Le Meilleur des mondes possibles

Chapitre 6 : Chapitre I — Partie III

2163 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 08:39

— Chapitre I —

Alea jacta est

« Dieu ne joue pas aux dés. »

— Albert Einstein —

Paris — France 12 Mai 2013 11:17 AM

 

Le ciel gronda encore. Les nuages se rassemblaient et s’obscurcissaient à vue d’œil, formant comme un dôme sombre et duveteux sur la ville. Quelques instants plus tard, une pluie fine se déversa dans un rideau soyeux et léger, qui ricochait sur les pavés dans des tonalités aiguës et harmonieuses. Les passants avaient vu cette petite averse venir, aussi étaient-ils pour la plupart rentrés chez eux dès les premiers avertissements du ciel tonnant ; les autres, qui n’avaient pas été assez rapides pour se trouver un abri, se contentaient désormais d’attendre sous les stores des boutiques, sous les arrêts de bus couverts, ou dans n’importe quel endroit qui pouvait les protéger de cette ondée imprévue, et qui s’intensifiait de minutes en minutes.

Abrités par l’échoppe d’un fleuriste, deux adolescents patientaient ainsi, regardant cette menaçante voûte noire et tonnante. Le premier, un jeune étudiant aux cheveux roux légèrement en bataille, essuyait nonchalamment ses lunettes pour en ôter les quelques gouttes tombées dessus. Son amie, juste à ses côtés, jetait désormais un regard soucieux vers le filet d’eau qui se déversait avec frénésie sur le sol, désormais si mouillé que le ciel pouvait se refléter dans chaque petit pavé de la petite ruelle ; tandis qu’elle étreignait son étui à violon contre sa poitrine, ses yeux d’un bleu azur intense semblaient suivre du regard chaque goutte translucide qui se jetait contre le sol.

Un petit couinement retentit entre eux deux, à leurs pieds ; un petit chien au poil blanc et court venait de se coucher sur le sol sec, posant sa tête lassée sur ses deux pattes avant et poussant un long soupir. À tous les coups, dès qu’ils rentreraient, il aurait encore droit à un bon bain.

 

L’adolescente fit virevolter ses cheveux blonds d’un petit mouvement de tête pour écarter certaines mèches qui étaient tombées devant son visage, avant que sa main droite ne vînt parfaire le travail. S’étant libéré cette main, elle s’en servit aussitôt pour rehausser légèrement sa manche gauche, ce qui lui permit de regarder sa montre. Elle se pinça alors imperceptiblement la lèvre d’inquiétude, tournant un regard perdu vers son ami.

 

« Ça n’a pas l’air de se calmer, Raphaël… souffla-t-elle d’une petite voix douce, mais anxieuse. Et avec la répétition qui commence dans moins de dix minutes, nous allons être en retard… »

 

Le concerné remit ses lunettes sur son nez et regarda le ciel couvert d’un œil agacé. Il fronça légèrement les sourcils, puis soupira. Sans se retourner vers elle, gardant son regard imperturbablement vers les nuages, il lança soudainement :

 

« Le conservatoire est encore loin ?

- Pas du tout, nous y sommes presque. Encore à peine deux minutes de marche et nous y étions… C’est bête, hein ?

- En courant, ça doit bien faire moins d’une minute. »

 

Elle sursauta légèrement, lâchant une petite interjection de surprise en se tournant vers lui ; mais l’étudiant avait esquissé un sourire de défi qu’elle ne reconnaissait que trop bien.

En retour, elle acquiesça d’un petit mouvement de tête, reprenant confiance. Avec un peu de chance, ils ne seraient pas trop mouillés ; et puis il s’agissait d’une simple répétition après tout, pas d’un véritable concert. La tenue importait peu pour cette fois. Et ce n’était pas comme si cela serait de leur faute.

Le jeune homme lui saisit doucement mais fermement le poignet, toujours avec ce même sourire aux lèvres.

 

« Marie, Fondue, vous êtes prêts ? »

 

Tous trois s’élancèrent soudainement sous l’averse en réponse à des paroles dont le ton annonçait pourtant une plaisanterie, prenant en fin de compte cet imprévu comme un simple jeu. Ils riaient innocemment tandis que leurs pas résonnaient contre le sol, contrastant avec l’orchestre des fines gouttelettes qui tombaient autour d’eux.

 

Pourtant, la plaisanterie ne dura pas.

 

Une grande lumière éclata. Le rouquin eut cru qu’il s’agissait simplement d’un éclair particulièrement proche et fort si le tonnerre avait suivi quelques secondes plus tard, mais il n’en fut rien. Ayant lâché le poignet de son amie pour pouvoir courir plus rapidement, seul le cri qu’il entendit l’avertit que quelque chose était réellement en train de se passer. C’était elle, il en était certain. Et en effet, lorsqu’il se retourna, il vit que trois individus la retenaient et semblaient vouloir l’emmener quelque part, malgré ses tentatives pour leur résister.

Tandis que Fondue aboyait comme jamais, son maître se précipita vers eux pour la libérer ; mais un des deux hommes affairés à maintenir la jeune Parisienne changea alors de cible, s’attaquant à lui et l’immobilisant sans aucune difficulté grâce au bout d’un canon qu’il planta soudainement dans son cou. Bien que ne semblant pas prêt à tirer, cela eut l’effet d’un anesthésiant sur le jeune garçon, qui n’avait apparemment pas remarqué que l’agent n’avait même pas ôté la sécurité de son arme. Bien que continuant de rager, il n’osait désormais plus opposer de véritable résistance, du moins sur le moment.

 

Le dernier membre du groupe mystérieux, une femme, qui s’était maintenue relativement calme et en retrait jusqu’alors, venait de s’approcher de Marie et avait plaqué contre son visage un mouchoir blanc, ce qui eut pour effet de l’endormir au bout de quelques secondes ; n’ayant plus aucune résistance, l’homme qui la retenait la porta alors de ses deux bras, tandis que l’agente s’était saisie de l’instrument auquel la jeune violoniste tenait tant.

 

Il était désormais réellement hors de question de laisser faire cela sans rien dire. Raphaël avait toujours ce canon de revolver dans le cou, mais s’il se montrait suffisamment rapide et habile, il pourrait au moins essayer de s’en défaire.

Profitant de la pluie désormais ruisselante sur des pavés qui étaient déjà réputés glissants, l’adolescent feignit de déraper sur l’un d’eux et glissa en avant, s’étant cambré en arrière pour éviter plus facilement encore l’étreinte de l’homme. Ayant aussitôt retrouvé l’équilibre, il n’eut aucun mal à se retourner et faire face à son agresseur, et il lui lança aussitôt un grand coup de pied ayant pour objectif de lui faire lâcher son arme en l’envoyant au loin ; mais à sa grande surprise, l’agent n’eut aucun mal à contrer cette attaque et fit preuve à son tour de sa grande habileté, évitant ce coup d’un simple geste rapide et imperceptible, mais bien présent.

L’adolescent constata alors un peu trop tard qu’il avait visiblement sous-estimé son adversaire, et la même propriété du sol qu’il avait utilisée pour s’échapper se retourna cette fois-ci contre lui, le faisant déraper sur un pavé de manière cette fois-ci bien moins contrôlée. L’effet de surprise l’empêcha de retrouver son équilibre à temps, et il tomba douloureusement au sol. Assommé sur le coup, il fut incapable de se relever pendant plusieurs longues secondes.

 

L’agent s’approcha de lui et l’aida à se relever, le maintenant cette fois-ci bien plus fermement encore ; le jeune rouquin n’avait plus la force de lui résister, encore étourdi par le violent choc. Il se tourna alors vers ses camarades et leur lança quelque chose dans une langue qu’il ne comprit pas, mais qui ressemblait à une question au vu de l’intonation. Les deux autres se regardèrent rapidement, puis la femme prit un air sérieux et lui répondit ce qui s’avéra être très certainement un ordre. Puis tous les cinq entrèrent dans la ruelle, suivis de près par Fondue qui aboyait comme un fou.

 

« Qu’est-ce que vous faites, bon sang ? Qu’est-ce que vous nous voulez ?! »

 

Le jeune roux voulait hurler toutes les questions qui lui traversaient l'esprit d’un ton énervé, mais la douleur encore présente l’avait réduit à murmurer d’une voix faible et brisée, tandis que ses lunettes avaient glissé le long de son nez sur au moins un centimètre et demi à cause de ses tentatives vaines de se libérer.

Celui qui le maintenait était très calme, à l’air triste. Déçu. Il n’avait pas l’air de vouloir faire de mal à qui que ce fût, alors pourquoi faisait-il ça ?! Et ses aptitudes en combat l’avaient réellement stupéfié. Il avait été capable d’anticiper ses mouvements et de les contrer sans aucune difficulté, lui qui parvenait pourtant aisément à leurrer toutes les troupes de police réunies… Qui était-il ? Qui étaient ces hommes, et que voulaient-ils ?

 

« Désolé… »

 

L’adolescent n’eut pas le temps de lui dire qu’il ne comprenait pas ce qu’il disait qu’une vive lumière l’aveugla soudainement.

 

Fondue s’arrêta soudainement, stoppé par ce qu’il crut être un puissant éclair qui s’était fracassé sur le sol juste devant lui, sans aucun bruit toutefois. Lorsqu’il ouvrit de nouveau les yeux, il constata que la ruelle était désormais vide. Hurlant à la mort, le petit chien ne prêtait plus attention à l’eau froide qui continuait de ruisseler et d’entremêler les poils de ses membres frêles et tremblants.

 

Il couinera encore longtemps, assis sur le sol trempé face à l’endroit où son maître et son amie avaient disparu sans laisser de traces. Peu lui importait d’être mouillé, désormais.

Son maître ne sera pas là pour lui donner de bain.

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