Le Meilleur des mondes possibles

Chapitre 7 : Chapitre I — Partie IV

9660 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 05:29

— Chapitre I —

Alea jacta est

« Dieu ne joue pas aux dés. »

— Albert Einstein —

 

Inglewood — Irlande 7 Mars 1964 03:14 PM

 

« Professeur ! Vous avez vraiment fait vite ! »

 

Un jeune adolescent venait d’ouvrir la porte de sa demeure avec précipitation, partant aussitôt en courant vers la voiture de son père qui venait d’arriver, laissant déjà en sortir un homme portant un haut-de-forme ainsi qu’une mystérieuse jeune fille. Il était inutile de préciser que le fait de retrouver son mentor devait être particulièrement réjouissant pour le petit apprenti… Tiens, l’herbe était beaucoup plus sombre de ce côté-ci, signe qu’elle était plus fraîche qu’ailleurs. Il valait mieux éviter de se cacher dans les parcelles trop sèches, on risquerait de se faire découvrir au moindre bruit de pas dans un coin comme celui-ci. Les forêts étaient à la fois une bonne cachette, à la fois un excellent moyen de repérer les gens au moindre mouvement de leur part. C’était un meilleur point d’observation, de plus.

Ils ne regardaient pas la forêt qui était à une bonne trentaine de pieds d’eux. Après tout, ils étaient en pleines retrouvailles, ils ne se laisseraient pas distraire par autre chose que leur propre conversation, trop joyeux pour se douter de quoi que ce fût. De toute manière, il aurait été dommage de jouer les trouble-fête à ce moment précis, ils semblaient tellement heureux d’enfin se retrouver… Une coccinelle remontait le long d’un petit brin d’herbe, s’agrippant autant qu’elle le pouvait à son support avant de prendre son envol. Elle semblait si petite et fragile, peinant à affronter le vent naturellement puissant d’Irlande. Mais elle était libre de voleter gaiement là où elle le voulait, elle…

 

Il y eut un grondement. La voiture venait de redémarrer. Monsieur Triton allait la garer à l’arrière de la maison. Elle était tout à fait charmante, par ailleurs, se fondant parfaitement dans le paysage campagnard environnant. Cela donnait dès l’extérieur une jolie atmosphère apaisante et paisible… Assurément, connaissant les propriétaires, l’intérieur devait être irréprochable et largement à la hauteur de ce qu’offrait cette façade qui, bien que certainement âgée d’au moins trente ans, avait très probablement été remise à neuf très récemment. Elle ressemblait un peu à leur demeure de Misthallery, à bien y réfléchir… mais la forêt ici était beaucoup plus dense.

Les Londoniens rentrèrent tous dans la demeure, invités par Luke. Il était toujours aussi excité, cela faisait plaisir à voir… Il y avait des gens qui donnaient l’impression de ne jamais changer, malgré les années qui passaient.

 

Un soupir nostalgique se fit entendre. L’odeur du thé qui allait leur être offert était presque perceptible… dire que si cela s’était passé ne serait-ce que quelques années auparavant, ce ne serait pas seulement l’odeur, mais également la vue de cette superbe porcelaine blanche et brûlante, la douce fumée dansante au-dessus d’un breuvage ayant le don d’apaiser aussitôt les lèvres qui avaient la chance de s’en approcher… Mais non. Plus cette fois.

Des bottes noires jonglèrent puérilement avec les hautes herbes entremêlées, comme jalouses de ne pouvoir participer à ce petit rassemblement. Mais on ne s’inviterait pas ainsi, encore moins après ce qui était arrivé…

D’autre part, que pouvait-on faire d’autre ? Le professeur avait reçu une lettre. Au vu de son air tourmenté et plongé dans le vide, il s’agissait d’une nouvelle affaire, cela se sentait. Et voilà qu’il avait été jusqu’à se rendre dans un petit village irlandais totalement perdu au beau milieu de la forêt… À tous les coups, ce mystère en question concernait cet endroit. C’était ce qu’il y avait de plus logique…

Alors, qu’y avait donc de spécial aux environs ? Elle pourrait bien mener sa propre petite enquête de son côté, en éclaireur… Elle n’allait pas les déranger, non… Elle était juste curieuse… Et son goût pour l’aventure l’avait reprise, après tout ce temps. Même si elle ne pouvait plus enquêter à ses côtés.

 

Ses pas firent craquer quelques feuilles mortes éparpillées çà et là au sol, tandis qu’elle marchait insoucieusement à l’affût d’un quelconque détail anormal, son appareil photographique déjà tout prêt. Nerveuse, son index droit faisait nonchalamment tourner la molette de la pellicule, bien que déjà bloquée sur sa première position car présentant un film complètement vide pour le moment. Son regard changeait de côté encore et encore, sondant les alentours comme l’eut fait un prédateur en recherche de sa prochaine proie.

 

Puis soudainement, elle parut trébucher, tandis qu’une intense lumière l’entoura. Il lui sembla qu’elle tombait en avant, mais elle ne sentait pas encore le sol arriver. Dans la panique, elle lâcha son appareil et le perdit rapidement de vue.

 

Puis ce fut le noir complet.

 

*

*          *

 

Les retrouvailles furent particulièrement chaleureuses, tous se retrouvant dans le salon autour des bonnes tasses de thé que Brenda avait préparées par avance ; aussitôt charmés par l’agréable atmosphère environnante, mêlant l’odeur naturellement apaisante du thé, le confort évident qu’offrait la demeure, la douce lumière d’un soleil irlandais lointain et brumeux, mais qui se reflétait dans des dégradés tamisés au travers des rideaux à demi tirés, les Londoniens en eurent presque oublié la véritable raison pour laquelle ils se trouvaient sur les lieux. Pour le moment, tout ce qui importait les Triton et leurs amis était simplement ce moment convivial, alors qu’ils n’avaient plus été en mesure de se voir depuis que Clark avait été muté à l’étranger quelques mois auparavant, obligeant sa famille à déménager à ses côtés. Les petits biscuits au centre du cercle disparaissaient lentement au fur et à mesure que la discussion progressait, toujours aussi agréable et joyeuse ; l’archéologue n’hésita pas par ailleurs à louer la sensation de luxe et de propreté qui ressortait de la charmante petite résidence, en dépit de sa situation en pleine campagne irlandaise. D’un certain côté par ailleurs, les bois environnants donnaient un certain charme à la vieille bâtisse qui avait, à l’intérieur, repris un bon coup de neuf grâce à ses nouveaux locataires.

 

« L’avantage de la campagne, récitait calmement et fièrement le père, est en effet le calme et la tranquillité ; ça change de Londres, on peut dire. Dublin n’est qu’à quelques dizaines de miles, mais le village d’ici est resté tellement ancré dans les traditions qu’on se croirait à l’autre bout du monde… »

 

La fin de sa phrase s’était toutefois légèrement assombrie, ce que tous remarquèrent plus ou moins. La jeune adolescente lui demanda innocemment ce qui se passait, ce qui n’eut pour effet que d’accroître la tension qui était subitement apparue. Les deux hommes virent leurs traits se raidir légèrement, tandis que Clark s’adossait à son fauteuil en baissant le regard et croisant les bras.

 

« Flora, prononça gravement le professeur au bout de quelques instants. Tu sais pourquoi nous sommes ici, n’est-ce pas ?

- Bien sûr, mais…

- Les disparitions se sont raréfiées ces temps-ci, mais il y en a toujours, expliqua le maître de maison. Les poneys ont arrêté d’apparaître pour le moment, mais les chasseurs des alentours sont toujours à leur recherche. La question, maintenant, est de savoir ce qui se passe exactement, et si jamais cela s’arrêtera un jour. Nous ne pourrons pas continuer ainsi indéfiniment… »

 

Cette dernière remarque ôta un petit soubresaut discret de la part de son camarade d’université, qui se retint au dernier moment alors qu’il allait boire une gorgée de thé de plus. Visiblement, un détail venait de l’intriguer tout particulièrement ; mais contrairement à ce qui pouvait être attendu, le professeur Layton s’était soudainement radouci au lieu de prendre une attitude particulièrement sérieuse.

 

« Donc ce n’était pas une erreur… » marmonna-t-il finalement avec un petit sourire indéchiffrable.

 

Une vague de surprise curieuse traversa la salle jusqu’à la personne qui avait déclenché une telle réaction chez son ami.

Clark se redressa tranquillement et haussa les épaules en retenant un petit rire amusé, toujours les bras croisés.

 

« J’étais sûr que tu l’aurais remarquée tout de suite. La tasse en trop ?

- Exactement. Nous ne sommes pas seuls dans cette maison, n’est-ce pas ? Et vous aviez prévu de faire venir cet invité spécial avec nous une fois que vous nous auriez expliqué.

- Ta perspicacité m’étonnera toujours, Hershel… » répliqua Brenda, sans toutefois montrer une quelconque nuance de véritable surprise.

 

Le père s’était pris à rire franchement, sans toutefois laisser éclater réellement cette soudaine hilarité. Pour se justifier, il rétorqua fièrement qu’il commençait à le connaître, à force. Il avait fait exprès de ne pas faire remarquer à sa femme que la tasse pour leur invité surprise était déjà là, juste pour tester s’il la remarquerait.

Luke, lui, ouvrit de grands yeux ronds, peinant à croire que son mentor avait en réalité soupçonné cela dès qu’il était arrivé dans la pièce. Visiblement, s’il voulait atteindre son niveau, il lui restait encore à apprendre…

 

« Excusez-moi, Professeur, s’interposa soudainement Flora. Que se passe-t-il exactement ? De quel invité surprise parlez-vous ?

- Bonne idée, lança Clark d’un ton plaisantin. Hershel, puisque tu es aussi bien parti, tu peux bien expliquer ce qui se passe d’après toi. »

 

L’archéologue retrouvait bien le caractère moqueur et jovial de son ancien camarade d’université ; mais il sentit que ce petit jeu cachait quelque chose.

 

« Cette fameuse personne te l’a demandé et se trouve juste de l’autre côté de cette porte à nous écouter, n’est-ce pas ? Il s’agit en réalité d’une sorte de test ?

- Haha, pas mal, pas mal ! se réjouit l’homme en passant sa main dans sa barbe, l’air toujours aussi insouciant et pris dans ce jeu de devinettes. Mais encore ? »

 

Le gentleman se leva tranquillement de son siège, croisant les bras et se mettant à marcher lentement, réfléchissant tout haut comme il en avait l’habitude. Visiblement, bien que conscient qu’il ne s’agissait pas de quelque chose de réellement important, il se prêtait au jeu avec plus ou moins d’entrain, ses amis s’amusant de le voir dans une telle posture sans qu’il y eût de réel enjeu cette fois-ci.

 

« Je suppose qu’il y a une raison au fait que cet invité ne se soit pas dévoilé même une fois en partie démasqué, récita-t-il sereinement tout en faisant les cent pas d’un pas calme et lent. C’est certainement en partie dû à sa volonté de me faire participer à ce petit jeu de déduction, mais ce n’est sûrement pas la seule raison… Non, il s’agit de quelqu’un que vous avez pris l’habitude de cacher depuis que vous l’avez rencontré, et qui se voit obligé de l’être depuis le début de cette affaire… affaire à laquelle il est tout particulièrement lié, par ailleurs… beaucoup plus que nous… Après tout, ne serait-il pas lui-même recherché par tout le voisinage s’il se montrait au grand jour ? »

 

L’archéologue venait de refermer sa main sur la poignée de la porte de laquelle il n’avait cessé de s’approcher depuis qu’il s’était levé. Il tourna adroitement le mécanisme et tira lentement le portail de bois vers lui, dévoilant une jeune pouliche à robe mauve. Cette dernière eut un rapide mouvement de recul embarrassé, mais se reprit rapidement et esquissa un léger sourire gêné.

 

« Alors là… murmura-t-elle timidement. Luke m’avait dit que vous étiez fort, mais je voulais quand même le voir par moi-même… Mais là, je dois avouer que je suis bluffée, vraiment. Je ne m’attendais pas à ça… »

 

Cette fois-ci, l’homme au haut-de-forme parut légèrement surpris. Flora, elle, ne voulut pas montrer sa crainte, mais elle s’était malgré tout timidement réfugiée derrière le petit apprenti en rougissant.

Le détective rajusta son couvre-chef d’un air troublé, esquissant un léger sourire nerveux.

 

« Allons, je n’ai pas pu tout deviner non plus. Je ne m’étais pas figuré que vous parliez réellement, encore moins en anglais, avoua-t-il modestement.

- Et comment imaginiez-vous que j’aurais pu communiquer avec les Triton, dans ce cas ? Ça ne vous semblait pas évident ? demanda-t-elle d’un ton surpris.

- Je sais que Luke a la capacité de parler aux animaux ; c’est ce à quoi j’avais aussitôt pensé, à vrai dire… »

 

Quoiqu’il en fût, Clark se releva finalement et invita chacun à revenir autour de la table, affirmant que si la conversation s’éternisait ainsi, le thé allait finir par refroidir. Tandis que le professeur s’était rassis, il put détailler avec plus de précision la créature qu’il venait de découvrir : une belle crinière indigo portant quelques crins ici et là dans des tons plus rose fushia, particulièrement bien entretenue, signe d’un soin minutieux et régulier ; une belle robe mauve et lisse, au poil court ; de grands yeux rayonnants… mais ce qu’il remarqua avec plus de surprise fut l’unique corne torsadée qu’elle portait au beau milieu de son front, ainsi qu’une étoile rose à six branches qui figurait sur son flanc, entourée de quelques autres plus petites et blanches. Était-ce un tatouage ?

Par ailleurs, il constata que des soins avaient dû être appliqués à sa patte antérieure gauche, qui visiblement avait été blessée d’une quelconque manière.

 

« Je m’appelle Twilight Sparkle, annonça finalement la concernée une fois assise face à la table, à ses côtés. J’avais constaté il y a quelques jours que le phénomène inverse avait lieu dans l’Everfree Forest, la forêt qui borde mon village, et j’ai voulu mener mon enquête pour essayer de comprendre ce qui se passait.

- Et vous êtes arrivée ici, déduisit-il naturellement.

- Et je suis arrivée ici. Je cherche toujours à comprendre le mécanisme qui a été mis en route, mais il ne s’agit pas de quelque chose que je connais. Quoiqu’il en soit, alors que je venais de me retrouver au beau milieu de cette forêt, j’ai croisé Luke par hasard.

- Elle était tombée dans un piège, se justifia aussitôt se dernier. Je ne pouvais pas l’abandonner là ! »

 

Ce qui expliquait donc ce fameux bandage autour de sa patte. Un mystère de résolu, déjà.

Voyant que l’adolescent, semblant pris par une certaine culpabilité, cherchait à éviter de mentionner la raison pour laquelle il se trouvait dans la forêt alors même qu’il savait le risque qu’il y encourrait, son mentor lui fit signe de se taire et de reprendre son calme. Son attitude sereine étonna sérieusement son apprenti, lui qui s’était attendu à une réaction toute autre ; même Flora semblait déjà avoir oublié sa frayeur première, s’étant déjà détendue et paraissant presque rassurée de rencontrer un de ces poneys, ayant bien obtenu la preuve qu’ils étaient inoffensifs.

Reprenant soudainement la discussion en changeant de sujet, le gentleman montra que ce qui l’importait pour le moment était d’en apprendre le plus possible sur la licorne et ses origines. Piqué par la curiosité, il ne résista pas à l’envie de lui poser le plus de questions possibles sur tout ce qu’il pourrait apprendre à son propos. Elle connaissait très certainement des éléments qu’il ignorait, et qui leur seraient utiles pour l’affaire.

 

« Vous parliez d’un village… commença-t-il.

- Ponyville, coupa-t-elle aussitôt, ayant bien compris son intention d’en apprendre le plus possible. C’est une petite ville de province juste au sud de Canterlot… la capitale d’Equestria. »

 

Le Londonien plissa les yeux, enfouissant son menton dans sa main droite d’un air de plus en plus intrigué.

 

« Equestria… répéta-t-il.

- Là d’où je viens. C’est un peu comme ici, sauf que tous les habitants sont des poneys. »

 

Ce qui confirmait l’évidence même ; ces créatures provenaient toutes du même endroit, endroit qui se trouvait quelque part… Mais où ? Pourquoi ne l’auraient-ils jamais découvert jusqu’alors, et quel était le rapport avec ces histoires d’enlèvements ?

 

« Savez-vous où vous vous trouvez actuellement ?

- Inglewood, en Irlande. C’est ce que Luke et ses parents m’ont dit.

- Et sauriez-vous situer Equestria par rapport à cet endroit ?

- Absolument pas. J’ignorais totalement que cette région existait. Et croyez-moi, j’en ai lu, des cartes et des livres de géographie. Je suis aussi perplexe que vous. »

 

Vraiment, cela devenait de plus en plus fascinant.

Tous deux semblaient avoir totalement oublié la présence des quatre autres personnes qui les écoutaient immobiles, sans rien dire, autour d’eux ; comme si s’interposer dans leurs réflexions était un véritable crime.

 

« Comment décririez-vous ce qui s’est passé, lorsque vous vous êtes retrouvée ici ?

- Eh bien… Tout ce que je pourrais dire serait parler d’une grande lumière blanche. Je ne pourrais rien dire de… »

 

Silence. La jeune ponette s’était soudainement interrompue, regardant l’homme dans le blanc des yeux.

Ce dernier avait extrêmement blêmi, s’étant soudainement raidi.

Très lentement, sans rien dire, sa mine s’assombrit tandis qu’il baissait gravement sa tête, son haut-de-forme masquant totalement ses yeux.

 

« Vous avez trouvé quelque chose…? » demanda timidement Flora.

 

Le professeur se releva lentement en s’excusant, puis s’éloigna quelque peu du groupe. Marcher l’aidait à réfléchir et à bien remettre ses idées en place.

 

« Une lumière blanche… répéta-t-il finalement. Dites-moi, était-elle particulièrement forte ?

- Aveuglante. Je ne pouvais plus rien voir, et c’était comme si le sol avait disparu pendant un instant. Mais cette lumière…

- Avez-vous entendu du bruit ?

- Absolument aucun, c’est justement ça qui me trouble le plus. La magie n’est jamais silencieuse, surtout s’il s’agit d’un sort aussi puissant… Donc ce n’était pas de la magie… Mais qu’est-ce que ça pouvait bien être, alors ? »

 

Sa question demeura en suspens dans un grand silence. Elle constata finalement que depuis le mot “magie”, qu’elle avait même répété à plusieurs reprises, elle avait récupéré deux regards abasourdis et trois regards désapprobateurs.

 

« Oh, euh… Haha. C’est vrai que j’ai oublié que vous ne connaissiez pas la magie, ici… Toutes les licornes peuvent faire de la magie. C’est très pratique.

- Vraiment ? s’étonna l’archéologue. Vous voulez dire que vous pouvez, actuellement… »

 

Avant qu’il n’eût le temps de finir sa phrase, la corne de Twilight s’était mise à briller d’une petite lueur mauve avant que sa tasse de thé ne s’élevât d’elle-même, entourée d’un petit halo de la même couleur, commençant alors de léviter. Un petit bruit léger et indescriptible, mais qui eut été aisément reconnaissable, avait alors retenti dès que la lumière était apparue, et s’était légèrement tu tandis que la petite tasse de porcelaine continuait de voleter toute seule.

Flora n’avait cette fois pas pu s’empêcher de laisser s’échapper un petit cri de surprise, se cramponnant au bras du professeur ; mais la licorne avait gardé son air grave.

 

« Ceci est le sort le plus simple, que n’importe quelle licorne peut maîtriser ; il en existe d’autres, dont un sort de téléportation, plus complexe. Vous pensez bien que c’est la première hypothèse que j’ai émise concernant notre affaire, mais je connais trop bien la magie pour vous dire que ce n’était pas ça. Je maîtrise moi-même le sort de téléportation, et il ne fonctionne pas du tout de cette manière.

- Je vois… marmonna l’homme tandis qu’il passait sa main au-dessus et en-dessous du petit objet, incrédule. C’est vraiment… stupéfiant. »

 

Elle confia qu’elle voyait mal au départ comment les humains pouvaient vivre sans magie, mais que finalement les mains étaient réellement un atout qui pouvait se montrer très utile. Mais ça n’égalera jamais la magie, marmonna-t-elle en buvant une autre gorgée.

La discussion se poursuivit encore quelque temps, mais rien de nouveau ne put être établi ; il devenait finalement de plus en plus certain que le seul endroit où ils pourraient trouver des indices serait dans le bois lui-même, malgré le risque de “disparition”. Mais après tout, ils n’avaient pas énormément de choses à risquer puisque ce genre de choses se produisait dans les deux sens ; Twilight avait confirmé que certains poneys avaient réussi à disparaître, puis réapparaître. Mais qu’ils n’étaient qu’un ou deux parmi les quelque cinq ou six qu’elle avait recensés. Tout avait l’air de se jouer sur des probabilités…

Quoiqu’il en fût, ils n’avaient pas le choix : le seul endroit qui pouvait leur fournir des informations supplémentaires était la forêt. Il fut décidé que le professeur s’y rendrait avec ses apprentis et la licorne dès que le thé serait achevé, ce qui ne devait plus durer désormais que quelques minutes.

Bien que Flora eût encore tressailli légèrement et écarquillé les yeux lorsque la ponette avait de nouveau utilisé sa magie pour faire léviter sa tasse et boire tranquillement, rien de particulier ne se passa jusqu’à la fin. Le groupe sortit alors, laissant les Triton chez eux.

 

*

*          *

 

« Vous aviez l’air particulièrement étonné lorsque je vous avais parlé de cette histoire de lumière, Professeur… et vous aviez l’air d’avoir compris quelque chose. Je me trompe ? »

 

L’homme au haut-de-forme s’interrompit brusquement dans sa marche, soudainement pensif. Twilight avait vu juste, il y avait quelque chose dont il n’avait pas encore parlé et qui venait de lui revenir à l’esprit.

 

« Eh bien… Je ne peux toujours pas expliquer de quoi il s’agit, mais… Si c’est bien ce à quoi je pense, alors il est possible que cette affaire soit beaucoup plus étendue et complexe que ce que nous pensions.

- Que voulez-vous dire, Professeur ? » demanda aussitôt son apprenti, piqué par la curiosité.

 

Il baissa le regard, devenant encore plus grave.

 

« Tu te souviens de Janice, Luke…

- Bien sûr ! Comment pourrais-je l’oublier ?

- Elle a été enlevée sous mes yeux d’une manière similaire. Si la manière dont elle a disparu est la même que celle avec laquelle les disparitions ont lieu…

- Vous voulez dire que les deux affaires seraient liées ? Mais qui est cette Janice dont vous parlez, et où a-t-elle disparu exactement ? »

 

L’archéologue croisa les bras, reprenant sa marche d’un pas plus décidé, les yeux plissés.

 

« C’est justement le plus étrange. Il s’agit d’une cantatrice à Londres, c’est-à-dire à plus de trois cents miles d’ici, à vol d’oiseau, et de l’autre côté de la mer.

- Alors si ces deux affaires ont la même origine, marmonna Flora, alors c’est vraiment quelque chose de grande ampleur, c’est ça ? »

 

Le gentleman acquiesça gravement d’un simple hochement de tête dubitatif.

L’adolescente reprit rapidement la parole, soudainement, en se tournant cette fois-ci vers la ponette ; revenant encore une fois sur le thème de la magie, elle demanda des précisions sur ce fameux sort de téléportation, afin d’être certaine qu’il ne s’agissait pas du cœur du problème. La concernée répéta qu’elle avait déjà songé à cette option, mais elle ne refusa pas de montrer à quoi ressemblait une téléportation ; bien que lui faisant confiance, le professeur ne jugea pas inutile de la regarder faire, afin d’essayer d’y percevoir un quelconque point commun avec ce qu’il avait vu, si jamais il y en avait.

Twilight fit luire sa corne d’une manière similaire aux fois précédentes, déclenchant le même tintement sonore qu’auparavant ; toutefois apparut cette fois-ci une sorte de grande bulle blanche et rosâtre devant elle, qui grandit et l’engloba avant d’éclater, tout ceci ayant duré moins d’une seconde. Le même processus se produisit une dizaine de pieds plus loin derrière le groupe, faisant réapparaître la jeune pouliche à cet endroit précis. Le professeur put confirmer que cela n’avait rien à voir avec ce qu’il avait vu ; mais si, en effet, ce n’était pas de la magie…

 

La licorne tournait et retournait sa tête autour d’elle, déboussolée, ne bougeant pas de l’endroit où elle venait d’apparaître. Les sourcils froncés, quelque chose lui torturait de toute évidence l’esprit. Elle rejoignit finalement le groupe et commença de s’expliquer, inquiète.

 

« Attendez… Il y a tout de même quelque chose d’étrange. »

 

Elle regarda encore autour d’elle à plusieurs reprises. Puis elle fit de nouveau face au groupe d’un air grave.

 

« J’étais censée apparaître de ce côté, avoua-t-elle au bout d’un moment en pointant une direction d’un de ses sabots. Ça fait quand même bien vingt pieds de distance, alors que la distance de téléportation était aussi courte… Une aussi grande marge d’erreur, ça ne m’était encore jamais arrivé… Qu’est-ce que ça veut dire ?

- Quelque chose ici serait intervenu dans le processus ? » suggéra Luke, d’un air qui montrait toutefois qu’il ne serait aucunement capable de défendre cette hypothèse avec des preuves solides, ne comprenant même pas comment la magie fonctionnait.

 

Ils eurent beau chercher, la forêt ne comportait décidément rien d’anormal. Aucune trace de piège, de mécanisme, autre que ceux posés habituellement par les chasseurs en quête d’animaux sauvages à capturer. Si quelque chose se produisait réellement ici, alors cela relevait soit d’une grande technologie futuriste, soit de la magie… ou plutôt, d’une sorte de magie que Twilight ne connaîtrait pas, à supposer que plusieurs types de magie pouvaient réellement exister.

Mais à bien y réfléchir, quel était l’intérêt de cela ? Le phénomène qui se tenait là, à Inglewood, avait-il réellement un responsable ? Aussi étonnante et incongrue la révélation se présentait-elle, il s’agissait en fin de compte de la thèse la plus probable : les disparitions se produisaient selon une règle paraissant totalement aléatoire, et surtout, le phénomène était réversible et réciproque. S’il y avait réellement un responsable derrière tout cela, alors l’intérêt de mener tout cela était encore à trouver.

Et pourtant, à Londres, il avait bien vu que son ancienne élève s’était fait enlever, par des personnes bien réelles cette fois-ci… Ces deux affaires étaient-elles alors vraiment liées ? Non, décidément, plus les indices s’accumulaient, plus l’histoire et la vérité s’obscurcissaient.

 

Tandis que le professeur réfléchissait encore aux informations qu’il avait reçues, un étrange bruit retentit soudainement derrière eux. Il était impossible de définir de quoi il s’agissait ; on eut dit une sorte de son à la fois mécanique, comme un crissement aigu, à la fois mélodieux, d’un certain point de vue. Cela ressemblait au frottement d’un objet métallique contre quelque chose comme une corde d’acier, mais pas exactement… Ils n’avaient jamais entendu quoi que ce fût de la sorte.

 

Mais qu’était-ce donc ? Cela ne pouvait être un de ces phénomènes étranges, puisque Twilight avait affirmé qu’aucun bruit ne pouvait être entendu, et lui-même pouvait témoigner que les phénomènes dont il était question n’incluaient pas ce facteur. Et il n’y avait pas de lumière particulière aux alentours…

 

« Professeur, regardez ça ! » s’écria Luke en pointant du doigt l’endroit d’où ce bruit semblait provenir.

 

En effet, venait de commencer à apparaître, très faiblement, très pâle et plus transparente encore que du verre, une lampe clignotante à l’allure d’un gyrophare de police posée sur le contour d’une sorte de grande boîte. Le tout avait disparu aussitôt, avant de réapparaître un peu plus fermement. L’ensemble semblait clignoter de même qu’une lampe que l’on eut allumée puis éteinte à plusieurs reprises, alors qu’il s’agissait d’un corps solide. Du moins… cela en avait l’air.

Au fur et à mesure que cela s’assombrissait et devenait plus opaque, il devint de plus en plus aisé de distinguer l’objet. Lorsque le son s’estompa et que l’engin arrêta de clignoter, il était clair qu’il s’agissait de quelque chose de bien réel.

 

« Une cabine téléphonique… Et bleue, en plus ? Professeur, ce n’est pas rouge, d’habitude, les cabines téléphoniques…? » bredouilla Flora, ébahie.

 

L’homme au haut-de-forme était tellement désemparé qu’il avait paru ne même pas avoir entendu la question.

La porte de ce qui ressemblait en effet à une cabine téléphonique londonienne s’ouvrit soudainement sur un homme qui devait avoir entre trente-cinq et quarante ans, qui ne regardait pas réellement où il allait ; en effet, il avait les yeux vers la cime des arbres plus que devant lui. Il était de plus en pleine discussion avec une personne se trouvant encore à l’intérieur de la machine, et n’avait en conséquence aucunement remarqué ceux qui l’avaient vu apparaître.

 

« Haha ! Cette bonne vieille TARDIS nous a encore amenés là où elle voulait ! riait-il d’un ton à l’aspect tout sauf sérieux.

- C’est-à-dire, Docteur ? demanda alors une voix de femme, qui correspondait par déduction à l’inconnue encore à l’intérieur.

- Inglewood ! Très pittoresque, par contre je te parle pas de l’accent des villageois ! Je connais un peu, j’y suis allé alors que j’approchais de mes six cents ans. Ah, tant que j’y pense, le nom est absolument à ne pas confondre avec la planète du même nom où sévissent d’horribles plantes carnivores ! J’ai même failli y perdre ma main. J’ai déjà perdu ma main, d’ailleurs, enfin, tu étais présente, mais ça fait vraiment bizarre, pendant un instant, de plus sentir tes doigts ! »

 

La volubilité de cet homme était presque plus déroutante encore que cette cabine téléphonique sortie de nulle part. Les Londoniens et la ponette demeuraient statiques, yeux exorbités rivés sur celui qui désormais donnait l’impression de mener un interminable monologue.

 

« Oh. Bonjour ! » s’exclama-t-il d’un ton parfaitement innocent lorsqu’enfin il remarqua les observateurs interloqués.

 

Il commença par ne pas obtenir de réponse, mais il parut ne pas y prêter attention ; au contraire, ce déroutant personnage descendit vers eux avec un sourire rayonnant, les mains dans les poches, tandis que sa compagne sortait elle aussi de la mystérieuse boîte bleue. Cette dernière avait les cheveux blonds et courts qui voletaient au rythme de sa marche assurée ; elle paraissait clairement plus lucide que celui qu’elle accompagnait, car dans ses yeux se reflétait bien une lueur d’intelligence et d’une sorte de mélange entre sagesse et confiance en elle.

 

« Qui êtes-vous… » balbutia le professeur alors que l’homme se trouvait à moins de deux yards du groupe.

 

Il avait probablement voulu incorporer une intonation interrogative dans sa question ; mais la surprise, l’incompréhension, l’accumulation de tous ces faits inexpliqués et pour le moment inexplicables, tout ceci avait dû le mettre plus ou moins à bout et entraîner cette soudaine perte de sang-froid momentanée. En effet, le gentleman se reprit aussitôt, tentant de redevenir calme et sérieux.

 

« Je suis le Docteur, répondit aussitôt l’interrogé du même ton léger qu’auparavant, un sourire radieux sur le visage.

- Le Docteur…?

- Bonjour !

- Non, mais je veux dire…

- Docteur qui ? insista Luke.

- Le Docteur ! » répliqua-t-il d’un ton laissant parfaitement comprendre qu’il devait s’agir d’une évidence.

 

L’apprenti resta un instant interdit, la bouche à demi ouverte, les sourcils froncés d’incrédulité et les mains légèrement ouvertes montrant l’incompréhension.

L’homme commençait déjà de se détourner du groupe, comme s’il s’apprêtait à partir innocemment sans même prévenir.

 

« Hé ! reprit le jeune garçon au bout de quelques secondes, revenant à la charge. Vous n’avez pas répondu à ma question ! Vous êtes qui ?

- J’ai répondu à ta question, petit. Je suis le Docteur. Et elle (il montra du doigt la jeune femme qui l’accompagnait), c’est Rose Tyler. Qu’est-ce qui ne va pas là-dedans ? »

 

L’adolescent fit soudainement une moue contrariée. Bien sûr que quelque chose n’allait pas…

 

« Je ne suis pas petit. »

 

*

*          *

 

Le Docteur soupira une fois de plus avant de souffler sur sa tasse de thé. Pourquoi avait-il accepté de les suivre jusqu’à cette petite maison en bordure de la forêt, déjà ? Ah, oui. Il n’avait pas eu le choix. La licorne qui les accompagnait avait fini par perdre patience, avait froncé les sourcils et fait luire sa corne, les téléportant tous derrière cette charmante maison, qu’ils durent d’ailleurs contourner avant de pouvoir entrer à l’intérieur au passage vu qu’elle avait apparemment fait une erreur de calcul sur le lieu d’arrivée, mais peu importait. Oh, et elle les avait téléportés sans sa chère TARDIS, cela allait de soi, bien évidemment.

De toute manière, ce détail excepté, il l’avait vite compris : il était face à des gens qui cherchaient des réponses et étaient peut-être prêts à tout pour les obtenir. Ils auraient de toute manière été obligés de les suivre pour s’expliquer un minimum.

Au moins, ils avaient cependant l’avantage d’être accueillants et amicaux. Ce thé était tout simplement délicieux.

 

« Bien… reprit au bout d’un moment l’homme au haut-de-forme. Docteur, pourriez-vous nous expliquer votre apparition soudaine dans une cabine téléphonique bleue ? »

 

Tiens, il semblerait que même la couleur avait de l’importance pour lui.

 

« Ce n’est pas une simple cabine téléphonique, Professeur. C’est une TARDIS. Time And Relative Dimension In Space. N’oubliez pas ça.

- Si vous voulez ; mais cela ne répond pas à ma question. Que faisiez-vous dans votre TARDIS, et cette machine a-t-elle un quelconque rapport avec les phénomènes se produisant ici ? »

 

Il ne répondit pas tout de suite, se contentant de prendre un sucre et de le mélanger à sa boisson brûlante.

 

« Absolument aucun rapport.

- Savez-vous quoi que ce soit à propos de ce qui se passe ici ?

- C’est pour ça que je suis venu. Enfin, après réflexion ce n’était pas ici que je devais arriver puisque je devais arriver à l’origine du problème qui nous atteint tous, et pourtant je suis tombé là où il y avait le plus grand problème de déchirure de l’espace-temps, c’est tout de même drôle comme coïnciden—

- S’il vous plaît, ne dérivez pas dans vos… Comment ? »

 

Le professeur s’était redressé soudainement, plus surpris encore que d’habitude.

 

« Vous avez bien entendu : cette forêt abrite une déchirure de l’espace-temps en divers endroits, et il en est de même pour un autre univers. En conséquence, si quelqu’un se rend en un endroit où l’espace-temps est fissuré, il se retrouvera tout simplement dans le Void.

- Le Void ?

- Le vide inter-univers. Enfin, c’est ce qui devrait se passer en temps normal, vu que ce n’est visiblement pas arrivé et que les gens qui disparaissent et apparaissent sont encore vivants, donc ils se sont tout simplement rendus dans l’autre univers. Et il n’y a qu’une seule explication à ça…

- De quoi parlez-vous ? »

 

L’expression de l’homme devint incroyablement froide et grave, soudainement, en un instant. Il le transperça du regard, prouvant qu’il fallait véritablement le prendre au sérieux et lui faire confiance ; ce n’était pas négociable.

 

« Ça veut dire que ces deux univers sont en train de fusionner. Et ça, c’est très mauvais parce que généralement, ça les anéantit tous les deux. Tout simplement. Le mélange finit par exploser dans le Void si on ne fait rien. En gros, c’est la mort des deux univers et tout ce qu’ils contiennent. »

 

Un grand silence s’ensuivit. Son regard ne cillait pas. Finalement, le professeur Layton parut laisser transparaître dans ses yeux comme une sorte de signe de soumission. Il avait enfin admis que son interlocuteur était sérieux et ne mentait pas.

 

« S’il vous plaît. Dites-nous où et comment vous avez pu obtenir toutes ces informations.

- Je n’ai pas beaucoup de temps, je dois partir avec Rose. Si vous voulez, on en reparlera plus tard, mais pour l’heure on doit partir. Plus on attend, plus la situation devient difficile à arranger. »

 

Encore une fois, le gentleman dut avouer qu’il n’avait probablement pas tort. Si jamais il disait la vérité, alors il avait tout intérêt à lui faire confiance et le laisser s’occuper du problème : puisque s’il savait et disait vouloir partir, alors cela signifiait qu’il était également capable de faire quelque chose. Mais d’un autre côté, il était hors de question de laisser filer tant d’informations aussi importantes pour son enquête…

 

« Laissez-nous venir avec vous, dans ce cas. Vous nous expliquerez en chemin.

- Hors de question. Là où on va, on ne sait pas ce qui va nous tomber dessus. Sachez que c’est beaucoup plus grave que votre simple histoire de changements d’univers voisins, Professeur. Votre monde et celui avec lequel il communique sont les plus atteints pour le moment, mais il a l’avantage de ne pas avoir autant de problèmes à gérer que les autres.

- Vous voulez dire que votre machine, le TARDIS, permet de voyager d’un univers à l’autre ? »

 

Le Docteur s’assombrit plus encore qu’auparavant, chose qui paraissait impossible jusqu’alors.

 

« Justement. S’il n’y avait aucun problème, elle ne le pourrait pas. Alors maintenant, assez de temps perdu comme ça. »

 

Il se leva, déposa sa tasse de thé vide sur la table d’un geste énervé, encouragea Rose du regard de le suivre et s’approcha d’un pas rapide vers la porte. C’était à peine s’il avait prononcé des remerciements pour les avoir accueillis et leur avoir offert le thé.

 

« Une dernière chose… »

 

Il se stoppa. L’archéologue s’était affirmé une fois de plus.

 

« Une cantatrice de Londres que je connais a récemment été enlevée. Les ravisseurs n’étaient pas dotés de TARDIS, mais eux aussi ont disparu et ont très certainement changé d’univers. J’étais présent dans l’opéra sur le moment, et je ne vois aucun trucage possible. Je peux me tromper, mais j’ai eu suffisamment d’indices pour supporter la théorie selon laquelle cette affaire est liée à la vôtre.

- L’intuition du professeur ne le trompe jamais ! ajouta aussitôt Luke. En plus, il a déjà élucidé plein de mystères très déroutants ! On peut vous aider ! »

 

L’homme demeura sur le pas de la porte ouverte qui donnait, au loin, sur le village. Il était de dos, ne les regardait même pas. Rose semblait hésiter, mais ne se décidait pas à prendre un parti plus qu’un autre.

Puis il baissa soudainement la tête, poussant un long soupir.

 

« Préparez vos affaires si besoin et venez. Mais faites vite. »

 

*

*          *

 

« Je n’avais pas osé parler de ce détail… »

 

Le Docteur se retourna vers le professeur, alors qu’il venait d’ouvrir la porte du TARDIS.

 

« Que se passe-t-il ?

- Nous sommes six, dont un poney. Nous ne tiendrons jamais dans un espace aussi réduit… »

 

Il esquissa un sourire à la fois amusé et lassé. Il avait l’habitude.

 

« Ne vous inquiétez pas de ce détail et contentez-vous d’entrer. »

 

Le gentleman se douta que quelque chose qu’il ignorait lui permettrait de comprendre, mais il ne voyait aucune réponse plausible. Finalement, il se décida à obéir, puisque la réponse devait l’attendre à l’intérieur.

Il ne fut pas déçu : en effet, il comprit pourquoi il avait été le seul à se demander pourquoi l’espace manquerait, car il n’en était rien. L’intérieur du TARDIS devait bien être dix ou vingt fois plus spacieux qu’il n’en avait l’air depuis l’extérieur. Il fut tenté de vérifier depuis l’extérieur qu’il n’y avait pas de trucage, mais il ne le fit pas. Il avait bien vu que la machine était apparue juste devant un arbre, qu’elle ne pouvait donc logiquement pas traverser ; et, de plus, la cabine téléphonique paraissait réellement moins large que la véritable largeur de l’endroit où il se trouvait.

Ce n’était pas scientifiquement possible, il en était persuadé. La technologie humaine ne permettait pas ce prodige, et ne le permettrait probablement jamais.

 

Une fois que Luke, Flora et Twilight, après avoir vu l’intérieur avec stupéfaction, eussent tourné au moins cinq fois autour de la boîte bleue, le Docteur et Rose les firent entrer sans prêter attention à leurs mines désemparées. Alors que celui-ci était aux commandes, pianotant sur les différents boutons, l’archéologue ne put cependant s’empêcher de poser une question ; ou plutôt, une hypothèse qu’il voulait mettre au clair.

 

« Vous deux… Vous n’êtes pas du même univers que le nôtre, n’est-ce pas ?

- Nope.

- La technologie de notre monde n’atteindra probablement jamais celle du vôtre… L’humanité est-elle vraiment si avancée chez vous ?

- Nope. Je dirais qu’elle a juste… cinquante ans de plus, peut-être ? Presque rien. Mais les humains ne maîtrisent pas encore ce genre de technologies. »

 

Le gentleman eut cette fois un sursaut bien plus vif que les autres.

 

« Que voulez-vous dire ? Vous n’êtes pas humain…?

- Nope, déclara le Docteur, impassible, les yeux toujours rivés sur les boutons de sa machine.

- Mais alors qu’est-ce que vous êtes ? demanda Luke. Vous ressemblez bien à un humain ! »

 

Le concerné poussa un soupir.

 

« N’essayez pas de comprendre. C’est juste plus grand à l’intérieur, okay ? »

Laisser un commentaire ?