La Trilogie de l'Expansion

Chapitre 2 : Sombres présages

Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/05/2013 12:10

La journée s'annonçait belle, ce matin-là, sur l'île Estalle. Comme tous les matins, un long flot d'immigrants sortait de l'astroport. Une petite silhouette mince se dirigeait à pas rapides et sveltes vers la sortie. C'était un petit adolescent Humain, d'à peine quatorze ans, portant une combinaison blanche, avec pour seul bagage un sac à dos. Il paraissant plus jeune qu'il ne l'était en réalité : petit pour son âge, ossature fine, Ses grands yeux marron balayaient rapidement la foule. Son visage rond était trop jeune pour se raser, mais ses cheveux châtain clair, noués en une longue queue ondulant entre les omoplates, semblaient compenser cette carence. Il portait un ceinturon sur lequel étaient cousues plusieurs poches fermées, chacune contenant un bien précieux : la première renfermait son credstick, alimenté de quelques centaines de crédits, dans la deuxième se trouvait un petit blaster de sport au réglage verrouillé sur la position « paralysant », mais c'était la troisième poche à laquelle l'adolescent faisait le plus attention, car elle protégeait un sabre-laser.

Liam Kincaid était un padawan orphelin de maître.

Il avait huit ans lorsque sa vie de future petite frappe de Coruscant avait définitivement changé. C'était six ans plus tôt. Il avait repéré cet étrange gaillard à l'Araignée Étincelante, l'un des très nombreux débits à boissons du niveau 132 de la capitale républicaine. Un grand homme très costaud, aux longs cheveux blonds, portant un long imperméable de cuir brun. Il n'avait pas l'air très commode, mais son portefeuille était sans doute bien garni, et Liam en avait détroussé de plus soupçonneux. Il aurait pu faire les poches d'un autre personnage moins baraqué, mais il savait encaisser les coups malgré sa frêle constitution, et puis, il y avait autre chose, autre chose qui l'avait poussé à choisir cet étrange personnage plutôt qu'un autre. Cet homme, probablement un voyageur égaré, avait l'air d'être une proie facile. Jamais Liam n'aurait alors pu imaginer à quel point il avait pu se tromper, ni comment les choses allaient se précipiter.

Au moment où ses doigts agiles s'étaient refermés sur son butin, le bras accoudé de l'homme s'était détendu en un éclair, et avait saisi le poignet du gamin. Affolé, Liam avait regardé le visage de l'individu, s'attendant à affronter une tempête… mais les choses ne s'étaient pas passées du tout comme d'habitude quand il se faisait prendre. Le visage aux grands yeux calmes l'avait contemplé avec bienveillance. Et la main qui serrait son poignet l'avait fait avec douceur. Un petit sourire avait même éclairé davantage le visage de l'individu, et Liam s'était évanoui.

Quand il s'était réveillé, il était allongé sur un immense lit. Un plateau garni abondamment de céréales, de sucreries, de jus de fruits, avait été déposé à son attention sur un petit guéridon. Il avait tout mangé de joyeux appétit, et s'était ensuite dirigé vers le salon. L'homme l'avait patiemment attendu dans un canapé de la suite.

Liam sentit une petite larme perler au coin de son œil quand il entendit encore la voix de son bienfaiteur, la première fois qu'il lui avait parlé.

« Bonjour, mon garçon. Je sais que tu as fait ça pour survivre, et je ne t'en voudrai pas. Tu es tout à fait libre de partir, mais avant ça, j'aimerais juste que tu écoutes la proposition que j'ai à te faire. »

Pour la première fois depuis bien longtemps, un adulte lui avait parlé avec respect et attention. Il en avait été tellement surpris qu'il avait accepté d'écouter encore ce grand homme. Cette « proposition » avait été de devenir un Jedi. L'Ordre n'avait pas encore été restauré à cette époque, mais cet Humain – Duncan Blackstorm – avait lui-même reçu les enseignements d'un puissant manipulateur de la Force. Blackstorm avait décelé en Liam les caractéristiques d'un futur Jedi, et lui avait appris ce que son propre Maître lui avait enseigné. Ils avaient fait un bout de chemin ensemble. Duncan lui avait appris l'art du combat, et quelques notions de communication, d'empathie, et de diplomatie. Puis, quand Luke Skywalker avait ouvert son Académie, le Praxeum de Yavin IV, trois ans après leur rencontre, Blackstorm l'y avait emmené, à sa demande. Tous deux avaient profité de l'enseignement de cette Académie, mais le drame avait éclaté trois ans plus tard, quand Blackstorm s'était battu contre un puissant Jedi Noir qui s'était échappé après l'avoir violemment assassiné.

Le rapport établi par sa compagne, Talia, lui avait arraché de chaudes larmes et provoqué plusieurs jours de réclusion dans sa chambre de l'Académie. Luke Skywalker était alors venu le voir quelques instants. Il n'avait pas eu un discours préfabriqué, paternaliste et ennuyeux à mourir avec des banalités sur l'héroïsme de Duncan, dont le sacrifice avait sauvé d'une mort affreuse des milliers d'innocents, ni de conseils comme « ne cherche pas à venger la mort de ton maître ou le Côté Obscur te consumera »… En fait, il n'avait pas dit un mot. Liam avait vidé son sac, et pleuré un bon coup sur son épaule. Il lui avait fallu encore du temps pour avoir le courage de reparaître devant ses condisciples inquiets, et sa bonne humeur n'avait pas encore refait surface sous son mutisme.

Ces tragiques événements avaient eu lieu l'année précédente, quelques mois plus tôt. Et aujourd'hui, pour la première fois depuis qu'il avait rencontré son bienfaiteur, Liam Kincaid allait accomplir un travail important, seul. Sa jeune cervelle était bouillonnante d'excitation. Se voyant déjà agir en vrai héros comme le général Obi-Wan Kenobi, dont il admirait les exploits de la Guerre des Clones, il grimpa dans le premier taxi venu.

- Où ça ? éructa le gros conducteur Herglic.

- À l'ambassade Pelagia, chauffeur !

« Depuis déjà plusieurs heures, les pompiers fouillent des décombres de la zone résidentielle adjacente au secteur industriel. Le gigantesque incendie qui s'y s'est déclaré il y a deux jours, dans une usine désaffectée, n'en finit pas de répandre destruction et fracas sur son passage, et le feu s'est répandu, ravageant les habitations vétustes du vieux quartier. Nous ne connaissons pas encore le nombre de victimes, mais de très importants dégâts sont déjà à déplorer. Le gouvernement procopien affirme que… »

Maleek Stern éteignit l'écran d'holovision, avec un soupir de dépit.

- Ces journalistes et leurs formules lyriques à deux décicrédits… C'est dommage pour les victimes, mais y en a d'autres qui souffrent plus. Et cela ne nous intéresse pas. Revenons à nos moutons.

Le chef Stern se rassit à son bureau, et jaugea du regard la personne assise en face de lui. En arrière-plan, Taava attendait sur le banc molletonné.

- Alors, résumons-nous. Vous vous appelez Dankin, vous êtes un chasseur originaire de Togoria, vous êtes un bon lutteur, vous ne ratez jamais votre cible.

Un ronronnement satisfait répondit à cette déclaration. Le chef Stern leva les yeux de la feuille de référence, et contempla l'être qui était assis face à lui, bras croisés.

- Alors, Canderous… pensez-vous que votre ami soit digne de confiance ?

- Dankin est un frère pour moi. Je n'ai pas voulu le faire venir sur Procopia pour l'anniversaire de Dame Bathos, car je pensais à juste titre qu'un boulot d'agent de sécurité pour une garden-party était indigne de lui. Mais nous avons affaire à quelque chose de plus gros que prévu, je pense, et s'il y a une personne en qui j'ai confiance, c'est bien lui. Deux bras solides de plus ne seront pas de trop.

- J'ignorais que vous puissiez avoir des amis, mais je comprends très bien votre point de vue, souligna le chef ironiquement en considérant la grande créature.

Dankin était un Togorien. C'était un félin humanoïde très grand, plus grand encore que Morgreed. Sa puissante musculature ondulait sous son pelage blanc crème. Sa grosse tête féline oscillait calmement d'avant en arrière. Ses yeux de tigre contemplaient fixement, intensément, et avec un air méfiant et déterminé le chef Stern. Ses oreilles triangulaires émergeaient de son abondante crinière. Il portait une veste – plutôt un assemblage de pièces de tissus cousues de manière hétéroclite, avec quelques bandes de cuir. Une lanière plus épaisse que les autres maintenait un étui dorsal dans lequel était rangée une arbalète à carreaux laser de Kashyyyk, achetée à un commerçant Wookiee. Dankin savait s'en servir, et était capable de réduire en purée une chauve-souris en vol à cinquante mètres au crépuscule. Le chef Stern avait également vu au bout des doigts du Togorien de longues et solides griffes acérées, assez coupantes pour déchiqueter la carcasse d'un torbull sans difficulté. Et si cela n'était pas suffisant, il pouvait également compter sur sa redoutable dentition de fauve.

Dankin connaissait Canderous depuis déjà quelques années, et une espèce de lien affectif s'était créé entre l'Humain et le Togorien. La grande brute velue n'était pas aussi impulsive que le mercenaire, et n'hésitait pas à le retenir, à le raisonner, parfois brutalement, quand il sentait que la situation l'exigeait. Dankin était la seule personne que Canderous acceptait d'écouter sans protester, et il en était parfaitement conscient. Il ne parlait que quelques mots de basic, mais pour lui, la communication passait avant tout par les gestes.

Pour l'heure, il était face à Maleek Stern, et répondait le plus simplement possible à ses questions.

- Est-ce que Canderous vous a mis au parfum ?

- Oui.

- Et ça ne vous impressionne pas ?

- Non.

- Vous êtes plutôt du genre à agir au lieu de parler, hein ?

Le Togorien ne répondit pas. Comme à son habitude, le chef Stern se contenta d'une petite moue approbatrice.

- Parfait. Je n'aime pas les bavards. Mademoiselle, messieurs, allons rejoindre les autres, nous avons à parler.

Les gardes de l'ambassade Pelagia furent un peu surpris de voir un petit jeune homme s'avancer vers eux et se camper fièrement sur le pas des marches.

- Holà, gardes ! Annoncez à votre seigneur que Liam Kincaid vient lui parler !

Les deux hommes en armure se regardèrent, puis se mirent à rire aux éclats.

- Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?

- Hé, tu te prends pour qui, fiston ? Ici, c'est la cour des grands !

- Allez, rentre chez toi avant que ta mère ne s'inquiète.

Buté, Liam jeta un regard qui se voulait menaçant.

- Je n'ai jamais connu mes parents, mais j'ai ceci !

Il porta la main à son ceinturon. Immédiatement, les deux gardes se mirent en joue.

- Doucement, le môme !

- Fais gaffe à toi, ou on te colle au trou !

- Hé, calmos, les gars ! Je voudrais juste vous montrer mes papiers !

Habitué aux brimades des forces de l'ordre, Liam n'était pas impressionné, mais fulminait. Il savait qu'il s'était laissé emporter, et maudissait l'étroitesse d'esprit des gardes. L'un baissa son arme.

- D'accord, gamin. Tu vas sortir lentement ta carte, et me la donner, que je le vérifie. Si jamais tu fais un geste brusque, ou si tu sors une arme, ou si tu fais encore le malin, mon coéquipier ouvre le feu. Ce fusil peut assommer un gundark, alors avec toi… le choc te casserait en deux.

- Pas de souci, chef. Regardez plutôt.

Liam sortit un disque de données, et sa carte magnétique d'identité. Le garde qui avait baissé son arme la passa dans son analyseur.

- « Liam Kincaid, Académie de Yavin IV… » Tiens, un Jedi !

- Encore un ! renchérit l'autre garde. Vous êtes le deuxième en moins d'un mois.

- Ta copine Drall, elle était plus sage que toi.

Le cœur de Liam battit plus vite. Elle était bien passée par ici.

- Et c'est pour ça qu'elle est sans doute dans la merde, et que je vais la sauver, rétorqua Liam avant de récupérer ses documents d'une main autoritaire.

Le premier garde fit un signe.

- Je vais te conduire devant notre Haut Seigneur. Mais je te préviens : déconne pas, ou tu le regretteras… surtout si tu te prétends Jedi.

- Vous gaspillez votre salive, je n'ai de comptes à rendre qu'au Praxeum.

Le garde poussa plutôt qu'il n'amena à la porte du bureau le jeune Liam, puis s'en retourna à son poste en maugréant contre la jeunesse qui se perdait de plus en plus.

- Décidément, la réputation de la Maison Pelagia est vraiment le centre d'attraction de l'Ordre Jedi, ces derniers jours, mon jeune ami.

- Ah oui ?

- Pendant des années, on n'a jamais même prononcé le mot « Jedi » dans cette ambassade, et voilà que deux d'entre eux viennent me voir coup sur coup.

- Justement, je cherche ma camarade, et je pense qu'elle est venue vous trouver.

- Oui, bien sûr, Chi'ta Koskaya, la jeune Drall. Elle est bien venue ici, mais figurez-vous que je n'ai plus eu de nouvelles depuis deux jours. Jusqu'alors, elle faisait passer à ma secrétaire un rapport sur ses recherches tous les soirs, mais il n'y a rien eu avant-hier, ni hier.

- Savez-vous où elle est passée ?

- Je l'ignore, mais peut-être que quelqu'un l'aura vue à la bibliothèque. À mon avis, elle s'est juste renseignée ailleurs. Je ne prétends pas avoir ici toute l'encyclopédie de la présence des Jedi sur Procopia.

- D'accord. Je vais la chercher, mon Seigneur.

Liam quitta le bureau d'un pas rapide.

Pendant qu'il avançait à petits pas dans le couloir, l'adolescent réfléchissait aux précédents événements. C'était le Maître Corran Horn, l'ancien pilote, qui l'avait envoyé pour assister son élève. Chi'ta Koskaya, qu'elle s'appelait, une padawan Consulaire, sans doute une intellectuelle davantage intéressée par les paperasseries et les bavardages creux quand lui préférait l'action. Liam ne la connaissait pas. Horn lui avait seulement expliqué qu'elle était originaire de Drall. Il n'avait rien contre les non-Humains, il en avait côtoyé plusieurs avec Duncan Blackstorm, il ne pouvait pas mettre son désintérêt sur le compte d'un quelconque racisme.

En y réfléchissant, depuis la disparition de son bienfaiteur, il n'avait pratiquement parlé à personne. Dans ses pires moments, une seule pensée lui venait en tête.

Je retrouverai celui qui a fait ça… et je lui ferai avaler son bulletin de naissance !

Déjà, le sang battait dans ses temps, il sentit une sorte de froid liquide glisser le long de sa moelle épinière… Il crut entendre au loin un hurlement de loup. La colère de Liam fit place à la peur. Il prit quelques secondes pour s'arrêter, et respirer profondément.

Ce froid, cette gelée… c'est le Côté Obscur ! Calme-toi, calme-toi ! Il n'y a pas d'émotion, il y a la paix… la paix… la…

- Hé !

Liam sursauta. Une jeune femme en uniforme avançait vers lui. Elle ne devait avoir que quelques années de plus que lui. Elle était plus grande aussi. Très blonde, la peau bronzée de soleil, la combinaison moulante beige soulignait ses formes appétissantes. Son visage rond, sans doute d'ordinaire souriant, exprimait l'inquiétude.

- Petit, ça va ? Vous avez l'air malade.

- Je… non, ça va, je vous remercie. En fait, je me suis perdu, je cherche la bibliothèque, et je…

- Suivez-moi, je vais vous y conduire, j'y travaille.

Le chef Stern, Dankin, Canderous, Taava et Morgreed avaient pris place sur les canapés du salon. Dame Bathos, Dame Liryl et Sprax le Narloni, déjà là, avaient devisé sur la conduite à tenir par rapport à l'opinion publique et à la Chambre du Grand Conseil. Dame Bathos commentait :

- Pour le moment, il nous faudra compter uniquement sur nous-mêmes. Nous avons parlé ce matin aux membres du Grand Conseil de l'histoire du train, de Niklas Veiler et de l'artefact, mais ils n'ont pas pris au sérieux notre témoignage, signala Dame Bathos. Ils sont davantage concernés par les manœuvres que l'Empire est en train d'organiser.

- Je vous tiendrai au courant de mon mieux, ma Dame, déclara Sprax d'une voix mielleuse. Après tout, ce sont mes vaisseaux qu'ils utilisent. Mais pour l'heure, j'ai quelque chose de plus intéressant à vous montrer.

- Vous avez pu analyser la pyramide ?

- Oui, tout à fait. Et regardez ce que j'ai pu faire.

Sprax sortit de sa sacoche la pyramide. Il pressa sur l'une des ciselures, et l'une des faces s'ouvrit avec un petit déclic. L'intérieur présentait une petite niche de forme ovoïde au milieu de petits circuits.

- Quand nous avons réussi à ouvrir cet objet, il y avait un petit cristal en forme d'œuf à l'intérieur. Il était grisâtre, terne, comme le verre d'une vieille bouteille. Il a très mal réagi au contact de l'air, et s'est rapidement désagrégé. Nous n'avons rien pu en tirer. Nous avons cependant réussi à dater cet objet en analysant la poudre de pierre. J'aimerais savoir comment on a pu le conserver aussi longtemps dans un si bon état, car il aurait été fabriqué il y a environ quatre mille ans.

Un petit silence surpris suivit cette déclaration. Admiratif, Morgreed s'exclama :

- Quatre mille ans ? Waouh ! Il a très bien marché, pourtant, même s'il est tombé en panne rapidement.

- Je n'aimerais autant pas en voir un qui marche au maximum de son potentiel, ronchonna Canderous.

- Je vous remercie pour votre aide précieuse, Sprax.

- Je vous en prie. Bien, ce fut un plaisir. Je dois prendre congé, maintenant, il faut préparer le cocktail de ce soir.

- Un cocktail ?

- Oui, j'ai récemment conclu un important accord avec un gros chantier que j'ai livré. Pour la forme, je dois me montrer « heureux et reconnaissant », les flatteries habituelles. Il y aura la plupart des représentants des ambassades qui ont participé au chantier. Les Reena, les Mecetti, les Calipsa… enfin bon, je ne vous fais pas un dessin, ce sera une sacrée corvée.

- Manger et boire joyeusement avec des amis, c'est une corvée, pour vous ? demanda Morgreed, sincèrement surpris.

- Ce ne sont pas mes amis, cher monsieur, répondit le Nalroni avec un sourire ironique. Simplement des partenaires de business.

Sprax s'en alla. Un instant de silence plus tard, Canderous demanda :

- Bon, et maintenant ?

- Nous devrions en apprendre le plus possible sur la provenance exacte de ce bidule, répondit Taava en montrant l'artefact du doigt.

- Don Nycator de Mecetti a dit que cet objet venait du secteur de Kathol, rappela Dame Liryl. Il serait peut-être judicieux de se renseigner un peu sur ce secteur, ça pourrait nous aider à avancer.

- Pour ça, je m'en charge, déclara Taava. Et Morgreed va m'accompagner. La Guilde des Marchands Corelliens a bien un bureau, à Procopia ?

- Oui, à côté de l'astroport.

- Nous vous attendrons ici, à l'ambassade Cadriaan, répondit Canderous. Dankin et moi avons besoin de nous dérouiller un peu les muscles.

Pendant ce temps, à l'ambassade Pelagia, Liam ne chômait pas. En consultant les ouvrages déjà lus par Chi'ta Koskaya, il repéra quelques informations par-ci par-là qui retinrent son attention :

La Maison Pelagia avait effectivement eu son heure de gloire durant la Guerre des Clones. Plusieurs noms apparaissaient comme lieutenants du célèbre Général Kenobi, ou du légendaire Maître Yoda. Les archives remontaient à très loin, les plus anciennes avaient été enregistrées quatre mille ans plus tôt. C'est précisément ce qui intéressa Liam.

Si l'on en croyait ces données, alors que l'Ordre Jedi était à son apogée, une terrible bataille avait éclaté entre les Jedi et les Sith, déjà en guerre. La plupart des chevaliers Pelagia de ce temps ancien avaient été envoyés dans le secteur de Kathol, au-delà de l'Amas de Minos, au fin fond de la Bordure Extérieure. Menés par Maître Halbret, ils étaient partis à plusieurs centaines… mais aucun n'était revenu. Ni dans l'autre camp. En effet, une catastrophe sans précédent avait ébranlé la structure même de l'univers. Tout le secteur de Kathol avait été déchiré, renversé, annihilé. Depuis, Kathol était devenu un secteur trop dangereux pour qu'on puisse s'y aventurer. Quelques inconscients avaient essayé d'explorer la « Faille » de Kathol, personne n'avait jamais donné de nouvelles.

C'est dommage, mais bon, il y a quatre mille ans… on s'en fout. Tiens, une seconde… Halbret ? Comme Maître Jessa Halbret ? Je lui poserai la question.

Jessa Halbret était le nom d'une des quatre personnes qui constituaient l'actuel Conseil des Jedi, avec Mara Jade, Kyle Katarn, et le fameux Maître Luke Skywalker. Il avait eu l'occasion de la rencontrer une fois ou deux dans des circonstances un peu moins officielles que les cours magistraux. En y réfléchissant, il pensa qu'elle semblait toujours en train de garder quelque chose de lourd à porter, sans en parler à quiconque.

Un grand fracas dans la pièce d'à côté le tira de ses réflexions. Il se leva et courut vers la porte. Dans la petite pièce d'archivage, la jeune femme blonde qui l'avait mené à la bibliothèque était par terre, une pile de livres étalée autour d'elle. Une autre femme, une Humaine aux cheveux bouclés grisonnants et avec une mâchoire légèrement simiesque, la réprimandait.

- Mademoiselle Quayle, cela fait la troisième fois aujourd'hui, sans parler de votre retard, de vos étourderies dans la comptabilité… franchement, ce n'est plus possible ! Écoutez, c'est vraiment tragique ce qui vous arrive, mais si vous n'êtes plus capable d'assurer votre travail, ce n'est vraiment pas nécessaire de venir !

- Je… Vraiment je… non, je vais me reprendre, madame Mal-Roh, je…

- Allez, prenez quelques jours pour vous remettre les idées en place, vous me faites de la peine. Revenez dans une semaine, et nous verrons dans quel état vous serez.

La responsable s'en alla sans ajouter mot. Misérable, la jeune femme s'appuya contre l'un des meubles, le visage enfoui dans les mains.

- Hé, mam'zelle ?

- Hein ? Oh, c'est vous…

La jeune femme pleurait.

- Dites donc, c'est vous qui avez l'air malade, maintenant.

- Je… oh, ce n'est rien, ça va aller, je…

- Venez, sortons d'ici, on étouffe.

Quelques minutes plus tard, Liam avait emmené la jeune femme dans le jardin de l'ambassade. Ils s'assirent sur un banc.

- Quelque chose ne va vraiment pas chez vous. On ne se met pas dans cet état pour quelques livres renversés !

- Oh, je ne voudrais pas vous ennuyer avec mes histoires personnelles, je…

- Vous pouvez me faire confiance. Je saurai être discret…

Soit c'était une légère influence de la Force, soit c'était tout simplement sa frimousse d'adolescent, dans les deux cas la jeune femme se fia à lui. Elle se moucha, prit son inspiration et commença :

- Il y a une semaine, j'avais tout pour être heureuse. Un travail intéressant, un mari aimant, un foyer modeste, mais confortable… Et puis tout a basculé. Un soir, mon mari est rentré, tout joyeux, en disant qu'on n'aurait plus jamais de problème d'argent, qu'on allait vivre comme des rois, qu'il deviendrait un héros. Et puis, deux jours plus tard… il… il a été abattu.

- Mince…

- Et puis, le lendemain… ça a été l'enfer. Le vidéophone a sonné, plusieurs fois, mais il n'y avait pas d'image, et personne ne parlait, je ne faisais qu'entendre respirer. Et puis, un répulseur a tenté de me renverser. Et j'ai perdu mon appartement dans un incendie.

- Eh bien dites donc… à ce point-là, je ne sais pas si on peut encore parler de malchance.

- Le seigneur Theus Paddox a accepté de me prêter un studio dans l'ambassade, Dame Bathos de la Maison Cadriaan m'a attribué une pension, mais je ne sais plus quoi faire. Je suis perdue. Mais surtout, je crois que quelqu'un veut me tuer.

Liam n'osa pas la contredire. Dans son esprit d'adolescent, c'était évident. Son mari avait fait quelque chose qui avait déplu à quelqu'un, au point que ce quelqu'un l'eût fait taire. Et maintenant, ce quelqu'un s'en prenait à elle.

- Comment vous appelez-vous ?

- Ari… Ari Quayle.

- Et moi, c'est Liam. Liam Kincaid.

- Enchantée…

- Vous n'avez aucun ami digne de confiance ? Personne pour vous protéger ?

- Non… à moins que… quand Jackee a été tué, il était avec quelqu'un d'autre. D'après le courrier de Dame Bathos, il s'agissait d'un collègue de travail, un certain Hassla… Hassla Morgreed. Un garde du corps professionnel.

- Eh bien voilà ! Vous devriez peut-être le trouver ! Il a travaillé pour la Maison Cadriaan, on devrait pouvoir leur demander où il habite. Je vais vous y aider.

- Vous… feriez ça pour moi ?

- Oui. C'est mon…

Liam s'arrêta net. Il ne devait peut-être pas crier sur les toits quelle était sa véritable occupation.

- C'est mon hobby, d'aider les gens. Demain, nous irons chez les Cadriaan. D'ici là, je vais demander au seigneur Paddox de bien veiller sur vous.

- Je… j'ignore pourquoi vous faites ça, et pourquoi je vous crois, mais je vous fais confiance.

- Et vous ne le faites pas pour rien.

Liam décida qu'il en avait appris assez. Maintenant qu'il y avait cette histoire, il réalisa que Chi'ta Koskaya avait peut-être eu des ennuis, elle aussi. Il fallait agir. En premier lieu, il retourna voir le Haut Seigneur Theus Paddox, et lui demanda de mettre discrètement Ari Quayle sous surveillance. Puis il se concentra. Où pouvait bien être Chi'ta ?

Si seulement j'étais assez puissant ! Je pourrais la retrouver en la sentant à travers la Force… Oh, mais une minute !

Il y avait pas mal de non-Humains sur Pelagia. Mais les non-Humains originaires de Drall devaient être beaucoup moins nombreux, et Chi'ta avait sans doute été vue par des gens, des gens comme les boutiquiers de la rue d'à côté.

- Et c'est tout ce que vous pouvez me dire ?

- Bah, vous savez, on n'a pas une banque de données richissime, ma p'tite dame. Vous nous prenez pour qui ? Le Bureau Officiel des Services Stellaires ?

Taava fulminait. Le petit bureaucrate serré dans son costume crasseux et élimé avait l'air de le prendre pour la dernière des gourdes. Il renifla.

- En plus, vous me demandez des infos su' l'secteur de Kathol. C'est l'Inconnu avec un I majuscule, ça ! Depuis quat' mille ans, quand y a eu la Déchirure, le secteur de Kathol est dev'nu la Faille de Kathol, et depuis plus personne n'en est jamais sorti. Personne ne s'y intéresse. Tout l'monde s'en fout. Faudrait sortir d'votr' trou et vous renseigner un peu mieux avant d'aller emmerder les honnêtes gens aux renseignements !

La jeune Togruta prit sur elle pour éviter de gifler le fonctionnaire. Morgreed eut un inquiétant sourire et regarda le petit homme d'un air gourmand.

- Je me demande quel goût ça a, la soupe de cervelle de fonctionnaire de la G.M.C…

D'autres plus avisés auraient sans doute eu le réflexe d'appeler la sécurité, mais le petit bureaucrate n'était pas assez futé ni audacieux pour ça, complètement déboussolé par la menace à peine voilée du Barabel. Il se racla la gorge, et dit à Taava :

- Bon, allez, comme malgré tout, v'z'avez une voix sexy, j'peux vous filer quand même quêk' fichiers ! Tendez…

Quelques minutes plus tard, Taava avait rassemblé quelques informations. Elles n'étaient pas très encourageantes. Dans le taxi qui les ramenait à l'ambassade, la jeune Togruta lut quelques passages à voix haute :

« Le Secteur de Kathol est à la frontière de l'univers connu. Le dernier monde colonisé est Kal'Shebbol, monde au-delà duquel plus aucune carte n'indique un chemin.

« Au-delà de Kal'Shebbol se trouve la Faille de Kathol. C'est un endroit où la structure même de l'Univers semble s'être disloquée.

« Kal'Shebbol était autrefois une enclave impériale, où était installée la garnison du Moff Kentor Sarne. Or, depuis quelques années, après la chute et la fuite du Moff, elle est devenue un gouvernement indépendant. Sarne s'est enfui dans les tréfonds de la Faille, on ne l'a plus jamais revu. »

Elle referma le dossier. Morgreed n'avait rien écouté, trop occupé à dévorer un énorme sandwich. Comme il vit qu'elle le regardait avec irritation, il haussa les épaules.

- Ben quoi ? Papoter gastronomie avec ce lombric m'a donné faim.

La chance avait souri à Liam. Plusieurs vendeurs sur le marché avaient effectivement vu une petite Drall portant une tunique beige sous une cape marron se promener sur la place du marché, et questionner un commerçant ou deux. L'un d'eux l'avait même orientée vers le Quartier des Docks. Elle cherchait quelqu'un du nom de Cev, ou Crev, le marchand avait oublié. Au fur et à mesure de ses recherches, il avait progressé jusqu'à des recoins plus sombres, moins peuplés, moins rassurants. Enfin, on lui avait indiqué le squat de Crev : l'un des hangars abandonnés.

Liam n'était pas très à l'aise en voyant les mines sombres et menaçantes des quelques hommes, Humains et non-Humains, qu'il voyait. L'un d'eux lui fit même un petit clin d'œil avec lubricité, la bouche en cœur.

Et merde… Si ça se trouve, ils ne sont pas très regardants sur la race… Pourvu qu'il ne soit rien arrivé à Chi'ta !

La porte de l'entrepôt de Crev était verrouillée, mais la paroi de tôle ondulée était tellement dévorée par la rouille qu'il y avait un trou suffisamment grand pour que l'adolescent puisse entrer. Une fois à l'intérieur, Liam se releva.

Je chauffe… Je suis bouillant !

L'entrepôt était sombre, éclairé seulement par le brasero au centre de la grande salle. Liam voyait une petite personne en robe brune assise sur une pile de palettes. Face à elle, deux clochards à la mine patibulaire grognaient. L'un d'eux était armé d'une barre à mine, l'autre tenait une fourche. L'adolescent vit que la personne assise était une jeune Drall. Elle n'avait pas l'air très tranquille… en tout cas, c'est ce qu'il crut. Il n'hésita pas davantage. D'un geste, il alluma son sabre-laser. La lame lumineuse éblouit d'un éclat bleuté le hangar. Bondissant vers les deux Humains, il s'écria de sa voix la plus impressionnante :

- Arrêtez ! En arrière, tous les deux ! Au nom de l'Ordre Jedi, je vous ordonne de relâcher cette jeune Drall !

- Liam ? Liam Kincaid ?

Chi'ta reconnut aussitôt l'adolescent, mais fut surprise de le voir.

- Courage, Chi'ta ! Je suis venue te sauver des griffes de ces salauds !

Les deux clochards étaient médusés. Liam jubila en les voyant reculer et se contracter sur le mur du fond alors qu'il s'avançait. Chi'ta le regarda avec stupéfaction… puis elle éclata de rire. Sa réaction prit l'adolescent complètement au dépourvu.

- C'est très gentil de ta part, Liam, mais je ne suis pas du tout en danger !

- Quoi ?!

- Oui. Ces deux personnes ne m'ont pas enlevée. Je suis venue pour leur demander des informations, c'est tout.

Liam regarda encore les deux « kidnappeurs », qui n'osaient bouger, épouvantés.

- On… on ne veut pas d'histoires, Jedi.

- On ne lui a rien fait !

- Elle voulait en connaître plus sur les Pelagia…

- On lui a juste parlé de la famille de Theus Paddox.

Liam, perplexe, demanda en se tournant vers Chi'ta :

- C'est vrai, ça ?

- Mais oui ! Range donc ton arme, tu vois bien qu'ils sont morts de peur !

L'adolescent relâcha la poignée, la lame rentra, la pénombre retomba sur la scène. La jeune Drall déclara de la manière la plus rassurante possible :

- Bien, messieurs, merci pour toutes vos informations. Nous allons partir, à présent.

- Euh… oui, m'dame.

- Bonne journée, m'dame.

- Au plaisir… marmonna Liam, pour dire quelque chose.

- Allons-nous-en !

Dix minutes plus tard, ils étaient revenus sur la place du marché. Les marchands commençaient à ranger leurs étalages. Aucun des deux n'avait plus dit un mot.

Chi'ta marchait à côté de Liam, ne sachant pas comment établir un premier contact. D'ordinaire, elle n'avait jamais de difficultés à engager une conversation amicale, mais ce qu'elle avait entendu sur le compte de cet Humain la faisait hésiter sur la conduite à tenir. Pendant son séjour au Praxeum, elle n'avait guère eu l'occasion de parler avec lui. Comme il ne sortait que très rarement de sa cellule, elle n'avait qu'aperçu de temps à autres ce Liam Kincaid. Jamais elle n'avait osé l'aborder, trop intimidée. En effet, l'adolescent était alors très introverti, et son comportement était renfermé, mais elle avait senti que sous cette coquille froide, son esprit était hurlant de rage et de tristesse. Quand elle avait eu le courage de poser la question à Corran Horn, elle avait appris que le mentor du padawan Gardien avait été tué peu de temps auparavant. D'après Horn, pourtant, Liam Kincaid avait été un garçon vif, joyeux, optimiste et débrouillard.

Chi'ta avait été admise à l'Académie quelques temps après cette tragédie, et n'avait donc jamais connu le « vrai » Liam Kincaid. Son empathie caractérielle lui avait chuchoté de lui venir en aide chaque fois qu'elle l'avait vu ou pensé à lui, mais elle n'avait jamais fait le premier pas, certaine de se faire méchamment rejeter. Mature malgré ses quinze années standard, la petite Drall avait également réfléchi, et pris peur que cette « empathie » ne se muât en une sorte de pitié, la même qu'elle aurait eu envers un animal abandonné. Et elle ne voulait pas rabaisser ce petit adolescent au niveau d'un animal.

Tout en suivant sa camarade, Liam hésitait, lui aussi. Elle était d'un autre monde, d'une autre espèce, d'une autre formation, et de toute façon ces derniers mois, il n'avait vraiment pas eu l'esprit à se faire de nouveau amis, en particulier des filles, qu'elles soient Humaines ou non. Maintenant qu'il se sentait mieux, il n'avait pas encore réfléchi à cette question-là. Il ne connaissait pas du tout le caractère de Chi'ta Koskaya… et ne savait pas du tout comment l'aborder.

Dois-je me conduire comme si de rien n'était ? M'excuser ? Et si elle m'enguirlande ? Ou si elle se moquait de moi ? J'ai vraiment été ridicule…

L'adolescent inspira profondément, et demanda enfin :

- Pourquoi n'avoir donné aucun appel ?

- Tu n'es pas au courant ? Il y a des problèmes de réseaux interplanétaires, ces derniers jours, et toute communication était impossible.

- Et qui étaient ces gars ?

- L'un d'eux s'appelle Crev, il a travaillé pour la Maison Pelagia, il y a longtemps, j'espérais lui acheter des renseignements sur ses anciens employeurs.

- Tu savais où le trouver ?

- Une femme de ménage m'a parlé de lui.

Liam se prit la tête à deux mains en soupirant de tous ses poumons.

- Je me suis inquiété ! Personne ne t'avait vu depuis un moment, et y a quelqu'un qui a voulu tuer la bibliothécaire, j'ai cru que ta vie était menacée.

- La bibliothécaire ? Pourquoi ?

- J'en sais rien. Quand je pense que je te voyais déjà en danger de mort, capturée par des voyous, ou bien pire… De quoi j'ai l'air, maintenant ?

- Ne t'en fais pas. Je suis très touchée par ta sollicitude.

- Bon. Et… maintenant que je t'ai retrouvée, et que je sais que tu vas bien… qu'est-ce qu'on fait ? On retourne à la Maison Pelagia ?

- Non, pas encore. Nous devons d'abord retrouver les autres.

- Quels autres ?

- Depuis mon arrivée sur Procopia, j'ai fait connaissance avec des mercenaires.

- Des mercenaires ? Peut-on leur faire confiance ?

- Pour autant que je le sache, tant qu'ils touchent leur rémunération, ils font leur travail consciencieusement. Ils m'ont paru droits pour le moment.

Liam ne répondit pas. Chi'ta eut un grand sourire.

- Allez, ne fais pas la tête, je te dis que ce n'était pas grave ! Viens, nous avons assez perdu de temps !

La jeune Drall agrippa la main de Liam et se mit à courir. L'adolescent, brusqué, suivit maladroitement.

La Maison Cadriaan était en ébullition. Tout le monde était encore sous le coup de la tentative d'assassinat de Dame Bathos. On parlait d'une énième conspiration, d'une provocation à la guerre, d'une éventuelle intervention impériale… les tensions ne s'étaient pas dissipées, elles n'avaient fait qu'empirer. Il avait fallu que le chef Stern se déplace et vienne directement chercher les deux padawans à l'entrée, car si les gardes avaient reconnu Chi'ta, ils n'avaient pas voulu laisser passer Liam.

Dans le bureau où attendaient déjà Taava, Morgreed, Dankin et Canderous, Chi'ta fit les présentations :

« Mes amis, voici Liam Kincaid. Nous avons à peu près le même âge, le même niveau de formation, et j'espère les mêmes idéaux. En attendant, nous avons les mêmes objectifs. La différence entre nous deux est qu'il a choisi de devenir Jedi Gardien, un des hommes d'action du Praxeum. Mais si ses méthodes pourront paraître un peu plus directes que les miennes, son cœur et pur et son âme est sincère. »

Il y eut un court silence, que Taava rompit.

- Bon, j'ai pu retirer quelques dossiers à la Guilde des Marchands Corelliens. En gros, l'artefact de Don Nycator vient d'un secteur au-delà de l'Amas de Minos, le secteur Kathol.

- Secteur qui est devenu la Faille après une grande bataille entre Jedi et Sith qui a eu lieu là-bas, ajouta Chi'ta.

- Les Jedi étaient menés par Maître Halbret. Il y a des chances pour que Jessa Halbret soit une de ses descendantes, observa Liam.

- Très juste, répondit Chi'ta. Nous devrions peut-être l'interroger à notre retour sur Yavin IV.

- Et qui est Jessa Halbret ? éructa Morgreed.

- L'un des quatre Maîtres Jedi de l'Académie.

- Elle risque pas de mal prendre qu'on l'interroge sur ses ancêtres ? demanda Canderous.

- Si ça peut nous aider à avancer, je ne pense pas.

- Bref, je ne sais pas pour vous, mais ensuite, j'ai vu qu'il restait tout de même une planète accessible, Kal'Shebbol. Il y a peut-être également des infos à glaner dans ce coin-là.

- C'est une option, acquiesça le chef Stern.

Liam fit un pas vers le Barabel.

- Excusez-moi, monsieur, mais vous vous appelez bien Hassla Morgreed ?

- Holà, du calme, fiston ! Tu laisses tomber le « vous » et le « monsieur », et tu dis juste « Morgreed ».

- D'ac'. Morgreed, vous… t'as bossé avec un gars nommé Jackee Quayle, récemment ?

- Ouais. Le pauvre mec s'est fait atomiser par un sniper.

- J'ai rencontré sa compagne, elle souhaiterait te rencontrer.

- Bon, j'irai la voir plus tard.

Pendant ce petit échange, personne n'avait rien dit, mais tous avaient compris de quoi il s'agissait. Quelques secondes de réflexion plus tard, Morgreed demanda d'une voix rauque :

- Et maintenant, que faire ?

- Nous devrions peut-être demander à Don Nycator de Mecetti comment il s'est procuré cet objet, et ce qu'il en sait précisément, proposa Chi'ta.

Cette idée révulsa tout le monde.

- Oui, je sais, il ne m'est pas sympathique non plus. Mais il a probablement des informations qui nous permettront d'avancer. Il ne faut pas que d'autres innocents subissent un sort tragique simplement parce qu'on n'aura pas eu le courage de demander des informations à cet homme.

- Qui est ce Nycator ? questionna Liam.

- Un petit prétentieux qui joue au Prince de l'Espace, ronchonna Canderous.

- Ah d'accord.

- Et comment nous y prendre ? On n'est que de parfaits inconnus, pour lui, voire des enquiquineurs. Il risque fort de refuser de nous recevoir.

Taava claqua du doigt et brandit un index triomphant.

- J'ai une idée !

L'enseigne du Casino Fairweld, située sur l'une des plus hautes tours du Quartier Commercial, illuminait les alentours. Taava souriait en admirant la vue superbe à travers la vitre. Elle but une petite gorgée de son Choholl cassandrien. Un petit bruit de pas la poussa à se retourner. Elle salua Sprax d'un petit geste du verre.

- Je suis tellement content de vous avoir ici, ma chère, chuchota le Nalroni. Vous ne pouvez pas savoir à quel point ces individus m'indisposent.

- C'est gentil à vous d'avoir laissé entrer mes amis. Il faut dire que sans eux, je me sens un peu seule, au milieu de tous ces petits péteux de luxe.

- Et encore, pour le moment, ils sont calmes, mais attendez un peu que l'alcool les désinhibe.

- J'ai eu un petit aperçu avec ce cher Nycator… où est-il, celui-là ?

Don Nycator était affalé dans un canapé, et parlait très rapidement et très fort à Dame Liryl. Derrière elle, Morgreed regardait la scène, impassible.

- La pauvre… Je vais l'aider un peu.

Taava s'assit à côté de Don Nycator, et lui fit son plus étincelant sourire.

- Cher Don Nycator ?

- Oui, charmante Taava ?

- Voyez-vous, mon ami, il y a quelque chose que je me demande depuis que j'ai vu votre cadeau fait à Dame Bathos.

- Ah oui, l'artefact pyramidal ? J'ai cru comprendre que cet objet avait beaucoup fait entendre parler de lui.

- Que pouvez-vous me dire sur cet objet, cher Don Nycator ?

- Eh bien ma foi, je n'en sais pas grand-chose. Il y a quelques années, je me suis rendu à une vente aux enchères. Cette vente était organisée par la Nouvelle République, pour la reconstruction d'une planète récemment abandonnée par l'Empire, la planète Kol'Chabbek… Kass'Chelpoff…

- Kal'Shebbol ?

- Oui, c'est ça !

Hé hé, j'avais raison, pensa la jeune Togruta.

- Et donc, cette vente aux enchères ?

- Oui, en effet, donc. Elle s'est déroulée sur Adarlon, une des planètes habitables de l'Amas de Minos. Les fonds récoltés étaient destinés au soutien de Kal'Shebbol. J'ai acheté cet objet, l'ai rangé sur une étagère, et quelques jours plus tard, je n'y pensais déjà plus.

- Et que pouvez-vous me dire sur cet objet ?

- Ma foi… rien de plus que ce qu'on m'a dit : il a été saisi parmi les biens accumulés par le Moff Kentor Sarne.

Paf ! Encore un nom qui revient ! Une coïncidence est une coïncidence, deux coïncidences, c'est une de trop.

- Et vous étiez personnellement attaché à la valeur de cet objet ?

- Oh, pas spécialement. Je n'avais aucune raison de l'acheter, sinon… une petite envie, comme ça. Une petite attirance pour l'exotique en général, j'investis rarement dans le matériel pur et simple, je préfère m'offrir la compagnie des plus jolies femmes… mais quand je m'achète un bien que je sais rare, je n'hésite pas à dépenser quelques milliers, voire des dizaines de milliers de crédits dans l'affaire.

- La belle vibro-hache que je me paierais avec ça… murmura Morgreed, rêveur.

- Et puis, il ne faut pas oublier que l'argent que j'ai investi dedans a servi à la reconstruction de la capitale. Je n'y suis jamais allé, mais j'espère qu'ils ont eu une petite pensée pour ceux qui ont participé à cette vente aux enchères. Maintenant, je ne peux rien vous dire d'autre, si vous voulez d'autres informations, vous devriez vous rendre directement sur Kal'Shebbol. Peut-être que vous rencontrerez des gens qui ont été un peu plus impliqués dans cette lamentable histoire.

- Oui, je crois que ce sera notre prochaine étape.

Pendant que Taava soutirait des informations à Don Nycator, de son côté, Canderous avait parlé au seigneur Vaskel Savill de la Maison Melantha.

- J'ai entendu dire que vous souteniez activement l'Empire…

- Vous, au moins, vous ne vous perdez pas dans d'innombrables détours rhétoriques.

- Je n'aime pas les Impériaux, et beaucoup de gens partagent mon opinion. Alors pourquoi les soutenir dans un système où ils n'ont aucune influence, et sur une planète où les non-Humains prospèrent ?

Le seigneur Melantha se racla la gorge.

- Oui, je comprends ce que vous voulez dire. Mais je vais vous dire je n'approuve pas le côté xénophobe. En fait, ce que la Maison Melantha soutient chez les Impériaux, c'est le côté « Ordre ».

- L'Ordre Nouveau, hein ? Entre tyrans, on se comprend !

Savill soupira.

- Il y a eu beaucoup de sales affaires de barbarie dans l'histoire de notre Maison. Des affaires qui ont gravement nui au nom de Melantha, et à celui d'autres Maisons. Des saletés de corrompus, des hommes de pouvoir opportunistes qui se sont engraissés sur le dos des roturiers des planètes sous notre responsabilité. Et croyez-le ou non, mais c'est grâce à ces « tyrans » que nous avons pu faire le ménage. Et depuis l'arrivée de l'Empire dans le Secteur Tapani et le soutien du Moff Gustavu, nous n'avons pas eu d'autres graves affaires de famille.

- Pour l'instant…

- De toute façon, le Moff Gustavu n'est pas dangereux. C'est juste un homme de paille, qui se contente d'obéir aux ordres.

- Ah oui ? Et qui lui donne ces ordres ?

Le seigneur Savill regarda à droite, puis à gauche, se rapprocha de Canderous, et murmura deux tons plus bas :

- Depuis quelque temps, il y a un nouveau seigneur dans la course. Un certain seigneur Daymon Thorn. Le vrai danger viendrait de lui.

- On dit ça pour tous. Qu'est-ce qu'il a de plus que les autres ?

- D'après ce qu'on m'a dit, c'est un ancien lieutenant du Grand Inquisiteur Tremayne.

- Connais pas.

- Le numéro quatre de l'Empire, officiellement. Tremayne était l'Inquisiteur chargé de recruter les sombres disciples de l'Empereur Palpatine. Thorn est l'un d'eux.

- Et merde. Bon, je vais surveiller mes arrières, alors.

Vaskel Savill se détourna de son interlocuteur, qui lui avait déjà tourné le dos.

Les invités se rassemblèrent autour des tables de jeu du casino. La soirée se déroula sans rien d'autre que les banalités entre gens riches, et bientôt, chacun rentra chez soi. Mais Don Nycator ne partit pas de suite. Se rapprochant de Dame Liryl, il chuchota quelque chose à son oreille, quelque chose que les autres n'entendirent pas, mais qui la fit perdre son souffle. Puis il se retira promptement, se dirigeant vers l'ascenseur de sortie, sans regarder personne. Dame Liryl se retira dans un coin de la grande pièce, près de l'un des hublots panoramiques. Taava la rejoignit, suivie des autres.

- Quelque chose ne va pas, ma Dame ?

Dame Liryl reprit sa respiration avec difficulté.

- Il m'a… il m'a demandée en mariage.

Taava et Canderous firent la grimace sans retenue. Dankin souffla d'agacement. Morgreed eut un sourire carnassier.

- Mais c'est qu'on est drôle ! Il devrait s'inscrire à l'Académie des Clowns Intergalactiques.

- Ma Dame, vous n'allez tout de même pas accepter de passer votre vie avec ce… phénomène de foire ?! s'indigna Taava.

- Je… j'ai besoin d'air. Rentrons, si vous le voulez bien.

- Allons-y, cet endroit pue la merde, siffla Morgreed.

Taava remercia poliment Sprax pour cette invitation, et le petit groupe quitta le casino sans traîner.

Pendant que les adultes faisaient leurs petites investigations au casino, les deux padawans étaient repartis ensemble à l'ambassade Pelagia. Une fois rentrés en taxi, ils avaient été invités à dîner à la table du Haut Seigneur Theus Paddox, et de son épouse. Ils n'avaient pas vraiment osé parler pendant ce repas, répondant simplement aux questions sur l'avancée de leurs recherches. Quelques autres nobles partageaient le repas, impressionnés ou amusés à la vue de deux futurs Jedi. Pour la première fois, ces derniers avaient dû répondre à toutes les questions que tous les badauds se demandaient toujours au sujet des membres de l'Ordre. « Êtes-vous bien payé ? », « pouvez-vous me montrer votre sabre-laser ? », « avez-vous le droit d'avoir des relations sexuelles ? », « votre maître est-il satisfait de votre degré d'obéissance ? »… Chi'ta s'était sentie de plus en plus gênée, et Liam avait regardé Theus Paddox d'un air navré, que le sympathique seigneur lui avait rendu, aussi indisposé que lui. Heureusement que la nourriture avait été délicieuse.

Après ce plantureux repas, les deux jeunes padawans se promenèrent dans les jardins de l'ambassade. Le temps était très doux, et pas un nuage n'encombrait le ciel rougeoyant. Ils s'arrêtèrent près d'une fontaine. Chi'ta s'assit sur un banc de pierre bien entretenu. Liam fut moins précautionneux et s'allongea carrément sur la pelouse.

- Enfin, on peut s'aérer un peu.

- Heureusement que tous les Humains ne sont pas aussi prétentieux et insipides !

- Comment ça ?

- On a toujours tendance à dire « tous les Dralls sont comme ci », et « tous les Twi'leks sont comme ça »… Vous, les Humains, c'est impossible. Vous êtes tellement diversifiés ! C'est parce que vous vous êtes répandus partout dans l'univers. D'une planète à l'autre, les Humains ne se ressemblent pas.

- Bah ! Je me prends pas la tête avec ça.

Un temps. Liam hésita un peu avant de relancer la conversation :

- Dis-moi… ils sont plutôt sympas, tes amis.

- Je ne les connais pas depuis très longtemps, mais pour le moment, aucun ne m'a paru cruel ou fourbe.

- Y a que le mercenaire, Canderous… Je ne sais pas pourquoi, mais il ne me rassure pas. Y a quelque chose qui cloche, avec lui, et je ne sais pas quoi.

- Je dois avouer qu'il me fait un peu peur, à moi aussi. Bah ! Tant que je suis avec Dame Taava et Maître Morgreed, je sais que rien ne peut m'arriver.

La nuit commençait à tomber. Liam se leva et s'assit sur le banc, à l'opposé de la jeune Drall. Celle-ci, sentant l'air se rafraîchir, rabattit sa cagoule.

- J'aimerais te demander…

- Oui ?

- Tu sais, c'est un peu délicat.

- Demande toujours. Nous sommes de la même promotion, on va bosser ensemble quelque temps, autant qu'on commence à se faire confiance, non ?

- Tu as raison !

Chi'ta inspira fortement, et se lança :

- La première fois que je t'ai vu, tu avais l'air assez… égaré.

- Je l'étais, oui.

- J'ai entendu que c'était à cause de… enfin que tu venais de perdre quelqu'un.

- Oui. Mon mentor, Duncan Blackstorm.

- J'en suis vraiment désolée.

- T'en fais pas, va. Je sais qu'il a donné sa vie pour sauver tout un peuple. Il est mort rapidement, et en héros.

- J'aurais aimé avoir trouvé le courage… et les mots… pour te le dire plus tôt.

Liam se rendit compte de quelque chose qui le surprit au plus haut point. Quand Corran Horn lui avait confié cette mission, l'adolescent avait pensé crânement qu'il allait retrouver cette élève, la ramener au Praxeum sous les applaudissements de ses condisciples, et ne plus jamais y penser. Il s'était imaginé la padawan Consulaire comme une pimbêche coincée au physique ingrat, trop occupée à épousseter ses livres pour s'intéresser à quoi que ce soit d'autre. Mais son point de vue avait changé. D'abord, elle n'était pas vilaine. Bien sûr elle n'était pas Humaine, mais n'était pas non plus monstrueuse, ou répugnante. Ensuite, elle avait tout de suite pris son intervention maladroite avec bonne humeur, et n'avait pas l'air indisposée par sa compagnie. Il fut encore plus surpris quand il compris qu'il avait envie de s'intéresser à cette drôle de petite jeune fille. Pas une politesse hypocrite, ni un réflexe conditionné, mais un vrai besoin d'échanger quelque chose avec elle. Lui parler, en connaître plus sur elle, son peuple, sa vie…

Serait-ce… l'influence de la Force ? Pourtant, je ne la connais que depuis ce matin…

Finalement, il se décida et dit :

- J'ai peut-être été distant, ces derniers mois, et j'aurai sans doute du mal à m'en remettre complètement et gagner ta confiance, et celle des autres… mais je fais de mon mieux !

- J'en suis sûre. Tu as traversé une épreuve difficile. La disparition d'un être cher est toujours un terrible fardeau, surtout quand on le porte seul.

- Je… je… pour ce que j'ai pu voir depuis ce matin, je voudrais te dire que je suis très content de mener cette mission avec toi.

Chi'ta ne répondit pas, mais elle se rapprocha de l'adolescent d'une bonne cinquantaine de centimètres. Celui-ci demanda :

- Est-ce que ça te plaira d'être un jour une Jedi ?

- Bien sûr, répondit Chi'ta, les yeux brillants. C'est le Maître Skywalker qui m'a indiqué cette route, et je suis fière de la suivre. Maître Corran Horn est un excellent guide, il a toujours su me mettre en confiance pour choisir les bonnes décisions à prendre pour atteindre la perfection sur la voie de la diplomatie.

- Ouah, tu parles trop compliqué, mais je parie que ça veut dire oui.

- En effet, répondit Chi'ta en souriant.

- Je suppose que tous les Jedi Consulaires sont entraînés à bien parler ?

- Nous sommes des diplomates, nous réglons les problèmes par les paroles. C'est pour ça qu'en général, les Consulaires sont à la base des gens qui ont des dispositions à la diplomatie. Moi, par exemple, avant d'être ici, j'accueillais les gens dans un hôtel sur Drall en attendant de trouver un meilleur emploi après mes études de sociologie. Quand je suis partie, mes parents étaient tristes de me voir quitter notre monde, mais ils étaient très fiers de moi.

- Mouais, je comprends. Mais je ne peux pas te parler de moi. Je ne suis pas prêt.

- Ne t'inquiète pas. Je te promets de ne pas te poser de question, et de te laisser l'initiative… si un jour tu changes d'avis.

- Holà, tu me gênes ! Tu te confies à moi tout de suite, et moi pas ! De quoi j'ai l'air, moi ? demanda l'adolescent avec un sourire très crispé.

- Ce n'est pas grave ! Même si ton passé est sombre, je ne sens que du bon en toi.

- Bon. Moi, en tout cas, je sens que le fond de l'air devient frais. On rentre ?

- D'accord !

Et les deux jeunes gens repartirent vers le bâtiment. Chemin faisant, dans les couloirs de l'ambassade, ils croisèrent Ari Quayle qui allait se coucher.

- Et où logez-vous, les amis ?

- Le Haut Seigneur Paddox nous a attribué à chacun une suite. La 3 et la 5.

- Ah ? J'ai la suite 4. Juste entre vous deux ! Eh bien ma foi, je serai bien protégée !

Chi'ta eut un petit rire.

- Oui, sans doute. Vous pourrez dormir tranquille.

Tout le monde se souhaita une bonne nuit, et alla se coucher.

Liam n'en revint pas. Entre l'Académie, où les chambres étaient individuelles, mais spartiates, et la cabine du vaisseau de transport où il avait dû dormir au milieu d'un groupe de joueurs Twi'leks qui s'étaient disputés tout le voyage en jouant au sabacc, cette suite était pour lui un palace. Immense lit à quatre places, salle de bain avec jacuzzi, réfrigérateur avec boissons non alcoolisées (Paddox avait pris ses précautions), appareil d'holovision… Pas de doute, il était reçu comme un prince. Il décida d'en profiter, et quelques minutes plus tard, était en train de se détendre dans le jacuzzi.

Il n'en sortit qu'une heure plus tard, complètement serein. Enfin les événements prenaient une tournure agréable ! Il ouvrit quelques minutes la fenêtre pour profiter encore de la fraîcheur de la soirée, puis la referma et tira les rideaux, passa sa tenue de nuit, et s'allongea sur le lit, réfléchissant à la journée qu'il venait de vivre. Cette Chi'ta n'était pas une petite bêcheuse intellectuelle comme il pensait qu'étaient tous les Jedi Consulaires, tous les adultes ne l'avaient pas systématiquement rabaissé à un statut de gamin ignorant… Peu à peu, il sentit son esprit vagabonder dans les limbes du sommeil, glisser, glisser…

C'est alors qu'il se réveilla en sursaut. Tous nerfs tendus par une présence très malsaine. Instinctivement, il regarda vers la suite contiguë à la sienne, où dormait Ari. Il réfléchit quelques instants, inspira, et se rappelant des cours de l'Académie, se concentra. Aucun doute, il perçut vaguement à travers la cloison une grande silhouette voûtée, menaçante, qui évoluait lentement dans la suite. L'adolescent ne prit pas le temps de réfléchir plus. Il attrapa son sabre-laser, et bondit hors de sa chambre. Dans le couloir faiblement éclairé par les lumières tamisées, il marcha sur la pointe des pieds. Arrivé devant la porte de la suite numéro 4, il tourna tout doucement le bouton de la porte, et entrouvrit la porte. Enfin, il se glissa dans la chambre à quatre pattes…

Devant lui se dressait une très grande créature bipède. Cette forme de vie était insectoïde : la lumière de la lune par la fenêtre ouverte se reflétait sur sa carapace vert métallique. Ses quatre membres supérieurs se terminaient par des pinces longues et très fines, et ses membres inférieurs étaient ceux d'une sauterelle. Son énorme tête allongée au bout d'un long cou était pourvue d'une grappe de petits yeux jaunâtres. Des mandibules cliquetantes émergeaient de sa bouche. La créature avait dépassé l'emplacement du lit où dormait Ari, sans prendre attention à elle. Liam alluma son sabre-laser, et aussitôt la lame bleutée illumina la chambre. L'extraterrestre leva les pinces, en sifflant à travers ses mandibules. Sans hésiter, l'adolescent se jeta sur l'être, et balaya l'air de son arme. Il coupa net en deux l'insecte anthropoïde. Ari se réveilla en sursaut, et resta debout sur son lit, criant à pleins poumons. Heureusement, le danger était déjà passé, et le monstre commençait déjà à se dissoudre.

- Liam !?

L'adolescent sursauta, et fit volte-face en brandissant son sabre-laser derechef. Il eut un soupir de soulagement et éteignit son arme en voyant Chi'ta en chemise de nuit sur le pas de la porte, son propre sabre-laser en main, prêt à être mis en marche.

- Qu'est-ce que c'était ? Liam, que se passe-t-il ?

Ari montrait du doigt la bouillie infecte qui dissolvait le tapis.

- Mais c'est épouvantable ! Qu'est-ce que c'était que cette chose ?!

- Je… je l'ignore, répondit Liam.

Le bruit avait attiré les gardes, qui se bousculaient dans le couloir. Un caporal ordonna d'un ton autoritaire :

- Allons, tout le monde évacue le périmètre, on prend le relais. Mettez la fille en lieu sûr. Jeune homme, suivez-moi.

Trop choqué par ce qu'il avait vu, Liam le suivit sans discuter. Ari fut emmenée dans le secteur haute sécurité de l'ambassade, la patrouille pria les différentes personnes, serviteurs, nobles, amis, réveillées par ce tumulte et sorties dans les couloirs, de regagner leurs chambres.

Et Chi'ta se retrouva debout dans le couloir, toute seule…

Dankin était au milieu d'une foule bigarrée. C'était jour de marché. La place toute entière était très animée. Canderous était avec lui, en train de regarder les multiples armes posées sur un présentoir. Lui, Dankin, observait tous ces êtres bruyants et agités. Derrière eux, Dame Liryl et Morgreed s'étaient arrêtés devant un étalage. La jeune femme rit gentiment devant le spectacle de son garde du corps qui s'empiffrait de gros fruits aux couleurs vives. Le ciel bleu était complètement dégagé, la journée était magnifique. Et pourtant, le Togorien n'était pas tranquille. Pour lui, cet endroit, ce moment… c'était l'occasion idéale pour un assassin de s'approcher discrètement, et de frapper sa proie. Et justement, alors qu'il pensait ça, son subconscient matérialisa cette crainte : un personnage masqué, aux habits couleur de sable, se précipita en un éclair sur lui et lui planta sa vibro-dague dans la poitrine.

Le Togorien se réveilla en sursaut. Il avait déjà saisi l'arbalète Wookiee posée à portée de main. Tous sens en alerte, il sortit de son hamac, et guetta, le regard dérivant de droite à gauche. Mais il ne voyait rien. Il se gratta le torse qui le démangeait, comme si l'assassin de son rêve l'avait égratigné. Mais il ne trouva rien. Il soupira d'agacement, reposa son arbalète, et se recoucha.

- Et c'est là que vous avez vu ce… ce cafard géant.

- Oui, sergent.

Le sergent Gill, responsable de la sécurité de l'Ambassade Pelagia, avait gardé son armure, mais enlevé son casque. Il but quelques gorgées de thé avant de reprendre.

- Bon… Le seigneur Paddox vous croit, le témoignage de la bibliothécaire confirme votre version, et on a effectivement retrouvé une espèce de résidu sur le tapis. Bref, ce n'est pas une hallucination solitaire ou collective. Il y avait bien quelque chose qui est entré dans la chambre de la suite numéro 4, on a aussi relevé des traces sur le rebord de la fenêtre. Mais êtes-vous sûr que cette créature voulait faire du mal à quelqu'un ?

- Ben, vous savez, sergent, cette femme m'a dit qu'elle se sentait menacée, que quelqu'un avait essayé de la descendre après avoir liquidé son mari, et plus tard je suis réveillé en sursaut par la présence de ce truc, qui entre par la fenêtre en pleine nuit… il était pas venu prendre le thé, si vous voyez ce que je veux dire !

- Okay… Et comment avez-vous su qu'il était dans la chambre d'Ari ? Le caporal Sivok pense que vous étiez entré pour la mater, mais c'est un abruti, si je peux donner mon avis. Alors ?

- J'ai senti quelque chose.

- Vous avez entendu du bruit ?

- Non, il est entré silencieusement, sinon il aurait réveillé Ari. Je… j'ai senti une présence vachement hostile dans cette chambre. C'était cette chose. Elle… « puait », je me sentais mal près d'elle.

- Comment ça, « senti » ? Ah, c'est un truc de Jedi ! Bien sûr.

- Vous n'y croyez pas, sergent ?

- Très franchement, fiston, j'aimerais y croire, mais je n'ai jamais vu de Jedi de ma vie. Je sais qu'ils existent, tout le monde le sait, mais ça reste très vague pour moi. Je suppose que ça fait partie des trucs que je ne pourrai jamais comprendre.

- J'aimerais beaucoup être plus clair, pouvoir vous convaincre.

- Ne vous en faites pas, Jedi. Madame Quayle m'a dit et redit que sans vous, elle aurait été dévorée par cette bestiole. Je dois juste recueillir votre témoignage pour la paperasserie habituelle. Mais on a fini.

- Je peux rentrer me coucher, alors ?

- Oui, bien sûr. Vous voulez qu'on vous change de suite ?

- Non ! Non, merci…

Liam avait parlé un peu plus précipitamment qu'il ne l'avait voulu.

- Je ne… je préfère pas laisser Chi'ta toute seule. Elle dormira mieux si elle sait que je ne suis pas loin. Enfin, moi en tout cas, je dormirai mieux…

- D'accord, je comprends. J'envoie un soldat vous raccompagner à votre chambre. Allez, bonne nuit, et merci pour votre coopération.

Quelques minutes plus tard, Liam était arrivé à la porte de sa suite. Avant de l'ouvrir, il jeta un petit coup d'œil vers la porte numéro 5. Elle était fermée, et pas un bruit suspect ne se faisait entendre à travers la cloison. Il haussa les épaules, et entra dans sa chambre. Mais à peine avait-il franchi la porte qu'il perçut une forme se dresser sur le canapé. Il eut le réflexe d'allumer la lumière, main sur la poignée de son sabre, et fut rassuré en voyant la jeune Drall en robe de chambre.

- Oh, c'est toi.

- Je… je suis désolée, je ne voulais pas te faire peur !

- T'en fais pas.

- Je n'arrivais pas à dormir, alors j'ai voulu t'attendre. Est-ce que… est-ce que je peux rester ici pour cette nuit ?

Liam n'hésita qu'un instant.

- D'accord, à condition que tu prennes le lit, et moi le fauteuil.

- Merci, répondit la jeune fille avec un sourire de soulagement.

Elle descendit du canapé, et se coucha sur le matelas. Liam s'assit, et demanda :

- Qu'est-ce qu'on va faire, maintenant ?

- Nous devrions en parler aux autres dès demain matin. Il faut protéger Ari.

- T'as raison. Sa peur, c'était pas du bidon. Mais d'abord, il faut dormir.

- Excellente suggestion. Bonne nuit.

- Alors, maintenant, on doit se fritter contre les poux de l'espace ? C'est le bouquet !

Canderous avait exprimé à haute voix l'opinion générale. La matinée s'annonçait nuageuse, et platement sinistre. Taava, Morgreed, Canderous, Dankin, Liam et Chi'ta étaient rassemblés dans le bureau du chef Stern. Ari Quayle avait suivi les deux padawans jusqu'à l'ambassade de la Maison Cadriaan. Le chef Stern avait écouté et pris au sérieux le récit de l'échauffourée de la veille.

- Et on sait ce que c'est ? demanda le chef de la sécurité.

- Pas encore, mais les scientifiques de la Maison Pelagia ont commencé à analyser les restes ce matin.

- Au moins, on sait à présent que vous n'êtes pas en sécurité. Vous avez eu raison de venir nous trouver, madame Quayle.

- Votre compagnon a donné sa vie pour celle de Dame Bathos. Il est mort en héros, grogna Morgreed. Je tenais à vous le dire.

- Merci… monsieur Morgreed.

- Pourquoi ce cafard aurait voulu vous tuer ? interrogea Taava.

- Mais je n'en sais rien, mademoiselle ! Je vous le jure !

- Du calme, du calme, on ne vous accuse de rien. Bon, est-ce que votre mari ne vous a pas confié quelque chose avant son accident ?

- Non ! Il m'a juste dit que nous n'aurions plus jamais de problèmes d'argent, que nous allions devenir riches et puis, deux jours plus tard… excusez-moi.

Ari avait sorti un mouchoir, et s'essuyait les yeux.

- Ce n'est rien, Ari, répondit Taava, conciliante.

- Maintenant, tout ce qui me reste, c'est mon droïd de protocole et le vaisseau de mon mari.

- Votre mari avait un vaisseau ?

- Un cargo interstellaire YT- 17 60, la Comète.

- D'accord. Est-ce que nous pourrions vous l'emprunter ?

- Que voulez-vous dire, mademoiselle ?

- Eh bien… nous avons besoin d'un vaisseau pour mener nos investigations sur une histoire dans laquelle votre mari était peut-être impliqué, et il sera bien plus discret de prendre un appareil particulier qu'un vaisseau avec les armoiries d'une Maison.

- Oh, vous n'avez qu'à l'utiliser. Je ne sais pas le piloter, alors en attendant de le revendre, autant qu'il serve à quelque chose d'utile. Mais est-ce que je pourrai venir avec vous ? Je me sentirais mieux loin d'ici.

- Il faudra rester dans le vaisseau, recommanda Canderous. Là où nous allons, ce ne sera sûrement pas plus tranquille.

- Oui, pas de problème, Kelly me tiendra compagnie.

- Qui ça ?

- K-LI, mon droïd de protocole. Ma mère me l'a offert pour mes dix ans, il ne m'a jamais quitté depuis.

Une heure plus tard, le petit groupe constitué des deux padawans, Dankin, Canderous, Morgreed, Taava et Ari était arrivé au hangar. Ils furent aussitôt accueillis par un droïd d'aspect cocasse. C'était un modèle « Child Care » amélioré, avec un programme Translangue III similaire à ceux des droïds de modèle 3PO. Faisant un mètre cinquante de haut, sa tête sphérique mesurait près de la moitié de sa taille totale. Sa coque argentée était rutilante, et ses deux petits yeux triangulaires clignotèrent joyeusement.

- Bonjour, les amis ! C'est un grand plaisir et un immense privilège de faire connaissance avec des personnes si recommandables !

Morgreed hurla de rire en voyant la figure de Canderous s'allonger jusqu'au plancher. Le voyage s'annonçait long, très long.

- Bon, je suppose que vais prendre le volant, marmonna la Togruta.

- Je pourrai t'assister, Taava ? demanda Liam.

- Tu sais piloter, fiston ?

- Mon maître me laissait parfois le siège du copilote.

- D'accord.

Tous montèrent à bord de la Comète, un cargo YT – 1 760 bien entretenu, au cockpit fixé au centre de la proue. Taava prit place dans le siège du pilote, tandis que Liam attachait déjà sa ceinture de sécurité Les moteurs vrombirent, la carlingue toute entière s'ébranla, et bientôt la Comète quitta l'atmosphère de Procopia.

- Bon, jusqu'ici, tout va bien. Liam, tu veux bien calculer les coordonnées ?

- Où on va, déjà ?

- Kal'Shebbol.

- Okay, deux minutes…

L'adolescent n'eut pas de mal à se repérer avec ce modèle d'ordinateur de bord, et rapidement il téléchargea un parcours sur le moniteur de Taava.

- Qu'est-ce que tu penses de ce parcours ?

- Mh-mh… Il me paraît bien. C'est vendu. C'est ton maître qui t'a appris à piloter, c'est ça ?

- Oui.

- Il s'est bien débrouillé. Et maintenant, le moment que je préfère… Tout le monde est bien attaché ? C'est parti !

Avec un sourire d'excitation, la jeune Togruta poussa le levier d'accélération. Les milliers d'étoiles visibles dans le hublot se changèrent en une myriade de lignes argentées, puis le vaisseau accéléra un grand coup, avant de s'engager dans le vortex bleu de l'hyperespace.

- Et voilà ! Nous sommes bien partis, pas de problème, tout va bien à bord, et personne ne semble nous suivre. Nous arriverons en vue de Kal'Shebbol dans deux semaines environ. Il n'y a ni piscine, ni casino, rien qu'une table d'holo-échecs et un paquet de cartes de sabacc, ainsi que la cabine de douche. Mais rien d'insurmontable, je suppose. Et maintenant, laissons le pilote automatique nous mener jusqu'à notre destination. Je vous rappelle que nous sommes sept, qu'il y a trois cabines de trois lits, ce qui sera largement suffisant pour loger quatre hommes, trois femmes et un droïd. Et maintenant, le plus dur reste à faire, mais c'est un test habituel et décisif : plus rien ne pourra jamais nous dissocier si nous réussissons à nous supporter pendant tout ce temps.

Quand la rampe d'accès toucha l'asphalte caillouteux, Liam se jeta presque dehors, et inspira à pleins poumons, avec délice. Morgreed l'imita, Dankin ronronna de plaisir. Canderous râla en riant :

- Morgreed, rappelle-moi de ne plus partager ta cabine sans protège-tympans !

- C'est agréable de respirer de l'air frais ! s'extasia Chi'ta en étirant les bras au ciel.

Tous les passagers sortis, à l'exception d'Ari et Kelly, son droïd, se régalèrent de pouvoir se dégourdir les jambes, mais leur joie fut de courte durée. Un bonhomme en bleu de travail sale, avec une casquette élimée, et tenant un bloc de données, se dirigeait à pas résolus vers eux avec un sourire gourmand.

- Bonjour mesdames, messieurs, et bienvenue sur Kal'Shebbol. Je pourrais avoir votre licence ?

Taava sortit son permis de vol sans discuter, et le disque d'identification de la Comète.

- Bien, tout est en règle. Parlons net. Frais d'entretien et de ravitaillement de l'appareil, taxe d'atterrissage de cent crédits par jour, et…

- Attendez une minute ! Cent crédits par jour… pour ça ?

La piste d'atterrissage n'avait de piste que le nom. En effet, c'était un plateau goudronné par endroits, percé de nombreux nids-de-poule, et à peine suffisant pour permettre à trois cargos légers de stationner. Le soleil se reflétait dans de nombreuses taches d'huile et de carburant et quelques rats womp grignotaient de vieux câbles électriques obsolètes qui pendouillaient de l'un des projecteurs cassés.

- Vous me prenez pour qui ? Ce terrain vague ne vaudrait pas quinze crédits par jour !

- C'est possible… si vous trouvez un autre endroit où stationner votre poubelle. Il n'y a qu'une seule piste homologuée, et poser son appareil dans un secteur public, ou une piste privée sans autorisation, pourra en entraîner la confiscation.

- Je connais les lois, espèce de pirate ! D'accord, voilà cent crédits. De toute façon, vu la manière dont vous recevez les touristes, on ne restera pas plus longtemps.

- On n'a pas besoin de touristes, ma petite dame. Qu'ils soient blindés de pognon ou loqueteux, on s'en fout. On se débrouille, et on n'a de compte à rendre à personne.

- Sortons vite d'ici avant que je n'émascule quelqu'un !

La ville de Kal'Shebbol était à l'image de son astroport : délabrée, désabusée et désinvolte. Les rues étaient mal entretenues, et les vieux speeders survolaient maladroitement des piétons Humains soupçonneux. Liam avait la désagréable sensation d'être palpé par les regards inquisiteurs. Il ne quittait pas Chi'ta, qu'il pensait particulièrement vulnérable malgré la présence de Dankin et Morgreed. Il demanda à Taava :

- Et maintenant ?

- Pendant le voyage, j'ai lu que cette planète était régie par un certain Flynton Elias. C'est à lui que nous devrions nous adresser en premier.

- Et pourquoi donc ? gronda Morgreed.

- Parce qu'il pourrait nous dire où se trouve l'ancienne base impériale de Kentor Sarne, et nous laisser y aller. Tiens, pendant que j'y pense…

Taava ouvrit son sac à dos, et en sortit une longue cape qu'elle passa sur ses épaules. Morgreed regarda la jeune Togruta avec curiosité.

- Et c'est quoi, ça ?

- Quand je me promène dans un endroit où il y a quelques risques, je ne sors jamais sans elle.

- C'est une cape paralysante ? demanda Canderous.

- Ouaip. Le premier qui me colle la main aux fesses le regrette aussitôt !

Quelques minutes s'écoulèrent avant que nos héros ne franchissent la porte à tambour rouillée du bâtiment administratif vétuste. L'hôtesse d'accueil, une petite Humaine trentenaire au teint d'ivoire, n'avait pas l'air rassuré en voyant entrer ce cortège d'individus hétéroclites, dont trois d'entre eux ne semblant pas commodes du tout.

- Oui, bonjour… messieurs-dames.

- On doit parler à Flynton Elias, déclara Canderous d'un ton autoritaire.

- Vous… vous avez rendez-vous ?

- Non.

- Dans ce cas, je ne peux rien faire. Monsieur Elias est un homme très occupé, et je ne peux pas le déranger pour rien.

- Monsieur Elias va pouvoir changer un peu son quotidien merdique. Nous avons à lui parler… tout de suite.

Canderous avait posé les poings sur le bureau de l'hôtesse. Celle-ci prit peur.

- Écoutez… monsieur Elias n'a pas de temps à perdre… avec vous… alors veuillez sortir d'ici sans faire de désordre.

- Pas sans avoir vu ton patron !

- Mais ça suffit ! Pour qui vous prenez-vous ? J'appelle la sécurité !

- Fais pas ça, ou tu le regretteras !

Mais l'hôtesse d'accueil avait déjà appuyé sur le bouton. L'alarme se déclencha, et en quelques secondes, quatre miliciens qui patrouillaient dans le secteur étaient à la porte, toutes armes brandies vers le petit groupe.

- Plus personne ne bouge ! Tous à terre, mains sur la tête !

Les deux padawans avaient déjà obéi. Avec un profond soupir d'agacement, Canderous les imita, puis les trois autres en firent autant. L'alarme s'arrêta, et le chef de la patrouille demanda :

- Alors, c'est quoi, ce bordel ? Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous êtes venu foutre la merde ici ?

- Ben, nous avions à parler avec le grand manitou, répondit Taava.

- Vraiment ? Ne me fais pas rire, poupée.

- Bon sang, mais que se passe-t-il ? intima une voix impérieuse.

Chi'ta reconnut immédiatement les intonations vocales typiques du leader, celui habitué à gérer et à commander. En levant la tête, elle vit un homme qui venait d'entrer par la porte derrière le comptoir. C'était un grand Humain, assez imposant, un peu serré dans un costume pastel bien repassé quoiqu'un peu vieillot. La sueur luisait sur sa peau noire. Son crâne était rasé, ses doigts épais frottèrent nerveusement son menton rasé de près, et ses grands yeux sombres scrutaient la scène avec circonspection.

- Monsieur Elias… bredouilla l'hôtesse.

- Eh bien, Maghee, qui sont ces gens ?

- Je… je peux parler ? osa timidement Chi'ta.

L'un des miliciens interrogea Flynton Elias du regard. Celui-ci fit un petit geste.

- Laissez parler cette personne.

Chi'ta se releva, et prit son air le plus convaincant, à la fois gêné et conciliant.

- Monsieur l'administrateur, je suis vraiment désolée pour ce malentendu. Je m'appelle Chi'ta Koskaya, et je suis une représentante de l'Académie Jedi de Yavin IV. Nous sommes en mission pour le compte de Maître Luke Skywalker, et nos pas nous ont conduit jusqu'ici, sur la planète Kal'Shebbol. Nous voulions vous rencontrer, car vous pourrez sans doute nous être d'une aide capitale pour la suite de nos recherches. Nous ne cherchons nullement à causer le moindre problème dans votre ville. Tout ce que nous voulons, c'est une autorisation de votre part.

La jeune fille avait été convaincante. Flynton Elias se radoucit un peu, et demanda :

- Vous avez une preuve de ce que vous me dites ? Des papiers, quelque chose ?

- J'ai ma carte, je vous la montre.

Chi'ta sortit doucement de sa poche sa carte d'identité métallique frappée de l'écusson du Praxeum. Elias ouvrit des yeux encore plus grands.

- Ce n'est pas possible ! Un Jedi, ici ?

- Mon jeune compagnon, Liam Kincaid, est aussi un padawan.

- Ah… bon.

Flynton Elias rendit sa carte à la jeune Drall, réfléchit quelques instants, puis déclara à l'attention des gardes :

- Bon, laissez-les se relever.

- D'accord, monsieur.

- Mademoiselle, vous, le petit jeune homme, et vous, mademoiselle de Shili, venez dans mon bureau. Les trois brutes, sortez sans bruit.

- Je refuse de laisser seuls les padawans ! rugit Morgreed.

Déjà les fusils des miliciens étaient braqués sur lui. Chi'ta leva les bras.

- S'il vous plaît, non ! Ecoutez, maître Morgreed, c'est très gentil de votre part, mais tout ira bien, ne vous en faites pas.

Le Barabel se renfrogna, et recula vers la sortie de mauvaise grâce. Il menaça du regard l'administrateur, lui faisant clairement comprendre que tout le monde avait intérêt à ce que tout se passât bien. Canderous et Dankin le suivirent, et tous les trois stationnèrent devant la porte d'entrée.

- Il faut excuser nos camarades, ils n'ont pas tellement l'habitude des échanges diplomatiques, commença Taava.

- Oui, bon, oublions ça. Alors, que voulez-vous faire, ici ? Vous avez dû vous rendre compte que cette planète est complètement paumée, il n'y a rien à faire ici, pour de jeunes gens volontaires comme vous.

- Vous avez l'air d'être un peu moins bouché que les autres.

- Il faut les comprendre, mademoiselle. Pendant des années, l'Empire a saigné la population à blanc. Le Moff Kentor Sarne était un homme rongé par la cupidité et le pouvoir. Maintenant qu'il n'est plus là, la population est livrée à elle-même. Ces gens ne sont pas « bouchés », comme vous dites. Ils ont peur. Et comme ils ont peur, ils réagissent mal quand ils voient arriver des inconnus, en particulier quand ces inconnus n'ont pas l'air d'être de paisibles citoyens…

- Mais que s'est-il passé ici, exactement ?

- C'est une longue histoire.

- Nous avons le temps.

- Si vous voulez… Par où commencer…

« Disons que l'Empire a été notre seule et unique voie politique pendant des années et des années. Le Moff Kentor Sarne, comme je vous le disais, était obsédé par la fortune et la puissance. Cette ambition a failli lui coûter son poste, et je suppose qu'il aurait été renvoyé de la Marine Impériale ou pire encore s'il n'y avait pas eu Kal'Shebbol. Il a été muté ici, au fin fond de l'espace répertorié par le B.O.S.S., avec pour mission d'assurer l'ordre ici. Comme nous sommes à l'extrême limite de l'espace connu, personne ne venait jamais superviser ses travaux. C'est tout juste s'il envoyait un rapport tous les mois, d'après ce que j'ai pu vérifier quand nous avons pu fouiller chez lui.

« Il y a quelques années, six ou sept ans, un commando de la Nouvelle République s'est infiltré dans la base du Moff, et a libéré les nombreux prisonniers de droit commun qui se sont aussitôt retournés contre leurs geôliers. C'était l'effet escompté, je suppose. Sarne est parvenu à s'enfuir dans sa navette, qui a rejoint son croiseur personnel. Les vingt-quatre heures suivantes, le commando Page, qui a mené l'action, a retapé une vieille corvette corellienne abandonnée par Sarne. Ils ont bricolé en vitesse tout ce qu'ils pouvaient, et ont enrôlé des volontaires sur place. Parmi notre population, principalement les prisonniers. Puis l'Étoile Lointaine est partie à la poursuite du Bastion, le croiseur de Sarne, et on n'a plus jamais revu ni ce croiseur, ni la corvette. Pendant ce temps, nous, les habitants de Kal'Shebbol, on a fait ce qu'on a pu pour tenir le coup, et redresser un tant soit peu notre situation politique désastreuse. J'ai moi-même assuré quelques responsabilités, conduit un chantier – à la base, j'ai une formation d'ingénieur – et finalement, les habitants de la ville m'ont demandé d'être leur administrateur, ce que je n'ai pas osé refuser.

« Quelques mois plus tard, surprise, voilà que Jayce Raynor, le capitaine de l'escadron impérial qui avait rejoint la Nouvelle République à bord de l'Étoile Lointaine, revient, seul. On a un long entretien de plusieurs heures durant lequel il me raconte ce qu'il a vécu. Mais c'est proprement effrayant. Il parle de monstres, de cités perdues, de poursuite infernale… mais le pire est que ce n'est pas resté sans conséquences : pendant les mois suivants, il m'aide en assurant le poste de commissaire, mais au fur et à mesure que le temps passe, il perd peu à peu la raison, ne parvient plus à dormir, prend des médocs de plus en plus toxiques, et finalement, il devient complètement fou. On est obligé de le mettre à l'asile, où il croupit toujours. »

Chi'ta était restée bouche bée. Liam frissonnait d'angoisse en pensant à la souffrance de ce Raynor. Taava, elle, restait calme en apparence.

- Vous l'avez dit, c'est une sale histoire. Et maintenant ?

- On a essayé de redresser la situation comme nous l'avons pu, mais vous avez vu dans quel état est notre ville, et comment sont désormais mes concitoyens.

- Vous devriez peut-être reprendre contact avec la Nouvelle République. Ils sauront vous aider à remonter la pente.

- Peut-être, oui. Mais pour le moment, ce n'est pas ce qui vous intéresse le plus, je suppose. Pourquoi êtes-vous donc ici ?

- Nous sommes ici car nous menons une… une enquête sur des événements qui sont arrivés récemment chez nous. Je ne sais pas si j'ai le droit de tout vous raconter…

- Vous avez des ordres ?

- Non, mais pour ce que nous avons déjà vu, il vaudrait mieux qu'on ne vous implique pas trop dans cette histoire.

- Bien… j'espère seulement que vous ne me cachez pas quelque chose qui concerne l'avenir de notre monde.

- Je l'espère aussi, monsieur Elias. Sincèrement.

- Que puis-je faire pour vous, alors ?

- Il y a des ruines archéologiques dans le secteur, non ? demanda Liam.

- Archéologiques, c'est un bien grand mot ! Les seules ruines sont celles de la base de Sarne.

- Nous aimerions pouvoir les explorer, il y a peut-être des choses à y trouver qui nous seront utiles, que Sarne aurait abandonnées.

Flynton Elias eut l'air surpris.

- Ma foi, ça m'étonnerait. Après sa déroute, les prisonniers ont tout mis sens dessus dessous, puis les pillards se sont servis… mais bon, si vous avez fait le chemin pour ça, alors… je vais enfin pouvoir dépoussiérer mon imprimante.

En effet, l'administrateur tapa quelques caractères sur son ordinateur, et bientôt un document officiel qu'il signa autorisait « Mademoiselle Taava et ses assistants » à se rendre sur place.

- C'est abandonné, normalement il n'y a plus personne. Si on ne les a pas volés, les moteurs alimentent toujours la structure, on ne pouvait pas les récupérer. Par contre, la base est dans un sale état. Il faudra faire attention. Et les mineurs seront sous votre responsabilité.

- Cela va de soi. Merci bien.

- Je vous en prie.

- Une dernière chose avant que nous vous laissions travailler…

- Je vous écoute.

- Est-ce que Raynor peut recevoir des visites ?

- Allez-y toujours, on l'a enfermé dans l'asile Tarkin. Je vais les prévenir. Mais ne vous faites pas d'illusions, ça fait un moment qu'il n'a plus rien dit de cohérent.

- Très bien. Merci pour tout, monsieur l'administrateur.

L'asile Tarkin était à l'image de celui qui avait jadis porté ce nom inspirateur de tant de terreur un bâtiment sombre, froid, d'aspect redoutable. Et la délégation procopienne s'apprêtait à y entrer. Le comptoir d'accueil était « occupé » par un droïd-torse soudé au meuble. Un vieux modèle avec un panneau lisse à la place du visage et une lucarne horizontale en guise d'yeux. Le haut-parleur incrusté dans son ventre crachota une voix impersonnelle, geignarde :

- Bonjour, mesdemoiselles et messieurs.

- Salut, boîte de conserve, répliqua Canderous avec un petit signe de tête moqueur.

- Non, Canderous, cette fois, c'est moi qui parle.

- Okay.

Taava s'approcha du droïd.

- Bonjour, nous souhaiterions rencontrer un de vos pensionnaires.

- Veuillez énoncer le nom de votre visite.

- Jayce Raynor.

Le cerveau positronique du droïd cliqueta, puis il répondit :

- Détenu dans la cellule numéro 47. Êtes-vous de la famille ?

- Non, mais nous avons l'autorisation de monsieur l'administrateur, répondit la jeune Togruta en posant sur la table le document signé par Flynton Elias.

- Ce document est une autorisation pour explorer la base abandonnée. Il n'a rien à voir avec les visites aux pensionnaires.

Comme Dankin approchait, l'air menaçant, le droïd s'empressa d'ajouter :

- Toutefois, j'ai reçu une communication du bureau de monsieur Elias. Il vous a effectivement autorisé à voir le patient de la cellule 47.

- Eh bien voilà ! répondit Taava avec un sourire.

Le droïd tendit sa main d'acier.

- Par contre, pour des raisons de sécurité, Monsieur Elias m'a demandé de ne pas laisser entrer les deux jeunes gens. On ne veut pas d'ennuis impliquant des personnes mineures.

Liam et Chi'ta se regardèrent, un peu embêtés.

- Eh…

- Ah.

- C'est le règlement. Vous n'avez aucun lien de parenté avec le patient, il est très dangereux, et s'il vous fait du mal, tout le monde aura des ennuis.

Devant l'hésitation de Liam et Chi'ta, Taava prit les devants.

- Allez, va, vous pouvez obéir. D'accord, vous êtes à un âge où on a tendance à vouloir faire ce qu'on veut, mais nous, les vieux schnoques, on a déjà fait assez de remous comme ça, pas la peine que vous en payiez les frais. Y a rien de drôle à interroger un malade mental. Attendez-nous là, ça ne sera pas long.

Taava avait trouvé les mots justes, et les deux padawans s'assirent sur les chaises de plastique docilement. Morgreed se gratta le crâne.

- T'en fais pas, Taava. Je vais rester avec eux.

- Faut qu'on y aille.

Taava, Dankin et Canderous s'engagèrent dans le couloir aux murs sombres. Le Barabel fit un gros clin d'œil aux padawans.

- Hé, regardez, on va se marrer.

Morgreed se planta devant le vieux droïd. Il dit d'un air détaché :

- Je souhaite voir un de vos patients.

- Veuillez énoncer le nom de votre visite.

- Est-ce que vous avez, dans votre établissement, un pensionnaire du nom de… Savah Palfer ?

- Aucune personne de ce nom ne figure sur le registre.

- Jorey Tappo ?

- Aucune personne de ce nom ne figure sur le registre.

- I.C. Féhavoir ?

- Aucune personne de ce nom ne figure sur le registre.

- Sev Hiskorporel ?

- Aucune personne de ce nom ne figure sur le registre.

- Gaff Atéfès ?

- Aucune personne de ce nom ne figure sur le registre.

- Tappa Debbol ?

- Aucune personne de ce nom ne figure sur le registre.

- Quitew Doubeul ?

- Aucune personne de ce nom ne figure sur le registre.

- Tadde Feraï ?

- Aucune personne de ce nom ne figure sur le registre.

Morgreed était enchanté, et s'amusait avec le droïd comme un enfant découvrant un nouveau jouet. Les deux padawans riaient de bon cœur, devant la naïveté de l'employé de métal.

Dans une sombre cellule aux murs recouverts de mousse synthétique agrémentée de moisissure naturelle, Taava, Canderous et Dankin, distinguèrent à travers le judas, sous un tas de chiffons, un homme sale, négligé, puant la sueur et transpirant la peur. Il était vêtu d'un pyjama blanc, constellé de taches sombres. Il était très nerveux, se grattait partout, et n'osait pas regarder vers la lumière. Ses cheveux grisonnants retombaient en mèches poisseuses sur ses épaules. Sa barbe était écumante.

- Bon, nous voilà devant Jayce Raynor. Qui commence ? demanda Canderous.

- Peut-être qu'il aura plus confiance avec une femme.

Par sécurité, elle appuya sur l'interrupteur de sa cape, puis entra dans la cellule.

- Lieutenant Raynor ? Lieutenant Jayce Raynor ?

L'homme sursauta. Il regarda la jeune femme, hésitant.

- Que… quoi… où ?

- Je m'appelle Taava.

- Ah… Bon…

- J'aimerais vous parler, s'il vous plaît.

- Je… je n'ai rien à dire… pas à vous.

- Vous êtes sûr ? Pourtant, vous avez quelque chose qui peut m'intéresser.

- Quoi… quoi donc ?

- Il y a quelque temps, vous avez vu et entendu des choses dans la Faille de Kathol.

- Non… pas ça…

- Aujourd'hui, nous avons besoin de votre aide. Nous sommes sûrs que vos connaissances peuvent nous aider.

- Non… ils m'en empêcheront.

- Nous pouvons vous protéger.

- Pas… pas contre eux.

- Qui ?

Raynor eut un petit rire sec, nerveux. Il montra du doigt l'un des coins de la cellule.

- Eux… !

Taava regarda. Elle distingua dans le noir une toile d'araignée, dans laquelle se promenait justement une araignée.

- Quoi, c'est tout ? Vous avez peur des araignées ?

- Pas… des araignées. Ce sont en réalité… des drones. Leurs drones. Ils comptent me surveiller, et me faire taire si je parle trop fort.

- Ce ne sont que des araignées.

- C'est vous qui le dites ! En fait, vous verrez bien vite qu'ils vous ont déjà dans le collimateur. J'ai vu de quoi ils sont capables. Ils ont des armes terrifiantes. Des guerriers insectoïdes particulièrement dangereux. Ils voulaient envahir l'univers… Maintenant, grâce à leurs drones, ils sont en bonne voie d'y parvenir !

- Je vous assure qu'il n'y a pas de danger.

- Vous ne me croyez pas, hein ?

- Mais si, je vous crois.

- Non… Parce que je suis ici, et que je suis bourré de pilules depuis des mois, vous me prenez pour un dingue. Je le vois dans vos yeux.

- Mais je vous assure que…

- La ferme !

Raynor se jeta sur la jeune Togruta, bras en avant. Quand il entra en contact avec la cape de Taava, il encaissa une telle décharge électrique qu'il fut secoué de convulsions violentes. Il s'effondra dans les bras de Taava, et gargouilla un seul mot avant de s'évanouir :

- DarkStryder…

- Et qu'est-ce que c'est que ça ? questionna Liam.

- Je l'ignore, répondit Taava, en parlant fort pour couvrir le bruit du vent. Ca peut être un nom de code, un lieu, une race, une arme… il n'a rien dit de plus.

Calé à l'avant, Canderous conduisait le grand speeder décapotable de location en direction du Plateau des Déchéances. Il jeta un petit coup d'œil par-dessus son épaule. Tout le groupe allait bien, et Taava semblait s'être remise de ses émotions.

- Il était vraiment dérangé, je ne sais pas si on peut prendre ses informations pour argent comptant.

- Peut-être que oui… ce qui s'est passé, l'autre nuit, à l'ambassade…

- Tu parles de ce soi-disant gros cafard qui aurait attaqué Ari ?

- Raynor semble craindre les insectes. C'est plausible, non ? répliqua Liam en prenant à témoin Chi'ta du regard.

- Je vous assure que ce qu'il dit est vrai, Taava. J'ai vu cette chose, moi aussi, avant qu'elle ne fonde complètement. Et puis les scientifiques de la Maison Pelagia ont prélevé des restes organiques.

- Mouais…

Taava était sceptique. Canderous beugla :

- On y est ! Regardez !

Le speeder était arrivé au sommet de la montagne. C'était un grand plateau, entouré d'une infranchissable barrière d'aiguilles de roche acérées. La masse sombre d'une ancienne base impériale en ruines, apparaissait au soleil de la fin d'après-midi. Le bâtiment était divisé en trois ailes : le bâtiment central, un grand bloc carré, de plastacier blindé gris clair, était le moins élevé, avec seulement deux étages. Le logo impérial figurait en relief au-dessus de la porte d'entrée. De part et d'autre de cette structure avaient été érigées deux longues annexes, bien plus longues et plus hautes. En voyant le reliquat de tour de contrôle, Taava comprit rapidement que l'aile droite, à l'est, la plus grande, était le hangar à vaisseaux. L'aile ouest devait être la caserne. Canderous stoppa le speeder devant la porte, et coupa le contact.

- Tout le monde descend !

Liam et Chi'ta étaient les plus impressionnés. Le padawan Gardien n'avait été confronté que rarement aux Impériaux, mais toutes ses peurs enfantines remontèrent d'un seul coup. L'état déplorable de la base l'inquiéta davantage. Quant à Chi'ta, elle semblait mortifiée, et murmura d'une voix tremblante :

- Je… je suis désolée. Je ne me sens pas très bien. La mort rôde en ces lieux, je peux distinguer ses ailes noires.

Il n'y avait plus personne depuis des années, mais on imaginait facilement un régiment entier de soldats de choc fantômes patrouiller dans les alentours. La révolte des prisonniers libérés par le commando Page avait vraiment fait des dégâts. La grande porte du hangar de l'aile est était en partie détruite, et l'on pouvait voir à travers les ouvertures béantes les restes du toit et de la tour de contrôle qui s'était effondrée sur la structure. De multiples impacts de blaster constellaient les murs. La plupart des fenêtres à l'étage avaient été brisées. Les projecteurs renversés, écrasés sur le sol rocailleux. Il planait sur ce sinistre tableau un silence terriblement pesant. Canderous avait déjà sorti sa vibro-rapière, et Morgreed sa vibro-hache. Taava porta la main à son holster, prête à dégainer. Les deux padawans restaient près l'un de l'autre. Canderous demanda :

- Bon, et maintenant, les enfants, par où commence-t-on ?

- J'aimerais visiter le bureau du Moff, il doit être à l'étage du bâtiment central.

- Entrons ensemble, on avisera ensuite.

Le groupe entra par le hangar, la porte principale blindée s'était avérée impossible à ouvrir, à cause de la rouille. L'intérieur était encore pire à regarder que l'extérieur. Des débris de verre, de bois, de ciment, des poutrelles de métal gisaient ça et là. Liam eut un long frisson en distinguant également sous les décombres un bras en armure blanche qui dépassait, une jambe écrasée, et partout de sombres traces brunâtres. Il distingua du coin de l'œil quelque chose qui le fit appeler les autres.

- Oh ! Regardez ça !

Les autres se rapprochèrent par terre, près des marques de repérage de la piste d'atterrissage, ils purent voir une grande trace où le plastacier avait partiellement fondu. Ce qui avait surpris l'adolescent était le fait que la brûlure avait la forme d'un cercle parfait.

- Ce n'est pas naturel, ça… marmonna Morgreed.

- Vous croyez que c'est un vaisseau qui a décollé ?

- Cette piste est conçue pour résister aux échappements des réacteurs, et si ç'avait été un tir de canon blaster, il y aurait un trou dans le sol.

- Une grenade, peut-être ? suggéra Canderous.

- Ce n'est pas important ! déclara fermement Taava.

Le petit groupe se dirigea vers la porte arrachée, et aboutit dans un petit couloir clair, qui menait au hall d'entrée. Sur leur gauche, ils pouvaient voir la double porte bloquée qu'ils n'avaient pas pu franchir. Sur leur droite, un escalier montait à l'étage, un autre descendait, et une grande porte à double battant juste en face d'eux conduisait à l'aile ouest.

- Doit-on se séparer ? demanda Chi'ta d'une toute petite voix.

- Il n'y a plus personne depuis longtemps, normalement. La seule chose à craindre, c'est un bout de plafond qui s'écroule.

- Je préférerais rester avec vous, Taava.

- Si tu veux. Et toi, Morgreed ?

- Je vais protéger la jeune Chi'ta.

- Et moi, je vais visiter le baraquement et la taule, décida Canderous. Hé, le môme, tu m'accompagnes ?

- Moi ?

Liam était surpris au plus haut point. C'était la première fois que le mercenaire lui avait directement adressé la parole.

- Oui, toi. Tu m'as l'air plutôt doué pour débusquer les sales types cachés, et tu pourrais nous éviter des emmerdes. Et ne t'en fais pas, avec moi tu crains rien, et avec Dankin ta copine Drall ne craint rien non plus. Dankin, est-ce que tu peux rester avec le Barabel et les filles ?

Le Togorien grommela un petit coup et fit un petit signe de tête.

Canderous était passé devant, Liam avait eu trop peur, et l'avait avoué sans honte. Le mercenaire n'avait fait aucun commentaire, comprenant parfaitement. En professionnel, il avait rengainé sa vibro-rapière et tenait à deux mains son pistolet blaster, canon pointé vers le sol, dans le prolongement de ses bras. Il avançait lentement, aux aguets. Liam eut un haut-le-cœur. En effet, en bas de l'escalier, des dizaines de cadavres jonchaient le sol. Des soldats de choc aux armures disloquées et percées de trous, et des corps pourris depuis des années. En voyant l'un des prisonniers défunts, dont il ne restait plus au-dessus des épaules que les restes desséchés d'os et des lambeaux de peau parcheminée, Liam ne put se retenir, et vomit tout son déjeuner.

- C'est dégueulasse !

- Si tu réussis tes examens pour être Jedi, ce que je te souhaite, tu en verras sûrement d'autres, alors autant commencer à t'y habituer.

Les deux hommes virent la porte blindée de la salle de surveillance. Quelques écrans avaient été brisés, mais…

- S'il y a encore de la lumière ici, c'est que la pile d'alimentation fonctionne. Si la pile d'alimentation fonctionne, cette installation devrait pouvoir marcher aussi. Essayons !

Aussitôt dit, aussitôt fait. Liam s'installa devant le panneau de contrôle, et appuya sur les boutons d'alimentation. Et la machinerie poussiéreuse se remit en marche.

- Pas mal, champion. Alors, qu'est-ce qu'on peut voir ?

- Les derniers fichiers datent d'il y a quelques années, sans doute le moment où le Moff a été renversé.

- Tu peux nous diffuser les images ?

- Ouais, je devrais pouvoir…

Liam tapota quelques touches, et bientôt les écrans s'allumèrent, et s'animèrent. Des images très mouvementées montraient les portes des cellules s'ouvrir toutes en même temps, et les prisonniers mettre à sac toute la base. Un petit reflet attira l'attention des deux hommes. L'un des écrans était tout blanc, avec la mention « dysfonctionnement de caméra ».

- Étrange… elle était déjà en panne quand t'as allumé ce machin ?

- Je ne sais pas, je ne crois pas, sinon on l'aurait vu tout de suite, non ?

- Possible. Tu peux revenir en arrière ?

- Euh... attends une seconde. Voilà !

L'écran représentait une scène enregistrée qui s'était déroulée au hangar. Une navette impériale de classe Lambda faisait chauffer ses moteurs. Un homme courait vers l'appareil : un grand personnage mince, au visage anguleux. Il portait un costume de Moff. L'homme était poursuivi par un petit groupe hétéroclite constitué d'Humains et de non-Humains. Liam reconnut un Wookiee, un Mon Calamari, et deux Humains, dont l'un était…

- Maître Halbret ?

- Qui ça ?

- Cette femme, là.

Liam mit l'enregistrement sur « pause ». On distinguait nettement les traits de la femme, bien déterminée à rattraper l'homme en costume de Moff.

- C'est le Maître Jessa Halbret.

- Elle porte un uniforme de colonel impérial.

- Je sais. Elle a fait partie de l'Empire, mais elle préfère garder ça pour elle, alors je te conseille de ne pas en parler.

- Comment tu sais ça ?

- Disons que j'ai eu un bon instructeur.

L'adolescent relança la lecture. Canderous leva la main.

- Attends un peu ! Remets en arrière !

Liam s'exécuta.

- Là, tu peux ralentir l'image ?

- Oui, attends… voilà.

Sur la vidéo, le Moff jetait quelque chose, un petit objet en forme d'œuf qui frappa le sol, provoquant une onde de choc hémisphérique, une demi-sphère parfaite qui grandissait à toute vitesse jusqu'à atteindre la caméra et provoquer le court-circuit.

- C'est ça, la trace ronde sur le sol. Ce gars s'est servi d'un module comme celui de Don Nycator, et l'onde de choc a bousillé la caméra.

- Et maintenant, on fait quoi ?

Le mercenaire réfléchit un petit instant.

- On va se barrer d'ici, et rejoindre les autres.

Ils remontèrent l'escalier, quand soudain, le mercenaire s'arrêta net, posant sa main sur l'épaule de Liam.

- Quoi ?

- J'entends quelque chose… et merde !

Pendant ce temps, Taava, Chi'ta, Dankin et Morgreed étaient montés, et avaient franchi la porte du bureau du Moff Kentor Sarne – du moins, une fois que le Barabel l'eut enfoncée d'un vigoureux coup de pied. Malgré la pagaille qui régnait aux étages inférieurs, la pièce était impeccablement rangée, quoique poussiéreuse. Les lieux avaient été consciencieusement fouillés, et les vitrines étaient toutes vides. Sur le mur était resté accroché un diplôme. Il portait la mention « Moff Kentor Sarne ». Morgreed n'hésita qu'un instant avant de l'arracher et de le fourrer dans son paquetage.

- Et un trophée, un !

Taava repéra un ordinateur incrusté dans la table. Elle s'installa, et se craqua les doigts.

- Voyons un peu ce que cet appareil a dans le ventre… espérons qu'il n'ait pas eu le temps de le formater.

Et elle se mit à joyeusement pianoter sur le clavier, contournant sans difficulté les quelques mesures de protection. La plupart des fichiers étaient restés intacts. Elle vit plusieurs dossiers concernant les effectifs de la base.

- Voilà notre ami Raynor.

En effet, le chef d'escadron local était Jayce Raynor, lieutenant de la Marine Impériale, plusieurs distinctions diverses. Une photo de lui le représentait plus jeune d'une dizaine d'années, rasé de près. Peu de ressemblance avec l'épave qui dépérissait au fond de l'asile Tarkin. Puis la femme Togruta consulta les fichiers des prisonniers.

- Y en avait pas mal… Humains, Duros, Trandoshens, Ithoriens… Tiens, un prisonnier a eu droit à un « traitement de faveur » : cellule isolée, supplice de la Langue de Feu… Voilà !

- Oh !

Chi'ta avait sursauté. La photographie représentait une femme Humaine que la jeune Drall reconnut sans hésitation.

- C'est Maître Halbret !

- Qui ça ?

- Je vous ai parlé d'elle au bureau de Stern, elle est membre du Conseil des Jedi !

- Ah oui ? Ce n'est pas ce qui est écrit là, pourtant.

L'écran montrait la photo du Maître Jedi, mais son identité était Jessa Dajus, Colonel des Services Secrets Impériaux. Chi'ta eut un nouveau sursaut. Bien qu'elle n'en avait rien dit à personne jusque là, Chi'ta avait beaucoup d'admiration pour cette femme, et la voir dans l'Armée Impériale lui causa un choc.

- On dirait que ta maîtresse Jedi a ses petits secrets.

- C'est… non, c'est impossible ! Maître Halbret ne peut…

- Beaucoup de membres honorables des hautes instances de la République étaient jadis engagés dans l'Empire, il n'y a pas vraiment de honte, tant que le changement de bord est sincère. Souviens-toi de Crix Madine ou du général Solo. N'oublie pas que sur les mondes qu'il domine, l'Empire a des méthodes de recrutement très engageantes, et que beaucoup de gens s'y sont laissé prendre. Tiens, d'ailleurs, regarde !

Il y avait une mention en rouge sur le dossier : « Haute Trahison – interrogatoires en cours ».

- Voilà pourquoi ils l'avaient mise en taule. Elle a décidé de quitter l'administration impériale à ce moment. Je ne peux pas dire pourquoi.

- Cela ne nous concerne pas ! répondit Chi'ta, fermement décidée à défendre Maître Halbret. Pouvez-vous trouver d'autres dossiers ?

- Mh-mh… tiens, regarde-moi ça !

Taava avait trouvé la liste des commandes, plus ou moins récentes, des biens de la collection privée du Moff. Sarne avait des goûts très variés. Des dizaines d'œuvres d'art défilaient une par une sur l'écran, avec l'estimation de leur valeur. En reconnaissant la pyramide de Don Nycator, Taava comprit ce que le Mecetti avait voulu dire par « dizaines de milliers de crédits ». Quand elle cliqua sur l'image de la pyramide, les détails de l'acquisition apparurent.

« Saisie de la cargaison d'un vaisseau de secours atterri en catastrophe sur la planète Pembric II, le Stiletto, lui-même rescapé de l'expédition du Liberator ». Quelques notes supplémentaires avaient été rédigées par Sarne : d'après les données de la boîte noire du Stiletto stockées dans la base de données de Pembric II, le Stiletto s'était crashé environ quarante ans plus tôt. Un vrai miracle, compte tenu de l'état du vaisseau et du chemin qu'il avait parcouru. On avait retrouvé un seul survivant dans un état critique et condamné. Avant d'expirer, dit-on, il avait juré s'être échappé d'un monde de cauchemar où de monstrueuses araignées et autres insectes géants avaient dévoré le reste de l'équipage de l'expédition du Liberator.

- On dirait que cet artefact a causé déjà bien des dégâts avant que Niklas Veiler ne s'en serve contre nous, marmonna Taava, pensive.

- Mouais… Espérons qu'il n'y en ait pas eu beaucoup d'autres, parce que j'ai pas envie de me prendre des ondes de choc à chaque fois ! ironisa le Barabel.

- Nous devrons en référer au Conseil des Jedi, vous ne pensez pas ?

- Sans doute. Et toi, Dankin, tu ne dis rien ? Dankin ? Dankin ?

Le Togorien était posté à la fenêtre. Oreilles couchées, petits yeux plissés, fourrure hérissée, il semblait soucieux. Taava leva la main.

- Écoutez… Un bruit de moteur… Non, deux. Il y a deux véhicules qui viennent vers nous.

La femme Togruta se précipita vers la fenêtre, jeta un petit coup d'œil, et se baissa aussitôt. Morgreed se plaqua contre le mur, près de l'ouverture, imité par Dankin. Chi'ta, en revanche, n'osa pas regarder.

Plus bas, le mercenaire et l'adolescent trépignaient. Ils avaient aussi entendu les speeders. Ils étaient remontés, et s'étaient faufilés dans l'aile gauche de la base, les quartiers des soldats de choc. Canderous avait entrouvert la porte dont le système d'ouverture automatique était en panne. Il compta rapidement deux groupes de soldats impériaux, chacun composé de quatre hommes. Entre les deux groupes, un personnage en costume d'officier de Garde procopienne brandissait un blaster d'une main et un porte-voix de l'autre. Mais ce qui inquiéta le plus le mercenaire était le Blaster Lourd à Affût Fixe qu'un autre soldat en armure blanche finissait d'installer en face de la porte de la caserne. Derrière, deux esquifs à l'arrêt flottaient doucement. Canderous fronça des sourcils. Il distinguait un écusson sur l'uniforme de l'officier – un lieutenant, d'après ses épaulettes – mais ne parvenait pas à voir pour quelle Maison il travaillait. Il n'eut pas besoin de se poser plus la question quand il l'entendit crier :

- Au nom de la Maison Melantha, je vous ordonne de vous rendre !

Canderous jura.

- Y a quelqu'un qui nous a balancé !

- Pas forcément, un groupe d'étrangers sur une planète aussi isolée, ça se repère à des kilomètres à la ronde. On a dû être suivis par ces mecs. Qui c'est ?

- Les hommes en blanc.

- Quoi ?!

Liam eut soudain terriblement peur. C'était la première fois de sa vie qu'il était directement face aux forces impériales. Même en compagnie de son mentor, il n'avait jamais été confronté à ces guerriers professionnels. Il connaissait de réputation la brutalité et le fanatisme dont pouvaient faire preuve les soldats de choc ordinaires, et la perspective d'être entre leurs mains le fit frissonner. En outre, étant apprenti Jedi, il était déjà un criminel aux yeux de l'Empire et n'osait pas imaginer quel sort l'attendrait si quelqu'un le repérait.

- C'est pas vrai…

- T'en fais pas, les autres ont dû les entendre. Moi, plus Dankin, plus le gros lézard, ça fait au moins trois pros de la baston. Plus Taava qui se dépatouille avec un blaster, la petite souris qui doit jouer du sabre… et toi, t'as été formé ?

- Euh… seulement avec des droïds d'entraînement.

- Ben tu vas voir, c'est pas plus cloche sur de vrais bonshommes.

- Et… qu'est-ce qu'on fait ?

- Laisse-moi réfléchir.

- Je ne veux pas descendre les affronter en corps à corps, ils sont bien trop nombreux pour moi ! paniqua Chi'ta. Et de toute façon, je sais à peine me battre !

- D'accord, t'affole pas. Tu sais utiliser un flingue ?

- Je crois, oui.

- T'as qu'à prendre celui-là, c'est cadeau, répliqua la Togruta en confiant à la jeune Drall un blaster de sport. Te fais pas de bile, il est réglé sur la fonction paralysante.

- Je vais les prendre par la porte du hangar, décida Morgreed. Dankin, tu me suis ou tu préfères rester ici ?

Comme à son habitude, le Togorien se contenta d'un petit ronronnement, tout en armant son arbalète Wookiee.

- OK, pas de problème. Vous me couvrez pendant que je les fauche. Laissez-moi trente secondes, puis tirez-leur dessus, j'interviendrai de mon côté.

Et le Barabel descendit les escaliers quatre à quatre tout en sortant son fusil blaster de son étui. Vingt-deux secondes plus tard, il était revenu dans le hangar. Il se rangea en joue devant l'étroite ouverture de la grande porte blindée cassée, et attendit.

Ce ne fut pas long. L'officier encaissa un tir de blaster lourd en pleine tête, et mourut sur le coup, sans avoir eu le temps de comprendre. D'autres tirs elliptiques de blaster paralysant jaillirent des fenêtres, et un carreau d'arbalète vert transperça l'armure d'un des quatre soldats de choc qui se tenaient sur la droite de l'officier. Morgreed visa l'esquif le plus proche, et ouvrit le feu à son tour. Il espérait faire sauter le moteur, mais ne parvint qu'à bosseler la carrosserie.

Canderous décida alors d'intervenir. Fouillant discrètement dans son sac à dos, le mercenaire sortit délicatement une mine antivéhicule. Liam fut impressionné.

- D'où tu sors ça ?

- Un petit souvenir. Voilà ce que nous allons faire. Tu vois le groupe de soldats de choc sur notre droite ? Tu vas lancer cette mine dans leur direction. Quand elle aura touché le sol, je la fais sauter d'un tir de blaster.

- Euh… okay.

Liam, inspirant profondément, empoigna la mine, ferma les yeux, les rouvrit, calcula la distance approximative qui les séparait du peloton, rabattit son bras en arrière, et faisant appel à son intuition, lança de toutes ses forces. Hélas, pauvre Liam, il avait mal calculé son coup, et la mine se fixa directement sur la paroi juste au-dessus de la porte. Pire encore, le voyant lumineux vert s'alluma, confirmant l'amorçage de l'engin. Canderous se frappa la cuisse du poing.

- Ah, zut ! Bravo, le Jedi ! Plus qu'à la récupérer, maintenant !

- Tu veux que…

- Non ! Pas question ! Je m'en charge.

Le mercenaire s'approcha de la mine, très doucement. Parvenant à contrôler son calme malgré le boucan de la scène de bataille de l'extérieur, il agrippa l'engin explosif, et tira. Elle ne se décrocha pas. Il tira plus fort, toujours rien. Un bruit d'impact dans sa direction le fit sursauter, la mine se décrocha d'un coup sec, fit un vol plané vers l'arrière, et tomba brutalement sur le carrelage. Le voyant passa au rouge.

- Gamin…

- Oui ?

- FOUTONS LE CAMP !

Les soldats de choc, surpris par une telle résistance, ne savaient plus trop où donner de la tête. L'un d'eux vit un petit jeune homme sortir de la caserne, affolé. Il braqua son arme dans la direction du gosse, mais sursauta en voyant surgir derrière lui une brute hirsute en armure de chasseur de primes mitrailler copieusement dans sa direction de son fusil blaster.

Du haut du bâtiment, tenant fermement son blaster de la main gauche, Chi'ta assistait à la bataille. Elle avait réussi à étendre un soldat, puis un autre, et avait toujours pu se planquer à temps pour éviter un tir. Mais son cœur s'emballa davantage quand elle aperçut la petite silhouette frêle de Liam sortir en courant du bâtiment et foncer vers le B.L.A.F. braqué sur la porte principale. Elle le vit sortir son sabre-laser, et la lame bleutée dansa dans la direction du canonnier. Le soldat de choc s'écroula dans un cri bref, les deux bras tranchés au niveau des coudes. La jeune fille détourna le regard avec un petit couinement de dégoût, et la lourde patte de Dankin la repoussa, juste à temps pour laisser filer un tir de blaster dans le mur. Quand Chi'ta releva la tête, elle resta éberluée en voyant que le B.L.A.F. s'était mis en marche sous le choc, pointé vers l'un des esquifs. Le moteur antigrav explosa, et l'engin s'écrasa sur les soldats de choc.

Morgreed jubilait. Stimulé par la charge de Liam, il avait balancé son fusil, sorti sa vibro-hache, et la faisait valser autour de lui en ricanant d'un énorme rire gras. Le sang giclait autour de lui, éclaboussait son gilet, son visage hilare, même ses yeux surexcités. Les soldats de choc avaient beau tirer sur lui, sa solide peau blindée ne fut pas abîmée. Une violente explosion ébranla alors toute la base, et une fumée épaisse sortit de la porte de la caserne dans un grand souffle. Comprenant qu'il était maintenant le dernier valide, le soldat de choc que Canderous menaçait de son arme jeta son propre fusil et resta les mains en l'air.

Dankin, Taava et Chi'ta furent dehors un instant plus tard. La jeune fille Drall se précipita vers l'endroit où Liam gisait toujours par terre. Il était noir de saleté, ses vêtements déchirés, et sa chevelure anarchique sous l'effet du souffle de l'explosion de la mine antivéhicule, mais il était vivant, et semblait à peu près indemne, quoique complètement hébété. Elle l'aida à se remettre debout.

Pendant que le mercenaire tenait toujours le survivant en joue, Taava et Morgreed s'empressèrent de fouiller l'officier. Il y avait dans son portefeuille quelques cartes monétaires pour une jolie petite somme de mille crédits. Le Barabel fut surpris de trouver dans la poche de son gilet une petite enveloppe sur laquelle on avait imprimé « Hassla Morgreed ». Il s'éloigna de quelques pas, l'ouvrit, en sortit un petit carton, et eut une petite sueur froide en lisant simplement ce message :

« Tu peux courir, mais tu ne m'échapperas pas »

Deux lettres apparaissaient en guise de signature : S.B.

Le Barabel eut une sueur froide en reconnaissant la signature de Selik Blackwood, le chasseur de primes Rodien qui était manifestement toujours à ses trousses.

Bordel, c'est lui qui a envoyé ces salauds nous trouer le cuir. Pas étonnant qu'ils nous aient suivi jusqu'ici.

Canderous interrogea son prisonnier.

- OK, mec. Je crève d'envie de t'atomiser la bobine, mais si tu réponds sagement à mes questions, il y a une petite chance pour que je parvienne à me retenir. Prêt ?

- Oui, monsieur.

- Bien ! Il m'appelle « Monsieur » ! Un bon point pour toi, mon gars. Alors, commençons par le commencement : qui t'a dit où nous trouver ?

- Je suis… j'étais sous les ordres du lieutenant Molina.

- C'est lui ! confirma Taava en vérifiant la carte d'identité de l'officier mort.

- Mais c'est pas un uniforme impérial, c'est un milicien de Procopia. Il sort d'où ?

- Il travaillait pour les Melantha, monsieur. On nous a demandé de suivre ses ordres.

- Les Melantha ! Les pro-Impériaux, hein ? Je savais que Vaskel Savill n'était pas fréquentable. Et comment vous saviez que nous étions ici ?

- Je l'ignore ! Je n'ai fait que suivre les ordres du lieutenant.

- C'est plausible, intervint Chi'ta.

- Mouais… tu n'es qu'un troufion, après tout.

- Nous avons suivi votre appareil, sous les indications du lieutenant Molina, puis nous nous sommes posés à côté de votre appareil quand nous étions sûrs que vous n'étiez plus en ville.

- Y a-t-il d'autres mecs en blanc avec vous ?

- Non, monsieur.

- T'es sûr ?

- Je vous jure ! Il n'y avait que notre patrouille, plus le lieutenant !

- Bon.

Canderous recula d'un pas.

- Qu'est-ce qu'on va en faire ?

- Attachons les survivants et ramenons-les à Elias, il décidera ce qui est bon pour eux, suggéra Taava qui était revenue.

- Bonne idée, on en profitera pour lui signaler ce souk !

Morgreed caressait le B.L.A.F. avec envie. Il s'esclaffa avec un sourire gourmand :

- Hé, Canderous, mate-moi un peu ce joli joujou !

- Okay, on le prend, mettons-le sur l'esquif qui marche encore. Bon, il n'y a plus rien à faire ici, allons nous-en. Tout le monde est là ?

- Non, attendez, où est passé Liam ? Liam ?

Chi'ta repéra l'adolescent. Il était assis sur la carcasse du speeder, l'air complètement prostré. La jeune fille Drall s'approcha de lui.

- Liam, on doit s'en aller, maintenant… Quelque chose ne va pas ?

Morgreed et Canderous commençaient à replier le B.L.A.F. pour l'embarquer. D'un petit signe de tête, Liam montra le soldat de choc aux bras sectionnés, toujours par terre et inanimé.

- J'ai blessé un homme… très gravement.

- Tu ne vas quand même pas t'excuser ! Il nous tirait dessus ! s'exclama Morgreed.

- Tu en verras d'autres, si tu es un Jedi, renchérit Canderous. Et n'oublie pas que ces salauds ont traqué et massacré les tiens pendant des années ! Ils n'ont que ce...

- Ce n'est pas une raison ! coupa sévèrement Chi'ta.

Canderous soupira d'agacement en levant les yeux au ciel, et repartit aider Morgreed. Le Barabel demanda à prendre les commandes du répulseur. Chi'ta s'assit à côté de Liam.

- Tu as fait ça pour protéger nos vies. Comme pour le cafard géant chez Ari.

- C'était un monstre. Mais là, c'est différent. Je n'avais jamais fait du mal à un Humain à ce point-là.

- As-tu pris du plaisir à te battre ?

- Non… je ne crois pas.

- Tu as risqué ta propre vie pour nous défendre, Liam. On a le droit, tu n'as rien à te reprocher. Et puis tu n'as tué personne !

- Pas encore. J'espère que ça ne viendra pas…

- Mais non !

- …trop tôt.

- Allez, quittons ce monde. Le Grand Fouisseur me pardonne, mais je me sens vraiment morose sur cette planète meurtrie.

- Moi aussi. On se casse.

Une heure plus tard, tout était réglé. Canderous avait rendu le véhicule de location, Morgreed avait revendu l'esquif pour une poignée de crédits, et tous deux avaient chargé le B.L.A.F. à bord de la Comète. Au passage, ils avaient déposé les soldats de choc encore vivants aux autorités locales, et étaient également repassés par l'asile Tarkin. Quand ils étaient revenus à la piste d'atterrissage, il y avait effectivement une navette impériale stationnée à côté de leur vaisseau. Taava eut un petit sourire.

- Y a peut-être de quoi faire un peu de bricolage, là-dessus ? Qu'est-ce que t'en dis, Morgreed ?

- On y va, chère amie.

Le système de sécurité ne présenta qu'une résistance symbolique face aux talents de piratage de la jeune Togruta. Ils montèrent à bord. Morgreed repéra quelques pièces détachées dans la soute, qu'il rassembla dans une boîte à outils. Taava s'installa au poste de commande, et mit l'ordinateur en marche.

- On va voir quelles informations croustillantes cette jolie petite machine va nous balancer. Voyons… Voilà… et… oh non ! Flûte !

- Quoi ? beugla le Barabel de la soute.

- Je me suis plantée ! Et maintenant, l'ordinateur déconne, il est foutu !

- Tant pis, va ! Y avait sans doute pas grand-chose à part des cartes.

Ils quittèrent la navette, et rejoignirent les autres dans la Comète. Ils tombèrent sur une discussion animée.

- Je maintiens que c'est une mauvaise idée ! râlait Canderous.

- On ne pouvait quand même pas le laisser là, et dans un état pareil, soutenait Chi'ta.

- Un gars complètement niqué de la tête à bord, pendant trois semaines, à tous les coups, il va nous créer des problèmes, c'est moi qui vous le dis !

- Les deux gamins ont insisté pour l'emmener, et ils ont raison ! déclara Taava d'un ton qui n'admettait aucune réplique.

- On n'est pas une œuvre de charité ! Ce barjo aurait dû rester dans son asile, point barre ! Pourquoi faudrait-il qu'on se le traîne ?

- Parce que c'est un témoin important ! L'un des rares survivants de la croisade de l'Étoile Lointaine, on ne peut pas l'abandonner ici !

- Mais qu'est-ce qu'on va en faire, bon sang ?

- Le Conseil des Jedi saura lui venir en aide, répondit Chi'ta.

- Tu crois ça ? Je ne suis même pas sûr qu'il lui reste assez de neurones pour penser à autre chose qu'à sa peur des araignées.

- Je regrette que ça ne vous plaise pas, maître Tal, mais ça vaut le coup d'essayer.

Le mercenaire soupira de lassitude. Il fit la grimace, mais prit sur lui.

- Bon. Okay. Mais je vous préviens : vous le mettez sous sédatifs pendant toute la durée du voyage. S'il blesse l'un ou l'autre d'entre vous, je m'en laverai les mains. Mais si jamais il s'en prend à moi, ou s'il nous met tous en danger en déconnant avec le sas ou les moteurs, je l'abats sur place.

Personne ne répondit, mais plusieurs regards lourds de reproches pesaient sur Canderous.

Trois semaines mornes à souhait avaient passé quand enfin tous débarquèrent sur la piste de l'astroport de Procopia. Taava s'occupa des formalités de douane, et supervisa le ravitaillement, pendant que les autres retournèrent à l'ambassade de la Maison Cadriaan. Raynor, toujours sous sédatifs et solidement attaché, ne quitta pas l'appareil. Les deux padawans étaient partis de leur côté avec Ari. Le sergent Gill les avait convoqués dans son bureau.

- Nous avons analysé les restes que nous avons trouvés dans votre suite, madame Quayle.

- Et… ?

- Il nous a été impossible de déterminer ce que c'était précisément. C'est une forme de vie complètement inconnue. La seule chose que nous avons pu déterminer est que c'est organique à cent pour cent. Et ça contenait de l'ADN d'insecte.

- Il existe quelques formes de vie connues ayant évolué à partir d'insectes, comme les Verpines. Vos scientifiques ont-ils au moins pu faire un rapprochement ?

- Pas le moindre, mademoiselle Koskaya.

- Bon, tant pis… Espérons que nous n'en verrons pas d'autres.

- Nous allons retourner à l'ambassade Cadriaan, où nous attendent les autres. Nous allons devoir quitter la planète quelques semaines, expliqua Chi'ta.

- Mais nous ne pouvons pas vous dire où, car on a déjà été suivis, ajouta Liam. Et Ari Quayle vient avec nous. Les choses vont se tasser pendant notre absence.

Ils avaient rejoint Morgreed, Taava, Canderous et Dankin moins d'une demi-heure plus tard, dans le bureau du responsable de la sécurité de l'ambassade Cadriaan. Le chef Stern avait écouté avec un intérêt croissant leur récit.

- Eh bien ! Si j'avais pu, je vous aurais bien accompagné. Apparemment, c'était une grosse marrade !

- Si vous aviez vu dans quel état est Kal'Shebbol, vous n'auriez pas eu envie de rire, chef, rétorqua Liam d'une voix blanche.

- Ah, bon. Et maintenant ? Je n'ai pas vraiment de piste supplémentaire à vous proposer pour le moment.

- Nous devons référer de ce que nous avons vu à nos maîtres, répondit Chi'ta. Nous aimerions retourner sur Yavin IV quelques jours.

- Et nous accompagnons les padawans, ajouta Morgreed d'un ton qui n'admettait pas la contestation.

Le chef Stern fit une petite moue.

- Mouais, face à l'autorité des Jedi, je ne peux pas grand-chose. Écoutez, faites comme vous le sentez, mais revenez-nous entiers, d'accord ? Je suis à ce poste depuis sept ans, et jusqu'à présent, je n'ai eu sous mes responsabilités que des moutons ou des incapables. Pour une fois que j'ai des enquêteurs à peu près potables, ça me fait suer de les voir partir.

- Notre mission est ici, souligna Liam. Nous devons faire notre rapport, mais c'est à Procopia que ça se joue. Je le sens.

- T'as du bol, maugréa Canderous, peu convaincu. Moi, je ne sens pas grand-chose.

- Et quand partez-vous ?

- Demain matin, à la première heure.

La porte s'ouvrit et, soudain, Chi'ta fut à nouveau emplie de la puissante sensation qu'elle avait éprouvée lors de sa première journée sur cette planète. Liam, non préparé à un tel choc, perdit tous ses repères en voyant entrer Dame Liryl, accompagnée de Dame Bathos. Tout se brouilla autour de lui, à l'exception de ce visage délicat sous cette mitre blanche. Comme la jeune Drall, l'adolescent, l'esprit vertigineux, entendit ou crut entendre une étrange et apaisante chanson. Le temps même sembla s'arrêter, il eut l'impression que l'univers entier avait cessé de bouger, à l'exception de cette magnifique jeune femme. La voix de Chi'ta qui chuchotait à son oreille lui fit reprendre conscience.

- Hé, ça va ?

- Oh !

Complètement déboussolé, l'adolescent ânonna :

- Mais qui êtes-vous ? Une déesse ?

- Non pas, jeune homme, répondit la Dame de Sérénité avec un petit sourire. Je suis Liryl, servante de la diplomatie et de l'entente. Vous êtes Liam Kincaid, n'est-ce pas ?

- Euh… oui… ma… Dame…

- Le chef Stern m'a parlé de vous pendant que vous n'étiez pas là. C'est très plaisant de voir que les Jedi s'intéressent de plus en plus à nous.

- Êtes-vous… êtes-vous une Jedi ?

Le sourire de Dame Liryl se fut plus mystérieux.

- Nous n'avons pas appris selon la même façon, mais nous essayons de vivre en harmonie avec les mêmes forces.

- Ah… bien…

Liam n'avait pas conscience de la présence de Morgreed, Taava, Stern, Dame Bathos, Ari, Canderous ou Dankin. Il n'y avait qu'une trinité entre lui, Chi'ta et cette très étrange et magnifique jeune femme. Il n'avait donc pas du tout remarqué les expressions consternées ou moqueuses des autres devant son hébétement.

- Vous… vous n'avez jamais pensé à venir sur Yavin IV ?

- Liam, voyons ! Ce n'est pas correct ! protesta la jeune Drall.

- Laissez donc, jeune Chi'ta. Votre condisciple a raison. C'est pour ça que je suis venue ici. Je voulais vous demander de m'emmener avec vous sur Yavin IV. J'aimerais beaucoup rencontrer votre Maître, Luke Skywalker. Je suis maintenant prête à me présenter au Conseil des Jedi, et à échanger avec eux nos conceptions de la nature et de l'usage de la Force.

- Voilà qui ne va certainement pas plaire à tout le monde, ici, observa la Haute Dame Bathos de la Maison Cadriaan. Votre popularité s'accroît de jour en jour, et beaucoup vont mal prendre votre départ.

- J'en suis consciente, Dame Bathos, mais je veux élargir mon horizon, même si j'éprouverai moi-même une certaine tristesse en m'éloignant de tous ces gens qui me font confiance. Je tâcherai de ne pas m'absenter trop longtemps.

Le lendemain matin fut un moment pénible pour les deux padawans, bien plus réceptifs aux émotions que les durs à cuire qu'étaient Dankin, Morgreed et Canderous. Toute la population semblait s'être rassemblée à l'astroport, et les barrières de sécurité craquaient sous la pression de la foule. Tous les enfants pleuraient sans retenue, et beaucoup d'adultes faisaient de même. La Maison Cadriaan avait affrété une navette de luxe spéciale pour la délégation. Devant la Flèche d'Or, Dame Bathos, sa fille Jizabella et son gendre Theus Paddox avaient attendu la jeune femme. Don Nycator de Mecetti était venu, lui aussi, accompagné d'une demi-douzaine de gardes.

Pendant que Dame Bathos faisait un discours d'encouragement, les porteurs finissaient de monter les bagages à bord, contrôlés au passage par le chef Stern. Dame Liryl, toujours suivie par Morgreed, se rapprocha de la rambarde, s'agenouilla près d'une fillette en pleurs qu'elle embrassa. Une telle tristesse fit monter les larmes aux yeux de Chi'ta. Taava lui tapota amicalement l'épaule.

- Allez, abrégeons, pas la peine de faire durer ça.

- Oui… partons.

Don Nycator de Mecetti était le seul qui avait l'air détendu. Avec un petit sourire troublant, il envoya du bout des doigts un petit baiser dans la direction de Dame Liryl. Celle-ci avala sa salive, et pressa le pas jusqu'à la rampe. Ce petit geste n'échappa pas à l'œil exercé de Liam, qui sentit ses yeux se plisser.

Quelques minutes plus tard, la Flèche d'Or s'éleva de quelques mètres, avant de filer vers les cieux, traversant les rares nuages. Une fois la vitesse de croisière atteinte, l'équipage s'installa pour le voyage. Canderous fut enchanté de voir que chacun avait sa propre cabine. Il n'allait donc pas devoir supporter le droïd d'Ari pendant les quelques jours qu'allait durer le voyage. De son côté, Liam interrogea discrètement Taava, une fois Dame Liryl retirée dans sa suite.

- Pourquoi a-t-elle été gênée par ce Nycator ?

- Il l'a demandée en mariage.

- Hein ?

Chi'ta avait aussi entendu la réponse de Taava, et s'était levée d'un bond.

- Taava, vous êtes sérieuse ?

- Oui. Il lui a demandé sa main pendant qu'on était à la réception de Sprax.

Chi'ta, stupéfaite, en retomba sur un siège. Liam fut pris d'une soudaine poussée d'adrénaline.

- Quoi ? Lui ? Ce dragueur de supermarché prétentieux ? Avec une personne aussi exceptionnelle que Dame Liryl ?! Bon sang, ce n'est pas possible ! Il faut empêcher ça !

- Hé là, doucement, Liam ! rétorqua Ari qui les avait rejoints. Je ne veux pas te casser ton élan, mais tu es sûr que c'est quelque chose dont tu dois te mêler ?

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Tu sais, c'est à Liryl de gérer ça toute seule, tu ne penses pas ?

- Pourquoi elle ne l'a pas envoyé promener direct ?

- Voyons, ça ne peut pas se faire comme ça ! Il y a tout un protocole ! Et puis, peut-être qu'elle va lui trouver quelque chose.

- T'es sérieuse ?

Liam était visiblement contrarié.

- Tu es plutôt direct, comme garçon. Tu n'as vu Don Nycator de Mecetti qu'à peine quelques minutes avant que l'on ne décolle et ça t'a suffi pour te faire une opinion sur lui ? Ne me dis pas que c'est comme ça qu'on t'a appris à réfléchir à l'Académie ?

- J'en ai entendu parler, et pas en bien.

- Oui, mais les gens dans sa position ont forcément des ennemis qui répandront des rumeurs assassines.

- Moi, je suis de l'avis du gamin ! répliqua Taava. Ce Don Nycator de Mecetti m'a tout l'air d'être un fieffé coquin !

- Tu dis ça parce que t'as pas encore digéré le coup de l'esclave à moitié à poil chez Gustavu, avoue-le !

- C'est possible, mais je ne suis pas née de la dernière pluie, Canderous. Il y a autre chose. J'ai le flair pour sentir ce que pensent les hommes, et j'ai l'impression que ce type cherche avant tout à mettre dans son lit le plus de monde. Ne me dis pas que tu vas le défendre ! Tu étais prêt à lui « briser les genoux », je te rappelle !

- Ouais, c'est vrai. Oh, et puis tant pis. Pas besoin de s'en faire, de toute façon, votre « Dame de Sérénité » saura bien le mener à la braguette, si elle est si débrouillarde ! grogna le mercenaire.

L'adolescent allait répondre, mais se retint, et s'assit sur la banquette, exaspéré. Chi'ta osa timidement :

- Elle n'a pas encore donné de réponse, Liam. Je suis certaine qu'elle réfléchira mûrement, et qu'elle donnera la réponse appropriée. Et quelque soit ce qu'elle dira, ce sera la bonne décision… même si, je l'avoue, l'idée de la voir mariée à Don Nycator de Mecetti ne m'enchante pas plus que toi.

- Ouais… tu as peut-être raison. Allez, n'y pensons plus.

La Flèche d'Or arriva à destination deux semaines plus tard. Pendant tout le trajet, Dame Liryl s'était tenue à côté de Raynor, chantonnant sa petite chanson pour le tenir au calme sans l'abrutir de médicaments. Le pilote du vaisseau avait obtenu l'autorisation de se poser sur l'une des pyramides de l'ancien temple Massassi. En regardant par le hublot, Taava eut une moue soucieuse.

- Oh-ho ! J'ai l'impression qu'il y a un comité d'accueil de première classe.

- Quel genre ? demanda Morgreed qui déboula hors de sa cabine.

- Le genre « rigolos s'abstenir… » répondit Liam.

En effet, quatre personnes attendaient en rang le vaisseau de transport. Quatre humains, deux hommes et deux femmes. Morgreed fut sincèrement impressionné quand il descendit du vaisseau et reconnut les quatre célèbres visages.

Le premier homme était de taille moyenne, plutôt âgé. Son visage avait une barbe en collier grisonnante, et ses grands yeux sombres scrutaient l'âme avec insistance. À sa droite se tenait une grande femme rousse, athlétique, habillée d'une combinaison moulant ses formes avantageuses. Elle parlait à une autre Humaine brune, à l'expression sévère, elle-même vêtue sobrement d'un uniforme noir. Et enfin, le dernier était un homme blond de petite taille, au visage qui ne trahissait pas la moindre émotion.

- Hé ! Vous êtes Luke Skywalker ! s'écria Ari Quayle. J'y crois pas !

- Luke Skywalker ?!

Morgreed s'empressa de mettre un genou à terre et de baisser la tête. La femme rousse eut un petit sourire amusé.

- Allez, relevez-vous, preux chevalier ! Votre dame vous y autorise.

La servitude de Morgreed fut brusquement remplacée par sa fierté. Il se redressa, et aboya presque :

- Ma Maîtresse, c'est Dame Liryl et personne d'autre !

- Surveille ton langage ! Tu parles à nos Maîtres ! intervint Liam, affolé.

- Bon, c'est pas tout ça, mais j'en ai ma claque, de ce vaisseau ! Où sont les bières ? Ho ? C'est vous le responsable de cette turne ? Où est-ce que je mets les bagages ? demanda le mercenaire avec autorité, une valise dans chaque main.

- Oh, mais qui sont ces si charmantes personnes ? C'est un immense privilège de tous vous rencontrer ! Quelle bonne journée pour se faire de nouveaux amis ! déclara alors K-LI avec entrain.

- Ta gueule, vieille ferraille ! rugit Canderous en balançant un coup de pied dans l'énorme tête du droïd.

- Moi aussi, j'aime jouer au nega-ball ! répondit le droïd.

- Grrr ! Je vais te… !

Pendant que Canderous se déchaînait sur le droïd, Luke Skywalker leva un sourcil en se tournant vers les deux padawans. Ils s'inclinèrent simultanément avec respect.

- Maître Skywalker…

- Je suis heureux de vous revoir, tous les deux. Bien des semaines ont passé, vous semblez avoir mûri par rapport au jour de votre départ de l'Académie. Je ne pensais pas que vous reviendriez accompagnés.

- Salutations, Maître Skywalker, dit à son tour la femme Togruta.

- Vous êtes la meneuse de cette joyeuse bande ? demanda l'autre homme.

- Il n'y a pas vraiment de « meneur », vous savez. On se débrouille comme on peut pour ne pas trop se mettre des mandales. Si vous voulez tout savoir, on a dû supporter ça pendant tout le trajet. Je n'ose pas imaginer ce qui se serait passé si nous avions été dans un vaisseau moins luxueux et plus exigu.

- Vous êtes plutôt courageuse, d'autres auraient troué la tête du droïd à coups de blaster et balancé le rasta dans l'espace.

- Heureusement que Dame Liryl était là pour nous modérer, monsieur… monsieur ?

- Ah oui ! Si vous le permettez, je vais faire les présentations ! s'exclama Chi'ta.

- Allez-y, padawan Koskaya.

Chi'ta se racla la gorge, se concentra quelques instants.

- Maître Skywalker, au cours de nos recherches, Liam et moi-même avons rencontré ces gens, qui nous ont apporté leur concours. Cette femme forte et débrouillarde est Taava, et tient un important commerce sur Procopia. Ce guerrier s'appelle Canderous Tal. Il n'est pas toujours très amical, mais sait se défendre, tout comme son ami de Togoria, le chasseur Dankin. La jeune Humaine se nomme Ari Quayle, jeune veuve, propriétaire de ce droïd. Ce grand Barabel, c'est Hassla Morgreed. Il fait honneur aux siens en respectant et protégeant les Jedi, en particulier Dame Liryl, à qui il a juré fidélité et obéissance.

- Dame Liryl ? Oh…

Les quatre Maîtres se tournèrent simultanément vers la rampe de débarquement de la Comète. Dame Liryl venait de descendre. Elle se tint devant Skywalker, et s'inclina profondément.

- Maître Luke Skywalker, je suis Liryl, la Dame de Sérénité.

- J'ai entendu parler de vous, Dame Liryl. Il est difficile de compter le nombre exact de conflits que vos talents de diplomates ont évité.

- C'est très flatteur, mais sans doute exagéré.

- Dame Liryl, reprit Chi'ta, vous connaissez déjà le Maître Luke Skywalker. Et voici Maître Kyle Katarn, Maître Mara Jade, et Maître Jessa Halbret.

Les trois autres Maîtres saluèrent à leur tour. Halbret plissa le nez, accusant une mauvaise surprise.

- Qu'est-ce qu'il fait ici, celui-là ?

- Vous le reconnaissez ? demanda Canderous, revenu.

- Hélas…

Moitié grognant, moitié gémissant, Jayce Raynor approchait en avançant sans la moindre grâce, maintenu par Dankin, comme un animal. Son regard apeuré croisa celui de la femme. Il poussa un cri effrayant, et se jeta sur elle, mains crispées en avant pour l'étrangler. Halbret esquiva et se mit en posture de défense. Le Togorien fut plus rapide encore. D'un coup net du tranchant de la main, il frappa la nuque de l'ancien pilote qui s'écroula en gargouillant.

- Où est-ce que je peux le mettre, patron ? demanda vivement Canderous en ramassant l'homme à terre.

- Laisse, Canderous. Dankin s'en occuper… marmonna le Togorien.

- Je vais vous accompagner, on a un petit appartement dans ce genre de cas. Suivez-moi, invita Maître Jade.

Maître Halbret secoua la tête, main sur le front. Chi'ta chuchota :

- Maître… ? Vous vous en remettez ?

- C'est pas vrai. Raynor… mais qu'est-ce qui t'est arrivé ?

- D'après Monsieur Elias, la personne qui nous l'a confié, son esprit s'est dégradé peu à peu, puis il est devenu comme ça.

- Je vous avoue que j'aurais préféré le revoir dans d'autres circonstances… voire même, si j'avais su qu'il était dans un tel état, je ne l'aurais pas revu du tout.

- Il a fallu qu'on se cogne ce rigolo pendant plus d'un mois pour que vous l'examiniez, vous ne pourriez pas lui raccommoder les neurones avec vos trucs de Jedi ? demanda Canderous sur un ton de reproche.

- Peut-être. J'ai déjà fait ça une fois. Mais le sujet avait été abruti à coups de médicaments. Lui, c'est différent. Si ça se trouve, son cerveau n'est pas très endommagé, mais son psychisme est en miettes. Enfin bon, ça vaut le coup d'essayer. Comment l'avez-vous trouvé ?

- C'est une longue histoire, en fait…

- Et si nous passions dans la salle de cérémonie ? Nous serons mieux pour parler.

- Nous vous suivons, Maître Skywalker.

Une heure plus tard, ils avaient pratiquement fini leur récit. Leur rencontre, l'anniversaire de Dame Bathos, la pyramide de Niklas Veiler, les restes sur Kal'Shebbol… Les quatre Maîtres ne les avaient pas interrompu une seule fois. Quand ils arrivèrent aux investigations dans la bibliothèque des Pelagia, en revanche, il y eut des réactions.

- Il y avait bien des chevaliers à la Maison Pelagia. Theus Paddox nous a laissé consulter leurs archives. Ils ont été très actifs pendant la Guerre des Clones. Certains ont même été directement des membres de la famille Pelagia elle-même.

- Intéressant. Et qu'avez-vous découvert d'autre ?

- Ils ont participé à la bataille du secteur de Kathol, Maître.

- La bataille de quoi ? demanda Mara Jade.

- Il y a quatre mille ans, une grande bataille a éclaté dans le secteur de Kathol. Une armée de Jedi menée par un certain Halbret s'est battue contre les Sith. Et ça a eu des répercussions. Le secteur de Kathol a été ravagé, et est devenu la Faille. « Halbret », c'est un de vos ancêtres, Maître Jessa ?

- Oui, padawan Kincaid. « Une » de mes ancêtres, précisément. Mais quel rapport ?

- En faisant nos investigations, nous avons appris que l'artefact en forme de pyramide que Niklas Veiler a utilisé l'autre jour avait été acheté par Don Nycator lors d'une vente aux enchères dans l'Amas de Minos. Cet artefact venait du secteur adjacent, le secteur Kathol. Plus précisément, il avait été saisi par les autorités de Kal'Shebbol, qui l'ont mis en vente parmi d'autres objets d'art.

Chi'ta fit une pause. Elle remarqua que Maître Halbret semblait de plus en plus nerveuse, mais essayait tant bien que mal de rester neutre. Des petits détails trahissaient son malaise : une goutte de sueur, la respiration légèrement plus rapide… Mais elle revint à Taava quand celle-ci reprit :

- Et c'est ici que nous avons trouvé Raynor.

- Vous vous êtes donc rendus jusque sur cette planète reculée ?

- Et nous avons trouvé quelques traces en fouillant la base. Nous avons tenté de faire parler Raynor, que nous avons considéré comme un précieux témoin, mais pour le moment, on n'a pas pu en tirer grand-chose. Il est évident qu'il est hanté par quelque chose qui a perturbé son équilibre mental gravement.

- Je ne sais pas ce qu'on va pouvoir en faire. Honnêtement… même la Force a ses limites.

- Il n'est pas mort, Maître Katarn, remarqua Dame Liryl. Tant que la vie subsiste, l'espoir l'accompagne toujours.

Un court silence suivit cette déclaration. Taava ajouta :

- Ah, Raynor a dit autre chose : « DarkStryder ».

Le bruit d'un verre brisé capta alors l'attention de toute l'assistance. Tous les yeux étaient tournés vers Jessa Halbret. Celle-ci était pâle comme un linge, ses mains tremblaient. Son verre de brandy savarin était en miettes sur le carrelage, et un droïd de nettoyage se dirigeait déjà vers la tache colorée. Elle recula vers la porte, puis pivota sur ses talons et sortit précipitamment. Mara Jade la suivit. Quand Chi'ta fit mine de se lever, Skywalker l'arrêta d'un signe de la main.

- Laissez, Maître Jade saura s'en occuper.

- Bon…

- Skywalker, je crois qu'on peut…

- Oui, Kyle. Mes amis, vous avez fait un remarquable travail d'investigations. En quelques jours, vous avez déduit un grand nombre de choses qui sont restées cachées pendant des millénaires avant de se manifester il y a sept ans, au cours de la croisade de l'Étoile Lointaine. J'espère que vous aurez conscience que ce que je vais vous dire devra rester entre nous.

Skywalker fit quelques pas, puis toussota et raconta :

« Il y a quelques mois, la Nouvelle République a reçu un appel d'un vaisseau républicain en perdition. Il s'agissait du Carbonite, en mission de transport dans le secteur Tapani. Les derniers enregistrements qui leur sont parvenus étaient très particuliers. D'abord, il y avait les messages de détresse, suivis d'une communication dans un langage complètement inconnu. Et puis, le vaisseau a explosé. La Nouvelle République a immédiatement dépêché un vaisseau de secours pour aider d'éventuels survivants, mais on n'a jamais retrouvé la moindre molécule. Cependant, les services de décryptage ont essayé de décrypter le message reçu par le vaisseau avant qu'il ne disparaisse. Ils ont perçu un mot : « Kathol ».

« Le chef du service de renseignements, Keleman Ciro, a reconnu le nom du secteur. Il avait lui-même été aux premières loges, car c'est lui qui a mené la mission de l'Étoile Lointaine. Officiellement, cette mission n'avait jamais eu lieu. Officieusement, il n'existe qu'une seule copie du rapport de mission, que nous détenons. C'est alors que Ciro s'est rappelé d'un détail intéressant : après avoir étudié des documents sur une planète proche de la planète Kathol, le Maître Jessa Halbret savait – sait toujours – parler couramment ce langage, faculté qu'elle a pu développer d'une manière étonnamment rapide, et consigner dans ce rapport. Alors, il m'a contacté discrètement. Il ne voulait pas réveiller un terrible souvenir chez Maître Halbret, et a préféré n'en parler qu'à moi. Je lui ai transmis la clé de décryptage de leur langage.

« Il est temps que vous en sachiez un peu plus sur ces modules, et ceux qui les ont créés. La grande bataille dont vous avez parlé s'est déroulée dans le secteur de Kathol, et ce secteur était déjà habité. Nous ne connaissons pratiquement rien de ces êtres, mais nous savons qu'ils étaient particulièrement évolués sur le plan technologique et spirituel, et qu'ils se faisaient appeler les « Précurseurs ». Toute leur technologie fonctionnait avec des modules alimentés par des cristaux énergétiques. Il se trouve que vous avez été confrontés au pouvoir d'un de ces modules. »

Un silence lourd de significations plana. Skywalker laissa planer quelques secondes, le temps qu'ils assumassent les informations. Katarn reprit cependant :

- Il semblerait que nous soyons repartis pour un tour. La technologie des Modules DarkStryder refait surface. Lorsque Ciro a contacté Luke, il m'a aussi demandé de faire une enquête dans le secteur Tapani, où le Carbonite avait été détruit. J'y ai passé quelques semaines, et ai recueilli des rumeurs comme quoi certaines « babioles » auraient fait l'effet de bien des convoitises, avant d'être détruites ou finalement sans intérêt. Il va donc falloir être extrêmement attentifs et prudents dans les jours à venir. Ces artefacts contiennent de très puissants pouvoirs qui peuvent devenir rapidement incontrôlables s'ils sont mal utilisés. Des gens peu scrupuleux et mal informés comme les membres de l'Empire ou les nobles de Tapani pourraient provoquer des catastrophes bien pires.

Encore une fois, le silence s'imposa. Enfin, Taava osa :

- Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?

- À l'heure actuelle, vous travaillez pour les Maisons nobles du secteur Tapani, n'est-ce pas ? poursuivit Katarn. Vous, Chi'ta et Liam, à notre demande, vous avez été voir les Pelagia qui vous ont bien reçu, quant à vous autres, vous êtes employés par Dame Bathos de la Maison Cadriaan. Vous avez bien choisi vos patrons, ce sont les moins pourr… euh, les plus « en accord » avec la politique de la Nouvelle République.

- Vous voulez qu'on arrête de bosser pour eux ? s'enquit Canderous.

- Surtout pas, au contraire ! Continuez vos travaux respectifs comme si de rien n'était, mais faites-nous part de vos investigations.

- Même moi ? J'ai mon commerce à faire tourner ! protesta Taava.

- Vous continuerez à faire tourner votre commerce, répondit Skywalker. Tout ce que nous vous demandons, c'est d'être nos yeux et nos oreilles. Les travaux que vous effectuez pour les Maisons vont sans doute vous remettre en contact avec la technologie DarkStryder ou ceux qui la cherchent activement pour leur profit personnel. Nous vous demandons deux choses : en premier lieu, nous rapporter toute activité suspecte liée de près ou de loin à la technologie DarkStryder, et deuxièmement, retrouver et rassembler le maximum d'artefacts pour nous les ramener.

- Pour votre profit personnel, je parie ! ironisa Canderous.

- Non, maître Tal, répliqua Katarn. Tout artefact qui ne sera pas fiable à cent pour cent sera détruit. Je ne pense pas qu'on puisse atteindre ce résultat un jour, mais on ne sait jamais. Et j'en profite pour vous signaler que nous vous paierons l'équivalent de votre salaire, vous serez donc payés deux boulots pour le temps d'un. Comme quoi, vous êtes gagnants sur toute la ligne. Si vous êtes d'accord, évidemment.

- Moi, ça me va, répondit Taava. Qu'en pensez-vous, vous autres ?

- Un double salaire ? Je n'ai rien d'autre à faire en ce moment, alors… commenta négligemment Canderous.

- Quant à nous, la question ne se pose pas. Nous irons où vous nous demandez d'aller, s'exprima Chi'ta.

- Euh… pareil, ajouta Liam.

Dankin acquiesça en silence. Les Maîtres regardèrent l'assemblée avec satisfaction.

- Je savais qu'on pourrait compter sur vous, dit Skywalker.

- Mais il ne faut donc pas s'attendre à un appui officiel de la Nouvelle République ? supposa Taava.

- En effet, officiellement, la Campagne DarkStryder n'a jamais eu lieu, répondit Mara Jade, de retour. Officieusement, quelques personnes seulement s'en sont sorties, dont Jessa Halbret et Jayce Raynor.

- Il y en a d'autres ?

- Oui, quelques rescapés disséminés à travers les différents systèmes, mais aucun d'entre eux n'en garde de bons souvenirs. Au mieux, ils réagissent comme maître Halbret, au pire ils se sont suicidés. En lisant le rapport de la mission DarkStryder rédigé par le capitaine Ciro, j'ai très bien imagine les horreurs qu'ils ont pu vivre, même si je n'y étais pas en personne.

- Tout ça pour dire qu'il faudra vous attendre à ce que, tôt ou tard, il vous arrive de sacrées emmerdes. Je préfère être honnête, précisa Katarn.

- Ah, j'oubliais !

- Oui, Maître Tal ?

- Savill m'a raconté que l'Empire était à craindre, mais pas le Moff Gustavu, le responsable de l'enclave impériale dans le secteur Tapani. Le vrai problème, ce serait un rigolo nommé Daymon Thorn.

Un lourd silence suivit cette déclaration. Maître Jade siffla d'irritation.

- Un des convertis les plus prometteurs du Grand Inquisiteur Tremayne pendant la Guerre des Clones.

- Oui, j'en ai entendu parler, répondit Skywalker. Il faisait partie autrefois du Praxeum d'alors, mais a été repéré, puis tenté par l'Inquisiteur, et lui est devenu totalement soumis.

- Eh ben ça promet !

- Raison de plus pour redoubler de prudence. D'après le peu que j'en sais, cet homme est probablement dangereux. Je vais me renseigner plus précisément sur lui, décida Katarn.

Les padawans étaient tous réunis dans le réfectoire, et partageaient avec leur repas leurs expériences de la journée. Chi'ta et Liam avaient raconté à leurs amis leurs récents déboires sur Kal'Shebbol, suscitant surprise et admiration, ce qui n'avait pas déplu au jeune Humain. C'était la première fois depuis la disparition de son bienfaiteur que Liam avait mangé au réfectoire en compagnie des autres élèves. Et cela réchauffa le cœur de la jeune Drall, déjà bien ensoleillé par la bonne humeur générale. Contrairement à ce qu'elle avait craint, personne n'avait fait de remarque désobligeante, aucun padawan n'avait éprouvé ouvertement de la crainte ou de la méfiance envers Liam, le joyeux drille qui avait chuté dans une profonde dépression, et peut-être menacé de basculer dans le Côté Obscur. Au contraire, tous avaient accueilli avec soulagement et plaisir leur camarade revenu. Entre deux mets, l'une des étudiantes avait chuchoté à la jeune Drall qu'elle y était probablement pour beaucoup. Celle-ci n'avait pas voulu le reconnaître, très modeste. Et cela ne comptait pas, par rapport à l'atmosphère festive de ce repas. Quand Liam en était arrivé au moment où il avait dû se défendre contre un soldat de choc, pas un ne l'avait hué ou méprisé. Au contraire, quelques-uns félicitèrent l'adolescent pour son audace, d'autres approuvèrent la sagesse et la perspicacité de Chi'ta, et à la fin, tous applaudirent.

Une fois le dessert fini, C-3PO vint prévenir les deux padawans que la Flèche d'Or s'apprêtait à repartir, et que le Maître Horn avait bien spécifié que leur mission allait continuer sur Procopia. Chacun des padawans souhaita bonne chance à l'adolescent et à la jeune fille, puis ils suivirent le droïd de protocole doré.

Le ciel de Yavin IV était criblé de milliers d'étoiles brillantes. Les oiseaux nocturnes planaient silencieusement, fendant le crépuscule. Dame Liryl, Skywalker, et Katarn étaient avec les autres sur la piste d'atterrissage. Les deux padawans les rejoignirent. Alors qu'elle se dirigeait vers la Flèche d'Or, sac à dos sur l'épaule, Chi'ta éprouva de la peine en voyant Morgreed. Ce dernier habituellement menaçant ou amusé, présentait un visage nouveau, que la jeune Drall ne connaissait pas. Il était chagriné, le front creusé par les soucis. Le Barabel baissait la tête devant Dame Liryl, vraiment misérable.

- Maîtresse…

- Tu es un serviteur très loyal, Hassla. Pendant tout le temps que tu étais à mes côtés, je n'ai jamais craint pour ma vie ne serait-ce qu'une seconde. Mais pour l'heure, nos chemins doivent se séparer. Je te relève de tes fonctions. Tu me serviras tout aussi bien si tu restes avec les deux padawans. Les autres peuvent se défendre seuls, mais je serai plus tranquille en te sachant avec ces deux enfants.

- Vos désirs sont des ordres, Maîtresse. Quiconque voudra s'en prendre aux deux futurs Chevaliers Jedi devra me passer sur le corps. Mais, vous… ça ira ?

- Ne t'en fais pas, fidèle Hassla. Ici, je suis entourée de Jedi. Je serai avec les plus grands Maîtres de la galaxie. Que veux-tu qu'il m'arrive ?

- Vous avez raison. Mais je vous en prie… je n'ai pas votre don de vision du futur, mais pour ce que j'ai pu voir, je sens qu'un grand coup dégueulasse se prépare. Faites bien attention.

- C'est promis, conclut Dame Liryl avec un petit sourire.

Elle passa délicatement sa main sur la joue rugueuse de Morgreed.

- Je te remercie pour ta fidélité et ton dévouement. C'est la voie de la sagesse.

Morgreed soupira, puis monta à reculons dans la Flèche d'Or, sans éprouver la moindre sensation en se cognant la tête sur la carlingue. Canderous grimpa à bord sans même un regard par-dessus son épaule, suivi de près par Dankin. Alors que celui-ci posait le pied sur la rampe, la voix éraillée du droïd de protocole interpella le Togorien, dans sa langue natale.

- Oh, mais qu'avez-vous là, Maître Dankin ? Vous permettez ?

C-3PO approcha de la brute velue, et plongea délicatement ses doigts chromés dans son épaisse fourrure crème. Il en retira un petit objet gris.

- Un émetteur ! Quelqu'un a placé sur votre personne un émetteur !

- Pas étonnant que les Melantha nous aient retrouvé si facilement sur Kal'Shebbol, grommela Canderous, qui était redescendu.

- Mais est-ce que c'est bien les Melantha qui ont mis cet émetteur ? s'interrogea Taava, pensive.

- Peu importe, trancha Katarn. Vous aurez bien le temps de le savoir.

Il ne restait plus sur la piste que Liam et Chi'ta. Katarn retint les deux padawans.

- Nous avons commencé à lire les rapports des recherches que vous avez effectuées, Chi'ta. Bon travail. Mais vous n'êtes pas en berne, Liam. Apparemment, vous n'avez pas trop perdu les pédales pour votre premier combat. C'était bien votre premier combat ?

- Oui, Maître Katarn.

- Je vous en prie, combien de fois il faudra vous le dire, appelez-moi juste « Kyle » !

- Oui, euh… Kyle.

- Vous n'aviez jamais eu à vous battre, quand vous étiez avec Blackstorm ?

- Non, il me tenait à l'écart des missions qu'il jugeait dangereuses.

- Faut dire que vous étiez un peu jeune. Je comprends son point de vue.

- J'aurais aimé ne pas avoir à faire ça, Kyle.

- Vous avez voulu vous défendre, et défendre vos compagnons. Il n'y a rien à ajouter. Un jour, peut-être, vous prendrez une vie. Mais si c'est dans les voies de la Force, ce sera uniquement pour en préserver au moins une autre, et pas forcément la vôtre. J'ai tué, de nombreuses fois, dans ces préceptes, et j'assume. Vous pourrez assumer, le moment venu.

- D'accord, Kyle.

- Maintenant, permettez-moi de vous souhaiter bonne chance, et que la Force soit avec vous.

Quelques minutes plus tard, la Flèche d'Or filait dans la stratosphère de Yavin IV en direction du secteur Tapani.

- Et alors, Maître Duncan lui a dit « Il n'y a pas d'émotion, il y a la paix, mais faut quand même pas déconner ! » et le maquereau a accepté de lâcher prise !

- Ton Maître ne l'avait pas « persuadé » de laisser tes amis tranquilles ?

- Il n'en n'a pas eu besoin. Il utilisait la Force principalement au combat. Bien sûr, pour les situations extrêmes où il n'avait pas droit à l'erreur, il suivait les voies de l'esprit, mais sa carrure et son regard étaient des moyens de persuasion déjà bien efficaces.

Les deux padawans, rentrés sur Procopia, déambulaient dans les couloirs de l'ambassade Pelagia. La nuit était tombée, le voyage avait été très fatigant même s'ils n'avaient plus eu à supporter la folie de Raynor, il y avait eu la déprime de Morgreed, que le droïd d'Ari avait tenté tant bien que mal d'égayer, malgré les insultes et coups de pied répétés de Canderous. Arrivés devant les portes de leurs suites respectives, ils se souhaitèrent bonne nuit.

Quand Liam rentra dans la suite qui lui avait été prêtée, il aperçut un gros paquet cadeau sur le lit. Dessus, un petit mot : « Pour le champion de la dératisation – PADDOX ». L'adolescent déchira le papier cadeau, ouvrit la boîte… et en sortit un magnifique costume coupé à ses mesures. Chemise blanche faite dans la plus fine étoffe, veste et pantalons noirs agrémentés de coutures argentées, avec un magnifique manteau long cramoisi. Une paire de solides chaussures assorties était rangée dans un compartiment au fond de la boîte. Liam vérifia succinctement qu'il n'y avait aucun émetteur visible, caché dans une poche, aucun micro dissimulé dans un compartiment secret dans l'une ou l'autre des chaussures… puis une fois rassuré, il retira prestement sa combinaison trouée et grisâtre et passa avec délice les vêtements offerts. Ils lui allaient parfaitement. Liam regarda son reflet dans la psyché, et sourit largement.

Maintenant, j'ai l'air de quelque chose !

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