Une Dernière Bataille
Chapitre 49 : Les Epreuves -Quatrième Partie
5869 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 23/07/2025 10:39
Sidh, Loch Dubh
L'étendue d'eau se situait au sein d'une profonde dépression, évoquant par nombre de points une caldeira. Seul l'un de ses côtés s'était suffisamment affaissé pour que s'y forme une pente douce, sorte de chemin naturel facilitant l'accès au lac au milieu duquel émergeait un unique îlot. Le reste n'était que parois plus ou moins abruptes.
Quatre jours s'étaient écoulés, dont un entier occupé à observer les troupes ennemies se rassembler à la lisière de la forêt, depuis qu'ils étaient partis du domaine de Falias. Cette longue attente avait permis au petit groupe de constater plusieurs choses.
D'abord que le Loch Dubh devait son nom, non pas en référence à sa couleur – qui était celle de tout autre lac montagnard –, mais à cause du paysage sylvestre très sombre qui se reflétait à sa surface, plusieurs espèces végétales allant du buisson à l'arbre ayant colonisé ses versants.
Ensuite, que leurs adversaires étaient menés par un énigmatique individu vêtu d'un long manteau et aux traits dissimulés derrière un masque en forme de crâne d'oiseau. Comme les envoyés de la coalition divine l'avaient supposé, il avait eu la même intuition qu'eux et était venu leur tendre une embuscade. Toutefois, ceux-ci n'ignoraient rien de ce qui les attendait, contrairement aux fidèles de Balor.
Les compagnons échangèrent regards et hochements de tête, avant de s'affranchir de la couverture offerte par la forêt et de poser volontairement le pied sur le piège.
Pendant plusieurs minutes, ils explorèrent les berges constituées de sable foncé à la recherche d'une quelconque « serrure » où insérer leurs clés, sentant le regard braqué des créatures sur leurs dos.
- Comme vous l'aviez annoncé, ils sont là, à notre merci, déclara un Fomoire vêtu d'une ample robe noire surpiquée de fils d'argent, capable de parler la langue des hommes.
Sa tête cornue était la seule partie de son corps à être visible et ce qui aurait dû lui tenir lieu de pilosité évoquait davantage un entrelacs de racines noueuses.
- C'était assez simple à deviner. En doutais-tu ?
Son ton était faussement sévère, comme s'il cherchait à provoquer une réaction de gêne ou de peur chez son interlocuteur.
- Doit-on ...
- Attaquer ? Évidemment. Sinon votre seigneur ne pourra vous revenir.
Le Fomoire se tourna vers un trio près de lui, probablement des capitaines, et leur demanda de transmettre la parole du FuilFiach.
Une clameur sauvage monta des rangs des Fomoires dès qu'ils reçurent l'ordre de se lancer à l'attaque.
Les ailes de papillon ou de libellule des fées unseelie vrombirent, propulsant partout des écailles suggérant du pollen coloré. Les sluaghs firent grincer les rivets de leurs armures hantées aussi diverses que variées dans leurs ornements. Il agitèrent leurs armes, démesurées pour certaines, et l'air se chargea électricité.
Nombre d'entre eux s'élancèrent vague après vague, le sol tremblant sous les pas des uns et l'air vibrant sur les ailes des autres.
- Ils sont plus nombreux que ce que nous avions estimé, nota Nachi en scrutant les rangs des créatures qui sortaient de la forêt.
- Des renforts les ont peut-être rejoints à notre insu, avança Shaina. (Elle ajouta, plus confiante :) Ça ne change rien, ça reste un combat à notre portée.
- Prenez garde à vous, les pria Ciarán.
Tous trois embrasèrent leurs cosmos, faisant naître des auras nuancés d'argent et de rouge.
Nullement impressionnée, la marée d'êtres fantastiques déferla sur le petit groupe, les percutant avec suffisamment d'élan pour les disperser. Des enclaves où chacun luttait pour sa propre survie se créèrent.
La Chevaleresse d'Argent se décala pour éviter de finir embrochée sur la courte lance pointée sur elle.
Elle pivota pour frapper la fée menaçante, mais elle manqua sa cible lorsque celle-ci rétrécit, passant de la taille d'un enfant de cinq ans à une simple longueur de main.
Un véritable essaim de ces petites créatures se mit à tourbillonner autour d'elle, la harcelant d'estocs. De nombreux coups ripaient sur son Armure, cependant plusieurs trouvèrent leur but et percèrent la chair de la jeune femme.
Agacée, elle enflamma son cosmos et avec un cri, elle libéra une décharge de pouvoir brut destinée à repousser les nuisances volantes. Son geste lui permit de reprendre un peu de latitude et dans un second temps, elle déclencha son arcane Artigli Sanguinoso. Illuminés d'une lueur rougeâtre, les ongles acérés de son gantelet déchirèrent ailes et peaux, laissant une traînée de fluides dans leur sillage.
Les blessures infligées n'étaient pas forcément profondes, mais l'action de son cosmos, mué en un poison hémorragique, finirait par emporter les infortunés à l'usure. Le répit de l'Italienne ne fut malgré tout que momentané car elle dut parer le coup de marteau asséné par une armure animée de l'intérieur par une flamme phosphorescente.
Du côté de Nachi, les coups pleuvaient également. Ses griffes d'airain laissaient des traces aussi bien dans les chairs que dans les pièces d'armure ou les armes qu'on lui opposaient.
Il se débattait comme un beau diable, bondissant d'un pied sur l'autre, se déplaçant tel le vent. Son cosmos l'auréolait et ses adversaires paraissaient ne rien pouvoir faire contre lui. Toutefois, les premiers imprudents et fous furieux cédèrent la place à des individus plus mesurés dans leurs attitudes.
Le Loup bloqua la lame d'une épée large, mais renonça à la briser lorsque d'autres instruments mortels plongèrent sur lui. Les intervalles entre les assauts se réduisaient tandis que leur potentiel meurtrissant augmentait.
Heureusement pour lui, ils manquaient toutefois de coordination, Fomoires et sluaghs ne formant pas une troupe soudée. Le Japonais déchiqueta une gorge, déforma un genou d'un terrible coup de pied, détourna une pique qui se ficha dans l'épaule d'un ennemi voisin.
Les plaies dans son dos finirent par se rouvrirent à force de gesticulations.
Une masse le heurta et il se retrouva à heurter la surface du sol. Une monstrueuse armure animée de plus de deux mètres, au dos hérissé d'épées, s'avança pour le piétiner.
Nachi se soustraya au colosse en roulant, évitant la grève broyeuse. Des vibrations parcoururent la terre sous le lourd impact. Le Chevalier de Bronze se redressa à demi, plus bête que homme et, flamboyant d'énergie, repartit au combat.
Avant le choc initial, Ciarán observa durant de longues secondes l'individu engoncé dans sa cape. Pour lui, il s'agissait à n'en pas douter du responsable des morts du gardien et de l'archidruide Esras. Son instinct le lui hurlait.
Son cosmos bouillonnant autour de lui, un vent invisible agita ses cheveux et des fourmillements secouèrent le terrain.
Le Faireoir Dearg savait qu'ils avaient un objectif à accomplir et confronter cette personne n'en faisait pas nécessairement partie. Mais la stratégie qu'ils s'efforçaient de réaliser pourrait bien s’accommoder d'une légère variation.
D'une forte impulsion, l’Écossais se jeta au devant des troupes qui le chargeait. Grâce à sa vitesse, il s'insinua à travers les rangs ennemis tel un sylphide chevauchant les flux aériens. Ses frappes étaient vives et précises. Poings, paumes, doigts, il faisait mouche et s'il ne touchait pas un point vital, il tâchait d'incapaciter durablement. Son armure se retrouva vite mouchetée d'humeurs.
Toutefois, à s'enfoncer ainsi dans la mêlée, il prenait le risque de ne plus pouvoir bouger librement et perdre son avantage.
Sa progression s'en trouva finalement ralentie jusqu'à ce qu'il se heurte à un sluagh coiffé d'un casque cornu et possesseur d'une épaisse cuirasse. Agrémentée de motifs floraux, cette dernière formait une solide enveloppe d'où sourdait une nébuleuse lumière vert émeraude. Une épée à deux mains menaçante, nimbé d'une aura similaire, s'agitait entre ses gantelets griffus.
Les attaques du Faireoir Dearg seraient trop légères face à celui-ci. Tout entier drapé dans son cosmos, le jeune homme inspira et expira, laissant l'énergie s'écouler en lui et parcourir ses membres pour les gorger d'énergie.
- Nèamhaidh Sgaoth.
Doté d'un vélocité nouvelle, il tournoya, virevoltant au centre de l'anneau de danger qui le ceignait, se déplaçant si vite, telle une nuée d'oiseaux chassant des insectes en vol, que des images rémanentes leurrèrent le sluagh tout comme ses assaillants.
Souplement, l’Écossais se faufila parmi eux, subtil éclair rouge, ondoyant, zigzaguant. Il s'extraya du collet tentant de se refermer sur lui. Débarrassé de l’obstacle principal et n'attendant pas que ses poursuivants le prenne à revers, il reprit sa course avec en ligne de mire, le chef du groupe.
- Combien sont-ils ? demanda l'Asgardien à voix basse.
- Difficile à dire.
Au milieu du campement de l'arrière-garde que surveillait le Chevalier d'Orion, se trouvait un chariot à l'aspect lourdement chargé, les roues l'ayant amené ici avaient tracé de profonds sillons dans le sol. Quelque chose – quelqu'un ? – était étendu dessus, mais une toile recouvrait le tout et seuls des renflements étaient discernables.
- Bon, je préférais être mieux préparé, mais on verra bien.
En un éclair, Einar et Gearóid déclenchèrent une tempête de projectiles mêlant pieux de glace et flèches de cosmos argenté sur les troupes complètement inconscientes du danger.
Nombreuses furent les créatures à succomber en une fraction de seconde. Les blessés et les indemnes, un instant paniqués, furent envahis par la colère et la haine de s'être ainsi fait surprendre.
L'Irlandais laissa son binôme sortir à découvert pour aller au contact du mélange hétéroclite de créatures, tandis que lui-même restait en soutien à distance. Il décocha deux traits qui filèrent se ficher dans un œil et une gorge. Sa victime s'effondra.
Le Marina sauta par-dessus le cadavre tout récent et balança son poing recouvert de givre en pleine face d'un Fomoire qu'il défigura sévèrement. Rétabli sur ses pieds, il envoya deux de ses tentacules d'orichalque perforer pour l'un une armure hantée, pour l'autre, un énième Fomoire.
Des sluaghs se saisirent des appendices dorsaux libres pour tenter de l'immobiliser, leurs pieds fermement plantés dans le sol. Un autre armé d'une lourde hache s'avança pour lui fendre le crâne.
Einar bloqua le coup à deux mains juste à temps, retenant la lame loin de son visage.
Soudain, deux fées dont la taille réduite leur avait permis de se dissimuler derrière le sluagh, apparurent à ses côtés en reprenant leur taille. Elles s'en prirent au Marina, tentant de lui balafrer la face à l'aide de fauchards.
Chacune reçut une flèche qu'elles détournèrent toutefois sans recevoir de dommages.
Ce court répit fut suffisant pour Einar qui gela le manche de la hache, brisant celui-ci d'une simple torsion.
Ses yeux luisant d'un éclat bleuté de pouvoir sous-jacent, l'Asgardien tournoya sur lui-même pour chasser ceux qui le restreignaient contre son gré. Dans la continuité de son mouvement rotatif, il balaya ses trois agresseurs les plus proches. Ceux-ci subirent de plein fouet le heurt avec leurs congénères toujours témérairement accrochés à eux.
Une partie s'étala par terre alors que l'autre alla s'écraser contre des troncs d'arbres dans un sinistre bruit.
Un trio de molosses faits d'un assemblage de bois, de branchages et de feuilles jaillit de la végétation basse pour se jeter sur les éléments désorganisés de l'arrière-garde.
S'ils n'étaient pas vraiment capables de mettre leurs cibles à terre, les mâtins accaparaient toute leur attention, les exposant aux tirs savamment précis de l'Irlandais. Pas un ne devait en réchapper.
Quelques minutes plus tard, l'archidruide Morfessa émergea de sa cachette. Einar lui lança un regard.
- Je n'en détecte plus aucun, confirma le vieil homme. Tous ont péri.
- Parfait, dit Gearóid en sortant à son tour du sous-bois.
Il dissipa son bras de cosmos d'une pensée. Ses yeux se tournèrent vers le chariot.
- Il ne nous reste plus qu'à récupérer ça.
- Je m'en occupe.
La silhouette de Morfessa se souligna d'un halo vert, tandis que ses yeux se révulsaient légèrement.
Au bout de quelques instants, deux créatures semblables à celles qui leur avait servi de monture des jours plus tôt, firent doucement leur entrée dans la clairière où pesait un silence de mort. L'odeur les stoppa brièvement avant qu'une caresse mentale de l'archidruide ne les rassure.
- Va, Gearóid, dit le Marina. Rejoins nos amis. On se charge de la suite.
Le Chevalier d'Argent leur adressa un hochement de tête et s'en fut en un éclair.
Il courut en direction du Loch Dubh situé à cinq ou six kilomètres de là, en usant qu'au minimum de son cosmos. Il lui fallait être rapide, mais surtout discret.
Le jeune homme se repassa le plan qu'ils avaient établi tandis que ses foulées le rapprochait de sa destination.
Le débat avait été vif quant à la façon dont ils devaient procéder.
Tenter de traquer le possesseur du quatrième médaillon revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin. Tout comme l'inverse était à peine moins vraie. Et un tel jeu du chat et de la souris pouvait durer indéfiniment.
En revanche, les deux parties connaissant très probablement le lieu où se situait la « serrure », il était beaucoup plus facile d'y retrouver leur concurrent.
Ce fut finalement grâce à la chance et aux animaux auxquels « s'adressait » régulièrement Morfessa au cours de leur trajet qu'ils découvrirent la forte coalition qui se dirigeait également en direction du lac. L'archidruide usa de tout son savoir pour les camoufler du mieux possible tandis qu'ils observaient patiemment leurs adversaires.
A partir de là, les échanges avaient failli se terminer en pugilat lorsque Gearóid avait proposé la stratégie actuelle face à celle de Shaina, qui prônait d'affronter les forces ennemies jusqu'à atteindre leur cible.
Aux côtés de son ancien élève, Nachi avait appuyé le fait que cela pourrait se révéler dangereux, étant donné leur évident sous-effectif. De plus, ils ne savaient pas non plus quelles puissances se cachaient parmi eux. Enfin, leur ennemi pourrait tout à fait ne pas venir avec le médaillon et ils s'épuiseraient pour rien.
C'est ainsi que naquit le plan élaboré par l'Irlandais.
Un groupe ferait mine de se rendre à l'endroit où les clés devaient être utilisées, sachant que la majorité des troupes ennemies surveillait la zone, pendant qu'un autre s'occuperait de l'arrière-garde pour s'emparer du corps de Balor.
Shaina avait trouvé la stratégie bonne, mais que celle-ci ne résolvait pas leur problème initial concernant la clé manquante.
Et c'était là que devait intervenir … la chance.
Le groupe qui affronterait leurs adversaires devrait se retirer à un signal donné tout en abandonnant leurs propres clés. Dans le cas où il avait la clé avec lui, leur concurrent en userait pour récupérer directement le chaudron et par la suite, ils lui échangeraient contre la dépouille du roi des Fomoires. L'autre alternative serait que le possesseur de la clé ne participe pas au combat et se manifeste plus tard pour s'en emparer. La suite serait la même dans les deux cas.
A ce moment-là, Shaina avait presque bondi.
- C'est stupide ! Le chaudron est l'une des clés pour libérer Chaos. Tu crois vraiment qu'ils vont l'abandonner comme ça ?
- L'allié de Chaos ? Sûrement pas. Néanmoins, je suis certain que les Fomoires ne verront pas d'un très bon œil que leur roi-dieu reste mort. De plus, je doute qu'ils souhaitent nous laisser en possession de son corps.
- Je crois que c'est actuellement le seul moyen de déverrouiller la situation, était intervenu Ciarán à son tour. J'en suis.
Ils s'étaient tournés vers les autres. Nachi avait hoché sèchement de la tête. Morfessa avait fait la moue, mais s'était rangé à leur avis. Shaina avait maugréé en se rangeant à l'avis de la majorité.
- Dès qu'ils auront le corps et nous le chaudron, comment être sûrs qu'ils ne nous sautent pas dessus pour récupérer le tout ? avait demandé Einar.
- Pour ça, …
Le Chevalier d'Orion s'était suffisamment rapproché. Il observa rapidement le champ de bataille en contrebas, notant les nombreux cadavres que ses compagnons avaient engendrés un peu partout. Cependant, depuis son point de vue retranché, il aperçut encore davantage de survivants attendant leur tour de se jeter dans la mêlée.
Tel que Nachi l'avait supposé, le danger aurait été trop grand pour eux de se lancer dans une bataille rangée de cette ampleur.
Il intensifia son cosmos un très bref instant à trois reprises – le signal convenu – et repartit sans attendre.
Shaina et Nachi s'étaient réunis pour opposer un front commun.
Le second balaya la jambe d'appui d'un grand Fomoire pendant que la première le frappait brutalement du tranchant de la main au niveau de la clavicule. Un craquement net retentit et la victime recula, le bras ballant contre son flanc.
Les duo de Chevaliers capta le message de Gearóid et d'une décision commune, ils s'élancèrent là où l'étau était le plus faible et forcèrent le passage à grands renforts de coups. S'extirpant de la masse, ils filèrent, leurs cosmos les propulsant avec célérité vers la forêt.
Ciarán avait lui aussi perçu le signal.
C'était désormais à lui de jouer pour parachever leur stratégie. D'un violent revers, il écrasa une trachée à sa droite et brisa un genou face à lui.
Deux choses lui étaient nécessaires : une issue et un acte crédible.
L'ascension continue puisa dans ses ressources physiques, bien qu'elle ne dura pas plus qu'un battement de paupières.
A chaque nouveau pas qui heurtait le sol, Ciarán sentait un transfert d'énergie s'effectuer depuis la terre jusqu'à son corps tout entier. Tel un électron libre venant percuter d'invisibles parois, elle rebondissait avec toujours plus de force, ne demandant qu'à sortir.
Un fugace instant, il oublia ses priorités pour ne se focaliser que sur ce qu'il avait en ligne de mire. Il prit une brève inspiration et libéra une courte décharge de cosmos condensé dans ses jambes, démultipliant brusquement sa célérité. La terre se creusa sous son pied d'appui et ensuite ce fut comme s'il glissait dessus.
Au ralenti, il vit l'individu masqué lever un bras caparaçonné de métal vermillon. Un réflexe ou s'attendait-il à ça ?
Ciarán ralentit légèrement et sans prévenir, il fit un brusque écart pour se tenir devant sa vraie cible. En une fraction de seconde, il s'ancra dans le sol.
L'énergie générée durant la course et maintenue sous pression se retrouva brutalement libérée. En temps normal, il s'en servait sous la forme d'une rafale de coups ultra-rapides, mais légers, relâchant ses articulations afin de courber facilement la trajectoire de ceux-ci et ainsi tromper la garde. Une fraction de seconde plus tôt, l'aspect massif des armures hantées et le souvenir de l'extrême robustesse de la peau du champion lui avaient insufflé l'idée d'agir à l'inverse. Il devait enchaîner les frappes les unes à la suite des autres en visant le même endroit, tel un marteau piqueur.
Son cosmos fulminant, les bras du Faireoir Dearg se détendirent tels des fouets.
- Fiadhaich Ealt !
Le Fomoire aux traits sylvestres brilla d'une lueur verdâtre et érigea en catastrophe un rempart similaire à celui dont il s'était servi en ville face à Shaina. Insuffisant.
La force de pénétration de l'arcane était au-delà de ce que sa défense pouvait encaisser. Les milliers de coups furent si rapidement portés que c'était comme en recevoir un seul et unique dévastateur. Les bras de l’Écossais étaient devenus des lances. Des armes qui s'affranchirent du mur dressé comme si celui-ci n'avait été fait que papier mâché. De même que de ce qui se tenait derrière.
- Ta dette de sang est payée, glissa-t-il au cadavre qui n'avait pas encore la perception de l'être.
Il retira son bras ensanglanté du corps pour aussitôt bondir de côté, se soustrayant aux flammes qui éclatèrent telles des nappes de goudron autour de lui. Il roula, se redressa en jetant un œil par-dessus son épaule et finalement entreprit de quitter les lieux à aussi grandes enjambées qu'il pouvait se le permettre pour disparaître parmi les arbres.
L'être qui n'appartenait à aucune des espèces présentes s'approcha du corps. Il lui semblait avoir aperçu quelque chose avant que le guerrier ne prenne ses jambes à son cou.
Non loin de la dépouille ravagée du mage, il découvrit une pochette de cuir égarée. La boucle la fermant défaite, le contenu tomba dans sa paume tendue.
- Voilà un bienheureux hasard, dit-il en détaillant un à un les trois médaillons de métal terni.
Une sacrée veine en effet ! Il n'était pas très friand de ce genre de choses, à moins d'en être à l'origine, car il était loin de bouder son plaisir lorsqu'il pouvait arracher lui-même ce dont il avait besoin. Que ce soit par la force ou par d'autre moyen plus plaisant comme avec cet archidruide dans les montagnes. Un soupir lui échappa.
Tant pis, songea-t-il, n'y pensons plus.
- Que faire nous ? Chasser ?
Il se tourna vers un Fomoire un peu plus petit que ses congénères. A l'image du mage, son faciès était moins bestial – si l'on exceptait les deux courtes cornes se courbant vers l'arrière depuis son front et les trois excroissances pointues au bout de son menton – et il parlait la langue des hommes. Quoique les mots eussent été impropres à être prononcés par une telle bouche et il en résultait des phrases grossières.
- Nul besoin, la fatalité nous as souri, fit-il en agitant la pochette qui tinta.
- Roi bientôt revenir alors.
- Oui. Dès que nous aurons récupéré l'artefact.
Un sourire étira la grande bouche du Fomoire et une lueur s'alluma dans ses yeux.
Dans leur langage guttural, il expliqua la situation aux autres. Des grognements et des rugissements lui répondirent.
Celui qu'ils appelaient FuilFiach entreprit de descendre la pente menant au lac.
Les premiers temps de sa présence dans le Sidh, il lui avait fallu convaincre plusieurs clans de Fomoires de le rejoindre. Sa tâche avait néanmoins été facilitée par l'offrande du corps de leur seigneur, arraché aux mains du vil Lugh, ainsi qu'à la parole des membres de la faction Fomoire œuvrant sur Terre.
Pareille action avait dû également être entreprise avec d'autres créatures douées d'un minimum d'intelligence et montrant un intérêt pour le retour de Balor, comme certaines cours de fées unseelie et de sluaghs.
Par la suite, il lui avait fallu réussir à localiser les demeures des archidruides et y envoyer des … candidats. Avec de bien maigres résultats, hormis pour lui-même, qui ne l'avait pas étonnés.
Aussi, dès lors qu'il fut au courant de la présence avérée des Chevaliers – il se doutait bien qu'ils arriveraient à un moment où un autre –, il se dit qu'il pouvait compter sur des gens plus malins pour faire le travail à sa place et récupérer le trophée via quelques meurtres.
Entretemps, il se focalisa sur la récupération de la tête du seigneur des Fomoires. Tout comme celui affronté sur Terre, le gardien assigné à protection avait été un redoutable adversaire. Toutefois, il avait dû finir par s'incliner après un âpre combat. Sa mission désormais accomplie en bonne partie, il avait prévu d'attendre ses concurrents ici, car les chasser à travers tout le Sidh pour obtenir leurs clés aurait été trop complexe.
Les semelles de ses bottes commencèrent à crisser sur le sable foncé des berges tandis qu'il croisait de nombreux cadavres, reconnaissant le talent martial dont avait preuve les Chevaliers d'Athéna et leur allié.
Au fur et à mesure qu'il dépassait les tas de chairs froides, il s'interrogea sur la soudaine fuite de ces derniers.
Ils étaient en infériorité numérique et pris en défaut, réfléchit-il, mais ils auraient dû détaler tout de suite plutôt que de résister aussi longtemps.
Il avait bien perçu la colère du jeune homme non Chevalier, plus vraisemblablement un des membres de la garde du dieu Lugh.
Et il n'était que trois là où le mage était certain d'en avoir compté sept, dont une qu'il avait tuée lui-même. Les trois manquants étaient-ils morts au cours des épreuves ? Possible. Quoiqu'il lui avait semblé ressentir un quatrième cosmos s'animer de manière très succincte depuis le sous-bois.
Un simple observateur ? Un lâche ?
Il haussa les épaules. Il était arrivé devant un petit autel de pierre taillée. Un par un, les médaillons furent placés dans les encoches prévues. Un léger scintillement souligna leurs formes rondes alors qu'elles se liaient à l'autel.
L'eau calme qui effleurait la berge se mit à trembler, bouillonnant presque et une large barge de bois luisante l'humidité et d'un rouge si foncé qu'il en paraissait noir, remonta à la surface.
Derrière lui, les rangs de créatures s'agitèrent. Le Fomoire couronné désigna un de ses semblables et tous deux montèrent avec le FuilFiach.
L'embarcation se mit à avancer de sa propre initiative, les conduisant droit sur l'unique îlot où devait se trouver le chaudron du Dagda. Dès qu'il s'en serait emparé, il ne lui resterait plus qu'à retourner au camp de l'arrière-garde pour parachever sa mission.
Très peu de choses étaient parvenues à le surprendre au cours de son existence, mais la découverte des corps sans vie et l'absence du chariot en revenant dans la clairière, engendra un moment de flottement dans les pensées du FuilFiach.
Il ne saurait finalement jamais ce qu'il s'apprêtait à faire, car une voix s'éleva soudainement, captant son attention.
- Finalement, vous n'êtes pas si idiots que ça.
La propriétaire de ces paroles sortit du couvert végétal. Il la reconnut tout de suite comme l'un des Chevaliers ayant combattu au cours de l'échauffourée survenue une poignée d'heures plus tôt.
Elle possédait un corps aux bras musclés et un visage dissimulé par-delà un masque encadré d'une masse de cheveux d'ébène. Ses récentes blessures avaient été soigneusement bandées.
Le FuilFiach balaya la forêt du regard, tâchant d'estimer où était les autres.
- Je suppose que c'est ton œuvre, lui lança-t-il.
- Désolée, nous ne sommes pas à votre niveau en terme de méticulosité, répondit la Chevaleresse, acide.
- Il n'y a pas d'excuses à présenter, c'est un talent rare que peu de personne développe.
Malgré ses bras croisés, il ne rata pas la légère crispation de son corps, même si elle ne dura que l'espace d'un clin d’œil.
- Donne-nous le chaudron du Dagda, le somma-t-elle.
- Malheureusement, j'en ai besoin pour rendre service à ces gens derrière moi.
- Sans corps, ça me paraît compliqué, répliqua la jeune femme. Voici ce que je propose : le corps de Balor contre le chaudron. Du moins, une moitié de corps. L'emplacement de l'autre te sera indiqué plus tard lorsque nous serons en sécurité.
- Je peux aussi garder l'artefact, te tuer pour récupérer la première partie et traquer tes compagnons pour reprendre la seconde.
- C'est une possibilité à laquelle nous avons songé. Dans un tel cas, l'autre partie sera détruite.
Un rire nerveux échappa au FuilFiach.
- Depuis quand annihile-t-on aussi aisément l'enveloppe d'une divinité, même morte ?
- Oh, tu serais surpris par ce que des siècles de recherche ont fournis comme réponse aux archidruides.
L'homme tiqua, tandis que des murmures rappelant des grondements commencèrent à lui parvenir aux oreilles. Ceux parlant la langue humaine devaient traduire pour leurs congénères.
Du bluff ? présuma-t-il. Si c'était vraiment le cas, pourquoi n'auraient-ils pas déjà procéder à son élimination par le passé ?
- L'idée n'a pas l'air de leur plaire, lui fit remarquer son interlocutrice.
Et tu comptes justement sur ça pour me forcer la main, hein ? On va voir qui est le plus malin des deux.
- Effectivement, cela causerait un sacré trouble, répondit-il finalement. (Il leva lentement une main.) Amenez-lui le chaudron.
Les rangs dans son dos se fendirent pour laisser le passage à un duo de Fomoires qui transportaient l'ouvrage de métal.
D'une couleur orange rougeâtre rappelant le cuivre, le chaudron était gravé sur tout son pourtour renflé de figures aux différentes formes géométriques évoquant des nœuds, des entrelacs, des animaux et même des humains. Étonnamment, il n'était pas vide, mais empli d'un liquide sombre.
Les porteurs le placèrent au centre de la clairière et repartirent de leurs pas pesants, jetant des coups d’œil aux dépouilles de leurs camarades. Le FuilFiach fit un geste silencieux, similaire à une invitation.
A son tour, la Chevaleresse fit un signe de la main. Un homme aux traits asiatiques, aux sourcils si fins qu'ils en paraissaient inexistants et à l'aura animale, celle d'un prédateur, se montra. Néanmoins, il avançait avec circonspection car il sentait probablement qu'un même halo émanait du FuilFiach.
Il transportait avec lui un volumineux paquet enveloppé dans de la peau tannée.
- C'était plus facile à manipuler pour nous, se sentit besoin d'expliquer la Chevaleresse.
L'Asiatique, probablement un Japonais, déposa leur monnaie d'échange aux côtés du chaudron et recula.
Un sourire involontaire, que ses interlocuteurs ne purent voir, étira les lèvres du FuilFiach.
- Procédons à l'échange, lança-t-il.
Il s'avança tranquillement et avec un petit temps de retard, la jeune femme l'imita. Face à face, ils échangèrent un regard par-delà l'obstacle de leurs masques respectifs.
Une épée à double tranchant sortit des replis du manteau, mais elle demeura en position basse, le long de sa jambe.
- C'est une menace ? s'enquit sa vis-à-vis en lorgnant dessus.
- Pas du tout. Simplement un outil qui va me permettre de vérifier une chose.
Il leva lentement la lame et l'abattit à deux reprises à la vitesse de l'éclair. La pointe acérée fendit successivement les sept couches de cuir du paquet. Celles-ci s'affalèrent sur les côtés, tels les pétales d'une fleur éclose, pour révéler l'intérieur.
Une tête deux à trois fois plus imposante que celle d'un humain ordinaire apparut. La peau, desséchée, était tendue sur l'os. Des cornes sortaient des temps pour suivre le lobe jusque vers l'arrière du crâne où elles achevaient de pointer, comme une couronne de lauriers inversée. Des cheveux noirs et filasses tombaient de part et d'autre de la tête. Les paupières étaient fermés sur des orbites que le temps avait rendu creux. Toutefois, un étrange trait barrait le front, semblable à une balafre fermée par des points de suture. Sept en tout. A moins qu'il ne s'agisse d'une sorte de troisième paupière.
La main libre du FuilFiach agrippa son masque et le laissa tomber.
Shaina découvrit un visage amaigri et blafard, encadré de longs cheveux raides couleur aile de corbeau. Ses yeux cernés étaient ceux d'un fauve, d'une couleur particulière qui tendait vers le doré. Un morceau de chair manquait à l'une de ses joues, laissant entrevoir la dentition en-dessous.
Une aura très inquiétante sourdait de cet homme et lui remuait les tripes.
L'instinct primal qu'avait éveillé Nachi se mit de nouveau à cogner contre les barreaux de sa raison, tournant en rond en grondant. De peur ou de défi ?
- Je vais te révéler un petit secret, dit l'envoyé de Chaos d'une voix douce, uniquement audible par elle-même et Nachi.
Derrière eux, camouflés dans la forêt par la magie sylvestre de Morfessa, les autres membres du groupe retenaient leurs souffles, tendus comme des cordes d'arc. Tous, sauf Einar.
L'indicible tension qui l'avait envahi avait déjà atteint son point de rupture. L'apparition de la lame et du gantelet rouge avaient réveillé de vieux souvenirs évoquant une sombre caverne.
Même à cette distance, il reconnut l'ovale pâle du visage dans les replis du capuchon. Suzaku !
Le Gardien Céleste fit jouer la pointe de son épée le long du front, découpant les épais fils. Sa main gauche plongea, pareille à une serre, pour entrouvrir la paupière libérée. A nouveau, il se servit de sa lame comme d'un outil et fit sauter dans sa main, un globe noirâtre de la taille d'une pomme.
Son acte avait paralysé de stupeur le duo de Chevaliers.
- Le chaudron n'a jamais été la clé. Tout comme je n'ai jamais eu besoin du reste de ce corps décati. (Il brandit son trophée.) Le véritable trésor, c'est cet œil.
D'un mouvement vif, il plongea son poing serré autour du globe oculaire directement dans le chaudron.
De la fumée s'éleva depuis la surface du liquide – du sang ? – qui se mit à frémir.
- Arrêtez-le ! cria le Marina, son cosmos s'exaltant.
- Inutile, asséna l'Oiseau Vermillon du Sud.
L'activité du chaudron s'arrêta et une onde de choc se propagea avec un claquement sonore, couchant l'herbe qui prit une teinte cuivrée. L'atmosphère proche s'échauffa et la brusque chaleur les frappa comme le souffle d'une forge.
Suzaku retira sa main. Elle tenait désormais un œil vivant dont la pupille brillait d'une lueur cramoisie. Le Gardien Céleste le braqua devant lui. Un battement de cœur plus tard, tout sombra dans le rouge.
Nèamhaidh Sgaoth : Nuée Céleste
Fiadhaich Ealt : Envol Sauvage
FuilFiach : Oiseau de Sang