Une Dernière Bataille

Chapitre 48 : Les Epreuves -Troisième Partie

7012 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 17/07/2025 16:18

Sidh, Domaine de Findias


Après quelques minutes de marche, l'Asgardien acheva son trajet dans une vaste salle dont les parois fortement courbées lui conférait un aspect circulaire. Un pont traversait l'espace, enjambant la moitié basse emplie d'eau, en ligne droite jusqu'à la face opposée.

De chaque côté, suivant l'incurvation des murs, trois piliers rocheux espacés faisaient saillie. Leur structure hébergeait des organismes bioluminescents identiques à ceux que le Marina avait observés à l'étage supérieur, octroyant à l'endroit un semblant de caverne sous-marine.

Une impression d'autant plus forte qu'en ces lieux régnait une atmosphère chargée d'une froide humidité. Des gouttelettes glissaient le long de la roche ou tombaient en suivant leur propre rythmique, produisant un écho singulier en éclatant à la surface de l'eau. L'Écaille du Marina vit rapidement ses couleurs nacrées être rehaussées par le splendide lustre ainsi conféré.

Le jeune homme s'attarda une poignée de secondes, s'interrogeant sur ce en quoi allait consister l'épreuve, avant de s'engager sur la structure de bois, le bruit de ses pas résonnant sous la voûte rocheuse.

Face à la sortie marquée par un rideau aqueux, il retint sa respiration comme au moment d'une apnée et le franchit. L'eau troubla sa vue un bref instant.

Einar émergea au milieu d'un paysage neigeux et il fut saisit par un froid, plus sec, qui persistait à bloquer l'air dans sa gorge. Les lieux ressemblaient à s'y méprendre à Asgard. Un vent glacé vint ébouriffer ses cheveux et caresser sa peau. Le jeune homme regarda subitement ses mains, toucha son torse. Son Écaille n'était plus là ! Il plongea en lui-même, cherchant son lien avec le Kraken, mais ne le trouva pas. Comment était-ce possible !? Un début de panique s'instilla en lui lorsqu'il avisa le décor alentour.

Il se trouvait sur une crête qui lui offrait une vue dégagée sur la vallée en contrebas. Au milieu des bourrasques de poudreuse, il discerna une longue ligne noire qui avançait. Une colonne humaine. Un sourd pressentiment lui noua les entrailles, reléguant son angoisse première au second plan.

Le Marina courut pour la rejoindre, la pente lui conférant un élan supplémentaire. En arrivant, il sut qu'il ne s'était pas trompé. Il s'agissait bel et bien des gens de son village.

Mais alors... , pensa-t-il.

Il entendit des rires gras et se dirigea mécaniquement vers eux. Personne ne paraissait le remarquer. Comme dans l'un des nombreux cauchemars qui avaient émaillé le début de son adolescence, Einar revécut la scène où le prêtre, Lodur, se faisait tuer – ou plutôt assassiner – par ces imbéciles.

Le vieil homme chuta, tremblant de tous ses membres. Le Marina vit son alter ego plus jeune s'avancer pour l'aider. Un soudard s'approcha et son sang ne fit qu'un tour.

Einar se retrouva brusquement dans son enveloppe juvénile. Il ne s'attarda pas sur le phénomène et bondit pour dérober le poignard à la ceinture de l'homme. Se retournant à demi, ce dernier ne comprit rien lorsque le garçon lui taillada le creux du genou. Du sang rosit la neige, accompagné d'un juron. Einar lui trancha ensuite la gorge. Des volutes de vapeur s'élevèrent dans l'air froid depuis le fluide répandu.

Les amis du mort braillèrent indistinctement, tandis que le Marina se rendait aux côtés de Lodur. Un coup le frappa durement dans le dos, entaillant chair et tissu. Il s'affala par terre et eut tout juste le temps de voir le prêtre se faire mettre en pièces, avant que son propre couperet ne s'abatte.

Un battement de cœur plus tard, Einar se retrouvait au même endroit que précédemment, sur la même crête.

Que se passait-il ? L'épreuve s'emparait-elle de ses souvenirs ? Mais dans quel but ?

Le jeune homme se lança derechef dans la pente pour atteindre la colonne de prisonniers.

Son coup de sang passé, il tenta cette fois d'implorer la miséricorde des mercenaires. Cela fut vain. Leurs âmes n'étaient que noirceur. Une autre fois, il résista plus longtemps, mais finit par être tué pour sa rébellion.

Le Marina essaya de libérer d'autres villageois lors de la nuit de bivouac où il s'était enfui. Ce fut un échec retentissant avec des morts qui ne s'étaient pas produites dans sa réalité.

Que devait-il faire ? Qu'y avait-il à comprendre là-dedans ? Quel intérêt s'il ne pouvait rien y changer ? Un maelström d'émotions tournoyait en lui : colère, injustice, honte. Il n'était alors qu'un enfant, mais il avait gardé secret un lourd fardeau jusqu'à aujourd'hui.

Il continua d'expérimenter cette boucle sans fin jusqu'à hurler son incompréhension à la face d'un ciel factice. Une hache le fit taire.

A la suite d'un énième réveil, Einar prit un temps de répit pour passer en revue tous les événements survenus dans sa vie et qui l'avaient conduit jusqu'ici. Le jeune homme releva la tête en inspirant un grand coup et prit finalement le chemin à l'identique. Il se coula dans sa version juvénile, alors que Kilfgar le retenait d'intervenir. Il se rappelait bien cette scène. Néanmoins, cette fois, plutôt que de tourner le dos, il se dégagea et alla s'agenouiller auprès du vieil homme moribond.

- Lodur, je ne sais pas si vous pouvez encore m'entendre, commença-t-il, mais je veux que vous sachiez que ma foi en les dieux a été durablement ébranlée ce jour-là. Pourquoi les Ases ont-ils laissé tout cela se produire ? Je ne crois pas que ce soit parce qu'ils ne nous considèrent pas, comme le pensait Kilfgar. C'est simplement qu'ils ne sont pas aussi omniscients ou omnipotents que nous le pensons. Après tout, ils ont besoin de guerriers pour les défendre. Ils ont besoin de prêtres pour les représenter. Dans sa quête de connaissances, peut-être Odin nous a-t-il oubliés, comme on oublie avoir entamé une action. A moins que lors d'une de ses visions, il ne m'ait vu être recueilli par Poséidon, sachant ce qui se produirait ensuite. Égarement divin ou mansuétude au cheminement tortueux ?

Il prit la main du vieil homme dans la sienne et la serra délicatement.

« De nombreux dieux et déesses, à l'image de Poséidon et Athéna, mettent leurs différends de côté pour s'unir et affronter une menace commune. Je suis un Asgardien éveillé en tant que Marina, œuvrant avec une foule d'autre guerriers. Puis-je me qualifier d'être une sorte de trait d'union ? Votre foi comme la mienne n'a pas été piétinée et détruite. Si injustice il y a eu, il faut la confronter à un sens plus large que l'unique royaume d'Asgard. Et maintenant que je l'ai compris, je peux être en paix avec ça. »

Le souvenir se poursuivit jusqu'à ce qu'il s'abîme dans les flots glacés, attendant la venue du Kraken. L'obscurité et le froid des profondeurs marines se refermèrent sur lui. Puis, la chaleur finit par revenir dans son corps, dissipant la sensation d'humidité, mais le linceul de ténèbres persista. Il se retrouva dans un endroit sombre dont la puanteur évoquait la peur, le sang et les souillures corporelles.

Einar en était à se demander où il se trouvait lorsqu'il distingua une silhouette dont les formes lui apparurent à la lueur d'une torche s'embrasant tout à coup. Une chape de tristesse et de culpabilité s'abattit sur lui, menaçant de le mettre à genoux.

- Non, murmura-t-il.

Oreste, aussi décharné que la dernière fois où il l'avait vu, lui faisait face. Il se tenait voûté, comme s'il craignait de recevoir des coups. L'espace d'un fugace instant, le Marina crut avoir la vision du visage du dieu éborgné se superposant à celui de l'Italien. Sur sa poitrine nue, poussant depuis sa cage thoracique, un plant de gui déployait ses rameaux.

Une mousse rosâtre émergea au coin des lèvres du Chevalier des Poissons pour couler sur son menton.

- Comment peux-tu prétendre éradiquer le mal, alors que tu es à l'origine de tant de morts et de souffrance ? accabla-t-il l'Asgardien sous le feu de son regard noir.

- Je suis désolé, Oreste. Tellement. J'ai … j'ai voulu te sauver, mais ... j'ai échoué.

D'abord brouillée par les larmes, sa vision devint plus nette tandis que ces dernières débordaient pour dévaler ses joues.

- Tu aurais dû périr à ma place, Einar.

Là où pointait le doigt du défunt, une intense douleur vrilla la poitrine du Marina. Quelque chose « poussait » derrière ses côtes. La souffrance était terrible. Dans un horrible craquement, il sentit que ses côtes étaient fracturées de force et ses chairs se déchirèrent avec un abominable bruit humide.

De sa propre poitrine saillait désormais un végétal identique à celui défigurant celle du Chevalier des Poissons. Un liquide remonta dans la gorge d'Einar, qui le vomit. Son supplice devint une flamme qui le consuma entièrement. Il sombra dans l'inconscience … pour se réveiller, avisant les traits en partie brûlés du Chevalier des Poissons qui demeuraient tordus dans un grimace haineuse à son encontre. La scène se répéta encore et encore.

Einar s'agenouillait, se lamentait, s'excusait, implorant un pardon jamais accordé. Il ne savait pas depuis combien de temps durait son calvaire. Épuisé mentalement, ses nerfs à fleur de peau, il sentit qu'il devait se libérer de ce qu'il gardait au fond de lui.

- Tu as raison, dit-il, recroquevillé sur lui-même. Je mérite très certainement tout ceci et les tourments qui l'accompagne. Cependant, cela ne devrait pas être à toi de l'infliger, Oreste. Tu n'as jamais été comme ça. Tu sauvais les gens, tu les guérissais, tu les faisais passer avant toi. C'est ce que j'admirais chez toi, cette dévotion envers les autres.

Il redressa la tête, ses yeux couleur de la mer lors d'une tempête plongeant dans celui aux nuances aquatiques du fantôme accusateur.

- Depuis les premiers mots que tu m'as adressés dans cette geôle, faisant fi de l'animosité ancestrale entre les Chevaliers d'Athéna et les Marinas de Poséidon, j'ai développé … une certaine tendresse à ton égard.

« Puis Kilfgar est réapparu comme par miracle et une passion dévorante m'a englouti, occultant tout le reste, sa toxicité m'empêchant de voir la vraie nature de mon ami d'enfance. Peut-être m'a-t-il réellement aimé un jour, toutefois sa haine envers les dieux demeurait trop chevillée à son âme, le guidant sur une route qui ne pouvait être que solitaire. Lorsque j'ai découvert sa traîtrise et ses conséquences, j'ai été choqué. Chaque jour, chaque minute, de l'acide coulait dans mes veines.

Le plant de gui sur sa poitrine commença à s'étioler, ses feuilles se racornissant petit à petit.

« Quand j'ai su qu'il y avait un infime espoir pour que tu sois en vie, j'ai absolument voulu faire partie du groupe qui irait à ta rescousse. Te sauver était devenu une sorte de mantra. Pour tes compagnons qui attendaient ton retour et pour ma propre rédemption. Et même aussi pour plus que cela, car lorsque le dénouement fatidique survint, tandis que le chagrin et la honte m’étreignaient si fort, j'ai ravalé les mots que je ne pouvais pas prononcer.

Le parasite végétal continua de se rabougrir, ses tiges se couvrant d'un gris chaud rappelant la cendre.

« C'est non seulement l'affront d'avoir été abusé, mais aussi la douleur de ta perte qui m'a conduit à désirer faire justice moi-même. Je ne veux plus que des personnes telles que toi voient leur vie et leur futur leur être arrachés. Je souffrirai mille fois s'il le faut pour expier mon erreur d'avoir œuvré pour ça. Il me faut reconnaître mes égarements et … mes sentiments. »

Le gui finit par s'évanouir entièrement en une pluie de particules noires. Einar s'approcha du défunt, dont le visage ne reflétait à présent plus que la bienveillance coutumière de l'Italien et l'enlaça doucement.

- Pardonne-moi mes offenses, Oreste.

L'Asgardien sentit presque la forme vibrer entre ses bras, puis elle s'étiola jusqu'à disparaître.

- Tu m'as donc menti, s'invita une voix aux accents fantomatiques que le Marina s'attendait à entendre dès l'instant où l'image du Chevalier d'Or s'était dissipée. Tu l'aimais bel et bien.

Einar évoluait toujours dans les ténèbres, toutefois, une atmosphère beaucoup plus glaciale s'était installée. De la condensation s'échappait à chacune de ses expirations et de petits crocs givrés venaient mordiller ses pommettes.

Il capta plus qu'il ne vit un mouvement en périphérie de son champ de vision. Quelque chose d'énorme se déplaçait en lentes circonvolutions autour de lui.

La voix se manifesta à nouveau, pareille à un sourd grondement issu d'une colossale cage thoracique.

- Penses-tu qu'il aurait approuvé ce que tu m'as fait ?

- Non, répondit le jeune homme. Il en aurait été incapable.

Un grognement résonna sur sa gauche.

- Qu'as-tu éprouvé tandis que tes mains se serraient durement sur ma gorge – à défaut d'une autre partie de mon anatomie ? (Il ricana.) Une joie perverse que tu n'as pas su reconnaître à ce moment-là ? Peut-être un soupçon de peine ? Tu sais, étant en train de sombrer, je n'ai pas bien vu les traits de ton visage. Mais puisque tu ne paraissais pas tant tenir que ça à moi finalement, j'en doute. Il paraît que tu tues sans état d'âme maintenant ?

Un voile de givre se déposa sur la silhouette d'Einar au fur et à mesure qu'une gueule béante l'abreuvait de questions. Il affronta le déluge sans chercher à s'y dérober, attendant qu'il passe.

- J'ai été sincèrement heureux de te retrouver car je te croyais perdu à tout jamais, finit par répondre le Marina, le regard pointant vers le sol. On a passé de bons moments, même si ceux-ci étaient factices pour toi. (Il soupira.) Enfin, peut-être pas. Je ne peux être sûr de rien. Mais tuer de sang-froid est un acte sur lequel on ne peut revenir alors ... . (Il releva les yeux pour fixer un point devant lui, là où il devinait le faciès grondant du loup géant par intermittence.) Je n'ai pas de regrets, uniquement des remords. Certaines nuits, j'en ai cauchemardé. Je t'ai assassiné, autant dire les mots, par vengeance pendant que l'on mettait en terre consacrée l'homme auquel j'ai dédié mon geste. Un homme bien meilleur que toi ou moi l'avons été, ou ne le serons jamais.

Un claquement de mâchoires résonna dans le noir et des cristaux de glace atterrirent sur ses épaules.

- Je t'ai dit être en quête de rédemption, mais c'était un mensonge supplémentaire car à ce moment-là, je ne voulais pas me purifier. Uniquement me soulager. Et mon geste inconsidéré, ne m'en déplaise, m'a contraint à m'enfermer dans ce rôle vengeur pour ne pas avoir à reconnaître mon propre égarement. A présent, je vois les choses telles qu'elles sont. Sans fard. Je reconnais l'acte que j'ai commis et pour quelles raisons.

Le prédateur géant stoppa sa sempiternelle ronde pour lui faire face. Le Marina sentit son haleine glaciale, soufflée par-delà les babines retroussées. Son échine couverte de glace produisit un bruit de verre brisé lorsqu'il se hérissa. Einar ne fléchit pas.

- Le monde est menacé par une entité exacerbant toute forme de malveillance. Je ne puis prétendre lutter contre elle si je permets aux germes que mon geste m'a transmis, de prendre racine. Ce ne doit plus être la colère qui guide mon bras, mais davantage la pitié. J'ose croire que c'est ce que Oreste aurait voulu.

Des mouvements dans l'ombre derrière Einar détournèrent l'attention du prédateur. Non, ce n'était pas de simples mouvements, mais l'ombre elle-même qui entamait une gestuelle … tentaculaire.

- Tu étais le loup censé dévoré la création. Loki avait chargé son avatar draconique de me consumer. Aucun de vous deux n'est parvenu à ses fins.

Une Écaille se matérialisa sur le corps du jeune homme, tandis que ses yeux flamboyaient d'une énergie bleutée.

- Moi, Einar du Kraken, je brûlerais jusqu'à la dernière once de mon pouvoir pour ne pas me laisser engloutir.

Les vrilles s'agitèrent furieusement avant de se ruer sur le canidé géant, enserrant ses membres et son cou. Celui-ci tenta de se débattre, agitant les flots dans lesquels il pataugeait désormais.

- Prends bonne note de ma résolution et demeure à jamais enchaîné.

Les tentacules appliquèrent une lente traction vers les bas, tirant leur prisonnier jusqu'à ce qu'il disparaisse sous la surface.


L'Asgardien se sentit instantanément trempé. S'essuyant le visage d'une main, il regarda autour de lui pour voir qu'il venait d'arriver de l'autre côté du rideau d'eau comme s'il avait franchi une simple porte. Il se sentit étonnamment plus léger. Fallait-il y voir une conséquence des cas de conscience auxquels il s'était confronté ? Toujours est-il qu'il avisa le piédestal où un médaillon attira son regard.

S'approchant, il distingua la gravure en forme d'épée représentée sur la surface de métal décoloré. Einar s'empara de l'objet, le mirant une poignée de secondes, avant de le ranger.

Il rebroussa chemin, traversant le rideau liquide en sens inverse sans que rien ne se produise, de même que le pont et gravit l'escalier qui le ramènerait vers la surface.

Le jeune homme retrouva l'archidruide qui l'attendait un peu plus loin dans le couloir. Ensemble, ils se dirigèrent vers la salle précédant la sortie, celle où il s'étaient rencontrés.

- Votre aura a changé me semble-t-il, décela Uiscias.

L'Asgardien tourna un regard franc et non plus scrutateur vers la créature.

- Pour parler simplement, je dirais que j'ai eu une longue conversation avec moi-même. Je gardais beaucoup de choses par devers moi et il me fallait m'en libérer.

- Vous êtes tel un navire débarrassé de ses bernacles, filant plus sereinement sur les flots de l’existence.

Einar ouvrit le bouche, puis la referma en souriant.

- On peut dire ça.

L'archidruide lui rendit son sourire charmeur.

Sidh, Domaine de Falias


Plusieurs jours avant que ses compagnons n'entament les épreuves qui étaient les leurs, le Chevalier du Loup débuta la sienne.

Le Japonais, revêtu de son Armure, suivit Morfessa, se faufilant à travers l'épaisse barrière végétale ceinturant la clairière où résidait l'archidruide. Ce dernier avait mené le jeune homme jusqu'à une seconde trouée à la taille beaucoup plus réduite, où se dressait un cromlech.

Les roches avaient presque été entièrement colonisées par les mousses, leur conférant l'illusion de grands cyprès.

- Est-ce le lieu de l'épreuve ? demanda Nachi. J'ai l'impression que c'est ici et en même temps …

L'archidruide opina de la tête.

- Votre instinct est affûté. Ce cercle est un passage en effet. Je vais maintenant en déverrouiller la porte.

Morfessa se concentra, et comme précédemment sa main de chair s'auréola d'une aura verte. Il décrivit deux arabesques dans les airs. Un vent auparavant inexistant balaya de ses flux légers leurs visages, ainsi que les frondaisons des arbres alentour. Un voile à la nature éthérée se manifesta entre deux monolithes et une odeur semblable à celle de la terre après la pluie parvint à leurs narines.

- Voilà, c'est fait.

- Ai-je quelque chose à redouter ? l'interrogea le Loup.

- Comme je vous l'ai expliqué, chacune des épreuves repose sur une vertu particulière et pour celle-ci, votre esprit sera votre meilleur atout, répondit l'archidruide. Utilisez-le à bon escient.

Nachi hocha la tête pour signifier qu'il avait compris et recentra donc son attention sur le portail. Lorsqu'il l'emprunta, un fourmillement semblable à de l'électricité statique courut le long de ses membres, mais cela ne dura qu'un bref laps de temps.

A son arrivée de l'autre côté, le Chevalier de Bronze découvrit un gigantesque arbre. Ce dernier ne culminait pas aussi haut que les séquoias que Geki lui avait montré en Amérique, ou que celui que son groupe avait découvert en entrant dans le Sidh, mais son tronc était assurément bien plus large. Sa circonférence était proprement vertigineuse.

En s'approchant un peu plus, ses pieds foulant une herbe drue aux pointes ponctuées de rosée, Nachi put détailler l'épaisse écorce parcourue de rides.

Quel âge peut bien avoir cet arbre ? se demanda-t-il.

Autour de lui, les contours du monde apparaissaient de manière étrangement floue, comme s'il n'y avait que la zone où il se trouvait qui était à proprement parler réelle.

Loin au-dessus du Chevalier de Bronze, le géant végétal étirait ses frondaisons, emplissant le ciel de ses multiples ramifications qui paraissaient infinies. Celles-ci s'agitèrent, les myriades de feuilles générant un puissant bruissement. Plusieurs d'entre elles se détachèrent pour tourbillonner près du Japonais et il crut entendre des murmures indistincts ponctuer leur chute.

A l'instar des sensations expérimentées dans le bosquet de Morfessa, il sentit que son côté animal, essence sauvage jumelle de son esprit humain, s'éveillait davantage.

Puis, une vibration monta du sol, le parcourant des pieds à la tête. Un être à la silhouette humanoïde s'extirpa du vénérable tronc pour en descendre délicatement, pliant à peine les brins d'herbe sous lui. Une fragrance rappelant le réveil de la nature au printemps se répandit dans l'air avec sa venue.

Son corps ne semblait constitué que d'un enchevêtrement complexe de bois et de racines, hormis son bras droit qui arborait une apparence humaine. Sa tête était coiffée d'un masque évoquant le crâne d'un cerf et une intense lueur vert phosphorescent brûlait dans les orbites vides.

L'apparition évoqua à Nachi le kodama du folklore nippon.

Avant que le Chevalier de Bronze n'ait pu dire quoi que ce soit, une voix désincarnée – celle de l'apparition ? – déclama :

- Vivantes, muettes, on ne nous salue pas. Mortes, bruissantes, on nous foule du pied. Ce drame a pourtant une très bonne raison, car sur nos dépouilles desséchées, une nouvelle génération peut se développer.

Une énigme ? songea le Loup. Ça semble logique pour une épreuve de sagesse.

Tout à coup, il se dit qu'il n'était pas forcément le meilleur candidat pour s'y essayer. A ses yeux, les esprits affûtés de Shun ou Shiryû auraient davantage convenu. Mais ils n'étaient pas là et c'était à lui de prendre la responsabilité de ce défi.

Il était en train de se repasser les paroles dans sa tête lorsque l'atmosphère tranquille changea soudainement du tout au tout. Une nuée obscurcit les cieux, comme si le plafond nuageux s'abaissait et l'élémentaire disparut après qu'un nouveau passage s'ouvrit pour lui dans l'arbre.

Des ombres colossales se mirent à planer au-dessus du jeune homme qui invoqua instantanément son cosmos, le concentrant dans ses jambes. Il bondit pour éviter la mort qui s'abattit sur lui depuis les nuages noirs sous la forme d'un pied démesuré.

Le sol trembla lorsque l'énorme masse entra en contact avec lui, y laissant une profonde empreinte en se retirant. Tout juste remis de sa stupéfaction, Nachi avisa que cet ennemi aux proportions titanesques n'était pas seul et bientôt, d'autres descendirent pour fondre inéluctablement sur lui.

Pendant qu'il zigzaguait entre eux, tâchant d'allier survie et réflexion, le Chevalier de Bronze se figura être un insecte perdu au milieu d'un ballet de géants. La comparaison fit immédiatement surgir un souvenir d'enfance dans son cerveau et avant qu'il ne puisse y réfléchir plus en détail, il cria :

- Des fourmis !

La cadence des pas ralentit doucement, lui laissant entrevoir le succès de sa réponse, avant de s'accélérer, gagnant tant en intensité qu'en imprévisibilité de trajectoire.

Apparemment, un mauvais résultat augmentait la difficulté du défi. Et cela alla en s'amplifiant encore dès lors que chaque nouveau heurt du sol engendrait de lancinants bruissements, pareils aux lamentations d'âmes tourmentées, comme si la terre gémissait après chaque coup la déformant.

L'agaçante fréquence se mit à peser sur l'esprit de Nachi, perturbant son sens de l'équilibre. Ses esquives se firent plus maladroites et plus d'une fois, il manqua laisser une jambe sous ses pernicieux destructeurs, voire son corps tout entier. Sa concentration s'effilochait. Il n'allait pas y arriver.

Alors que l'idée d'abandonner l'effleura, son pied dérapa. Craignant qu'une difficulté supplémentaire venait de s'ajouter, le Japonais regarda par terre, mais ne vit qu'un lit de feuilles broyées par ses propres déplacements. Interloqué, son hésitation faillit lui coûter la vie. Heureusement, il se ressaisit vite et plongea plus loin, roulant. Lorsqu'il se redressa, le souffle court, il s'exclama :

- Des feuilles mortes !

L'écho de ses mots n'étaient pas encore revenu à ses oreilles qu'aussitôt, la scène retrouva son calme silencieux, le ciel se découvrant pour laisser passer une chaleureuse lumière.

Des marches naquirent du colossal tronc, s'enroulant autour de l'arbre, formant une invitation muette à entreprendre son ascension. Le Loup essuya la sueur perlant à son front et, comblant la distance qui le séparait du premier degré, il monta.

S'élevant toujours plus haut, Nachi perdit le compte de ses pas et des minutes qui s'égrenaient. Parvenu aux premières branches, certaines plus larges qu'un pont et recouvertes d'un lichen grisâtre, son instinct animal de plus en plus exacerbé le prévint d'un danger.

Entendant les furtifs cliquetis venant de plus haut, il leva les yeux pour découvrir avec une certaine horreur, que des créatures similaires à des mantes religieuses géantes parcouraient la vaste surface rugueuse du tronc pour converger dans sa direction.

Plusieurs d'entre elles se laissèrent chuter sur les derniers mètres, atterrissant lourdement. Leurs têtes, porteuses d'yeux protubérants, affichaient un air vaguement humain tandis qu'elles l'observaient. Avoisinant les trois mètres de long, leurs corps allongés alliaient des motifs gris-brun rappelant la couleur de l'écorce à un fond vert sombre. S'appuyant sur quatre longues pattes postérieures qui les faisaient culminer à plus de deux mètres, les insectes gardaient une paire de pattes avant repliée dont la forme évoquait une faux crantée.

Elles gardèrent un comportement neutre envers lui attendant visiblement un genre de signal. Nachi garda son cosmos sous contrôle, ne diffusant qu'un léger halo rougeâtre qu'il espérait dépourvu d'agressivité.

Bourgeonnant depuis la surface ligneuse, l'esprit végétal aperçut plus tôt se manifesta au milieu des mantes et l'air s'emplit de sa voix atone :

- Lorsque je m'écoule, la vie peut débuter, mais à l'instant où mon flux s'interrompt, on peut dire qu'elle est achevée. Par mon action, le fer est rongé, les pierres effritées et même les hautes montagnes, diminuées.

Profitant qu'il soit momentanément déconcentré par l'assimilation de l'énoncé, l'une des mantes se rua sur Nachi à une vitesse vertigineuse. D'un bon rapide, le Chevalier de Bronze se soustrait à l'attaque, la lame chitineuse ne fendant que le bois.

Ses propres griffes allaient frapper l'une des pattes lorsque la tête de la créature se tourna vers lui. Elle avait clairement observé son déplacement en dépit de la vitesse à laquelle il avait été réalisé. Écartant le membre qu'il visait, elle pivota et balaya Nachi d'un revers.

Celui-ci ne résista pas et accompagna la poussée en reculant, se protégeant de ses avant-bras auréolés d'énergie.

Le coup le décolla néanmoins du sol et après quelques pas en arrière, il chuta sur lui-même avant de se redresser presque sous une autre mante. Cette dernière s'en prit automatiquement à lui, parfaite proie désignée.

Le Japonais dût à nouveau jouer de son agilité pour esquiver les assauts acérés des insectes, dont les échecs zébraient d'entailles l'écorce de l'arbre. Tout en faisant ça, il réfléchit à l'énigme.

Quelque chose en rapport avec la vie et la mort … qui peut attaquer du métal ou de la roche … (Il arracha une patte à l'un des insectes géants qui dut alors lutter brièvement pour retrouver un équilibre.) Quelque chose qui s'écoule …

Son regard dériva un instant sur la sève d'aspect liquide qui sourdait des entailles faites par les mantes. Il pensa aux sources qui se frayaient un chemin à travers la roche et aux torrents creusant leur lit, arrondissant les angles des pierres en galets. Son cheminement cognitif l'amena à l'élément source de vie.

- L'eau, clama-t-il.

D'abord ralenties par le son de sa voix – peut-être surprises ? – les créatures reprirent leur chasse de plus belle au bout d'une poignée de secondes.

Décidément, ce genre de défi n'est pas mon fort, maugréa le Loup.

Il continua à virevolter au milieu des mantes religieuses, finissant par en terrasser deux jusqu'à ce qu'un coup lui ouvre une plaie dans le bas du dos. Il sentit le sang s'en écouler, imbibant son vêtement. Les assauts s'enchaînèrent inlassablement et le Loup écopa d'une balafre supplémentaire au bras.

Que se passait-il ? Il se sentait de plus en plus faible, le souffle venait à lui manquer et son esprit perdait en clarté. Du poison ? Pourtant, il n'avait rien perçu, ni dans l'air, ni sur les bras en faux de ses assaillantes.

A plusieurs occasions, il manqua de perdre sa tête ou finir proprement coupé en deux. Une pointe douloureuse s'insinua dans son cœur.

Un coup de lame qu'il para fendilla son gantelet et il ressentit le choc jusque dans ses os, qui lui parurent bien fragiles d'un coup.

Comment était-ce possible ? Ces créatures n'étaient clairement pas en mesure d'endommager son Armure. Ses yeux se posèrent sur l'enveloppe de métal ceignant son avant-bras et ils s'écarquillèrent. Sa protection était couverte d’ébréchures et piquetée de petits points orangés semblable à … de la rouille ! Néanmoins, ce ne fut pas la seule chose qu'il remarqua.

Son bras avait perdu en masse, s'affinant, alors que sa peau s'était couverte de menues taches brunâtres et qu'un lacis de veines bleutées ressortaient aisément en-dessous. Il vieillissait ! Et à grande vitesse qui plus est. Pour quelle raison ? Une sanction pour s'être trompé ?

Une nouvelle dérobade le laissa s'étaler par terre, haletant. A ce rythme, il ne serait bientôt plus que poussière.

Merde ! ragea-t-il, perdant son calme, tel un animal acculé. Je ne vais pas avoir le t.... .

Une fulgurance mentale le frappa.

- La réponse est … le temps, croassa-t-il.

Les mantes se figèrent à nouveau, juste au-dessus de leur proie aux abois, pour cette fois reculer. Dans un même ensemble, elles retournèrent se perdre dans les plus hautes cimes de l'arbre.

Le Chevalier de Bronze avait réussi certes, mais allait-il pouvoir poursuivre sa route dans son état actuel ?

Il huma l'air à plusieurs reprises, un suave parfum l'attirant. Il se traîna péniblement jusqu'à la plus profonde marque d'où continuait de s'écouler de la sève. Penché au-dessus, il en recueillit dans sa main et sur une intuition, l'ingéra. L'épais liquide coula dans sa gorge desséchée et il sentit très vite une force nouvelle inonder son corps. Tous les signes de vieillesse disparurent, tarissant même le flux de sang des blessures reçues, bien qu'elle subsistassent.

Rasséréné par cette régénération bienvenue, Nachi reprit son chemin.

Serpentant toujours plus haut, le jeune homme parvint enfin au dernier palier, là d'où partaient les branches les plus fines. Il avait l'impression d'avoir gravi un nombre incalculable de degrés et il lui était impossible d'apercevoir le sol de là où il se trouvait.

Un vent doux faisait bruire le sommet de l'arbre. Une petite bourrasque parvint cependant à franchir l'écran végétal et fit décrire un tourbillon à des feuilles égarées, les dispersant. La zone calme était plutôt plane, à l'image d'une vaste plate-forme.

A l’exception du Japonais, il ne s'y tenait qu'un seul autre individu, car pour la troisième fois, l'être fantastique naquit de l'arbre lui-même.

Du néant, une voix énonça ce qui serait probablement la dernière énigme :

- Présent dès le commencement, à la fois visible et invisible, je demeure constant. Éléments et animaux, astres et végétaux, nombreux sont ceux à s'organiser suivant mon ego. Je m'élève ou je descends, me rapprochant ou m'éloignant, et dans cette folle ronde, tous suivent mon mouvement.

La créature se déplaça brusquement, couvrant la distance qui les séparait en un battement de cils. Nachi, préparé à l'éventualité de l'assaut, aviva son cosmos pour parer le coup qu'elle lui asséna. La frappe était lourde, digne d'une rencontre avec un véritable mur.

Le Japonais fut éjecté tout près du bord de l'arène improvisée, mais il n'accorda pas un regard à l'abîme derrière lui. Il était impératif qu'il garde sa concentration pour ne pas se rater et trouver la bonne solution du premier coup. A ce stade, il ne pouvait se permettre aucune sanction.

D'après la question, la réponse devait être du domaine du naturel puisque tout y était relié.

Le lune ? Non. Le soleil, peut-être ? Beaucoup de choses sont liés à lui et il bouge dans le ciel. Même la nuit, il est toujours là, éclairant la lune.

Il para, esquiva, entailla en retour. Des vrilles s’extrayaient du sol pour tenter de s'enrouler autour de ses jambes. La première entrave fut vite arrachée et tandis que la seconde subissait un sort identique, une masse colossale de bois enchevêtré percuta Nachi, l'envoyant bouler.

Il se releva avec quelques difficultés, son Armure montrant de légères fêlures. Ses blessures le tiraillaient, les hémorragies reprenant leurs cours. Il enflamma son cosmos de plus belle.

Laisse-moi un peu de répit, bon sang ! lança-t-il mentalement à l’élémentaire qu'il couva d'un regard noir. Mais il n'influence pas vraiment les éléments et pourquoi d'autres astres le suivraient-ils ?

Un grondement étouffé s'éleva du sol et le centre de l'aire de combat commença à s'affaisser, comme s'il voulait prendre la forme d'un entonnoir.

En dépit de la concentration qu'il désirait maintenir, le Japonais se demanda ce qu'il se produirait lorsque le terrain deviendrait trop pentu pour qu'il s'y tienne. L'élémentaire ne s'en offusquerait assurément pas, sa capacité à se fondre dans la structure de l'arbre lui garantissant tout l'équilibre nécessaire, mais lui ? Si le vide finissait par l'appeler, il doutait de s'en sortir. Soit il endurerait une chute vertigineuse et mortelle, soit il finirait potentiellement broyé à l'intérieur du tronc. Et si par miracle, il parvenait à s'en sortir, l'épreuve serait terminée pour lui.

Il lui fallait solutionner ses deux problèmes : l'énigme et son opposant.

Autant se charger de ce dernier point avant d'être trop épuisé.

Le Loup passa dans la seconde de la défensive à l'offensive, son corps vibrant d'énergie, tous ses sens en alerte. Il bondit sur l'élémentaire de bois qui se déroba en patinant sur la surface ligneuse, mais tel le canidé symbolisant sa constellation, il le poursuivi d'un nouveau saut. Ses griffes taillèrent dans l'écorce du corps, sans que cela ne suffise à l'abattre.

Nachi redoubla d'efforts, puisant dans toutes ses ressources tandis que le sol poursuivait son affaissement avec davantage de célérité qu'au début.

Au fur et à mesure que son cosmos et l'urgence de la situation augmentaient, quelque chose se mit à buter aux frontières de sa conscience. Une chose primale. Il choisit de la repousser.

Le Chevalier de Bronze finit par passer sous la garde de son adversaire et laissa exploser son énergie. Ses gantelets aux extrémités griffues s'auréolèrent d'un teinte écarlate.

- Tenraiga !

Ses gestes devinrent flous tandis que leur cadence s'accrut, transformant le Loup en tornade acérée. Il tournoya, tailladant, lacérant, tranchant tout ce qu'on lui opposait de défense au cours de sa danse frénétique.

Comme au ralenti, le jeune homme vit chaque morceau, chaque fibre du corps ligneux céder face au déluge sauvage de coups dont il le cinglait. Les motifs et les structures, tout en enchevêtrement et en entrelacement, qui constituaient cet être jusqu'à exposer son cœur, une gemme grise ciselé d'un tourbillon verdâtre, qu'un ultime coup fendit en deux.

L'action reprit son cours alors que les échardes et les éclats de bois pleuvaient dans le vortex tant l'inclinaison du sol devenait prononcée. Le Loup était à deux doigts de basculer dans l'abîme béante. En une fraction de seconde, de nombreuses images affluèrent à lui. Le long escalier en colimaçon, les feuilles entraînées par le vent, les vrilles s'enroulant, la structure du corps du gardien, la gravure sur son cœur, le mouvement de sa propre technique. Il trouva la réponse.

- Une spirale.

Dès que le mot eut été prononcé, tel un élastique étiré qui reprend sa forme initiale, le sol redevint entier et plat.

Exténué, le Japonais se laissa tomber sur les fesses. Ses blessures le tiraillaient, mais il était heureux. Pendant qu'il calmait ses battements de cœur, un tressautement traversa son corps. L'onde courut en direction du centre de la zone et un piédestal poussa, pareil à un bourgeon qui finit par s'ouvrir. Péniblement, Nachi se releva pour marcher jusqu'à lui.

A l'intérieur, il trouva une petite pièce circulaire à la surface patinée par le temps et marquée d'un dessin figurant une pierre de section carrée.

Un profond soulagement l'envahit en comprenant qu'il avait remporté l'épreuve.

Environ une semaine plus tard, Nachi eut le plaisir de voir revenir son ancien élève.

Quatre jours encore plus tard, Shaina, Ciarán et Einar retrouvèrent leurs deux compagnons. Cependant, si le second avait de bonnes nouvelles à leur transmettre, il n'en allait pas de même avec le duo rentrant du domaine de Gorias.

- Comment ? Esras est mort ? répéta Morfessa, son front tatoué se barrant d'un pli affligé.

Il paraissait sonné face à l'annonce du meurtre de l'un de ses confrères. Un très mauvais pressentiment l'avait étreint au fil des jours l'amenant petit à petit à considérer une telle éventualité comme possible, mais de là à ce que l'on le lui confirme …

- Nous sommes désolés, dit Shaina d'une voix plus douce qu'à l'accoutumée qui le ramena à la situation présente.

- Merci, répondit-il. Je n'aurais jamais cru que … (Il soupira profondément.) Les temps sont en effet bien sombres.

- Si nous devons résumer la situation, reprit Nachi, nous sommes en possession de trois des quatre médaillons et notre ennemi a le dernier.

- Malheureusement, oui, confirma Ciarán entre ses dents serrées.

Un grief particulier tourmentait-il le Faireoir Dearg pour qu'il prenne ce ton, se demanda Einar.

- Que sommes-nous censés faire alors ? préféra-t-il demander.

- Une seule chose, affirma Shaina. Nous rendre au Loch Dubh.

- Mais ...

- Réfléchis, Einar, intervint Gearóid. Notre adversaire est dans le constat inverse du nôtre. Si nous allons sur place, il y a fort à parier qu'il y sera également, ou que cela le forcera à faire de même. Nous convergeons tous dans la même direction et si nous pouvons y être les premiers pour inspecter le terrain, je préfère être le chasseur plutôt que la proie.

Il jeta un œil au Loup, qui lui adressa un rapide sourire.

- L'accès à cet endroit n'est pas des plus simples, les prévint Morfessa. Je vais vous accompagner.

- Vous avez déjà fait beaucoup pour nous, déclara Ciarán. Je ne pense pas que ...

- Jeune homme, le coupa Morfessa, mon rôle en tant qu'archidruide inclut beaucoup de choses et protéger ces terres en fait assurément partie. Prenez quelques heures de repos et nous nous mettrons en route ensuite.

Chaque membre du groupe acquiesça à ses paroles, mais plutôt que de véritablement récupérer, ils en profitèrent plutôt pour discuter de stratégie.



Kodama : Littéralement « esprit de l'arbre ». Il s'agit d'un yōkai du folklore japonais vivant dans un arbre.


Tenraiga : Crocs Célestes

Laisser un commentaire ?