Etoiles et chaos

Chapitre 17 : Chapitre seize

5034 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 17:18

TITRE : Etoiles & Chaos

AUTEUR : Ardell

DISCLAIMER : Les personnages et l'univers de Saint Seiya appartiennent à Masami Kurumada. Seul le personnage de Cinnamon est à moi.

CHAPITRE SEIZE

Sanctuaire d'Athéna

Les Chevaliers d'Or se séparèrent. Chacun retourna dans sa Maison, la tête lourde d'interrogations sans réponses. Si Mû avait hérité d'un travail tout à fait dans ses cordes, c'est-à-dire remettre les armures en état, ses compagnons d'armes, quant à eux, se trouvaient dans une situation inédite et particulièrement inconfortable. En effet, depuis que l'incident était arrivé, aucun d'entre eux n'avait pu endosser sa protection. Athéna avait bien prétexté devant les Bronzes, apprentis et autres gardes, que le règlement concernant la tenue officielle des Golds avait été assoupli. Néanmoins il devait paraître étrange, à force, de croiser les Saints d'Or constamment en civil... D'ici à ce que des rumeurs circulent sur le relâchement des gardiens du zodiaque...

— Qu'est-ce que tu en penses, vieux frère ?

Sur le parvis sud de son Temple, les yeux levés en direction de la onzième Maison, Milo resta silencieux... comme s'il attendait une réponse. Comprenant que celle-ci ne viendrait jamais, il soupira et secoua la tête.

Au fond, il s'en moquait bien du protocole et de toutes ces considérations vestimentaires.

Maison du Lion

— LIGHTENING PLASMA !

Aiolia avait mis toute son énergie dans cette attaque. Sa volonté, son coeur, sa rage...

En écho à son invocation, de minuscules éclairs dorés entourèrent son poing tendu... avant de disparaître. Durant quelques secondes, ce fut comme si la lueur vacillante d'une bougie avait éclairé la salle principale de la cinquième Maison.

— C'est pas vrai !

Les yeux flamboyants, énervé, frustré, le Lion poussa un rugissement de dépit.

Maison du Taureau

Aldébaran tourna la tête vers l'escalier du zodiaque. Comme les autres Golds, il avait perçu la louable mais vaine tentative d'Aiolia. Oh il ne s'inquiétait pas : le Lion continuerait encore et encore, jusqu'à ce qu'il soit capable de produire autre chose que le miaulement d'un chaton enroué.

"Nous devrions suivre son exemple et nous entraîner sans relâche. Après tout, c'est bien ce que font les apprentis, non ? Et nous sommes pour ainsi dire redevenus des apprentis..."

Peut-être était-ce là la solution ? Repartir de zéro, réapprendre les bases, et non pas s'obstiner à revenir sans attendre au sommet de leur puissance ? Et si c'était eux qui...

Le Taureau se secoua. Cette idée était ridicule, ils savaient tous à quoi s'en tenir alors quel besoin avait-il d'aller chercher une autre explication à leur problème ? C'était Mû le spécialiste des armures, il devait savoir mieux que personne ce qu'il en était.

Brusquement, Aldébaran se retourna et pénétra dans sa Maison. Une fois dans la salle principale, il jeta un regard sévère sur la silhouette qu'il dominait de toute sa hauteur.

— Tu sais que tu deviens franchement pénible ? fit-il.

Sanctuaire sous-marin – Palais de Poséidon

Lorsqu'il revint un peu plus tard, il trouva la jeune fille assise en tailleur sur le lit, la tête reposant sur une de ses mains, les yeux fermés. Elle les ouvrit et laissa échapper un bâillement tandis qu'il avançait vers elle.

— Une adepte de la méditation, hein ?

— Pas du tout. J'étais juste en train de rêvasser. C'est pratique d'avoir de l'imagination quand on s'ennuie comme un rat mort.

Le regard accusateur qu'elle lança au Dragon des Mers ne fit à ce dernier ni chaud ni froid.

— J'espère que tu n'as pas faim, dit-il en posant son casque. Parce que j'ai déjà mangé et j'ai complètement oublié de mentionner au cuisinier que j'avais une invitée...

Elle hésita, incapable de déterminer s'il se moquait d'elle. Si ça se trouvait, il n'y avait même pas de cuisinier...

— Non, ça va.

Depuis combien de temps n'avait-elle pas pris un vrai repas ? Lorsqu'elle avait dû partager la table d'Athéna et de ses Bronzes, elle n'avait jamais fait que picoré. La sensation de faim, elle ne savait plus ce que c'était. Elle ne savait plus depuis qu'elle...

Elle chassa aussitôt ces souvenirs de ses pensées. Elle ne voulait pas que Kanon la regarde avec horreur. Personne connaissant la vérité ne pourrait la voir autrement qu'avec dégoût. Messire DM avait été le seul à savoir, et ce n'était pas lui qui l'aurait jugée.

Elle décroisa les jambes et posa sagement les mains sur ses genoux. Le Dragon des Mers l'observa avec une certaine méfiance, à laquelle elle répondit par un sourire innocent. Lorsqu'il fut enfin certain qu'elle n'avait commis aucune bêtise en son absence, il se détendit. Un peu.

— Je n'ai pas le temps de jouer les guides touristiques mais je suppose que je dois tout de même te montrer la salle de bain, dit-il enfin.

Il se dirigea vers une porte, qu'il ouvrit. Puis il s'effaça pour laisser passer l'adolescente.

— Je ne suis pas du genre à monopoliser la salle d'eau. Contrairement aux filles de mon âge, je n'ai pas l'habitude de passer des heures à me pompo... Ah la vache !...

Cinnamon resta plantée sur le seuil de la pièce, clouée sur place. Kanon passa à côté d'elle en lui conseillant d'un ton moqueur :

— Ferme la bouche, tu vas gober le plancton...

— Pas de doute, vous avez le même A.D.N... souffla-t-elle.

Ce n'était pas une baignoire qu'elle avait sous les yeux, mais une petite crique privée. Le bassin taillé dans la roche était presqu'aussi grand qu'une piscine. Ça et là, des algues et autres délicates fleurs aquatiques oscillaient au gré du courant marin... sauf qu'elles se trouvaient à l'air libre. Cependant, le plus extraordinaire était sans conteste le plafond et deux murs qui entouraient le bassin.

Ces parois n'étaient pas faites de pierre ou de marbre. Elles étaient entièrement constituées d'eau.

D'un bleu profond et d'une transparence cristalline, cette eau se mouvait doucement comme animée d'une respiration propre. Au-delà, c'était les profondeurs de l'océan que l'on pouvait admirer, avec sa faune et sa flore aussi riches qu'inconnues.

Il y avait tout de même quelques silhouettes familières. Cinnamon eut un sourire émerveillé lorsqu'elle crut apercevoir un grand blanc nager paresseusement au loin. Que se passerait-il s'il décidait de venir plus près ?

La jeune fille s'approcha de l'un des murs et passa sans difficulté ses doigts dans le liquide. Si la mer ne pouvait pénétrer dans la salle, en revanche il semblait qu'il soit possible de piquer une petite tête...

— C'est magnifique...

Kanon haussa les épaules d'un air blasé.

— Oui, possible. Pour ma part, je préfère aller nager dans l'océan. C'est moins exigu.

— C'est sûr que c'est moins grand que les thermes du Sanctuaire d'Athéna...

A ces mots, le Dragon des Mers se rembrunit.

— ... cependant je crois que j'aime mieux cet endroit. La déco est meilleure.

Satisfait, Kanon se redressa inconsciemment. Cinnamon resta un instant les yeux dans le vague et se tourna ensuite vers son hôte.

— Au fait, Kanon, pourquoi tu n'aimes pas ton frère ? demanda-t-elle. C'est ton jumeau pourtant.

— Un jumeau à cause duquel j'ai failli me noyer. Crois-moi, des frangins comme ça on s'en passe.

Quelques secondes s'écoulèrent.

Et l'adolescente éclata de rire.

— Ça alors, c'est génial ! s'exclama-t-elle.

Excuse-moi ?!

Cinnamon sursauta et recula précipitamment lorsque le jeune homme avança vers elle avec la détermination d'un dragon en furie. Il ne crachait pas de flamme mais ses yeux lançaient des éclairs. Effrayée, la jeune fille leva les mains en une tentative désespérée d'apaisement.

— Oui... enfin non ! Je veux... je voulais dire "quelle coïncidence" ! bafouilla-t-elle avec un sourire crispé. Moi-aussi j'ai manqué me noyer, la première fois que j'ai rencontré messire Saga.

Kanon s'immobilisa, les poings toujours serrés.

— Je vois le tableau, fit-il avec un sourire ironique. Messire Saga qui arrive sur son destrier blanc pour sauver la demoiselle en détresse...

Cinnamon baissa les mains et, une expression soudain plus grave peinte sur son visage, détourna la tête.

— C'est lui qui a essayé de me tuer, murmura-t-elle.

Sanctuaire d'Athéna Maison du Taureau

— Tu as désobéi à la déesse, accusa Aldébaran. Donne-moi une bonne raison de ne pas t'expédier au Japon d'une seule pichenette...

— Ça te va si je te rappelle qu'une aide supplémentaire ne vous serait apparemment pas superflue ? Et, entre nous, j'ai l'impression que tu aurais du mal à m'envoyer jusqu'à Rodorio. Je me trompe ?

Le Taureau toisa l'insolent Phénix. Son premier réflexe avait été d'écrabouiller ce moustique enflammé, cependant le bon sens lui soufflait que cet invité inopportun n'avait pas tort. Lui-aussi avait vu ses forces diminuer. Serait-il seulement capable de soutenir un combat ?

Ikki était un allié, un ami, l'un de ceux qui avaient sauvé Athéna. S'il avait été un ennemi au solde d'il ne savait quel dieu belliqueux ? Aldébaran frémit d'horreur devant sa propre impuissance. Pour la première fois, le danger de la situation le frappait de plein fouet.

Oui le Phénix avait volontairement passé outre les ordres de leur déesse. Oui son devoir à lui, Aldébaran, était de reconduire celui qui était devenu un intrus aux frontières du Domaine Sacré.

Pourtant il n'en ferait rien. Il ignorait ce qu'Ikki savait exactement mais il avait raison en parlant d'aide supplémentaire.

— Comment es-tu parvenu à traverser le Temple du Bélier ? s'enquit-il.

— Mû m'a laissé passer.

— Ikki mais qu'est-ce que... Oh et puis...

Devant un Phénix surpris, le Bélier se détourne soudain avec un signe de la main qui pourrait signifier "Laisse tomber...". Il retourne aussitôt dans ses appartements privés, non sans marmonner dans sa barbe. Ikki croit distinguer les mots "pas que ça à faire..."

— Maintenant que tu es là, je suppose qu'une discussion s'impose avec les autres Chevaliers d'Or, soupira Aldébaran.

Sanctuaire sous-marin – Palais de Poséidon

Cinnamon raconta à Kanon sa rencontre avec Saga. Sa véritable rencontre, car elle avait déjà fait la connaissance de l'Autre lorsqu'elle apprit que le Pope possédait une double personnalité. Pendant les jours qui avaient suivi, elle avait même cru que Saga n'était que le deuxième. Ce jour-là ainsi qu'à d'autres occasions, il était apparu et l'avait protégée. Toujours il s'était ingénié à la préserver... de lui-même. Jusqu'à la confier à une personne de confiance s'il craignait de ne pouvoir résister à son double. Cela, elle ne l'avait compris que plus tard.

La jeune fille ne parla à Kanon que de sa rencontre avec son jumeau, cependant son récit raviva inévitablement d'autres souvenirs. A présent qu'elle était loin du Domaine Sacré, elle pouvait réfléchir à ce qui s'était passé et commençait à comprendre certaines choses.

Que se serait-il passé si l'Autre avait eu ce qu'il voulait dès le début ?

Rien.

Rien de ce qui s'était passé au Sanctuaire la concernant n'aurait eu lieu et, par conséquent, les armures d'or n'auraient souffert aucune altération. Cinnamon aurait été utilisée et jetée comme un objet usagé, tuée à l'instar de ces serviteurs trop curieux. Mais Saga était intervenu à chaque fois et les jours avaient défilés, les premiers mois s'étaient écoulés et peu à peu, l'adolescente avait fini par faire partie du Domaine Sacré.

Saga l'avait toujours protégée... sauf cette nuit-là.

A peine cette réminiscence eut-elle effleuré son esprit que Cinnamon vacilla, saisie d'un malaise où la terreur avait un goût de trahison. La sensation que le sol se dérobait sous ses pieds, que les repères les plus simples étaient faussés au point que les choses qui l'entouraient, même les plus inoffensives, prenaient un aspect menaçant. Formes et couleurs devenaient incompréhensibles, comme si le cerveau de la jeune fille était soudain devenu incapable de traiter les informations que lui transmettaient ses sens.

Comme à chaque fois qu'une réalité douloureuse la menaçait, un système de défense se déclencha, et l'adolescente refoula savoir et émotions désagréables.

Cela ne dura qu'un bref instant. Kanon la vit chanceler mais elle se reprit aussitôt et, une lueur farouche dans les yeux, lui signifia de ne pas la toucher. Une seconde plus tard, elle se trouvait de nouveau près de la paroi aquatique et passait ses mains au travers avec l'expression ravie d'une fillette émerveillée...

Sanctuaire d'Athéna Maison du Taureau

Les Chevaliers d'Or s'étaient rassemblés à l'appel de leur compagnon d'arme. Devant le "petit" Bronze, ils essayaient de donner le change, mais celui-ci n'était pas dupe. Il se passait quelque chose au Sanctuaire. Quelque chose qui allait plus loin que le pouvoir mortel de Cinnamon. Sinon, pourquoi Saori se serait-elle empressée d'éloigner ses frères ? Comme s'ils devaient ignorer ce qui se tramait exactement...

Ce fut Milo qui attaqua le premier :

— Mais enfin, Ikki, pourquoi n'es-tu pas avec les autres ? Te rends-tu compte que tu es en train de désobéir à Athéna ?

— Navré mais, contrairement à certains, je n'ai pas l'habitude de courber la tête devant qui que ce soit. Quand bien même nous serions au service de Zeus en personne et non pas d'Athéna.

— Comment ?...

— Aiolia, fit Mû. Du calme, ce qui est fait est fait.

— Mû a raison. Cela ne sert à rien de s'énerver. D'ailleurs, tu ne m'avais pas dit que tu avais un travail à terminer ? s'enquit Aldébaran en se tournant vers son voisin.

Le Bélier soupira et s'empressa de saisir la perche que lui tendait le Taureau.

— Tout à fait, répondit-il. Je n'aurais jamais fini si on me dérange sans cesse...

Regard appuyé en direction du Phénix.

Le gardien de la première Maison s'éloigna. Certes Athéna avait ordonné aux Bronzes de quitter le Domaine Sacré, cependant le mal était fait : Mû ne pensait pas un instant que l'on puisse tenir Ikki à l'écart encore très longtemps. Il était du genre à découvrir le pot aux roses tout seul. Mieux valait dans ce cas accepter sa présence et tenter de l'encadrer un minimum... même si, dans le cas du Phénix, le mot encadrer paraissait vide de sens.

Sanctuaire sous-marin – Palais de Poséidon

La nuit était tombée depuis longtemps. Cinnamon était sur le point de s'endormir, allongée sur le lit, lorsque la porte s'ouvrit. Aussitôt elle se redressa.

— Dis Kanon, est-ce que je pourrais visiter le Sanctuaire sous-marin demain ? demanda-t-elle.

— On verra.

Il en était absolument hors de question. Il préférait ne pas prendre le risque de la laisser côtoyer les Généraux. Il venait de la rencontrer et son instinct lui soufflait, non, lui hurlait de se méfier de son caractère imprévisible. Il aurait été plus simple et prudent de la tuer tout de suite. Pourtant le Dragon des Mers voulait en savoir plus. Il serait toujours temps d'agir si besoin était.

Cinnamon s'était levée.

— J'aime bien ton armure, dit-elle tandis que Kanon ôtait sa protection.

— Ce n'est pas une armure mais une Scale. Une Ecaille si tu préfère.

— Ah. J'aurais voulu voir messire Saga dans l'armure des Gémeaux. Je suis sûre qu'il était sublime en Chevalier.

Kanon serra les dents et compta jusqu'à trois. En vain. Il fit face à Cinnamon, prêt à lui asséner une réplique bien sentie...

— Tout comme tu es sublime en Marina.

Il la regarda, indécis, et dut se rendre à l'évidence. Ces paroles n'étaient pas le fruit d'une vulgaire tentative de flatterie. Cette fille avait parfois tendance à s'exprimer avec le naturel et l'innocence d'une enfant.

Le totem de sa Scale trônait à présent sur un piedestal. Alors que le jeune homme commençait à se déshabiller, Cinnamon fronça les sourcils.

— Kanon, tu vas dormir où, toi ?

— Comment ça, où je vais dormir ? Ici, bien sûr.

L'adolescente jeta un bref coup d'oeil vers une certaine partie de la pièce, pâlit et se mit à bafouiller :

— Mais mais mais non ce n'est pas possible ! Il n'y a pas assez de place, le lit n'est pas assez grand. Tu ne peux pas dormir ici.

Kanon se tourna vers elle.

— Qu'est-ce que tu racontes ? C'est ma chambre, et je doute qu'on soit serrés comme des sardines.

Confuse, la jeune fille comprit aisément ce qu'il voulait dire. La couche était largement assez grande pour trois ou quatre personnes. Le Dragon des Mers la vit blêmir davantage et reculer de quelques pas, une lueur inquiète dans les yeux.

— Ça va, je ne vais pas non plus me jeter sur toi !

A ces mots, Cinnamon baissa la tête, avec une expression chiffonnée. Constatant qu'il avait touché juste, Kanon poursuivit :

— Si ça peux te rassurer, dès demain je te chercherai un endroit où passer la nuit. En attendant, tu peux toujours dormir par terre...

Ce fut comme s'il venait de trouver la solution miracle à un problème insoluble. Aussitôt le visage de l'adolescente s'éclaira. Elle s'approcha du lit, en retira un drap et alla s'installer dans un coin. Devant ce spectacle, le Dragon des Mers haussa les épaules et prit possession de la couche.

Lorsqu'il tourna la tête vers elle un peu plus tard, ce fut pour remarquer que la jeune fille ne dormait pas. Emmitouflée dans sa couverture, elle était assise et le regardait fixement.

— Il y a toujours assez de place, au cas où tu changerais d'avis, proposa-t-il.

— Pas question ! s'écria-t-elle sur un ton catégorique.

Elle lui tourna le dos et se recoucha, tout en ajoutant beaucoup plus bas :

— J'ai pas envie d'avoir mal.

— Cinnamon, est-ce que mon frère a abusé de toi ?

Cette question, cette question directe et précise, personne au Sanctuaire n'avait songé à la lui poser. Tout d'abord, seul le silence lui répondit.

— Bien sûr qu'il s'est servi de moi, répondit-elle enfin. Quand mes pouvoirs sont apparus, il a cherché à les utiliser.

— Je ne parlais pas de ça. Je faisais allusion à des abus sexuels, et tu le sais très bien.

Cette fois le silence fut plus long. L'adolescente se redressa et fit face au Dragon des Mers, les yeux étrangement brillants :

— Non, je ne le sais pas. Je n'ai pas la moindre idée de ce dont tu parles. Ces mots que tu as prononcés, je ne les comprends pas.

A nouveau, elle se recoucha et rabattit le drap sur sa tête.

Quelques secondes plus tard, Kanon entendit des pleurs étouffés. Il soupira, excédé, et décida de ne pas intervenir.

"Saga, espèce de salaud..."songea-t-il néanmoins.

— Je suis désolée, dit-elle le lendemain matin, alors qu'ils étaient attablés devant le petit déjeuner.

— De quoi tu parles ?

— De cette nuit. Je regrette de m'être épanchée ainsi. C'est indigne.

— Indigne de qui, tu n'es ni Marina ni Chevalier que je sache.

Brusquement, un doute traversa Kanon. Il reposa sa tasse et se tourna vers la jeune fille.

— Bon sang, Cinnamon, ne me dis pas qu'on t'interdisait de pleurer au Sanctuaire !

Elle secoua la tête.

— On ne me l'interdisait pas, non, répondit-elle. Seulement je pleurais le moins possible, parce que les larmes sont un signe de faiblesse. On m'a déjà assez fait remarquer que je n'étais qu'une civile ordinaire, une petite chose insignifiante. Ce n'est pas facile de côtoyer tous les jours des demi-dieux quand on n'a soi-même aucun talent... Longtemps je me suis sentie négligeable, voire méprisable, même si certains étaient très gentils avec moi. Comme messire Saga.

Le Dragon des Mers émit un petit rire ironique.

— Ah ça, je suis certain qu'il a été très gentil, persifla-t-il.

— Mais c'est la vérité ! s'exclama Cinnamon comme si elle ne comprenait pas que l'on puisse mettre en doute la bonté du défunt Gémeau. Messire Saga a toujours été bienveillant envers moi. Il est l'une des raisons pour lesquelles, malgré tout, j'avais l'impression d'être favorisée de vivre au Sanctuaire. Dans le bon sens du terme, cette fois : lui ne me rabaissait jamais, au contraire.

— Je pense bien que tu te sentais favorisée. Partager le lit du Grand Pope, ça doit être un sacré privilège...

Kanon s'était montré volontairement cruel. Saga, pardon, messire Saga par-ci, messire Saga par-là... Ça commençait à lui taper sur les nerfs. Son frère était un malade, un schizophrène qui avait plus que sa part de péchés. Ah elle était belle, l'icône ! Dieu vivant, tu parles... Après ce qu'il lui avait fait, comment pouvait-il encore inspirer à Cinnamon une telle adoration ? A ce point-là, ce n'était plus de l'amour mais de l'idolâtrie. Un tel fanatisme, immérité qui plus est, le rendait malade.

L'adolescente s'était levée. Les joues enflammées, elle dardait sur le Dragon des Mers un regard brillant de colère et d'indignation.

— Alors toi-aussi tu crois que c'est comme ça que j'ai payé mon séjour sur le Domaine Sacré ? Si j'ai pu vivre au Sanctuaire, c'est évidemment parce que j'étais la maîtresse du Pope, de gré ou de force... Et bien laisse-moi te dire une petite chose, monsieur le Général...

Elle se mit à crier :

— Tu ne sais pas ce qui s'est passé ! Tu n'en as aucune idée parce que tu n'étais même pas là ! Alors arrête d'insinuer n'importe quoi !

— Avoue que ton attitude cette nuit prêtait tout de même à confusion...

— Je t'ai dit quelque chose cette nuit ? Est-ce que je t'ai parlé ? Non, je ne t'ai rien dit !

Là, elle n'avait pas tort. Il avait tiré ses conclusions d'après son comportement mais, en effet, elle ne s'était pas confiée à lui. Un instant, elle se calma et reprit plus posément :

— En plus je ne supporte pas qu'on puisse supposer du mal de messire Saga. Je déteste ce genre de sous-entendu.

— Dans ce cas, explique-moi. Je ne voudrais pas mourir idiot, alors raconte-moi ce qui s'est réellement passé.

Kanon venait de la mettre au défi, et ils le savaient tous les deux. Cinnamon soutint son regard encore de longues secondes. Enfin elle se rassit, ses yeux d'azur et d'améthyste toujours rivés aux prunelles d'émeraude.

Puis elle se mit à parler.

La jeune fille s'interrompit un peu plus tard. Kanon crut qu'elle allait s'arrêter à ce stade de son histoire mais, au contraire, elle continua. Avec un calme effrayant qui contrastait avec ses paroles, l'adolescente fit au Dragon des Mers le récit de cette nuit où son esprit avait basculé. Cette nuit où elle avait inconsciemment pris la décision de ne plus exister. Encore n'était-ce là que l'un des secrets de Cinnamon.

C'était Aphrodite qui l'avait recueillie et soignée lorsqu'elle s'était enfuie du treizième Temple dans le sang et les larmes, mais...

— Si la Maison du Cancer avait été la première en partant du Palais, c'est chez messire DM que je me serais réfugiée, je te le jure, avoua-t-elle ensuite. S'il avait fallu choisir... entre deux maux, je savais lequel était moindre... Je l'aurais supplié de me laisser passer le reste de la nuit dans son Temple, quitte à dormir par terre au milieu des visages de morts.

Elle se tut quelques secondes, puis elle murmura :

— J'aurais même accepté de dormir dans sa chambre. J'aurais tout accepté pour ne pas devoir rentrer au Palais...

Pourtant, il lui avait bien fallu y retourner, à l'aube. Et faire face à l'usurpateur...

Qui l'attendait de pied ferme.

Lorsque enfin, la jeune fille eut fini de parler, Kanon sut qu'il s'était trompé. Ou plus exactement, qu'il avait sous-estimé le machiavélisme dont était capable la seconde personnalité de son jumeau. Ce qui était arrivé à Cinnamon, ce que Saga avait fait...

Le Gémeau possédait décidément un esprit diabolique.

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