In Medias Res - Star Wars Knights of The Old Republic

Chapitre 9 : Ville Basse - Gadon Thek

6468 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/11/2022 10:38

Bonjour !


Petit chapitre que j'ai bien eu du mal à écrire (j'ai eu du mal à m'y mettre plutôt). Pardon pour les éventuelles coquilles. La période est difficile pour moi, j'ai le cerveau très fatigué. Quand j'en repère, je corrige sans trop attendre.

J'espère que ce passage vous plaira. Comme souvent quand j'écris, j'ai une ligne directrice, mais je n'ai pas d'idée précise de la tournure de mes scènes. Je les construis au fur et à mesure en essayant d'être aussi cohérente que possible.


Pour ceux qui connaissent le jeu dans les moindres détails, il y a bien sûr des petites choses qui ne correspondent pas au récit de KOTOR (notamment l'histoire en Gadon et Brejik, je me suis autorisée à faire un peu à ma sauce).


Merci beaucoup. Bonne lecture.


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J'avais parcouru une courte distance à travers la ruelle qui desservait l'appartement où Mission et Zaalbar m'avaient emmené, quand je remarquai dans un coin que plusieurs paires d'yeux me fixaient intensément. Je levai la tête et constatai que trois employés de la cantina prenaient une pause à l'extérieur. L'un d'eux, assis sur une caisse de provisions, fumait un genre d'herbe particulièrement odorant. Assurément rien de bien légal. Mais rien ici n'était réellement illégal. Les deux autres employés étaient sans doute en pleine discussion, à quelques pas du fumeur sur sa caisse. Ces types me dévisageaient. Il devait sans doute se demander ce que je fabriquais ici, à les examiner comme des monstres de foire. Je me rappelai que, vêtu comme je l'étais, ces hommes voyaient en moi un membre de gang, un Bek Caché. Il fallait se comporter comme tel.

 

Mais à quoi pouvait bien ressembler la conduite d'un membre d'une bande de voyous de la Ville Basse de Taris ?

 

Nul besoin de réfléchir longuement. Je lançai un regard sévère aux trois hommes. Puis, faisant un pas vers eux, j'aboyai :

 

« Quoi ? Vous avez un problème ? »

 

Soudain, les mines interrogatives des trois individus disparurent et cédèrent la place à une moue intimidée. L'homme sur la caisse leva les deux mains, son bâtonnet d'herbe fumant entre deux doigts, en signe de défense :

 

« Non l’ami ! » Répliqua-t-il. « On fait juste une pause, on ne veut pas d'ennuis. »

 

Je profitai de ce bref instant pour le fixer de mon regard froid.

 

« Bien. » Repris-je. « Dans ce cas, bonne soirée à vous messieurs. »

 

Je terminai sur un ton plus aimable. Les Beks cachés étaient certes officiellement des criminels, mais ils jouissaient d'une bien meilleure réputation que leurs homologues Vulkars. Ce n'était pas le moment de compromettre cette image, certainement fragile. Ni de se faire remarquer en se comportant comme une brute sans cervelle.


Je repris ma route, laissant les trois hommes derrière moi. Je traversai d'innombrables venelles et rues desservant une multitude d'unités résidentielles, dont certaines semblaient être d'un niveau relativement honnête, tandis que d'autres ne formaient qu'un amas de minuscules logements, sans doute destinés à des ouvriers isolés et sans ressources. La simple image de tous ces pauvres gens vivant dans des conditions aussi misérables suffisait à me faire ressentir une profonde honte. Bien sûr, ma situation actuelle ne ferait envie à personne. Mais il était très improbable que je vive un jour la même chose que tout ce monde.

 

Plongé dans mes réflexions, je n'avais même pas remarqué que le temps avait passé et que je venais de quitter le quartier résidentiel. Ce fut l'arrivée devant une vaste place grouillante de monde qui me tira de mes pensées. Un autre pôle de petits commerces vraisemblablement. Seulement, les marchandises ici n'étaient pas des bijoux et des bibelots sans valeur. Il s'agissait plutôt de produits de première nécessité : fruits, légumes, viande, céréales. Je me demandais comment ces gens parvenaient à se procurer de telles quantités de nourriture, dont on n'attendrait pas qu'elle soit si opulente dans une telle ville. La population locale se pressait autour des étals, les vendeurs présentaient leurs produits avec force. Ici et là patrouillaient des individus équipés de tenues similaires à la mienne. Comme indiqué dans les renseignements donnés par Mission et Zaalbar, je me trouvais enfin sur le territoire des Beks Cachés. Si mes souvenirs étaient bons, je devais maintenant prendre la rue opposée et marcher encore quelques kilomètres pour atteindre mon but : la base des Beks.

 

Sans attendre, je me frayai un chemin à travers la foule, tout en évitant de croiser de trop près mes collègues du soir, et je gagnai ainsi la rue. Cette dernière était assez animée, mais rien de comparable avec la place. Je pouvais me déplacer assez aisément. À mesure que je progressais, la présence des habitants se faisait de plus en plus rare, pour devenir totalement inexistante. Peut-être que la proximité de la base des Beks effrayait les locaux ? D'après ce que je savais des Beks, ils étaient connus pour faire preuve d'intelligence et de sollicitude envers la population. Or la population, même si elle se gardait de s'approcher de trop près d'eux, pouvait mener ses activités à quelques dizaines de mètres de la base des Vulkars, pourtant considérés comme des sauvages simplets. Tout cela n'avait pas de sens.

 

Tandis que mes jambes ne cessaient de me porter à travers la Ville Basse, je repérai au loin une petite silhouette installée sur le bord droit de la ruelle, un blaster à la main. En m'approchant, je constatai qu'elle gardait une large porte. Ce devait être cela. Il s'agissait certainement d'une vigile. La petite personne était de toute évidence une femme, à la peau foncée et aux cheveux ras. A quelque dizaines de mètres de la femme, celle-ci tourna soudainement la tête vers moi, affichant une expression plus que méfiante. Elle serra son blaster entre ses mains, et vira tout son corps pour me faire face. Je continuai doucement ma route, mais arrivé à une distance raisonnable d'elle, je décidai de m'arrêter.

 

« Vous voulez quoi ?! » Demanda-t-elle aussitôt, pointant alors son blaster sur moi.

 

« Sivir m’envoie ! » Dis-je en levant mes deux mains, espérant la persuader que mes intentions étaient louables. La vigile sembla perplexe. Sans jamais baisser son arme, elle poursuivit l’échange :

 

« Montrez votre visage ! »

 

Je hochai la tête en signe de respect. Tout doucement, je m'employai à défaire les bandes qui composaient ce que Mission appelait un "passe-montagne". Mais ce n'était pas une mince affaire. Ce semblant de turban était solidement enroulé autour de ma tête, et je ne parvenais pas à trouver le moyen de le défaire. Une minute passa. Une interminable minute pendant laquelle je demeurais incapable de retirer cette satanée chose. La femme allait finir par perdre patience, cela allait de soi. Pourtant, je la vis abaisser les mains et accrocher son arme à sa ceinture, juste à côté d'une petite matraque électrique. Puis elle me fit signe de m'approcher. Je m'exécutai sans hésiter. Elle attrapa délicatement mon bras de ses deux mains et appliqua une légère pression, pour tenter de me rabaisser.

 

« Penchez-vous, je vais vous aider. » Dit-elle chaleureusement.

 

Je lui obéis et m'assurai que la femme puisse atteindre ma tête. En quelques secondes, j'étais débarrassé du vêtement. Par réflexe, je pris une grande inspiration puis la relâchai progressivement. Je regardai la vigile, qui confectionnait une sorte de pelote avec les bandes entre ses mains. Elle me souriait.

 

« C'est vrai que vous êtes pas mal. » Ajouta-t-elle d’une voix espiègle, avant de se diriger vers un terminal dissimulé près de la porte.

 

Je ne répondis pas. Ce commentaire m'avait momentanément laissé pantois. Mais je ne m'y attardai plus. Je fis quelques pas vers la femme, dans l'attente qu'elle termine ses manipulations. En cet instant de flottement, je tournai la tête sur la rue, dans son prolongement. Je ne l'avais pas noté tout à l'heure, mais au loin se dressait un soldat Sith, encerclé de lourdes tourelles automatiques, surveillant également une porte vers je-ne-savais-quoi.

 

Je n'eus pas le loisir d'obtenir des réponses à mes interrogations : la porte de la base des Beks s'ouvrant devant moi.

 

« Allez, entrez. » Me dit la vigile. « Vous êtes attendu, on vous aiguillera une fois à l’intérieur. »

 

« Merci. » Me contentai-je de répondre avant de chercher à pénétrer dans la base. La femme m’arrêta néanmoins dans mon élan :

 

« Je vous mets quand même en garde : si vos intentions sont mauvaises, vous mourrez aujourd'hui. Vous avez encore le temps de changer d'avis. »

 

Je fixai la vigile, sans révéler mon état d'esprit. Après quelques secondes, je lui adressai un sourire sincère et franchis enfin la porte.

 

 

Aussitôt que je posai le pied à l'intérieur de la base, deux gardes peu bavards vinrent à ma rencontre et me firent signe de les suivre. Je hochai la tête et les laissai me précéder de quelques foulées. Nous passâmes un premier sas de sécurité, qui déboucha sur un immense espace, comme une agora fermée, dans laquelle déambulaient des poignées de Beks Cachés. Tous, à mon apparition, se mirent à me suivre intensément du regard, et ce jusqu'à ce que je quitte leur champ de vision. Les deux gardes me conduisirent dans un long couloir, dont les murs étaient presque littéralement tapissés de toutes petites tourelles, prêtes à faire feu sur tout visiteur indésirable. De toute évidence, Gadon Thek n'était pas une personne qu'on pouvait approcher si facilement. Le couloir se terminait par un large accès renforcé, lui-même protégé par deux grands droïdes sentinelles. Ces machines avaient une stature au moins aussi impressionnante que celle de Zaalbar. Il s'agissait de modèles employés par les militaires. Mais ils n'avaient pas pour autant l'air fraîchement sortis de l'usine, bien au contraire. Leur carcasse entière était mouchetée de rouille, quand elle n'était pas tout bonnement cabossée par les probables affrontements qu'elle avait connus. L'un des gardes qui m'escortait extirpa un petit bloc de données de sa poche et le présenta aux droïdes. Dans une chorégraphie parfaitement synchronisée, les deux robots braquèrent leur tête sur l'objet et un faisceau d'une lumière bleue en balaya la surface. Lorsqu'ils eurent terminé, la porte s'ouvrit et les droïdes s'écartèrent, manifestant ainsi leur accord pour nous laisser passer.

 

Ou plutôt pour ‘me’ laisser passer.

 

« Allez. » Vocalisa finalement l’un des deux gardes. « Le patron vous attend. »

 

Aussitôt, je m'exécutai et franchis la porte, ce qui me conduisit dans un vestibule lui aussi couvert par une myriade de petites tourelles. Dans un accès de paranoïa, je me mis à frissonner et je décidai de rejoindre l'autre côté de la pièce, en priant pour que ces tourelles aient été correctement informées de mes intentions.

 

Aussitôt échappé du vestibule, je me retrouvai dans une sorte de hall d'entrée baigné d'une lumière chaude et apaisante, émanant d'une petite lampe sur pied, elle-même disposée sur un guéridon. Au pied de ce dernier, recouvrant une majeure partie du sol, se déroulait un tapis brun foncé, contribuant à réchauffer encore un peu plus l'endroit. L'atmosphère qui régnait ici était d'une intimité réconfortante. Il se dégageait de cet endroit une aura saine, une force bienveillante qui circulait. Un sentiment de bien-être. Cela contrastait tellement avec tous les lieux que j'avais fréquentés jusqu'ici. Même l'appartement que Carth et moi occupions, qui était pourtant un véritable sanctuaire après toutes les épreuves que nous avions traversées, ne pouvait procurer un millième de la chaleur qui existait ici. De toute évidence, je me trouvais dans le domicile privé du chef de gang. Et ce domicile était vraisemblablement habité par une énergie très positive.

 

Etrange.

 

Je réalisai à cet instant, sans avoir bougé un cil depuis que j'avais quitté le vestibule, que je m'étais, pour ainsi dire, à nouveau perdu dans une brise émotionnelle d'une nature comparable à celle que j'avais ressentie dans l'ascenseur de la Ville Basse. Quelque chose me semblait familier. Mais c'était plus diffus. La première fois, je croyais réellement avoir perçu une sensation qui ne provenait pas de moi. Une présence insondable, mais teintée d'une immense douceur. Ici, il ne s'agissait que d'une perception plus générale de l'environnement, certes plaisante, mais l'expérience était différente.

 

Une voix se fit entendre, me tirant de mes préoccupations.


« Ah bonjour, cher ami ! »

 

Je levai les yeux et je découvris un homme au regard incroyablement clair qui me souriait généreusement, à quelques mètres de moi. Il était vêtu d'un chandail noir ample et d'un pantalon large charbonneux, dont les ourlets retombaient délicatement sur ses pieds nus. Malgré sa tenue plutôt lâche, on pouvait dire que l'homme était d'une stature moyenne, une carrure svelte, peut-être même athlétique. Cela était d'autant plus notable que le col évasé de son chandail révélait les lignes de sa musculature, elle-même soulignée par la carnation noire de l'homme.

 

« Ne restez pas là. » Poursuivit-il avec bienveillance, promenant une main sur sa tête nue. Réminiscence probable d'un réflexe appartenant au passé. « Venez, entrez. » Termina l’homme, m’enjoignant de le suivre.

 

« Merci. » Me contentai-je de répondre, quelque peu troublé. Je suivis alors l’homme dans une autre pièce.

 

« Prenez un fauteuil, installez-vous. » Invita l’homme.

 

Je me trouvais désormais dans un petit salon, également plongé dans cette même lumière, dans cette même chaleur. Au cœur de la pièce étaient disposés un imposant canapé marron, et deux grands fauteuils de la même teinte qui se faisaient face. Je m'approchai de l'un d'eux et je m'assis calmement. Je m'attendais à ce que l'homme prenne place dans le deuxième fauteuil, mais je fus surpris de constater qu'il préféra le canapé et il s'installa à l'extrémité la plus proche de moi. Il reposa un bras sur le robuste accoudoir et, ses yeux clairs scellés sur les miens, il me demanda :

 

« Je vous offre quelque chose à boire ? »

 

L'homme avait été particulièrement accueillant jusqu'à présent. Et, même s'il était à la tête d'un gang, ce que j'avais entendu à son sujet était plutôt positif. Cependant, je préférais ne pas prendre de risques inutiles en ingurgitant je ne savais quoi dans la demeure d'un chef d'une organisation prétendument criminelle.

 

« Non merci, j’ai déjà dû boire cet épouvantable remontant à la cantina. Je ne sais pas si je m’en remettrai. » Répondis-je derrière un rire étouffé.

 

L'homme se perdit un instant dans un authentique éclat de rire. Il finit par se reprendre et reprit d'une voix oscillant entre l'amusement et l'exaspération :

 

« Les fantaisies de Sivir finiront par nous coûter cher. »

 

« Ca me fait mal de l’admettre, mais je crois savoir qu’elles étaient plutôt justifiées. » Dis-je, soucieux malgré moi de défendre la jeune femme, qui avait finalement été digne de confiance.

 

« Vous avez raison. » Répondit l’homme platement avant d’ajouter : « Excusez-moi une seconde. »

 

Je le vis se courber et attraper une petite boîte posée sur une table basse devant le canapé. Il l'ouvrit et en tira un petit flacon, rempli d'un liquide translucide. Il dévissa le bouchon, le posa à côté de lui sur l'un des coussins du canapé et amena d'un geste vif la fiole au-dessus de sa tête. Dans le même temps, il se pencha en arrière et plaça la fiole devant un œil. Quelques gouttes tombèrent sur le cristallin. L'homme procéda à la même opération sur son autre œil. Puis il reprit sa position initiale, replaça le bouchon et rangea la fiole dans la boîte, laquelle regagna la surface de la table basse.  

 

« Des problèmes de vue ? » Demandai-je dans une curiosité qui se voulait malgré tout respectueuse.

 

L’homme poussa un rire amusé.

 

« Oui et non. » Répondit-il énigmatiquement. « Oui, car malgré ma condition, mes yeux me font parfois souffrir. »

 

Je fronçai les sourcils. Sa condition ?

 

« Et non, car étant totalement aveugle, je ne peux plus me plaindre de problèmes de vue. » Finit-il dans un autre rire.

 

Ce type était aveugle ? Cela ne m'avait pas effleuré l'esprit une seule seconde. Il semblait si présent. Mais en étudiant de plus près ses yeux, il m'apparut clairement qu'un tel éclat ne saurait être inné chez un humain. Je considérais la teinte des yeux de Bastila Shan comme particulièrement remarquable. Mais ceux de cet homme avaient quelque chose de surnaturel. Ils n'étaient pas bleus, ils n'étaient pas gris : ils étaient blancs. Une iris immaculée encerclant le noir profond de sa rétine. C'était une teinte absolument hors du commun. Elle ressortait d'autant plus nettement sur la peau noire de l'homme. Il dégageait un charme indéniable, une force évidente.

 

« Je vous prie de m’excuser, je n’en avais aucune idée. » Finis-je par vocaliser, soudainement mal à l’aise.

 

« Il n’y aucun mal. » Répondit l’homme. « Il y a bien longtemps que je me suis fait à ma particularité. » Ajouta-t-il en souriant, avant de prendre une courte pause.

 

« Je suis Gadon Thek, au fait. » Reprit l’homme.

 

Je souris. J'avais oublié que nous ne nous étions même pas encore formellement présentés.

 

« Corem Galhor. » Répondis-je avec le même sourire.

 

« Je suis content de rencontrer quelqu’un comme vous Corem. » Admit Gadon, ses yeux invalides paradoxalement fixés sur moi. « Ça nous change de la racaille de Brejik. »

 

 « Le chef des Vulkars, c’est ça ? » Interrogeai-je.

 

« Vous appelez ça un chef ? » Rétorqua l’homme soudainement tendu.

 

« Je ne fais que répéter les maigres informations dont je dispose. » Répondis-je sur la défensive.

 

Gadon sembla alors se décrisper. La tête basse, il prit une grande inspiration. Ses doigts fins entreprirent de gratter nerveusement une petite zone de tissu sur l'accoudoir.

 

« Je ne voulais pas vous offenser, Gadon. » Tentai-je, soucieux de ne pas braquer mon hôte.

 

« Vous ne m’offensez pas. » Rassura l’homme, regagnant mon visage. « Je suis le premier à l'avoir mentionné. Le sujet est sensible. »

 

Le chef de gang prit une autre bouffée d'air, qu'il libéra d'un souffle puissant.

 

« Brejik était mon second à une époque. » Annonça Gadon, un soupçon de pudeur dans sa voix. « Il était comme notre deuxième enfant. »

 

Leur deuxième enfant ?

 

« C'était un gamin du camp de réfugiés. Il avait été capturé par des esclavagistes qui comptaient le vendre. On l'a sauvé de ces gens. On a pris soin de lui. On l'a aimé comme s'il était notre propre enfant. On l'a éduqué du mieux qu'on pouvait, dans un environnement qui, je le concède, n'a rien de recommandable. Mais c'était ça ou une vie misérable chez les réfugiés, ou pire : la vie d'un esclave. »

 

Par conséquent, Gadon avait en quelque sorte arraché le petit Brejik à sa famille vivant dans ce camp de réfugiés, non ? Beaucoup d’informations en si peu de temps. Gadon avait un autre enfant ? Une compagne ? Etaient-ils présent dans cet appartement ?

 

« Mais Brejik, en dépit de tout l'amour qu'on lui portait, était un garçon qui aspirait à la gloire et au succès. Il voulait être le premier en tout. Pas le meilleur. Le premier. »

 

Gadon marqua une nouvelle pause. Il porta une main à son œil et essuya les quelques larmes qui tentaient de s'échapper. Puis il contracta sa mâchoire et ferma ses paupières avec toute sa force.

 

« Pardon. » Me dit-il péniblement. « Les larmes ont tendance à me brûler les yeux. » Il se pencha en avant et plaqua la paume de ses mains contre chacun de ses yeux. Il resta ainsi pendant quelques instants. Ensuite, il se redressa et souffla douloureusement.

 

« Ironique n’est-ce pas ? » Demanda-t-il derrière un faux sourire. « Avoir des yeux qui ne peuvent pas voir, mais qui me font un mal de chien. La double peine. »

 

Je ne sus pas quoi lui dire. Je ne pouvais pas apporter de réconfort à cet homme. Je percevais sa douleur. Pas uniquement la douleur physique, mais aussi celle qui paraissait inscrite à jamais au plus profond de son cœur.

 

« Force était de constater que Brejik n'a jamais été le plus doué pour quoi que ce soit. Mais nous, on s'en fichait. C'était notre fils. » Poursuivit finalement Gadon d'une voix chevrotante. « Mais il a fini par réussir à être le premier. En trahissant les gens qui tenaient à lui. »

 

Gadon Thek se leva. Il fit quelques pas en direction d'un terminal encastré dans la cloison, faisant face au canapé. Je le suivis du regard. Il entreprit de mettre l'appareil sous tension, par la voix. Puis il donna la commande suivante :

 

« Lis le film numéro huit. »

 

Le terminal obéit à la voix de son propriétaire. Une image apparut. On pouvait voir une femme assise par terre. Près d'elle se dressait un tout petit lit. Et tout autour d'elle, des draps, des couettes et des oreillers étaient chaotiquement disposés. Elle affichait un sourire radieux. On pouvait entendre des rires et des cris d'enfants. Soudainement, l'auteur de ces vocalises surgit dans l'image, se blottissant contre cette femme, qui était de toute évidence sa mère. C'était une petite fille d'environ six ans. Toutes deux riaient aux éclats. Un instant de joie pure entre un enfant et son parent. Ou plutôt ses parents. Le père devait être celui qui captait la scène. Un soupçon qui se vit confirmé quand j'entendis une voix grave éclater de rire à son tour. Celle de Gadon. L'homme immortalisait un moment heureux de sa vie avec sa fille et sa compagne.

Qu’était-il arrivé à ces personnes ?

 

Je me sentis subitement incommodé. Une sensation atroce venait envahir tout mon corps. Elle prenait racine dans mes pieds et remontait tranquillement mais violemment. Que se passait-il ? Je relevai les yeux vers Gadon, qui paraissait prêter une oreille attentive à la bande, sans se rendre compte de mon état soudain. Ma respiration se faisait de plus en plus oppressante à mesure que le film progressait. Et tandis que le temps filait, Gadon apparaissait de plus en plus triste, et moi de plus en plus en souffrance. Ce n'était pas la souffrance empathique d'une âme compatissante. Cela allait bien au-delà. Et alors que cette douleur me broyait intérieurement, l'angoisse de l'incompréhension se joignit à la marche. À tel point que, pendant un bref instant, la question de savoir si je réussirais à surmonter cette épreuve me taraudait. Je devais rester tranquille. Je baissai la tête, je fermai les yeux et pris plusieurs longues inspirations. Petit à petit, je sentais le calme revenir en moi. Toutefois, au moment où le terminal se tut, une ultime salve douloureuse déferla en moi, avant de disparaître aussi vite qu'elle était survenue. Gadon ordonna l'arrêt du dispositif et revint s'asseoir sur le canapé.

 

Alors qu’il s’installait, le chef de gang me lança un bref coup d'œil intrigué. Puis il saisit à nouveau la boîte et s'activa à remettre quelques gouttes de la solution dans ses yeux. Un grognement de soulagement échappa à ses lèvres lorsqu'il remit la fiole et la boîte à leur place.

 

« Vous vous sentez bien ? » Me demanda-t-il.

 

Mes yeux s'écarquillèrent. Il avait finalement perçu mon inconfort.

 

« J’ai eu un moment un peu difficile. » Admis-je. « Rien de grave, c’est passé. »

 

L’homme n’ajouta rien. Il se laissa glisser avec désinvolture au fond de son siège.

 

« C’étaient ma femme et ma fille. Il y a presque vingt ans. » Annonça-t-il douloureusement.

 

« Oui. » Me contentai-je de répondre.

 

« Elles sont mortes. »

 

Un silence imprégna la pièce. Je ne m'attendais à rien d'autre. Ce que j'avais ressenti correspondait tout à fait à la douleur d'un homme à qui on avait arraché ce qu'il avait de plus cher. Mais pourquoi avais-je été si affecté par son état ? Comme s'il s'agissait de moi.

 

« Brejik les a tuées. En essayant de me tuer. » Reprit l’homme. « Je ne pense pas qu'il voulait que ma femme et ma fille meurent, mais si cela lui permettait de me mettre hors-jeu, alors soit. Le fait est qu'il a sacrifié ma famille, en croyant pouvoir m'avoir avec elle. Mais je suis toujours là. De ma personne, il n'aura eu que mes yeux. »

 

« Je suis sincèrement désolé, Gadon. » Lui dis-je avec compassion. Ce qu'il me racontait était proprement effroyable. Comment pouvait-on survivre à une telle tragédie ? La perte de ses amours par une personne à qui on avait voué le même attachement. Comment pouvait-on se remettre de cela ?

 

« Vous voulez vous venger ? » Demandai-je alors.

 

« Non, Corem. » Répondit l’homme d’une voix empreinte de sagesse.

 

« Ce que je veux, c'est qu'il comprenne que le pouvoir qu'il a conquis en accomplissant ces atrocités ne dure qu'un temps. Je veux qu'il comprenne que malgré ma douleur, malgré ma condition, je suis resté digne. J'aimerais pouvoir le raisonner. Il est mon dernier lien avec mon passé. »

 

Il était difficile de concevoir ce que je venais d'entendre. Non seulement Gadon parvenait à rester debout, mais il était également résolu à reconduire Brejik auprès de lui. Lui avait-il pardonné ?

 

L'homme en face de moi était une personnification parfaite de la générosité. Il témoignait d'une prodigieuse grandeur d'âme. Plus nos échanges se prolongeaient, plus je prenais conscience de la genèse de sa réputation si positive. C'était un être merveilleux qui me parlait, qui me livrait ses plus profondes douleurs. Je me sentais presque fier de me trouver près d'une telle personne. Il était plus qu'évident que si cet homme me rendait service, je lui devais une contrepartie. À cet égard, je ne devais pas négliger mes propres objectifs trop longtemps.


« Si je peux faire quoi que ce soit pour vous aider dans ce projet, j'en serais honoré. » Annonçai-je alors en toute sincérité. Mais j'espérais aussi, derrière cette proposition, que Gadon et moi puissions aborder le sujet "travail". Je regrettais de le presser dans un moment pareil, mais ma situation l'exigeait.

 

« Vous pouvez nous aider. » Répondit calmement l’homme. « Mais je crains que ce ne soit que pour une mission moins noble. » Précisa-t-il.

 

« Où voulez-vous en venir ? »

 

« Je sais que vous avez besoin d’aide pour retrouver votre… collègue. » Reprit l’homme qui semblait subitement ragaillardi. « Vous voudriez assister à la course de fonceurs dont elle est le prix, c’est bien ça ? »

 

« L'idée serait plutôt de profiter de l'événement pour la sortir de là, et non pour y assister. » Plaisantais-je avant de poursuivre plus gravement. « De toute façon, je ne sais même pas s'il s'agit vraiment d'elle. On est dans une situation extrêmement fragile. »

 

« Pas tant que ça, croyez-moi. » Rétorqua Gadon avec certitude.

 

« Pardon ? »

 

Gadon esquissa un sourire espiègle. Il commanda la réactivation de son terminal et lui ordonna d'afficher un certain registre. Des données apparurent. Mais impossible de les lire depuis mon fauteuil. Je me levai et me dirigeai vers l'écran :

 

« Bonjour Zaerdra.  Brejik a bien mis la main sur les dernières capsules qui se sont écrasées près des égouts, côté camp des réfugiés. Notre informateur nous a fait savoir qu’il y avait trouvé deux Jedi morts et un officier général en vie, mais mal en point. D’après ce qu’on en sait, elle correspond bien à la description que vous nous avez donnée du "petit singe savant". »

 

Le ‘"petit singe savant" ? S’agissait-il d’un sobriquet qu’on devait aux Beks Cachés ou Bastila Shan était couramment surnommée ainsi ?

 

« Votre Jedi est bien entre les mains de Brejik. » Confirma Gadon depuis le canapé.

 

Je quittai l’écran des yeux et me tournai vers lui.

 

« Mais si, vous, vous savez de qui il s’agit, il y a de fortes chances que les Vulkars aussi ! » M’alertai-je.

 

« Des chances, oui. » Corrigea l’homme. « De "fortes chances", j’en suis moins sûr. Les Vulkars sont d’anciens Beks, en quête de sensations fortes et de gloire dans la Ville Basse. La plupart ne s’intéresse pas aux affaires de la République. Votre Jedi est très célèbre, certes. Mais elle a eu l’intelligence d’être en tenue militaire, et sans insigne pour autant que je sache. Ce qui a fait d’elle un officier ordinaire. Une très belle prise, mais rien qui ne puisse laisser penser qu’il s’agit du petit prodige de l’Ordre. »

 

« Je l’espère… » Prononçai-je avec inquiétude.

 

« Si Brejik avait compris qu'il avait Bastila Shan en sa possession, il l'aurait immédiatement remise aux Sith, moyennant une généreuse rémunération ou de précieux services. Et ils auraient quitté la planète depuis bien longtemps. Leur présence ici est la preuve qu’elle n’a pas encore été reconnue. Et Brejik doit certainement la garder très précieusement loin des yeux de ses hommes. Elle ne doit pas avoir beaucoup de contacts. D’autant plus de chances pour elle de passer inaperçu. »

 

« Oui, ça se tient. » Admis-je avant de libérer un souffle. Lentement, j’initiai le mouvement pour regagner mon fauteuil. Une fois installé, je lançai un regard à Gadon, et m’adressai à lui :

 

« Vous pouvez m’aider à la retrouver ? »

 

« Je peux. » Répondit l’homme, qui s’appuya plus franchement sur l’accoudoir. « Mais vous devrez m’aider d’abord. »

 

« Qu’est-ce que je peux faire ? »

 

« Gagner la course de fonceurs pour les Beks. » Répliqua l’homme derrière une sourire que j’espérais taquin.

 

« C’est une plaisanterie ? » Questionnai-je sèchement.

 

« Non. » Rétorqua Gadon. « Vous avez beaucoup de talent, mon ami. » Ajouta-t-il. « Je veux que vous soyez mon champion. »

 

« Je n’ai jamais conduit un tel engin ! » Contrai-je avec urgence. « La dernière fois que j’ai posé les mains sur une commande de speeder, ça m’a envoyé à l’hôpital, et j’y suis resté des mois entiers ! Vous ne pouvez pas me demander ça ! Ça n’a aucun sens ! Ni pour moi, ni pour vous ! »

 

« J’ai l’intime conviction que vous serez en mesure de gagner cette course. »

 

Je pris une pause, le souffle haletant. Je fixai Gadon Thek. J’étais totalement déconcerté.

 

« Et ça vous suffit ? » Demandai-je, incrédule.

 

« Oui. » Confessa l’homme. « Mais je peux vous donner un coup de pouce. »

 

Je plissai le front, expectatif.

 

« Nous développons depuis plusieurs année un prototype d’accélérateur particulièrement prometteur. » Commença Gadon. « Je peux l’installer sur le fonceur que vous piloterez, ce qui vous donnerait un avantage considérable. »

 

« Vous me proposez de tricher, si je comprends bien. » Répondis-je platement.

 

« Oh, vous souhaitiez absolument sauver votre Jedi loyalement ? » Questionna l’homme sans attendre de réponse. « Je vous réexpose le projet : vous êtes mon champion, vous participez à la course sous la bannière des Beks. Vous pilotez notre meilleur fonceur équipé de notre prototype. Vous gagnez la course. »

 

« Finalement, je comprends mieux pourquoi vous vouliez que ce soit moi votre pilote. Soyez honnête et avouez que je ne suis que votre cobaye. » Dis-je avec gravité.

 

« Il y a un peu de ça, c’est vrai. » Admit Gadon. « Mais j’ai étrangement un très bon pressentiment vous concernant. »

 

« Me voilà rassuré. » Ironisai-je. « Est-ce que je peux au moins voir le véhicule avant ? Est-ce qu’on peut me le faire essayer avant que je vous le plante pendant la course ? »

 

Gadon sembla hésiter.

 

« Il y a une petite subtilité que je ne vous ai pas encore présentée. » Répondit le chef Bek, soudainement embarrassé. « Ce prototype d’accélérateur nous a été volé par les Vulkars il y plusieurs semaines. Il faudrait qu’on le récupère. »

 

« Attendez. » Interrompis-je, en me redressant, les coudes reposant désormais sur mes genoux. « Vous voulez récupérer et installer un appareil qui vous a été volé par les Vulkars, pour gagner une course elle-même organisée par les Vulkars ? » Résumai-je avec exaspération. « Comment vous pouvez imaginer qu’une telle machine puisse être autorisée à concourir dans ces conditions ? Vous ne croyez pas que les Vulkars vont découvrir le pot aux roses ? »

 

« L’organisation de la course n’est pas du fait des Vulkars. » Corrigea Gadon. « Brejik certes fournit et décerne les prix, ça ne fait pas de lui l’organisateur. D’ailleurs, il a beau essayer de soudoyer la fédération pour gagner de l’influence, cette dernière se tient, pour l'instant, plutôt de notre côté. Elle n’aime pas l’idée de voir un champion Vulkar gagner. Elle fermera les yeux. »

 

« Bon sang, quel merdier… » Soufflai-je.


« Je ne vous le fais pas dire. » Répondit Gadon, qui semblait presque amusé. « De toute façon, la priorité, c’est de récupérer l’accélérateur. »

 

« J’espère effectivement que vous le récupèrerez à temps. » Lui dis-je avec distance, mais conscient que la suite de l’histoire ne jouerait pas en ma faveur. 

 

« C’est pour ça que je vous recommande de retrouver Mission Vao. Je crois que vous l’avez déjà rencontrée. La base Vulkar a une entrée discrète qu’on peut rejoindre par les égouts. Et Mission est la personne qui connait le mieux les égouts du secteur. »

 

 « Ça fait plusieurs services rendus en contrepartie, tout ça, non ? » Questionnai-je d’une voix défaite.

 

« A combien de temps estimez-vous l’espérance de vie de la République sans Bastila Shan ? » Répliqua le chef de gang.

 

Je soupirai. Je n’avais pas d’autre option. J'étais maintenant certain que le prix remis au vainqueur de cette dernière course de la saison était Bastila. Je devais faire tout ce qui était possible pour la retrouver.

 

« Vous pouvez au moins me dire où se trouve Mission, en ce moment ? » Demandai-je.

 

« Elle doit être en vadrouille avec Zaalbar. » Répondit Gadon. « Elle reviendra probablement dans la nuit. En attendant, vous pouvez rester ici. Reposez-vous. Nous reparlerons de tout ça plus en détails demain, avec Mission. »

 

Je hochai la tête.

 

« Très bien. » Dis-je sans émotion.

 

Nous demeurâmes dans le silence pendant un court moment. Je repassais en revue tout ce que je venais de vivre dans cette pièce. La convivialité des lieux, le sourire amical d'un chef de gang, sa douleur et, malgré les péripéties surréalistes à venir, je me remémorais le message transmis à je ne savais qui, affirmant que Bastila Shan était en vie et que nous savions enfin comment la trouver. A cet instant, une interrogation assurément dépourvue de tout intérêt me traversa l'esprit, comme un éclair de lucidité quelque peu superficiel. Je repris alors la parole :

 

« Qui est Zaerdra ? »

 

Gadon Thek se perdit une fois encore dans un accès de rire :

 

« Haha, ne vous en faites pas. Elle saura se présenter à vous très vite, faites-moi confiance. »


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