Soleil et Chair

Chapitre 9 : Sous le soleil des destructions (partie 1)

3942 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 24/07/2025 09:01

Combien de rêveurs pouvaient se vanter de se réveiller aux côtés de Morphée endormi ? songea Hob en ouvrant les yeux, le souffle de Dream courant son cou. Il tourna la tête et observa la silhouette nébuleuse qu’il avait pu sentir si vivante, gorgée de soleil, dans les derniers instants de leur songe partagé. Un Dream à la peau au goût de sel et de sang. Il tendit la main et effleura les paupières closes du bout des doigts. Un Dream s’abandonnant à la volupté, que Hob comptait bien ramener à la réalité pour lui faire goûter à tous les plaisirs dont pouvaient jouir les mortels.


Son amant ouvrit les yeux. Hob se rapprocha de lui, écoutant le curieux chant de son cœur cosmos dont le rythme s’était considérablement ralenti, à la mélodie rappelant désormais celle des battements d’un cœur humain. L’immortel souffla sur la poitrine translucide, faisant frémir les derniers lambeaux de songes s’y accrochant encore. Il fit courir son souffle, qui avait su effacer les griffures et autres blessures dans le rêve solaire, le long des pâles mamelons avant de s’attarder au creux de son nombril. Le corps de Dream se courba sous le poids de la frustration et du désir entremêlés, tandis que le souffle de Hob, taquin, se frayait un langoureux passage le long de ses cuisses.


Ils s’étaient aimés, peau contre peau, sur cette plage onirique et tous deux étaient pressés de réitérer cette expérience charnelle dans la réalité. Ils avaient pu profiter de ces quelques instants de répit, repus de baisers, pour laisser leurs corps paresser au soleil, échangeant des paroles que seuls les amants peuvent comprendre. Dream avait confié à Hob, alors que ses doigts jouaient avec ses cheveux, que la nuit où il aurait dû disparaître, il avait essayé de s’incarner dans la statue que Kali avait tout juste entamé mais sans grand résultat… Et leur songe avait pris fin sur ces derniers mots.


– Ainsi, murmura Hob en se replaçant au-dessus du corps nébuleux pour lui offrir un nouveau baiser soufflé, tu avais tout prévu… Heureusement que Kali n’est pas l’une de ces artistes modernes faisant de la sculpture avec des nouilles ou que sais-je encore !


Dream ne put réprimer un sourire amusé, avant d’entrouvrir les lèvres pour se laisser pénétrer par l’haleine de son amant. Il était avide de sentir à nouveau ses lèvres, faites de chair, se presser contre les siennes.


– L’art contemporain, mon amour, laissa échapper Hob qui ne vit pas les yeux bleus s’écarquiller de stupeur à ce titre, est un bien drôle de concept. Certains artistes contemporains exposent même des peaux de banane ! On est bien loin de Millais et Compagnie ! Dream ? demanda-t-il avec inquiétude en voyant le visage aimé afficher une bien curieuse expression. Est-ce que…


Il sentit un souffle se perdre contre sa bouche, timide et amoureux. L’immortel comprit alors que c’était l’emploi de ce mot tendre qui venait de troubler cet être qu’il avait longtemps cru insensible à tout sentiment humain.


– Je compte bien t’emmener au Tate Modern afin de te faire découvrir toutes les subtilités de l’art contemporain, mon amour, reprit Hob d’un ton taquin.


Dream esquissa une grimace. Son amant se redressa sur un coude et lui souffla sur le nez avec malice :

– Voilà que Monsieur fait le difficile ! Musées, théâtre, cours de danse, bal de fin d’année du lycée…. Tu vas adorer la vie terrestre !


Le visage de l’ancien Maître des Rêves devint brutalement sérieux. Le sourire de Hob s’effaça.


– Enfin, si tu le souhaites toujours… se corrigea-t-il en se frottant le lobe de l’oreille gauche. Je ne te vends pas du rêve. Je n’ai pas de royaume enchanté à te proposer, juste un appartement tout à fait confortable. Je suis aussi propriétaire du New Inn et j’ai un compte en banque, qui bien que n’étant pas celui d’un membre de la famille royale, est plutôt bien rempli. Les actions boursières, Dream, quelle fascinante invention de l’esprit humain !


L’immortel, qui tenait à être tout à fait honnête, poursuivit :

– J’ai une passion, qui défie toutes les lois du bon goût vestimentaire, pour les chaussettes colorées ou à motifs ridicules. D’ailleurs, autant te prévenir tout de suite, je les laisse souvent traîner sous le lit ou sur le canapé ! Et lorsque j’ai mal dormi, je suis grincheux.


Il s’interrompit quelques secondes afin de contempler le visage de l’être qu’il avait appris à aimer au cours des siècles écoulés :

– Si tu veux toujours partager l’existence d’un simple professeur d’histoire qui n’a plus aucune ambition et qui pleure devant ses period drama préférés en mangeant du cheddar, tu es le bienvenu.


Les lèvres de Dream se murent afin de former un « oui » muet. Il n’avait pas changé d’avis depuis ce rêve solaire. Il voulait rester avec l’immortel et goûter à une vie libérée de toutes ces responsabilités qui avaient fini par le ronger…


– Mais d’abord, s’écria Hob en dardant un regard gourmand vers le corps de son amant, lorsqu’on en aura fini avec toute cette histoire, je te ferai l’amour pendant des heures !


Dream arqua un sourcil malicieux et souleva son pouce et son index pour former le chiffre deux.


– Deux heures ? l’interrogea Hob avec perplexité.

L’ancien Maître des Rêves leva les yeux au ciel en signe d’exaspération tout en agitant ses doigts.


– Deux jours ! comprit son amant avec un brin d’angoisse, supposition que Dream confirma d’un petit signe de tête. Faut bien que je mange ! J’ai beau être immortel, j’ai encore certains besoins corporels à satisfaire !

Dream se rapprocha de lui, son corps fait de néant frôlant celui de Hob.

– Non, ce n’est pas négociable, répliqua Hob. Je ne suis plus tout jeune et j’aurais besoin d’énergie pour te combler et te faire tout ce que j’ai envie de te faire. De la pointe de tes orteils, murmura-t-il en se penchant pour lui offrir un nouveau baiser soufflé, en passant par la pointe de ton sexe et de tes tétons, jusqu’à celle de tes cheveux.


D’un geste espiègle, étonnant pour un être que Hob avait toujours connu avec un port de tête altier et une posture raide comme la justice, Dream souleva le drap les recouvrant et le jeta loin d’eux, révélant leurs deux corps : celui, immatériel d’un être n’aspirant qu’à devenir de chair et de sang et celui, imparfait, d’un mortel qui le fascinait tant.


L’ancien Maître des Rêves s’appuya sur un coude et fit glisser ses doigts sans vie le long de ce corps qu’il ne pouvait pas encore parcourir de ses lèvres et de sa bouche.


– Ce n’est pas mon corps qu’on va devoir continuer à sculpter, mais le tien, lui rappela Hob.


Les doigts de néant effleurèrent sa poitrine tandis que les lèvres de Dream frôlèrent les siennes pour y souffler un tendre baiser. Hob ferma les yeux, savourant ce baiser, prémices à d’autres qu’il espérait, bientôt, vivants.


Il y avait quelque chose d’irréel dans cette conversation d’amants suivant une nuit et un rêve d’amour. Hob se renversa sur le sol taché d’argile, laissant le souffle de Dream parcourir son corps nu de ses caresses invisibles. L’immortel leva les yeux vers la lucarne. Le monde autour d’eux s’écroulait, la tempête faisait rage à l’extérieur, la nuit avait dévoré le jour et eux, s’aimaient, faisant payer à ce monde agonisant, le prix de ces quelques moments de bonheur amoureux. Égoïstes semblaient crier les éclairs se déchaînant dans l’obscurité, égoïstes hurlait le vent sifflant, égoïstes pleurait la pluie s’abattant comme une nuée de lames sur la capitale mourante. Égoïstes, pensa Hob lorsque leurs souffles se mêlèrent en un nouveau baiser. Égoïstes comme seuls pouvaient l’être deux amants s’opposant au monde et à la fatalité.


– Achevons cette statue, ensemble, mon amour, murmura Hob lorsque Dream s’écarta de lui.


L’ancien Maître des Rêves jeta un regard à ce double fait d’argile là où lui désirait être de chair. Sans un mot, il s’assit devant la sculpture et, tandis que Hob allumait les bougies, examina la statue. Dream laissa ses doigts effleurer ce corps alangui. Il pouvait sentir le désir et l’amour de Hob transpirant à travers l’argile froide.


Ce lien qu’ils avaient su tisser au fil des siècles et qui les rendait suffisamment sûrs d’eux pour défier les lois implacables du monde surnaturel.


Hob attrapa la bassine, la remplit d’eau et sous les yeux intrigués de Dream, qui ne l’avait jamais vu à l'œuvre, reprit son étrange cérémonie commencée quelques nuits plus tôt. Il plongea ses mains dans la bassine, les mouilla avec application. Au moment où il s’apprêtait à se saisir de l’argile, le souffle de Dream courut sur ses doigts. Les deux amants échangèrent un sourire. Hob lui souffla un baiser avant de poursuivre son ouvrage.


Dream l’observait avec attention, contemplant d’un œil non dénué de gourmandise, les muscles de Hob rouler sous sa peau emperlée de sueur tandis que ses mains, devenues celles d’un sculpteur aguerri, façonnaient sur le squelette de fer, cette poitrine pareille à la sienne. Dream laissa échapper un gémissement muet quand les mains de son amant dessinèrent la courbe de ses mamelons. Dream porta sa main à sa propre poitrine et laissa ses doigts frôler sa peau dépourvue de chair. D’un geste plein de dévotion, imitant celui de Hob, il caressa ses tétons tendus par le désir.


Hob lui jeta un rapide coup d'œil à la dérobée et profita quelques secondes de ce spectacle d’un Dream, bien que privé de chair et de sang, s’abandonnant de nouveau au plaisir. La langue de l’immortel traça une arabesque taquine sur ses lèvres desséchées tandis qu’il se rapprochait de son amant aux yeux fermés. Hob se pencha vers lui, chuchotant doucement son prénom, désolé d’interrompre ses caresses solitaires. Dream l'observa entre ses paupières mi-closes, les lèvres légèrement entrouvertes. Il écarta les mains de son corps et laissa les yeux de son amant mémoriser le dessin de son ventre.


Hob baisa les muscles de Dream du bout des lèvres avant de reprendre son ouvrage. Il en sculpta leurs lignes avec minutie, s’arrêtant pour en vérifier l’aspect, s’amusant de voir Dream reproduire les caresses données à la sculpture sur son corps fait de néant.


Achevant son oeuvre, Hob enfonça son index dans l’argile encore molle et, dans un troublant mouvement de va-et-vient, reproduisit le nombril et sa curieuse forme de coquillage recroquevillé, que sa langue avait pénétré avec délectation dans leur rêve ensoleillé.


Une fois sa tendre besogne terminée, Hob se recula pour admirer la sculpture. Il sentit les lèvres de Dream baiser son épaule en guise de remerciements. Il ne lui restait plus que deux parties du corps à façonner. Il ne put réprimer un sourire taquin en laissant ses yeux se perdre sur l’entrejambe encore dépourvu de sexe de la statue.


Dream lui souffla un nouveau baiser sur la peau. Hob se tourna vers lui, l’air faussement ennuyé :

– Je sue comme un porc crevant sous la canicule et je pue le rat crevé. Épargne-toi cette épreuve !


Dream, refusant de l’écouter, réitéra son baiser afin de lui faire comprendre qu’il aimait son corps faits d’effluves et de fluides.


Hob s’apprêtait à l’embrasser à son tour lorsque la sonnerie de la porte d’entrée retentit, curieuse mélodie les rappelant à la réalité, que l’immortel n’avait pas entendu depuis des jours et des nuits… Les deux amants échangèrent un regard sombre. La sonnerie résonna à nouveau dans la pénombre, sinistre chanson aux sombres présages et annonçant la fin de ces moments de délices.


– Reste là, lui recommanda Hob avant de se relever.


Dream voulut le suivre mais l’immortel le supplia, cette fois-ci, de l’écouter. L’ancien Maître des Rêves, qui se savait être à présent davantage un fardeau qu’un allié, se résolut à rester caché dans l’atelier, le corps enveloppé dans ce drap portant l’odeur de son amant.

Hob enfila son pantalon et, après un dernier baiser soufflé, quitta l’atelier qu’il verrouilla avec précaution. Avant de se rendre dans le vestibule, il se rendit dans la chambre où était cachée la carabine et s’en saisit. Il vérifia qu’elle était bien chargée et, à tâtons, la main serrant la rampe pour ne pas chuter, il descendit l’escalier en retenant sa respiration.


L’air, chargé d’électricité, était glacial et le froid piquant sa chair, prenait un certain plaisir à étouffer la chaleur des baisers de Dream.


La sonnerie, devenue impatiente, résonna une nouvelle fois. Hob s’immobilisa devant la porte d’entrée. À travers la demi-lune, il pouvait percevoir cette nuit éternelle dans laquelle était plongée la capitale. Il prit une profonde inspiration, redoutant déjà ce qu’il trouverait de l’autre côté de cette porte. Un par un, il leva les verrous qui les protégeaient lui et Dream du monde extérieur.


Lorsqu’il ouvrit la porte, un épais brouillard s’insinua dans la maison. Il s’avança de quelques pas et fut accueilli par un silence de mort. Londres, privée de lumière et plongée dans les ténèbres, était un cadavre pourrissant.


Un éclair muet déchira la nuit, révélant la première silhouette se tenant face à Hob : celle d’un policier vêtu d’un costume froissé et maculé d’une grosse tache sombre au niveau de la poitrine. Dans sa main droite, il tenait un parapluie couleur soleil, armure dérisoire contre la pluie tombant en continu et le vent déchaîné.


– Que voulez-vous ? l’apostropha Hob en braquant son arme vers le visage étonnement pâle du policier.


Celui-ci esquissa un curieux rictus. L’immortel ne vit pas la mouche, minuscule, jaillir de la bouche aux contours bleuis par le froid.


– Robert Gadling ? s’enquit l’homme d’une voix curieuse, comme s’il avait du mal à respirer.


Hob confirma d’un petit signe de tête, méfiant. Les traits du policier lui semblaient familiers…


– Nous avons reçu un appel de la propriétaire des lieux, une certaine Gala, qui s’inquiète de ne pas avoir de vos nouvelles, poursuivit le policier en toussant à s’en détacher les poumons.


Un filet de sang gicla de sa bouche, coula le long de son visage et se figea au creux de son menton.


Hob abaissa la carabine avec lenteur : c’était tout à fait le genre de Gala. Elle avait tendance à s’angoisser pour un rien et, face au silence de son ami, aurait été capable d’envoyer en renfort l’armée et le MI6 pour s’assurer que Hob et Pygmalion se nourrissaient correctement et n’étaient pas en danger de mort. L’immortel ne put réprimer un rictus. Il aurait dû prendre les devants et contacter Gala pour éviter ce genre de visites mais, enivré de son amour pour Dream, plus rien n’avait d’importance. Et puis, comment aurait-il pu expliquer à son amie qu’il s’était attiré les foudres de déesses vengeresses appartenant à la Mythologie ? Et qu’il était en grande partie responsable du chaos régnant à Londres ?


– Pouvons-nous entrer afin de nous assurer que tout est en ordre ? s’enquit la deuxième silhouette jusque-là demeurée silencieuse.


Hob tourna sa carabine vers le pompier au visage parcouru de veines violacées qui se tenait à la droite du policier.


L’homme, dont l’uniforme était trempé, esquissa un rictus douloureux, laissant entrevoir une dentition brisée. Un berger allemand l’accompagnait. L’animal était dans un piètre état et sa fourrure recouvrait à peine les nombreuses plaies à vif marquant sa peau.


– Vous pouvez, répondit Hob en franchissant le seuil de la maison.


La mouche se posa sur le lobe de son oreille. La carabine glissa des doigts de Hob et tomba à ses pieds. L’immortel, saisi d’un malaise, dut s’appuyer contre la porte pour éviter de chuter. Une douleur fulgurante lui transperça le crâne, tandis que des voix bourdonnantes se mirent à chuchoter au creux de son oreille. Des voix lui rappelant confusément celles de proches disparus depuis longtemps.


Dans un état second, comme s’il n’était plus qu’une simple marionnette aux mains de l’inflexible destin, Hob s’écarta pour laisser entrer le trio dans cette maison devenue le sanctuaire de son amour pour Dream.


À peine eut-il franchi le seuil de la maison que le policier abandonna son parapluie couleur soleil. Hob remarqua alors les baleines brisées de l’objet. Une odeur nauséabonde, celle de chairs en décomposition, se mit à flotter dans l’air… Le berger allemand passa près de Hob qui fut surpris des effluves, ceux d’une peau calcinée, émanant de son corps décharné.


La porte se referma. La mort semblait s’être invitée, une mort malfaisante, dans ce que Hob avait cru être une forteresse imprenable. Le pompier tourna alors sa tête, déformée par une grimace, vers l’immortel qui tenta de s'avancer vers eux de son pas devenu chancelant.


– Merci de nous avoir accordé votre hospitalité, Robert Gadling, déclara le pompier d’un ton moqueur tandis que de l’eau jaillissait de ses poumons de noyé.


Le chien poussa un grognement sinistre. Une nuée de mouches grasses jaillit de l'obscurité de la rue et se rua dans la maison. Hob tenta de refermer la porte mais, privé de forces, les os comme déchiquetés par des mâchoires invisibles, il dut s’avouer vaincu. Sa main, parsemée de veines saillantes et marquées par des taches brunes, retomba mollement contre son corps devenu celui d’un vieillard. Il sentit ses genoux fléchir sous le poids des ans et, dans un mouvement plein de désespoir, comprenant enfin dans quel terrible piège il venait d’entraîner Dream, il se tourna vers le trio.


Le nuage vrombissant s’abattit sur son corps squelettique et le percèrent de piqûres vengeresses avant de s’envoler dans l’escalier. Hob poussa un cri et rampant, tenta de rejoindre l’escalier. Un craquement d’os se brisant et de muscles se rompant éclatèrent, recouvrant ses piètres supplications.


Il jeta un regard sur le côté et à travers le voile obstruant sa vue, aperçut les trois vautours qui jaillirent des trois cadavres, simples enveloppes putrides, dans un cri ivre de revanche. Les terribles oiseaux s’envolèrent en battant de leurs ailes gigantesques, répandant leurs déjections sur le vieillard implorant leur clémence.


Luttant contre son propre corps, Hob parvint à se glisser jusqu’à la première marche de l’escalier. Il se releva avec peine, et avec l’énergie née du désespoir, gravit les marches à plat ventre, s’acharnant à manipuler ce corps devenu verre fragile menaçant de se briser à chacun de ses mouvements. Il s’arrêta au milieu de son ascension, le souffle court, les poumons en feu. Il porta la main à son cœur défaillant battant à un rythme inquiétant. Son regard de presque aveugle se leva vers le palier; Il aperçut à travers les brumes de la cécité, la silhouette pâle qui l’observait. À ses côtés, se tenaient les trois fatales sœurs.


Hob tenta d’appeler son amant mais seul un pauvre gémissement, ne ressemblant à rien d’humain, jaillit de ses lèvres tremblantes. Dream se précipita à sa rencontre et le saisit par les épaules pour l’aider à se redresser. Un délicieux frisson lui fouetta le sang lorsqu'il sentit la pression des doigts de Dream, des doigts faits de chair, contre ses épaules de vieillard.


– Nous venons récupérer notre tribut, déclara la plus jeune des trois Bienveillantes en dardant un regard victorieux en direction des deux amants.


– Dream, parvint à prononcer Hob d’une voix mourante en tendant vers le visage aimé, ses doigts rendus raides par l’arthrose.


L’ancien Maître des Rêves inclina la tête vers lui, laissant cette main décharnée effleurer sa joue. Dream ferma les yeux, savourant cette caresse. Hob ne put réprimer un sourire oscillant entre tristesse et joie : les Bienveillantes avaient-elles décidé de changer de cible ? Le sang d’Orphée le condamnait-il à subir l’ire des déesses vengeresses ? Allait-il mourir pour permettre à son amant de vivre ?


– Dream… murmura-t-il dans un râle, Dream…


Il se tut, incapable de proférer un mot supplémentaire. Il aurait tant voulu le rassurer à cet instant, lui dire de profiter de ce sursis qu’il lui était accordé, de profiter de tous les bienfaits dont pouvait jouir l’humanité. De vivre, d’aimer et d’explorer ce monde que lui, Hob Gadling, aurait tant aimé lui faire découvrir en personne.


Dream se pencha vers lui, posa sa main contre sa nuque et l’attira contre lui. Dans un dernier baiser, songea Hob. Dans une ultime étreinte. Les lèvres de Dream étaient chaudes et tendres, comme dans ce rêve ensoleillé. Hob entrouvrit les lèvres afin de laisser sa langue caresser celle qui vint taquiner la sienne. Un dernier baiser au goût d’amour et de mort.


Soudain, la douleur irradiant son corps disparut. Son cœur reprit un rythme cardiaque plus apaisé. Ses os ne craquaient plus et le sang coulait à nouveau, plein de vigueur, dans ses veines. Hob ouvrit les yeux et distingua nettement les traits de son amant l’embrassant. Dream s’écarta de lui, sa main posée contre sa nuque.


Hob l’attira de nouveau contre lui pour un nouveau baiser. Sa bouche se pressa, fiévreuse, contre celle de Dream. Des grains de sable chatouillèrent ses lèvres impatientes. Le corps de Dream se fit mou entre ses bras, comme s’il se vidait de ses entrailles et de son sang. Hob ouvrit les yeux et la dernière chose qu’il vit, fut le sourire de Dream.


Hob poussa un cri de terreur alors que son amant se désagrégeait entre ses doigts tremblants, marchand de sable redevenant poussière…


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