le bijou… contre l’étui à violon de Marie, avant de quitter le bâtiment très énervée.

Même si elle ignorait les réelles intentions de cette fille, Élisabeth avait choisi de lui accorder sa confiance pour l’instant et de suivre son plan : une fois prête, elle quitta le manoir en compagnie d’Alfred, emmitouflée d’un long manteau foncé à capuche et rejoignit le commissariat en métro pour plus de discrétion : les Chevaliers ou Graf risquaient de vite la repérer sinon.

Le bâtiment en imposait ; la duchesse, malgré son rang se sentait petite, devant une construction si grande. Plusieurs personnes évoluaient dans la zone, mais personne ne lui prêta la moindre attention ni ne la remarqua. Tant mieux ; elle atteignit ainsi avec son garde du corps le hall d’accueil sans encombre. En revanche, elle s’inquiéta de ne pas apercevoir comme convenu Raphaël, ni à l’extérieur, ni dans l’enceinte de l’établissement, mais elle ne pouvait se permettre de l’attendre ou de le chercher.

Par chance, peu de personnes patientaient ce matin. Cela la gênait de passer devant eux, d’autant plus qu’elle ne pouvait leur expliquer la situation, tant par manque de temps que pour éviter un élan de panique. Mais la destruction de la ville, et à plus grande échelle du pays et du monde entier, représentait un sujet prioritaire par rapport aux vols de papiers et autres réclamations de cet ordre.

–       Bonjour, je souhaiterais voir l’inspecteur Vergier, précisa-t-elle à l’hôtesse du comptoir.

–       Oui, vous avez rendez-vous ?

–       Non, répondit-elle en se mordant la lèvre, mais–

–       Ah, dans ce cas je suis désolée mais il faudra revenir lorsque vous aurez une date.

–       C’est d’une extrême importance.

–       Je regrette, mais l’inspecteur ne reçoit que sur rendez-vous.

–       Eh bien je pense qu’il va devoir faire une exception, répliqua Élisabeth en retirant sa capuche.

Les gens présent se tournèrent vers elle, et l’observèrent en chuchotant. La dame de l’accueil, qui décrochait le combiné pour composer le numéro de la sécurité, poussa un petit cri et raccrocha aussitôt le téléphone sur sa base, secouée.

–       Madame, je suis désolée, je ne pensais pas…

–       Que se passe-t-il ici ?

Arrivant tout droit du couloir, vêtu d’une chemise blanche simple et d’un pantalon noir à la ceinture duquel reposait son arme de service ainsi que son talkie-walkie, Paul s’immobilisa près du bureau de la secrétaire en reconnaissant la personne en face de lui.

–       Élisabeth ?! Mais enfin, qu’est-ce que cela signifie ?

L’intéressée sourit en apercevant son vieil ami, et se précipita vers lui tandis qu’il posait une main sur sa hanche, déconcerté.

–       Paul ! Je suis si heureuse de te voir ! Il faut que je te parle, c’est urgent.

Son interlocuteur cligna des yeux, avant de soupirer.

–       D’accord, d’accord. Allons dans mon bureau, personne ne nous dérangera.

Il se retourna, lui indiquant à elle et son majordome de le suivre. Ils empruntèrent des escaliers et plusieurs longs couloirs, avant d’arriver à destination.

Désordonné qualifiait à la perfection le lieu de travail du policier, d’après ce que l’aristocrate et Alfred constatèrent. En quelque sorte, il lui correspondait bien.

Vergier, gêné, leur demanda d’ignorer le désordre. Il déplaça quelques dossiers de son espace de travail pour pouvoir obtenir de la place, et dénicha une vieille chaise qui grinçait pour permettre à son invitée de s’asseoir. Il s’installa en face d’elle, et l’invita d’un geste de la main à commencer.

–       Je t’écoute. Qu’y a-t-il de si vital ?

–       Tu dois évacuer la ville. Sur-le-champ.

Les yeux foncés du policier s’arrondirent, et à la grande incompréhension de l’aristocrate qui affichait son air le plus sérieux, il partit dans un furieux éclat de rire.

–       C’est une farce, c’est ça ? Je ne pensais pas que tu aimais ce genre de blague.

–       S’il te plaît, je t’assure que je ne plaisante pas.

–       As-tu la moindre preuve qu’il y ait un problème ?

–       Eh bien…

La duchesse se mordit la lèvre. Elle ne possédait rien pour corroborer ses propos.

–       Élisabeth, tu es mon amie. Mais je ne peux pas évacuer des millions d’habitants aussi vite sans raison concrète.

–       Dois-je vraiment appeler notre cher président pour qu’il délivre l’ordre aux Parisiens de quitter la ville ?

Paul afficha une mine effarée, avant de grincer des dents et de se pincer l’arrête du nez. Le pire était qu’elle en avait les moyens, et qu’elle n’hésiterait pas. Au vu de sa position influente, on l’écouterait et on lui obéirait sans broncher, et lui serait conspué pour ne pas avoir satisfait à sa demande dès le départ, et le commissaire le rétrograderait à coup sûr. Déjà qu’il ne savait pas encore pour l’évasion de R…

–       Tu sais que ça va encore me retomber dessus.

–       Inspecteur !

La porte du bureau s’ouvrit à la volée. Tous les regards se tournèrent aussitôt vers l’officier dans l’encadrement, encore jeune, vêtu de son uniforme de travail, et surtout essoufflé de sa course.

–       J’avais demandé à ne pas être dérangé ! tonna Paul, les deux mains sur son bureau en bois.

–       Inspecteur, on a un problème !

–       Eh bien, vous reviendrez plus tard–

À ce moment-là, la radio grise accrochée à la ceinture du quadragénaire sonna, vibra et grésilla en même temps. Dans le haut-parleur, une voix adulte et masculine résonna.

–       Patrouille Delta à Poste Central, nous avons une urgence. Envoyez des renforts.

Aussitôt, il détacha son talkie-walkie et l’amena au niveau de son visage.

–       Poste central à Patrouille Delta, reçu. Quelle est la nature de l’urgence ?

–       Patrouille Delta à Poste Central. Des hommes en armures ont investi la ville. On nous signale un fort regroupement d’entre eux au niveau de la place de la Concorde.

Élisabeth porta ses mains gantées à ses lèvres, sous le choc.

–       Mon Dieu, ils ont commencé leur plan. Si jamais le tableau de Diodorus devient réalité…

–       Poste Central à Patrouille Delta, on arrive tout de suite, terminé, conclut Paul, tout en regardant la duchesse en face de lui avec air sérieux.

Il rattacha la radio à sa ceinture, avant de demander à son interlocutrice :

–       Élisabeth, j’ai besoin que tu me dises ce que tu sais.

Alors elle inspira, acquiesça, et lui raconta tout dans le détail.

De la naissance de sa fille, jusqu’à aujourd’hui et les jardins suspendus en passant par l’incident du Mystère et la lubie de son cousin Graf à vouloir le retour de l’empereur sur le trône, et plus encore. Son vieil ami l’écoutât avec patience et attention, sans l’interrompre une seule fois. Elle ignora combien de temps s’écoula lorsqu’elle acheva son récit.

–       Je commence à mieux comprendre la situation, déclara Paul en se relevant de son siège, l’air grave.

Il se tourna vers ses collègues, restés dans l’encadrement de la porte à écouter l’histoire de l’aristocrate.

–       Loïc, préviens tout de suite le commissaire de la situation. Lazare, vous vous occupez des renforts. Je pars sur le terrain à l’instant. Et toi, Élisabeth…

–       Je t’accompagne, bien sûr, termina-t-elle.

La mine déconfite et réprobatrice de son interlocuteur lui indiqua qu’il n’approuvait pas cette réponse, ce qu’il confirma par des mots :

–       Hors de question, c’est trop périlleux.

–       Ma fille est là-bas, en danger, je ne compte pas l’abandonner à son sort !

Paul soupira et leva les mains en signe de reddition. Ce que la duchesse voulait, elle l’obtenait, il le savait mieux que quiconque. Rien de ce qu’il ne dirait ne changerait son avis.

–       D’accord, d’accord. Mais pas d’imprudence. Si tout est bon, mettons-nous en route, indiqua-t-il en se dirigeant vers la porte de son bureau.

La duchesse s’apprêtait à le suivre, mais s’arrêta en sentant la présence de son garde du corps derrière elle. Elle se retourna ; il lui fallait encore régler ce détail.

–       Alfred, je souhaiterais que vous restiez là, s’il vous plaît.

–       Votre Grâce… ?

–       Je ne veux pas que vous soyez blessé, insista-t-elle.

–       Mais Madame…

Elle posa ses mains sur chaque épaule de son fidèle employé, et plongea son regard emprunt de douceur dans le sien.

–       Rassurez-vous, j’ai l’inspecteur Vergier pour veiller sur moi. Et puis, vos victoires incessantes au backgammon montrent que vous êtes un fin stratège. Ils auront plus besoin de vous pour coordonner les renforts contre les Chevaliers que moi.

–       … Comme vous voudrez.

–       Je reviendrai vous chercher quand tout sera terminé, lui promit Élisabeth en raffermissant sa prise.

–       Mais j’y compte bien, Madame.

Devant l’air altier du vieil homme, les mains dans le dos, l’aristocrate laissa échapper un petit rire. L’attention de son loyal compagnon la touchait. Depuis deux décennies qu’ils se connaissaient, jamais il ne l’avait déçue ni trahie une seule fois. Elle savait qu’il patienterait ici et apporterait son soutien autant que possible aux forces de l’ordre. Elle pouvait partir l’esprit tranquille.

–       Une dernière chose, Madame.

–       Oui, Alfred ? demanda-t-elle, intriguée.

–       Que dois-je faire, si Monsieur Fantôme R arrive entre temps ?

Question très pertinente. La duchesse nourrissait une énorme inquiétude à son égard. Il aurait dû la rejoindre depuis un moment déjà, cependant l’heure tournait et il ne se manifestait toujours pas. Elle ne connaissait pas la raison d’un tel retard ; elle suspectait qu’il avait eu un contretemps ou pire, rencontré des ennuis, mais elle ne pouvait patienter ou partir à sa recherche, la situation devenait trop critique et empirait à chaque seconde.

–       Dites-lui de se rendre aussi vite que possible à la Place de la Concorde, répondit-elle.

Il savait se débrouiller, aussi décida-t-elle de ne pas s’inquiéter pour lui. Il leur serait d’une grande aide pour affronter Napoléon et ses sbires.

–       Comme il vous plaira, Votre Grâce.

–       Bon, on doit vraiment y aller, souligna l’inspecteur qui, son manteau sous le bras, attendait son amie. Napoléon ne retournera pas sous terre tout seul.

En effet, il fallait se hâter. La duchesse échangea une chaleureuse accolade avec son majordome, puis rejoignit Paul. Ensemble, ils partagèrent un regard entendu avant de partir vers l’âpre bataille qui les attendait, sous les encouragements d’Alfred.

L’empereur connaîtrait son dernier Waterloo.

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