Le Meilleur des mondes possibles

Chapitre 5 : Chapitre I — Partie II

3209 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 07:42

— Chapitre I —

Alea jacta est

« Dieu ne joue pas aux dés. »

— Albert Einstein —

Tōkyō — Japon 2 Mars 1997 02:21 PM

 

« Pour la dernière fois Hakuba, je — ne — suis — pas — le Kid ! »

 

Un jeune lycéen venait depuis quelques minutes d’accélérer furieusement la cadence de ses pas. Ses cheveux bruns en bataille s’agitaient en rythme à chacune de ses enjambées de plus en plus grandes et marquées tandis que son regard bleu marin d’une profondeur intense était fixé bien droit devant lui, comme pour s’assurer à chaque instant qu’il ne détournerait pas ses yeux de l’horizon, encore moins pour le retourner derrière lui, là où se situait donc probablement la personne à qui il venait de s’adresser.

Une adolescente qui devait avoir son âge trottina pour le suivre afin d’essayer de le retenir, tout en gardant un œil derrière eux. Sa chevelure châtaine virevoltait à chacun de ses mouvements de tête d’un côté et de l’autre, tandis qu’elle essayait tant bien que mal de calmer les hostilités et rassembler les deux amis.

En effet, un troisième, métisse celui-ci, restait en arrière du groupe, semblant s’amuser sournoisement et hautainement de la réaction enfantine du jeune homme, qui n’était à son goût qu’une confirmation qu’il voyait juste. Tout en marchant calmement, mais suffisamment rapidement pour ne pas perdre le reste du groupe de vue, il passa gracieusement une main délicate dans ses courts cheveux bruns tirant vers le blond, formant de légères boucles.

 

« Bien, bien, puisque tu insistes. Nous verrons bien quand je l’aurai arrêté, de toute façon.

- Peuh. Il ne se laissera jamais capturer, encore moins s’il s’agit de toi.

- Tu me sembles bien confiant vis-à-vis des capacités du Kid… Peut-être qu’au moins, tu le connais de près, n’est-ce pas ? »

 

Kaito avait déjà le poing levé en lui ordonnant de se taire dans un grognement agacé, tandis qu’Aoko, horrifiée, allait s’apprêter à l’arrêter dans son geste.

Mais un grand cri les interrompit. Tout s’enchaîna alors très vite. Trop vite.

 

La foule commença, sans aucune raison apparente, à fuir en hurlant quelque chose qui semblait sortir d’une ruelle non loin. D’abord stupéfaits, les trois adolescents ne tardèrent cependant pas à comprendre la raison d’une telle agitation.

 

C’était gros, gras et informe. Cela n’avait l’apparence ni d’une machine, ni d’un être vivant. Cela émettait un bruit mécanique, indescriptible, qui ne ressemblait à aucun autre bruit habituel. Mais cela semblait porter comme de douloureuses plaintes au plus profond d’elles…

 

Comme les plaintes de tous ceux qui eurent le malheur d’être attrapés par ces choses. Car ils le virent parfaitement avec horreur. Ils ne le virent que trop bien.

Au moindre contact physique avec ce qui venait d’apparaître dans leur champ de vision, toute personne tombait aussitôt en poussière de charbon, ou du moins quelque autre matière noirâtre qui y ressemblait.

 

Ils n’avaient pas attendu longtemps avant de faire demi-tour, courant à en perdre haleine le long de l’avenue qui s’était vidée en un rien de temps. Mais ils n’eurent pas fait plus de cent pas qu’une intense lumière vint les englober et les aveugler pour un temps.

 

Lorsqu’ils ouvrirent les yeux, ce fut pour les écarquiller aussitôt. Ils tournèrent et retournèrent la tête en tous sens, mais l’ennemi mystérieux avait disparu.

Certes. Mais l’avenue elle aussi avait disparu.

Ils étaient dans une grande salle paraissant circulaire, blindée, particulièrement sombre. Seuls les bruits irréguliers de leurs respirations respectives assuraient à chacun que ses deux amis étaient là, à ses côtés. Une pâle lumière se trouvait au centre de la pièce, en hauteur, mais il n’y avait pas moyen de savoir de quoi il s’agissait exactement. Et ils n’eurent pas le temps de le vérifier.

 

En effet, ils entendirent aussitôt un bruit de pas pressé qui s’approchait d’eux. Terrifiée, Aoko se serra contre la première silhouette venue, qu’elle supposait être Kaito.

Une autre paire de jambes suivit aussitôt la première, cette fois-ci accompagnée de paroles dont le ton devait appartenir à une jeune femme :

 

« Hey, Nick, what’s going on here ?! »

 

Au vu de l’accent couplé à la langue anglaise qui avait été utilisée, Hakuba détermina aussitôt que cette personne ainsi probablement que le “Nick” en question étaient deux Américains ; et que, de toute évidence, ils n’avaient pas plus idée qu’eux de ce qui se passait.

Le métisse fronça les sourcils et s’avança devant ses deux amis, leur murmurant en japonais un “Laissez-moi faire.” confiant, et qui se voulait rassurant. Face à un tel ton, l’autre jeune homme se contenta toutefois de faire une moue renfrognée.

 

« Nous ne vous voulons pas plus de mal que vous, lança-t-il en anglais à l’adresse des étrangers. Mais comprenez notre méfiance… alors je vous demanderai de décliner votre identité, si vous voulez que nous puissions vous accorder un minimum de confiance. »

 

Il y eut un court silence, où la jeune femme sembla surprise d’entendre la voix d’un jeune adolescent, avec un vocabulaire anglais aussi riche et un accent britannique aussi soigné. Ce dernier entendit aussitôt en retour un homme qui devait avoir entre vingt et trente ans — probablement le dénommé “Nick” — lui parler de même :

 

« Qui êtes-vous ? demanda-t-il simplement.

- Nous ne sommes que trois lycéens de mon côté. Quant au vôtre, que chacune des personnes qui vous accompagne, si vous êtes plus de deux, veuille bien décliner son identité. »

 

Kaito leva les yeux au ciel. Toujours des tournures de phrase aussi pédantes, pour demander au final bien peu de choses… Cela ne semblait pas s’améliorer avec le changement de langue, bien au contraire, puisqu’il voyait là un Hakuba en train de parler sa langue maternelle, avec donc toute l’aisance et l’éloquence dont il pouvait disposer.

Et c’était déjà peu supportable pour lui en japonais, cela devenait presque grotesque en anglais, à son goût du moins.

 

« On n’est que deux, avoua la jeune femme. Moi c’est Maya, et lui, c’est Nick.

- Phœnix Wright, corrigea aussitôt le concerné. Enfin… je suppose que vous aussi, vous venez d’arriver ici sans savoir comment ni pourquoi ?

- C’est aussi votre cas ? s’interposa soudainement Kaito, étonné.

- C’est le Magatama qui a fait quelque chose de bizarre ! reprit la dénommée Maya. Il a brillé sans raison, et quand il s’est arrêté, on était là ! Vous avez un Magatama aussi, vous autres ? »

 

Il y eut un court silence durant lequel les trois lycéens parurent hésiter, mais au bout duquel ils furent bien obligés d’avouer qu’ils ignoraient totalement de quoi elle parlait, et que la réponse à cette question devait donc probablement être négative.

 

« Quoiqu’il en soit, reprit Hakuba, il est probable que quelque chose ici soit la cause de notre arrivée dans cette salle.

- Tu parles de ce truc lumineux là-haut ? » proposa Aoko, qui s’était apparemment détendue légèrement plus depuis quelques instants.

 

Tous considérèrent avec intérêt l’objet qui semblait situé en hauteur, au centre de la salle, totalement invisible de par sa position trop élevée pour être visible, et de par l’obscurité quasi-totale de la salle.

 

« Ce n’est pas impossible, déclara l’Américain en saisissant son menton de sa main gauche tout en fronçant les sourcils. Mais si on pouvait déjà savoir ce que c’est, on serait fixés. »

 

Kaito, lui, n’hésita pas. Il tâta ce qui semblait être un piédestal central par endroits, puis recula un peu et, ayant pris de l’élan, se jeta dessus pour l’escalader habilement. En quelques secondes, il était parvenu à se servir de quelques rares appuis détectés malgré l’obscurité afin de grimper les quelque deux mètres cinquante que représentait cet obstacle, s’accoudant déjà sur le rebord afin de se retrouver face à la faible lumière artificielle.

Bien que surpris au départ, les autres ne pensèrent pas réellement à le contester ; saisie par la curiosité, Maya lui demanda de leur détailler ce qu’il voyait, question à laquelle toutefois le jeune Japonais sembla ne pas prêter attention au départ.

 

Assurément, ce qu’il avait face à lui n’était pas banal. Cela ressemblait à une grande épée, très ancienne et pourtant en très bon état de conservation… il n’était pas spécialiste en archéologie et ne pouvait donc rattacher cette relique à une quelconque civilisation, mais il lui semblait évident qu’il ne s’agissait pas d’une œuvre récente ; cela devait avoir plusieurs milliers d’années, au moins.

 

« On dirait qu’on a atterri dans un entrepôt de musée, suggéra-t-il finalement. Je vois pas où on pourrait voir une arme antique ailleurs que dans un musée. Mais après… »

 

Il jeta de rapides regards autour de lui, profitant de sa hauteur pour avoir une vue d’ensemble sur la salle.

 

« Qu’est-ce qu’il y a, Kaito ? s’impatienta Aoko. Tu voulais continuer ?

- Ouais, c’est ça le problème. Si on était vraiment dans un musée, il y aurait probablement d’autres reliques autour de nous, ailleurs. Et je ne vois pas pourquoi on l’a installée aussi haut. C’est juste une épée, après tout…

- Elle a forcément quelque chose, trancha aussitôt le métisse d’un ton grave. On dirait que nous sommes dans une sorte de chambre froide. Si elle est dans de telles conditions et qu’il y a un coffre pour elle seule, c’est qu’elle a quelque chose de particulier. »

 

L’adolescent esquissa une petite moue renfrognée tandis qu’il la détaillait du regard de long en large.

 

« Ben à part le fait qu’elle a l’air en or et que c’est ça qui brille en bleu… Je dirais que ce qu’elle a d’étrange est justement ça ; l’or est beaucoup trop malléable pour que ça puisse être utilisé pour forger une arme, et je vois bien que ce n’est pas de l’or, mais… c’est bizarre. Je n’arrive pas à savoir en quoi elle est faite. Quant à savoir pourquoi elle brille toute seule… Mais ce n’est pas ça qui va nous expliquer comment ça aurait pu nous faire venir. »

 

En bas, Phœnix Wright ne semblait visiblement pas convaincu.

 

« Vous pensez quand même pas que c’est une épée qui nous a amenés ici…

- Pourquoi pas, Nick ? trancha aussitôt son amie. Le Magatama a réagi, alors pourquoi— »

 

Elle n’eut pas le temps d’achever sa phrase. Une autre lumière, blanche cette fois-ci, s’alluma et s’intensifia soudainement, éblouissant et enveloppant les personnes présentes sur les lieux, les immobilisant par la surprise, tandis qu’une brusque alarme se déclencha dans le même temps.

Tous se tournèrent vers le lycéen, toujours en haut, comme s’il en était la cause. Celui-ci se défendit aussitôt en rétorquant qu’il l’avait juste effleurée pour essayer de savoir en quoi elle était faite, mais qu’apparemment il n’avait pas prêté attention à des détecteurs, qu’il n’avait d’ailleurs toujours pas repérés. Comment l’alarme avait-elle pu se déclencher ? Les caméras étaient normalement visibles, il les aurait remarquées aussitôt s’il y en avait dans la salle ; si des détecteurs se trouvaient autour de l’épée, ils auraient dû réagir dès qu’il avait touché au rebord du support de la relique, non lorsqu’il l’avait touchée elle-même… Apparemment, il s’agissait d’une technologie à laquelle il n’avait encore jamais été confronté, lui qui était pourtant particulièrement connaisseur dans le domaine pour avoir affronté et déjoué de nombreux pièges dans ce genre… Cela l’inquiéta mais, en même temps, lui suggéra une certaine fascination. On avait réussi à le piéger, pour la toute première fois.

 

Presque aussitôt parvinrent des hommes et femmes en uniforme, armés, qui les encerclèrent en quelques secondes. Maintenus en joue de tous côtés comme s’ils étaient de dangereux criminels, les concernés ne surent que faire ni que dire pendant un instant, se contentant de lever timidement les mains comme il leur était probablement demandé implicitement ; Kaito se vit obligé de redescendre, vivement encouragé par les quelques armes à feu qui le visaient depuis le sol.

Hakuba ne perdit toutefois pas son sang-froid, prenant au contraire rapidement une attitude aussi assurée qu’à son habitude. Il n’osa pas s’avancer, mais s’adressa à celui qui lui semblait être le chef du groupe en tentant de les raisonner et de montrer qu’ils étaient inoffensifs ; mais il n’eut pas fini de parler qu’un agent s’était approché de lui et l’avait aussitôt menotté, le laissant dans sa surprise. D’autres militaires non armés se précipitèrent alors sur tous les autres intrus pour les maîtriser, commençant de leur passer d’étranges menottes particulièrement lourdes, semblant dotées d’un arsenal électronique. Malgré leurs protestations, ils furent contraints de se laisser conduire à travers les longs couloirs d’un bâtiment étrange, certainement souterrain au vu de l’absence totale de fenêtres.

 

Aoko, malgré son tempérament qui l’aurait habituellement poussée à se défendre plus ou moins activement, était totalement tétanisée cette fois par les armes qui l’entouraient. D’abord ces créatures tueuses et mystérieuses, puis l’arrivée dans cet endroit inquiétant, et voilà qu’elle se retrouvait menottée et escortée par des agents armés comme si elle représentait une grande menace. Tout cela commençait à faire un peu trop à son goût, en moins d’une vingtaine de minutes. Ne tenant plus, elle se serra du mieux qu’elle put contre son ami — qui lui pesta, mais peu lui importait sur le moment, elle n’avait pas le cœur de le lui reprocher —, comme si cela pouvait calmer son angoisse désormais croissante.

 

Elle poussa un long soupir tendu, regardant aux alentours. Où avaient-ils bien pu arriver ?

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