Boulette diplomatique

Chapitre 4 : La substance de l'ambition

4452 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/12/2023 22:23

Toute la substance de l’ambition n’est que l’ombre d’un rêve [1]


Ils étaient en route pour la base stellaire la plus proche afin d’y déposer le traité signé avec les Hajiantaï, qui serait relayé jusqu’à la Terre par d’autres vaisseaux tandis que l’Enterprise poursuivrait son voyage vers des missions qui, Jim l’espérait, seraient plus intéressantes que celle-ci. En attendant ces nouvelles instructions qui, de toute façon, ne lui parviendraient pas avant plusieurs heures, James Kirk avait à régler un problème autrement plus épineux pour lui que les atermoiements du haut commandement de Starfleet, visiblement réticent à confier des missions d’importance au plus jeune capitaine de la flotte.

Et ce problème avait pour nom Gary Mitchell.

Jim était parti de la phrase prononcée par Spock – dans laquelle il affirmait que ses relations avec le pilote avaient été « extrêmement réduites et totalement professionnelles » – et avait cherché un sous-entendu possible à cette phrase, qu’il avait fini par trouver en tournant et retournant les mots dans tous les sens. Il avait alors mené son enquête auprès de divers membres de l’équipage pour constater avec effarement que Gary, s’il n’avait jamais osé affronter en face le premier officier, avait insidieusement répandu sur le compte des Vulcains des rumeurs plus ou moins vraies, qui avaient plus ou moins conduit bon nombre d’officiers non pas à éviter Spock, mais à ne pas rechercher de contact avec lui. « Les Vulcains n’aiment pas parler avec les autres », « ils ne pratiquent pas de loisirs », « ils préfèrent travailler seuls » : autant de stéréotypes véhiculés à travers les équipes – à l’exception notable des principaux laboratoires scientifiques – qui avaient eu pour conséquence l’isolement relatif du premier officier.

Relatif, car l’ensemble des scientifiques l’adoraient (contrairement à ce que lui avait rapporté Gary) et l’admiraient pour son intelligence et la manière dont il gérait ses équipes, attendant le meilleur de chacun sans jamais exiger l’impossible. Relatif, car M. Scott, qui le connaissait depuis plusieurs années, ayant servi avec lui sous les ordres du capitaine Pike, avait déclaré manger régulièrement avec le premier officier et avoir avec lui des discussions sinon enflammées, du moins passionnantes, sur des sujets divers. Relatif, car Christine Chapel, le lieutenant Masters ou le lieutenant Uhura n’avaient pas réussi à dissimuler un certain intérêt pour le premier officier… [2]

Bref, Jim avait passé une journée surréaliste et il n’était pas certain d’avoir tout à fait assimilé ce qu’il avait appris en interrogeant son équipage.

La journée avait de toute façon commencé de manière étrange, lorsqu’il s’était réveillé le matin dans la chambre gracieusement prêtée par les Hajiantaï. Après un rapide coup d’œil sur sa gauche, il avait pu constater que la moitié du lit dans laquelle il s’était couché la veille au soir était toujours fermement attachée à sa jumelle. Les draps en étaient toujours impeccablement bordés, la couverture soigneusement pliée, les oreillers empilés contre le mur arrondi. Kirk s’était hissé sur les coudes pour apercevoir son premier officier assis à la table, prenant des notes sur un PADD, à l’endroit exact où le capitaine l’avait laissé la veille. Drainé par la révélation de la malveillance de Gary et par la discussion pour le moins étrange qu’il avait eue avec le Vulcain, il s’était endormi presque instantanément, heureux de pouvoir reporter ses problèmes au lendemain. Apparemment, Spock, de son côté, n’avait pas dormi mais travaillé toute la nuit ; sa coiffure, son uniforme, sa posture restaient impeccables. Jim s’était vaguement demandé à quoi pouvaient bien ressembler ses propres cheveux (à rien), s’il avait les marques des draps sur la figure (probablement) et pourquoi il avait visiblement et copieusement bavé sur son oreiller.

Puis il s’était souvenu qu’il avait vu Spock vomir la veille, et que son apparence passablement hirsute et peu compatible avec la digne fonction qu’il occupait ne ferait que rétablir entre eux un certain équilibre. Il s’était redressé tout à fait et avait balancé ses jambes sur le côté droit du lit.

– Bonjour, Monsieur Spock.

– Bonjour, capitaine, avait répondu le Vulcain avec un signe de tête respectueux dans sa direction, mais sans examiner de trop près l’apparence fort peu digne de son supérieur au saut du lit.

– Vous… vous n’avez pas dormi du tout ?

– Divers articles scientifiques m’ont tenu éveillé une partie de la nuit, mais j’ai passé deux heures en méditation profonde. N’ayez aucun doute sur le fait que je suis aussi opérationnel qu’à l’ordinaire.

– Loin de moi l’idée d’en douter, avait affirmé Jim avec sincérité. La méditation est-elle un substitut du sommeil chez les Vulcains ?

Après tout, il avait posé des questions autrement plus embarrassantes la veille, et la réponse l’intéressait sincèrement.

– Un Vulcain peut se passer de sommeil et de nourriture pendant plusieurs semaines. La méditation permet en effet de remplacer efficacement les cycles de repos.

– Je vois. Et comment… comment vous sentez-vous ? Pas de séquelle par rapport à ce qui vous est arrivé hier soir ?

– Je suis parfaitement fonctionnel, capitaine.

Jim avait scruté pendant quelques instants le visage du premier officier, tentant de lire sous le masque impassible un quelconque signe d’inconfort ou de malaise, mais il y avait rapidement renoncé. Et, de fait, durant tout le reste des négociations avec les Hajiantaï, Spock s’était comporté comme il se comportait toujours, sans manifester le moindre signe d’indisposition physique, ni de rancœur envers Gary, qui avait rejoint les deux officiers avec le reste de l’équipe au sol. Kirk avait eu, quant à lui, beaucoup de mal à faire comme si de rien n’était, mais il avait contenu sa colère et, sitôt remonté à bord de l’Enterprise, avait laissé le commandement à Spock par peur d’exploser sur la passerelle devant les autres officiers.

Et puis, il avait une enquête à mener.

Pendant près de trois heures, il s’était promené sur l’Enterprise, de l’ingénierie aux laboratoires de science, en passant par l’infirmerie et les salles de détente. Il avait questionné, de la manière la plus neutre possible, en essayant de ne pas influencer les membres de l’équipage qu’il interrogeait de la sorte.

A présent qu’il avait en main toutes les informations dont il avait besoin, il n’y avait plus qu’à régler le problème.

Plus facile à dire qu’à faire.

Dans la théorie, il savait parfaitement comment il devait réagir. Il s’agissait d’un cas d’école, qu’il avait étudié à l’Académie et vécu en simulation quasiment tel quel (avec Gary pour premier officier, ironiquement) et pour lequel une procédure simple et classique s’imposait. Depuis leur départ de la base terrestre, il avait déjà eu à traiter quelques problèmes mineurs de discipline. Il estimait avoir proposé à chaque fois un arbitrage juste, que Spock lui-même avait d’ailleurs approuvé. Il s’agissait ni plus ni moins d’un nouveau cas à régler.

Dans les faits, agir en capitaine neutre et impartial lui semblait particulièrement difficile. Jim connaissait Gary depuis plus de quinze ans et la découverte de ce qu’il considérait comme une trahison l’avait davantage affecté que s’il avait lui-même été visé par n’importe quel autre officier de l’Enterprise. Un homme capable d’une action aussi basse, aussi mesquine, n’était digne ni de son vaisseau ni de son amitié. Une seconde chance devait cependant être offerte dans tous les cas lorsqu’il s’agissait du premier manquement d’un officier – ce qui était le cas pour Mitchell. Pendant qu’il attendait le principal intéressé, dûment convoqué par voie officielle dans la petite salle de réunion où il retrouvait généralement Spock pour le bilan de la journée, Kirk se rendit compte que le véritable problème était plus profond. Même si le jeune pilote comprenait la sanction, faisait profil bas, se saisissait de l’opportunité qui lui serait proposée d’effacer sa faute, et maintenait un comportement exemplaire, Jim ne pourrait plus jamais lui faire totalement confiance. Quelque chose s’était rompu, définitivement, car il savait bien que, si on peut toujours nouer deux moitiés de fils, il y aura toujours un nœud au milieu.

Mitchell entra d’un pas alerte, assuré, presque conquérant. Il était évident, à voir son sourire et sa posture décontractée, qu’il n’avait aucune idée de la raison pour laquelle il avait été convoqué par le capitaine.

– Vous vouliez me voir ?

Jim se leva, tâchant de se tenir aussi droit que son premier officier (ce qui était difficile), de parler avec autant d’autorité qu’un capitaine expérimenté (encore plus difficile), et de se composer un visage neutre et sévère, au lieu du rictus de colère et d’amertume qu’il avait arboré durant presque toute la journée (quasiment impossible).

– Vous vouliez me voir, capitaine, rectifia-t-il sèchement.

Surpris, Gary fronça les sourcils, mais, loin de se montrer contrit, esquissa un petit sourire ironique.

– Houlà, on dirait bien que j’ai fait une grosse bêtise et que je vais me faire gronder par la maîtresse !

Cette attitude désinvolte, enfantine, acheva d’exaspérer Kirk, qui trouva cependant en lui suffisamment de maîtrise pour répondre sans hausser le ton :

– Lieutenant-commandant Mitchell, vous avez, volontairement ou involontairement, retenu par-devers vous des informations nécessaires au bon déroulement de la mission qui vient de s’achever sur la planète Bakiyn. En tant qu’officier chargé du protocole, il faisait partie de vos attributions de transmettre aux Hajiantaï la liste des allergies et intolérances alimentaires de chacun des membres de l’équipe au sol. Vous avez effectué cette tâche partiellement ou partialement en négligeant de mentionner le refus du lieutenant-commandant Spock de consommer de la viande. Puis-je avoir des explications sur votre manquement à la procédure ?

Le jeune pilote, qui avait considérablement pâli pendant la petite tirade du capitaine, ouvrit la bouche, puis la referma sans un mot avant de se mordiller les lèvres.

– Récusez-vous les faits qui vous sont reprochés ?

– Il est possible que j’aie oublié de vérifier… commença Gary avec hésitation.

Kirk l’interrompit.

– Le but de cet entretien est de déterminer si la sanction qui va vous être infligée aura pour motif une incompétence notoire ou une malveillance caractérisée. Je précise que la première n’est pas préférable à la seconde : ces deux fautes sont aussi graves l’une que l’autre. La seule chose que j’attends de vous en ce moment, la seule chose qui pourra être portée à votre crédit, consiste en la sincérité totale de chacun des mots que vous prononcerez.

Jim avala douloureusement sa salive. Il avait décidé que si son ami lui mentait, il exigerait auprès de Starfleet son transfert immédiat sur un autre vaisseau. Et, très honnêtement, il ne savait pas avec certitude ce qu’il préférait.

– Je suis désolé, murmura Gary, les yeux baissés. Je ne voulais pas vraiment… ce que je veux dire c’est que ce n’était qu’une…

Sérieusement ?

– Je vous déconseille de dire que ce n’était « qu’une farce », lieutenant-commandant, car vous risqueriez de le regretter. Vous avez largement passé l’âge de jouer des tours à vos coéquipiers, et j’ose espérer que vous aurez la décence de reconnaître que votre comportement est inacceptable.

– Ce que je veux dire, c’est que je n’aurais jamais fait quelque chose de dangereux !

Sérieusement ?

– Comment savez-vous que vous n’avez pas mis en danger la vie de votre supérieur ? A quel moment de vos études avez-vous reçu un doctorat en médecine ?

Une goutte de sueur perla sur le front de Mitchell, qui eut le bon goût de paraître vaguement inquiet.

– Est-ce que… est-ce que Spock va bien ?

Le capitaine éluda volontairement la question.

– Reconnaissez-vous avoir sciemment dissimulé des informations importantes, que vous auriez dû communiquer, concernant M. Spock, votre supérieur hiérarchique ?

Après un silence inconfortable, Gary laissa un faible « oui » franchir ses lèvres dans un souffle. Kirk hocha la tête et répéta sa question initiale :

– Avez-vous une explication à me fournir ?

Gary, lèvres et poings serrés, ne répondit rien. Jim comprenait à quel point le jeune pilote, considéré comme un prodige à l’Académie et dont le parcours était un sans-faute du début à la fin, devait ressentir l’humiliation de ce moment, mais il ne pouvait pas se permettre de relâcher son autorité. A la moindre faille, il savait que son ami s’y engouffrerait pour minimiser l’événement. Il devait rester totalement professionnel et s’en tenir à la ligne de conduite qu’il avait choisie.

– Les propos déplacés que vous avez tenus hier soir à l’encontre de M. Spock semblent indiquer que votre action était motivée par la jalousie. Ne pensez-vous pas que M. Spock est objectivement plus qualifié que vous et que c’est pour cette raison qu’il a obtenu le poste de premier officier que vous convoitez ? Si vous avez le moindre doute à ce sujet, vous avez le droit de remplir une demande officielle auprès de Starfleet. Si vous vous en êtes pris à lui parce qu’il est Vulcain, et que vous saviez qu’il ne se plaindrait pas pour ne pas paraître vulnérable…

– Je ne suis pas comme ça et vous le savez, le coupa Gary.

Jim retint un soupir. Oui, il savait que son ami n’était pas « comme ça ». Ou, du moins, il pensait le savoir. Il pensait connaître celui avec qui il avait effectué une bonne partie de ses études, celui avec qui il avait été dans l’espace pour la première fois, celui qui avait survécu avec lui au massacre du Farragut. [3] Il le pensait, mais il n’en était plus très sûr.

– Alors expliquez-moi. Pourquoi ? Il me semble que vous me devez au moins une explication.

Mitchell se passa une main sur le front.

– J’imaginais que les choses seraient… différentes.

– Différentes ? répéta Kirk, qui ne comprenait pas où voulait en venir son ami.

– J’imaginais qu’on passerait plus de temps ensemble, tous le deux. Comme à l’Académie, ou sur le Farragut. Mais tu passes tellement de temps avec Spock, à faire tes trucs de capitaine…

Stupéfait par cette remarque, Jim ne sut comment réagir. Gary ne pouvait pas être sérieux, il ne pouvait pas être jaloux de Spock pour cette raison stupide ! Le capitaine fixa son interlocuteur pendant quelques instants pour l’inviter à se rétracter, ou du moins à expliciter ses propos, mais Mitchell gardait les yeux baissés comme un adolescent pris en faute. Et, comprit soudain Kirk dans un éclair de lucidité, c’était exactement ce qu’était Gary : un adolescent. Un adolescent que la vie avait gâté et qui réalisait tout à coup que, dans la vie, des contraintes existaient et qu’il devait s’y plier. Pour quelle raison Jim s’était-il vu offrir le poste de capitaine alors que ses résultats à l’Académie étaient similaires à ceux de Gary ? Pourquoi lui avait-on proposé de se charger d’un certain nombre de cours alors que son ami demeurait un éternel étudiant ? Pourquoi avait-il monté bien plus rapidement les échelons ? Parce que James T. Kirk avait mûri. Et que Gary Mitchell était resté un adolescent – brillant, surdoué même, mais incapable de comprendre la notion de responsabilité.

– Qu’est-ce que tu t’imagines ? explosa Jim, incapable de se contenir plus longtemps devant tant de mauvaise foi. Que je m’éclate avec Spock sans toi ? Que je m’amuse sur ce vaisseau quand je fais « mes trucs de capitaine », comme tu dis ? Oui, je passe plusieurs heures par jour avec mon premier officier, de même que je passe du temps avec les autres lieutenants-commandants, toi y compris, pour faire le point sur la marche du vaisseau, et ensuite je m’enferme dans mes quartiers pour faire de la paperasse et remplir des tas de formulaires dont je me passerais bien, mais je le fais parce que sans cela, l’Enterprise ne pourrait pas fonctionner normalement. Je le fais parce que c’est mon travail. Parce que c’est pour ça que je me suis engagé dans Starfleet, pour faire « mes trucs de capitaine ». Nous ne sommes plus à l’Académie, nous ne sommes plus de simples enseignes sans responsabilité, nous avons une mission. Il serait temps que tu t’en rendes compte ! Peut-être que la maîtresse ne t’a pas assez grondé quand tu étais petit, et que c’est pour ça que tu penses que tout t’est dû, mais il va falloir grandir, Gary. L’univers ne tourne pas autour de toi, et mon vaisseau non plus !

Jim s’interrompit, choqué de son propre éclat. Il avait cependant été parfaitement sincère : il passait vraiment des heures à travailler, à revoir le règlement, à apprendre des procédures, à faire des rapports, à recevoir ceux de ses subordonnés, à les classer, les organiser, les synthétiser, en plus de devoir prendre les décisions parfois difficiles qui lui revenaient en tant que capitaine. Il n’avait jamais autant travaillé de sa vie, ce qui lui laissait relativement peu de temps pour ses loisirs personnels. Il ne s’en plaignait pas. Il savait ce pour quoi il avait signé, il savait que cette vie lui était destinée et que le jeu en valait la chandelle. S’asseoir dans le fauteuil, donner l’ordre de passer en distorsion et voir l’espace se déformer autour de lui… Sa destinée était là, il le savait, il l’avait toujours su. Il aurait juste voulu avoir un peu plus de temps pour en profiter – mais cela viendrait, lorsqu’il se serait habitué…

A y bien réfléchir, c’était peut-être pour cette raison que les premières missions qu’on lui imposait n’avaient rien de compliqué. Il fallait probablement un peu de temps à tout capitaine pour s’habituer à sa routine spatiale avant de pouvoir commencer les véritables explorations. Un vaisseau aussi immense que l’Enterprise ne pouvait s’apprivoiser en quelques jours, ni même en quelques semaines. Le haut commandement de Starfleet n’était peut-être pas si stupide ni si cruel ni si ingrat qu’il l’avait pensé. Les missions protocolaires ou diplomatiques qu’il avait jugées sans intérêt avaient probablement pour but de le laisser s’habituer au vaisseau et à l’équipage, prendre ses marques, ainsi que l’avait sous-entendu le lieutenant-commandant Scott.

– Vous avez oublié le respect que vous devez à votre supérieur, reprit Jim sur un ton beaucoup plus calme. Vous avez fait passer vos sentiments personnels avant votre devoir. Qu’arrivera-t-il la prochaine fois ? Vous serez en colère contre moi, et vous négligerez de mentionner qu’une simple cacahuète pourrait me tuer ? Un petit choc anaphylactique, et le capitaine Kirk cessera de vous embêter ?

Mitchell tressaillit et releva la tête.

– Jim, tu ne peux quand même pas imaginer que…

– A cette heure et dans cette salle, je ne suis pas « Jim », je suis le capitaine de l’Enterprise. Je vous conseille de ne pas l’oublier. Vous quitterez le poste de pilotage pendant les deux prochains mois et serez affecté au recyclage des déchets où, je l’espère, je n’entendrai pas parler de vous.

Les yeux de Gary s’arrondirent de stupeur et peut-être de colère.

– Vous ne pouvez pas m’infliger une sanction au vu et au su de tout l’équipage alors que l’offense n’a pas été publique, protesta-t-il.

Kirk, stupéfait que le pilote ose encore se rebeller alors qu’il était en tort du début à la fin, se retint pour ne pas se remettre à hurler.

– En effet, l’offense n’a pas été publique. Néanmoins, je suis au courant de vos petites manigances pour isoler Spock du reste de l’équipage. Il suffirait de trois témoignages pour que vous soyez rétrogradé pour discrimination spéciste, et peut-être même rayé des listes de Starfleet. Est-ce ce que vous souhaitez ?

Jim espérait presque que son ami nie avec force cette nouvelle accusation, mais le fait que Mitchell baisse de nouveau les yeux acheva de le convaincre du bien-fondé de ses soupçons. Il sentit son cœur se serrer, mais s’interdit tout mouvement de colère ou de déception.

– Si vous n’avez rien à ajouter, je vous suggère d’aller vous présenter à votre nouveau poste. Si j’apprends que vous avez dit un mot à propos de cette histoire, si j’apprends que vous avez commis une nouvelle « erreur » de procédure, si j’apprends que vous avez répandu des calomnies sur votre supérieur hiérarchique, vous serez immédiatement transféré sur un autre vaisseau et rétrogradé au rang de lieutenant. En revanche, si vous effectuez vos nouveaux devoirs sans vous plaindre et avec la même efficacité qu’à l’ordinaire, vous pourrez réintégrer votre place de pilote dans deux mois, à la condition que je n’entende plus un mot de votre part à propos de M. Spock. L’équipage verra ainsi que je suis capable de sanctionner mais également d’offrir une seconde chance à tous mes officiers. Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Les poings de Mitchell se desserrèrent lentement et il secoua la tête de droite à gauche.

– Non, capitaine. Je suis disposé à présenter mes excuses à M. Spock et à faire amende honorable.

Ce brusque revirement de comportement ne surprit pas Jim outre mesure. Il connaissait Gary. Il savait qu’il avait pris conscience de la gravité de son acte, et probablement de la chance qu’il avait eue. D’un signe de tête, il congédia l’ex-et-probablement-futur-pilote. [4]

Quand la porte se referma derrière Gary Mitchell avec un chuintement, il se sentit plus seul que jamais, mais il n’avait pas le temps de gémir sur son sort : il lui restait encore beaucoup de « trucs de capitaine » à faire d’ici la fin de la journée…



[1] Encore une citation de Shakespeare… un extrait de Hamlet cette fois.


[2] Tout ceci est bien sûr non-canon, mais j’imagine que Spock a vécu une vie relativement solitaire avant de rencontrer Jim (je sais, je sais, il y a Discovery et Strange New Worlds, mais comme je n’arrive pas à accepter Ethan Peck en Spock, ça ne fait pas partie de mon canon… désolée). Tout d’abord parce qu’il ne souhaite pas spécialement se faire des amis (il est Vulcain, après tout), ensuite parce que les humains sont décontenancés face à son attitude froide et impassible. Dans mon esprit, Mitchell, doublement jaloux de Spock, a renforcé dans l’esprit d’un certain nombre de membres de l’équipage l’idée que les Vulcains sont solitaires et n’aiment pas lier des relations sociales, mais ceux qui sont professionnellement proches de Spock savent qu’il est capable sinon d’exprimer des sentiments, du moins de se montrer curieux de tout (et d’avoir des discussions scientifiques ou culturelles passionnantes). En ce qui concerne Chapel, Uhura et Charlene Masters (une lieutenant scientifique qui n’apparaît qu’une fois dans TOS mais dont j’aimerais faire un personnage récurrent dans mes fics), je pense développer un peu leur opinion sur Spock dans une prochaine fic. Je ne veux pas dire que ces trois femmes nourrissent des sentiments amoureux envers lui, mais juste qu’elles éprouvent un certain intérêt pour lui. Pour Christine, c’est canon. Pour Uhura aussi, d’une certaine façon, mais il s’agit plus de complicité entre eux (elle flirte avec lui ostensiblement, elle chante avec lui et invente une chanson sur lui dans laquelle elle dit à quel point il a brisé des cœurs sur le vaisseau…). Pour Masters, il n’y a absolument rien, mais j’aimerais en faire une lieutenant scientifique particulièrement douée, pour qui Spock joue le rôle de mentor.


[3] Il n’est jamais précisé que Gary se trouvait à bord du Farragut lorsque le « nuage » mortel a tué une bonne partie de l’équipage et le capitaine Garrovick (voir l’épisode « Obsession »), mais j’aime bien l’idée que Gary et Jim ont été à l’Académie ensemble, puis affectés sur le même vaisseau.



[4] Je n’aime pas Gary (au cas où vous n’auriez pas remarqué), mais force est de constater que dans « Where no man has gone before », Kirk et lui sont toujours amis. J’ai imaginé cette scène car je trouve que le personnage est un peu « adolescent », et pas seulement après le choc avec la barrière galactique. J’ai l’impression que c’est le genre de choses qu’il pourrait faire, mais ce n’est qu’une interprétation de ma part. Je pense que Jim va prendre du recul par rapport à Gary, rester ami avec lui mais se rendre compte qu’il ne peut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Il va alors se rapprocher de Spock à ce moment-là (et renouer avec Bones, cf. le prochain et dernier chapitre de cette histoire).

Laisser un commentaire ?