Love is War

Chapitre 2 : Chapitre 2 ✿

5098 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 03:43

1

 

 

 

Un rire d'enfant résonnait dans le séjour. C'était le petit matin et, alors que dehors les moineaux gazouillaient au balcon de sa chambre, Kirishima pouvait vaguement distinguer le son de trois voix qui émanait du séjour. Les yeux encore collés par le sommeil, il ne tarda pas à quitter son lit. C'est en essayant de recoiffer ses cheveux ébouriffés qu'il sortit de sa chambre pour pénétrer dans le salon, dans lequel se trouvaient sa mère, sa fille et son ami.

— Bien... C'est à cette heure que tu te lèves toi ?

Kirishima ne saisit pas les mots de sa mère. Il était encore bien trop endormi à cet instant. La lumière du matin qui éclairait pleinement la pièce l'incommodait quelque peu. Au bout de quelques secondes, il parvint à distinguer sa fille assise sur le divan, Sorata sur ses genoux, aux côtés de Yokozawa.

— Papounet... Tu sais l'heure qu'il l'est ? Il est temps de partir !

— Tu n'as plus 15 ans, voyons ! C'est les adolescents qui dorment toute la matinée... ajouta la grand-mère, un peu déconcertée de voir son fils ainsi.

— ....

— Vous savez Yokozawa-san, quand il était jeune, j'étais parfois obligée de lui jeter un verre d'eau à la figure pour qu'il se réveille !! C'était une véritable calamité lorsqu'il s'agissait de se lever pour aller à l'école !

— Ah ? Je ne demande qu'à vous croire... répliqua Yokozawa frais comme un gardon, le journal du matin à la main.

— Un verre d'eau, un chou... ma vie n'est qu'un éternel recommencement, fit remarquer Kirishima, sarcastique, dans un gros bâillement.

La petite Hiyori, qui entendit la remarque, se demandait à quoi son père faisait allusion. Elle chuchota quelques mots à l'oreille de Yokozawa, qui lui fit signe de ne pas prêter attention aux paroles de son papa à moitié réveillé.

— Lorsqu'on reçoit quelqu'un chez soi, le minimum requis c'est de se lever avant lui ! Même si Yokozawa-san n'est pas du genre à s'offusquer de ce genre de chose, ce n'est pas une raison ! cria la grand-mère à son fils.

— Maman, ma maman chérie, ne crie pas de si bon matin... Dis-moi, que m'as-tu préparé pour le petit déjeuner ?

À ces mots, Yokozawa fronça les sourcils. C'était toujours le même cirque. Kirishima avait le don de l'enquiquiner lorsqu'il agissait de la sorte avec sa mère. Comme l'homme avait connu bien des malheurs en perdant sa femme si prématurément, sa mère, qui l'aimait par-dessus tout, prenait soin de son fils comme s'il avait encore 15 ans. C'était à coups de plat mijoté avec amour et de compassion que cette grand-mère gâtait son garçon et sa petite fille. Mais ce n'était pas tout :

La lessive, le ménage, les courses pour la famille, la mère de Kirishima, maman modèle pas tout à fait à la retraite, assumait toutes les tâches ménagères que son fils fuyait sans vergogne ce qui avait le don d'agacer le commercial si indépendant. Fils unique, il avait su très tôt prendre soin de lui sans l'aide de ses parents accaparés par leurs emplois respectifs. Voir cet éditeur de malheur minauder auprès de sa maman chérie était bien plus qu'une torture à ses yeux !

— Hiyo, partons avant d'être en retard pour l'école, déclara Yokozawa qui se leva en une fraction de seconde.

— Oui Oniichan !

Alors que la grand-mère s'affairait à préparer le petit déjeuner de son tout petit qui luttait encore contre le sommeil, la jeune Hiyo et son Oniichan prirent le chemin de l'école.

 

Ce matin-là, Yokozawa avait proposé à Hiyori de l'accompagner à l'école. Ce fut une bonne échappatoire qui lui permettrait de fuir la présence de Kirishima.

En revanche, Yokozawa affectionnait ces instants de proximité avec Hiyori, car la petite pouvait alors se confier à lui loin de la curiosité de son papa. Les petites anecdotes de la journée de classe de la veille, le stress précédant un devoir, Hiyo trouvait toujours en Yokozawa une oreille attentive pour évoquer les bons comme les mauvais moments de sa vie d'écolière. Même si elle avait passé la nuit chez ses grands-parents, qui vivaient non loin de là, la petite fille avait pris la peine de venir saluer, avant de partir à l'école, son ami Oniichan qui se trouvait chez elle. Quelle intention adorable ! Hiyori était en cela une enfant attachante qui prenait, au fil du temps, une place de plus en plus considérable dans la vie et le quotidien du commercial bourru.

Aux abords de l'école, les mamans des camarades de classe de la petite fille ne prêtaient même plus attention à la présence de Yokozawa. Et si la nature de leur relation avait été le fruit de bon nombre de commérages, depuis peu, cela ne semblait plus être le cas.

L'homme observait de loin la fillette rejoindre ses amis, dans une innocente légèreté qui remplit paradoxalement son cœur de tristesse. Hiyori était à des années-lumière de savoir ni même de comprendre ce qu'il s'était passé entre son père et lui la veille au soir. Yokozawa avait l'étrange impression d'avoir trahi la fillette par ses actes et ses propos violents à l'encontre de son papa.

Bien qu'il sût au fond de lui que Kirishima était allé trop loin dans ses propos et dans son attitude, il regrettait la brutalité dont il avait fait preuve. La honte, mais aussi le doute, l'envahirent.

 

Leur relation avait pris une tournure particulière ces derniers temps, car Kirishima lui avait confié qu'il n'envisageait plus sa vie sans lui désormais. Bien qu'ayant des façons différentes d'exprimer leur attachement réciproque, leurs sentiments l'un pour l'autre étaient bien de même nature. Yokozawa, beaucoup plus pudique que son amant, avait souvent du mal à appréhender leurs tête-à-tête et était beaucoup plus à l'aise dans le quotidien de la vie de famille que lors de leurs ébats amoureux. La gêne prenait le dessus, faisant trop souvent la part belle aux gestes tendres et au romantisme. Après tout, Yokozawa n'avait rien du prince charmant issu d'un quelconque shôjo manga de la collection Emerald et était totalement réfractaire au romantisme.

Malgré cela, Yokozawa appréciait énormément les moments passés aux côtés de Kirishima. Il se surprenait souvent à se souvenir de cet instant, si précieux à ses yeux, durant lequel Kirishima lui avait parlé de sa femme pour la première fois. De ses souvenirs d'enfance à ses côtés, du jeune homme maladroit qu'il était au tout début de leur histoire à deux et de son amour pour elle qui ne cesserait jamais d'exister. Ces confidences, même si elles lui avaient été difficiles à entendre sur le moment, étaient en vérité une preuve d'amour immense. En évoquant son amour pour elle, il lui avait ouvert son cœur et lui avait offert, de la même façon, la plus extraordinaire des déclarations. Cela avait été bien plus qu'un simple je t'aime et Yokozawa l'avait pris comme tel. Quant à lui, il n'avait pas encore su lui donner pareil cadeau. Il savait qu'au fond, ce moment n'allait pas tarder à arriver, mais sa timidité et sa pudeur le faisaient toujours renoncer quand il se retrouvait au pied du mur. Ces non-dits et ces silences étaient souvent la cause des tournures catastrophiques que prenaient leurs querelles et ils ne le savaient que trop bien.

 

 

 

2

 

 

 

En arrivant au bureau, alors qu'il s'apprêtait à emprunter l'entrée de l'immeuble des Éditions Marukawa, Yokozawa remarqua Takano Masamune pendu à son téléphone. De loin, il lui fit un geste de la main pour le saluer et Takano lui répondit en lui faisant signe de l'attendre. En cachant le micro de son cellulaire, Takano lui dit à voix basse :

— Tu tombes bien, donne-moi une minute, il faut que je te parle !

— ... ?

Même si Yokozawa avait l'habitude de croiser Takano dans les couloirs du bureau ou en réunion, leur relation n'était pourtant plus ce qu'elle était dans le passé. Il ne put s'empêcher de se demander ce que lui voulait Takano.

— ... Justement, je suis en compagnie de Yokozawa-san qui pourrait bien m'aider à mener à bien ce projet. Bien. Je vous rappelle lorsque j'ai de plus amples informations. Bonne journée Sensei. Au revoir.

Takano qui en avait enfin terminé avec son appel téléphonique invita le commercial à se diriger vers la petite salle de restauration qui se trouvait au rez-de-chaussée de l'immeuble de la compagnie. En remarquant la nervosité de son ami, Yokozawa commença à appréhender leur conversation.

— Excuse-moi de t'accaparer de bon matin, mais j'ai un service à te demander. C'est à propos d'un de mes auteurs... Comment te résumer la situation ? C'est un peu délicat à franchement parler...

Yokozawa observait l'éditeur qui hésitait à poursuivre. Il ne comprenait absolument pas son attitude évasive et un certain stress commença à le gagner. Pourtant, il le laissa continuer.

— C'est une dessinatrice de shojo manga qui aimerait travailler sur un projet shonen... J'ai lu son premier manuscrit et je pense honnêtement que ce travail serait susceptible d'intéresser l'équipe de Japun. Comme j'ai cru comprendre que tu étais proche de Kirishima-san, j'aimerais que tu lui en touches un mot pour moi.

— Pourquoi ne pas lui en parler personnellement ? demanda Yokozawa troublé par la requête de son ami.

— Bien... J'ai l'impression que ce gars ne me porte pas vraiment dans son cœur, si tu veux tout savoir. Je me fais peut-être des idées, mais... pour une affaire de ce genre, je ne préfère pas prendre de risque.

Yokozawa n'en croyait pas ses oreilles ! Takano Masamune, le Takano Masamune, qui ne craignait rien ni personne, venait de lui confier ses craintes à l'égard de Kirishima !

Mais pourquoi redoutait-il pareille chose ? Kirishima avait-il effectivement quelconque ressentiment à son sujet ? Et si c'était bien le cas, Yokozawa, lui-même, en aurait-il été la cause ?

— Tu sais Masamune... je ne suis pas aussi proche que ça de lui, rétorqua Yokozawa nerveusement. Ses propres mots sonnaient faux à ses oreilles.

— Excuse-moi, je ne voulais pas t'importuner, je pensais que vous étiez amis, précisa Takano embarrassé.

— Pas vraiment ! ajouta Yokozawa dans un éclat de rire forcé. Quoi qu'il en soit, je connais assez Kirishima pour lui en toucher un mot si ça peut te rendre service. Mais bon sang, ne te formalise pas à son sujet. Il peut paraître hautain de prime abord, mais c'est un gars honnête. Et je pense aussi qu'il n'a absolument rien contre toi !

Yokozawa tenait à rassurer Takano sur ce point. Il savait bien que Kirishima connaissait leur histoire commune et les sentiments qu'il avait ressentis à son égard pendant tant d'années. De fait, il craignait que les doutes de Takano ne se révèlent être exacts. Pour Yokozawa, c'était un problème qu'il devait régler au plus vite. L'idée que Takano subisse les conséquences de la jalousie de Kirishima lui était inconcevable et c'était un élément de plus qui venait s'ajouter sur la liste de leurs déboires relationnels... Il bouillonnait de l'intérieur.

 

 

 

3

 

 

 

Après une réunion, Yokozawa décida d'aller rendre visite à Kirishima avant de regagner son bureau. Fatigué par toutes ces préoccupations sentimentales qui se rajoutaient au stress professionnel, le commercial était sujet à une forte migraine depuis le milieu de la matinée et les cachets d'aspirine qu'il avait avalés n'avaient pas eu raison du mal de crâne. Harassé par la douleur, il gagna le pavillon des bureaux de l'équipe du magazine Japun.

Kirishima, assis à sa place, avait le nez plongé dans un manuscrit. Il semblait très concentré. Un de ses assistants réalisant la présence de Yokozawa à l'entrée vint l'aborder. C'était le jeune Takahashi Misaki.

— Bonjour Yokozawa-san, puis-je vous aider ?

Kirishima entendit au loin les paroles de son jeune stagiaire. Il leva alors son nez de ses documents et chercha des yeux Yokozawa.

— Je viens m'entretenir avec Kirishima-san... est-il occupé ?

— Takahashi-kun, peux-tu me photocopier ce manuscrit pour la réunion de tout à l'heure ? Cria son supérieur du fond de la salle. Ah Yokozawa ! En voilà une bonne surprise !

Yokozawa slalomant entre les piles de documents éparpillés ici et là parvint à rejoindre l'éditeur qui l'attendait à son bureau, les mains croisées sous son menton.

Son sourire était narquois, mais son regard ne mentait pas. Ses yeux pétillaient de joie à la vue son amoureux qui lui rendait visite à l'improviste et en particulier au lendemain cette catastrophique soirée !

— Tu es venu t'excuser pour hier soir ? Demanda Kirishima incrédule.

Yokozawa fronça les sourcils. Leur conversation démarrait sous les meilleurs auspices !

— J'aimerais m'entretenir avec toi... en privé... ce ne sera pas long.

Le ton était grave. L'éditeur, qui n'avait pas vraiment envie de servir une querelle d'amoureux à ses subalternes, le conduisit dans une petite salle de réunion rattachée à son service. Il referma la porte derrière lui afin de s'assurer que personne ne viendrait les déranger et il finit par se retourner vers Yokozawa qui était visiblement nerveux.

J'aimerais m'entretenir avec toi en privé, quelle solennité pour quelqu'un qui aime à s'adonner au lancer de légume...

Le petit trait d'humour de Kirishima ne fit pas décrocher un sourire au commercial qui croisa ses bras en signe repli. C'est sur un ton très affecté qu'il commença :

— Dans un premier temps, je te présente mes excuses pour la nuit dernière. Je n'ai aucunement le droit de me battre avec toi de la sorte dans ton appartement et j'en ai totalement conscience !

— Pas de quoi en faire toute une histoire - Ce n'est pas comme si Hiyo était présente, lui rétorqua l'éditeur avec calme.

— Si, j'insiste. Cela ne retire en rien ce que je te reproche, à savoir le manque de maîtrise de ta jalousie maladive et le désir de contrôler mes faits et gestes ainsi que mes fréquentations ! Mais je tiens tout de même à m'excuser pour la violence dont j'ai fait preuve la nuit dernière.

Yokozawa, qui bouillonnait de l'intérieur faisait fi de garder son calme. Mais Kirishima constatait bien que le commercial était nerveux, car ses propos étaient tranchants comme une lame de rasoir.

— Yokozawa... J'admets que mes paroles d'hier étaient pour le moins malheureuses. Et si ça peut te rassurer, je veux bien admettre aussi que je dois calmer ma jalousie. Mais quand il s'agit de toi, depuis quelque temps j'ai du mal à me contrôler. Tu es tellement naïf à bien des égards--

— C'est bien ce que je pensais ! cracha Yokozawa en coupant ces aveux. Tu me perçois réellement comme un gamin, incapable de se prendre en charge ? Tout ça pour quoi ? Parce que j'ai eu le malheur de te montrer mes faiblesses ?!

Les mots sortaient pêle-mêle de sa bouche, Yokozawa ne contrôlait plus ses paroles.

— Excuse-moi du peu, mais je connais les limites à ne pas franchir avec mes collègues de travail ! Contrairement à toi, je n'ai pas bu des verres, le soir, avec les trois quarts des femmes ici !

Kirishima se tenait devant lui, le regard sombre, fixant Yokozawa. Son expression était si dure qu'elle lui donnait le vertige.

— Je peux te poser une question Yokozawa ? Ne te demandes-tu pas comment je vis notre relation ? Comment j'accepte tes esquives permanentes - quand tu décides de rentrer chez toi, le soir, alors que tu pourrais rester dormir chez nous - quand, sans raison, tu refuses de me rendre visite lorsque ma fille n'est pas à la maison. Penses-tu réellement que je suis insensible à de telles choses ?

— Mais... balbutia Yokozawa médusé.

— Le matin, quand je te vois avec ce gars, ce Takano... en sachant ce qu'il s'est passé la veille. Demande-toi ce que je peux ressentir en assistant à ce genre de scène ?

La bouche de Kirishima était crispée par la colère. Yokozawa était abasourdi par ce qu'il venait d'entendre. Ses yeux, comme deux poignards acérés, transperçaient le regard de l'autre. Les deux hommes se tenaient là, face à face. Leurs silences parlaient pour eux.

Ne sachant plus quoi ajouter et dans un geste d'une vélocité déconcertante, Kirishima agrippa les épaules de son interlocuteur et le poussa en arrière de façon à le coincer contre la porte close. Les yeux écarquillés par la surprise, Yokozawa n'eut même pas le temps de réaliser la manœuvre. L'homme colla ses lèvres contre les siennes et fit glisser sa langue humide dans la bouche de son prisonnier. Yokozawa essaya alors d'échapper à cette étreinte forcée en repoussant l'agresseur de toutes ses forces. Mais Kirishima s'accrochait et alors qu'il plaçait sa main à l'arrière de la tête de Yokozawa pour contrôler ses remous, il accentua l'intensité de son baiser.

Les jambes du commercial défaillirent. Son esprit était dévasté par la fougue de cette union. Incapable de le débouter, il pouvait sentir une chaleur ardente envahir son corps. Kirishima le tenait alors contre lui, supportant tout son poids qu'il ne pouvait plus porter. Sa langue cherchait la sienne habilement, caressant au passage ses dents et son palais. C'est alors qu'il éloigna ses lèvres de celle du captif et plongea son regard dans le sien.

Ses pupilles étaient dilatées, il ressemblait à un animal piégé. Son esprit était plongé dans le néant, à moitié mort, il haletait.

— Pourquoi... Pourquoi ne peux-tu pas me choisir, moi ?

 

Yokozawa ne comprenait plus les paroles de son amant. Terrassé par la violence, mais aussi par l'intensité de son baiser, l'homme ne savait plus quoi lui répondre. Au bout de quelques secondes, il parvint à sortir un son de sa bouche.

— Alors c'est vrai... Même Takano... tu le hais à ce point ?

Kirishima fut médusé par cette question, il s'éloigna de Yokozawa qui retrouvait peu à peu ses forces.

—Tu ne comprends donc pas. Ce n'est pas lui que je déteste, là maintenant... C'est toi.

Yokozawa prit une grande inspiration.

— Ce matin... je l'ai croisé à l'entrée de l'immeuble, il avait l'air anxieux. Il m'a demandé de lui accorder un instant. Puis il m'a parlé d'un manuscrit qu'un de ses auteurs voulait te présenter. Et lorsque je lui ai demandé en quoi cela me concernait. Il m'a répondu qu'il désirait t'en parler mais...

— ...

— Ton attitude commence à empiéter sur ton travail Kirishima-san...

— C'est ridicule ! Mais ouvre les yeux, bon sang ! lui rétorqua l'homme furieux.

— Maintenant, je vais te dire de quoi me parlait Motoki, hier matin, avant que tu n'entres dans le fumoir. Elle me demandait simplement un conseil au sujet de son travail. Un simple conseil... Il n'y a rien entre elle et moi, pas plus qu'entre Takano et moi. Voilà la stricte vérité.

Les yeux de Kirishima s'assombrirent. L'homme semblait submergé par la rage et la colère. Lui, qui pourtant, savait garder son calme en toutes circonstances, les paroles de Yokozawa eurent raison de son sang-froid.

— Tu es encore plus naïf que je ne le pensais ! Bon sang, ouvre les yeux, Yokozawa ! Tu te fais prendre pour un pigeon sans même t'en rendre compte ! Ces gens te manipulent et toi, tu n'en as même pas conscience !

— M-- mais qu'est-ce que tu racontes ?! Comment-- Putain, comment tu oses me dire une chose pareille !?

Le point de non-retour avait été franchi entre les deux hommes. Leur incompréhension était telle qu'à bout d'arguments, Kirishima attrapa les bras de Yokozawa et le secoua pour lui faire entendre raison, mais d'un geste sec, ce dernier le repoussa violemment. La tension était palpable, les deux hommes étaient sur le point d'en venir aux mains. Dévasté par la colère, à bout de forces, Yokozawa quitta la pièce avec fracas. Le bruit de la porte fracassée résonna dans tout l'étage. Les employés affairés à leurs tâches ne furent pas un instant surpris par la détonation, croyant sans doute qu'elle n'était due qu'à un courant d'air.

 

 

 

4

 

 

 

Alors qu'il arpentait les allées de la librairie Marimo, les piaillements des jeunes filles attroupées en masse autour du beau vendeur ne faisaient qu'accentuer sa migraine. Tout était en excès ici. Trop de livres, trop de gens, trop de couleurs, trop de lumière. La beauté rayonnante du charmant Yukina Kou lui donnait la nausée, un peu comme l'effet d'un chou à la crème durant une crise de foie. Aux abords du rayon des magazines féminins, il fut surpris par le retentissement d'une voix haut-perchée qui lui était familière.

— Bonjour Yokozawa-senpai !

Qui pouvait bien l'appeler ainsi ?

— Eh ! Oh ! senpai ! Par ici !

Il glissa la tête, l'air ahuri, par-dessus un étal de revues féminines et découvrit la jeune Motoki qui le regardait en souriant.

— Ah ! Motoki ! C'est toi !? Mais pourquoi m'appelles-tu senpai au juste ?

Dans un éclat de rire, la jeune fille lui répondit :

— Parce que j'ai décidé que tu étais mon senpai ! Dis-toi que tes conseils ont porté leurs fruits, alors je déclare que tu es officiellement mon senpai !

Yokozawa, un peu gêné, se mit à rougir. Habitué aux moqueries de la jeune femme, il fut quelque peu déstabilisé par sa réflexion. Alors qu'elle l'observait, la belle remarqua que le commercial avait le regard cerné de vilaines poches et le teint blafard.

— Dis donc... Tu n'as pas l'air dans ton assiette ! Tu es sûr que ça va ?

— Bien, oui... tout va bien merci, répondit Yokozawa en se grattant la tête nerveusement. J'ai passé une sale nuit, je n'ai pratiquement pas dormi. Ça explique ma tête d'enterrement peut-être...

— Je ne te le fais pas dire...

Ils prirent tous deux le chemin du bureau, en discutant tantôt de leur travail tantôt des nouvelles parutions de Marukawa.

 

Le soir venu, Yokozawa assommé par cette journée interminable rentra chez lui perclus de fatigue.

Son appartement, vide de toute décoration, ressemblait toujours autant à un showroom d'agence immobilière. L'ours bourru qu'il était n'avait guerre d'attrait pour l'art de la décoration et avait adopté un certain minimalisme dans l'agencement de son intérieur.

C'est donc dans une chambre meublée simplement d'un lit et d'une bibliothèque généreusement garnie qu'il se débarrassa de son costume pour enfiler une tenue plus décontractée. Ses tempes étaient toujours aussi endolories en raison de son mal de tête persistant et il n'avait presque pas le courage de s'atteler à la préparation de son dîner.

Il n'avait eu de cesse de penser aux paroles qu'il avait échangées avec Kirishima quelques heures auparavant. Ses mots résonnaient encore dans sa tête. Il rabâchait son ressentiment envers l'homme et ne comprenait nullement les propos qu'il avait eus à son égard.

Et que dire de son manque de confiance et de ses accusations de trahison ? C'était peut-être cela qui le touchait le plus.

Il fallait prendre de la distance vis-à-vis de ces événements, peser le pour et le contre, en déduire une marche à suivre.

Bien que Yokozawa raisonnait en bon stratège commercial qu'il était, son cœur se serrait à la vue de la tournure que prenait leur relation. Alors qu'il voulait se laisser du temps pour appréhender leur histoire, Kirishima songeait déjà à une vie à deux.

Après tout, il était plus âgé que Yokozawa, il avait déjà été marié et par-dessus tout, il était père d'une petite fille. Il aspirait probablement à plus de stabilité. Pourtant, Yokozawa était loin d'être volage... Et dans cette idée d'union forcée, il ne voyait guère de solutions à leurs problèmes, bien au contraire.

Dans ce cas, que pouvait-il faire pour répondre aux attentes de son amant, tout en se préservant ?

Le son de la sonnerie du téléphone de Yokozawa le fit sortir de sa torpeur analytique. En consultant son cellulaire, il découvrit un message de la petite Hiyori.

J'ai hâte d'être à dimanche ! J'aimerais préparer des onigiri en forme de chat et des beignets de crevettes avec toi pour impressionner grand-mère !

Yokozawa ne parvint pas à décoller les yeux des adorables mots de la petite fille.

Savait-elle à quel point son Oniichan était effondré à cet instant ? Parfois, les enfants sentent ce genre de chose. Et c'est avec la plus grande peine que Yokozawa lui répondit avec un simple : Fais de beaux rêves Hiyo, tout en sachant qu'il n'allait probablement pas trouver le sommeil cette nuit encore.

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