La Trilogie de l'Expansion

Chapitre 15 : Echos

61409 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/07/2018 18:07

La nuit finissait de s'estomper. Deux oiseaux, éclairés par la lumière d'un grand projecteur, chantaient avec entrain, imités par d'autres. L'air était frais et doux, l'humidité à peine perceptible, un petit vent chaud soufflait entre les branches des arbres. Les deux volatiles chantaient de plus en plus fort, lorsqu'ils furent effrayés par un grondement sinistre au-dessus d'eux, comme une ombre gigantesque fendait le ciel quelques mètres plus haut.

La navette personnelle de Daymon Thorn survola la forêt, et stabilisa son vol au-dessus de la plate-forme. Une minute plus tard, les passagers purent sentir le choc des trains d'atterrissage sur l'acier. Le pilote lança la procédure de refroidissement des moteurs, et abaissa la rampe de débarquement.

- Debout !

Chi'ta Koskaya sursauta, brutalement sortie de sa torpeur par la voix autoritaire de l'officier. En quelques secondes, elle se remémora ce qui lui était arrivé au cours de la dernière demi-heure. Ce n'était pas un mauvais rêve : elle était bel et bien prisonnière des troupes impériales. Dame Liryl se leva sans bruit, et se dirigea vers la sortie de la navette, talonnée par la jeune Drall. Une fois qu'elles furent à l'air libre, Chi'ta sentit encore son angoisse monter en voyant les alentours.

Elles avaient été conduites jusqu'à une installation impériale préfabriquée. C'était un immense complexe divisé en trois secteurs reliés par un monorail. Le bâtiment principal, le plus au nord, était suspendu par d'énormes câbles de plusieurs mètres d'épaisseur au-dessus de l'immense gueule rougeoyante d'un volcan. Les deux ailes annexes se dressaient sur les flancs du cratère, et la navette s'était posée sur la plate-forme ouest. Au centre de celle-ci, il y avait un grand bâtiment rectangulaire sur lequel étaient peints des logos impériaux, vraisemblablement une caserne. Les projecteurs des miradors éclairaient tout le périmètre.

Plusieurs dizaines de soldats de choc étaient en rang, avec à leur tête un homme que la jeune fille reconnut aussitôt. Le visage sévère paré d'un bouc grisonnant et d'une brosse coiffée vers l'avant, serré dans son uniforme olive, il salua solennellement, touchant son front de l'extrémité de ses doigts gantés de cuir noir. C'était le Moff Laird Gustavu. La femme Kathol se pencha discrètement vers la petite Drall.

- Chi'ta, je suis sincèrement désolée de t'avoir entraînée dans cette histoire.

- J'ai choisi de te suivre, tu n'as pas à te sentir…

- Pas de ça !

Chi'ta sentit une violente tape lui secouer la nuque, elle en tomba presque en avant. Le Seigneur Noir Daymon Thorn n'utilisait pas des gants de velours.

- Vous aurez tout le loisir de parler quand je vous en aurai donné l'ordre. D'ici là, je ne saurais que trop vous conseiller de garder vos lèvres bien scellées.

Et le Seigneur descendit à leur suite. Il fit arrêter les deux filles par ses soldats, et continua à avancer jusqu'au Moff, le dépassa sans ralentir. Gustavu lui emboîta le pas.

- Bienvenue à Kentor 1, mon Seigneur ! Je suis très heureux de vous revoir ! Les rapports m'ont dit que l'affrontement sur le lieu du crash de la navette de Sarne a été très violent !

- Une mauvaise plaisanterie, Moff, répondit le Sith en faisant un geste vers l'arrière pour ordonner à ses hommes de conduire les deux prisonnières à sa suite. J'ignore qui étaient ces gens, mais ils ne faisaient pas le poids face aux pouvoirs de la Force. Vos hommes bien entraînés m'ont été utiles.

- Oh, je vous remercie du compliment. Je ne manquerai pas d'en référer aux survivants. Je vois que vous ramenez des prisonniers ?

Le Moff regarda par-dessus son épaule pour voir plus précisément de qui il s'agissait.

- Mais… c'est la Dame de Sérénité !

- En effet.

Le visage du Moff Gustavu s'empourpra d'inquiétude.

- Seigneur Thorn, êtes-vous sûr que ce soit bien prudent ? Dame Liryl jouit d'une popularité certaine dans le Secteur Tapani. Les civils eux-mêmes risquent de prendre les armes en apprenant que leur messie est entre nos mains !

- Ne vous en faites pas, Moff Gustavu. Vous avez vu comme moi les vidéos du mariage de Don Nycator de Mecetti. Il a affirmé qu'elle œuvrait pour les Kathols, et elle a confirmé. Les habitants du Secteur Tapani la regardent sans doute d'une façon beaucoup moins amicale. En outre, Nycator n'était qu'un misérable bouffon, une marionnette entre les mains des Précurseurs, mais je suis convaincu par autre chose de bien plus concret : la Force. La Force parcourt les veines de Dame Liryl, c'est un fait. Cependant, j'ai appris à distinguer les courants de la Force. Et son flux est différent de tous les autres que j'ai pu analyser. Ce flux est sans doute lié à nos découvertes. Nous devons en tirer parti.

- Je ne devrais pas poser la question, mais ne pensez-vous pas qu'elle… pourrait… se montrer dangereuse ?

Le Sith s'arrêta, et son visage de pierre fixa le Moff, impassible. Celui-ci sentit une désagréable sensation monter, monter le long de ses intestins. Sans y prendre garde, Thorn se retourna, faisant face à Liryl.

- Pour cette marque de manque de confiance envers mon contrôle absolu, je devrais peut-être le jeter par-dessus la rambarde, mais le Moff a tout de même raison sur un point. Je ne connais pas encore toutes les données vous concernant. Mais, soyez tranquille, je vais très vite apprendre à vous connaître. Une chose, déjà, m'empêche de vous arracher le cœur tout de suite.

Thorn fit un pas en avant, et leva la main droite, la mettant à hauteur de sa figure.

- L'énergie de la Force circule autrement chez vous. Il y a notamment un rayonnement particulier. Quelque chose qui se distingue dans votre puissance chatoyante.

Le Sith descendit lentement la main, et la crispa sur le ventre de la jeune femme. Celle-ci tressaillit, mais resta stoïque.

- Oui… Oui ! Ici, je peux sentir une source d'énergie vraiment puissante, exactement ce dont j'ai besoin pour mes projets !

Thorn recula, et Dame Liryl le regarda froidement, focalisant ses yeux sur les deux puits noirs enfoncés dans le faciès crayeux du Sith. Chi'ta, souffle coupé, suivait ce duel sans en perdre la moindre microseconde. Thorn eut un sourire cruel.

- Vous me donnerez cette source, quelle que soit la manière que j'userai. Et pour commencer, nous allons avoir une petite conversation. Moff Gustavu ?

- Oui, mon Seigneur ?

- Veuillez m'accompagner jusqu'à mon bureau. Nous allons parler de nos projets, tous les trois.

- À vos ordres, mon Seigneur.

Thorn tourna la tête vers la petite Drall, qui se sentit rétrécir, rétrécir..:

- Quant à vous, misérable petit rejeton de sous-espèce, je doute que vous puissiez revoir un jour ou l'autre le clapier dont on vous a sorti. Vous m'avez échappé une fois, mais il n'y aura pas de deuxième évasion, et vous allez très vite regretter de vous être immiscée dans les affaires de la Force. Sergent Nemmenuh ?

Un soldat de choc portant une épaulette renforcée de couleur bordeaux s'avança.

- Oui, mon Seigneur ?

- Emmenez ce pitoyable hamster hypertrophié dans une salle annexe, et faites-lui passer la procédure d'interrogation standard.

- Bien, mon Seigneur. Je suis honoré que vous me demandiez de m'occuper d'un tel prisonnier !

Le Sith eut un rictus ironique.

- Une façon bien tournée de me faire comprendre que vous avez une petite appréhension. Je lis dans vos sentiments vos inquiétudes, mais soyez sans crainte.

Thorn se pencha vers Chi'ta. Il tendit la main, et aussitôt le sabre-laser de la jeune fille bondit de sa ceinture. Le Sith s'en saisit, et la contempla d'un regard méprisant.

- Du travail d'amateur. Passable, pour un vulgaire pourceau, mais tellement bâclé…

D'une pression terrible, Thorn brisa l'arme entre ses phalanges. La petite Drall trembla davantage et éprouva une vive douleur dans la poitrine, comme si le Sith venait de lui broyer les côtes. Il laissa tomber négligemment les morceaux, et poussa doucement en avant du bout du pied la pierre de concentration d'alimentation, encore intacte.

- Vraiment de la basse catégorie. C'est avec ce genre de cochonnerie que les Jedi espèrent maintenir l'ordre ?

Pour ponctuer son affirmation, il écrasa le petit cristal vert sous son talon d'acier, le réduisant en miettes. En voyant Chi'ta détourner le regard, larme à l'œil, il éclata de rire.

- Cette insignifiante bactérie n'est pas une Jedi, elle n'a pas terminé sa formation, et quand bien même elle créerait des problèmes, elle ne pourra pas m'échapper. Au moindre signe de rébellion, au moindre comportement suspect de sa part ou de la part de vos hommes, vous avez l'autorisation de l'abattre immédiatement.

- À vos ordres, mon Seigneur !

Le sergent salua d'un claquement de talons, fit signe à deux de ses subordonnés de le suivre, et tous trois encadrèrent la jeune Drall, la poussèrent en avant. Elle ne put s'empêcher de regarder par-dessus son épaule, ses grands yeux écarquillés par l'angoisse. Elle vit Liryl, toujours calme et impassible, et juste derrière elle, le soleil apparaître au-dessus de la cime des arbres qui constituaient la ligne d'horizon.

Que le Grand Fouisseur fasse quelque chose, n'importe quoi !

- N'importe quoi ! Je ne comprends pas, c'est carrément n'importe quoi !

Canderous Tal avait répété cette phrase tout au long de leur marche. Le docteur Ezra Lohrn marchait à ses côtés, et faisait de son mieux pour ne pas prêter attention à la voix du mercenaire.

- C'est incompréhensible, vraiment ! Je ne comprends pas !

- C'est bon, moi, j'ai compris ! Alors quoi, vas-y ! Parle ! Exprime-toi, vu que tu n'attends que ça ! Qu'est-ce que tu ne comprends pas ?

- Très simple : nous sommes censés être au fin fond de l'univers inconnu. Nous avons voyagé pendant trois jours sans interruption en empruntant des chemins que personne d'autre que les Kathols ou les Moines Aing-Tee ne connaît, alors que les gars de Ciro avaient mis trois mois, et quand on sort du Puits de Vie, voilà qu'on tombe coup sur coup sur Gorak Khzam et Daymon Thorn. Ils ont tous réussi à nous suivre ? Ils sont montés à bord du vaisseau Aing-Tee sans se faire griller ?

- T'es pas sûr qu'il y a plus important comme question ? Nous avons perdu Chi'ta, Liryl et Liam en même temps. Si ça se trouve, ils sont en train de passer tous les trois à la moulinette du Côté Obscur, et tout ce qui éveille ta curiosité, c'est de savoir comment tous ces sales types sont arrivés ?

Les deux compères marchaient depuis déjà plusieurs heures. Dankin, le chasseur Togorien, les précédait de quelques dizaines de mètres, usant de ses talents d'éclaireur pour prévenir toute attaque surprise. Canderous n'en démordait pas.

- Je sais qu'ils sont tous en danger. Crois-le ou non, mais j'ai fini par m'y attacher, à ces gosses, et je n'ai pas du tout envie qu'ils puisse leur arriver quelque chose. Même si j'ai pas confiance en leurs profs, même si je n'aime pas toujours leur manie d'être trop sentimentaux, je ferai tout pour les retrouver et les tirer de ce pétrin ! Seulement, je me demande quand même ce qui a bien pu se passer.

- Rappelle-toi que nous sommes restés dans cet état de stase pendant une semaine. Il s'est forcément passé un truc vraiment pas clair. Je crois bien que le Soleil Noir a pu nous suivre, et que l'Empire a suivi le Soleil Noir à son tour.

Le mercenaire réfléchit quelques instants.

- Ouais, c'est vrai. Khzam a été le premier à nous tomber dessus, et en plus il a eu l'air aussi surpris que nous de voir les Imps. C'est Thorn qui devait savoir le plus ce qu'il faisait, et avec de plus gros moyens ! Cela dit, ça ne t'a pas dérangé de ne pas en profiter un peu !

En effet, Ezra avait reconstitué une armure complète de soldat de choc en ramassant des pièces éparses sur les différentes victimes du terrible assaut qui avait eu lieu quelques heures plus tôt, et avait mis la main sur un fusil de nettoyeur du Soleil Noir qu'elle tenait en bandoulière. Le casque accroché à son ceinturon ballottait sur sa hanche. Canderous avait lui aussi emporté un fusil à impulsions, ayant perdu son blaster sonique dashadien dans l'échauffourée. Il ne put s'empêcher d'être cynique.

- Hé, t'es pas trop serrée dans ce barda ?

Elle ne répondit pas. La jeune Humaine faisait tout son possible pour ne pas imaginer ce que devaient endurer les deux padawans et la Dame de Sérénité. Canderous s'en aperçut, et lui dit d'une voix qui se voulait rassurante tout en étant empreinte de lassitude :

- Te bile pas, poupée. Ils s'en sortiront.

La doctoresse virevolta vers lui, furieuse.

- Arrête ton char, Canderous Tal ! Tu sais aussi bien que moi qu'ils sont tellement dans la merde qu'ils ont peu de chance de s'en sortir, même si on arrive à rejoindre la base impériale avant que Thorn n'ait fini de faire joujou avec eux ! Bon sang, mais pourquoi on les a emmenés avec nous ? On aurait dû les renvoyer sur Yavin IV avant de se pointer sur Travnin ! Et le premier prof qui nous aurait forcé à les embarquer se serait pris mon poing sur la…

- Le mien aussi, coupa le Mandalorien. Mais ça ne sert à rien de pleurnicher. N'oublie pas qu'ils ont choisi de nous accompagner, ils auraient pu rester en retrait, mais ont voulu continuer avec nous. Ils connaissaient les risques.

- Je ne pense pas qu'ils imaginaient que ça se passerait comme ça, et qu'on se retrouverait collés au train par le Soleil Noir et Thorn ! Ils ont obéi à leurs maîtres, et vu leur âge et leur position, ils ne se sont pas sentis le droit de refuser !

Canderous se sentait de plus en plus énervé.

- Ils sont adultes, maintenant. Moi, j'ai abattu mon premier homme alors que je n'avais pas l'âge de Liam. Ils ont déjà survécu à des batailles, ce ne sont plus des gamins inoffensifs. Ils peuvent créer de vrais problèmes à leurs adversaires. Liam est capable de tuer, et même la petite puce a du sang sur les mains, à présent. Bon, du sang pourri qui alimentait les entrailles d'un serviteur du Côté Obscur…

Le docteur Lohrn s'arrêta. Le mercenaire stoppa le pas à son tour en remarquant l'expression de la jeune femme. Elle articula d'une voix lente, mais chargée de reproches :

- Canderous, tu exagères. L'expression « sang sur les mains » désigne les meurtriers qui ont des victimes innocentes sur la conscience ! En aucun cas elle ne peut désigner Chi'ta Koskaya ! Cette petite est la gentillesse incarnée, comme je n'avais jamais pu espérer voir. Alors tu ne peux pas dire qu'elle a « du sang sur les mains ». Elle m'a sauvé la vie, c'est comme ça que je le prends. Essaie encore une fois de sous-entendre que c'est une tueuse devant moi, et je t'assure que…

- Nous savons tous les deux que tu ne ferais pas le poids contre moi, à la loyale.

La doctoresse allait répondre, mais devant le visage impassible, mais terriblement assuré du Mandalorien, elle soupira un grand coup et reprit la marche, sans rien ajouter. Canderous se rappela de ce qu'il avait éprouvé vis-à-vis de la jeune Drall dans le laboratoire d'Ageer. Sa voix se radoucit quand il continua :

- Je ne suis pas en train de la critiquer. Tu as raison, elle n'est pas une tueuse professionnelle. Au cours de ma vie, j'ai fait beaucoup plus de dégâts qu'elle, c'est sûr. Je dis juste qu'elle a franchi une étape qui l'a définitivement changée. Pour le sexe, je ne peux rien dire, mais à propos du combat, elle a perdu son pucelage.

- Silence !

Les deux Humains sursautèrent en entendant la voix grondante de Dankin. Il s'était arrêté une dizaine de mètres en avant, main levée.

- Écoutez !

Ils rejoignirent le Togorien en marchant sur la pointe des pieds, tendirent l'oreille… et entendirent un peu plus loin des voix, étouffées par des casques.

- Et depuis quand vous marchez sur deux pattes, vous ?

- Joli coup ! Je peux essayer ?

- Non, attends, faut pas qu'on le démolisse trop vite.

Sans un bruit, le mercenaire renfila son casque et sortit son fusil à impulsions. Dankin fit un petit geste de la main pour proposer d'aller voir seul ce qui se passait, les deux autres approuvèrent d'un hochement de tête. Habitué à la marche silencieuse, le chasseur avança à pas de loup, l'arbalète prête à tirer. Les voix venaient de derrière une crête juste face à lui. Arrivé au sommet, il se plaqua sur le sol et rampa lentement. Il pouvait entendre, outre les ricanements des Humains, des petits jappements affolés, comme ceux d'un petit animal battu. Enfin, quand il put voir ce qui se passait en contrebas, il ne put s'empêcher de serrer les dents de rage devant un spectacle qu'il n'avait que trop vu, à maintes reprises.

Chi'ta avait du mal à percevoir précisément ce qui l'entourait. Elle n'entendait que vaguement les voix froides et menaçantes des soldats impériaux se moquant d'elles et l'insultant. Ses oreilles bourdonnaient, son cœur battait à tout rompre. Pendant un instant, elle avait espéré pouvoir raisonner ses geôliers grâce à la Force, mais à peine avait-elle franchi le seuil du mitard qu'ils en étaient venus aux mains. Le premier coup de crosse dans le dos l'avait précipitée à terre, et les autres chocs avaient vite suivi. Et depuis, elle encaissait les coups par séances de longues minutes entrecoupées d'intervalles d'isolement. C'est alors qu'elle remarqua que les voix s'étaient tues. Le grondement sourd du timbre de Thorn résonna dans la petite pièce :

- Allons, messieurs, je comprends votre sentiment, mais restons civilisés. Je pense que ce moucheron est prêt à écouter ce que j'ai à lui dire.

La jeune fille secoua la tête. D'un coup sec, le Sith l'empoigna par la peau du cou et la remit sur pied. Sans prêter attention à la faiblesse manifeste de sa prisonnière prête à retomber, il prit son communicateur et parla.

- Major Kivi ? Amenez la prisonnière au site d'exploitation numéro trois. Rappelez-lui qu'en cas de comportement suspect, vous avez l'autorisation de tirer pour tuer. Terminé.

Puis il poussa la malheureuse Drall hors de la cellule. Ils se retrouvèrent de nouveau à l'air libre. Des soldats de choc allaient et venaient entre la plate-forme d'atterrissage, la caserne, et un troisième petit bâtiment au bord du vide – vraisemblablement la gare du monorail. Chi'ta, transie de sueur, n'osait pas dire un mot. Ce fut Thorn qui rompit le silence.

- Soyez tranquille. Je ne la tuerai que lorsque j'aurai obtenu d'elle ce que je veux, et elle le sait. Le major a juste besoin qu'on lui rappelle la politique de fermeté.

Elle ne répondit pas, ne voulant pas risquer une parole qui aggraverait sa situation, ni même échanger un point de vue quelconque avec le Seigneur Noir. Toujours bousculée par le grand Humain, Chi'ta entra dans la station, et se retrouva à bord d'un tramway qui semblait les attendre. L'un des soldats de choc lui indiqua une banquette sur laquelle elle put s'asseoir. Le Sith prit place à son tour, la porte automatique se referma, les laissant tous les deux seuls à l'intérieur, et le petit train électrique partit en avant.

L'habitacle mobile se déplaçait lentement. L'isolation était efficace, on n'entendait qu'à peine le bruit des machineries qui alimentaient le monorail.

- Votre ami, le padawan Gardien, a dû vous parler de mon entretien avec lui, à bord de mon vaisseau. Je me trompe ?

Comme sa prisonnière ne prononça pas un mot, il intima :

- Répondez !

- Ou… oui, Seigneur Thorn. Il m'a parlé… de votre… conversation.

La cabine quittait le quai du hangar, et se retrouva à l'air libre. Le soleil était bien levé, et éclairait une vallée de prairie d'herbe sèche ponctuée par de nombreuses zones forestières éparses. À quelques centaines de mètres sous le monorail rougeoyait le lac de lave de l'immense volcan.

- Une quantité phénoménale d'énergie gratuite et inépuisable. J'adore la géothermie. Mais revenons-en à votre ami. Que vous a-t-il dit, précisément ?

- Il… il nous a dit… que vous lui avez proposé de travailler… pour vous. Plus tard… il m'a avoué… que j'aurais pu… l'aider à vous servir.

Daymon Thorn eut alors un rictus particulièrement sournois.

- Et vous n'avez jamais pensé à suivre cette voie-là, mademoiselle Koskaya ?

La jeune fille ouvrit de grands yeux surpris. C'était la première fois que le Sith l'appelait par son nom. Osant enfin le regarder, elle répondit d'un ton chagriné :

- Seigneur Thorn, nous n'avons pas la même perception de l'usage de la Force. Tant que cette barrière sera entre nous, nous ne pourrons jamais nous entendre, encore moins collaborer.

- J'aimerais savoir ce que vous reprochez à mes méthodes, précisément. En dehors des généralités habituelles comme « les Impériaux massacrent ceux qui ne sont pas Humains ». Vous n'êtes peut-être pas celle qui a le plus de souci à se faire. En de rares occasions, l'empereur Palpatine a pu s'octroyer les services de quelques non-Humains particulièrement doués dans leur domaine, comme le Grand Amiral Thrawn. Il n'a pas su tirer parti au maximum des possibilités que la diversité des espèces lui offrait, mais je ne commettrai pas la même erreur. Vous avez des qualités dont je saurai profiter, à condition que nous nous mettions d'accord. Alors je répète ma question : en quoi consiste cette « barrière », mademoiselle Koskaya ?

Après avoir avalé sa salive, la petite Drall répondit d'une voix tremblante :

- Vous avez reçu le don de percevoir l'univers autrement. La Force permet de voir les choses telles qu'elles sont, surmonte les croyances fallacieuses, rompt les illusions et aide à percevoir la réalité pure et dure quand elle est utilisée de façon modérée et responsable. Les manifestations les plus évidentes telles que les prouesses physiques extraordinaires ou les débauches d'énergie, les éclairs, la guérison, ne sont que des artifices, les prolongations du véritable pouvoir de la Force.

- Voilà un point sur lequel nous sommes d'accord. Les gens qui n'ont pas accès à nos capacités de perception des choses ont bien besoin de temps en temps d'une démonstration de l'étendue de nos possibilités. C'est justement cette « perception supérieure » qui nous rend si uniques et si puissants. Nous faisons partie d'une élite, jeune fille, que ça vous plaise ou non. Et nous avons le droit, voire le devoir, d'exploiter tout notre potentiel pour faire avancer cet univers !

- Telle est cette barrière, Seigneur Thorn. En suivant la voie des Jedi…

Chi'ta fit une courte pause, craignant une vive réprimande de la part de son sinistre interlocuteur, mais comme il ne réagissait pas, elle continua :

- J'ai choisi de mettre ce potentiel au service de mes semblables. Je suis leur servante, je me mets à leur écoute, et tâche de leur indiquer la direction à prendre qui sera la meilleure, aussi bien pour eux que pour les autres. Aider les autres m'aide également. J'en apprends sur moi, je me sens en paix avec ma conscience, et j'espère pouvoir faire progresser les autres, afin qu'ils se sentent aussi bien que moi et deviennent suffisamment éveillés pour transmettre ce bien-être.

- Vous êtes bien naïve, ma pauvre petite demoiselle. Vous avez des croyances erronées. Vous placez trop d'espoir dans des choses qui ne sont pas réelles. Les gens insensibles à la Force ne sont pas prêts. C'est cela que vous refusez d'admettre. Qu'ils soient Humains ou non, tous partagent un point commun : un rien anesthésie leur jugement. Il suffit qu'un gouvernement autoritaire impose quelque chose avec un peu de sévérité, ils encaissent et suivent ! Quand l'imposition est faite de manière violente, il y a des révoltes, comme celle qui a finalement provoqué la chute de Palpatine. Mais embrumez les esprits peu à peu avec votre condescendance, et ils danseront au son de votre musique, même si certains d'entre eux, dans le fond, s'y opposeront. C'est l'expérience de la grenouille nala qu'on plonge dans un snackquarium dont l'eau est progressivement chauffée. Au début, elle ne se rend pas compte que la température monte, et quand l'eau est trop chaude, elle est déjà abrutie par la chaleur, il est trop tard pour qu'elle saute hors du récipient, et finalement elle meurt ébouillantée.

- Mais... voulez-vous donc régner sur des morts ?

- Non, bien sûr, dans mon cas, la grenouille ne mourra pas, mais sera rendue docile. J'entends prendre le pouvoir de cette façon, voyez-vous. En brisant les volontés selon mon vouloir grâce à la puissance que la Force et les Kathols m'ont permis d'acquérir. La technologie Kathol est une assurance pour étouffer les gens ayant une forte volonté, qui ne représentent qu'une petite minorité. Si l'Ordre Nouveau est une chose aussi terrible que vous pensez le croire, pourquoi donc tous les systèmes ne se sont-ils pas soulevés simultanément contre l'Empire ?

La jeune fille hésita encore avant de répondre :

- Parce que… parce que les moyens venaient à manquer ? L'Empire était une puissante machine de guerre impossible à stopper ! Drall n'avait pas les moyens de se défendre avec succès.

- Fadaises ! L'Empire ne représentait pas la suprématie par excellence ! Pour commencer, Palpatine a mis ce pouvoir en place précisément parce qu'il était déjà trop tard pour l'Ancienne République. Les dirigeants républicains étaient tous plus corrompus les uns que les autres. Si tous les peuples s'en étaient rendus compte et avaient réagi en conséquence, on n'aurait peut-être pas eu besoin d'établir l'Ordre Nouveau. Et si ces mêmes peuples s'étaient tous soulevés le même jour pour résister à l'Empire, on n'aurait rien pu faire pour les arrêter. Palpatine a pris le pouvoir par la force, et s'en est ensuivi la constitution de la Rébellion. Je suivrai un processus différent : bien sûr, au début, je montrerai que je suis le plus fort, grâce à mes découvertes, mais après quelques démonstrations de ma toute-puissance, les peuples accepteront de me suivre de leur gré.

- Pensez-vous vraiment que les citoyens se laisseront faire, Seigneur Thorn ? Moi, je sais que je m'y opposerai, et mes amis aussi.

- Vous, peut-être bien, et un séjour prolongé dans un établissement spécialisé corrigera alors votre comportement, et je suppose qu'il en sera de même pour vos amis. Mais vous vous trompez, pour ce qui est du gros de la population galactique. La vérité est que la grande majorité des espèces intelligentes est constituée d'une masse ignorante, aveugle et stupide. Ces gens ne voient pas ce que nous, les détenteurs de la Force, pouvons voir, et ne le verront jamais. La perception de la Réalité à travers nos yeux éclairés, celle qui nous permet de prendre le vrai contrôle de nos destinées… et de celles des autres, trop impotents pour s'en occuper eux-mêmes, est un concept qui leur échappera à jamais. Et par conséquent, ils sont prêts à tout accepter, tout avaler, tout subir, pour peu que leur petit confort personnel soit un tant soit peu sauvegardé. Tant qu'ils ont leur appartement, de quoi acheter un speeder presque neuf au prix d'une occasion et un abonnement illimité à l'holotélé, ils ne penseront même pas à se demander dans quelle direction ils iront, je le ferai pour eux. Le plus drôle, c'est que plus ils seront à ma merci, plus ils se croiront libres. C'est grâce à cette perception améliorée que je compte bien orchestrer le Nouvel Empire, et je sais que vous et votre ami Gardien pourrez m'y aider !

- De quel droit ferions-nous cela, Seigneur Thorn ?

- De quel droit ? répéta le Sith avant de partir dans un puissant ricanement. Mais du droit que nous avons de contribuer à l'évolution de l'intelligence. Je vous l'ai dit plus la vie intelligente sera éclairée par les gens comme nous, plus elle pourra avancer, et plus nous pourrons reculer les limites de l'ignorance, pour finalement les abolir. Rien ne nous arrêtera. Aucune distance, aucun pallier d'un plan à un autre. Plus rien n'aura de secret pour nous, peut-être même que nous parviendrons à percer définitivement les mystères de la mort ? Et en attendant, en prenant les masses populaires sous mon contrôle par la peur et l'imposition de ma perception de la réalité, je parviendrai à faire régner l'ordre. Nous cesserons enfin de perdre du temps et de l'énergie dans de vaines querelles de voisinage pour nous consacrer à notre quête de l'illumination, et à la conquête de l'Inconnu.

Le train s'arrêta, ils étaient arrivés sur la plate-forme centrale. Une fois sortis du bâtiment de stationnement, la jeune fille vit une imposante construction en forme de brique grise, qui s'élevait à une trentaine de mètres de hauteur. C'était le seul bâtiment de la plate-forme, mais il était très impressionnant, et une demi-douzaine de cheminées exaltait des panaches de fumée blanche, probablement de la vapeur d'eau. À quelques mètres de là, quatre soldats de choc attendaient, avec le moff Gustavu, qui tenait en respect avec un pistolet à poudre archaïque la Dame de Sérénité.

- Liryl !

La petite Drall se précipita vers la jeune femme et s'arrêta juste devant elle, bouche bée, choquée devant son état. L'entretien avec Thorn avait sans doute été particulièrement violent. Elle ne portait plus sa mitre, et son crâne nu luisait de sueur. Sa cape lui avait été arrachée, lui laissant l'épaule droite dénudée, et sa tunique blanche, en plus de sa brûlure à la cuisse, était constellée de déchirures et de traces de sang. Sa lèvre inférieure était éclatée, son œil tuméfié par un cocard, mais son expression restait fermement déterminée. Cette terrible image effaça immédiatement de l'esprit de la jeune padawan toute vague idée de trouver chez Thorn un semblant d'humanité. Pivotant vers le Sith, au mépris de tous ses principes et de la plus élémentaire prudence, elle s'écria :

- Quel genre de monstre êtes-vous, Daymon Thorn ?! Quelles que soient les forces en lesquelles vous croyez, je souhaite qu'elles précipitent votre âme corrompue dans les profondeurs les plus…

- Laisse, mon amie, l'interrompit Liryl en posant une main rassurante sur son bras.

Chi'ta tourna la tête, vit que la jeune femme lui faisait un petit sourire.

- La douleur physique est déjà presque passée. Quant au dérangement psychique, il ne laissera pas de traces profondes. Thorn n'a rien obtenu de moi. Ni ce qu'il veut, ni la jouissance de me voir vraiment souffrir. Grâce aux enseignements de Maître Ageer, je maîtrise des techniques de contrôle de sensations qui me permettent d'ignorer complètement ce genre de désagrément. C'est pour ça que tu n'as probablement rien senti par le biais du Ta-Ree alors qu'il tentait de m'arracher des réponses… qu'en pensez-vous, votre Seigneurie ?

Elle avait parlé sur un ton de défi, en invectivant le Sith d'un rictus provocant. La réaction de Thorn fut immédiate. Il s'approcha à pas lourds, faisant vibrer toute la structure, et saisit la jeune femme à la gorge avant de la soulever et de l'entraîner vers le rebord de la passerelle.

- J'ai besoin de vous en vie, ça ne veut pas dire « en un seul morceau », créature !

La petite Drall se précipita vers le Seigneur, espérant lui faire lâcher prise en lui agrippant le bras. Bien entendu, l'autre anticipa le mouvement, et de sa main libre, lui décocha un coup de poing sonnant en pleine figure. Elle glissa sur le dos sur quelques mètres avant de se retrouver les quatre fers en l'air. Puis Thorn relâcha la Kathol, qui courut vers la jeune fille pour l'aider à se relever.

- Vous n'avez pas voulu vous montrer raisonnable, ce n'est pas grave, je trouverai un autre moyen de vous convaincre de collaborer avec moi. Mon arme secrète est bientôt prête, elle n'attend plus que vous pour fonctionner et m'assurer le contrôle du Secteur Tapani d'abord, et du reste ensuite.

- Seigneur Thorn, vous risquez de causer un cataclysme comparable à celui qui a détruit le secteur de Kathol.

- Je sais ce que vous êtes, et qui vous servez, créature. Je n'ai donc aucun intérêt à écouter ce genre d'argument.

Avec un geste, Thorn ordonna à ses soldats d'emmener les deux filles à sa suite jusqu'à un grand cylindre métallique d'une cinquantaine de diamètre, situé à l'extrémité du bâtiment. Le boîtier d'ouverture de la porte comportait une serrure à carte. Le moff Gustavu y introduisit son passe magnétique, la grande porte coulissa. Le petit groupe entra, arriva devant trois portes coulissantes alignées côte à côte, trois ascenseurs ouverts.

- Après vous ! ironisa le seigneur en poussant Chi'ta dans l'une des cabines.

Le moff Gustavu pointa son arme vers la porte, invitant la Dame de Sérénité à prendre place à son tour. Une fois tout le monde à bord, l'ascenseur se mit à descendre.

- Je n'ai pas créé cet endroit, mais je savais qu'il était là grâce aux dossiers secrets du Moff Sarne, que j'ai pu récupérer.

- Utiliser la Sphère à Torpilles avec la technologie des Kathols ne peut qu'aboutir à un désastre ! insista la jeune femme. Vous ne régnerez que sur des fantômes comme ceux que vous avez peut-être déjà croisés sur ce monde !

- La Sphère À Torpilles Avancée n'est qu'une garantie, créature. C'est ça que vous n'avez pas encore compris. Elle ne constitue pas le cœur de mon plan, simplement un atout de valeur. Mon projet principal est de remettre de l'ordre dans l'univers Vous avez raison sur un point, utiliser la S.A.T.A. à tout bout de champ serait inapproprié, il ne me resterait plus rien sur quoi régner. Je ne m'en servirai qu'une première fois à titre d'exemple, puis sur toute planète qui refusera de se soumettre. La Doctrine de Terreur préconisée par le Grand Moff Tarkin, en somme. Pour garantir mon ordre, j'ai trouvé quelque chose de bien plus efficace.

Quand les portes se rouvrirent, ils étaient arrivés dans un lieu vraiment singulier.

- Soldats, laissez-nous.

Les quatre Impériaux en armure restèrent donc dans l'ascenseur qui remonta sans le moff et les trois manipulateurs de la Force. Le seigneur Thorn leva les mains, embrassant le panorama.

- Voici l'avenir de l'Empire de Tapani… Mon Empire.

Ils étaient dans une immense caverne taillée dans la roche. Les murs, le plafond étaient ornés de motifs sculptés d'une grande finesse et d'une aussi grande complexité. Des volutes de fumée planaient à ras du sol. Plusieurs humains en combinaison étanche allaient et venaient, transportant des caisses, du matériel médical, et s'affairaient autour de tables pliantes sur lesquelles étaient entassés des microscopes, des tubes à essai, des cornues, des blocs de données. Chi'ta leva lentement la tête, et vit que cette salle, grande comme un stade olympique, montait vers les cieux sur des dizaines de mètres. Pratiquement aucun éclairage artificiel n'éclairait les lieux, la lumière venait surtout des multiples flots de lave qui se déversaient le long des parois rocheuses et s'acheminaient en un gigantesque lac bouillonnant. Tout le long des murs, des excroissances de corne avaient poussé, certaines s'enroulant autour des poutrelles en acier des échafaudages rajoutés par les Impériaux pour accéder à tous les niveaux de la caverne.

- Le Moff Kentor Sarne est venu une première fois ici, il y a bien des années. Il a repéré rapidement les installations que les Précurseurs avaient établies dans ce volcan, et a voulu les reprendre pour le compte de l'Empire. Aussi a-t-il fait installer cette base, avant de revenir sur Kal'Shebbol, en laissant une équipe de scientifiques sur place. Il n'a pas pris le temps d'étudier avec attention les possibilités de cet endroit, il ne pensait qu'à DarkStryder. Sarne espérait glaner le maximum d'informations en interrogeant cet ordinateur biomécanique. Il a dédaigné le potentiel de ces installations, erreur que je ne commettrai pas. Quand j'ai mis la main sur ses rapports secrets, peu après son départ de sa juridiction il y a sept ans, j'ai tout de suite compris qu'il y avait énormément de choses à tirer de cet endroit. Plus qu'un superlaser, plus qu'une flotte de navires de guerre. Tout ce que j'avais à faire, c'était trouver le moyen de venir jusqu'ici, en évitant les Aing-Tee, et récupérer ce trésor inestimable.

Sur un geste de leur seigneur, le moff fit avancer les deux femmes. La petite Drall avait très mal au visage, mais oublia la douleur en voyant un spectacle proprement terrifiant.

De grands cônes de matière organique étaient accrochés au plafond, et étaient chauffés par la chaleur du magma. Chi'ta examina le plus proche, un cône d'une vingtaine de mètres de diamètre, criblé d'alvéoles hexagonales, comme celle d'une ruche de dimensions colossales. Et à quelques-unes près, elles contenaient toutes une chrysalide dans laquelle poussait une créature Kathol. Beaucoup de Krakraï étaient ainsi en gestation, mais la jeune fille distingua d'autres monstres : des Mantes, des Charr-Ontees, et d'autres encore qu'elle ne parvint pas à reconnaître. En approchant l'une des enveloppes blanchâtres semi-transparentes, elle vit la silhouette d'une Mante. Elle recula en toute hâte quand le monstre claqua des mandibules dans sa direction, et bouscula presque l'un des scientifiques.

- Impressionnant, n'est-ce pas ? demanda derrière elle le Moff Laird Gustavu.

La jeune fille ne put répondre, trop choquée par ce qu'elle venait de voir.

- Je ne vois pas pourquoi vous faites la grimace ! Après tout, c'est la nature, ce que vous voyez. De nombreux types d'insectes suivent le même cycle d'évolution. La différence est que les créatures qui en sortent sont plus grandes que vous.

- Moff Gustavu, vous oubliez de préciser que toutes ces formes de vie ont été fabriquées artificiellement dans le but de servir les Kathols. Les moyens sont à la fois naturels et gérés de manière calculée. N'est-ce pas impressionnant ?

- Si fait, mon Seigneur.

Thorn contempla attentivement le mur. D'une main, il caressa doucement la chrysalide la plus proche.

- Tous ces guerriers seront bientôt prêts à me servir… quand j'aurai résolu le problème énergétique.

- Le problème énergétique ? répéta Liryl.

- Les Kathols alimentaient ces installations à l'aide de l'énergie thermique du volcan. Une énergie illimitée et à moindres frais. Tout est sous le contrôle de l'ingénieur Leenus, le plus brillant physicien fidèle à l'Empire, et son concours nous a été très précieux jusqu'à présent. C'est lui qui a pu comprendre comment fonctionne la technologie DarkStryder et me l'expliquer afin que je mette au point la Sphère À Torpilles Avancée. Et grâce à ses calculs, nous devrions pouvoir remettre en marche toutes ces installations.

- Vous voulez dire qu'elles ne sont pas fonctionnelles ? Elles en ont pourtant l'air.

- Après des millénaires à l'arrêt, ce ne sont pas les quelques malheureuses dizaines d'heures d'échauffement qu'elles viennent de passer qui aboutiront à un rendement optimal de ces installations. Leenus est parvenu à remettre un semblant de vie dans les carcasses de ces Krakraï, mais ce n'est pas suffisant pour rétablir les connexions entre eux et avec les Mantes. Non, ce qui fera la différence, c'est cette source d'énergie que j'ai ressenti en vous. C'est cela qui me permettra de mettre à exécution mon projet.

- Vous comptez lever une nouvelle armée de Kathols ?

- Mieux que ça. Si je me contentais de sortir tous ces guerriers de leur torpeur, ils se retourneraient très probablement contre moi. C'est là que maître Leenus a eu une idée de génie qui me permettra d'avoir ces vaillants soldats sous mon contrôle.

Liryl ne parut pas convaincue.

- Seuls les Grands Maîtres Kathols au faîte de leur puissance et de la connaissance du Ta-Ree peuvent assurer le lien entre tous leurs serviteurs et s'assurer ainsi leur obéissance. Même moi, je ne parviendrais pas à contrôler ne serait-ce qu'un Krakraï. Alors que dire de vous, qui ne connaissez rien du Ta-Ree ?

- Je dois vous donner raison, larve Kathol. Sans la maîtrise du Ta-Ree, je ne pourrai pas m'assurer de la fidélité de ces êtres, mais j'ai avec moi mes plus fidèles agents triés sur le volet. Quelques soldats bien entraînés, faisant preuve d'une volonté sans faille de faire progresser l'Empire. Ils ont été sélectionnés parmi les volontaires pour être les premiers à devenir des guerriers forts et puissants.

- Des… que voulez-vous dire ?

Avec un terrifiant rictus, Thorn montra l'une des alvéoles.

- Regardez un peu mieux celui-ci. C'est le premier de sa génération.

Réprimant un long frisson, Chi'ta examina attentivement l'être qui sommeillait dans la couveuse. Soudain, elle remarqua que le visage de l'insecte anthropomorphe était vaguement Humain. Elle poussa un cri tellement strident qu'elle ne put croire qu'il sortait de sa gorge.

- Oui, vous avez compris ! Leenus a déterminé plusieurs combinaisons possibles d'ADN afin que nous puissions fusionner les futurs Sith que je recruterai avec les corps conçus pour la guerre synthétisés par les Kathols. Les nouveaux guerriers Mantes contrôleront ceux qui sont en cours de développement, puis la deuxième génération sera entièrement constituée de fusionnés.

- C'est impossible… Vous ne pouvez pas réaliser une telle aberration ! protesta la Dame de Sérénité.

- Bien sûr que c'est possible. Les Ssi-Ruuk ont inventé la technition, ce procédé qui permet de transférer le fluide vital d'un être vivant dans une machine. Le Jedi Noir Desann a concrétisé un plan d'injection artificielle de la Force à ses disciples grâce à des cristaux spéciaux transmettant cette énergie. Les anciens Sith savaient déjà créer des êtres évolués aux capacités incroyables – les Rancors Chrysalides, entre autres. Leenus a eu l'idée de réaménager ces matrices de clonage pour y faire évoluer des Humains consentants. Avec cette armée et la Sphère améliorée dont j'ai dessiné les plans, il n'y aura plus aucune limite à mon pouvoir !

Chi'ta sentait son esprit glisser de plus en plus dans le néant, et espérait s'évanouir, afin de ne plus avoir à supporter ce supplice. Mais elle ne pouvait pas s'empêcher de rester consciente tandis que le Sith continuait :

- Pour mener à bien cette entreprise, il me faut un carburant spécial, beaucoup plus puissant. Un rayonnement qui laisse circuler la Force, et qui me permettra de créer un lien entre cette nouvelle génération de Kathols et moi. Et c'est vous qui allez me le fournir, Liryl, Dame de la Sérénité, dussé-je vous arracher le cœur pour ça !

Thorn foudroyait du regard la jeune femme, le poing crispé près de son visage. Chi'ta entendit craquer les jointures de cuir de ses gants renforcés de métal. Liryl ne se démonta pas. Elle déclara d'un ton méprisant :

- Jamais je n'avais imaginé qu'un Humain puisse faire pire encore que les Kathols. Eux aussi ont utilisé des techniques de clonage pour transférer leurs esprits dans ces réceptacles. Mais ils ont fait ça par désespoir, parce qu'il ne restait plus rien de leurs corps d'origine. Or, vous… vous condamnez délibérément vos semblables pour en faire de monstrueuses machines de guerre biologiques ! Même les bêtes les plus sauvages de l'univers ne s'abaisseraient pas tant ! Est-ce avec de tels procédés que vous comptez instaurer l'ordre et la paix ?

- La fin justifie les moyens, créature. Puisque vous parlez de « paix », connaissez-vous le credo que m'a appris le Grand Inquisiteur Tremayne ?

Liryl secoua négativement la tête. Thorn récita fermement :

« La paix est un mensonge, il n'y a que la passion. Par la passion, j'ai la puissance. Par la puissance, j'ai le pouvoir. Par le pouvoir, j'ai la victoire. Par la victoire, je brise mes chaînes. La Force me libérera. »

Malgré la douleur qui lui vrillait encore tous les muscles de la mâchoire, Chi'ta essaya encore une fois de lui parler :

- Seigneur Thorn, je vous en supplie… vous ne savez pas jusqu'où ça peut aller.

Le Jedi Noir se planta devant Chi'ta, se redressant de toute sa hauteur.

- Je vous conseille de vous taire, à présent, souriceau. Je devine ce que vous voulez faire, c'est pratiquement écrit sur votre faciès. De quoi voulez-vous me sauver ? C'est moi, le sauveur, ici ! Je vais ordonner l'univers selon un schéma strict et efficace. Et pour commencer, je vais nous sauver de cette engeance qui n'aurait jamais dû quitter les limbes dans lesquelles elle a été plongée il y a quatre mille ans, grâce à ses propres armes ! Quelle ironie du sort, n'est-ce pas ?

Chi'ta souffrait le martyr. L'impression maléfique qui émanait de Daymon Thorn la rendait malade. Dame Liryl le sentait bien.

- Laissez au moins partir cette enfant, elle ne représente rien pour vous.

- Hors de question. Je ne serai pas comme Palpatine qui a commis l'erreur de sous-estimer ses ennemis, et de faire trop confiance à ses serviteurs. Je ne veux pas laisser ce petit mulot me filer entre les doigts et revenir me poignarder dans le dos au plus mauvais moment !

Le Seigneur Noir se pencha vers la jeune fille. Celle-ci, abrutie par le vacarme assourdissant de ses tempes battant la chamade, la vue troublée par les larmes et les tics nerveux, frissonna davantage quand elle entendit la voix rocailleuse du Sith lui murmurer :

- Puisque vous éprouvez encore des difficultés à vous faire à l'idée d'être ma servante, je vous ai réservé un traitement spécial. Quand j'en aurai fini avec vous, le Côté Obscur saura présenter fièrement sa marque sur vous. Je suis sûr que vous arborerez une magnifique fourrure anthracite. Qui sait, peut-être même qu'il vous poussera une queue de rat ? Ca vous ira à merveille !

Sans ménagement, il la jeta à terre d'une violente gifle. Puis il ordonna d'une voix puissante :

- Gardes ! Jetez-moi ça aux fers ! Je m'en occuperai ultérieurement.

Deux soldats de choc s'empressèrent d'agripper la jeune fille sous les aisselles, et la traînèrent hors de vue de Dame Liryl, qui les regardait s'éloigner, désespérée et impuissante.

- N'oubliez pas, Moff, vous en serez responsable. Maître Leenus ?

Un petit homme brun au visage rond, au front large, avec un nez pointu et deux grands yeux bleus au regard inquiétant, approcha.

- Créature, je vous présente maître Leenus, l'ingénieur à qui je dois la remise en route des matrices.

Pour la première fois de sa vie, peut-être, Liryl éprouva une sensation brûlante, étouffante, malsaine. Elle se surprit à souhaiter la mort de l'ingénieur.

- Maître ingénieur, où en sont les opérations ?

- C'est fantastique, mon Seigneur. Tout se passe exactement selon les simulations que j'ai établies avec les données de Sarne. Si vous le permettez, mon Seigneur, je dois vous montrer le détail sur mon ordinateur, juste à côté.

Thorn suivit Leenus jusqu'à un pupitre dans une grande cabine dont les parois étaient constituées de verre isolant, laissant la Dame de Sérénité avec le Moff Gustavu et quelques soldats de choc. Liryl regarda le Moff d'un air chargé de déception. Celui-ci n'osa pas lui faire face, et regardait nerveusement le seigneur Sith en train d'examiner l'écran de l'ordinateur de l'ingénieur. Il sursauta quand il entendit la douce voix de la jeune femme.

- Quand nous nous sommes rencontrés à l'ambassade Cadriaan, vous m'étiez plutôt sympathique. Vous ne paraissiez pas obnubilé par la démence de votre Seigneur. Or, maintenant… quel gâchis !

- Ma Dame, je n'ai pas vraiment eu le choix.

- Bien sûr que si. On a toujours le choix, il faut juste être capable de l'assumer. Vous avez choisi de suivre Daymon Thorn. Vous auriez pu refuser, et laisser un autre Moff s'embarquer dans cette sinistre affaire.

- Écoutez, je n'ai vraiment pas besoin de ça, s'exclama Gustavu en se tournant vers la jeune Kathol. Si j'abandonne Thorn, je renonce à la vie, et je veux vivre.

- Vous avez renoncé à votre âme. Votre participation à cette odieuse opération en est la preuve. Et ne me dites pas que c'est dans l'intérêt de l'ordre dans le secteur. Chi'ta a raison : votre Seigneur est un monstre. Les Républicains auraient pu vous accueillir si vous vous étiez présenté à eux pendant qu'il en était encore temps.

- Il suffit !

Thorn venait de quitter le bureau de l'ingénieur pour revenir auprès du Moff et de la prisonnière.

- Décidément, je ne peux pas vous laisser une minute sans que vous ne tentiez de semer les graines puantes du doute dans l'esprit de mes agents ! Nous allons reprendre notre conversation, cette fois entre gens de pouvoir. Moff Gustavu, veuillez nous laisser, maintenant. Allez donc faire une supervision des troupes.

- Bien, mon Seigneur.

Le Moff s'inclina et se retira rapidement, n'osant imaginer ce que Thorn entendait par « conversation ». Il emprunta une navette automatique installée par l'équipe de Kentor Sarne.

Bien caché dans les hautes herbes, Dankin avait rapidement évalué la situation. Il était allongé au sommet d'une petite colline. Devant lui, quelques mètres plus bas, un campement avait été installé dans une cuvette naturelle. Trois soldats impériaux, dont l'un avec l'épaulette rouge indiquant un grade plus élevé, avaient déposé leurs armes près de caisses de matériel. Ils étaient en train de bousculer chacun leur tour un non-Humain d'une race que le Togorien ne connaissait pas. C'était un petit humanoïde, grand comme un enfant Humain, simplement vêtu d'un pagne, d'un collier et de bracelets. Au vu de ses caractéristiques, ses ancêtres comprenaient probablement des chiens. Son corps était recouvert d'une fourrure bleu nuit, son nez, sa mâchoire et ses oreilles rappelaient ceux d'un loup. Il était recroquevillé par terre, tremblant de tous ses membres. Non loin de lui, un autre individu de son espèce, un peu plus grand, avec un pelage châtain clair, était étendu de tout son long, inanimé, la poitrine brûlée d'un tir de blaster. L'un des soldats s'approcha lentement du petit non-Humain et lui flanqua un coup de pied le faisant japper de douleur.

Dankin rampa vers l'arrière, et quand il fut assez éloigné, il retourna auprès de ses deux camarades humains.

- Trois hommes en blanc maltraitent un indigène, et en ont abattu un autre.

- Ah ouais ? Bon, on va lui filer un coup de main.

- T'as une idée ?

- Oui, Canderous : un loyal sujet de l'Empire va amener deux prisonniers : une sombre brute et un salopard de non-Humain – sans vouloir te vexer, Dankin.

- Je ne sais pas si je vais apprécier ce plan…

- Bien entendu, les deux soi-disant prisonniers seront libres de leurs mouvements, et pourront surprendre les vrais Impériaux.

- Ah, là ça me va mieux.

Ezra enfila son casque et empoigna l'arme du mercenaire. Canderous et Dankin croisèrent les mains derrière le dos, simulant ainsi l'entrave de menottes. Le Mandalorien avait en main une grenade incapacitante. Le trio descendit vers les trois Impériaux, qui ne tardèrent pas à les repérer.

- Hé, chef ! Regardez !

- Tiens, tiens, tiens ! Qu'avons-nous là ?

Ezra fit son possible pour faire paraître sa voix rauque et grave.

- Ma patrouille est tombée dans une embuscade ! J'ai réussi à me planquer et à neutraliser ces deux-là, mais il s'en est fallu de peu !

- Bon travail, mon vieux. Ca n'a pas du être simple !

- Mes camarades avaient déjà neutralisé le matou. J'ai réussi à sonner ce pirate. Faites gaffe, quand même, ils sont dangereux, chef.

Le sergent s'approcha des deux baroudeurs.

- Mais dites-moi, ils puent la charogne ! Où vous les avez ramassés ? Et c'est quoi, ces taches jaunes ?

- Ils nous ont attaqué alors qu'on enquêtait près d'un nid. Y a eu des projections de matière, chef.

- Ah ouais, bien sûr. C'est vrai, on ne sait pas ce qu'il y a, sur cette foutue planète.

Il posa les mains sur le casque de Canderous, et le lui arracha, révélant le visage furibond du mercenaire.

- Alors, on ne fait pas le malin, pas vrai ?

- T'as raison, je ne ferais pas le malin si on me brandissait une grenade sous le nez.

Il ne laissa pas le temps à l'Impérial de réfléchir. Il sortit de derrière son dos la grenade assommante qu'il venait de dégoupiller, et la lança au visage du sergent. Par réflexe, l'Impérial l'intercepta. Canderous, Dankin et Ezra se jetèrent sur la pelouse. La grenade explosa à la hauteur du visage du chef, et l'onde de choc renversa les trois soldats.

Les trois camarades se relevèrent. Canderous ricana en remettant son masque.

- Qui c'est qui a l'air malin, maintenant ?

Ils n'avaient pas pris garde au jeune homme-chien encore vivant qui n'avait pas osé bouger en les voyant arriver. Celui-ci avait lentement rampé vers la forêt. Une fois près des arbres, il se releva d'un bond, et disparut en un éclair. Les trois baroudeurs n'eurent pas le temps de faire quoi que ce soit.

- Zut ! Il va attirer toute la tribu, maintenant !

- Nous devons nous éloigner.

- Le plus tôt sera le mieux. Hé, doc ?

Ezra s'était rapprochée du cadavre de la créature canine.

- Je crois savoir qui c'est, les gars. Vous vous souvenez du rapport du docteur Akanseh ? Il parlait d'un « homme-loup », autrement appelé « Yapi de Kathol ».

- Il est clamsé ?

- Un tir de blaster dans le poitrail, ça ne pardonne…

- Attention !

Le Togorien leva la main. Les deux Humains se rapprochèrent. Il chuchota :

- Un petit groupe de personnes vient vers nous.

- Blast ! Les renforts !

Canderous saisit le sergent, et se cacha dans des fourrés, immédiatement imité par Dankin. Ezra, consciente qu'elle n'allait pas pouvoir se dissimuler avec son armure blanche, opta pour une autre ruse. Elle s'affala contre un arbre, simulant un état d'inconscience. Elle vit une patrouille de six éclaireurs impériaux se diriger vers la clairière.

- Bon sang, qu'est-ce que c'est que ce chantier ?

- À mon avis, ce ne sont pas ces bâtards sur deux pattes. Pas de lances, ni de flèches.

- Bien observé. D'autres forces ont dû débarquer. Il va falloir redoubler d'attention.

- Sont-ils tous morts ?

- Celui-ci a l'air de respirer !

- Faut qu'on l'examine.

La jeune femme serra les dents en voyant à travers l'interface assistée de son casque l'un des soldats de choc se rapprocher d'elle, de plus en plus. Sachant qu'elle n'allait pas y couper, elle ferma les yeux, et pria son intelligence de lui souffler une excellente idée, et vite. Elle sentit qu'on lui enlevait le casque.

- Tiens, tiens ?

- Ils recrutent des gonzesses, maintenant ?

Le soldat qui lui avait arraché le casque demanda à la jeune femme d'un ton sévère :

- Je peux savoir ce que vous faites avec une armure de l'Armée Impériale ? Les femmes n'ont que peu de postes dans nos rangs, et certainement pas en première ligne ! Alors ?

La jeune femme improvisa rapidement.

- Chut… Agent Hallett, des Services Secrets Impériaux.

- Hein ?

- Je suis en mission pour le Seigneur Daymon Thorn.

- Le… Comment ?

- Le Seigneur Thorn m'a ordonné de rester avec les troupes de choc pour faire un rapport détaillé sur ces non-Humains. Seulement… il n'a pas confiance en le moff Gustavu. Je n'avais donc pas à passer par la hiérarchie pour envoyer au Seigneur Thorn des informations de premier ordre.

L'éclaireur semblait hésiter, et regarda ses camarades. Ceux-ci se regardaient aussi entre eux. Ezra faisait tout son possible pour ne pas céder à la panique. De toute façon, son attention fut attirée par quelque chose de beaucoup plus grave.

Un hurlement guttural éclata à travers la jungle. Immédiatement, les éclaireurs brandirent leurs fusils de précisions et blasters légers, prêts à s'en servir. Plusieurs cris, aboiements et glapissements résonnèrent tout autour d'eux, sur les hauteurs. Ezra leva les yeux, et ne put s'empêcher de déglutir.

Une trentaine de créatures velues faisaient cercle autour de la clairière. De grands êtres, mi-hommes mi-chiens, brandissaient leurs armes avec des feulements menaçants. Ils étaient armés de lances, de bâtons, d'arcs, de frondes et de grosses pierres. Par-dessus leurs fourrures de couleurs variées, ils portaient des trophées tels que des crânes d'animaux, des cornes, des carapaces, des bracelets tressés. Les soldats impériaux, affolés, braquaient leurs fusils en l'air, sans oser tirer. Ezra espérait que les Yapis s'en prendraient en priorité aux Imps, mais sentit monter une petite appréhension. Et si ces indigènes allaient massacrer tous les étrangers sans distinction ?

L'un des Yapis pointa sa lance vers le trio et cria encore. Toujours caché dans son buisson, Canderous serra les dents.

Cette fois, les jeux sont faits, rien ne va plus !

- Tirez dans le tas !

Les six Impériaux défouraillèrent dans tous les sens. Un Yapi sursauta, touché en pleine poitrine, tomba en avant et s'écrasa sur le sol. La réaction des indigènes fut immédiate. Une pluie de lances, de flèches et de pierres s'abattit sur tout le groupe. Ezra se recroquevilla sur elle-même, les mains sur la tête. L'un des éclaireurs s'écroula, un javelot à tête de pierre fiché dans le flanc. Les guerriers avaient décidément la main sûre et le lancer redoutable. Vive comme l'éclair, la doctoresse ramassa l'un des fusils par terre non loin d'elle, et mitrailla vers les hommes en blanc, en abattant deux coup sur coup.

Sur les trois Impériaux encore valides, deux d'entre eux comprirent qu'ils ne pouvaient pas grand-chose contre un tel nombre d'adversaires. Ils jetèrent leurs armes et levèrent les mains. Leur geste calma un peu l'animosité des Yapis qui ne renouvelèrent pas leur assaut, même si les flèches étaient toujours posées sur les arcs, et les lances brandies. En revanche, le troisième scout paniqua et tenta de fuir. Il détala à toutes jambes dans la direction opposée aux buissons. Aucun Yapi ne réagit. De sa cachette, Dankin s'appliquait à le maintenir dans le collimateur de son arbalète, lorsqu'il se produisit quelque chose d'inattendu. Sa cible se mit à hurler de douleur, et se roula par terre. De la fumée sortait de son armure, et les coques blanches noircissaient et se fendaient à vue d'œil. L'Impérial se tortilla en criant pendant de longues secondes, jusqu'à ce que sa voix ne fût plus qu'un râle étranglé qui s'éteignit.

Ezra tendit le cou et écarquilla les yeux. Les pièces métalliques de son armure étaient rouges de chaleur. Les indigènes descendirent, et s'écartèrent pour laisser passer un Yapi plutôt remarquable.

Il n'était pas aussi grand que la plupart de ses congénères, et était complètement blanc. La couleur de sa fourrure faisait davantage penser à de l'albinisme qu'à une teinte harmonieuse. Il portait une tunique constituée de nombreuses lanières de cuir et de tissu grossièrement cousues entre elles par de la ficelle, et une incroyable collection de petits colifichets de tous genres – osselets, cailloux, même des puces à crédits sans doute arrachées à quelque naufragé imprudent – ornaient ses vêtements et son grand bâton de marche. Ses yeux rouges sous sa coiffe de plumes noires luisaient d'un éclat inquiétant, et la jeune doctoresse eut l'impression que ce regard pénétrant essayait de fouiller au plus profond d'elle-même.

Canderous suivait attentivement la scène, sans bouger un orteil. Au début, il pensait pouvoir faire front à tous ces sauvages – leur matériel restait tout de même bien désuet face à son armure sophistiquée et ses armes destructrices. Mais leur nombre le laissait hésitant. Cette démonstration de pouvoir réfréna davantage sa témérité. Le mercenaire se rappela de Na'toth, et de ce qu'elle avait fait à son blaster sonique. Il était très probable que ce tour de magie Kathol avait été repris par les indigènes, comme ce Yapi albinos.

Celui-ci déambulait lentement au milieu des cadavres, tapotant l'un du pied, ramassant le blaster léger d'un autre. Quand il s'arrêta devant le corps du Yapi que les Impériaux avaient abattu, Ezra déglutit.

Il va croire que je l'ai tué.

Le Yapi fit un signe en glapissant un ordre bref dans une langue que la jeune femme ne comprit pas. Deux guerriers s'avancèrent, ramassèrent le mort. L'albinos avança vers la doctoresse. Il tendit lentement la main, et caressa doucement la joue satinée de la jeune femme. Délicatement. Sans dire un mot. De temps en temps, une mèche de cheveux châtain clair glissait entre ses phalanges poilues. Elle n'osa pas remuer un cil. Il articula :

- B'ats om luka eo oma dalakka ? Ha ma ruer huluer kar qabemmuevsa…

- Sûsa rar lulakkar, dit l'un de ses guerriers.

Le Yapi eut un inquiétant rictus, montrant ainsi une dentition constituée de crocs pointus, jaunis et ébréchés. Il fit descendre sa main sur la poitrine de l'Humaine, et pressa les protubérances du pectoral blanc. Même si l'armure protégeait son anatomie, la doctoresse ne put s'empêcher de rougir. Quand il serra les doigts au niveau de son entrejambe, elle en eut assez. Elle attrapa son bras des deux mains et le repoussa en s'exclamant :

- Mais lâchez-moi, enfin !

Un coup de gourdin sur la nuque la précipita sur le sol, assommée net. Sur ordre du meneur, deux Yapis la saucissonnèrent solidement à une grande perche qu'ils calèrent sur leur épaule. Après quoi, l'albinos aboya encore des ordres, et toute la compagnie s'apprêta à repartir vers le sud.

Canderous était en train de réfléchir à une manière intelligente de suivre discrètement la procession pour sortir l'Humaine de ce pétrin, lorsqu'un Yapi passa près du buisson dans lequel il s'était planqué. Le sang du Mandalorien battit plus rapidement dans ses tempes quand il vit les pieds velus du non-Humain s'arrêter juste devant lui Il entendit le guerrier humer bruyamment l'air. Le Yapi pivota lentement vers l'arbuste, et y enfonça la pointe de silex de son arme, frappant le mercenaire à l'épaule.

L'armure absorba le choc, mais le bruit de l'impact surprit l'indigène. Canderous se leva d'un bond en attrapant le manche de la lance du Yapi qui se mit à brailler des borborygmes bruyants. Il tira, forçant l'homme-chien à se fourrer la tête dans les branchages, le saisit par les oreilles et lui écrasa le nez d'un coup de boule. Bien entendu, les autres furent immédiatement alertés, et entourèrent le buisson avec des grondements et des cris de rage. Certains enfoncèrent leurs lances dans le feuillage, d'autres jetaient des pierres. Canderous tira en l'air avec son fusil à impulsions pour les effrayer. Le bruit de la rafale et les éclats d'énergie les fit tous se jeter à terre. La réplique fut immédiate.

Sans doute sous l'influence de l'albinos, le buisson tout entier s'embrasa d'un seul coup. Affolé, le mercenaire bondit, tombant presque dans les bras des Yapis. Il fut rapidement désarmé, maîtrisé, réduit à l'impuissance, par terre, les mains solidement attachées dans le dos, à quelques mètres de l'arbre qui continuait à flamber. D'énormes mains rugueuses lui arrachèrent le casque si brutalement qu'il sentit craquer ses vertèbres.

L'albinos s'accroupit face au mercenaire, scruta son visage d'un air inquisiteur. Il pencha la tête sur le côté, renifla, se gratta sous l'aisselle, et parut hésiter. Il se releva, et l'un des autres Yapis lui montra quelque chose. Canderous vit l'arbalète Wookiee de Dankin dans l'herbe. Son imposant ami sortit lentement de sa cachette, mains en l'air.

Bon sang, il n'aurait pas dû ! À moins que…

Les Yapis parurent très impressionnés par le Togorien. En effet, il était bien différent de tous les Humains qu'ils avaient croisés jusqu'alors, et son gabarit surpassait celui des combattants les plus grands du groupe. Le Yapi albinos ramassa l'arbalète, avec difficulté, l'arme étant bien lourde, et l'examina sous tous les angles. Il la confia à l'un de ses plus grands hommes. Le Togorien se laissa entraver les poignets, et se contenta de soutenir le regard perçant de l'albinos.

Ezra reprit petit à petit connaissance, et quand elle vit qu'elle était suspendue comme une prise de chasse, cela ne lui plut pas.

- Hé, c'est comme ça que vous traitez les touristes ! Je me plaindrai au tour-opérateur !

L'albinos ne broncha pas. Ses yeux rougeâtres continuaient de scruter chacun des trois amis, l'un après l'autre. Il paraissait réfléchir sur la conduite à tenir. L'un de ses congénères murmura à son oreille un mot que Canderous crut saisir un peu mieux que les autres.

- Coru-dana, Coru-dana.

L'albinos regarda l'autre dans les yeux, puis il s'intéressa de nouveaux aux trois compères… finalement, il hocha lentement la tête. Il montra d'un doigt énergique l'ouest, et tous les Yapis se dirigèrent dans cette direction. Dankin, Canderous et les deux Impériaux suivirent le mouvement, encouragés par les pointes des lances des chasseurs.

Une fois descendu de la rame, Laird Gustavu poussa un petit soupir de soulagement. Il avait beau respecter son seigneur et admirer son travail, il ne pouvait s'empêcher d'en avoir terriblement peur. Bien sûr, sa position le maintenait dans un état de relative stabilité, mais il était parfaitement conscient qu'une erreur de sa part lui coûterait bien plus que sa position.

Ces deux femelles lui ont tourné la tête ! Il n'arrive plus à se contrôler, ça lui perdra !

Aussi était-il soulagé d'avoir mis un peu de distance entre lui et le Seigneur Noir. Il était revenu sur la plate-forme administrative, celle comprenant son bureau, seul repère à peu près stable sur cette planète. Pour se détendre, il décida de ralentir un peu le pas et de passer par le bâtiment de renseignements, attenant à la caserne. Ainsi, il allait commencer la revue de ses troupes par les techniciens, ceux qu'il préférait. Il appréciait leur rôle davantage tourné vers l'utilitaire que vers le combat.

Un premier groupe d'informaticiens arrêta le travail à son approche, et les six hommes en costume se mirent au garde-à-vous. Il leur rendit leur salut sans s'arrêter, voulant se rapprocher de l'extérieur et s'aérer un peu. Quelques minutes de marche plus tard, il se trouvait dans l'un des coins du hangar privé, celui où était stationnée la navette personnelle de Thorn. Mais alors qu'il s'en approchait, il entendit un petit bruit, comme si quelqu'un était en train de ronfler.

Il s'arrêta net, voulant s'assurer de ne pas avoir eu la berlue, pensant qu'il s'agissait peut-être du bruit de la purge d'un moteur hydraulique. Mais non, c'était bel et bien un ronflement d'homme qui lui parvenait de derrière une armoire métallique. De plus en plus surpris, Gustavu passa la tête derrière l'étagère, et fit une grimace indignée. L'un des techniciens était allongé sur le sol, au milieu de ses outils. Le Moff s'approcha, tapota du pied l'homme.

- Eh bien alors ? On abandonne son poste ?

Mais le technicien ne réagit pas. Son sommeil n'était pas naturel. Gustavu frémit en comprenant un peu tard qu'il était dans de sales draps. Il n'eut pas le temps de réagir quand il entendit un léger bruit de pas de course juste derrière lui. Quelque chose le frappa dans la jambe, juste au creux du genou, le forçant à se baisser, et le contact froid du canon d'un blaster lui mordit la gorge. Une voix jeune mais assurée murmura à son oreille :

- Pas un mot. Chut.

- Que… mais… ?

- Normalement, je devrais parlementer pour vous convaincre, mais j'ai pas le temps. Il y a le bureau du contremaître un peu plus loin. Allons-y, et ne jouez pas au con !

Le Moff Laird Gustavu, aussi effrayé qu'indigné par la tournure des événements, préféra obéir. Une minute plus tard, il entra dans le réduit. C'était une pièce avec trois bureaux, mais l'espace était encombré par de nombreuses caisses alignées le long des cloisons. Il entendit le déclic du commutateur, les néons clignotèrent bruyamment, puis les lumières se stabilisèrent. Une main poussa vigoureusement le Moff dans le dos. Il se retourna, et ce qu'il vit le surprit davantage.

- Mais… vous n'êtes qu'un enfant !

- Un enfant qui braque un pistolet blaster dans votre direction, répondit tranquillement l'autre. Un tir en pleine tronche n'a pas d'âge.

Mais oui, c'était bien un petit jeune homme à peine en âge de se raser, de constitution mince et de petite taille qui se tenait devant le Moff. Il portait un blouson de cuir brun par-dessus une combinaison blanche, maculés de traces de fluide séché. Dans son poing droit, il serrait un petit blaster de sport que Gustavu savait aussi dangereux qu'un autre pour qui savait s'en servir. Il passa les doigts de sa main libre dans ses cheveux coupés en brosse, et dit sur un ton de défi :

- Enfin on se rencontre, Laird Gustavu. J'attendais ce moment depuis votre petite promenade sur Lynx. Asseyez-vous.

Avec une grimace contrariée, le Moff s'installa dans l'un des fauteuils de cuir.

- Qui êtes-vous ?

Le petit jeune homme bomba le torse et déclara fièrement :

- Je suis Liam Kincaid, Jedi Gardien, et je suis venu ici pour délivrer deux personnes que vous retenez prisonnières ! Et si je peux casser les pieds de ceux qui ont embrasé le secteur Tapani en s'en prenant à des civils, je le fais avec plaisir !

D'abord décontenancé par le jeune âge de son agresseur, le Moff décida de ne pas se laisser faire.

- Puisque vous êtes au courant pour Lynx, vous savez également pourquoi le Seigneur Thorn a lancé cette attaque !

- Pour venger la démolition de son croiseur personnel.

- Exact. Il fallait bien un bon exemple pour montrer que l'Empire est plus que prêt à reprendre le pouvoir qui lui appartient de droit ! Vos amis Rebelles et vos escrocs mystiques de maîtres ont spolié les vrais hommes de leur bien ! Depuis que l'Empereur Palpatine n'est plus de cet univers, la situation ne cesse de se dégrader, encore et encore, pour aboutir à un indescriptible désordre.

- Gardez votre discours pour les andouilles que ça intéresse ! rétorqua Liam. Je suis un Jedi, et vous un Impérial en flagrant délit de Côté Obscur, alors non seulement je n'ai pas à vous écouter, mais en plus mon boulot est de vous arrêter !

Le Moff fut surpris par une telle résistance de la part du jeune homme. Rien à voir avec les jeunes cadets qui exécutaient les ordres sans discuter dès qu'il élevait la voix. Il tenta tout de même :

- « Côté Obscur », comme vous y allez !

- Vous croyez que je n'ai pas compris ce que vous trafiquez, ici ? Dans les grandes lignes, vous êtes en train de faire carburer votre armée avec la technologie des Kathols. Et ça, ça va vous péter au nez, vous allez comprendre votre douleur !

- Nous avons la situation bien en main, ne vous inquiétez pas pour ça !

- Ouais… mais pour le moment, c'est moi qui ai la situation en main sur vous, Moff. Maintenant, vous allez me dire où sont les deux femmes que vous retenez contre leur gré, et tout de suite.

Liam sentit qu'il n'avait jamais eu l'air aussi déterminé dans sa vie qu'à cet instant. Ce n'était ni la colère, ni la peur qui motivait ses actes, simplement la conviction qu'il faisait exactement ce qu'il devait faire, et que n'importe lequel de ses parents, amis ou professeurs ne pourrait que l'approuver. À ce moment précis, il ne pouvait être dans un meilleur endroit de l'univers qu'ici, face à l'Impérial, pour lui soutirer les informations qu'il voulait entendre. Et le Moff perçut cette détermination. Le jeune padawan entendit sa voix hésitante murmurer :

- Le Seigneur Thorn garde près de lui la Dame de Sérénité. Quant à la belette…

Liam brandit plus fermement son blaster vers la figure de Gustavu.

- La belette s'appelle Chi'ta. Son âme, son cœur et ses larmes sont aussi humains que les vôtres !

- Si vous voulez. Donc, la bel… enfin, cette créature…

- Où est-elle, Gustavu ? Parlez, je sens que j'ai le doigt qui me démange !

- Le Seigneur Thorn l'a fait transférer sur la plate-forme est.

- Où ça ?

- Dans l'annexe collée au hangar à vaisseaux, il y a une chambre forte dans laquelle le Moff Kentor Sarne stockait sa collection d'artefacts Kathols.

- Il ne les mettait pas dans son bureau ?

- Trop risqué, la caserne n'est pas blindée.

- J'imagine que la porte de cette chambre a un code ?

- Non, elle a une clef.

- Où est cette clef ?

- Je ne peux pas vous le dire.

- C'est votre seigneur qui l'a ?

- Ca ne servirait à rien.

- Non, ce n'est pas Thorn… vous auriez l'esprit plus tranquille si je n'avais aucun accès à cette clef. C'est vous qui l'avez, n'est-ce pas ? Thorn ne la confierait pas à quelqu'un d'autre que vous.

Cette fois, le Moff ne répondit pas, mais Liam sentait bien que son inquiétude venait de monter d'un cran.

- Donnez-la moi.

- Vous n'avez pas la moindre chance, soyez raisonnable !

Liam colla le canon du blaster sous le nez du Moff.

- Attention, pas de connerie ! N'oubliez pas qu'avec mes pouvoirs de Jedi, je peux anticiper le plus petit mouvement de la part d'un type aussi banal que vous, alors donnez-moi la clef de la pièce où vous avez enfermé Chi'ta, et faites pas chier !

Gustavu fouilla sa veste en tremblant. Rapidement, la clef fut entre les mains du padawan.

- Bon. Maintenant, il va falloir que je m'occupe de votre cas.

- Vous avez eu ce que vous voulez, non ? Alors maintenant, fichez le camp d'ici !

Le jeune homme eut un petit rire.

- Décidément vous me surprenez, Moff. Vous me prenez vraiment pour un bleu ? La première chose que vous ferez quand je serai parti sera de donner l'alarme… à moins que je ne prenne quelques petites précautions !

Sans cesser de braquer son arme vers le Moff, Liam regarda aux alentours, et eut un vilain sourire aux lèvres quand il repéra un rouleau de bande adhésive bien épaisse, celle utilisée pour emballer les grands cartons. En quelques minutes, Gustavu se retrouva solidement attaché au fauteuil, pieds et poings joints.

- Vous allez avoir de gros ennuis, petit jeune homme.

- Si j'avais voulu éviter les ennuis, je ne serais pas devenu un Jedi.

- Vous ne vous échapperez pas d'ici.

- Peuh ! Vous croyez vraiment que je n'en suis pas capable ? J'ai passé mon enfance à échapper à la pègre des niveaux de Coruscant où vos troupes de choc avaient peur d'aller ! En plus, je suis armé, et contre des Imps, je n'hésiterai pas à cogner !

- Écoutez, il y a sûrement un autre moyen de s'arranger. Vous n'êtes pas obligé d'en arriver là, et si vous acceptez de vous rendre au lieu de jouer au héros suicidaire, je suis certain que le Seigneur Thorn se montrera indulgent. Il sera ravi de vous compter parmi ses premiers fidèles. Ce sera la meilleure chose à faire à mon avis.

- Blast ! J'aurais dû commencer par vous clouer le bec ! Je me fiche de votre avis ! Vous pouvez même vous estimer heureux que ce soit moi qui vous sois tombé dessus. Mes camarades n'auraient pas hésité à vous refroidir une fois votre passe dans leur poche !

- Je ne dis pas ça pour vous, enfin ! Je pense avant tout à mon intérêt ! Vous imaginez ce qui risque de m'arriver si je me présente devant le Seigneur Thorn en lui annonçant que vous êtes parti avec la prisonnière ?

Liam positionna son visage pile devant celui du Moff. Avec un rictus ironique, il répondit :

- Il fallait réfléchir avant de vous engager chez ces bouchers !

Et d'une main ferme, il enroula une bande adhésive autour du crâne de l'homme, lui collant la bouche. Avant de quitter le bureau, il dit juste :

- Un dernier conseil, Moff : si vous vous en sortez, quittez le secteur Tapani et évitez les Jedi et les Sith. Et surtout, tâchez de m'éviter, moi. Si jamais je vous revois, je ne vous raterai pas.

Sans autre forme de procès, il pressa la gâchette de son blaster de sport paralysant. Le Moff Gustavu s'affala sur la chaise, inanimé.

Ce fut sans trop de difficultés que Liam atteignit la plate-forme est, en passant directement par les échafaudages de maintenance construits sous le rail. Il n'avait pas pu s'empêcher d'avoir une petite appréhension en voyant la lave du volcan bouillir en contrebas, mais avait pu continuer son chemin à l'abri des regards. Parfois, un petit tour de Force suffisait à pousser un garde à regarder dans une autre direction quelques instants, le temps pour lui de passer sans se faire détecter.

Les sensations familières qu'il éprouvait quotidiennement durant son enfance des bas quartiers lui étaient revenues, mais il ne s'en inquiétait pas. Au contraire, le fait d'être dans une base remplie d'ennemis, et d'être obligé de s'infiltrer silencieusement, éviter les caméras et les patrouilles, faisait monter son adrénaline, lui procurant une certaine jouissance. Pour la première fois depuis qu'il avait quitté le Praxeum, le jeune homme se sentait complètement maître de lui dans une situation très risquée, et cela le faisait sourire dans la semi-obscurité du corridor mal éclairé. Les enseignements théoriques, les cours pratiques et les diverses expériences vécues dans le secteur Tapani avaient fini par faire sentir leurs effets.

Il n'avait pas eu de mal, non plus, à repérer l'annexe décrite par le Moff Gustavu. Il savait qu'il en était proche. Bientôt, il entendit deux voix modifiées par les modulateurs vocaux des masques des soldats de choc de l'Empire.

- Je n'aime pas ça.

- Bah ! Tu te fais une montagne de pas grand-chose !

- Et si elle nous jetait un mauvais sort ?

- Arrête ton char ! T'as vu dans quel état elle était ? Morte de trouille ! Je l'ai lu dans ses yeux. Elle ne tentera rien !

Le jeune homme se concentra… et sentit la fluctuation familière de la jeune fille, non loin de lui. Il y avait de la terreur, et du chagrin, mais elle était bien vivante. En avançant de quelques pas, il aperçut les deux soldats de choc. Ils étaient équipés de fusils anti-émeute, non létaux, mais suffisamment puissants pour plonger instantanément un torbull dans le coma. Cela lui donna une idée pour se débarrasser d'eux sans les tuer. Il repéra le soldat de choc qui semblait confiant, et implanta dans son esprit cette suggestion :

Ton collègue si inquiet est un agent rebelle infiltré.

Il n'eut pas à attendre longtemps le résultat. Le deuxième soldat de choc braqua son fusil sur son camarade et le neutralisa d'une seule décharge. Liam bondit alors de sa cachette, sauta par-dessus le soldat encore debout en prenant appui sur ses épaules, et atterrit pile devant lui en lui arrachant son arme au passage – l'autre, trop surpris, n'avait eu le temps de rien voir venir. Rapprochant son visage du masque blanc, le jeune homme gronda :

- Et alors, qu'est-ce que tu lis dans mes yeux ?

Et sans attendre la réponse, il pressa la gâchette. L'onde de choc projeta le soldat sur la paroi blindée. Liam s'empara d'un étui et y rangea son nouveau fusil. Après quoi, il se tourna vers la porte blindée, tira de sa poche la clef du bureau, et la tourna dans la serrure avant d'ouvrir.

Chi'ta était pelotonnée dans un coin. Liam eut un coup au cœur en la voyant. La pauvre petite Drall semblait anéantie. Elle était toute nue, tremblante, le visage enfoui dans ses mains. Son pelage était encore enduit par endroits du fluide ambré dans lequel elle avait été emprisonnée la veille. Elle pleurait en silence, n'osant pas le regarder.

- Chi'ta, c'est moi !

La jeune fille se redressa, et s'exclama faiblement :

- Liam ! Loué soit le Grand Fouisseur !

Le jeune homme entra promptement, et l'aida à se relever. Il la serra dans ses bras.

- Ne t'en fais pas, je suis là.

- C'est… horrible ! Ce que j'ai vu… ce qu'ils veulent faire… Ces gens sont fous !

- Ils t'ont fait du mal ?

Chi'ta avait un œil tuméfié, et du sang séché constellait la fourrure sous son nez.

- Pas trop, heureusement, ils m'ont battue, mais ils ne m'ont pas… enfin… fait autre chose… de plus gênant.

- Calme-toi, ça va aller.

Il enleva son blouson et le lui tendit.

- Tiens, mets ça, les nuits sont fraîches sur cette planète.

En passant le vêtement, la jeune fille demanda :

- Comment as-tu pu rester à l'abri ? Thorn ne t'a pas repéré ?

- Je ne pense pas. Je parierais que Dame Liryl retient toute son attention, en ce moment. Si elle provoque chez lui la même réaction que sur nous, elle doit complètement lui affoler le radar à Force ! Et je parierais aussi que ce n'est pas du tout agréable, pour une âme aussi pourrie que la sienne !

- Probablement.

Ils sortirent de la cellule. Liam tira péniblement l'un des soldats de choc par la botte jusqu'à l'intérieur.

- Où nos camarades nous attendent ?

- Nulle part.

- Quoi ?

- Je suis venu seul, en sautant sur la navette.

- Mais c'est de l'inconscience !

- J'ai pas réfléchi. Je ne pensais qu'à te sauver.

- C'est vraiment très touchant de ta part, mais comment allons-nous sortir d'ici ?

- J'ai un plan. Il faudra y aller au culot, mais ça peut marcher.

- J'espère que tu ne comptes pas affronter Daymon Thorn tout seul !

- Non, je ne serai pas seul.

Liam avait prononcé ces mots avec un clin d'œil complice. Chi'ta sursauta.

- Tu… tu veux dire… avec moi ? Tu n'y penses pas !

- Bien sûr que non ! répliqua le jeune homme avec un petit sourire. Tu as fait des progrès en combat, c'est sûr, mais contre un type comme lui, je préfère ne pas en attendre trop de toi. Sans vouloir te vexer, hein !

- Je sais, ne t'en fais pas. En plus, il a cassé mon sabre-laser, ajouta-t-elle sur le ton d'un enfant dont on aurait confisqué le jouet préféré.

- Cette ordure de Sith n'a vraiment aucun respect ! Quand on sera rentrés, tu t'en fabriqueras un autre, un mieux. En attendant, prends toujours celui-ci.

Il sortit de son étui son propre sabre-laser, et le passa dans la lanière bouclée cousue sur le bras de sa veste.

- Mais, et toi ?

- J'ai celui-là, répondit Liam en tapotant l'arme d'Ageer à sa ceinture.

- Tu es sûr ? N'as-tu pas peur qu'il y ait encore des effets secondaires ?

- « Thorn est un cas d'urgence ».

En reconnaissant les paroles que Duncan Blackstorm avait prononcées sur Fedrana, la jeune fille acquiesça. Après avoir placé l'autre soldat de choc à l'intérieur, Liam retira leurs armes et leurs casques, les privant ainsi de leurs communicateurs, et ferma la porte, la ferma à clef, et jeta le trousseau dans un conduit d'évacuation. Puis il passa délicatement son bras sous l'aisselle de la jeune fille, l'aidant à marcher.

- Et maintenant ?

- On va filer le plus loin possible, puis nous retrouverons les autres.

- Tu es bien optimiste. Tu sais au moins où les trouver ?

- J'ai toujours mon communicateur. Avec la fréquence cryptée de Ciro, on les contactera sans que Thorn ne nous repère.

- Et Dame Liryl ?

- Quand nous serons à nouveau avec les trois autres, nous reviendrons la chercher, et nous nous casserons avec le vaisseau. À cinq, on aura une chance.

Gardant son fusil anti-émeute, il régla l'un des blasters des soldats de choc sur la fonction « paralysant » et le confia à Chi'ta.

- En venant ici, j'ai repéré de quoi fuir dans le hangar.

- Tu sauras faire voler le Vandread ?

- Non, ce n'est pas une bonne idée. Même si on arrive à monter dedans malgré les gardes, même si je me débrouille pour le faire sortir de la base, à tous les coups ils vont déclencher une chasse au Jedi dès qu'ils nous auront repérés. Y a un autre moyen de sortir d'ici, plus discret.

L'après-midi touchait à sa fin lorsque la procession de Yapis et leurs cinq prisonniers ralentit. Ezra avait rapidement renoncé à protester. Canderous vit des panaches de fumée s'élever dans le ciel bleu aux reflets violacés. Dankin, de son côté, crut entendre des tambours de guerre, et sentit ses oreilles se rabattre en arrière. Au détour du chemin, un camp apparut. Il était constitué de nombreuses tentes faites de peaux de bêtes tendues sur des lances, de grands ossements et des branches d'arbre élaguées. Et des dizaines de Yapis allaient et venaient. À leur approche, toutefois, tous cessèrent leurs activités, et se rassemblèrent autour du petit groupe. L'un des chasseurs coupa les liens qui enserraient les chevilles de la doctoresse Calipsa, puis ses poignets. Elle se releva péniblement, se massa les avant-bras.

- Bon… Messieurs, je crois qu'on est partis pour une soirée de franche rigolade…

Une suite d'exclamations gutturales résonna. Un Yapi fendit les rangs de ses congénères, et s'approcha de celui qui avait emporté le petit abattu par les Impériaux. Celui-ci lui tendit le défunt, le lui mettant dans les bras. Un grand silence macabre tomba sur tout le campement. Canderous remarqua alors avec appréhension que le nouvel arrivé présentait des caractéristiques relativement similaires avec le mort. Probablement un membre de la même famille.

Le Yapi leva à bout de bras le corps, et poussa un terrible hurlement. Les trois compères n'avaient pas besoin de parler leur langage pour saisir le chagrin et la rage qui en sortaient. Il jeta plus qu'il ne posa à terre la dépouille, et aboya un enchaînement de syllabes incompréhensibles, tout en s'avançant vers les deux Humains. Deux de ses pairs le retinrent chacun par un bras.

Pendant quelques longues secondes, personne ne fit de geste brusque. Irrité, le Mandalorien grogna :

- Pas la peine de japper, j'entrave pas un mot.

Le grand Yapi parut hésiter, mais continuait à fixer Canderous avec méfiance. C'est alors qu'une voix autoritaire parla en basic.

- Je surveillerais mon langage si j'étais vous, l'ami. Ils ne sont pas aussi primitifs que vous semblez le penser.

Des murmures s'élevèrent, et les Yapis laissèrent arriver un individu plutôt remarquable. C'était un Humain, âgé d'une cinquantaine d'années, dont le visage carré était cerclé d'une barbe bien taillée. Ses cheveux blond cendré formaient une frange sur son visage fatigué, mais ses yeux étincelaient d'une lueur qui inquiéta la jeune femme. Canderous prit les devants :

- Vous êtes qui, vous ? Le gardien du chenil ?

- Faites extrêmement attention à vos paroles, guerrier. Leur morphologie ne leur permet pas de parler notre langue sans un bel effort, mais je leur ai appris à la comprendre. À l'instar des Wookiees, s'ils ne peuvent prononcer que très difficilement un mot ou deux de basic, ils en saisissent parfaitement le sens. Et tout comme vous, ils n'aiment pas beaucoup être comparés à des animaux.

- Oh, allez ! On m'a souvent dit que j'étais une bête au lit !

L'homme fit un pas en avant, et dit d'une voix puissante :

- Assez !

Les étincelles de son regard se muèrent en deux brasiers. Mais le mercenaire ne se laissa pas impressionner.

- Vous n'avez pas l'air conscient de la gravité de la situation dans laquelle vous vous trouvez, guerrier… ou qui que vous soyez. Je sens une anomalie en vous. La Force ne circule pas en vous comme elle devrait le faire.

- Je suis au courant, je suis un Mandalorien.

Les deux hommes restèrent encore quelques instants à se regarder, et finalement l'Humain se radoucit.

- Bon. Vous êtes des Humains, mais j'imagine que vous n'êtes pas des Impériaux, autrement mes amis n'auraient pas pris la peine de vous ramener ici, ils vous auraient dépecés sur place. Alors… à qui ai-je l'honneur ?

- Si je ne me trompe pas, aux derniers sauveurs de l'Humanité, mais pour le moment, on est plutôt en mauvaise posture.

- Admirable sens de l'observation, guerrier. Vous avez bien un nom, quand même ?

- Canderous Tal, je bosse pour moi. Lui, c'est Dankin, un chasseur aussi doué que vos toutous – s'ils l'ont trouvé, c'est parce qu'il s'est rendu. Et elle, c'est le docteur Ezra Lohrn, et je ne vous conseille pas de l'énerver.

- Bon… et qu'est-ce que vous faites ici, exactement ?

- Nous sommes venus régler le problème « présence impériale ». Et vous ?

- Oui, j'en oublie mes bonnes manières, répondit l'homme. Je m'appelle Atrus Cordana. J'étais autrefois un Jedi, j'ai travaillé pour la République.

- Et vous avez fait partie de l'expédition de l'Étoile Lointaine, j'ai lu un dossier sur vous, ajouta le docteur Lohrn.

Le Yapi qui avait perdu son parent aboya quelques mots à Cordana. Celui-ci expliqua :

- Mogokh aimerait savoir exactement ce qui s'est passé ?

- On est tombé sur des Imps qui s'amusaient avec un petit Yapi. Votre camarade était déjà mort quand nous sommes arrivés.

Un petit gloussement retentit alors derrière Canderous. C'était le jeune Yapi qui avait réussi à s'échapper grâce à leur intervention.

- Ce « camarade » était une fille, à l'aube de l'adolescence, et s'appelait Tariki. Chi-Boo, son meilleur ami, confirme que vous dites la vérité. Nous allons donc vous laisser le bénéfice du doute. Cependant, rappelez-vous bien qu'un pas de travers vous coûtera au moins une jambe, tant que vous êtes sur cette planète.

Encore une fois, le grand Yapi grogna. Cordana répondit quelques mots dans la même langue, et expliqua aux autres :

- Mogokh a perdu sa petite soeur, aujourd'hui, il veut punir les responsables.

Puis il se tourna vers les deux Impériaux, qui tremblaient nerveusement.

- Je ne sais pas si tous les Impériaux paieront pour tous les crimes qu'ils ont pu commettre à l'encontre des habitants légitimes de cette planète, mais je sais que deux d'entre eux vont encaisser un premier acompte !

Les deux Impériaux se mirent à gémir, à supplier, tentèrent désespérément de se débattre, mais leurs liens étaient bien trop solides. Mogokh empoigna fermement une sagaie plantée dans le sol, la saisit à la base de la pointe, s'approcha de l'un des soldats de choc, et d'une main, il le maintint solidement par l'épaule avant de lui enfoncer l'arme dans le torse. Une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, puis il l'arracha brutalement dans une gerbe de sang. L'autre soldat hurla de terreur quand le Yapi se tourna vers lui. Celui-ci jeta la sagaie, attrapa son casque à deux mains et le lui enleva d'un coup sec, révélant un visage encore jeune, déformé par la terreur. Mais ses cris cessèrent au moment où Mogokh l'égorgea à coups de crocs. Il s'effondra en gargouillant.

- C'est ainsi que les choses se règlent ici, commenta simplement Cordana.

Aucun des trois amis n'osa répondre. Au fond de lui-même, Dankin ne désapprouvait pas ce genre de justice. Le Jedi demanda alors :

- Et où sont les autres ?

- Les autres ? Quels autres ? Nous sommes seuls.

- Pas de ça avec moi, Mandalorien ! cracha Cordana. Je sais que trois manipulateurs de la Force vous ont accompagné jusqu'ici ! Deux jeunes gens, un Humain et une Drall ! Et puis il y a cette femme, qui émet clairement des fluctuations similaires à celles des Kathols ! Ils représentent sans doute un atout considérable pour lutter contre les ennemis des Yapis ! Ils étaient avec vous quand je vous ai sortis de l'état de stase dans laquelle ce damné Kathol vous a plongés ! Alors où sont-ils passés ?

- Capturés par les Impériaux.

Les yeux de Cordana se plissèrent.

- Vous avez laissé les agents de l'Empire les enlever ?

- Dites, je voudrais bien vous y voir ! protesta Ezra. Ils étaient nombreux ! Et si vous teniez tant que ça à nous, pourquoi vous n'êtes pas venu nous aider ?

- J'aurais bien aimé, mais les Kathols vous avaient déjà déplacés. Pour inverser la mise en stase, j'ai dû m'infiltrer dans leur base, et manipuler des commandes qui ont agi à distance sur vos molécules. Vous vous êtes réveillés à plusieurs dizaines de kilomètres de ma position. En outre, le superviseur qui vous a capturés venait de me repérer, je ne pouvais pas prendre le risque qu'il me prenne aussi. Je suis retourné directement à notre campement, en espérant pouvoir vous rejoindre ultérieurement. Et vous avez quand même pu venir jusqu'ici, au bout du compte.

- Les Imps n'étaient pas seuls, Cordana. Le Soleil Noir était là, aussi !

- Le Soleil Noir ?

- Un bataillon conduit par Gorak Khzam.

- Khzam était après vous ?

- Ouais, mais il ne menacera plus jamais personne.

L'ancien Jedi fit une petite moue, puis haussa les épaules.

- J'imagine que vous avez envie de vous reposer, et de manger quelque chose.

- Pas de refus.

- Venez, vous allez nous aider à préparer le dîner, et vous pourrez vous joindre à la tribu. En attendant, vous continuerez votre histoire.

Il fit un geste du bras, et peu à peu, les Yapis rompirent le cercle, reprenant leurs activités. Mogokh emmena le corps de sa soeur. Cordana invita les trois compères à le suivre. En marchant, il demanda :

- Et qui dirige ces Impériaux ? Vous le savez ?

- Vous avez entendu parler de Daymon Thorn ? répondit Ezra.

En entendant ce nom, Cordana réfléchit quelques instants.

- Un peu. Il était en dernière année de formation quand je suis entré à l'Académie Jedi de Coruscant. Un des plus brillants élèves, mais il a été aussi un des premiers à rejoindre volontairement Palpatine, c'est pour ça que je me souviens de lui. Ce serait lui qui serait à la tête de ces forces impériales ?

- Oui, à moins qu'il n'ait un grand chef caché, ce qui serait plutôt étonnant vu le bonhomme.

Sur leur passage, les Yapis les regardaient avec curiosité, mais sans hostilité, la présence de Cordana les rassurait. Celui-ci demanda alors :

- Vous parliez de l'Étoile Lointaine, tout à l'heure… Que savez-vous exactement de cette expédition ?

- On a pu feuilleter le rapport, et parler avec quelques-uns des survivants, répondit Canderous. Raynor est devenu dingue, il voit des araignées partout. Et j'espère que le docteur Akanseh ne vous devait pas de fric, il ne pourra plus jamais vous rembourser, si vous voyez ce que je veux dire. Keleman Ciro est encore actif, lui.

- Et qu'est devenue Jessa Halbret ?

Avec un soupir attristé, Ezra répondit :

- Hélas, elle a eu… enfin, les Kathols l'ont capturée, et l'ont réduite en esclavage.

- Je présume que son ADN paternel a fini par se manifester un peu trop fort ?

- Oh ! Vous saviez…

- J'étais là quand Khzam lui a tout raconté.

- C'était elle ou nous, Maître, répliqua Canderous. Je l'ai tuée à sa demande.

- J'imagine que c'est mieux ainsi pour tout le monde. Cette pauvre Jessa n'aurait pas pu durer bien longtemps comme Jedi.

- Elle a quand même été membre du Conseil, observa la Calipsa.

- Beaucoup de politiciens sont incompétents, ils n'en restent pas moins politiciens.

Tout en marchant, le petit groupe passa devant un champ dans lequel une demi-douzaine de Yapis se livrait à de curieux exercices. L'un était assis en tailleur et regardait fixement le ciel, comme en transe, deux d'entre eux marchaient sur les mains aussi facilement que si leur espèce avait évolué dans ce sens, les pieds en l'air, un quatrième réussissait à soulever un énorme tronc d'arbre, lentement mais sans paraître épuisé, le cinquième levait les mains au-dessus d'un petit bûcher de brindilles qui s'enflammait. Le sixième, l'albinos qui avait conduit les trois compères au camp, supervisait le tout.

- Que font-ils ? demanda Dankin.

- Ce sont des Gosho-Ree, dans leur langue. Dans la nôtre, le terme le plus proche est « Ascendant ». Ils s'entraînent.

La jeune Humaine s'arrêta, et regarda plus attentivement.

- Vous avez remarqué ? Ils présentent tous au moins une caractéristique physique un peu… particulière.

En effet, l'Ascendant qui tenait à présent le tronc d'arbre au-dessus de sa tête était petit et courtaud, celui en transe était au contraire très grand, et mince comme un fil, le Yapi au bûcher avait le pelage couleur bleu nuit…

- J'ose espérer que vous n'emploierez pas le mot « tare », mademoiselle.

- Moi ? Quelle idée ! répondit innocemment la Calipsa.

- Tous ces Yapis ont été choisis pour manipuler les plus grandes puissances qui régissent notre univers. Contrairement à une très grande majorité de peuples, la différence n'est pas vue comme étant une faiblesse, une source de honte et de rejet, mais comme une force, un signe des esprits auxquels ils croient. Alors, si vous n'avez jamais éprouvé le besoin de respecter ce genre de croyance au moins une fois dans votre vie, je vous suggère…

Mais le docteur Ezra Lohrn de la Maison Calipsa ne l'écoutait plus. D'ordinaire, elle n'acceptait pas ce genre de serment venant d'une personnalité autre qu'un supérieur hiérarchique de sa Maison, mais ses pensées étaient focalisées sur les deux padawans. Elle fut obligée de le reconnaître, elle avait vraiment peur pour eux.

La lumière du crépuscule éclairait l'intérieur du hangar. Celui-ci n'avait pas de porte, pour la simple raison qu'il donnait directement sur une falaise impraticable et que le Moff Kentor Sarne n'avait pas voulu perdre de temps à mettre en place toutes les normes de sécurité réglementaires. Et ce détail allait être capital, car il allait pouvoir permettre aux deux padawans de s'échapper. Mais Chi'ta n'était pas rassurée. Son pelage se hérissa.

- Tu es sûr de ce que tu fais ?

- L'autre solution, c'est le grand bond, et ça risquerait de faire mal.

- Sans doute. Nous devons nous dépêcher, les caméras de sécurité vont nous repérer.

Liam finissait d'orienter vers la grande porte du hangar le petit véhicule aérien qu'il avait trouvé rangé dans un coin. C'était une aile delta pourvue de petits réacteurs sur l'armature qui soutenait les ailes déployées vers l'avant en V. Il se positionna, agrippa fermement les poignées.

- Grimpe sur mon dos et accroche-toi bien !

La jeune fille obéit, un peu hésitante. Liam lui avoua avec un petit sourire gêné :

- Je n'ai jamais piloté ce truc-là, et je ne sais même pas combien de kilos ça peut supporter. Si ça se trouve, on va s'écraser comme des œufs sur un carrelage !

- Ce sera toujours préférable à ce qui nous attend si nous restons ici !

- Nous sommes d'accord. Tu es prête ?

Chi'ta inspira, ferma les yeux.

- Je... je… allons-y !

- Attention, ça va secouer… c'est parti !

Liam poussa la manette des gaz, et pressa le bouton de mise à feu. Aussitôt, les deux petites fusées s'embrasèrent, et l'aile delta partit en avant, et en quelques secondes elle se retrouva au-dessus de plusieurs centaines de mètres de vide. Liam cria d'excitation, pendant que Chi'ta hurlait d'effroi.

- Yahoooouuuuuuu !

- Iiiiiiiihhhh !

- Ha haaaa ! Ouais !

- Le Grand Fouisseur est notre guide, Il a creusé les galeries de notre monde, Il guide nos pas dans les tunnels les plus obscurs…

- Est-ce qu'ils nous suivent ?

La jeune fille cessa de réciter son mantra, et osant à peine regarder, elle jeta un bref coup d'œil par-dessus son épaule.

- Je ne vois rien !

- Ils doivent être tous trop occupés. Mais il ne faut pas traîner. Attention, j'accélère !

Il poussa plus avant la manette, augmentant ainsi la vitesse du deltaplane.

Le petit appareil volant planait dans les cieux entre deux courants d'air. La nuit tombait peu à peu, et tout s'assombrissait autour des deux padawans. Mais les derniers rayons du soleil illuminaient encore les plaines et les forêts de Kathol, traversées par un fleuve. Au loin, certaines montagnes scintillaient de neiges éternelles.

- Je ne sais pas jusqu'où on va aller, mais ça valait le coup d'œil.

- Oui, enfin… je me sentirais mieux à terre.

- Tu as raison, il va falloir trouver un endroit où nous poser.

- Le Grand Fouisseur soit loué.

- Ouais enfin, c'est parce qu'on va manquer d'essence !

- Jusqu'où nous pouvons encore aller ?

Grâce au compteur du cadran, le jeune homme pouvait voir l'autonomie du véhicule.

- Encore une demi-heure, environ. Je vais chercher une plaine.

- Ho, regarde à gauche !

La jeune fille avait repéré quelque chose. Liam tourna la tête, et fronça les sourcils, cherchant à mieux distinguer ce qu'il pensait voir.

- Il y a de la lumière !

- On dirait un feu de camp !

- Tu crois que c'est l'Empire ?

- Non, Liam, ils auraient installé des éclairages à électricité ! Hé, mais… et si c'était nos amis ? Nous devrions essayer de les appeler !

- Bonne idée ! Prends mon communicateur, dans la poche intérieure gauche !

En faisant très, très attention, Chi'ta relâcha doucement la prise de sa main droite, et sortit le petit micro à longue distance.

- Il est réglé sur la fréquence d'Ezra ! Vas-y, appelle-la !

L'esprit toujours secoué par les derniers événements, Ezra faisait quelques pas à l'écart pour se détendre un peu les jambes, loin de la chaleur des feux, de la musique des tambours et des chants rituels. Sentant l'air se rafraîchir, elle renfila la veste de sa combinaison, la reboutonna jusqu'au col. Soudain, elle s'arrêta net. Elle venait d'entendre un petit bruit familier non loin d'elle, à hauteur de ses bottes. En réfléchissant une demi-seconde de plus, elle reconnut le son de son communicateur, resté dans son gilet tactique posé par terre près de son sac à dos. Elle se précipita sur la pochette, en sortit l'appareil, et l'alluma.

- …teur Lohrn ? Docteur Lohrn, ici Chi'ta ! Est-ce que vous m'entendez ?

- Chi'ta ! Tu es vivante ! s'écria Ezra en riant de joie.

En voyant son agitation, Canderous et Dankin la rejoignirent bien vite.

- C'est Chi'ta !

- Petite puce ! s'exclama le Mandalorien. Tu vas bien ? Ezra, elle va bien ?

- Oui, Canderous ! Je vais bien, et Liam est avec moi ! Nous n'avons pas été suivis !

Chi'ta se sentit aussi soulagée en entendant les voix de ses amis.

- Où êtes-vous ?

- Dans les cieux, docteur Lohrn ! Nous volons ! C'est pourquoi je ne pourrai pas vous passer Liam, il n'est pas en position de vous parler, il pilote !

- D'accord, d'accord.

- Un petit problème, c'est que nous n'avons plus beaucoup de carburant ! Nous devons vite atterrir !

- On ne s'affole pas, surtout ! Où es-tu ?

- Quelque part dans le ciel, sur une aile delta motorisée !

- Une aile delta ? répéta Canderous. Est-ce qu'ils peuvent voir quelque chose ?

- Est-ce qu'il y a un truc particulier qui t'attire l'œil ? reformula Ezra.

- Sur notre gauche, on a vu une lumière… comme un feu ! Oh, il y en a plusieurs !

Alors qu'Ezra entendait ces paroles, elle distingua devant elle une agitation montante chez les Yapis. L'un d'entre eux montrait du bout de sa lance quelque chose vers le ciel, et les autres regardaient dans cette direction. Dankin tendit l'oreille.

- J'entends un bruit de moteur. Un moteur léger.

- C'est eux ! J'en suis certaine ! s'exclama la doctoresse. Chi'ta ? Chi'ta ?

- Oui, docteur Lohrn ? Il faut nous dépêcher, nous n'avons plus que vingt minutes de combustible !

- Ce feu, tu le vois toujours ?

- J'arrive encore à le distinguer, en effet.

- Est-ce que vous pouvez voler dans sa direction ?

- Euh… bon, d'accord.

À présent, Ezra voyait à son tour un petit point se déplacer au-dessus de la forêt. Et ce point semblait changer de cap, pour se diriger vers le village. Saisissant les macrojumelles qu'elle portait dans sa trousse d'urgence, elle zooma sur le point.

- Je les vois ! Chi'ta, je peux te voir ! Nous sommes au feu de camp, Chi'ta ! Essayez de vous poser de ce côté !

- Liam fait de son mieux, docteur Lohrn !

Le jeune homme serrait les dents. Sur indication de la padawan Consulaire, il ralentit, orienta le deltaplane vers le point lumineux.

- Aïïïïeee ! Nous descendons trop vite !

- Je sais, je sais !

- On va s'écraser !

- Calme-toi, on y est presque !

Ils passèrent une vingtaine de mètres au-dessus du feu, et continuèrent à descendre de plus en plus vite. Au-dessous d'eux, des hommes-chiens jappaient, s'écartaient en vitesse, allaient se mettre à l'abri. Liam écarquilla les yeux en distinguant la masse sombre des arbres. Coupant les moteurs, il pencha sur la droite de tout son poids, changeant la course de l'aile, pour finir sa course dans les hautes herbes.

Chi'ta tenta de bouger, et y parvint. Elle ne sentit aucune douleur, rien que l'herbe autour d'elle.

J'ai l'air à peu près indemne ! Merci, ô Grand Fouisseur !

- Oh…

- Liam ?

- Tu parles d'un vol plané !

- Rien de cassé ?

- À part ma fierté, pas grand-chose, je crois…

En se relevant péniblement, le jeune homme éclata de rire, puis il aida sa condisciple à se relever.

- Sacrée balade ! Quand tu veux, on recommence !

- Je vais attendre un peu, répondit-elle en soupirant de soulagement.

Elle regarda alors vers le volcan. Au loin, ils pouvaient voir la sombre bâtisse impériale qui se découpait sur son sommet, éclairée par ses projecteurs. Liam posa une main bienveillante sur l'épaule de la petite Drall.

- On ne partira pas d'ici sans elle, Chi'ta. Promis.

- Même si… elle ne détenait pas le module d'Ageer ?

- Liryl est la Dame de Sérénité. L'abandonner entre les mains de Thorn serait un crime impardonnable.

Elle se blottit contre lui, cherchant sa chaleur, la nuit devenait de plus en plus froide. Son oreille pivota vers sa droite, comme elle entendait un bruissement.

- Oh-ho !

Les lumières de plusieurs torches avançaient vers eux. Bientôt, ils se retrouvèrent encerclés par une vingtaine de non-Humains. Liam reconnut les Yapis, les hommes-chiens décrits dans le rapport du docteur Akanseh. Chi'ta se colla davantage contre le jeune homme, plutôt impressionnée. Elle bredouilla, intimidée :

- Nous… nous ne sommes pas vos ennemis. Nous voulons juste…

- Te fatigue pas, petite puce ! rétorqua la voix de Canderous.

Le mercenaire était bien là, avec Ezra et Dankin. Les deux filles se jetèrent dans les bras l'une l'autre, et Liam se retrouva entre les deux baroudeurs qui le félicitèrent en riant de grandes claques amicales sur le dos.

- Ah, la trouille ! Blast, j'ai vraiment cru que t'allais y rester !

- T'es pas le seul, Canderous !

- T'as réussi à échapper à cette bouse de tauntaun en ramenant la petite puce ! Cette fois, ça y est ! T'es un homme, maintenant !

- Hé, je suis désolé de t'avoir bousculé, mais je ne pensais qu'à la sauver… enfin, à les sauver.

- Laisse tomber, j'aurais pas fait mieux.

- Cela dit, nous ne sommes pas sortis de l'auberge, si j'en crois vos amis ! dit alors une voix impérieuse.

Les Yapis s'écartèrent cérémonieusement devant Atrus Cordana. Les deux jeunes gens n'eurent aucun mal à reconnaître l'homme qui les avait contactés pendant leur emprisonnement dans le planétarium.

- Maître Cordana…

- Cette fois, nous parlons face à face, jeunes gens. Nous avons beaucoup à nous dire, mais auparavant, venez avec nous, vous allez partager notre repas et vous remettre de vos émotions.

Chi'ta acquiesça avec soulagement, mais Liam ne s'en tint pas là.

- Vous étiez vraiment obligé de faire joujou avec nous, comme ça ?

- Il fallait que je sonde vos âmes. J'avais envie de voir qui était suffisamment inconscient pour défier les Kathols jusque sur leur territoire. Ce que j'ai pu lire en vous m'a plu. Et vous en avez tiré une leçon : le plus important, le plus réel, ce ne sont pas les foutaises moralisatrices et paternalistes qu'on a pu vous enseigner dans votre école, mais bien cet éclat qui brille au fin fond de votre cœur.

- Sauf votre respect, ce genre de discours est vraiment tarte ! cracha le padawan.

En finissant sa phrase, Liam eut un petit sursaut de crainte qu'il tenta de dissimuler, attendant une réprimande de la part de la petite Drall. Mais celle-ci ne prononça pas un mot. Elle non plus n'avait pas tellement apprécié l'expérience du colisée onirique, et elle regardait le Jedi avec une mine boudeuse. Cordana se contenta de rire.

- Peut-être, mais pas idiot ! Vous êtes à un âge où vous rejetez systématiquement ce que disent vos aînés. J'y suis passé, vos enfants y passeront, nous y passons tous un jour ou l'autre. Cela vous paraît tout droit sorti d'un livre d'histoire pour enfants, bien dégoulinant de bons sentiments et incompatible avec la dureté du monde réel, mais vous verrez peut-être plus tard qu'il est possible de concilier le monde réel et vos sentiments les plus bruts. S'il y a bien dans cet univers quelque chose qui ne ment jamais, c'est vos sentiments. Maintenant, allons nous préparer pour le dîner. Vous allez prendre un peu de repos avant de vous joindre à nous !

Les Yapis avaient établi leur camp dans une grande plaine, et au fur et à mesure de l'avancement de la journée, d'autres tribus étaient venues grossir les rangs. Certaines n'étaient constituées que de quelques dizaines d'individus, mais les plus importantes comptaient des membres par centaines. Ils avaient allumé plusieurs feux afin de faire cuire à la broche les carcasses des quadrupèdes capturés pour l'occasion. Des tambours résonnaient par-dessus les toiles des tentes, et de nombreux aboiements résonnaient de ci de là.

Avant de se joindre aux autres, les cinq amis avaient été conduits à la rivière. Chacun avait pu s'isoler et nettoyer dans l'eau claire leurs corps des résidus de fluide conservatoire, traces de poussière et autres taches de sang. Ils avaient également lavé leurs vêtements respectifs que l'une des chamanes sécha en un clin d'œil. Enfin, à nouveau propres, frais et dispos, ils avaient pris place sur des bancs constitués de rondins, autour du plus grand feu. Comme la viande grillée était destinée aux guerriers Yapis, les femmes avaient préparé un ragoût épicé, odorant et très nourrissant pour leurs hôtes. Canderous, d'abord récalcitrant à l'idée de manger de la soupe, apprécia rapidement la tambouille. Dankin, toutefois, sans doute à cause de sa corpulence impressionnante, eut droit à un steak de la même viande que les guerriers Yapis – le privilège du « cousinage de race », avait songé le Mandalorien. Le docteur Lohrn se régala de l'épais breuvage.

Liam était un peu à l'écart, assis sur un grand tronc d'arbre, à regarder rêveusement les étoiles. Il repensa à ce qu'il avait accompli ces dernières heures, et fut brusquement saisi par une terrible sensation de faiblesse il venait de se rendre compte qu'il avait réussi à pénétrer clandestinement dans une forteresse impériale contrôlée par un seigneur Sith qu'il savait redoutable, et avait réussi à en ressortir avec son amie prisonnière. Cent fois il avait eu l'occasion de se faire prendre par Thorn, les Impériaux les avaient sans doute vu partir avec les caméras du hangar, et à cette heure ils savaient forcément qu'il avait délivré la jeune fille.

Blast ! Ou bien c'est un coup monté, ou bien on l'a quand même sacrément échappé belle ! Jamais je n'avais fait un truc pareil avant !

Il en eut le vertige, et tomba en avant, se reçut péniblement sur les mains. Pendant quelques heures, il avait verrouillé son esprit pour ne laisser parler aucune émotion et mener à bien les objectifs qu'il s'était fixé, et comme la pression retombait, il en résulta un rude contrecoup qui le déstabilisa. Il dut prendre quelques instants pour retrouver la pleine possession de ses moyens.

Enfin, il se sentit mieux. Il se rappela qu'il était seul, et ne voulut pas rester davantage à l'écart. Aussi, il se releva fermement, et se dirigea d'un bon pas vers l'un des plus grands feux, autour duquel dansaient une vingtaine de Yapis. Il passa un temps indéfinissable à les regarder, fasciné par les mouvements chorégraphiés plus complexement qu'il n'y paraissait à première vue. Tous étaient dans un état de transe, brandissaient leurs armes en rythme avec des jappements de défi vers le ciel étoilé.

Malgré les chants et les bruits des tambours, il entendit un léger bruit de pas sur l'herbe. En tournant la tête, il vit approcher Chi'ta, qui portait son blouson à bout de bras.

- Je te le rends, ce n'est pas mon style, dit la jeune fille avec un petit sourire.

Liam remarqua qu'elle portait sur les épaules une cape de cuir pourpre, un peu élimée et rapiécée, mais souple et solide. Elle tourna sur elle-même avec un petit air coquet et demanda :

- Un cadeau de l'une des femmes de nos nouveaux amis. Comment tu la trouves ?

- Elle te va à ravir, répondit le jeune homme en repassant sa veste.

Il dégagea son sabre-laser de sa lanière, et l'invita à le prendre.

- Garde-le encore un peu. Je sens que tu vas très bientôt en avoir besoin.

- J'espère que non, mais je suis préparée à me battre.

Elle l'attacha à l'une des cordelettes de sa nouvelle cape. Puis elle tendit la main.

- Viens donc avec nous, ne reste pas seul. Ils se préparent pour la guerre, mais leurs cœurs crépitent de vie et de volonté. Leur motivation est communicative.

- J'arrive, répondit le jeune homme en se levant.

Main dans la main, ils se dirigèrent vers le plus grand feu de camp. Arrivés à proximité de l'un des groupes, Chi'ta s'arrêta. Elle venait de repérer un Yapi, particulièrement grand et fort, presque autant que Dankin. Il brandissait dans chaque main un casque de soldat de choc, et invectivait la quarantaine de Yapis qui l'écoutaient. En le regardant mieux, la jeune fille constata qu'il avait le visage lacéré de vieilles cicatrices, et qu'il lui manquait une oreille. Ses bras étaient aussi larges que des cuisses Humaines, et d'autres balafres constellaient son torse couvert partiellement de fourrure châtain. Son public l'acclamait.

Atrus Cordana s'était approché sans bruit des deux jeunes gens.

- Vous faites la connaissance de Koubakaya. C'est le chef de la Tribu des Coureurs de la Lune, la plus importante de cet hémisphère de Kathol. Il y a sept ans, il était à la tête des Yapis qui se sont battus contre les troupes du Moff Kentor Sarne. C'est lui qui mènera l'attaque que nous lancerons au lever du jour.

- Vous allez lancer une attaque ? répéta Liam.

- Oui, et vous allez y participer. Vous avez de bonnes raisons de nous aider, je ne vois pas pourquoi vous resteriez en arrière. Venez, rapprochez-vous du groupe.

Ledit groupe était constitué d'une trentaine de Yapis, en cercle autour d'un grand bûcher. Tous étaient à quatre pattes, et se balançaient en rythme de droite à gauche en répétant une litanie. Un grand Yapi portant de multiples colifichets dansait d'un pied sur l'autre, agitait une longue canne au bout de laquelle il avait attaché des osselets, les faisant cliqueter, et sortait d'une bourse nouée autour de ses reins des poignées de poudre qu'il jetait dans le brasier. Chaque fois, une explosion de fumée bleutée illuminait l'assemblée. Ce spectacle fascina Liam. Il murmura à l'attention de Cordana :

- Que font-ils donc ?

- Afin de leur donner les forces nécessaires au grand combat qui aura lieu demain, les Yapis pratiquent des rituels de Magie Ta-Ree

Les deux padawans tiquèrent en entendant ce dernier mot. La petite Drall demanda à Cordana :

- Qu'avez-vous dit ?

- « Ta-Ree », c'est un terme qui signifie en gros « énergie de l'esprit ».

- Maître Cordana, à ce sujet, il y a justement quelque chose qui m'interloque, dit alors Chi'ta.

- Quoi donc, padawan ?

La jeune fille avala sa salive, cherchant ses mots, et les trouvant :

- Je me demande quels peuvent bien être les rapports entre les Yapis et la Force ?

- Ils ne voient pas ça comme la Force, mais le Ta-Ree.

- Oui, mais… la première chose qu'on nous apprend à l'Académie Jedi, c'est que la Force est une énergie qui nous entoure…

- …et nous pénètre, je sais, j'ai suivi les mêmes enseignements. Et alors ?

- La deuxième chose qu'on nous apprend, c'est qu'il n'y a pas de neutralité possible. Cette énergie pousse votre âme dans un sens ou dans un autre. Le Côté Lumineux, et le Côté Obscur.

- C'est une théorie. Et donc ?

- Donc… si j'en crois le témoignage du docteur Lohrn, les « Ascendants » peuvent canaliser l'énergie de la Force pour les convertir en une énergie destructrice.

- Destructrice ? répéta Cordana. Vous vous méprenez, jeune fille !

- Faire chauffer à blanc l'armure d'un soldat de choc jusqu'à la mort me paraît une utilisation pour le moins destructrice ! protesta la Drall.

- Tout est une question d'interprétation. La Force et le Ta-Ree désignent peut-être la même énergie, mais l'usage qu'on en fait est différent. Le Bien et le Mal sont deux concepts obsolètes pour le Ta-Ree, et ne concerne donc pas ses adeptes.

- Vous parlez de « Jedi Gris » ? enchaîna Liam. C'est du délire ! Je n'y crois pas.

- Moi non plus, je n'y ai jamais cru, ajouta la jeune fille. Être un Jedi est une très grande responsabilité, et nul ne peut s'en servir de manière égoïste en laissant parler ses bas instincts sans en payer tôt ou tard les conséquences !

- Sentez-vous le Côté Obscur, par ici ?

Les deux padawans balayèrent les alentours du regard, tentant de déceler une émission de Force qui les mettrait mal à l'aise. Sans résultat. Bien sûr, il y avait des ondulations dues aux Ascendants, mais rien de foncièrement mauvais.

- Je ne sens rien d'anormal.

- C'est vrai.

- Mais c'est difficile à croire, reprit Chi'ta. Dès que j'ai compris que j'étais sensible à la Force, je n'ai plus jamais vu les choses sous un angle neutre. Les deux côtés de la Force tiraillent sans arrêt ceux qui peuvent la percevoir.

- Ouais, je confirme : le Côté Obscur essaie régulièrement de me parler, mais je ne l'écoute pas, contrairement au Côté Lumineux.

- Comme c'est touchant ! ironisa Cordana. Mais le Ta-Ree est une autre façon d'aborder cette « énergie universelle qui nous entoure et nous pénètre ».

- Éclairez-nous, invita Liam, lui rendant son ironie.

L'ancien Jedi ferma les yeux, prit son inspiration, et donna son explication :

- Vous l'avez compris, comme la grande majorité des peuples que nos civilisations soi-disant « modernes » désignent comme étant « primitifs », les Yapis sont très proches de la terre qui les accueille et les nourrit. Ce lien est puissant, très puissant, et nous autres, Humains et Dralls, ne pourront plus jamais le percevoir. Moi-même, je suis venu vivre ici pour retrouver tant bien que mal ce lien, mais je m'éloigne du sujet. Les Yapis qui voient, entendent, ressentent plus loin et plus profondément que leurs semblables sont rapidement repérés par des Ascendants – enfin, des « chamanes », comme vous les appelleriez. Ils suivent alors un enseignement qui renforce trois fois plus ce lien entre eux et la planète.

- Ils se rapprochent ainsi de Kathol ?

- Absolument, jeune fille. En se rapprochant encore, ils se détachent peu à peu du concept du manichéisme. Plus précisément, ils renoncent à leur individualité. Ils se fondent dans la toile du Ta-Ree, et par conséquent, n'en sont plus que des vecteurs. Il ne peut donc plus y avoir de Bien et de Mal, il n'y a plus que le Ta-Ree, source de vie. Ils n'agissent plus que pour servir la nature. Ils perçoivent l'univers sous un angle de parfait équilibre, qu'ils s'efforcent de préserver.

- Et donc, les grillades de soldats de choc ?

Cordana prit un air sévère.

- Ce n'est pas comme ça qu'il faut définir ce que cet Ascendant a fait. En venant ici, les soldats de l'Empire ont provoqué une sérieuse disharmonie dans le courant du Ta-Ree. Il n'y a qu'à voir où ils ont installé leur base, directement sur un volcan.

- Et ce qu'ils préparent à l'intérieur ! ajouta la jeune fille avec un frisson.

- La base a été établie il y a sept ans, mais elle n'a été remise en activité qu'il y a seulement quelques jours. Un temps suffisant pour provoquer le chaos. Se défendre contre l'Empire est leur manière de rétablir les comptes. Ils ne font pas cela par haine, par désir, ni conviction, encore moins par amusement. Si vous voyez un Ascendant détruire un Impérial grâce à la Magie Ta-Ree, il le fera parce que l'entité supérieure qu'il écoute le lui aura ordonné. Ou plutôt, il prête son corps et son âme à cette force pour qu'elle s'exprime concrètement à travers lui.

Les deux padawans n'étaient que partiellement convaincus.

- Ce n'est pas une vision à laquelle j'adhère, murmura Chi'ta.

- Cela me navre un peu, mais je ne peux pas vous obliger à voir les choses autrement. Peut-être qu'avec un peu plus de maturité, vous changerez d'avis.

- N'y comptez pas ! rétorqua Liam. Je veux bien changer certaines choses, mais il y a des principes auxquels je ne tournerai jamais le dos !

L'homme soupira avec lassitude, comme si le poids déjà bien conséquent des années et de ses expériences passées venait de s'alourdir.

- J'étais comme vous, à votre âge, petit jeune homme. Et je puis vous assurer que je ne pensais pas finir comme j'ai fini. J'ai vu tellement de choses, vécu tant d'horreurs… de quoi vous éteindre la flamme de l'enthousiasme juvénile.

- Arrêtez de leur remplir la tête avec votre pessimisme chronique.

C'était Canderous. Il faisait une grimace méfiante, et Cordana soutint son regard.

- Je ne fais que prévenir les éventuelles illusions de ces enfants.

- On n'a vraiment pas besoin de ça. Ce qu'il nous faut, c'est un plan et des armes.

- Vous avez raison. L'heure n'est pas aux palabres.

Cordana se leva, et appela l'un des Yapis. Le grand non-Humain à fourrure grise s'approcha. Une grimace que le Mandalorien interpréta comme un sourire mettait en évidence ses crocs. Il dit quelques mots, que Cordana traduisit :

- C'est Toki-Tori, le chef d'une des tribus amies. Je lui ai dit que vous étiez prêts au combat. Il suggère que vous vous mêliez aux guerriers, pour participer aux rituels.

- Mais nous ne sommes pas des Yapis, murmura timidement Chi'ta. Est-ce que les vôtres ne risqueraient pas d'y voir un sacrilège ?

Le nommé Toki-Tori avait compris ce que la jeune fille avait dit. Aussi répondit-il par l'intermédiaire de l'ancien Jedi :

- Par le sang, vous êtes différents, mais ce que vous avez fait aujourd'hui prouve que vous êtes comme nous par le cœur. Vous, le jeune loup, avez sauvé votre bien-aimée des griffes d'un monstre. Vous, cousine à fourrure aux reflets d'or, avez résisté à la peur et à la douleur auxquelles le monstre a pu vous soumettre. Quant à vos trois compagnons, ils ont montré qu'ils sont de notre côté en protégeant l'un de nos jeunes de ces tueurs en armure. Demain, nous nous battrons ensemble, alors aujourd'hui, nous devons prier ensemble les esprits, qu'ils nous accordent la toute-puissance du Ta-Ree et attirent sur ces étrangers la colère de la planète.

Les danses et chants des Yapis étaient plus guerriers, plus rageurs que ceux des Fedraniens. Mais les hommes du groupe se sentirent stimulés par tant d'énergie émise. Liam, Canderous et Dankin suivaient les pas cadencés des combattants. Le docteur Lohrn s'était jointe à la procession, chantant et glapissant parmi les femelles, et même Chi'ta était restée en transe au milieu des Ascendants. Puis, après une bonne heure, l'assemblée se calma. Les tambours cessèrent peu à peu de battre, les Yapis ralentirent leurs mouvements, et se dispersèrent. Tous regagnèrent leurs tentes, par petits groupes. Les cinq amis se retrouvèrent. Atrus Cordana les rejoignit, accompagné par Koubakaya. L'immense Yapi regarda tour à tour Dankin, Ezra, Liam, Chi'ta et Canderous, puis il prononça quelques mots. Cordana déclara avec satisfaction :

- Et voilà ! Maintenant, vous êtes membres de la Tribu des Coureurs de la Lune !

Canderous ouvrit des yeux surpris.

- Tiens ? Je croyais qu'on allait devoir subir une initiation plus musclée, quelque chose avec des festivités marrantes à base de danses pieds nus sur les charbons ardents ou un combat sacré ! Je vous aurais bien affronté !

- Avoue que cette partie-là ne t'aurait pas déplu, ironisa Ezra.

- En temps normal, les Yapis appliquent effectivement de tels rituels. Cependant, pour aujourd'hui, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps en broutilles. Ils ont des principes sacrés, mais sont capables de ne pas y prêter attention en cas de situation urgente. Et je ne partage pas votre optimiste quant à vos chances face à Koubakaya. Bien, maintenant que vous êtes des nôtres, vous allez vous joindre aux chefs pour le conseil de guerre. Vous rapporterez tout ce que vous savez de nos ennemis, et nous pourrons mettre une stratégie au point.

Il n'y avait cependant pas grand-chose à dire de plus par rapport à ce que les éclaireurs Yapis avaient déjà pu observer, et les cinq compères se retrouvèrent un peu hésitants face aux quinze grands chefs. Chi'ta, cependant, qui avait pu voir les installations de près, décrivit en détail tout ce qu'elle avait vu. Les autres prirent des mines inquiètes et écoeurées en entendant son récit. Cordana, lui, resta plutôt songeur.

- Ainsi, Thorn a découvert les matrices des Kathols.

- Il a l'intention de se constituer une armée de guerriers insectes qui contiendraient les esprits de ses soldats les plus zélés !

- Blast ! On atteint des sommets ! À ce point-là, ce n'est plus de la disharmonie, c'est une tempête cataclysmique !

- Raison de plus pour les arrêter, déclara le docteur Lohrn d'un ton péremptoire. Si cette base est suspendue au-dessus d'un volcan, comment l'atteindre ?

- Dites, vos Ascendants ne pourraient pas faire bouillir le volcan de manière à le faire déborder et tout emporter ?

- Canderous… tu tiens à ton vaisseau qui est resté là-bas ? Ou à Dame Liryl ?

- T'es sûr que le vaisseau est là-dedans, Liam ?

- Nous avons pu le voir dans l'un des hangars avant de nous enfuir, expliqua Chi'ta.

- Bon, alors comment on va atteindre cette base ?

Cordana leva le bras, demandant le silence. Trois des chefs Yapis parlèrent l'un après l'autre, et Cordana fit encore l'interprète.

- Les Impériaux de Kentor Sarne n'avaient pas monté qu'une seule base. Afin de pouvoir accomplir des missions de reconnaissance et des opérations de déboisage en vue de construire une colonie de scientifiques plus importante, ils ont établi une seconde base, plus petite, sur une colline un peu moins haute que le volcan, sur une position suffisamment élevée pour ne pas prendre trop de risques en cas d'éruption et de coulée de lave. Cette base comprend une caserne, la réserve, un hangar à véhicules et une piste d'atterrissage. Cette piste fait le lien entre cette base secondaire et la base principale grâce à une ligne de navettes. Ce qu'il vous faudra faire, c'est attendre qu'une navette dépose des troupes de choc, la détourner et vous rendre ainsi à la base principale. Là, vous pourrez vous infiltrer dans les niveaux inférieurs, récupérer votre amie et fuir à bord de votre appareil. Le gros problème sera précisément de pénétrer cette base secondaire.

Cordana traça rapidement un schéma grossier dans la poussière de cendre.

- Les Imps ont pris leur temps pour faire une installation défensive rudimentaire, mais efficace. Ils ont construit une barrière constituée de plaques de plastacier en cercle autour du périmètre. Comme si ça ne suffisait pas, il y a des tourelles un peu partout sur cette barrière, des canons bitubes solidement blindés.

- Mince… dès que nous serons à portée, ça va être le carnage !

- Pas sûr, docteur Lohrn. L'installation peut résister à un assaut de Yapis, mais il y a un petit inconvénient.

- Lequel ? marmonna le chasseur Togorien.

- Toutes ces installations demandent énormément d'énergie. Tellement qu'il a fallu construire un générateur annexe. Et les Impériaux ont dû placer ce générateur deux kilomètres plus bas, sur un plateau inférieur, au milieu des arbres. C'est un petit bâtiment blindé, mais pas très surveillé. Il est relié directement aux installations électriques et électroniques de la base du plateau par des câbles souterrains gainés solidement.

- C'est débile, marmonna le Mandalorien. Pourquoi construire un générateur bien à l'écart de leurs défenses ?

- Parce qu'il est alimenté avec un barrage construit sur la rivière au bord de laquelle il est installé. Rien de tel qu'une source d'énergie gratuite et permanente. Il faudra qu'un petit groupe d'entre vous s'occupe de couper le courant. Une fois ceci fait, nous pourrons lancer l'assaut et vous permettre de détourner une des navettes.

Les cinq compères se regardèrent les uns les autres.

- Je crois que c'est un boulot pour nous, Dankin, constata Canderous.

- Je vous accompagnerai, ajouta Ezra.

- Les deux padawans seront avec moi, ils ne seront pas de trop. Une fois que vous aurez coupé le courant, vous rejoindrez vos deux jeunes camarades, et vous embarquerez tous les cinq à bord d'une des navettes. Moi, je resterai sur la surface avec les autres guerriers Yapis pour continuer à détourner leur attention, voire pour les vaincre, tout simplement.

- Tout simplement, répéta Ezra, avec ironie.

- Bien ! Je pense que tout est donc clair pour tout le monde. Allez vous reposer. Vous aurez besoin de toutes vos forces pour demain.

Les cinq compères se dirigèrent ensemble vers la plus grande tente. Avant d'y entrer, Canderous jeta un dernier coup d'œil par-dessus son épaule. En voyant au loin les lumières de la base impériale, il ne put s'empêcher d'observer :

- Étonnant, quand même, qu'ils ne vous aient pas suivi !

- Peut-être pas si étonnant, maître Tal, répondit Cordana. Il est très probable que les Impériaux aient vu filer nos jeunes amis avec leurs dispositifs de surveillance, mais je vois plusieurs raisons pour lesquelles ils ne sont pas partis à leur poursuite.

- Dites toujours.

- En premier lieu, la nuit était en train de tomber, et nous sommes sur un monde qu'ils ne connaissent sans doute pas plus que vous ! Ils n'ont pas eu envie de risquer de tomber sur n'importe quoi ou n'importe qui, comme les créatures des Kathols. Ensuite, ils doivent penser que tant que vous n'avez pas de vaisseau, vous n'avez aucune chance de quitter cette planète. Leurs senseurs doivent pouvoir détecter tout appareil qui volerait dans le kilométrage, et je suppose qu'ils prendront d'autres mesures si ça arrive.

- Et enfin, troisième raison, ils savent parfaitement qu'on ne partira pas sans Dame Liryl, compléta le docteur Lohrn.

- On est vraiment obligés de…

- Oui, Canderous ! gronda durement Dankin. Elle a le module ! Et de toute façon, nous ne pouvons pas l'abandonner à son sort !

Devant les regards fermes de ses congénères, Canderous s'avoua vaincu. Il soupira :

- C'est marrant, je viens de réaliser que depuis que je connais cette personne, je collectionne les emmerdes !

Un aboiement sec réveilla Chi'ta. Les yeux encore embués de sommeil, elle se secoua, et bâilla sans retenue. Elle descendit péniblement de son hamac, passa sa cape, vit qu'elle était la dernière restée dans la grande tente. Il n'y avait plus personne d'autre sous la grande toiture de peau tendue. Une fois dehors, elle constata que les Yapis étaient très nerveux. Certains se parlaient dans leur langue gutturale sur un ton et avec des expressions qui ne trompaient pas. D'autres montraient les crocs en se raclant la gorge. L'un d'eux était à genoux dans un coin, et marmonnait quelque prière. La petite padawan vit l'ancien Jedi qui parlait avec la doctoresse Calipsa, et l'aborda.

- Maître Cordana…

- Oh, bonjour, jeune Drall.

- Salut, Chi'ta ! Bien dormi ?

- Merveilleusement, mais le réveil me laisse un peu soucieuse. Que se passe-t-il ? Les Yapis ont l'air d'avoir peur de quelque chose.

Cordana désigna du doigt quelque chose vers le ciel. Quand la jeune fille leva le museau, elle écarquilla les yeux devant un spectacle qu'elle jugea terrifiant. Mains crispées sur ses tempes, elle voulut crier, mais sa gorge était nouée, au point qu'il n'en sortit aucun son.

Bien au-dessus de la cime des arbres, tel un monstrueux nuage noir, la Sphère À Torpilles Avancée de Thorn flottait silencieusement. Elle semblait complètement terminée. Pire encore, toutes les grues, les machineries de constructions nécessaires à son montage avaient été retirées, laissant présager que l'immense arme était à présent fonctionnelle.

- Les Impériaux n'ont eu que quelques centaines de milliers de kilomètres à parcourir pour nous rejoindre, commenta Ezra d'un ton sinistre.

- Et c'est pas tout, petite puce ! ajouta Canderous en arrivant. Regarde par-là !

Canderous montra du pouce une direction à la gauche de la petite Drall. Hallucinée, elle vit un globe brun constellé de taches bleues et vertes.

- Quelle est cette planète ? Elle n'était pas dans les cieux quand nous avons débarqué ?

- Tu ne la reconnais pas, c'est normal vu que tu n'étais pas avec nous. Ce monde est Tallaan, la capitale du Système des Mondes Libres du Secteur Tapani.

C'était Liam qui venait de parler. Chi'ta comprenait de moins en moins.

- Les Mondes Libres ? Tallaan ? Par le Grand Fouisseur ! Mais comment ?! Je deviens folle ? Ou bien est-ce l'univers qui perd toute sa logique ?

- Ne vous en faites pas, mon enfant, répondit Cordana. Il y a une explication rationnelle. Pour tout comprendre, vous devrez regarder derrière vous.

La jeune fille se retourna, et recula pour s'éloigner de la tente commune. Elle resta pantoise quand elle distingua la forme d'un disque aux dimensions planétaires. Entourée d'un anneau, sectionnée en huit parts égales par des branches transversales, cette construction se déployait au-dessus de la surface de la planète Kathol.

- Quelle est… cette… structure ?

- Vous avez devant vous l'installation de téléportation planétaire des Kathols. C'est cet appareil qui a causé la déchirure de la Faille de Kathol en explosant alors qu'il était en train de fonctionner, il y a quatre mille ans. Les Kathols ont passé les deux dernières années à le réparer, et c'est grâce à lui que nous sommes maintenant ici.

- Bien sûr ! Ce ne sont pas les forces de l'Empire ou celles du Soleil Noir qui nous ont suivi ! C'est nous qui sommes revenus dans le Secteur Tapani !

- Vous avez compris, jeune fille. Cela s'est fait pendant que vous étiez prisonniers dans le Puits de Vie, c'est pour ça que vous n'avez rien vu jusqu'à maintenant.

- Pourquoi Thorn n'a-t-il pas organisé un débarquement massif sur ce monde ?

- Parce que le gros de sa flotte est plutôt occupé à l'heure actuelle. Regardez un peu mieux vous voyez ces petits éclats de lumière, entre les deux planètes ? Ce sont des explosions. Ici, on ne voit pas grand-chose, mais l'Empire et les autres flottes du Secteur Tapani sont en plein combat.

- Mais oui… constata Liam. Mais pourquoi on n'a rien vu de tout ça, hier ?

- L'orientation de la planète était telle que tout se déroulait au-dessus de l'autre face. Quand vous êtes sortis de votre prison, la position de la planète ne vous permettait pas de remarquer ces installations. Et la planète a pris toute la journée d'hier pour s'orienter de façon à ce que nous soyons face à l'arme de Thorn. Mais les faits sont là, Kathol a été déplacée.

- Et pourquoi ? demanda Dankin. Pourquoi ici, et pas ailleurs ?

- D'après les messages enregistrés de la Reine répétés inlassablement, les Kathols sont venus ici pour « reprendre ce qui leur appartient de droit ».

- Les korendums… murmura Canderous.

- Vous avez une explication, maître Tal ?

- Thorn a réussi à mettre la main sur un grand cristal Kathol que le moff Sarne avait en stock. Il a pu le tailler en trois morceaux plus petits dont il se sert comme moteurs pour cette machine.

- S'il utilise un superlaser alimenté par des artefacts katholiens, nous courons au désastre, Maître Cordana ! La technologie des Kathols n'est pas compatible avec celle des Humains. Imaginez-vous ce qui se passerait si jamais on le laissait faire ?

- À votre expression, jeune padawan Consulaire, je dirais… non, à la réflexion, je préfère ne rien dire. Maintenant, assez parlé ! Venez prendre un bol de soupe, ça vous calera l'estomac.

Il restait du gruau de la veille en guise de petit déjeuner. Une fois ce casse-croûte consommé, Cordana emmena la petite bande à travers le campement. Maintenant qu'il faisait jour, les cinq amis purent constater qu'il était encore plus grand qu'ils ne l'avaient pensé.

- Cela fait maintenant quatre jours que les Impériaux sont sur la surface de Kathol. Ils sont venus immédiatement après l'arrivée de la planète dans ce secteur. Nous ne vous avons pas attendu pour rassembler les troupes. Si tout se passe comme nous l'espérons, tout le monde devrait être là d'ici deux heures, et nous mènerons l'assaut dans trois heures.

- Alors que la bataille est en plein cours en l'air ?

- D'après les dispositifs sensoriels récupérés sur l'Étoile Lointaine, il n'y a pas encore de grands convois de troupes terrestres en approche. Le gros de la bataille se déroule dans l'espace Du moins, jusqu'à ce que les Kathols décident de passer à l'action à leur tour, ce qui arrivera très probablement d'ici peu de temps maintenant que nous sommes dans l'orbite de Tallaan. Kathol ne s'est pas directement téléportée entre cette planète et l'arme de Thorn, il a fallu deux autres jours pour venir. Deux jours, c'est très court pour mobiliser des armées, même pour une ruche d'insectes.

Pendant que Cordana faisait son exposé, les autres le suivaient et regardaient aux alentours les indigènes se préparer à l'assaut. Chi'ta vit quelques Yapis mettre des casques faits avec des crânes d'animaux, des carapaces d'insectes géants, sous les indications d'un meneur. En regardant plus attentivement celui-ci, la jeune fille distingua sous la fourrure les formes caractéristiques d'une poitrine proéminente.

Une femelle ? Leurs femmes se battent aussi ?

Un peu plus loin, des Yapis s'échauffaient en faisant quelques combinaisons de coups de lance et de gourdin sur des mannequins faits avec des armures de soldats de choc maintenues par des ficelles et des branches d'arbre. Ce spectacle laissa le docteur Lohrn sceptique.

- Vous êtes sûrs d'avoir des chances ?

Koubakaya s'arrêta. Lentement, il tourna la tête vers la jeune Humaine, l'air visiblement vexé. Il articula furieusement quelques syllabes. Cordana intervint :

- Il demande si vous insinuez que ses guerriers ne seraient pas aptes à vaincre ?

- Non, bien évidemment, grand chef ! répondit précipitamment la Calipsa. Seulement, voyons les choses en face : les Impériaux ne seront peut-être pas très nombreux par rapport à vous, mais vous n'avez que des bâtons, des couteaux et des aiguilles à opposer à leurs fusils lasers et à leurs armures.

Le grand Yapi eut une moue méprisante, et fit un geste en direction de l'un de ses guerriers en glapissant. L'autre Yapi se leva, alla chercher un arc et des flèches. Il se posa à une bonne distance d'un des mannequins d'entraînement. Il tendit la corde de l'arc, et la flèche fila directement et sans bruit jusque sous le casque du mannequin. Canderous observa :

- Bon, d'accord, sur un type immobile, je ne dis rien. Mais les Imps ne vont pas vous tendre la gorge parce que c'est vous. Ils vont bouger, et vous obliger à cavaler pour éviter leurs blasts. Et là… regardez :

Canderous emprunta au tireur son arc, le banda, et envoya une flèche vers la poitrine du mannequin. Bien entendu, l'arme primitive ricocha sur la coque blanche, laissant juste une petite rayure.

- C'est ce qui risque d'arriver plus souvent qu'à votre tour !

Koubakaya regarda longuement le mannequin, puis tourna lentement le museau vers le Mandalorien. Il s'approcha de Canderous, lui reprit l'arc, et murmura en basic :

- Pas bon, ça.

Puis il appela quelques Yapis en faisait un grand geste du bras. Ceux-ci disparurent sous une grande tente, et revinrent avec une grande malle en bambou tressé. Ils l'amenèrent près de leur chef. Koubakaya aboya un ordre, ils ouvrirent le conteneur, en sortirent un long sac de peau tannée. Quand ils répandirent son contenu sur l'herbe, le mercenaire ne put s'empêcher de siffler d'admiration. Il y avait plusieurs dizaines de fusils blasters de soldats impériaux. Le chef en prit un, sortit de l'une de ses sacoches un chargeur, l'emboîta dans la chambre à combustion de l'arme, visa, et pressa la gâchette. Le rayon énergétique partit dans un grand bruit et fit sauter la tête du mannequin. Le Yapi articula avec une moue ironique :

- Meilleur ça.

Liam était sidéré.

- Où vous les avez trouvés ?

- Nous les avons fabriqués, répondit Cordana. Non, je plaisante. Il y a sept ans, quand il y a eu la bataille entre Sarne et l'Étoile Lointaine, puis l'assaut du Soleil Noir, après les hostilités, les Yapis ont saisi tout ce qu'ils ont pu. Toutes les armes des soldats de choc qui y sont restés, puis tout ce qui restait dans la carcasse de l'Étoile Lointaine. Bien que l'idée d'utiliser une technologie qui n'est pas complètement naturelle les répugne au plus haut point, ils savent mettre leur fierté de côté lorsque la situation l'exige, comme aujourd'hui.

- Mais… savent-ils au moins utiliser ces fusils ? demanda timidement Chi'ta.

- Koubakaya entraîne régulièrement ses meilleurs guerriers. Il y aura un fusil pour chacun de ses lieutenants, et pour ceux des autres tribus, qui assistent à ces entraînements.

- Vous n'avez pas peur de gâcher des chargeurs ?

- Non, docteur Lohrn, car il se trouve que nous avons trouvé quelques batteries de chargement à bord de l'Étoile Lointaine. Des piles atomiques dont la durée de fonctionnement est de quelques centaines d'années minimum. Nous avons donc largement de quoi faire. Nous laisserons les fusils aux meilleurs tireurs, mais souvenez-vous que chacun des Yapis adultes a appris à s'en servir et s'est entraîné au moins une fois. Les autres se battront avec des « aiguilles à tricoter », mais ce sera suffisamment efficace contre les soldats de choc à pied. Leurs armures sont solides, mais pas incassables.

Ils étaient arrivés à l'orée de la forêt. Un petit Yapi au pelage roux, au nez fin, portant pagne, colifichets et carquois avec sagaies, semblait les attendre.

- Chu'sh, ici présent, va vous conduire jusqu'au générateur. Mais lui ne se battra pas. Dès que vous serez aux alentours, il vous laissera sur place et viendra rejoindre le camp. En raison de son jeune âge, il ne peut encore se rendre en première ligne.

- Alors, il y a une petite place pour les lâches ? demanda cyniquement Canderous.

- Ce n'est pas une question de courage, maître Tal, mais de physionomie. Si un blaster est mortel quelle que soit la main qui le tient, on ne peut pas en dire autant des lances et des arcs, comme vous l'avez observé tantôt. En outre, Chu'sh ne restera pas pour autant à ne rien faire. Avec ceux de son âge, ainsi que les plus anciens qui n'ont plus la force de se rendre en première ligne, il défendra le camp contre d'éventuels intrus. Vous devez partir sur-le-champ ! Le temps que vous arriviez au générateur, les derniers retardataires devraient nous rejoindre. Nous partirons vers la base secondaire, et attendrons votre signal pour attaquer.

- On reste en contact radio, Canderous, précisa Liam.

- Bien. Maintenant, allez !

Ezra sortit alors de sa sacoche les communicateurs militaires modèle « serre-tête » qu'elle avait gardés. Elle en remit un à chacun des padawans, puis à Dankin, et coiffa le dernier. Canderous, avec sa radio intégrée au casque de son armure, n'en avait pas besoin. Les deux padawans firent une dernière accolade aux trois adultes.

- Vous en faites pas. On s'occupe de ce générateur, et on vous rejoint au galop.

- Euh, les amis ? Avant qu'on se sépare, il faudrait quand même qu'on vous dise quelque chose. Un détail à retenir.

- Parle donc, Liam.

Le jeune homme hésita encore un peu. Il prit son courage à deux mains et se lança.

- Quand nous nous serons rejoints, et que nous aborderons la base principale, il y aura forcément un moment où Thorn nous repérera, Chi'ta et moi. Et là, adieu l'effet de surprise.

- Nous pourrons fort bien rester séparés, suggéra la petite Drall. Nous ne vous ferons pas prendre de risque.

- Certainement pas, petite puce ! rétorqua Canderous. Je ne te laisserai pas seule !

- Liam sera avec moi.

- Nous affronterons le démon Sith tous ensemble ! répondit Dankin d'un ton sans réplique.

Un court silence suivit, rompu par Cordana.

- Vous savez, sous-estimer son adversaire est une erreur, mais il faut prendre garde à ne pas le surestimer, non plus.

- C'est un terrible adversaire, gémit la petite Drall.

- Oui, je suppose qu'il a dû vous paraître bien effrayant. Au milieu de sa base, maître en apparence de la situation, à faire le fier devant ses installations impressionnantes, il y a de quoi être un peu dépassé. Mais vous a-t-il vraiment montré l'étendue de son pouvoir ?

- Eh bien…

Un curieux silence plana. Les deux padawans se regardèrent d'un œil interrogatif, et les adultes en firent autant… mais personne ne put répondre à la question de Cordana. Celui-ci fit un sourire ironique.

- C'est bien ce que je pensais. Voyez ce que peut faire la suggestion !

- Comment ça, « suggestion » ? protesta Canderous. C'est pas un rigolo !

- C'est vrai, il a fait bombarder une planète, rappela Ezra.

- Il prépare une arme de destruction incroyable, renchérit Dankin.

- Il nous a capturés sur un navire de plaisance dont il a fait massacrer l'équipe de sécurité et nous a infligé un interrogatoire musclé, ajouta Chi'ta.

- Oui, bref, il a utilisé bon nombre de méthodes de n'importe quel seigneur de guerre un tant soit peu porté sur la violence. C'est-à-dire à la tête de son armée, en pleine possession de ses moyens et en nette position de supériorité. Maintenant, l'avez-vous vu déchaîner la foudre sur ses ennemis ? A-t-il commandé à la terre pour provoquer un séisme ? A-t-il balayé une armée complète à lui tout seul avec une main attachée derrière le dos ?

Encore une fois, un petit silence plana, mais cette fois-ci, Liam répliqua :

- Je l'ai vu à la baston, ce n'est pas un petit joueur ! Le Jedi Sentinelle qui était contre lui a admis que s'il n'avait pas passé le combat à esquiver les coups, il n'aurait pas tenu !

- Bon, admettons. Vous n'êtes pas tenu de vous mesurer à un contre un. Cessez de vous enliser dans des concepts comme le « combat à la loyale », face à une telle pourriture, ce n'est pas la peine. De toute façon, réfléchissez sur ce point : il a été l'un des disciples de Tremayne, mais je ne pense pas qu'il soit aussi puissant que ne le fut Dark Vador. L'Empereur Palpatine était tout le contraire d'un imbécile. Il avait des serviteurs fidèles, mais en dehors de son disciple le plus direct, il n'allait pas prendre le risque de laisser une tête dépasser, et risquer de le supplanter. Il est fort probable que les quelques Sith qui étaient en activité à l'époque de l'Empire fussent d'un niveau bien en deçà de celui de l'Empereur. Un Sith n'a pas besoin d'être particulièrement puissant pour accomplir son devoir pendant une époque où il n'y a officiellement plus de Jedi pour le contrer.

- C'était il y a dix ans, il a peut-être fait des progrès, depuis.

- Et peut-être que le Côté Obscur l'a physiquement consumé. Partez, à présent ! Nous avons perdu assez de temps !

Chu'sh encouragea d'un petit geste du bras qu'on le suivît, ce que firent Canderous, Dankin et le docteur Lohrn. La Calipsa n'osa pas se retourner, bien que la tentation fût grande.

Au fur et à mesure de leur avancée, les trois camarades voyaient que la forêt se faisait de plus en plus sombre. Les arbres étaient plus denses, les feuillages plus épais. Le petit Yapi, cependant, ne ralentissait pas, et continuait à progresser, parfois se glissant sous une branche ou sautant par-dessus un entrelacs de racines sans briser son rythme de marche. Dankin ne put s'empêcher de trouver chez ce lointain petit cousin une certaine habileté au déplacement en milieu forestier.

Il se débrouillerait bien sur Togoria.

Il leur fallut toutefois une bonne heure pour finalement arriver en vue d'une grande clairière. Le bruit d'une rivière résonnait d'entre les arbres. Là, le jeune Chu'sh s'arrêta, et se coucha, immédiatement imité par les trois autres. Ils attendirent une dizaine de secondes, au bout desquelles le Yapi se releva lentement. Quand il vit que les adultes avaient fait de même, il montra du doigt quelque chose que Canderous n'eut aucun mal à repérer grâce aux systèmes de détection de son casque.

Il y avait bien une clairière, et l'on distinguait entre les arbres la masse grisâtre d'une barrière de défense en béton. La barrière formait un carré au milieu duquel dépassait un bâtiment parallélépipédique d'aspect lourdement blindé. Chaque angle de la barrière était surmonté d'un petit canon à siège externe, chacun manœuvrée par un scout impérial.

- C'est un peu mieux gardé que ce que je pensais, mais bon… pas insurmontable.

Chu'sh s'éloigna de quelques pas, estimant que sa mission était terminée. Il se tourna une dernière fois vers les trois compères, leva maladroitement le pouce en montrant ses crocs – sans doute une tentative maladroite de sourire – et il disparut en un instant entre deux fourrés.

Canderous activa les jumelles de son casque, analysa calmement la situation.

- Ils sont quatre, nous sommes trois. Mais il y en a sûrement d'autres à l'intérieur. Il va falloir qu'on en neutralise au moins un chacun dans le même temps.

- Ces arbres sont gros. Leur feuillage dru. Leurs branches solides, et proches de cette barrière.

- Oui, je vois où tu veux en venir, Dankin. On devrait pouvoir s'en servir pour grimper dessus. Et vu que ces rigolos sont sur des canons à siège externe, on n'aura aucun mal à les déloger. La partie difficile sera d'arriver assez silencieusement vers eux pour leur bondir dessus par surprise.

- Je vais aussi grimper à un arbre, mais je vais faire autrement, dit alors la Calipsa. J'ai un fusil à impulsions du Soleil Noir. Je liquide les deux gars sur les canons les plus proches. Vous, vous prenez les deux autres. Vous aurez le temps de faire le tour silencieusement pour les prendre par-derrière, et autant que je me fasse les plus faciles, car je n'aurai pas le droit à l'erreur, moi non plus.

- Grimpe à un arbre, attends une minute, et liquide le premier zigue.

- D'accord, une minute.

Et la jeune femme grimpa dans l'arbre le plus proche. Une fois à quatre mètres au-dessus du niveau du sol, elle se cala sur une grosse branche, s'allongea dessus, et braqua son fusil à impulsions en direction du scout assis sur le siège du canon en face d'elle. D'un petit coup d'œil par-dessus sa lunette, elle aperçut l'ombre de Dankin qui sauta d'un arbre jusqu'à la barrière, et se raccrocha à son rebord sans bruit. Le Togorien progressa latéralement vers le canon éloigné, avec une aisance et un silence presque surnaturels. Quand il ne fut plus qu'à un demi-mètre du siège du canon, il s'immobilisa. De l'autre côté du périmètre de sécurité, Canderous était au pied d'un arbre, jambes fléchies, sa vibro-lame double Jengardin prête à frapper.

Une minute. Allez, les gars !

Un tir, un seul, frappa l'éclaireur Impérial. À peine l'infortuné reçût le trait d'énergie bleuté que les deux autres agirent simultanément. Dankin se détendit comme un ressort, saisissant sa cible à la gorge. Il serra, puis lui brisa la nuque d'un geste avant de laisser retomber le corps par-dessus la rambarde. Canderous, lui, enclencha les fusées miniatures de ses bottes, se retrouvant d'un bond sur son éclaireur. D'un seul geste, il lui coupa la tête. Sans prendre le temps de réfléchir davantage, la Calipsa pivota sur sa gauche, serra les dents en voyant le casque du dernier scout dans le collimateur, et pressa la gâchette.

Quatre Impériaux abattus en moins de cinq de secondes. Le fort clapotement de la rivière avait plus ou moins couvert les détonations sèches de l'arme d'Ezra.

Dankin et Canderous, debout sur le chemin de ronde, purent voir la cour intérieure. Le générateur était un grand bâtiment carré, avec une seule lourde porte double blindée. Deux soldats de choc étaient en faction, et brandissaient nerveusement leurs fusils blaster.

Ezra descendit de son arbre, courut vers le pan de muraille sur lequel marchait le mercenaire. Celui-ci déroula une bande de synthécorde fixée à sa ceinture, et la lui envoya. Elle put monter en une minute.

- Ils nous ont repéré ? murmura-t-elle.

- Pas encore, mais ça ne va pas tarder.

- Dans ce cas, on va faire les choses en grand.

Fléchissant les jambes, elle se déplaça le plus vite qu'elle put vers la tourelle arrière la plus proche d'elle. Elle dégagea le corps décapité du scout, s'installa sur le siège, et saisit les commandes. En un instant, elle en comprit le fonctionnement fort simple. Elle orienta le canon vers la cloison arrière du bunker, et pressa des deux pouces les boutons de mise à feu. Une torpille énergétique verte s'écrasa dans un grand fracas sur la paroi blindée, faisant trembler tout le bâtiment.

- Hé, c'est quoi, ça ?

- Ca venait de derrière !

Et les deux soldats de choc apparurent rapidement dans l'écran de visée du canon. Ils ne s'en rendirent compte que trop tard. Et le petit commando fit deux nouvelles victimes.

Cette fois-ci, une sirène d'alarme se mit à hurler, et des gyrophares oranges éblouirent la semi-obscurité des alentours.

- Bon, grillés pour grillés, autant mettre le paquet ! déclara Canderous.

Il descendit en souplesse dans la cour intérieure, saisit rapidement les deux fusils que les soldats morts avaient laissé sur la terre battue, en sortit les chargeurs, et les attacha à deux autres tirés de son ceinturon. Il posa la charge explosive improvisée sur le sol, au niveau de la jointure des deux portes, et s'éloigna. Dankin se laissa tomber à son tour pour s'abriter sur le côté du bâtiment carré.

- Ezra, fais-moi sauter ça !

La jeune femme avait compris la manœuvre. Elle courut vers l'un des canons avant du périmètre et s'y installa. Elle fit pivoter la tourelle, de façon à faire apparaître au centre de la cible la bombe. Elle ouvrit le feu, et provoqua une forte explosion. Le choc fut violent, mais les deux baroudeurs étaient bien cachés, c'est à peine s'ils sentirent quelques bouts de terre leur tomber dessus. Quand la fumée se dissipa, ils purent voir que l'explosion avait plié la porte, laissant une ouverture suffisamment large pour pouvoir entrer.

Le docteur Lohrn emprunta une échelle pour rejoindre ses deux compères.

- On y va ?

- Attends une seconde !

Le Mandalorien s'approcha prudemment de la porte, son fusil à impulsions pointé vers le sol. Il se pencha dans la direction de l'ouverture.

- Rendez-vous, vous êtes cernés !

- Va crever, maudit Rebelle ! répondit une voix dans laquelle Dankin reconnut l'écho de la peur.

Sans attendre davantage, le mercenaire empoigna une grenade assommante de son gilet utilitaire, la dégoupilla, compta trois secondes et la lança à travers la porte enfoncée. Quand il entendit la grenade éclater, il s'engouffra dans la base en hurlant.

L'intérieur du bunker tenait du minimum syndical. C'était une petite pièce mal aérée avec plusieurs consoles de commandes et de multiples écrans. Une petite porte renforcée conduisait directement à l'intérieur du générateur. Les manettes de contrôle du courant étaient rassemblées sur un tableau dans un coin. Deux personnes se trouvaient là : un homme portant un uniforme d'officier de l'Empire, et l'autre avec une combinaison noire d'opérateur. Tous deux étaient allongés, et grommelaient des syllabes inintelligibles. Le docteur Lohrn avait toujours dans son sac à dos une paire de menottes pour les patients les plus récalcitrants. Elle attacha l'officier à un siège vissé dans le sol.

- Canderous, garde en joue l'ingénieur.

Le mercenaire s'exécuta, Dankin en fit autant. L'ingénieur était revenu à lui.

- Que… qu'est-ce que vous nous voulez ?

- Des informations, mon joli, répondit la doctoresse. Genre tout ce que vous savez sur la base secondaire de Thorn.

- Moi, donner des informations à des Rebelles ? Vous rêvez !

Ezra ricana.

- J'espérais que vous nous répondiez comme ça. Maintenant, je n'ai plus besoin d'avoir des scrupules.

Et elle ouvrit patiemment sa trousse de soins.

- On peut faire beaucoup de choses avec un médipack !

- Tu parles, ou je la laisse t'interroger, dit simplement Canderous.

- Ne dites rien ! s'écria derrière eux l'officier qui était de nouveau en pleine possession de ses moyens.

Dankin lui colla une claque sur la nuque. Ezra s'impatienta.

- On n'a pas de temps à perdre. Tu m'obliges à passer la seconde.

Pendant qu'elle avait parlé, elle avait saisi quelque chose de petit parmi ses médications. Poing serré, elle approcha de l'ingénieur, et lui écrasa le pied. L'Impérial ne put réprimer un cri de douleur. Aussitôt, Ezra envoya directement dans sa bouche une petite pastille bleue d'une chiquenaude. L'ingénieur avala bruyamment, et regarda la jeune femme avec terreur.

- Qu'est-ce que c'était que ça ?

- Une petite friandise dont tu vas ressentir les effets dans trois… deux… un… top !

L'ingénieur, paniqué, se calma en quelques secondes. Son regard se fit vague, et un sourire béat se déroula sur son visage. Une fois de plus, le Serial K du docteur Lohrn avait sévi.

- Et voilà ! Un vrai petit singe-lézard kawatien docile comme tout. Maintenant, revenons-en à nous, suggéra la jeune Calipsa à l'attention de l'officier impérial.

- Qu'est-ce que vous espérez, racaille Rebelle ?

- Remettre les pendules à l'heure, pour commencer. L'Empire a perdu la guerre depuis dix ans, et de toute façon je ne me sens pas affiliée à la Nouvelle République. Mais ça ne change rien. Ce qu'on espère, c'est entrer dans la base que votre pile géante alimente pour ensuite nous rendre dans le complexe sur le volcan.

- Vous êtes fous ? Vous n'avez aucune chance d'y parvenir.

- Ca, ce n'est pas ton problème. Ton problème, c'est de nous donner un petit renseignement. Nous savons qu'il y a un système de navettes qui fait la transition entre le volcan et le plateau. Seulement, j'imagine qu'à chaque trajet, pour des raisons évidentes de sécurité, le pilote doit transmettre un code d'atterrissage chaque fois, pour éviter que des pirates puissent détourner une navette et s'infiltrer. J'ai raison, n'est-ce pas ?

L'Impérial ne répondit pas, et son collègue, toujours béat, n'avait conscience de rien.

- Attention, j'ai déjà fait passer à la casserole plus d'un type dans ton genre qui se faisait passer pour un gros dur. Je suis médecin, et je sais exactement ce qu'il faut faire pour stimuler les patients qui ne jouent pas le jeu. Et mes deux camarades ici présent ont chacun les vies de plusieurs dizaines d'Imps sur la conscience. Alors ?

- Je ne dirai pas un mot.

- Plus grand-chose ne m'étonne. Dernier avertissement : tu dis ce qu'on veut savoir, ou on te fait subir ce que ton collègue va encaisser dans moins d'une minute.

L'officier fit une moue dubitative.

- Vous bluffez.

- Tu veux parier ?

- Vous êtes trop jolie pour être une tortionnaire

La doctoresse resta bouche bée, puis elle éclata de rire.

- Alors là, c'est le pompon ! Chapeau bas, on ne me l'avait jamais faite, celle-là ! Seulement, ça ne me convainc pas. Et tu vas voir que t'es vraiment dans l'erreur. Canderous, tu veux bien couper le courant ?

Le mercenaire s'approcha des manettes, et abaissa les commutateurs l'un après l'autre. Un claquement sourd confirma le déverrouillage de la porte. Ezra prit l'ingénieur par le bras, le poussa doucement vers la salle du générateur. Une fois l'Impérial à l'intérieur, elle referma la porte, se positionna à côté du tableau, et releva un par un les leviers du disjoncteur.

- Quel genre de médecin êtes-vous ? bredouilla l'Impérial encore conscient.

- J'ai mon petit hobby. J'adore la chimie. Ce que je lui ai fait avaler est une drogue très puissante de mon invention qui rend très vite très docile. Elle neutralise également une partie du système nerveux, et le gars n'éprouve plus la moindre sensation. On pourrait lui briser tous les os un par un sans qu'il s'en aperçoive. L'avantage, c'est qu'il mourra sans s'en apercevoir.

Quand il ne resta plus que le principal à relever, la jeune femme sortit une autre pilule bleue, la faisant jouer entre le pouce et l'index de la main gauche et dit à l'officier avec un vilain sourire :

- Tu vois ? Il m'en reste, t'es le suivant !

Et elle releva le levier d'un geste sec de l'autre main dans un claquement sinistre. L'officier impérial glapit.

- Noooon ! Arrêtez, arrêtez !

- Il est déjà cuit, maintenant. Tu veux le rejoindre ?

La doctoresse rabaissa la manette, et s'approcha de la porte.

- Je vous en supplie ! Je vais parler ! Il y a bien un code d'accès pour se poser, vous avez raison !

- Et c'est… ?

- Quand l'opérateur vous dira « Kamino », vous répondrez « Borleias » !

Canderous brandit de nouveau son fusil à impulsions.

- Qui nous dit que c'est pas du bluff ? Un mot de passe bidon pour donner l'alerte ?

- Tes cours d'histoire, Canderous. Kamino et Borleias sont deux victoires importantes pour l'Empire. Je vois mal Thorn en faire des codes d'alerte.

Un sifflement aigu retentit dans l'habitacle. Dankin gronda :

- C'est quoi, ça ?

- La… la base du plateau. Comme vous avez… coupé… le courant quelques minutes… ils veulent savoir ce qui se passe, et je dois leur répondre.

- Tu vas leur répondre. Bien gentiment, bien calmement. Canderous, Dankin, sortez de là, que la caméra ne vous voie pas.

La doctoresse retira les menottes à l'officier. Celui-ci desserrait à peine les dents quand la jeune femme lui dit :

- T'en fais pas, je ne vais pas te lâcher pour autant.

- Kentor 3, ici Kentor 2. Répondez, Kentor 3.

L'image se stabilisa enfin sur l'écran. L'opérateur put voir l'officier à l'uniforme couleur olive. Il semblait un peu nerveux.

- Kentor 3, vous m'entendez ?

- Oui, Kentor 2, ici Kentor 3.

- Kentor 3, nous avons constaté un arrêt de production d'énergie sur votre site. Qu'est-ce qui se passe ?

- Euh… Oui, en effet, nous avons un… petit problème. Des Rebelles ont tenté… de saboter les installations. Nous les avons repoussés, mais… ça demandera quelques travaux. Nous vous préviendrons… quand ce sera réparé.

- Bien reçu, Kentor 3. Dépêchez-vous, les indigènes ont l'air nerveux, ils se regroupent au pied du plateau.

- On fait aussi vite qu'on peut, Kentor 2.

- Bien. Kentor 2, terminé.

- Kentor 3, terminé.

L'officier coupa la communication, et baissa nerveusement la tête. Le docteur Lohrn se releva lentement de sous le panneau de commande, le blaster de sport de l'ingénieur toujours pointé vers l'entrejambe de l'Impérial.

- Très bien. Excellent. Grâce à toi, on a gagné un sursis. Tu vois, tu pourrais être un « sale Rebelle », si tu le voulais !

L'officier ne répondit rien, mais ne put réprimer un sursaut indigné.

- Bon, maintenant qu'on n'a plus besoin de toi, on ne peut pas prendre le risque de te laisser donner l'alerte une fois partis. Donc…

Elle brandit le blaster vers le visage de l'officier. Son cri de terreur mourut quand elle tira, l'onde paralysante plongea l'Impérial dans l'inconscience.

- Bien, on va le rattacher loin du communicateur.

Dankin se tourna vers la doctoresse, le regard lourd de reproches.

- Si Liam avait été avec nous, il t'aurait coupé le bras pour t'empêcher de pousser la manette. J'espère que tu en as conscience.

- Je n'en suis pas si sûre. Regarde !

Le Togorien s'approcha du tableau de circuits. Il plissa les yeux, avant de les écarquiller. Ezra n'avait pas relevé le premier petit commutateur. Le générateur n'avait donc pas été relancé. Dankin ouvrit la porte renforcée. L'ingénieur était toujours à l'intérieur, debout, aphasique. La jeune femme éclata de rire.

- Cordana avait raison ! Ce que c'est que le pouvoir de suggestion ! Un seul geste de ma part, le bruit du levier qui remonte, mon air déterminé et la terreur de cet officier. Pas de cris de douleur, pas d'étincelles, pas d'odeur de viande grillée. Il n'a même pas réalisé que le moteur ne s'est pas remis en marche quand j'ai fait semblant de remettre le contact. Il s'est mis à table alors que son collègue n'encaissait même pas un picotement.

Canderous poussa un soupir d'exaspération. Lui aussi s'y était laissé prendre.

- T'inquiète, t'auras largement ton quota quand nous rejoindrons les autres. En attendant, mets-moi ce poids mort dans le compartiment avec son pote.

Pendant que le mercenaire obéit, la jeune femme s'installa devant le clavier. En un éclair, elle vit que la base Kentor 3 qu'ils occupaient était branchée sur le même réseau que Kentor 2. Elle leva la main.

- Non, attends ! Sors-les tous les deux du générateur, on va le remettre en marche.

- Mais t'es débile ! On est là pour tout couper !

La doctoresse se tourna vers Canderous, et lui décocha un de ces sourires inquiétants dont elle avait le secret.

- J'ai une meilleure idée.

Le soleil peinait à crever la couverture nuageuse qui se faisait de plus en plus lourde. Chi'ta et Liam étaient plutôt appréhensifs en voyant au loin la forme de la base impériale se détacher de la ligne d'horizon. Les énormes canons cubiques blindés surveillaient paresseusement la plaine qui s'étendait entre la face praticable de la montagne et l'espace occupé par la présence impériale. Une zone fraîchement déboisée était visible à quelques dizaines de mètres, et de grands troncs d'arbre avaient été soigneusement empilés par les Impériaux.

- Ils ont dû nous voir, je suppose, murmura Liam.

- Bien évidemment ! Ils ont détecté le campement, ne soyez pas naïf. Et s'ils n'ont pas encore envoyé des bombardiers TIE faire le ménage, c'est parce qu'ils sont trop occupés avec ce qui se passe au-dessus.

La bataille spatiale faisait toujours rage dans les cieux. On n'entendait aucun son, et les vaisseaux abattus se désintégraient dans l'atmosphère avant de pouvoir s'écraser sur la surface de Kathol. Le padawan Gardien jeta un petit coup d'œil derrière lui. Les Yapis les plus grands et les plus forts attendaient, brandissant leurs lances, leurs arcs, leurs javelines et leurs quelques fusils blaster, avec l'intention évidente de s'en servir. En deuxième ligne, les Ascendants, peut-être une vingtaine au total, étaient en train de danser, prier, chanter, taper sur des tambours et souffler dans des cornes.

- Que font-ils, exactement, Maître Cordana ?

- Ils invoquent les puissances spirituelles de la planète Kathol pour leur demander de l'aide en vue de cette bataille. Je croyais vous avoir expliqué le fondement de leurs croyances, jeune homme ?

- Ho, arrêtez de me parler comme si vous étiez mon maître ! C'est pas le cas, et ça n'arrivera jamais ! En plus, ils ont déjà fait toutes leurs cérémonies hier soir, non ?

- En effet, pour être plus forts physiquement et spirituellement. Aujourd'hui, c'est autre chose, ils appellent les forces de la Nature. Et si vous levez les yeux, vous verrez que la Nature leur répond.

- Et en basic, ça veut dire quoi ?

- Vous ne remarquez pas que le temps se couvre ?

En effet, des nuages de plus en plus lourds se rassemblaient, et formèrent lentement une grande spirale dont le centre était pile au-dessus de la base Kentor 2.

Sur sa gauche, Chi'ta restait silencieuse, la tête baissée et les yeux fermés.

- Comment tu te sens ?

Mais la jeune fille ne répondit pas. Son visage tout entier semblait figé dans une profonde concentration.

- Hé ! Chi'ta ?

- Ca va aller, Liam, répondit la jeune fille sans se déparer de son expression.

- Tu tiendras le coup ?

- Je… je pense.

Les petits casques de communication des deux padawans sonnèrent simultanément. C'était Ezra qui venait de lancer le contact sur la fréquence sécurisée.

- Liam ? Chi'ta ? Vous me recevez ?

- Cinq sur cinq.

- Je vous entends, docteur Lohrn.

- Bon, écoutez, nous avons la situation en main, pour le moment. Nous avons neutralisé toute l'équipe de surveillance du générateur. On a provisoirement coupé le courant, mais on l'a remis tout de suite, pour ne pas éveiller les soupçons trop vite. J'ai réussi à détourner le système de surveillance pour voir l'intérieur de la base Kentor 2 que nous sommes sur le point de prendre d'assaut. Avant de passer à l'action, je vais vous décrire un peu ce qu'il y a.

- Ils sont nombreux ?

- Plutôt, et à mon avis, à partir du moment où la bataille commencera, ils vont envoyer des renforts de la première base. Pour l'instant, il y a plusieurs patrouilles qui se préparent à l'intérieur, ça fait une petite centaine de bonshommes à vue de nez. Il y en a sûrement d'autres dans les casernes.

- Autre chose ?

- Des véhicules. Je vois quelques moto-speeders stationnées dans un coin… la plate-forme pour la navette qui est vide pour l'instant… Mince ! Il y a des tanks à répulsion là-dedans, les enfants. J'en compte au moins trois.

- Trois tanks, rien que ça ! Super…

- C'aurait pu être pire, il y aurait pu avoir des véhicules lourds « Mastodonte », mais ils n'ont pas dû avoir encore eu le temps d'en amener. Cette base est assez grande, mais pas encore très bien équipée. Bon, tenez-vous prêts, et avertissez les Yapis, on va vous envoyer le signal.

- Et à quoi ça va ressembler, ton signal ? demanda le padawan Gardien.

- Tu vas vite comprendre. Fin de communication.

- Terminé.

En entendant ce dernier message, Chi'ta empoigna le sabre-laser chromé que lui avait prêté son condisciple, et l'alluma, faisant jaillir la lame bleutée. Liam tendit le bras en avant, et l'étrange colonne violacée apparut dans son sifflement caractéristique.

Qu'est-ce que cette allumée va encore nous faire comme surprise ?

Il eut rapidement sa réponse quand il vit les canons bitubes pivoter lentement, et se tourner vers l'intérieur du mur de plastacier. Ils crachèrent leurs salves meurtrières directement dans les rangs impériaux, creusant de profonds cratères dans le sol goudronné.

- Elle a aussi piraté leur système de défense !

Derrière eux, les Yapis s'étaient mis à crier, à rugir d'excitation, en brandissant leurs lances, en frappant leurs boucliers de peau de leurs massues. Quelques-uns des Ascendants parmi les plus costauds firent alors quelque chose qui surprit les deux padawans.

Ils empoignèrent leurs armes de contact – lances, épées courtes, vouges, massues à tête de fer – et passèrent leurs mains sur les parties métalliques de ces armes. Et grâce à la Magie Ta-Ree, des flammes colorées de tous les tons jaillirent et s'enroulèrent autour du fer.

- Ne soyez pas aussi étonnés ! Nous avons fabriqué la technologie des sabres-lasers, mais eux ont compris depuis bien longtemps que les esprits peuvent leur procurer quelque chose de tout aussi efficace.

Un coup de tonnerre éclata, et une pluie torrentielle s'abattit sur tout le plateau. Un vent violent se leva, et souleva des nuages de poussière. Les Yapis aboyèrent et vociférèrent de plus belle, les premiers rangs s'avancèrent même vers la muraille d'acier.

Privés de leurs défenses extérieures qui venaient de surcroît de se retourner contre eux, assaillis par la violente tempête qui empêchait la transmission de toute communication, les Impériaux durent se résoudre à s'exposer au danger. Dans un grand bruit de roulement de mécaniques, la lourde porte principale de la muraille s'ouvrit, laissant percevoir des centaines de soldats en armure blanche courant à l'assaut. Koubakaya leva sa lance, et poussa un long hurlement, qui fut repris par tous les autres Yapis. Atrus Cordana sortit une épée courte de son fourreau, et passa sa paume sur toute la longueur du plat de la lame. Le fer battu s'embrasa de flammes verdâtres. Sans plus hésiter, il se lança en avant.

Les deux padawans se regardèrent une dernière fois. Alors, avec une détermination qui ne lui était vraiment pas coutumière, la petite Drall leva le sabre-laser de Liam en s'écriant :

- Guide mon bras, ô Grand Fouisseur !

Et elle se mit à courir en direction de la base. Un peu surpris, le jeune homme se ressaisit rapidement, et bondit vers les Impériaux avec un cri de défi. Rejoignant vite la jeune fille, il resta à sa hauteur alors que les forces des deux camps entraient en contact. Un premier soldat de choc virevolta sous l'impact de son sabre-laser, rapidement suivi par un deuxième. Sa condisciple était devenue de plus en plus sûre d'elle au fil de son entraînement. Elle déviait les rayons, peut-être pas avec suffisamment de précision pour les renvoyer sur les soldats, mais elle ne s'en souciait pas. Cordana, malgré son âge, faisait preuve d'une vivacité et d'une agilité surprenantes. Il bondissait d'un pied sur l'autre, fauchant au passage les hommes en blanc. Liam distingua à quelques mètres de lui un soldat de choc sur lequel un énorme tronc d'arbre tombé du ciel s'écrasa. Il s'arrêta, et regarda brièvement derrière lui. Pas d'erreur, l'un des Ascendants réussissait bien à puiser dans le Ta-Ree des forces suffisamment développées pour pouvoir soulever à distance des troncs d'arbre coupés et les lancer sur ses ennemis.

Encore une entorse aux voies de la Force que semblait permettre la Voie du Ta-Ree…

Mais ce n'était pas le moment de philosopher, d'autant plus que la silhouette menaçante d'un Transport de Reconnaissance Tout-Terrain venait de se profiler dans l'encadrement de la porte. Les premiers guerriers Yapis, arrivés à la hauteur de la barrière, lancèrent leurs javelots et firent siffler leurs flèches sur le marcheur impérial. Chi'ta vit la machine encaisser les attaques des armes primitives tant bien que mal, et celle-ci répliqua. Des grenades à concussion explosèrent au milieu des Yapis, les catapultant dans les airs par demi-douzaines. L'un des Ascendants voulut broyer la carcasse de métal en projetant une grosse souche dessus, mais le pilote avait eu le temps de voir venir l'attaque, et disloqua la lourde masse d'un coup de canon laser bitube.

La jeune fille trépigna, frustrée de ne pas se sentir assez forte pour intervenir de manière efficace. Elle crut que ses nouveaux alliés allaient devoir se replier, mais c'était sans compter leur opiniâtreté, et leurs moyens. Brusquement, les jointures des articulations des jambes du véhicule se mirent à fumer, rougirent, et finirent par fondre en quelques secondes. L'appareil tomba lamentablement par terre. Les Yapis eurent tôt fait de forcer la trappe d'ouverture, et d'extirper de la cabine les deux pilotes avant de les massacrer.

Enfin, les deux padawans se retrouvèrent au niveau de la porte d'entrée. Liam eut peine à croire qu'ils avaient parcouru une telle distance sans se faire toucher. Il se rendit bien vite compte que les vrais ennuis ne faisaient que commencer en voyant le nombre d'hommes en blanc dans l'enceinte de la base.

- Pourvu que le docteur Lohrn ne fasse pas trop de pertes dans les rangs des Yapis, avec ce pilonnage !

Le padawan Gardien leva les yeux vers les tourelles de défense. Elles continuaient leur œuvre destructrice dans les rangs impériaux.

- Liam, regarde !

La petite Drall venait de repérer l'un des trois tanks à répulsion. L'énorme monstre d'acier flottait à un mètre du sol, et ses deux mitraillettes laser latérales, tout comme son énorme canon à obus à concussion, semblaient impatients de répandre la mort dans les rangs des Yapis. Le padawan Gardien eut alors en tête l'image d'Ezra pianotant sur le clavier de son ordinateur à toute vitesse pour agir sur le cours de la bataille. Et comme pour confirmer sa pensée, les canons de défense pivotèrent tous en même temps vers le véhicule lourd, et firent feu. Le char d'assaut explosa dans une grande gerbe de flammes.

- Yipee ! Vive la médecine Calipsa !

La joie du jeune homme fut de courte durée. Les tourelles s'arrêtèrent subitement, et les canons s'abaissèrent.

- Blast !

Le jeune homme voulut enclencher ses écouteurs. L'orage parasitait le système.

- Ezra ? Ezra, tu m'entends ?

- …trois sur cinq, fiston… il y a ?

- Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi vous avez arrêté ?

- Ils ont comp… avions bidouillé leur réseau, j'imagine qu'ils ont pré… …per le courant !

- Vous vous êtes fait griller, c'est ça ?

- Oui c'est… …mais on a… une belle pagaille ! répondit la voix enthousiasme du mercenaire.

- Hé, mais… Attention !

Liam était à peu près sûr d'avoir vu ce qu'il pensait avoir vu. Il porta la main à son oreille, voulant modifier le volume de son communicateur.

- On vient de voir quatre moto-speeders quitter le périmètre ! Ils viennent dans votre direction !

- Qu'est-ce que tu dis, Liam ?

- Des motos-sp… …ent vers vous !

- Des motos speeders, c'est ça ?

- …vers là où vous êtes ! Quatre mot… …ers avec des scouts ! Faites…

La réception était devenue trop mauvaise, et finalement la communication fut interrompue.

- Canderous ! Dankin ! On va avoir de la compagnie !

- J'ai entendu ! Grimpons sur la muraille, on va les recevoir !

Les trois baroudeurs sortirent du bunker et montèrent sur la barrière. Grâce à ses senseurs, le Mandalorien vit effectivement dans son champ de vision les silhouettes teintes en rouge de quatre éclaireurs Impériaux sur leurs motos. Ezra était déjà montée sur le siège de l'un des canons. Il ne fallut que quelques secondes aux trois compères pour abréger à jamais les existences de leurs adversaires.

- Bon, on prend les motos et on les rejoint, vite !

Dankin, Canderous et Ezra empruntèrent chacun une moto-speeder. Ils repartirent vers la base Kentor 2, le Togorien en tête.

L'échauffourée à la base Kentor 2 avait pris des allures épiques. Les Yapis étaient à présent dans le périmètre impérial. Ils combattaient avec une énergie débordante, et les soldats de choc impériaux étaient déroutés devant leur résistance et leur férocité. Mais ils se défendaient aussi avec efficacité. Chi'ta ouvrit des yeux horrifiés en voyant les guerriers tomber sous les tirs de fusils blaster.

Liam vit alors le grand Koubakaya éventrer de son trancheur à large lame trois soldats de choc d'un geste large. L'immense chef Yapi brandit son arme avec un hurlement de triomphe. Soudain, une violente explosion déchaîna un cyclone de flammes et de fumée juste à ses pieds.

- Non !

Il ne restait plus rien, si ce n'était l'arme du Yapi, catapultée en l'air, qui se planta dans le sol à moins d'un mètre du padawan Gardien.

- Mais qu'est-ce que…

La réponse à sa question lui vint rapidement quand il entendit un grondement sourd. La masse sombre et menaçante d'un char blindé à répulseurs creva alors les volutes de fumée ambiantes.

- Ooh… ça ne va pas se passer comme ça !

Le jeune homme tâta dans l'une des poches de son ceinturon, sentant une grenade étourdissante. Il fléchit les genoux, calcula rapidement une trajectoire en tâchant d'éviter de penser au canon qui s'orientait dans sa direction, et fit un bond en avant. Il se reçut sans effort sur la tourelle mobile. Le véhicule s'ébranla, partit en avant en faisant pivoter le canon. Le padawan tint bon. Il se posta juste au-dessus du tube blindé, et voulut y planter son sabre-laser. Mais en plongeant l'arme en avant, il perdit l'équilibre et manqua de tomber. La lame kathol avait pénétré dans l'acier sans rencontrer la moindre résistance, et sans y faire la plus petite éraflure.

Bien sûr, andouille ! se maudit le jeune homme. Ca ne marche que sur les matières organiques !

Un obus partit, et Liam se retrouva renversé par le recul. Son arrière-train heurta l'un des rivets de la trappe. Il grommela de douleur, mais l'idée qu'il avait eue avant de bondir sur le blindé lui revint. Il rangea son sabre, et saisit à deux mains le volant d'ouverture. Grâce à la Force, il put le tourner suffisamment énergiquement pour le débloquer et déverrouiller la trappe. Il souleva la plaque ronde, sortit sa grenade, la dégoupilla, la laissa tomber dans l'habitacle du tank, referma la trappe et s'accrocha au volant. À cause du tintamarre ambiant, il n'entendit pas l'explosion, mais perçut un choc sourd qui secoua tout l'engin.

La tourelle arrêta un court instant de tourner, puis soudain le char accéléra, fonça de plus en plus vite tout droit, vers la muraille. Le conducteur s'était probablement effondré sur les commandes. Il fit un magnifique salto arrière et se reçut sans difficulté. Devant lui, le véhicule blindé s'écrasa contre la cloison et s'y encastra, avant de s'arrêter complètement.

- Un partout !

Chi'ta sentait son cerveau tourner à plein régime. L'action n'était pas son fort, le combat non plus, alors que dire de la traversée d'une bataille opposant des centaines de protagonistes ! La pluie tombait de plus en plus dru, et sa fourrure trempée semblait alourdie par l'eau. Elle frissonnait de froid et d'inquiétude, mais sa détermination à sauver Liryl la maintenait en condition. Elle sautait, plongeait en avant, bondissait sur le côté, évitant ainsi la plupart des rayons orangés des soldats impériaux. Elle siffla de jubilation en voyant Liam neutraliser le deuxième char. Le troisième apparut alors entre deux colonnes de poussière.

Misère ! Comment vais-je franchir cet obstacle ?

Elle sursauta quand elle entendit un violent coup de tonnerre tout près d'elle. Sans prévenir, la foudre s'abattit directement sur le char blindé. Des éclairs zébrèrent la structure, de multiples explosions crachotantes fusèrent par tous les interstices. Au bout d'une longue dizaine de secondes, tout cessa. Tous les appareillages électroniques du véhicule avaient dû griller, de même que les opérateurs. La petite Drall put remarquer Toki-Tori, non loin d'elle, qui baissait les bras, avant de s'asseoir par terre, visiblement exténué par l'effort. Son sang ne fit qu'un tour quand elle aperçut un éclaireur Impérial sur la muraille pointer un fusil de précision vers le Yapi.

- Attention !

Immédiatement, le Yapi roula sur le côté, évitant le rayon laser doré meurtrier qui lui roussit la crinière. La jeune fille tendit fermement les doigts vers l'assassin, parvint à lui arracher son arme des mains. Le scout suivit d'un regard incrédule son fusil, avant de se faire abattre par les flèches de deux archers. Chi'ta se précipita vers Toki-Tori. Celui-ci se relevait, et lui adressa un petit signe de tête. Liam les rejoignit au pas de course.

- Ca va ?

- Oui… oui, je suppose.

- Hé, regarde ! Voilà les autres !

Effectivement, Ezra, Dankin et Canderous, juchés sur des motospeeders, arrivèrent bien vite à leur hauteur.

- Eh bien ! C'est la fête, ici !

- Allez, amenez-vous, on fonce à la piste !

Toki-Tori posa une main sur l'épaule des deux padawans, et articula péniblement :

- Force… avec… vous.

- Merci, chef !

- Puisse le Ta-Ree vous mener à la victoire, Maître Toki-Tori.

- Allez, on n'a pas le temps pour les salamalecs ! s'impatienta Canderous.

Liam bondit à l'arrière de la moto d'Ezra, pendant que Dankin souleva Chi'ta comme une plume pour la poser devant lui. Et ce fut le début d'une course effrénée. La distance à parcourir entre l'entrée et la piste d'atterrissage n'était pas très longue en soi, mais le nombre de soldats de choc, de TR-TT et autres artilleurs B.L.A.F. obligeaient les trois conducteurs à zigzaguer sans cesse. Plus d'une fois, Liam manqua de basculer, et il se raccrochait fermement au gilet antiblast du docteur Lohrn. Il voyait le décor défiler en accéléré. Enfin, la silhouette sombre de la navette impériale de classe Lambda se stabilisa non loin de lui.

- Tout le monde descend !

Canderous avait déjà le fusil à impulsion en main, et mitrailla trois soldats de choc, les jetant à terre d'une rafale. Posée depuis un temps indéfinissable, la navette avait l'air vide. Les cinq compères se précipitèrent à l'intérieur. Une fois dans la soute, la doctoresse Calipsa secoua le padawan Gardien d'une claque sur la nuque.

- Aïe ! Mais…

- La prochaine fois, tu mets les mains plus bas, je te prie !

Dankin, Canderous et Ezra entrèrent sans façon dans le cockpit et la Calipsa ferma la porte derrière eux. Des exclamations étouffées parvinrent aux oreilles des deux jeunes gens. Liam fit la grimace. Quand il vit la petite Drall le regarder sans rien dire, il ne trouva rien d'autre à répondre que :

- Je ne l'ai pas fait exprès !

- Je te crois, mais ce n'est pas à moi que tu dois le dire.

La porte se rouvrit. Canderous et Dankin tenaient chacun sur l'épaule un homme inconscient portant un uniforme de pilote de l'Empire. Ils les éjectèrent par la rampe d'accès avant de la refermer.

- C'est bon, Ezra, décolle !

La navette vibra, alors que la doctoresse mettait les moteurs en marche. Lentement, l'engin décolla, et s'éleva au-dessus de la base.

Il n'y avait qu'une poignée de kilomètres à franchir pour arriver à la base principale. Cela ne représentait que peu de temps, que le docteur Lohrn décida de mettre à profit.

- Canderous ? Il y a bien du matériel dans la soute ?

- Affirmatif, chérie. Des armures de rechange, des cantines antigrav…

- Génial ! Déshabille-toi !

Le mercenaire en fut estomaqué.

- Tu as l'art de choisir le meilleur moment et l'endroit rêvé pour assouvir tes fantasmes !

- Réfléchis un peu, triple buse ! On va faire quoi, une fois que nous serons arrivés ? Nous sommes tous morts, si on ne prend pas un minimum de précautions ! Passe une tenue de soldat de choc ! Liam, fais pareil ! Et mettez tout votre équipement dans une malle antigrav !

- À quoi tu penses, Ezra ?

- Le coup des trois Impériaux qui ramènent à la base deux saloperies de non-Humains pour les interroger – sans vouloir vous offenser, Chi'ta et Dankin ! Liam, tu te chargeras du transport de notre matériel. Comme tu seras penché sur la cantine, ils remarqueront moins la différence de taille.

Les deux hommes commencèrent à se changer. Tout en retirant son gilet, Canderous demanda :

- Une fois arrivés, on doit aller où ?

- Très bonne question. Liam, Chi'ta, vous connaissez mieux cette base que nous. Nous cherchons Dame Liryl. À votre avis, où peut-elle être ?

Chi'ta leva le doigt.

- Le Seigneur Thorn a dit qu'il voulait… il avait détecté une source d'énergie en elle, et veut s'en servir pour alimenter en énergie les matrices.

- Hum hum… il a dû sentir le module d'Ageer !

- Vu que ce truc est maintenant en elle sous forme de molécules, il va avoir du mal à aller le chercher !

- Peut-être bien qu'il va vouloir directement la brancher sur sa machine !

- Très bonne observation, Canderous. Tiens, remplace-moi, je dois me changer.

Canderous avait effectivement fini de passer l'armure blanche. Il s'installa au poste de pilotage pendant qu'Ezra retira sa veste protectrice. Le Mandalorien fronça les sourcils, comme il distinguait la crête du volcan. L'avertisseur sonore du communicateur siffla. Il appuya sur le bouton.

- Kentor 1 à navette 0C3-L5, répondez.

- Ici navette, je vous écoute.

- « Kamino ».

- « Borleias ».

Au bout d'un court instant de silence, l'opérateur demanda :

- Vous êtes un peu en retard, non ? Que s'est-il passé ?

- Ces sauvages se défendent farouchement ! Et puis cette tempête n'arrange rien !

- Exact. Autorisation d'atterrir. Rendez-vous sur la plate-forme numéro deux. Terminé.

Le mercenaire coupa la communication, et poussa un soupir.

- Pour le moment, ils ont l'air de marcher.

- Espérons que ça dure.

La navette se retrouva soudain en plein soleil. En effet, la cime du volcan était bien plus élevée que le champ de bataille, et l'orage déclenché par les Yapis. Et la base Kentor 1 apparut dans le hublot du cockpit. Canderous ne put réprimer un « blast… » à la fois admiratif et nerveux.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda Liam, qui avait fini de mettre son armure de soldat de choc.

- On arrive.

Maintenant qu'il la voyait dans son ensemble, le padawan Gardien comprit comment elle était composée. La base Kentor 1 était constituée de trois immenses plates-formes circulaires connectées entre elles par un monorail. La partie gauche, vers laquelle ils se dirigeaient, comprenait les pistes pour les transporteurs de troupes et la caserne. Le mercenaire devina un immense hangar à vaisseaux sur la partie droite. Enfin, la partie centrale présentait une énorme échafaudage s'enfonçant dans les profondeurs du cratère – de là où ils étaient, ils ne pouvaient en voir le fond.

- Les matrices sont dans la partie centrale, expliqua Chi'ta. Il faudra prendre l'ascenseur pour y arriver.

- Et le Vandread a été parqué dans le hangar du secteur à droite. Tu vois l'ouverture ?

- Ouais, j'aperçois même quelques vaisseaux des Imps, mais pas le mien !

- C'est parce qu'il est dans le fond, mais il y était hier soir.

- Nous l'avons aperçu quand nous nous sommes enfuis avec le deltaplane motorisé.

- D'accord. On prendra le tram une fois qu'on aura Dame Liryl. Va donc falloir qu'on entre dans le réacteur. Génial !

- Thorn t'y a emmenée, Chi'ta, rappela le docteur Lohrn qui était revenue. Il y avait quelque chose de particulier à y faire ?

- Pour descendre dans le réacteur principal, il faut un passe. Je doute que nous puissions emprunter l'ascenseur sans ce passe.

- Et bien évidemment, tu ne sais pas où trouver ce passe…

- Sûr que si, Canderous ! répondit la jeune fille avec un petit clin d'œil. Le Moff Laird Gustavu en a un ! Son bureau est sans doute dans la caserne.

- On va donc lui rendre une petite visite. Tenez-vous prêts, j'entame la manœuvre d'atterrissage.

Les moteurs de la navette s'arrêtèrent, et la rampe d'accès s'abaissa dans un chuintement de vapeur. Trois soldats de choc en armure en descendirent, précédés par deux non-Humains aux mains croisées dans le dos, devant les caméras de surveillance. Deux des hommes en blanc tenaient en respect les deux non-Humains de leurs fusils blaster, et le troisième poussait une cantine montée sur moteurs antigrav.

Ezra prit le temps d'étudier un peu le terrain. En raison de la bataille furieuse qui se déroulait sous leurs pieds, l'agitation était grande. Les Imps ne cédaient pas pour autant à une panique désordonnée, et chaque pas de course restait discipliné. Mais personne ne s'attardait sur des détails, aussi fut-ce sans la moindre anicroche que les cinq amis entrèrent dans la caserne. Grâce aux flèches de signalisation, ils n'eurent guère de mal à trouver la porte d'entrée d'un bureau sur laquelle un panneau disait : « Moff Laird Gustavu ». Ils étaient dans un coin isolé du bâtiment, il n'y avait personne aux alentours. Dankin et Canderous en profitèrent pour récupérer leurs armes laissées dans la malle antigrav. La porte automatique était dépourvue de poignée, mais il y avait un bouton sur la serrure, serti d'un voyant rouge. Un interphone était fixé à côté de la porte. Le docteur Lohrn sonna.

- Qu'est-ce que c'est?

- Moff Gustavu ? J'ai capturé un espion, il a des informations de la plus haute importance à vous avouer !

Une fois encore, Ezra s'était montrée suffisamment persuasive pour que son interlocuteur gobât son histoire. Dans l'interphone, la voix du moff répondit :

- Entrez !

Et le voyant de la serrure passa au vert.

- Couvrez-nous, les Jedi. On s'occupe de lui.

Ezra pressa le bouton d'ouverture, et les trois baroudeurs entrèrent, la porte se referma derrière eux. Les deux padawans se regardèrent, un peu appréhensifs, mais se tinrent en garde, prêts à se défendre.

Le mercenaire vit le Moff Gustavu, derrière son bureau, la main plongée dans un tiroir. Celui-ci avait remarqué le Togorien armé, et venait de comprendre qu'il avait été dupé. Le mercenaire braqua son fusil à impulsions en direction de l'Impérial.

- Jette ton flingue.

Le moff hésita, et sortit lentement son vieux pistolet à poudre noire, avant de le poser lentement sur la table. D'une main, Canderous retira son casque. Ezra fit de même.

- Salut, pigeon !

- Étrange… j'ai l'impression de vous avoir déjà vu. Vous étiez au mariage de Nycator de Mecetti, j'ai vu les holovidéos, mais déjà, à ce moment-là, il me semblait me rappeler…

- Ce n'est pas une impression, Gustavu, coupa le mercenaire. Ta propriété à Procopia, avec Dame Bathos et Don Nycator.

- Oh… Oui ! Je me souviens de vous, à présent ! Si j'avais su à l'époque ce que vous viendriez faire ici, je vous aurais fait arrêter sur-le-champ !

- Eh oui, mais il est trop tard pour ça. Tu es complètement coincé, maintenant. Tes troupes se font méchamment savater, et tu crèveras la gueule ouverte en moins de deux si tu te rebiffes. Il te reste quand même une toute petite chance infime de t'en sortir en vie. Une seule. Tu sais laquelle.

Laird Gustavu n'était pas aussi fanatique que Lin Nunsk, et se montra plus réceptif.

- Euh… j'imagine que vous êtes venus pour récupérer votre appareil.

- Et Dame Liryl ! ajouta durement le docteur Lohrn.

- Oui, et Dame Liryl, bien sûr… Cependant, je ne suis pas sûr de pouvoir satisfaire votre demande.

Il sursauta quand le Mandalorien abattit son poing sur le bureau. Il lui dit d'une voix menaçante :

- Laird… tu sais très bien de quoi je suis capable.

- Mais… non, pas vraiment ! Je suppose que vous n'aurez aucun scrupule à tenter de me faire parler, vous n'êtes qu'un vulgaire blaster à louer

- Tous les mercenaires ne feraient pas ce que j'ai fait, moi. Tu ne t'es jamais demandé ce qui est arrivé au Gantelet, sur Lemuir IV ?

- Quelqu'un a fait sauter une bombe dans l'un des réservoirs à essence.

- Ce n'était pas une bombe, mais un pack de grenades qui a provoqué une explosion de carburant. Je le sais parce que c'est moi qui l'ai fourré dans la cuve à essence.

Le Moff Gustavu sentit son front s'inonder davantage.

- Alors… c'est vous qui…

- Des tas d'Impériaux sont morts par ma volonté, Laird. S'il existe un Enfer, il y a longtemps que ma place y est réservée. Au point où j'en suis, un Impérial de plus ou de moins… alors tu vas nous donner ta carte d'accès, tous les mots de passe et les codes qui vont avec. Et si jamais y a une embrouille qu'on n'est pas censée connaître, tu nous la dis. Sinon, je t'assure que tu regretteras beaucoup de ne pas avoir été à bord du Gantelet ce jour-là, quand tu avais une chance de clamser vite.

Sans détacher son regard des deux yeux injectés de sang du mercenaire, le Moff fouilla dans sa veste d'une main tremblante. Il finit par en extirper une carte d'accès métallisée.

- Je vous jure sur ma vie qu'il n'y a pas de code ou de mot de passe. Cette carte me permet d'aller dans n'importe quel espace Impérial sans restriction. Le Seigneur Thorn est dans le noyau central avec la Dame de Sérénité. Mais contre lui… vous n'avez aucune chance.

- Si on m'avait donné un crédit chaque fois que quelqu'un m'a dit ça, je pourrais m'acheter la Cité des Nuages de Bespin ! rétorqua Canderous.

Un bruit de rafale à impulsions éclata derrière la cloison, faisant sursauter les deux padawans. Ils se précipitèrent ensemble dans le bureau, et s'arrêtèrent en voyant un tableau peu reluisant. Laird Gustavu gisait à plat ventre sur le tapis, une ligne pointillée d'impacts incandescents lui parcourait l'échine des reins à la nuque. Canderous rechargea d'un mouvement son fusil dont le canon était encore fumant. Les deux jeunes gens n'eurent pas à réfléchir bien longtemps pour comprendre ce qui venait de se passer.

- Il avait droit à un procès en bonne et due forme, murmura la jeune Drall d'une voix blanche.

Le mercenaire ne répondit rien. Ezra, elle, avait un air un peu navré, mais résigné. Liam repensa à ce qu'il avait dit au moff la veille, et n'osa rien ajouter. Il n'y avait plus rien à dire. Il reprit vite ses esprits.

- Bon, assez traîné, on fonce. Plus qu'à espérer qu'ils soient trop dans la confusion pour faire gaffe à nous.

La doctoresse Calipsa, qui regardait alors distraitement par la fenêtre, eut soudain une autre idée en voyant partir une des navettes Lambda.

- On va leur offrir un peu de distraction !

Elle décrocha du mur le combiné de l'interphone d'urgence.

- Attention, attention ! De dangereux individus ont pris en otage le Moff Laird Gustavu ! Ils ont volé une de nos navettes ! Tous les soldats ont ordre de filer vers la piste d'atterrissage pour les arrêter !

Canderous ouvrit la malle antigrav, en sortit son armure qu'il repassa après avoir retiré l'équipement impérial. Dankin dissimula le corps encore tiède du Moff dans le placard, puis ils quittèrent le bureau. La ruse du docteur Lohrn avait réussi. Tous les soldats de choc, les éclaireurs, les opérateurs en combinaison noire, les pilotes de véhicule terrestre étaient massés près de la piste d'atterrissage, et tiraient de toutes leurs armes sur les deux navettes en train de décoller. Les cinq compères ne traînèrent pas pour autant. Vite, ils grimpèrent dans l'une des cabines automatiques du monorail. Une longue minute plus tard, il y eut une tonalité aiguë annonçant le départ de la cabine, puis la porte se referma et le wagon s'ébranla latéralement avant de partir.

Canderous s'impatienta.

- C'est long !

- Au moins, on a un beau panorama, observa le docteur Lohrn. Impressionnantes, ces installations. Kentor Sarne avait de bons ingénieurs.

En effet, en contrebas, d'imposantes installations thermiques rougeoyaient des feux de l'immense lac de lave. Liam prit le temps d'enlever son armure de soldat de choc.

- Je ne me ferai pas à cet attirail ! Quand je pense que mon Maître a porté ce truc !

- Ton prof a été un Imp ? s'étonna Canderous.

- C'était avant qu'il ne se rende compte qu'il était sensible à la Force. En plus, il a déserté, comme pas mal de hauts gradés républicains.

La cabine s'arrêta enfin. Ils étaient arrivés à l'aile centrale, la plus grande et la plus imposante.

- C'est par ici ! dit la petite Drall en montrant du doigt le grand bâtiment carré central. Les élévateurs sont dans la tour latérale de cette structure.

Ils avaient pu voir par les grands hublots que la voie était libre jusqu'à la tour latérale. Dès que l'appareil s'arrêta au quai, ils coururent jusqu'à la porte. Le temps d'insérer la carte d'accès du moff, ils étaient déjà à l'intérieur de l'un des trois ascenseurs.

La descente jusque dans les tréfonds de la base Kentor 1 sembla durer une éternité. On n'entendait que le bruit des machineries, personne n'articula le moindre mot. Tous étaient conscients que le combat final contre Daymon Thorn allait se jouer. Jamais le Sith n'allait leur permettre de repartir avec Dame Liryl. Et comme on ne pouvait espérer une négociation amiable avec un Sith, chacun se prépara comme il put à l'affrontement sans doute particulièrement violent qui allait se produire. Canderous et Dankin vérifièrent que leurs armes étaient bien chargées et prêtes à servir. Chi'ta tâtonna du bout des doigts le sabre-laser que Liam lui avait prêté.

Enfin, les portes de l'ascenseur s'ouvrirent. De nouveau, la petite Drall fut confrontée au spectacle difficilement soutenable des installations katholes reprises par les Impériaux. Quant aux autres, ils en restèrent silencieux. Canderous et Dankin en avaient vu d'autres, le docteur Lohrn était habituée aux champs de bataille, le professionnalisme prévenait toute forme d'émotion chez les trois adultes. Liam ne disait rien lui non plus, mais il était parfaitement conscient que son silence lui venait plus d'une crispation nerveuse des boyaux. Même après la description que sa condisciple avait fait des lieux, voir les alvéoles éclairées par les reflets orangés de la lave, distinguer les formes grotesques à travers les chrysalides lui donnait une nausée à laquelle il avait pensé s'attendre.

- Quelle horreur.

- Tu l'as dit, fiston ! répliqua Canderous. Heureusement, voilà l'équipe de nettoyage !

Ils eurent le loisir d'examiner plus attentivement l'installation impériale. C'était grand, très grand, les plates-formes métalliques suspendues s'étalaient sur des centaines de mètres carrés de surface. Reliées entre elles par des passerelles à peine protégées d'un garde-fou pour la plupart, elles constituaient un véritable enchevêtrement complexe. Certaines plates-formes étaient suffisamment larges pour accueillir un petit bâtiment préfabriqué isolé, pour le matériel sensible à la chaleur. Les lieux étaient vides, en dehors des caisses, des projecteurs sur pied, des tables, des paillasses de travail… il n'y avait plus le moindre scientifique, pas même un petit assistant. Un bruit de bouillonnement, des sifflements et crachotements montait de sous leurs pieds. La chaleur ambiante, réduite par un champ de force anticalorique, était pesante, mais supportable. Certaines plates-formes étaient séparées par d'épaisses cloisons renforcées, cachant aux regards l'ensemble des installations. En l'occurrence, Dame Liryl n'était pas visible.

- On avance, déclara posément Canderous.

Liam hésita encore en distinguant l'embryon d'une Mante dans l'une des alvéoles, puis soudain, il sentit son corps se contracter sous l'impulsion d'une sensation de vertige.

Et pendant un instant, il fut déstabilisé par une scène à la fois lointaine et familière : il se vit, lui, environ une trentaine de mètres en contrebas, alors que la silhouette en armure de Canderous avançait lentement. Chi'ta restait près de lui, n'osant s'éloigner, la doctoresse braquait son fusil à impulsions un peu partout, et Dankin fermait la marche, prêt à utiliser son arbalète. Le bruit d'une respiration sourde et régulière sifflait à ses oreilles. Deux mains gantées d'une coquille rouge pointèrent un fusil laser droit vers le petit groupe…

- Ne restons pas là ! Attention !

Canderous se jeta derrière une caisse, mû par un réflexe conditionné, juste à temps pour éviter le rayon orangé d'un fusil de soldat de choc impérial. Chacun des autres trouva rapidement un abri improvisé – panneau de contrôle, container, plan de travail renversé. Les deux padawans s'étaient faufilés derrière un lourd chariot antigrav éteint.

Dankin jeta un bref coup d'œil vers l'une des plates-formes plus élevées, et se baissa bien vite quand une autre rafale partit, et frôla sa fourrure crème. Liam se concentra davantage, essaya de visualiser la scène d'un point de vue légèrement différent de celui où il se trouvait précisément. Grâce à ses sens étendus, il put enfin distinguer un mouvement dans la pénombre. Ezra y alla plus carrément : elle alluma une fusée éclairante qu'elle avait gardé en stock dans son kit médical, et la lança vers la rambarde d'au-dessus. Pendant une demi-seconde, elle aperçut enfin quelque chose, et comprit à qui ils avaient affaire.

- Hé, mais qui sont ces mecs ?

- Des troupes d'élite ! répondit Liam d'une voix aiguë. J'en ai vu une fois !

- Des quoi ?

- Mon gang avait voulu m'initier à la vie des étages supérieurs de Coruscant. Ces gars-là sont sapés comme les gardes du palais impérial de Palpatine !

Au bout de trois petites secondes de réflexion, Canderous visualisa précisément leurs adversaires. Les membres des troupes d'élite de Palpatine étaient jadis sélectionnés parmi les plus fanatiques des meilleurs soldats de choc. Les plus brutaux, les plus impitoyables, ils vouaient une obéissance aveugle et absolue à leur commandant, et n'avaient de compte à rendre qu'à l'Empereur. Même après la chute de ce dernier, ces redoutables agents de l'Ordre Nouveau avaient longtemps imposé la loi Impériale sur Coruscant, jusqu'à sa libération deux ans plus tard. Ils étaient facilement reconnaissables à l'armure qu'ils portaient. Au lieu de la coquille blanche légère, les troupes d'élite de Coruscant étaient équipées d'une combinaison renforcée rouge sombre, fabriquée dans des matériaux bien plus solides que celles des soldats de choc ordinaires. Liam avait même entendu que les hauts gradés de ces soldats étaient des anciens membres de la 501ème Légion, la garde personnelle de Dark Vador.

Et environ une dizaine d'entre eux les attendait maintenant de pied ferme !

Furieux, Canderous glapit :

- Comment j'ai pu les rater ?

- Leurs combinaisons sont peut-être revêtues de polymère réfléchissante, ou quelque chose comme ça, expliqua Ezra.

- Ouais, de quoi tromper tes capteurs.

- Ils vont tromper ça, aussi ?

Sans sortir de sa cachette, adossé à sa caisse, Canderous passa le bras au-dessus de sa tête, et envoya une rafale de tirs derrière lui. Les soldats cachés répliquèrent, obligeant le mercenaire à se rétracter derrière son abri.

Les soldats d'élite étaient vraiment bien placés, et avaient un avantage énorme sur les cinq amis. Le mercenaire regarda sur sa droite, voyant les deux padawans. Il leur fit signe, les montrant l'un après l'autre de l'index et du majeur joints, avant d'indiquer la direction à emprunter, vers l'extrémité de la plate-forme qui se trouvait à plus d'une centaine de mètres. Puis il pivota vers Ezra et Dankin qui attendaient sur sa gauche. Il posa les doigts sur sa poitrine, désigna les deux autres baroudeurs l'un après l'autre, après quoi il désigna les hauteurs où se tenaient les soldats d'élite. Enfin, il mit une dernière fois en évidence sa main, les trois premiers doigts en l'air. Il rabaissa lentement le médius, s'assura que tout le monde avait bien compris. Il baissa l'index. Liam et Chi'ta se préparèrent à un sprint, Ezra et Dankin serrèrent fermement leurs armes, genoux fléchis…

Canderous se leva d'un bond et mitrailla vers l'étage supérieur avec un cri sauvage, immédiatement imité par le Togorien et le docteur Lohrn. Et les deux padawans s'élancèrent en avant. Ils firent appel à la Force pour accélérer le mouvement. Pendant quelques instants, ils distinguèrent nettement le monde entier ralentir autour d'eux. Les soldats d'élite s'étaient concentrés sur les trois adultes, mais deux d'entre eux avaient repéré leur course. Et pourtant… Chi'ta distingua un long trait rouge filer dans sa direction, mais il se déplaçait lentement, assez lentement pour qu'elle fût rapidement hors de sa trajectoire. Très vite, ils étaient devant la porte de l'un des sas, qu'ils franchirent.

Chi'ta et Liam venaient d'entrer dans une nouvelle partie des installations de Sarne. D'autres matrices étaient fixées à la paroi la plus proche du volcan, pendaient des plafonds artificiels, étaient incrustées sur certains coins des plates-formes impériales. Dans cette partie du complexe, les matières organiques qui constituaient les colonnes d'alvéoles s'étaient répandues, avaient envahi les installations impériales. Certains flux séchés s'étaient enroulés autour des poutrelles, d'autres recouvraient les parois des cabines préfabriquées. Des excroissances dures et pointues émergeaient naturellement de ces résidus.

- Espérons que nos amis s'en tireront !

- Ouais. Ne t'en fais pas, ils en ont vu d'autres. Nous, par contre, nous devons trouver Liryl.

Le grondement du volcan se fit plus fort, plus puissant. La jeune fille remarqua alors avec appréhension que l'échafaudage descendait, les rapprochant du lac de lave. De nombreuses chaînes et poulies, sans doute destinées à déplacer de lourdes charges d'une plate-forme à une autre, pendaient de partout. Quand elle releva les yeux, son cœur bondit dans sa poitrine.

- Liam, regarde !

Sur une grande plaque octogonale d'acier poli, le jeune homme put distinguer une silhouette féminine. Impossible de voir le visage de la personne, car il était recouverte d'une sorte de cloche de plomb. Mais il devina à ses formes et à la couleur de sa peau dorée qu'il s'agissait de la Dame de Sérénité. Celle-ci n'était vêtue que d'une sorte d'emmaillotage de bandelettes de tissu blanc, et était solidement attachée bras et jambes écartés à la plaque d'acier par des bracelets électroniques qui lui enserraient les poignets et les chevilles. Liam se demanda pourquoi on lui avait passé cette tenue, et sentit un frisson de dégoût lui venir quand il distingua des petits câbles électriques et crochets qui en suivaient les contours avant de mordre directement les chairs de Liryl.

- Thorn est en train de lui faire quelque chose, Liam.

- J'ai vu. Il faut absolument lui virer toute cette quincaillerie !

C'est là que le padawan Gardien réalisa que la malheureuse était prisonnière à plus d'une vingtaine de mètres en hauteur par rapport à leur position. Un détail qu'il n'avait pas remarqué, trop absorbé par la position délicate dans laquelle se trouvait la jeune femme.

- Va falloir monter, on dirait.

Subitement, les deux padawans se jetèrent chacun de leur côté en entendant le son d'un fusil blaster. Liam serra les poings de rage en voyant trois autres soldats d'élite sur une plate-forme voisine. Ils durent reculer pour se mettre à l'abri.

- Ils ne sont que trois.

- Oui, mais ils sont en position nettement avantageuse par rapport à nous.

- Ce n'est pas le problème. Ce qu'il faut, c'est savoir où on doit aller, nous.

- Regarde, il y a un monte-charge au pied de l'échafaudage !

C'était vrai. De l'autre côté de l'espace libre où ils se tenaient, il y avait un élévateur rudimentaire.

- Qu'est-ce que nous allons faire, maintenant ?

- Va vite délivrer Dame Liryl, je te couvre.

- Quoi ?!

- Va sauver Liryl, et moi je les retiens.

- Mais… ils vont te massacrer !

- Dix soldats d'élite, c'est beaucoup, mais trois seulement, je peux gérer.

- Tu… tu es sûr ?

- Fais-moi confiance.

La jeune Drall finit par faire un petit signe de tête. Liam avança alors crânement, se mettant ostensiblement au milieu de la piste de l'échafaudage métallique, puis il invectiva les soldats d'élite.

- Hé, les hommes en blanc rouges ! C'est tout ce que vous savez faire ?

L'un des soldats d'élite envoya un rayon laser dans la direction du padawan. Celui-ci fit un pas de côté, juste suffisant pour éviter le tir. Son air assuré laissait toutefois présager qu'il avait intentionnellement laissé aussi peu de marge. Il ne s'en tint pas là, et resta droit comme un I, bras tendus, pour les encourager à renouveler leur assaut. La jeune fille ne voulut pas en voir davantage, même si elle pensait que son condisciple était maître de la situation. Elle baissa la tête, inspira un bon coup, et courut le plus vite qu'elle put.

En quelques foulées rapides, elle fut dans la cabine dont elle rabattit la porte grillagée. Elle appuya sur le bouton pour monter, mais il ne se passa rien. Elle pressa tous les boutons un par un, de plus en plus fébrilement, rien de rien. C'est alors qu'elle repéra le trou de serrure près du panneau. Elle sentit son museau se froncer de frustration.

Impossible d'utiliser l'ascenseur ! Il va falloir… oh non ! Par le Grand Fouisseur !

Eh oui, sans ascenseur, il n'y avait qu'une autre solution : l'échelle de secours. Elle leva la tête, et distingua la plate-forme octogonale par les interstices de l'assemblage métallique. Résignée, elle quitta la cabine et agrippa fermement les premiers barreaux.

Bien qu'elle n'avait pas l'habitude de jouer les acrobates, la jeune fille gravit les échelons à toute vitesse, avec détermination. Elle tâcha de fermer son esprit pour ne pas penser aux bruits du furieux combat qui se jouait sous ses pieds, et surtout ne pas regarder en bas. Son ascension lui parut durer une éternité, durant laquelle elle espéra ne pas ressentir de contrecoup dans la Force qui lui aurait indiqué le décès brutal de son condisciple. Quand elle fut arrivée à mi-hauteur, elle résolut de fermer les yeux et de ne penser qu'à la Dame de Sérénité. Et elle reprit son ascension, grimpant lentement, mais sûrement.

Enfin, elle sentit sous ses phalanges duveteuses une surface plane et rugueuse. C'était bien la tôle de la plate-forme supérieure. Elle se hissa maladroitement, et examina rapidement la situation. Liryl était à une petite dizaine de mètres – elle ne pouvait cependant la voir, la plaque étant orientée dos à elle. Il y avait un pupitre directement relié à la plaque octogonale, probablement le dispositif de fonctionnement, songea la petite Drall. Elle joignit les mains en porte-voix et cria :

- Tiens bon, Liryl ! J'arrive !

Chi'ta devina un mouvement de la tête de la Dame de Sérénité. Elle avança sans hésiter sur la passerelle vers le panneau de commande. Mais alors qu'elle passait près d'un pilier de soutien, elle entendit une voix autoritaire ordonner :

- Ne bougez plus !

Avant de sentir se poser sur sa tempe le canon d'un blaster.

Comment ai-je pu ne pas le voir venir ? se maudit-elle intérieurement alors qu'elle vit un Humain en combinaison de laborantin sortir de sa cachette et se positionner devant elle.

- Je regrette, mais je ne peux pas vous laisser avorter mon projet.

- « Votre » projet ? répéta la jeune fille. Vous êtes l'ingénieur Leenus ?

- Pour ne pas vous servir, espèce de mulot hypertrophié !

Pendant une fraction de seconde, elle crut sentir une onde glaciale lui parcourir l'échine, et entendit même une voix désincarnée lui chuchoter d'éliminer l'auteur des effroyables expérimentations impériales. Elle comprit que c'était le Côté Obscur qui se manifestait à elle, et cela l'inquiéta davantage. Elle ne voulait pas, ne devait pas laisser éclater sa révolte et utiliser la Force pour le tuer. Inconscient de cette terrible lutte interne qu'elle menait, Leenus continuait de menacer la jeune fille.

- Pendant des années, j'ai attendu une occasion comme celle-là. Je sais que Thorn peut nous mener à la victoire. Il m'a accordé ce que personne ne m'avait jamais donné : sa confiance en mes idées. Et croyez bien que je ne trahirai pas cette confiance. Vous pouvez tenter de sortir votre amie du dispositif de transfert de flux, mais je ne vous laisserai pas faire. Vous n'aurez pas le temps de sortir votre arme, je vous aurai carbonisé le poil avant !

Chi'ta leva lentement les mains, se concentra, fouillant dans son esprit à la recherche d'une bonne idée.

Le convaincre de me laisser partir implique un geste et une parole, il m'abattra. Et si… ?

Un claquement sec éclata derrière l'Humain. Leenus tourna la tête par-dessus son épaule, détournant ainsi son blaster. La ruse de la petite Drall avait réussi : elle avait repéré un projecteur, et l'avait fait tomber d'un geste presque imperceptible du bout des doigts. Elle se jeta en avant, saisit le bras de Leenus, et planta ses incisives dans son poignet. L'ingénieur glapit de douleur et en lâcha son pistolet qui tomba dans le vide.

- Sale petite…

Chi'ta ne le laissa pas finir sa phrase elle balança de toutes ses forces son pied en avant, le frappant au ventre. Leenus se retrouvé courbé en deux. La jeune fille claqua alors simultanément ses paumes sur les oreilles de l'Humain qui gémit en tombant à genoux. Elle tourna les talons et reprit sa course de plus belle vers le pupitre de commande. Elle se retrouva aux côtés de la Dame de Sérénité. Comme elle se tenait plus près, elle vit plus précisément les câbles s'enfoncer dans la chair de Liryl. Aucune goutte de sang ne perlait, mais elle devina qu'un tel dispositif ne pouvait procurer que des sensations désagréables. Pleine de compassion, elle prit délicatement la main de la Kathol, et la serra avec douceur.

- Ne t'en fais pas, je suis là. Je vais te sortir de cet instrument de torture.

La jeune femme ne pouvait lui répondre à cause du casque d'isolation, mais Chi'ta sut qu'elle l'avait entendue quand elle sentit trois légères pressions régulières.

- Bien. Voyons voir…

La petite Drall était cependant bien ennuyée : le panneau de contrôle n'apportait aucune indication claire sur la fonction de telle ou telle commande. Des leviers, des boutons avec des symboles qu'elle n'avait jamais vus. Il y avait bien un petit écran, rempli de lignes de termes médicaux tous plus abscons les uns que les autres.

Vais-je risquer d'actionner les touches au hasard ? Ce serait dangereux !

Mais alors qu'elle se demandait que faire, elle eut une vision fugitive mais très nette d'elle-même, dos tourné, pendant qu'une respiration rauque grondait. Reprenant ses esprits, elle réfléchit à toute vitesse sur la signification de cette image.

C'est comme si quelqu'un était juste… Blast !

Elle pivota sur ses talons, et n'eut que le temps de croiser ses avant-bras devant son visage en voyant Leenus balayer l'air avec une clef de serrage. Le choc lui meurtrit les coudes. Sous le coup d'une douleur aiguë, elle perdit l'équilibre, roula sur l'acier, passa par-dessous la barrière de sécurité, et bascula en contrebas.

En moins d'une seconde, elle réalisa qu'elle était en train de chuter, et qu'elle devait agir vite et bien pour avoir une petite chance de s'en sortir. Elle ferma les yeux, se concentra, verrouilla son esprit, et focalisa ses pensées sur elle-même, distingua le niveau inférieur de la tour d'alimentation qui se rapprochait à toute vitesse, et fit appel à la Force pour ralentir sa chute. Ne pas tomber trop vite, ne pas faire de chute mortelle, se redresser… grâce à sa maîtrise de la Force, le temps sembla ralentir peu à peu, sa vitesse de chute semblait réduite de moitié, ce qui lui permit de se mettre à peu près à la verticale. Elle vit le plancher métallique venir à elle, irrésistiblement. Tendant les mains en avant, elle s'apprêta à se recevoir…

Ses pieds entrèrent en contact avec le sol, puis ses genoux, et enfin ses paumes. À peine eut-elle touché la surface froide qu'elle ressentit le contrecoup de la chute la jeter par terre.

Pendant quelques secondes, la petite Drall ne pensa qu'à sa respiration, et analysa brièvement sa condition physique. Elle était sonnée, de vives douleurs lacéraient ses membres, mais elle était toujours vivante, et put se relever, péniblement. C'est alors qu'elle perçut une sensation très désagréable qui surpassa peu à peu ses contusions. En se retournant, elle ne fut pas surprise de voir Daymon Thorn s'approcher lentement d'elle.

- Vous n'auriez pas dû revenir. Maintenant, vous allez vraiment souffrir.

Chi'ta sentit la peur étreindre sa trachée, mais elle tâcha de se remémorer toutes les techniques de transe, de contrôle de soi qu'elle avait pu mémoriser au cours des derniers mois. Elle jeta un bref coup d'œil vers l'échelle…

- N'y pensez même pas !

Thorn leva la main, et serra le poing. La jeune fille entendit un crissement métallique, et vit l'échelle s'arracher de ses crochets de soutien, se plier, se tordre, se disloquer et s'enrouler sur elle-même.

- Maintenant, c'est entre vous et moi, Chi'ta Koskaya.

La jeune Drall tremblait toujours, mais elle dégaina le sabre-laser de Liam, l'alluma, et se dressa de toute sa hauteur, prête à frapper. Daymon Thorn éclata de rire.

- Alors quoi ? On n'essaie plus de m'ouvrir les yeux ?

- Non, plus maintenant. Je vois bien que c'est inutile. La colère et l'avidité sont les seules forces qui vous animent. Et je ne puis vous laisser mener vos odieux projets à bien sans rien faire.

Le Sith porta à son tour la main à son arme.

- Se battre, c'est tout un art, petite sotte. Un art auquel vous n'avez sans doute pas été formée de manière aussi assidue que moi. Soyez raisonnable, vous n'avez aucune chance contre moi, nous le savons tous les deux. Acceptez de vous rendre, et je pourrai peut-être vous trouver une fonction dans mon administration.

Chi'ta ne relâcha pas sa garde. Bravement, elle répliqua :

- Plutôt mourir en luttant contre vous que trahir l'Ordre en vous rejoignant !

Thorn eut un sourire cruel.

- Qu'il en soit ainsi.

Thorn abaissa lentement sa main droite vers la poignée de cuivre de son arme, mais alors qu'il allait la décrocher de son ceinturon, il brandit l'autre main, doigts tendus vers la jeune fille. Celle-ci sentit une force invisible comprimer ses poumons, et la soulever à quelques centimètres au-dessus du sol. Par réflexe, elle lâcha le sabre, et porta ses mains à sa trachée, sans résultat. Sa vue se brouilla, elle eut de plus en plus de mal à entendre et à respirer. Le Sith ricana et balaya l'air d'un geste large, envoyant la pauvrette s'écraser contre un mur.

- Eh bien, souriceau, on ne vous a pas appris à vous défendre contre ça, je suppose ? C'est pour ça que les agents du Côté Obscur l'emportent : ils n'ont pas de limites.

Chi'ta reprit son souffle, essayant de se relever.

- Le… le Seigneur Vador… a été vaincu…

- Vador n'était qu'une marionnette ! Moitié esclave de Palpatine, moitié détruit par toute sa quincaillerie ! Je l'ai dit à votre condisciple, je ne sais pas précisément comment ils ont fini tous les deux, mais je mettrais ma main à couper qu'il a laissé le doute empoisonner son intellect, créant ainsi une brèche que ses ennemis ont exploité. Je ne commettrai pas la même erreur ! Et je ne faillirai pas !

Il tendit de nouveau le bras, et ironisa :

- Attendez, je vais vous aider !

La jeune fille suffoqua de nouveau, la gorge prise par l'étau de Force noire, et se retrouva de nouveau en l'air.

Caché quelques mètres en hauteur dans un recoin sombre entre deux poutrelles, Liam garda son calme. Il visa lentement la tête de Thorn avec le fusil de l'un des soldats d'élite qu'il avait abattus, et pressa la gâchette. Grâce à ses sens exacerbés, le Sith avait anticipé et esquivé l'attaque mais, déstabilisé, il avait lâché Chi'ta. Celle-ci se réceptionna tant bien que mal, et se releva avec effort. Thorn repéra le jeune homme, et gronda :

- Ce n'est pas très fair-play !

- Martyriser une fille beaucoup moins balaise que vous avec vos maléfices, c'est fair-play, aussi ?

En guise de réponse, Thorn claqua du doigt, faisant tomber le fusil blaster en pièces détachées. Mais le jeune homme ne se découragea pas. D'un bond acrobatique, il descendit de son perchoir improvisé, et fit face à Thorn, mains sur les hanches. Celui-ci eut un hochement de tête admiratif.

- J'aime votre style, vraiment. Oui, définitivement, vous ne manquez pas de ressources. Vous me paraissez bien plus intéressant encore qu'à notre dernière rencontre. Votre potentiel n'a fait qu'augmenter, avec le temps et l'exercice.

- J'ai été aidé. Et j'ai appris quelque chose de très instructif sur vous.

- Ah oui ? répondit Thorn avec amusement. Je vous écoute, mon jeune ami.

- Je ne suis pas votre ami. Je ne serai jamais l'ami de l'assassin de mon Maître !

Le rictus cruel du seigneur s'estompa, laissant place à une légère crispation d'interrogation.

- J'en ai rectifié tellement… Qui était-ce ?

- Le chevalier Duncan Blackstorm.

- Quoi ? Cet imbécile exalté !

Thorn cracha de mépris un jet de salive noirâtre et acide.

- Il a balancé dans l'espace des années de recherches, de travaux hors de prix, il est responsable d'un grand gâchis ! Il n'aura pas volé son dû !

- C'était une arme biologique construite au mépris de tout respect pour la vie !

- Une belle phrase pour une belle ânerie, jeune fou ! C'est précisément pour cette vie que vous chérissez tant que je me bats. Si nous avions pu mener ces recherches à leur terme, cette arme aurait pu écraser un peuple entier de non-Humains agressifs sans le moindre risque pour nous ! C'est cela que vous ne semblez pas comprendre, Liam Kincaid. Je ne suis pas votre ennemi. Les vrais ennemis sont les non-Humains qui menacent la paix universelle, comme font les Kathols !

- Oui, mais vous vous mettez à leur niveau en agissant de la sorte !

- Quel mal y a-t-il à combattre le feu par le feu ? C'est ce que je reproche à votre enseignement. Le Grand Inquisiteur Tremayne m'a longuement parlé des objectifs de l'Empereur Palpatine. Ordonner l'univers, imposer la discipline… et être en mesure de maintenir la cohésion devant des menaces telles que les Kathols.

Chi'ta profita de cet échange pour ramasser subrepticement l'arme de Liam, toujours par terre. Le jeune homme insista :

- Est-ce que cela excuse tout ce que les Sith ont fait ? La Guerre des Clones, et les purges, et les conquêtes de Thrawn, et vos plans de dictature ?

- Il faut bien faire des sacrifices pour que les choses puissent progresser. Sans ces actes dont vous me parlez, décriés par vos professeurs, l'univers serait un véritable chantier à l'heure qu'il est. Les Jedi qui ont été massacrés pendant les purges n'étaient pas fiables, on n'aurait jamais pu les convertir… en tout cas, la majorité d'entre eux n'auraient pas accepté les règles, contrairement à d'autres tels que Dark Vador ou moi. Nous avons tous les deux accepté de nous plier à la discipline des Sith, et sans les actes dérisoires et ridicules de vos semblables, nous serions déjà prêts à écraser les Kathols depuis longtemps.

Liam ne répondit pas.

- Allez, vous m'êtes sympathique, et pour être remonté jusqu'à moi, je vous propose une dernière fois de travailler pour moi. Non, avec moi.

Liam ne répondit pas. Il décrocha lentement le sabre-laser d'Ageer de son ceinturon, et appuya sur le bouton d'ignition. La lame violette jaillit dans un sifflement aigu. Thorn recula instinctivement, allumant à son tour son sabre et se mettant en garde.

- Tiens, tiens… je reconnais cet objet. Vous avez récupéré son sabre-laser.

- C'est une arme fabriquée par les Kathols. Je sais que contre elle, votre armure ne vous sera d'aucune utilité !

- Peut-être, mais pour cela, il faudrait d'abord réussir à me toucher !

Liam leva lentement le sabre Kathol au-dessus de sa tête, alors que Thorn s'apprêta à parer le coup. Mais Liam brisa son mouvement, et fit un immense salto vers l'arrière. Pendant un bref instant, le Sith hésita. Le padawan Gardien ne retomba pas sur le sol, mais prit appui en plein air sur une lourde poutrelle d'acier de soutien, et plongea tout droit vers son adversaire. La lame d'énergie violacée siffla. Thorn dut faire un mouvement rapide pour parer le coup, et prit élan sur le choc pour faire un large balayage. Liam, qui avait anticipé le coup, s'était reçu en faisant une roulade avant, et l'arme de Thorn passa largement au-dessus de lui.

Le Sith devina un mouvement sur sa gauche. Il abattit son sabre-laser écarlate de haut en bas. Chi'ta recula d'un bond, déviant le coup juste assez pour ne pas se faire couper le pied, et se jeta sur le côté pour éviter un deuxième assaut du Sith. Thorn se mit en garde, devant les deux padawans côte à côte. Comme ils attendaient un geste de sa part, il se détendit, et eut même un petit sourire.

- Je m'attendais à moins de talent de votre part, mademoiselle Koskaya.

- Vos compliments me laissent froide, Seigneur Thorn.

- Et si je vous avais insultée ?

- Pareillement. Un Jedi ne se laisse pas submerger par des émotions superflues, encre moins lorsqu'il s'agit d'insultes. Il n'y a pas d'émotion, il y a la paix.

Le Seigneur Thorn baissa son sabre-laser.

- Ah, si tout le monde avait votre discernement… l'univers avancerait au moins cent à trois cents fois plus vite qu'il ne le fait actuellement.

- Arrêtez de fantasmer, Thorn ! répliqua Liam.

- Ce n'est pas si idiot, comme raisonnement, jeune sot. Vous n'avez jamais pensé au moins une fois dans votre vie dans mon sens ?

- Comment ça ?

- Il ne vous est jamais arrivé de maudire la bêtise générale d'une assemblée, ou d'un peuple, ou d'un quelconque groupe qui reste tellement englué dans sa cécité que vous désespériez de pouvoir en tirer quelque chose de positif ?

Pendant un court instant, Liam pensa à tous ces moments où il avait été confronté à la fange politicienne de Procopia, en particulier après l'attaque du Paradis Stellaire.

- Oui, je vois que vous commencez à saisir. C'est ce que j'expliquais à votre charmante amie. Plus les gens sont nombreux, moins ils sont capables de comprendre. Il suffit de mal parler à la grande majorité d'entre eux pour leur faire perdre toutes leurs facultés de raisonnement, et les rendre primitifs. Ils se noient dans leurs propres déchets sans même s'en apercevoir.

- Justement, nous sommes là pour les élever ! insista la jeune fille.

- C'est affligeant, à quel point vous pouvez être naïve, à la fin ! Il n'y a aucun moyen de les « élever » ! Ils sont trop nombreux, trop obtus, et leur intellect est trop alourdi par leurs croyances superflues et leur bêtise générale ! Moi, je me suis fait à cette idée. Il n'y a rien à espérer du peuple. Alors si l'on veut faire avancer les choses, la seule solution est de le briser, afin qu'il soit suffisamment malléable pour qu'on le pétrisse selon sa volonté ! Vous êtes parfaitement capables de m'accompagner dans cette entreprise, tous les deux ! Ne soyez pas stupides, abandonnez ces menteurs de l'Académie et ces misérables vauriens qui sont derrière vous, et soyez mes disciples ! Vous n'aurez de compte à rendre à personne d'autre qu'à moi dans tout cet univers !

Les deux padawans se regardèrent. Le jeune homme n'eut pas à réfléchir longtemps sur la conduite à tenir en voyant le regard de sa condisciple.

- Et si jamais votre plan fonctionne, que comptez-vous faire ?

- Cette question ! Étendre mon influence le plus loin possible ! Je balaierai les plus coriaces, et soumettrai à ma volonté les plus faibles !

- Et quelle sera votre première cible ?

- Coruscant, bien sûr. Les Républicains nous narguent depuis trop longtemps, il est temps de leur montrer qui est le maître !

Le jeune homme un petit sourire grinçant.

- Mes parents habitent Coruscant. Raison de plus pour ne pas vous laisser faire.

- Je vous en prie ! Ne me sortez pas le couplet altruiste ! C'est démodé et insensé.

- Pas si insensé que ça.

Liam avait pris de l'assurance, et s'était un peu détendu. Marchant à pas lents de long en large, il déclara :

- Voyez-vous, j'ai commencé à comprendre ce que vous disiez, au sujet de la « Vérité ». J'ai parlé plusieurs fois avec mon amie Chi'ta, et elle m'a aidé à réfléchir sur pas mal de choses. En fait, personne n'agit de manière purement altruiste. Si je veux défendre ceux que j'aime, c'est avant tout pour moi ! Si je vous laisse détruire Coruscant, beaucoup de gens vont mourir, beaucoup vont souffrir, mais moi, je souffrirai autant, sinon plus, car non seulement je serai malheureux d'avoir perdu mes amis et ma famille, mais en plus je me sentirai écœuré en me rappelant que j'avais le pouvoir de faire quelque chose mais que je ne l'ai pas fait ! Donc, je ne me sentirai plus jamais tranquille. Je passerai le restant de mes jours à me mépriser, à me détester, et ça, je ne veux pas ! Je cherche le bien des autres, mais je cherche avant tout le mien.

- Tout comme moi. Vous avez compris, jeune disciple. Voyez, nous sommes plus proches que vous ne le disiez autrefois.

- Vous faites erreur, Thorn. La différence est que mon bien-être passe par celui des autres, tandis que vous, c'est la souffrance et la mort qui vous font jouir. Sous vos airs de conquérant et de rectifieur, vous n'êtes qu'une sombre brute assoiffée de carnage, et vous arrêter n'est pas seulement un devoir de Jedi et de l'aide à mes semblables, c'est quelque chose que je veux faire pour moi !

- Je suis entièrement de ton avis, Liam ! C'est raisonné en vrai Consulaire !

- Comme c'est touchant ! ricana le Sith.

Grâce à la Force, il se propulsa en avant, le sabre-laser tourbillonnant au bout de son bras. Les deux jeunes gens s'écartèrent vivement. Thorn décida que l'échauffement était terminé. Tout alla très vite. Il abattit son poing droit ganté de métal sur le crâne de Chi'ta qui s'effondra mollement, puis envoya son coude gauche dans le flanc du jeune homme. Celui-ci, plus aguerri que la padawan Consulaire, avait anticipé et esquivé le mouvement. Malheureusement, il avait mal saisi la configuration de son environnement, et heurta la rambarde de sécurité. Le Sith en profita pour le repousser d'une vague de Force, le faisant passer par-dessus la barrière. Le jeune homme cria de panique, et eut le réflexe de s'agripper à la plate-forme de sa main libre.

Il ne put réprimer un frisson en voyant la lourde silhouette du seigneur Sith au-dessus de lui. D'un solide coup de talon, Thorn écrasa d'un coup sec les doigts du jeune homme. Liam hurla.

- Alors, comment t'a-t-on appris à te sortir de ce genre de situation ?

Pour toute réponse, le padawan balaya furieusement au-dessus de lui avec l'arme d'Ageer. Mais la lame traversa les mollets du seigneur sans même ralentir sa course. Thorn éclata de rire.

- Ce sont des jambes métalliques, ton cher Maître m'a coupé les anciennes !

Il appuya plus fort sur la main de Liam, qui gémit davantage en sentant ses phalanges craquer. Un tir de blaster fendit l'air. Thorn leva le bras, para le tir d'un geste net et précis de son arme. Quand il vit Chi'ta qui braquait sur lui l'arme de poing de Leenus, il grommela.

- Attends un peu que je t'attrape !

Il lui arracha le blaster des mains à distance d'un seul geste, l'envoyant dans la lave, puis courut vers la jeune fille à pas lourds avec un rugissement furieux. Celle-ci fit alors un magnifique salto, le laissant passer au-dessous d'elle. Emporté par son élan, il s'écrasa gauchement contre une lourde caisse de matériel.

Liam sentait les doigts de sa main gauche glisser, glisser, encore et encore… Il se voyait déjà dissous dans le lac de lave en contrebas. Il savait qu'il devait ranger le sabre Kathol à sa ceinture pour pouvoir utiliser sa main valide, mais tout alla trop vite. Il lâcha prise, et tomba… pendant une fraction de seconde, stoppé dans sa chute. Le poing costaud de Canderous l'avait attrapé par l'avant-bras. D'un coup sec, le mercenaire ramena le padawan à sa hauteur.

- Allez, fiston, ramène toi !

Le jeune homme s'agrippa à la rambarde, se hissa et sentit les plaques d'acier sous ses semelles. En voyant Ezra et Dankin arriver à leur tour, il eut un petit soupir de soulagement.

- Eh ben c'est pas trop tôt !

La jeune femme lui fit un clin d'œil.

- Hé, vous n'alliez quand même pas vous amuser sans nous ?

Thorn, lui, était furieux.

- Ceci ne vous concerne pas. Ne vous mêlez pas de ça !

- Justement, on a envie de s'en mêler, salaud de Sith !

Ezra sortit son blaster de sport, et le brandit vers Thorn. Celui-ci aboya :

- Vous vous moquez de moi !

Il serra le poing, et l'arme de la Calipsa tomba instantanément en morceaux. Puis le Sith tapa du pied sur la passerelle. Ezra écarquilla les yeux en voyant arriver droit vers elle une boule d'énergie rouge cernée d'étincelles rouler sur le sol dans sa direction. Elle sauta vers une chaîne de levage qu'elle attrapa, et leva les jambes juste à temps pour éviter la décharge.

Dankin, dont le poil était hérissé à cause de l'électricité statique, braqua son arbalète droit vers le Sith. Il décocha un carreau explosif que l'Impérial arrêta dans sa course d'une violente poussée de Force. Le projectile, en suspension sur place dans les airs, finit par éclater.

- Laisse, Dankin. Le monsieur veut se faire câliner moins proprement.

Le Mandalorien sortit lentement de son fourreau sa vibro-lame double Jengardin.

- Tu sais que ça t'attend depuis notre première rencontre, Thorn ?

- Me menacer avec une épingle ! Pauvre idiot !

Canderous se mit en garde. Outré par une telle assurance, le Sith leva son sabre-laser, puis passa à l'attaque, porta un coup d'estoc en avant. Il s'attendait à couper la vibro-lame du mercenaire, mais à sa grande surprise, il sentit une nette résistance quand la lame d'énergie se retrouva coincée dans l'encoche entre les deux tranchants jumelés de l'arme de son adversaire, qui la rabaissa jusqu'à la forcer à se planter dans le sol. De l'étonnement, le Sith passa à l'amusement.

- Ah, je comprends ! De la cortose !

- J'ai toujours voulu affronter un Sith. Grâce à cette arme, c'est faisable.

Et le mercenaire envoya un coup de boule, mais Thorn tint bon. Il ricana.

- Ton vœu est exaucé… pour ton plus grand malheur ! Ordre de mise en fonction !

Au moment où Thorn prononça cette dernière phrase, plusieurs des caisses de matériel aux alentours s'ouvrirent simultanément, laissant sortir quatre appareils, petits mais très meurtriers. Liam reconnut le modèle pour l'avoir vu dans les bases de données de l'Académie Jedi. Il s'agissait ni plus ni moins de quatre exemplaires du redoutable modèle DRK-1, dit « Œil Noir ». Un redoutable tireur furtif et rapide dans une boule d'acier noir volante de cinquante centimètres de diamètre. Canderous n'eut pas à réfléchir longtemps.

- Dankin, Liam, Chi'ta ! Occupez-vous de ces saletés !

Déjà les premières rafales laser fusaient vers le Mandalorien. Liam lança ses pouvoirs de combat pour dévier un maximum de tirs. Il essayait bien de les renvoyer vers les drones, mais ces petites machines vicieuses avaient été bien programmés. Comme elles changeaient aléatoirement de direction, impossible de prévoir leur emplacement à la seconde suivante, et donc de renvoyer leurs blasts directement sur elles. Dankin eut du mal à viser les sphères volantes, et gronda des injures dans sa langue natale. Quant à Chi'ta, elle tâchait de ne pas céder à la panique, et se contenta de se concentrer, pour retrouver son calme, et transmettre un peu de ce calme à son camarade d'études pour l'aider.

Toujours suspendue à sa chaîne, la doctoresse Calipsa jeta un bref coup d'œil vers Thorn. Comme elle vit qu'il était pris d'assaut par Canderous, lui-même couvert, elle décida de leur laisser la part de combat, et de porter secours à la Dame de Sérénité. Elle n'eut besoin que de quelques minutes pour atteindre la passerelle de la plaque octogonale. Près de la Kathol se tenait un sinistre individu qui était penché sur le pupitre de commandes. Celui-ci, mû par une mauvaise intuition, regarda de tous les côtés, et la vit s'approcher.

- Qui que vous soyez, vous ne m'aurez pas ! Je mènerai mon projet jusqu'au bout !

Il s'approcha, et brandit sa lourde clef de serrage.

- Faites un pas de plus, et je vous fracasse le crâne !

La jeune femme passa la main dans son dos, mais eut un frisson désagréable en ne sentant pas son fusil à impulsions d'habitude dans son baudrier dorsal.

J'ai dû le perdre en échappant à Thorn… Bon, comment je fais, maintenant ?

- Vous êtes l'ingénieur Leenus, n'est-ce pas ?

- « Maître » ingénieur. Oui, c'est moi, mais le savoir ne vous sera d'aucune utilité.

- Au contraire ! Je suis le docteur Ezra Lohrn. Je suis aussi spécialisée dans la biologie. Nous sommes entre confrères, d'une certaine façon.

- Je sais qui vous êtes, mon Seigneur m'a parlé de vous. Et il est hors de question que je vous laisse approcher de mon œuvre !

- Écoutez…

- Plus un mot, plus un geste ! Je ne vous fais pas confiance, garce Rebelle !

Ezra n'aimait pas du tout se faire insulter. Elle comprit aussi qu'il n'y avait rien à espérer de ce scientifique. Aussi changea-t-elle de stratégie.

- Primo, je ne suis pas une Rebelle, je sers la Maison Calipsa. Secundo, je n'ai pas le temps de discuter. Vous ne ferez pas souffrir cette personne une minute de plus. Et si vous n'arrêtez pas votre machine tout de suite, je vais le faire pour vous.

Et elle sortit de son gilet une grenade. L'ingénieur écarquilla des yeux effrayés.

- Vous… vous n'oseriez pas faire ça ?!

- Je croyais que vous me connaissiez ? Si c'était le cas, vous sauriez que je le ferai.

- Mais… vous allez tuer votre amie !

- Je parie qu'elle préfère mille fois cela à continuer d'alimenter vos engins.

Et sans hésiter, elle amorça la grenade avant de la lancer vers l'Impérial. Affolé, celui-ci lâcha son outil, et se précipita comme un dératé vers l'explosif. Il le saisit à deux mains, et le balança par-dessus la rambarde, le plus loin qu'il put. Une fois de plus, l'audacieuse doctoresse avait forcé son opposant à baisser sa garde. En deux enjambées, elle fut sur lui. Elle l'agrippa par le col, et lui envoya un coup de poing dans l'œil, puis un autre au menton. Leenus n'avait aucun entraînement au combat, et se retrouva vite au sol.

En revoyant Dame Liryl sur son chevalet, prisonnière et soumise à un supplice inhumain, la jeune femme ne tint plus. Elle s'assit par terre, et poussa violemment l'ingénieur des deux pieds. Il passa sous le garde-fou, et tomba, alla s'écraser vingt mètres plus bas tête la première, au pied de l'échafaudage.

Ezra vit le panneau de commande, et eut un sourire entendu. Elle se tourna vers la Dame de Sérénité.

- Ne vous en faites pas, ma Dame. J'ai déjà trafiqué des bécanes plus tordues !

Il n'y avait d'ailleurs rien à trafiquer, c'était un ordinateur médical tout ce qu'il y avait de plus banal, l'un des premiers qu'elle avait appris à utiliser. Pendant qu'elle naviguait dans le programme, elle s'attarda un peu sur les divers paramètres, et les informations contenues. Elle se surprit même à s'intéresser à toutes les données de Leenus. Ces recherches avaient abouti à des résultats à la fois effrayants de par leur manque d'éthique et à l'efficacité fascinante. Soudain, elle se rappela la position inconfortable de Dame Liryl, et s'empressa d'arrêter le processus. En quelques manipulations, elle retira les crochets, descella le casque et le lui enleva doucement. Enfin, les bracelets blindés s'ouvrirent dans un grand claquement.

La Dame de Sérénité inspira avec soulagement. Ezra eut un coup au cœur en voyant des larmes inonder ses joues, puis en considérant son état général. Elle avait l'air anéantie, brisée, vidée, mais elle vivait toujours. Elle eut même un petit sourire.

- J'ai tenu bon… docteur Lohrn. Il n'a pas eu… ce qu'il convoitait…

- Ne parlez pas.

Liryl essaya de se lever, mais parvint seulement à s'étaler lamentablement sur l'acier.

Ca doit ressembler à ça, un ange qui souffre, songea la doctoresse qui sentit ses tripes se nouer. Elle l'aida à s'asseoir avec précaution contre le panneau de commande.

- Je vais vous donner quelques bricoles.

- Ne vous en faites…

- Arrêtez, vous avez fait vos preuves ! Je suis médecin, je ne peux pas vous laisser dans cet état !

Ayant dit, elle porta la main à sa sacoche dorsale, et en sortit des médicaments.

Plus bas, le combat faisait rage. Liam déviait toujours les rafales des drones, et parvint finalement à se montrer plus rapide. Il parvint finalement à renvoyer un tir laser sur l'un des appareils volants qui se disloqua. Chi'ta, de son côté, était épuisée. Devoir esquiver autant de tirs de blaster et parer ceux qui menaçaient le Mandalorien était un exercice particulièrement éprouvant pour elle. Et fatalement, l'un des rayons mortels de l'une des sondes l'atteignit à l'épaule droite. Elle tomba à la renverse en couinant. Comme dans un rêve, elle vit la sphère noire se stabiliser juste au-dessus d'elle, ne pouvait détacher ses prunelles de son balancement hypnotique. Une petite lueur s'embrasa au bout de l'un de ses canons… quand tout le drone explosa d'un coup. La jeune Drall sursauta, revenant à elle. Non loin d'elle, Dankin rechargea son arbalète.

Et Canderous jubilait. Le combat contre Thorn était de plus en plus excitant à ses yeux. Le Seigneur Sith n'arrivait pas à voir les sentiments du mercenaire dont le visage était masqué. Lui qui réussissait à lire dans tous les cœurs, c'était la première fois qu'il se trouvait face à quelqu'un d'imperméable à ses facultés de perception. Soudain, il comprit. Tout en continuant à lutter, il triompha :

- Pas étonnant que j'aie autant de mal à te cerner, espèce de pirate ! Tu es un Mandalorien !

- T'en as mis du temps !

- Ton armure n'est pas seulement un artifice volé à un collectionneur… Tu es celui que tu prétends être !

- Avec fierté, vermine Sith !

- Pas de quoi être fier ! Tu n'es qu'une vulgaire anomalie chromosomique.

- « Anomalie », comme tu y vas, Thorn ! Je préférerais « Sabacc pur ».

- Alors prends cette Suite de l'Idiot !

À travers la visière de son casque sophistiqué, Canderous vit arriver à une vitesse irréelle le poing gainé de métal du Sith. Un quart de seconde. Puis un choc d'une violence terrible projeta sa tête en arrière, son corps suivit et s'écrasa durement sur la plate-forme. Il mit quelques instants à réaliser qu'une longue fissure parcourait le verre renforcé devant ses yeux, et que tous ses systèmes étaient en panne. Avec un grognement furieux, il se résolut à retirer son masque désormais inutilisable.

- Une vanne aussi minable que le Moff que j'ai abattu et un casque pratiquement neuf, enfoiré !

Canderous fit tournoyer sa vibro-lame de plus en plus rapidement, et déchaîna une pluie de coups sur le Sith. Celui-ci parait tous les assauts, mais réalisa qu'il devait y mettre toute sa concentration, que le plus petit écart pouvait lui coûter une balafre supplémentaire. Cette pensée l'énerva. Il réussit toutefois à repousser Canderous d'un geste puissant, serra les dents de rage, et s'écria :

- Tes capacités physiques ne m'impressionnent pas. Tu ne me fais pas peur !

- J'en ai rien à faire, du moment que je te fais mal !

Le Mandalorien esquiva de justesse un nouvel éclair de Force. Il abattit sa vibro-lame en biais, et atteignit le Sith au bras. L'armure se fendit, et l'un des fragments tomba, révélant une couche intérieure constituée de petits tuyaux de circulation d'huile, dont certains rompus sous le choc. Thorn en lâcha son arme.

De l'huile noirâtre gicla de la tuyauterie endommagée. Canderous pouvait même distinguer au travers des interstices la peau du Sith, blanchâtre, rugueuse, striée de veines bleues. Pour la première fois depuis très longtemps, Thorn sentit qu'il était face à quelqu'un qui pouvait lui causer de vrais problèmes. Bien qu'il fût complètement imperméable à la Force et privé de sens exacerbés, ce Mandalorien était suffisamment bon guerrier pour lui résister au combat. Bien plus, impossible de déceler ses intentions, et ses assauts répétés l'obligeaient à parer, contrer, esquiver sans cesse, lui interdisant le moindre répit pour utiliser pleinement les noires puissances de la Force. Cette pensée le mit hors de lui.

Il se jeta sur en avant, crispa alors les doigts de sa main valide sur le torse de Canderous, et serra les dents. Le mercenaire sentit une violente onde calorique lui chauffer la poitrine, mais l'armure, sa résistance naturelle et sa détermination lui permirent d'ignorer la douleur. Il agrippa de la main gauche le poignet de Thorn, et l'éloigna de sa poitrine, lentement, mais sûrement.

- Je te l'ai dit… faudra faire… mieux que ça !

Et de la main droite, il lui envoya un coup de pommeau de son épée dans les dents, lui éclatant la lèvre inférieure. L'imposant seigneur chancela, et dut reculer pour se rétablir.

- C'est assez !

Thorn fit un grand bond vers l'arrière. Il tendit la main, récupéra son sabre-laser par télékinésie, mais à la grande surprise de Canderous, il le raccrocha à sa ceinture. Puis il leva lentement les deux poings et gronda de plus en plus fort. La construction impériale toute entière se mit à trembler. D'odieux grincements métalliques lacérèrent tous les tympans. Le mercenaire entendit juste au-dessus de lui un craquement tonitruant. Il leva la tête, et ouvrit grand les yeux sous l'effet de la panique en voyant l'un des bâtiments préfabriqués tomber droit sur lui. Il se jeta en arrière, mais pas assez rapidement. Toute la masse s'abattit sur la plate-forme, et sur lui.

Thorn ricana, et ne prêta pas attention à Dankin. Grondant comme un fauve, le Togorien chargea, et percuta le Sith de plein fouet dans le dos, puis se mit en garde, ses redoutables griffes à hauteur de son visage. Il tourna lentement autour de son adversaire, guettant le moindre de ses mouvements. Thorn le suivit, au même rythme. Le chasseur était prêt à agir au plus petit geste agressif. Il sursauta quand il sentit une furieuse brûlure lui déchirer l'épine dorsale. En se retournant, il aperçut l'un des drones DRK-1, dont le canon était encore fumant. Il saisit son arbalète Wookiee, et la fit exploser d'un carreau.

Thorn lança alors la Force sur le Togorien, en une violente poussée. Dankin se sentit décoller. Pris au dépourvu, il lâcha son arme, et se mit à paniquer en se voyant voler au-dessus des plates-formes et du lac de lave. Quand il perdit de l'altitude, il battit l'air des deux bras, espérant se rattraper à quelque chose. Il se retrouva suspendu à bout de bras à une lourde poutrelle d'acier maintenue par d'énormes chaînes.

Liam suivait de l'œil le dernier drone de Thorn, et trouva enfin le bon angle pour renvoyer un tir sur le petit engin. La sphère noire perdit de l'altitude, et s'abîma dans le volcan. Il considéra alors la situation. Désormais, il n'y avait plus que les trois manipulateurs de la Force sur la plate-forme. Thorn ressortit lentement son sabre-laser, et le ralluma. Le jeune homme comprit qu'ils en venaient à la fin. Il leva encore le sabre d'Ageer, fit quelques pas chassés vers la gauche, puis à droite, et se lança en avant. Il effectua trois sauts en zigzag vers le Sith, puis au dernier moment, se laissa glisser par terre, passa entre ses jambes de fer, se releva et porta aussitôt un coup direct vers la tête de son adversaire. Thorn, pris au dépourvu par un tel culot, pivota sur ses talons, et leva son arme. Il dévia la lame violacée, pas complètement. Elle s'enfonça dans le flanc blindé de son armure, sans même en rayer la surface, contrairement à sa poitrine qu'il sentit transpercée.

Le Seigneur Sith hurla de douleur et de frustration, en voyant Liam jubiler. Il recula d'un pas, leva péniblement son bras affaibli. Le padawan Gardien fléchit sa jambe droite, gardant la gauche tendue, attendant le dernier moment pour réagir. Mais au lieu de lancer un maléfice sur le jeune homme, Thorn tendit brutalement la main vers Chi'ta, qui était restée en retrait. La petite padawan éprouva alors une sensation fulgurante directement dans les nerfs auditifs. Elle poussa un cri bref, mais suraigu, en rabattant les pavillons de ses oreilles contre son crâne.

- Chi'ta !

Il ne réalisa pas que la ruse de l'infâme Sith avait réussi. Une demi-seconde d'inattention, de quoi renverser encore la situation. Thorn utilisa la Force pour se déplacer à une vitesse surhumaine. Arrivé devant le jeune homme, il lui décocha un magistral coup de pied dans le ventre. Le choc fut si violent qu'il roula sur une dizaine de mètres avant de se retrouver face contre terre.

Liam constata avec horreur qu'il avait lâché le sabre d'Ageer. Plus grave, encore, une indescriptible douleur brûlait ses intestins, sans doute l'un de ses organes avait éclaté. Le foie, probablement, il ne savait pas précisément. En entendant les claquements réguliers des bottes de Thorn sur la passerelle se rapprocher de lui, il essaya de se relever, sans y parvenir.

- Tu es perdu, jeune imbécile. Ton destin était sans doute d'accomplir de grandes choses, mais parce que tu as refusé d'assumer ton originalité, et de sortir définitivement du rang, tu as préféré rester prisonnier de ces ridicules enseignements que t'ont inculqués ces pauvres indigents de l'Académie Jedi. Maintenant, tu vas comprendre qu'il est inutile de lutter. Il n'y a plus d'issue. Tel sera finalement ton destin, tel que tu l'auras décidé.

Chi'ta secoua la tête, espérant diminuer le vertige provoqué par le pouvoir du Côté Obscur. Elle entendit alors son condisciple murmurer quelque chose qui la laissa stupéfaite.

- Pitié… pitié…

Le seigneur Thorn eut un méchant sourire.

- Que dis-tu ?

- Je vous en supplie… épargnez-moi…

Le Sith s'accroupit près du padawan, tandis que Chi'ta était paralysée.

Non ! Non ! Par le Grand Fouisseur, ne tombe pas dans ses griffes !

- Alors, tu veux saisir ta toute dernière chance ? Répète donc un peu !

- Pitié !

La petite Drall sentit des larmes de désespoir perler dans ses yeux, alors que Thorn riait doucement de satisfaction. Mais au moment où le Sith tendait la main pour aider le padawan Gardien à se relever, celui-ci releva brusquement la tête, affichant un sourire goguenard.

- Épargnez-moi ces conneries sur le destin, on dirait un mauvais mélodrame !

Le visage de craie de Thorn s'empourpra, alors que la jeune padawan Consulaire éclata d'un rire hystérique.

- Insolent !

Avec un terrible rugissement, il se releva, et balaya l'air du bras, déclenchant une vague invisible de Force qui projeta le jeune homme si violemment qu'il en heurta la plate-forme d'au-dessus avant de s'aplatir sur le plancher métallique. Thorn était sur le point d'exploser de colère. Il se tourna vers la petite Drall, et ses yeux injectés de sang jetaient des étincelles de rage.

- Tu oses te moquer d'un Seigneur Sith ! Pathétique créature ! Crève !

Il tendit les deux mains, et aussitôt une flopée d'éclairs bleutés en jaillit, et frappa de plein fouet la jeune fille. Criant de douleur, elle alla s'écraser sur une paroi, et laissa tomber l'arme de Liam.

Dankin n'avait pas lâché la poutrelle d'acier. Il avait assisté, impuissant, à cet abominable spectacle. Il décida alors d'agir. Il se pencha en avant, en arrière, en avant, en arrière… et rapidement, la balançoire improvisée suivit le mouvement. Bientôt, il fut assez près de la plate-forme principale… Avec difficulté, il tenta de se positionner sur la poutre, et quand il jugea être suffisamment près, il bondit aussi loin qu'il put. Il avait toutefois mal estimé la distance, et il ne se reçut pas sur l'échafaudage, mais heurta la structure. Sa poitrine encaissa le choc, ce qui lui coupa le souffle. Il réussit à se raccrocher aux aspérités de la plate-forme d'acier du bout des griffes. Il essaya de se hisser avec l'énergie du désespoir… et y parvint finalement. Une fois sur le plancher stable, le Togorien ne prit pas le temps de reprendre son souffle. Il se précipita sur son arbalète.

Abrutie par l'énergie négative qui l'avait sérieusement malmenée, Chi'ta distingua vaguement la grande forme sombre de Thorn avancer vers elle, alors que sa voix rauque articulait lentement :

- Je commence à en avoir assez, petite peste ! C'est l'heure de ta punition !

Thorn empoigna la malheureuse par la peau du cou et la plaqua au sol, puis cala sa botte sur sa poitrine, lui coupant la respiration. Elle se débattit, tenta de repousser de ses deux mains la semelle renforcée, ce fut peine perdue. Le poids de l'armure l'étouffait de plus en plus. En lisant la peur et la souffrance sur son minois, Thorn se lécha les babines avec gourmandise. Il se délectait. Lentement, il leva son sabre-laser écarlate…

Dankin tira sur le Seigneur Noir. Celui-ci, averti par ses sens, anticipa l'attaque et abattit son arme en se dégageant sur le côté, désintégrant le carreau explosif. Il grogna en sentant les petits morceaux de métal incandescents lui brûler la joue. Dankin ricana en pensant avoir réussi son coup, mais son rire s'étrangla quand il baissa les yeux vers Chi'ta.

La pointe de l'arme du Sith avait gravement carbonisé l'abdomen de la petite Drall. Thorn s'éloigna encore d'un bond, reculant vers une cloison. Serrant les dents de rage, il crispa le poing vers le Togorien. Aussitôt, celui-ci sentit à son tour l'étau invisible lui serrer irrésistiblement les côtes.

- Déguste le pouvoir du Côté Obscur, sale bête !

Liam se remettait tant bien que mal. Il s'était affalé face contre terre, et son ventre lui faisait mal à chaque inspiration. Quand sa vue redevint à peu près nette, il sentit une chape de glace lui broyer le cœur. Non loin de lui, sur le sol, Chi'ta était très mal en point. Elle respirait de plus en plus faiblement, et l'éclat de ses yeux s'assombrissait peu à peu. Le sabre-laser de Thorn l'avait éventrée. Sa blessure, cautérisée, ne saignait pas, mais la jeune fille sentait sa vie la quitter. Elle tendit la main vers le jeune Humain. Le padawan Gardien se précipita vers la jeune Drall. Celle-ci murmura entre deux quintes de toux :

- Liam… c'est la fin…

- Chi… Oh, ne me fais pas ça ! Tiens bon !

- J'entends… l'appel du… Grand… Fouiss…

- Non ! Je ne peux pas vivre sans toi !

Il appliqua ses mains croisées sur la blessure de Chi'ta. Il se concentra, se concentra de toutes ses forces… Il y eut un tremblement, une étrange ondulation dans l'air, et un rayonnement doré émana des mains de Liam. Le jeune homme sentait ses paumes le brûler, mais tenait bon, ne relâchant pas sa concentration d'un iota. Autour de lui, c'était un véritable tourbillon d'énergie qui illuminait toute la salle. La radiation s'insinua dans la blessure, la guérissant instantanément en recréant les atomes disloqués et brûlés par la lame laser. Même la fourrure repoussa. La lumière s'estompa, et aussitôt la jeune Drall ouvrit de grands yeux. Mais si elle était maintenant sauvée, elle manquait toujours de souffle et hoquetait péniblement. Liam, par contre, s'était complètement vidé, et tomba à la renverse. Le Seigneur Noir, intrigué, en oublia Dankin. Quand il relâcha sa pression, le Togorien tomba sur les genoux. Thorn se dirigea vers Liam, lentement.

- D'accord, tu as gagné pour cette fois. Grâce à la Force, elle vivra… mais pas pour longtemps. Elle va te suivre de très près.

D'une main, il attrapa Liam par le cuir chevelu, et se précipita vers l'un des murs avec un rugissement bestial. Sous une force abominable, il écrasa sa victime dos contre une cloison hérissée de protubérances de corne. Le jeune homme sentit une multitude de pointes le transpercer de toutes parts. Il poussa un hurlement de douleur tel qu'il n'en était jamais sorti de sa gorge, amplifié par une violente décharge de Force. Puis le Sith tira sur sa prise, arrachant sa victime à la cloison, et la jeta sur le sol, avant de lui envoyer un terrible coup de pied dans la poitrine, l'envoyant valser contre une portion de mur lisse. Il se désintéressa immédiatement du jeune homme, et se tourna vers Chi'ta.

Liam ne sentait plus rien, avait à peine conscience de ce qui venait de lui arriver. Il redressa péniblement la tête, et réalisa avec horreur que du sang jaillissait de ses nombreuses blessures. Aux mains, aux bras, sur tout son torse, ses cuisses… Il sentit même son nez et sa bouche se gorger d'hémoglobine. Nul doute que s'il n'y avait pas la Force pour le maintenir conscient en occultant la douleur, il se serait immédiatement évanoui. Il distingua la forme écarlate du Sith qui lui tournait maintenant le dos, avançant à pas lourds vers la petite padawan. Thorn allait sans doute la broyer sous ses semelles. Liam rassembla ses faibles forces, obligeant son cerveau à trouver une idée géniale dans la seconde. C'est alors qu'il perçut un petit objet près de Chi'ta. Son sabre-laser. Entre lui et l'arme, il y avait Thorn.

Pile au bon endroit.

Liam grimaça de douleur en levant le bras, mais la pensée de venir en aide à la jeune fille lui fit oublier quelques instants sa souffrance. Le sabre-laser décolla, et fila vers le jeune homme. Sa lame bleutée se déploya au même instant, juste à la hauteur du visage blafard de Thorn. Celui-ci fut complètement pris au dépourvu. Le choc le déséquilibra, l'envoyant en arrière. La poignée de cuivre de son sabre-laser tomba dans un tintement. Quand il se retourna vers Liam, celui-ci constata que l'arme lui avait grillé l'œil gauche. Le Seigneur Noir se releva péniblement, et gronda lentement :

- Même maintenant, alors que tu rends ton dernier souffle, tu persistes à me défier !

C'est à ce moment-là qu'Ezra revint à la charge. Laissant momentanément la Dame de Sérénité, elle avait saisi l'une des chaînes et s'était laissée glisser jusqu'au niveau du combat. Elle atterrit les deux pieds joints sur la poitrine de Thorn, puis une fois à terre, effectua un autre balayage du pied en pleine figure. Elle eut un sourire satisfait en voyant que le Seigneur Noir n'encaissait plus les coups et retomba à genoux, affaibli. Elle se mit en garde, attendant une réaction de sa part. Un grand bruit derrière elle attira son attention. C'était Canderous. Au prix de multiples efforts, il avait pu s'extirper de sa désagréable situation. Il émergea des restes du bâtiment préfabriqué par l'une des fenêtres tordue vers le plafond, sa vibro-lame en main, et put enfin se lever. Il vit successivement Chi'ta sur le sol, Thorn qui se massait la joue, gravement blessé, et Liam affalé contre le mur, le corps constellé de trous.

- LIAM !

Il courut vers le padawan. Celui-ci avait déjà les yeux qui se voilaient.

- Protège Chi'ta !

Canderous regardait le Sith, et sentait une irrésistible pulsion destructrice monter, monter, pendant que sa vision était brouillée par un voile rouge sombre d'émotions violentes. Thorn était meurtri de nombreuses blessures, ne voyait plus d'un œil, et ne pouvait plus lever le bras gauche, mais il trouva encore la force de ricaner.

- Quel petit crétin. S'il avait laissé éclater sa colère… il aurait pu me vaincre… au lieu de ça… il est resté accroché… à ses principes. Et selon le Code Jedi… il n'avait pas le droit… de recourir à la force de la rage.

- En effet, Thorn, mais j'ai le droit, moi !

Et le Mandalorien se jeta contre le Seigneur Noir, brandissant sa vibro-lame, qu'il balança en avant de toutes ses forces. Son ennemi, plus rapide, para d'un coup de son poing valide ganté de fer sur le plat de la lame, envoyant valser l'arme blanche, puis l'empoigna à la gorge. Canderous grogna en entendant ses os craquer l'un après l'autre. Malgré son état, Thorn avait encore de l'énergie à revendre, et le mercenaire, lui-même affaibli, devait repousser la prise du Sith de la force de ses dix doigts. Mais il tint bon et rapprocha sa main droite de la gauche. Il sortit de son bracelet l'une de ses aiguilles Zenji, et la planta dans la gorge de son adversaire. Thorn gargouilla, alors que son sang noirâtre suinta de la blessure. Il relâcha son étreinte et recula, puis arracha l'aiguille avec un autre glapissement.

Canderous s'élança sur son arme tombée par terre, fit une roulade vers l'avant en la ramassant au passage, se retourna dans le mouvement, un genou à terre, la lame double posée sur son épaule, prêt à se défendre. Puis il se releva et se précipita derechef sur Thorn en criant comme un animal furieux. Le Sith avait aussi récupéré son sabre-laser, et le brandissait déjà au-dessus de sa tête, anticipant le nouvel assaut du mercenaire. Mais alors qu'il s'apprêtait à abattre son arme de haut en bas, Canderous fit un moulinet à contresens, se positionnant dos vers lui, et lui enfonça son arme dans le plexus solaire. Thorn croassa, crachant du fluide couleur pétrole. Canderous se retourna, le poussa jusqu'au bord de la passerelle, le maintint sur place sans lâcher sa vibro-lame double et, posant son pied sur le ventre de Thorn, enclencha le réacteur de sa botte. L'impulsion décoinça le Seigneur Noir de sa lame et le jeta par-dessus la rambarde. Daymon Thorn chuta comme un pantin désarticulé avant de se disloquer quelques centaines de mètres plus bas sur un piton de roche volcanique, puis s'enfonça dans le magma. Un geyser de lave jaillit, et se mua en un cyclone de flammes. Le Mandalorien balança d'un coup de pied le sabre-laser à la poignée de cuivre sous la barrière. Criant tellement fort qu'il couvrit le bruit des éruptions, Canderous brandit sa vibro-lame et tonna d'un ton de défi :

- Garde-moi une place au chaud en Enfer, Thorn !

Appuyé contre le mur, le padawan Gardien rangea péniblement son sabre-laser dans son étui, et tendit le bras vers Chi'ta. Celle-ci, épuisée, se traîna lentement jusqu'à lui. Ezra s'accroupit à côté du jeune homme, sifflant de douleur compatissante en voyant le sang s'écouler des nombreuses blessures. Quand il devina la forme du visage de sa condisciple penchée sur lui, Liam murmura :

- J'ai peur… de mourir !

Chi'ta regarda avec un air suppliant la jeune doctoresse, mais celle-ci se mordit la lèvre inférieure, et secoua négativement la tête. La fille Drall n'arrivait pas à articuler un mot.

- J'ai… j'ai merdé, souffla Liam vers la Calipsa.

- Arrête ! T'as été extra !

- Il… a été plus fort…

- C'était un sale pourri, alors que toi… t'es un vrai héros !

- Ezra… quand on sera rentrés… tu crois que… j'aurai mon titre ?

- T'auras ton titre. T'auras une médaille, t'auras même une statue. Je te le promets !

- Je… deviendrai comme… comme Obi-Wan… Kenobi ?

- Ouais, en mieux.

Ezra avait la gorge nouée, et n'arrivait plus à dire quoi que ce soit. Chi'ta éclata en sanglots, et serra Liam contre sa poitrine.

- Liam, je t'aime !

- Je t'aime aussi… Chi'ta…

Dans un dernier soubresaut, le jeune homme posa ses doigts ensanglantés sur le visage de la jeune fille. Elle prit délicatement la main, la serra contre sa joue, sans cesser de pleurer. Quelques secondes plus tard, ce fut la fin. Liam Kincaid avait cessé de respirer. La jeune fille ferma les yeux, se mit à caresser amoureusement la tête du padawan. Canderous attendait avec appréhension le moment fatidique où la petite Drall allait laisser aller sa peine…

Mais elle ne cria pas.

Elle ne devint pas complètement hystérique.

Elle se mit à chanter.

C'était un air que le mercenaire ne connaissait pas. Elle marmonnait avec difficulté les paroles entre deux hoquets.

Même si l'immensité qui nous sépare me fait mal,

Je sais que tu confies le même vœu à la même étoile.

Quand le vent tristement chante sa plainte sur les toits,

Je sais que tu vas t'endormir sous le même ciel que moi.

Très loin, là-bas, si l'amour nous conduit,

Nous partirons ensemble

Très loin là-bas,

Où les rêves prennent vie.

En écoutant, le Mandalorien comprit qu'il s'agissait d'une berceuse. Des paroles simples censées réconforter un être cher. Ezra n'osait pas bouger, ne pouvait articuler un son. Dankin se prit la tête à deux mains, et ses doigts se crispèrent sur son crâne. Et pour la première fois depuis des années, Canderous sentit son propre cœur se serrer. Il en laissa tomber sa vibro-lame, et resta quelques instants à contempler ce tragique tableau, sans réagir. Soudain, il se rappela de la position peu confortable de Dame Liryl. Il fouilla rapidement le corps de l'ingénieur Leenus, trouva la clef de l'élévateur dans sa poche, grimpa dans la cabine et alla chercher la Dame de Sérénité. Quand ils furent redescendus ensemble, celle-ci ne put réprimer une exclamation chagrinée en voyant Liam.

- Oh, par la Grande Galaxie !

Elle s'approcha des deux padawans, sincèrement choquée. Chi'ta avait fini de chanter. Elle continuait à serrer son condisciple contre sa poitrine, anéantie. La Dame de Sérénité s'agenouilla près du jeune homme.

- Le malheureux… Je ne puis empêcher le destin de s'accomplir, mais je peux lui garantir le repos de son âme.

- Comment ? demanda Ezra avec anxiété.

La jeune femme prit son inspiration. Elle posa ses mains sur la poitrine de Liam, et commença à chanter le Chant de la Sérénité. La pauvre petite Drall recula sans dire un mot. Liam se mit à léviter, droit comme un I horizontal. Une puissante aura fit chatoyer son corps inerte, qui s'estompa peu à peu. Tout son être se décomposa en des milliards de petites étincelles qui s'envolèrent vers les cieux, et très rapidement, il ne resta plus rien de Liam Kincaid. Chi'ta, qui avait désespérément tenté de rattraper quelques-unes des étincelles, tomba à genoux, baissa les bras et la tête, et resta prostrée.

Le bruit des machines ramena Canderous à la réalité. Il rangea son arme et aboya :

- Hé ! Faut qu'on y aille !

- Chi'ta, il nous reste encore une dernière chose à faire ! Nous devons nous rendre sur la Sphère à torpilles avancée !

En d'autres circonstances, le mercenaire aurait sans doute éclaté de rire en entendant parler d'une mission-suicide du genre avec un tel manque de conscience, mais ce n'était pas le moment.

- On va y aller !

- Venez, ma Dame ! ordonna le Togorien. Tenez !

Il retira son long manteau de cuir, et le posa délicatement sur les épaules de la Dame de Sérénité, avant de la prendre par le bras et se diriger vers la sortie. Liryl suivit le chasseur sans s'attarder. Le mercenaire ramassa son casque cassé, partit pour les suivre, mais quand il se retourna, il vit que la padawan n'avait pas bougé. Furieux, il s'écria :

- Ho ! Tu te remues, oui ? Je t'avais dit que je te laisserais dans ta merde ! Je te préviens que je me casse avec ou sans toi !

- La ferme !

Le Mandalorien fut surpris par une telle démonstration d'autorité de la part du docteur Lohrn. Il se ressaisit vite quand celle-ci ordonna :

- Va à la gare, et fais patienter une cabine du monorail !

- Déconne pas, faut vraiment qu'on y aille !

- Laisse-moi une marge de deux minutes !

- On n'a pas deux minutes !

- Canderous, fais-moi confiance. Quand tu seras arrivé au tram, attends juste deux petites minutes. Si personne ne vient, tu fous le camp !

Canderous pesta encore dans sa barbe, mais quitta la salle des machines à son tour en criant par-dessus son épaule « Deux minutes, pas une seconde de plus ! ».

Ezra s'agenouilla devant la jeune fille. Elle lui prit délicatement les mains.

- Chi'ta… nous ne pouvons pas les faire attendre trop longtemps ! Et je ne peux pas te porter, tu es trop lourde pour moi ! Il faut que tu te lèves et que tu me suives !

La petite padawan ne réagit pas davantage. Ezra posa doucement sa main sur sa joue.

- Je ne suis pas avec vous tous depuis le début, je le sais. Je n'ai pas eu la même relation avec lui. Mais je sais que si je n'ai pas commencé avec toi, je veux finir cette histoire à tes côtés ! Tu es mon amie, je refuse de t'abandonner sur cette maudite planète ! C'est notre dernière chance, ne la gaspillons pas !

Toujours aucune réponse. Le docteur Lohrn sentit monter dangereusement une peur terrible, la peur de perdre bêtement une personne qui aurait été plus proche d'elle que n'importe qui.

- Je ne peux pas partir sans toi, Chi'ta. Écoute, je… je tiens vraiment trop à toi ! Tu m'as appris à voir les choses autrement ! Avant de vous rencontrer, toi et Liam, je n'étais qu'une opportuniste prête à tout pour entrer dans les bonnes grâces de mes dirigeants ! D'accord, j'ai fait mine de vouloir contribuer à une bonne entente entre la Maison Calipsa et la Maison Pelagia, mais au départ, c'était une occasion venue que j'ai exploitée ! Et je pensais toujours avant tout à moi, car chaque pas pour les Calipsa, c'était autant pour ma pomme ! Mais quand vous êtes entrés dans ma vie, les padawans, ça m'a fait prendre conscience de beaucoup de choses. J'ai entraperçu ce qu'était le vrai courage, ce que c'est vraiment, l'abnégation, quel goût ça laisse, d'aider quelqu'un pour le plaisir de l'aider, et pas seulement par intérêt personnel ! Même mes patients, j'ai fini par cesser de les voir comme de simples données médicales à corriger pour gagner ma paie ! Et c'est toi qui m'as aidée à franchir le pas, à croire en quelque chose d'autre qu'au pouvoir et à l'argent ! Alors je t'en prie, ne te laisse pas mourir ici alors que tu as tant de choses à transmettre à autant de gens aussi aveugles que moi !

Chi'ta avait toujours le regard vide, mais au moment où la jeune Humaine sentit s'amenuiser tout espoir de la faire réagir, elle sentit les petites mains de la Drall serrer son poignet. Elle se releva, et la padawan suivit le mouvement, et fut debout. Ezra sentit ses yeux chauffer sous l'émotion.

- Partons. Nous pouvons le faire.

Main dans la main, les deux filles quittèrent la salle des machines. Elles regagnèrent rapidement les ascenseurs. L'un d'eux était prêt à monter, porte ouverte. Ezra poussa la jeune Drall à l'intérieur, puis se jeta sur le panneau de commande et enfonça de la paume le bouton orné d'une flèche montante. La porte coulissa, et l'ascenseur se mit en mouvement.

Pendant la montée, la Calipsa se rapprocha de la petite padawan, et la serra contre elle.

- Tu es glacée, j'imagine que c'est un sacré choc.

Elle commença à la frictionner avec douceur. Un choc sourd ébranla l'ascenseur. La lumière grésilla deux secondes, puis revint à la normale.

- Qu'est-ce que…

Une deuxième secousse plus forte fit trembler toute la structure, puis la cabine s'arrêta net, et fut plongée dans l'obscurité. Deux secondes s'écoulèrent, puis la lampe rouge de secours s'alluma. Chi'ta n'avait pas bougé. Ezra appuya sur le bouton « montée », puis sur celui d'ouverture des portes, enfin sur l'alarme. Rien de rien. Elle tapota de la paume le panneau de commandes, de plus en plus fort.

- Saloperie de machine ! Tu vas démarrer, oui ?

Mais rien n'y fit, l'ascenseur ne bougeait toujours pas. Ezra sentit alors qu'elle perdait son sang-froid quand elle se rappela que les deux minutes fatidiques étaient presque écoulées.

Non ! Ce serait trop bête !

Chi'ta, elle, semblait complètement insensible à l'ampleur dramatique de la situation. En désespoir de cause, la doctoresse essaya d'atteindre la trappe au plafond de la cabine. Trop haute. Elle voulut chercher une prise sur l'une ou l'autre des parois, essaya même d'ouvrir la porte de force… Soudain, la trappe plafonnière s'ouvrit.

- Je suis vraiment le dernier des cons ! pesta la voix de Canderous qui se laissa tomber dans la cabine.

Sans plus de palabre, il fit la courte échelle à la Calipsa. Puis il attrapa la petite Drall à deux mains et la souleva, permettant à l'Humaine de la réceptionner.

- Estime-toi heureuse que Dankin soit le seul dans cette foutue réalité de merde qui puisse me faire changer d'avis !

Trop soulagée, la doctoresse ne pensa même pas à protester. Elle escalada l'échelle de sécurité à toute vitesse. Canderous jeta la petite Drall sur son épaule, et grimpa à la suite de la jeune femme, sans se laisser distancer.

Appuyé dans l'encadrement de la porte automatique pour la bloquer, Dankin rechargea tranquillement son arbalète. Il venait de s'en servir sur le torse d'un Impérial en uniforme d'opérateur qui avait cru bon le menacer avec son blaster de poche pour l'obliger à le laisser monter dans la cabine. Son oreille pivota quand il entendit deux bruits de pas de course dans sa direction. Enfin, Canderous revenait, la jeune Drall sur le dos et la doctoresse Calipsa sur les talons.

- Les voilà, ma Dame.

Le Togorien laissa tout le monde embarquer, et s'assit sur la banquette. La porte se referma, et la cabine monorail partit vers la section est de la base, celle où se trouvait le hangar à vaisseaux. Le trajet dura une minute, durant laquelle le silence le plus complet étouffa l'atmosphère. Quand le tram s'arrêta enfin, Dankin prit la petite padawan sur ses épaules, et les cinq amis se dirigèrent vers la porte la plus proche du hangar.

L'immense salle était pratiquement vide, la plupart des Impériaux avaient déjà fui à bord de navettes, ou embarqué dans des chasseurs stellaires pour prendre part à la bataille de l'espace.

- Hé, vous !

Un petit opérateur de piste courait dans leur direction. Il s'arrêta net quand il vit Canderous le viser de son fusil à impulsions. Il fit aussitôt demi-tour et s'enfuit à toutes jambes. Le mercenaire n'eut même pas envie de le tuer. Enfin, ils repérèrent la forme familière du Vandread, dans un coin sombre. Ils s'y précipitèrent. Le Mandalorien pesta quand il vit que les Impériaux avaient forcé les serrures magnétiques de sécurité de la rampe.

- J'espère que ces gougnafiers n'ont pas piégé mon vaisseau !

Un très rapide examen des deux baroudeurs ne révéla rien d'anormal, à première vue. Dankin déposa Chi'ta sur l'un des canapés du petit salon de détente, puis il courut vers l'atelier. Comme il l'espérait, les quatre droïds étaient alignés contre le mur, éteints. Il les ralluma l'un après l'autre. Mister V fut le premier à réagir.

- Maître Dankin, quelle joie ! J'ai cru que l'Empire allait nous passer au broyeur !

- Retourne à ton poste.

- Avec joie !

Dans le salon, Liryl essayait bien d'attirer l'attention de Chi'ta. Elle lui parlait, lui caressait la tête, mais sans résultat. La jeune fille gardait les oreilles baissées, l'œil vide et la respiration lente. Ezra rejoignit les deux femmes.

- C'est grave, docteur Lohrn. J'ai l'impression que notre jeune amie est dans un état catatonique.

- Son chevalier servant est mort dans ses bras, ce n'est pas étonnant !

- Ce n'est pas ce que je crains le plus… Extérieurement, elle n'a aucune réaction, mais tout son être est soumis à une violente tempête psychique.

- Que voulez-vous dire ? demanda la Calipsa qui sentit son inquiétude monter.

- Je crains qu'elle n'ait été victime d'un contrecoup brutal de Force.

- Je ne sais pas soigner ça, moi !

Canderous lança une à une toutes les séquences de décollage. Il se détendit peu à peu en ne détectant aucune anomalie. Les Impériaux n'avaient vraisemblablement pas eu le temps de trafiquer l'appareil. Il soupira de soulagement en éprouvant la sensation familière de son vaisseau décollant lentement. Enfin, il poussa la manette des gaz. Le Vandread franchit en quelques secondes les centaines de mètres qui le séparaient de l'extérieur, puis se retrouva à l'air libre, laissant en arrière la base Kentor 1 où tant d'horreurs avaient eu lieu. Mais alors qu'il allait demander au copilote cybernétique de régler les boucliers pour une sortie d'atmosphère, le mercenaire réfléchit quelques instants.

- Une minute…

Sa bouche se plissa en un rictus inquiétant. Il poussa le volant de direction, et fit faire demi-tour au Vandread. Mister V se mit à paniquer.

- Capitaine Tal ? Que faites-vous ?

- Je ne vais pas quitter ce charmant endroit sans y laisser un petit quelque chose.

Le volcan apparut de nouveau dans le hublot, et se rapprocha.

- C'est bien ce que je pensais. Cette base n'a pas été conçue pour résister à un raid aérien. Ils vont regretter d'avoir fait dans le cheap !

Canderous programma la visée assistée du navordinateur du Vandread, et verrouilla en quelques instants une douzaine de cibles. Le docteur Lohrn déboula en courant dans le cockpit, suivie par Dankin. Quand elle vit la manœuvre que s'apprêtait à faire le mercenaire, elle hurla :

- Canderous, nom d'un troupeau de gundarks en rut, qu'est-ce que tu fous ?!

Le Mandalorien tourna la tête vers la Calipsa, et gronda d'une voix furibarde :

- J'ouvre en grand, et je fais le ménage !

Puis il pressa fermement les boutons de mise à feu des canons laser Arakyd de son vaisseau. Les trois canons différents du Vandread crachèrent leurs salves d'énergie. Tous les projectiles frappèrent exactement aux emplacements visés, à savoir les points de jonction des grands câbles qui soutenaient toute la superstructure de la base érigée par Kentor Sarne. Des explosions ébranlèrent les plates-formes, et très vite tout l'assemblage se disloqua, et s'affaissa dans la lave. L'isolation de la cabine de pilotage préservait les tympans des deux Humains et du Togorien du vacarme épouvantable. Canderous laissa alors éclater sa rage.

- Crevez tous, bande de connards !

Une explosion répondit à cette invective. Le volcan venait d'entrer en éruption. Furieux, mais pas suicidaire, le capitaine tira un levier, modifiant la trajectoire de son vaisseau pour partir vers l'espace.

- Voilà ! Maintenant, c'est à Cordana de s'occuper de la suite ! déclara la Calipsa.

- Espérons que lui et les Yapis puissent fuir la colère de la nature, murmura Dankin.

- Pas notre problème ! De toute façon, cet allumé mystique ne me manquera pas !

Il fallut moins d'une minute au vaisseau pour se retrouver de nouveau dans le vide intersidéral. Canderous soupira de soulagement.

- Eh bien ! J'ai bien cru que je ne quitterais jamais ce fichu caillou !

- Ne te réjouis pas trop tôt, Canderous. On n'est pas couchés…

Le radar venait d'indiquer une multitude de points. Mister V commenta :

- La plupart des signatures sont claires, il s'agit d'appareils Impériaux, Républicains, ou immatriculés selon les standards du Secteur Tapani.

- Je vois, c'est une sacrée mêlée !

Et en effet, plusieurs centaines de vaisseaux de toutes tailles et de toutes technologies volaient dans tous les sens, croisant leurs torpilles à protons, leurs lasers et leurs missiles. La voix éraillée de Mister V ajouta :

- Il y a cependant des vecteurs inhabituels, que je n'arrive pas à reconnaître.

- Ah ouais ? Et de quel…

Canderous n'eut pas besoin de finir sa phrase. Au milieu de tous les vaisseaux, il distingua sans y croire d'énormes insectes. Des guêpes grandes comme des chasseurs TIE, des libellules de la taille d'ailes-X, et en retrait, une dizaine de monstrueuses créatures semblables à celle qui avait été observée dans le ciel d'Obulette le jour du mariage de Liryl. Et ces « croiseurs » biologiques pilonnaient la planète Tallaan de leurs colonnes de lumière. Ezra en fut catastrophée.

- Par les rubans de feu du blason Calipsa… Vous vous souvenez des dégâts faits avec un seul tir ?

- Ca doit être la fin du monde, sur cette planète ! approuva Canderous.

Dankin resta plus calme. Quelque chose d'autre l'intriguait.

- Pourquoi attaquer la planète et pas la S.A.T.A. ?

- Il y a des troupes impériales sur Tallaan, et la flotte des Mondes Libres. Et peut-être qu'ils ne cherchent pas à détruire la S.A.T.A. ?

- Vous avez entendu ce que disait Cordana ? La Reine Na'toth veut récupérer son bien, tant qu'elle en a la possibilité, elle tentera de remettre la main sur les korendums, et ne les détruira qu'en dernière extrémité.

- Ouais, ben en attendant, nous, on est en plein milieu !

- Attention !

Les formes tronquées de deux mites encombrèrent tout le cockpit. Les deux « engins de guerre » Kathols rayèrent de leurs griffes et de leurs mandibules la paroi transparente de l'habitacle. Avec un grognement frustré, le mercenaire chercha un moyen de s'en débarrasser. Soudain, les deux insectes géants explosèrent, projetant des éclats organiques aux alentours.

- Tiens ? Qui a fait ça ?

La petite tonalité du communicateur répondit à la question de Canderous. Le Mandalorien appuya sur le bouton de mise en marche.

- Ouais ?

Une musique entraînante jouée par un orchestre symphonique retentit dans la cabine de pilotage. Une voix féminine, enjouée, s'adressa au capitaine.

- Vandread, ici Ranna Gorjaye, capitaine de l'escadron des Lances de Gorjaye.

- Qui ça ?

- Attends, Dankin ! Gorjaye, Gorjaye… où est-ce que j'ai entendu ce nom ?

- L'escadron privé qui a la réputation de se jeter dans les batailles les plus désespérées ? demanda Canderous.

- C'est Ciro qui nous a dit de venir, reprit la voix féminine.

- Ciro ? Mais oui, ça y est, je la resitue ! s'exclama la doctoresse. Ranna Gorjaye était la chef de l'escadron de l'Étoile Lointaine !

- Ma réputation m'a précédé, ça ne m'étonne pas ! répliqua la voix féminine. Bon, assez de blabla Ciro m'a briefée, faites-moi plaisir, profitez des brèches qu'on va vous faire, posez-vous sur cette boule de pétanque et mettez-y le feu !

- Je n'arrive pas à repérer cette fichue sphère dans ce bazar !

- Alors suivez-moi ! Verrouillez-moi et ne me lâchez pas !

Un chasseur modèle Aile-X décoré de nombreux motifs sur fond rose se positionna juste devant le vaisseau de transport. Canderous prit soin de garder cet appareil au milieu du hublot. La voix du capitaine Gorjaye résonna dans la radio :

- Dasha, Huk, vous me collez en « perceuse ». Les autres, vous nous couvrez. On va faire un petit sprint jusqu'à la S.A.T.A.

Deux autres appareils de même modèle, portant les mêmes peintures mais de tons différents, se placèrent de part et d'autre du chasseur de tête. Le mercenaire constata que les Lances de Gorjaye se battaient avec une efficacité redoutable. Aucun appareil Impérial ou Kathol ne restait dans le viseur du Vandread plus de trois secondes. Bien entendu, le Mandalorien n'était pas en reste, et abattait aussi des chasseurs ennemis sur le chemin. Ezra ne put retenir une courte exclamation quand la Sphère À Torpilles Avancée envahit toute la surface du hublot. Canderous se tourna vers la Calipsa.

- Ezra, va t'installer au canon à ions, et éloigne les Imps de mon vaisseau !

La jeune femme obéit. Elle quitta le cockpit, s'assit dans le siège de la petite cabine latérale et alluma l'ordinateur de visée.

Il fallut cinq minutes au Vandread pour arriver à proximité de la station spatiale impériale. Cinq minutes qui parurent à chacun une éternité. Plusieurs explosions ébranlèrent le transporteur Starlight. Canderous sentait la sueur inonder son front, et des fourmis lui chatouiller les doigts à force de les crisper sur les commandes, mais il tint bon. De son côté, Ezra s'occupait de neutraliser les vaisseaux mécaniques les collant d'un peu trop près. Enfin, au moment où ils s'étaient tellement rapprochés que le mercenaire pouvait distinguer les différentes aspérités qui donnaient du relief à l'énorme sphère, la voix du capitaine Gorjaye crachota dans le communicateur.

- C'est bon, les gars. On ne peut pas se rapprocher plus sans se poser. Il y a une entrée à quelques klicks à deux heures. Cieux cléments !

- Façon de parler ! ronchonna le Mandalorien en voyant décoller un escadron d'intercepteurs.

Les trois ailes-X rompirent leur formation et se dispersèrent, laissant le Vandread seul face à la S.A.T.A.

- On va devoir y aller au culot.

Il repéra la piste d'atterrissage à travers l'ouverture, et calcula la trajectoire à suivre. Puis il se leva et ordonna :

- Mister V, prends le relais et atterris. Nous, on doit se préparer.

- À vos ordres, capitaine !

Il parla plus fort à l'attention des autres :

- On sort dans une minute !

Soudain, un sifflement irrégulier ponctué de gargouillements résonna dans l'habitacle du salon. C'était Chi'ta, soudain prise de convulsions. Le docteur Lohrn, qui venait de quitter son poste au canon ionique, courut vers elle et tenta de la maintenir assise par les épaules.

- Hé là ! Qu'est-ce qui t'arrive ?

Quand la jeune fille se calma, et décrispa sa figure duveteuse, la Calipsa tomba à la renverse. Son visage était dépourvu de toute expression… si l'on exceptait son regard pour le moins changé. Ses yeux étaient devenus entièrement noirs, comme deux puits sans fond. Elle répéta d'une voix monocorde :

- Mourir… vous allez tous mourir… mourir… vous allez tous mourir…

Ce n'était plus sa voix. Même sans être sensible à la Force, la doctoresse comprit aussitôt qu'une autre présence se manifestait. Un esprit sans doute maléfique qui avait pris le contrôle de la padawan. La jeune fille leva lentement les bras, se dégagea d'un bond de la banquette, et marcha vers Ezra, à pas lents, insensible à l'effarement d'Humaine catastrophée.

- Oh non !

- Rampez devant mon pouvoir !

Le minois de la jeune Drall, habituellement si amical, était à présent méconnaissable, tordu par une horrible grimace de haine. Ezra cria encore en reconnaissant la voix et le regard brûlant de la Reine Na'toth. Canderous fut plus expéditif. Sans hésiter, il agrippa son fusil à impulsions et visa la tête de la petite padawan. Le Togorien fut aussi rapide, et saisit le poignet du Mandalorien, le poussant vers le plafond. Une demi-douzaine d'impacts incandescents illuminèrent le plafond métallique de la cabine.

- T'es dingue ! Ne touche pas à la mouflette !

- Tu vois bien qu'elle n'est plus elle-même !

- Maître Tal ! intervint alors Dame Liryl. Laissez-moi faire.

La jeune femme se faufila derrière la petite padawan et posa ses mains sur ses bajoues. Chi'ta s'arrêta net. Liryl se concentra. Elle commença à marmonner des syllabes incompréhensibles pour les autres, puis son délicat visage se contracta, et elle parla de plus en plus fort. Elle marmonna entre ses dents un ton unique, de plus en plus aigu, et expira brutalement avec une forte exclamation. La petite Drall cria à son tour, et tomba dans les bras de la Dame de Sérénité, inconsciente.

- Aidez-moi, docteur.

Les deux femmes allongèrent la jeune fille sur le canapé.

- C'est bon, elle est libre. J'ai forcé son bourreau à relâcher son emprise.

- C'était Na'toth, n'est-ce pas ?

- La Reine et ses servants sont tout près, les amis. Nous devons faire vite !

Chi'ta remua doucement, et ouvrit les yeux. Elle était redevenue elle-même, au grand soulagement des autres. Mais elle ne dit rien, encore épuisée. Dame Liryl se pencha vers elle, lui dit d'une voix apaisante :

- Pauvre Chi'ta… les Kathols t'en auront vraiment fait voir de toutes les couleurs !

Le Vandread se posa directement sur l'une des pistes de la Sphère.

- C'est ce que j'appelle y aller au culot ! commenta Ezra Lohrn en armant son fusil à impulsions. Pas mal, ton petit copilote !

- J'avoue, ils n'ont pas grugé sur la qualité, répondit Canderous en resserrant les lanières de son armure. Bon, je récapitule : Dame Liryl, vous allez devoir venir avec nous, on vous mène jusqu'au noyau où se trouvent les korendums, vous sortez le module d'Ageer, vous vous en servez sur le korendum, et ensuite on se casse loin. Très loin. On met les voiles jusqu'à Procopia, Coruscant, ou l'Amas de Minos s'il le faut, mais je ne veux pas être à proximité de cette chose quand elle aura été sabotée !

- Ageer a pourtant affirmé à Chi'ta que l'arme ne pourrait plus faire de mal une fois neutralisée par le module !

- Ah oui ? Et si c'est juste une métaphore poétique ? Je n'ai pas envie de prendre le risque. Tout le monde est prêt ?

- Attends ! coupa le Togorien. Et la petite puce ?

Chi'ta était allongée sur le canapé, toujours dans le même état.

- Il vaut mieux la laisser ici, elle ne nous sera d'aucune utilité.

- Non, Canderous, je m'y oppose, répondit fermement Dame Liryl.

- Enfin, ma Dame, on ne va pas s'en encombrer !

- Je refuse de la quitter. Si elle reste ici, je reste avec elle !

- Mais on a besoin de vous, en bas ! Et elle, elle n'est même plus capable de mettre un pied devant l'autre !

- Voulez-vous prendre le risque de la laisser à la merci d'une nouvelle attaque hypnotique de la Reine Na'toth ? Qui sait ce qui arriverait à votre appareil ?

Le mercenaire s'apprêtait à répondre, mais cet argument fit mouche. La Dame de Sérénité ne s'en tint pas là, et ajouta avec un petit sourire :

- Sans moi, vous ne pourrez rien faire. Vous êtes obligés de m'emmener, et je ne puis laisser mon amie seule sans défense dans cet appareil. C'est catégorique.

Canderous se passa la main sur le visage.

- Que voulez-vous répondre à ça ? D'accord, mais c'est vous qui insistez, c'est vous qui vous en occupez !

- Je la porterai, ma Dame, proposa le Togorien. Je sens à peine son poids.

- Cela me convient.

- Encore heureux ! Bon, d'autres mutins ? Non ? Alors on y va ! Eve, tu fermes derrière nous !

Canderous essayait bien de rester cynique pour garder son calme, mais au fond de lui, il le savait, tout était brûlant de colère. Sa victoire contre le Sith et la destruction de la base n'avaient pas étanché sa soif de vengeance. Quand la rampe d'accès fut abaissée, le mercenaire bondit dehors en rugissant comme un fauve. Dès qu'il voyait l'ombre d'un Impérial, il envoyait une rafale. Techniciens, pilotes, soldats de choc, officiers… personne n'y échappait. Sauf un homme en uniforme olive qui s'était jeté à terre, mains sur la tête. Le Mandalorien le releva de force.

- L'ascenseur le plus proche vers le moteur central ? Vite, je suis pressé !

L'officier leur montra du doigt une grande porte coulissante. Canderous lui asséna un coup de crosse sur la tête et s'en désintéressa aussitôt. Dankin envoya alors un carreau explosif dans un baril de carburant, le faisant exploser et renversant un groupe de soldats de choc qui se dirigeaient vers eux. Tous les cinq montèrent dans l'élévateur – une grande cabine de cinq mètres sur deux. Dankin posa Chi'ta. Ezra s'empressa d'actionner la fermeture de la porte. Elle appuya sur le bouton indiquant l'étage le plus bas. Rien ne se produisit.

- Je commence à en avoir assez, des ascenseurs qui ne fonctionnent pas !

- Un instant, docteur Lohrn. Je crois que nous avons besoin d'un passe. Regardez !

La Dame de Sérénité montra du doigt un lecteur de carte magnétique.

- Trop facile ! s'exclama la doctoresse en sortant de sa poche le passe du Moff Gustavu.

Un instant plus tard, ils étaient en route pour les installations centrales.

La S.A.T.A. faisait soixante kilomètres de diamètre, il fallut quelques minutes à l'ascenseur pour en franchir la moitié. Enfin, une voix annonça :

- Noyau de la station. Zone réservée au personnel accrédité.

Et la porte s'ouvrit sur un couloir. Long, large, et silencieux. D'ici, on n'entendait rien de la furieuse bataille qui se déroulait à la surface. Le silence en était effrayant. Instinctivement, Canderous brandit son fusil à impulsions en avant.

- Je n'aime pas ça.

- Je suis d'accord. Il y a quelque chose de pas clair, dans ce couloir.

Il n'y avait qu'un seul chemin, qui se déroulait sur une centaine de mètres avant de tourner à gauche. Le docteur Lohrn trouva l'absence de son de plus en plus angoissante. Une voix sourde la fit sursauter.

- Attention ! Préparation du superlaser engagée. Phase de chauffage.

Dankin sortit de la cabine. Les autres le suivirent, Liryl tirait Chi'ta par la main.

Le chasseur Togorien avançait en tête. Grâce à son entraînement, ses pas ne faisaient aucun son, malgré le carrelage froid. Les lumières faiblirent quelques secondes. Canderous râla :

- Qu'est-ce qui se passe, encore ?

- Un problème dans la distribution d'énergie, peut-être ?

Alors qu'ils arrivaient au coin du couloir, ils virent une ombre. Dankin leva la main, tous s'arrêtèrent. Personne ne bougea pendant une quinzaine de secondes… pas même l'ombre. Avançant à pas de loup, le Togorien se rapprocha du mur, se plaqua dos contre la paroi, et se rapprocha de l'angle. Risquant un petit coup d'œil, il vit quelque chose qui le fit quitter sa posture prudente. Il fit même signe aux autres, qui le rejoignirent la jeune Drall, aphasique, marchait au ralenti. Dans le couloir, une très inquiétante scène les attendait.

Il y avait là six corps sur le sol. Des soldats de choc portant l'armure écarlate des troupes d'élite. Ils ne présentaient pas de blessures apparentes, mais leurs combinaisons avaient vraisemblablement encaissé des chocs violents. Leurs bras et jambes faisaient des angles bizarres. Ezra eut l'impression de voir une demi-douzaine de mannequins jetés sur les murs et le sol avec une violence inouïe. Dankin renifla une forte odeur de brûlé. Il montra quelque chose du doigt.

- Des impacts !

- Mais oui, tu as raison !

Les murs, le plafond étaient couverts d'impacts de tirs de blaster. Seul le sol avait été épargné. Mais ce qui intrigua le plus le docteur Lohrn était l'origine de l'ombre qu'ils avaient vu : une septième personne se tenait devant eux. Canderous reconnut le deuxième Garde Impérial en armure écarlate qui accompagnait Daymon Thorn – son Seigneur avait dû lui demander de monter la garde près du générateur de la S.A.T.A. Mais si le Mandalorien ne s'était pas inquiété en le voyant, c'est parce qu'il était déjà mort.

La doctoresse Calipsa s'approcha prudemment de lui. Il était toujours debout, mais semblait figé sur place, penché en arrière, bras crispés en avant comme s'il avait tenté de se protéger de quelque chose qui lui avait sauté dessus. On lui avait arraché son casque, et son visage était complètement desséché, déshydraté, tel celui d'une vieille momie. Lorsque Ezra posa délicatement sa main sur l'épaule du Garde, ses jambes cassèrent net comme les branches d'un arbre mort. En examinant la figure parcheminée d'un peu plus près, elle distingua quelque chose qui lui fit davantage froid dans le dos.

- C'est comme s'il ne restait plus la moindre molécule d'eau en lui. Et ce n'est pas tout, il y a des coupures sur tout le contour du visage.

- Une lame de rasoir ?

- Je pense plutôt à des crocs. Comme si ce pauvre type avait été mordu par une gueule au moins aussi large que sa tête.

- Qu'est-ce que ces satanés Kathols nous mijotent, encore ?

Dankin haussa les épaules, résumant parfaitement la situation : au point où les choses en étaient arrivées, ils étaient prêts à voir arriver n'importe quoi. Ils reprirent leur course.

Le couloir déboucha sur un grand escalier qui descendait encore vers les entrailles de la base. Ezra se rendit compte qu'il y avait un bourdonnement qui s'amplifiait au fur et à mesure qu'ils dévalaient les marches. Les murs vibraient, et de temps en temps des éclairs illuminaient l'ouverture qui les attendait au pied des marches.

Enfin, quand ils furent en bas, ils entrèrent dans une immense pièce sphérique pourvue de multiples entrées similaires, dont ils ne pouvaient voir le plancher, trop profond. Ils se tenaient sur une passerelle munie de solides barrières de sécurité. Non loin de leur position, il y avait un monte-charge qui descendait sur une dizaine de mètres, jusqu'à une autre passerelle.

- Nous y sommes. C'est le cœur du générateur à fusion de la Sphère À Torpilles Avancée. Regardez, voilà les korendums !

La Dame de Sérénité désigna une plate-forme une cinquantaine de mètres plus loin, en suspension au-dessus du vide, retenue par de nombreuses attaches. Trois énormes blocs de roche transparente finement taillée étaient disposés en triangle, chacun sur un support d'acier noir. Les trois cristaux luisaient d'une lueur cramoisie qui irradiait de leur cœur. Un gros ordinateur était installé au centre de la plate-forme.

- Cela correspond bien au schéma des plans d'Annora Calandra, commenta Ezra, qui avait pu consulter les documents copiés par Taava.

La voix de l'opérateur se fit à nouveau entendre.

- Mise à feu dans cinq minutes.

- Bon, il faut se grouiller ! Comment on descend jusqu'aux korendums ?

- Ce petit ascenseur va nous y mener.

Canderous montra quelque chose du doigt.

- Hé, je me goure, ou il y a déjà quelqu'un ?

- C'est qui, celui-là ?

Près de l'un des cristaux se tenait une silhouette drapée dans un épais manteau. Une forme humanoïde qui avait les deux bras tendus en direction du Korendum. Des vagues d'énergie fluctuaient entre le personnage et le cristal. Parfois, il se trémoussait sous le choc, mais ne relâchait pas sa concentration. Instinctivement, Dankin renifla. Il venait de percevoir une odeur étrange, désagréable, qui ne lui était pas totalement inconnue. Soudain, il comprit et rugit de sa voix puissante :

- Bratak !

- Qu'est-ce qu'il fout ? glapit Canderous.

Dame Liryl se pencha, et son visage fin s'étira de surprise et d'épouvante.

- Bratak, le Grand Technicien ! Il a un contrôle absolu sur la technologie DarkStryder ! Il est en train de fusionner avec les korendums ! Si nous ne faisons rien, il aura bientôt pris le contrôle de cette station !

Canderous n'eut pas besoin d'en entendre plus.

- Il faut empêcher ça ! Dankin, tu me suis ?

- Inutile ! Bratak va encore devenir fantôme !

- Non pas, maître Dankin, intervint Liryl. Il a absorbé trop d'énergie, maintenant ses atomes se sont solidifiés, il est coincé dans ce corps !

- Dans ce cas, je vais vous le décoincer, vous allez voir !

Canderous sortit son fusil à impulsions, s'allongea sur la plate-forme, prit quelques secondes pour viser, et son visage se tordit de colère alors que son doigt pressa fermement la gâchette de son arme. Mais à sa grande surprise, les rayons dorés filèrent droit vers leur cible… et ne l'atteignirent jamais. Tous virent très nettement les traits d'énergie infléchir leur course et partir dans toutes les directions à l'approche du Kathol. Celui-ci ne réagit pas, trop concentré sur le korendum.

Dankin sortit son arbalète à carreaux explosifs, mit genou à terre, et envoya coup sur coup deux projectiles. Peine perdue. L'énergie verte qui propulsait les carreaux se dissipa instantanément à quelques mètres de Bratak, laissant les deux petits morceaux de métal inertes tomber et rebondir sur la plate-forme.

- Hé, c'est quoi, ce délire ?! demanda Canderous à l'attention de Liryl.

- Bratak a inventé un dispositif de défense personnel. C'est un module qui neutralise toute énergie autre que celle des Kathols dans une bulle invisible de quelques mètres, réduisant ainsi à néant toute attaque provenant d'une arme à énergie créée par un autre peuple. Quand il m'a parlé de ses principales inventions, Maître Ageer m'avait expliqué que celle-ci n'en était qu'au stade expérimental.

- Pour le coup, l'expérience me paraît réussie ! grinça Ezra.

- Je crains qu'il ne se soit greffé un tel dispositif dans le corps ! Vos armes à énergie resteront sans effet contre lui !

- Et, dites voir, ça marche sur les armes blanches ?

- Pas que je sache, maître Canderous.

- Parfait !

Afin d'éviter de se sentir encombré, le Mandalorien posa son fusil par terre et sortit lentement sa vibro-lame double Jengardin. Il tendit l'une de ses dagues à la doctoresse Calipsa.

- Tu sais que le moteur de vibration ne fonctionnera pas ?

- C'est pas ça qui l'empêchera de sentir des picotements. Dankin ?

Le Togorien tira son sabre Yil de son fourreau. Liryl murmura :

- Je suis navrée, mais je préfère rester ici. Je vous aiderais bien volontiers si j'en avais les moyens, or je suis impuissante contre lui.

- Vous en faites pas, ma Dame, la rassura Ezra. On va s'occuper de ce point noir. Gardez un œil sur Chi'ta, ce ne sera pas long.

La doctoresse, le mercenaire et le chasseur prirent place sur le petit ascenseur, et se retrouvèrent vite au niveau de la plate-forme d'entretien. Canderous s'avança.

- Je passe devant. Je lui dois une valse, à cette raclure.

En effet, son dernier affrontement à bord du Gantelet lui était resté sur les nerfs. Comme les deux autres ne dirent mot, il continua à se diriger vers le Kathol. Les crépitements des éclairs devenaient assourdissants, mais le mercenaire ne ralentit pas.

- Hé, Ducon !

Sans baisser les bras, la silhouette tourna légèrement la tête. Le Mandalorien distingua un œil brillant d'une lueur orangée par-dessus l'épaule. Tendant la pointe de sa vibro-lame vers le Kathol, il l'invectiva :

- Prêt à te faire équarrir ?

Bratak se retourna complètement, et arracha son manteau d'un geste large, révélant un spectacle peu ragoûtant. Son corps atrocement tronqué n'avait plus grand-chose de cohérent. Ses jambes, recouvertes d'un pantalon de cuir noir, semblaient à peu près normales, si l'on exceptait les pieds qui étaient des serres anthracite d'oiseau de proie, mais le reste était proprement terrifiant. Sa peau était couleur cyan, son torse nu couturé de balafres et lacéré de protubérances noirâtres. Les plus longues cicatrices étaient incandescentes, comme remplies d'une coulée de lave. Son visage, masque torturé, figé selon une expression de souffrance mêlée au plaisir sadique, transpirait l'insanité mentale. Canderous hésita un peu en voyant quelque chose remuer sur la poitrine du Kathol, en plein milieu… son cœur, à moitié à l'air libre, qui pulsait rapidement.

Sous son nez de chiroptère, la bouche ronde de cette créature se déploya en un immonde disque de chair sillonné de crocs pointus disposés en cercle. Une voix stridente émit quelques monosyllabes désordonnés. Ezra recula avec un frisson de dégoût. Plus la peine de se demander d'où venaient les marques de crocs sur le Garde Impérial.

Mais il en fallait plus pour impressionner le Mandalorien.

- Eh ben mon gars, je comprends que tu nous aies caché ta sale gueule !

Bratak serra les poings et vociféra de colère. Quelque chose se déchira dans son dos, et aussitôt une flopée de tentacules semi-transparents jaillit de sa colonne vertébrale, se déployant en un clin d'œil comme une monstrueuse paire d'ailes d'une douzaine de mètres d'envergure. Le Kathol crépita encore quelques syllabes inintelligibles en levant les mains, tandis que ses ongles s'allongèrent jusqu'à devenir de longues serres. Cet épouvantable spectacle finit d'exaspérer le mercenaire, impatient d'en finir avec les Précurseurs. Prêt à faire payer Bratak pour tout ce qu'il avait enduré depuis le jour de l'anniversaire de Dame Bathos, Canderous fit des moulinets de sa vibro-lame double Jengardin et aboya :

- Assez parlé, tête de cauchemar ! Je vais te rectifier le sourire !

Prenant appui sur deux de ses tentacules dorsaux, Bratak s'éleva à quelques centimètres du sol et se mit à faire de lents moulinets de ses bras, prêt à passer à l'attaque.

Canderous avança lentement, la vibro-lame toujours tournoyante. Il fit mine de frapper de bas en haut, mais rompit son mouvement et piqua en avant. La créature étira ses tentacules, montant ainsi à trois mètres du sol, et passa par-dessus le Mandalorien. En retombant, elle se retourna, ses serres en avant, et creusa de profonds sillons dans le dos de la combinaison, sans en blesser le porteur.

Ezra se précipita sur Bratak, le renversa, et le plaqua sur l'un des korendums. Un grésillement et de la fumée noirâtre laissèrent supposer que le cristal géant consumait la peau du Kathol. Celui-ci émit d'ailleurs un râle significatif, et son regard se fit plus furibond encore. La jeune femme eut un sourire mauvais en exhibant sa dernière grenade, dégoupillée et prête à exploser. Mais son adversaire ne sembla pas inquiet. En effet, la grenade ne produisit qu'un petit nuage de fumée blanche. « Aucune arme à énergie en dehors de celles des Kathols », cela semblait s'appliquer aussi aux explosifs. D'un mouvement sec du bras, l'horrible personnage jeta au loin la grenade, puis fouetta la jeune femme au visage. Celle-ci se retrouva sur le ventre, une douleur cinglante lui déchirait la joue.

Dankin attaqua la créature, armé de son sabre togorien. Bratak était devenu un être matériel, mais diablement rapide. Il esquivait tous les assauts du Togorien, lui repoussant les bras d'un mouvement de tentacule, se baissant, s'écartant au dernier moment, mais sans la moindre maladresse. Dankin, de plus en plus furieux, s'éloigna d'un pas et lança son arme vers la figure du Kathol pour le surprendre. Peine perdue, Bratak évita le projectile improvisé, qui alla se perdre dans les profondeurs. Il resserra une demi-douzaine de tentacules en une masse compacte qu'il projeta droit vers l'estomac du Togorien. Dankin resta plié en deux, essayant de reprendre sa respiration.

Canderous brandit sa vibro-lame et plongea en avant. C'est alors qu'il eut une très mauvaise surprise le Kathol enroula l'un de ses tentacules autour de son bras, et le compressa, avant de le rompre. Canderous grogna de douleur, et lâcha son arme. Bratak lui arracha son épée des mains, et la cala dans la masse grouillante de ses pseudopodes dorsaux. Il brandit une demi-douzaine de tentacules dont les extrémités se changèrent en un instant en des répliques miniatures de la vibro-lame double Jengardin. Les lames voltigèrent en sifflant autour du Kathol. Le Togorien rugit d'étonnement.

- Il peut copier les objets qu'il absorbe !

- Blast ! glapit Canderous.

Bratak envoya en avant l'un de ses bras armés. Le mercenaire esquiva de justesse. D'un mouvement de l'épaule, le Kathol balança trois lames en un triple crochet meurtrier. Ezra sentit la pointe d'une des lames lui taillader le gilet antiblast, et une autre lui infliger une coupure sur le dos de la main qui tenait la dague, qu'elle lâcha.

Bratak s'appuya sur ses tentacules, et bondit sur Dankin. Pendant que quelques tentacules maintinrent le Togorien, il lui déchiqueta le poitrail de ses serres, en crissant d'excitation et de fureur, puis il le souleva, et l'écrasa violemment sur la passerelle avant de le relâcher. Au passage, le Kathol saisit l'arbalète de Dankin. Il la brandit au-dessus de sa tête avec un glapissement triomphal, et la fourra dans l'épaisse masse de ses tentacules dorsaux. Ezra craignit le pire.

- C'est pas vrai !

Le résultat ne se fit pas attendre. Quatre autres tentacules s'enroulèrent par deux, et prirent la forme du canon à rail de l'arbalète du Togorien. La répugnante créature visa la doctoresse et ouvrit le feu. Ezra évita les deux projectiles, et sentit une odeur de cheveu brûlé. Un tentacule plus long lui heurta les jambes, et elle retomba sur le dos.

Les tentacules-épées tournoyaient autour de l'abomination, empêchant tout contact. Canderous ramassa sa dague, et la jeta vers le visage de Bratak. Le Kathol croisa rapidement quatre de ses lames, emprisonnant la dague entre leurs tranchants. Mais la ruse du Mandalorien avait réussi il avait détourné son attention.

Dankin sauta sur le dos du Kathol, essayant de le mordre au cou. Bratak ne se laissa pas surprendre. Avec six de ses plus gros tentacules, il immobilisa net le chasseur, broyant ses chevilles, ses poignets, ses reins et sa gorge sous la pression de ses étaux semi-transparents. Le Togorien gémit de douleur, essayant de desserrer l'étreinte qui l'empêchait de respirer. Le Kathol souleva sa prise. Il se cabra en arrière, le bassin relevé vers l'avant et les bras tendus vers le sol, paumes relevées, et s'amusa à lacérer Dankin de petits coups de pseudo-vibro-lames.

- Copie ça, chair à bantha !

Canderous se précipita vers Bratak, et lui écrasa le poing de son bras encore valide en pleine mâchoire. Les cartilages craquèrent bruyamment. Avec un sifflement énervé, le Kathol lui rendit la pareille si fort qu'il l'envoya rouler plusieurs mètres plus loin.

Du haut de la plate-forme, Liryl était désemparée. Voir ses fidèles compagnons mis à mal avec tant de violence la frustrait et la désolait, mais elle savait qu'elle ne pouvait rien faire. Sa maîtrise de la Magie Ta-Ree ne l'aiderait pas contre un pareil adversaire.

Il faut que je fasse quelque chose, et pourtant… que puis-je faire ?

« Liryl… »

Elle sursauta. Juste derrière elle venait de raisonner la voix d'Ageer. Elle se retourna d'un geste, les yeux écarquillés… mais ne vit rien. Ni personne.

Et pourtant, c'était sa voix ! Son esprit serait-il ici ? À moins que…

C'est alors qu'elle comprit qu'elle avait été le jouet d'une illusion. Quelqu'un avait réussi à lui faire entendre la voix d'un fantôme. Une seule personne dans les alentours en était capable, en dehors d'elle-même. Elle comprit avec une crispation paniquée. En faisant volte-face, elle eut tout juste le temps de voir Chi'ta se laisser tomber vers la passerelle. Elle courut vers le rebord, et vit la jeune Drall se recevoir en souplesse, sans le moindre mal. Mais ce ne fut qu'un détail quand elle réalisa ce qui allait se produire, et son sang se figea.

- Non ! Ne fais pas ça !

Ezra tentait désespérément de reprendre son souffle. La poitrine écrasée par terre, maintenue par l'un des tentacules humides de Bratak, elle avait du mal à respirer. Relevée brutalement de force, elle jeta un regard noir vers son adversaire penché vers elle, qui en fit autant. C'est alors que le Kathol se redressa, comme surpris. Ses pupilles glissèrent vers l'arrière, alors qu'il émit un léger sifflement. Puis il se retourna, desserrant son étreinte sur Ezra, mais ne relâcha pas le Togorien. La doctoresse tomba derechef mains en avant, et secoua vigoureusement la tête. Elle vit la silhouette courtaude de la petite padawan, qui avançait lentement dans leur direction.

- Chi'ta ? Mais qu'est-ce qui te prend ? Tu es folle !

À la vue de la jeune Drall, l'abominable Kathol semblait devenir complètement subjugué. Ses tentacules restés transparents s'agitèrent. Ezra comprit l'horreur de la situation quand elle entendit une voix caverneuse articuler :

- Ta-Ree… Ta-REE !

Du haut de l'élévateur, Liryl cria :

- Non ! Je vous en supplie, Bratak ! Épargnez-la ! Prenez-moi !

Mais Bratak ne semblait pas intéressé. Il leva la tête, fixa la jeune femme d'un regard brûlant, déploya la bouche et poussa un glapissement si strident que toutes les oreilles sifflèrent. Une onde de choc conique presque invisible mais très puissante jaillit du fond du gosier béant du Kathol et renversa la Dame de Sérénité.

Canderous avait mal. Son bras fracturé était lacéré d'une douleur de plus en plus insupportable. Mais il n'en eut plus conscience quand il vit que Chi'ta n'était plus qu'à quelques pas de la répugnante créature, et qu'elle n'avait pas l'air d'éprouver la moindre émotion.

Elle n'en a plus rien à faire... Elle veut en finir !

Il dut puiser dans ses dernières forces pour supplier :

- Je t'en prie, petite puce ! Ne fais pas de bêtise ! T'en trouveras un autre, de petit chevalier !

Ce fut peine perdue. La jeune fille était maintenant juste en face de Bratak, toujours impassible. Du haut de sa position surélevée, Dankin se débattait avec ses dernières forces, au risque d'énerver davantage le Kathol. Celui-ci était hystérique.

- Ta-Ree ! Ta-Ree, Ta-Ree ! TAREETAREETAREETAREETAREE !

Les yeux plus fous que jamais dardés sur sa proie, Bratak enroula lentement ses tentacules libres autour de Chi'ta. Celle-ci ne tiqua même pas quand elle sentit la matière visqueuse et froide l'envelopper peu à peu, maculer son visage, s'insinuer sous sa cape…

- Chi'ta ! Noooooooon ! hurla le docteur Lohrn.

Avec une succion de délectation, Bratak pencha lentement la tête en avant, déployant au maximum sa gueule circulaire, prêt à planter ses crocs dans le minois de la petite Drall… mais s'arrêta net avec un hoquet nerveux lorsqu'un sifflement caractéristique claqua. Il baissa la tête, voyant avec stupéfaction que son cœur était traversé par la lame de lumière crue du sabre d'Ageer. Chi'ta soutint son regard sans ciller, serrant fermement contre son sein gauche la poignée de l'arme qu'elle avait ramassée avant de quitter la salle des matrices de la base de Thorn. Elle l'éteignit, la laissa tomber. Le sabre Kathol roula sur la passerelle métallique, avant de basculer et de disparaître dans le réacteur.

Le Kathol tomba à genoux avec un gargouillis qui mêlait surprise et souffrance, essayant désespérément de reprendre son souffle sans y parvenir. Comme il avait desserré son étreinte, le Togorien put se libérer et se laisser glisser à terre. Il attrapa la créature par la cuisse d'une main et la nuque de l'autre, et la souleva au-dessus de sa tête. Puis il rapprocha ses mains en rugissant. Bratak poussa un crissement suraigu de douleur. Enfin, Dankin abattit de toutes ses forces son adversaire sur son genou.

Il y eut un écoeurant craquement.

Ezra avala sa salive, impressionnée par la démonstration musclée de Dankin. Le Togorien avait bel et bien disloqué le Kathol en lui brisant la colonne vertébrale. Il jeta le corps torturé encore tressautant de soubresauts nerveux sur la passerelle. La doctoresse reprit rapidement ses esprits. Elle se précipita vers Chi'ta, et la serra dans ses bras, en pleurant de soulagement. Mais la jeune Drall ne réagissait pas davantage. Dame Liryl amena l'élévateur à leur niveau. Canderous se releva, se traîna vers le cadavre de Bratak, et lui aplatit la tête d'un grand coup de talon pour la bonne mesure. Puis il plongea sa main dans le fouillis tentaculaire dorsal du Kathol, en extirpa sa vibro-lame double Jengardin, et rendit l'arbalète au Togorien. C'est alors que la voix de l'opérateur tonitrua :

- Retour à la normale des fonctions d'alimentation. Mise à feu dans deux minutes.

Canderous, Dankin et Liryl se regardèrent nerveusement. Il ne fallait plus traîner ! Le mercenaire s'approcha de l'une des colonnes, se mettant à la hauteur du korendum. Liryl le rejoignit, et expliqua à la cantonade :

- Nous n'avons pas de quoi entamer la structure de ce cristal, et quand bien même nous pourrions faire quelque chose de ce genre, la destruction de l'un de ces trois korendums causerait un déséquilibre des canaux énergétiques tel que la structure ne supporterait pas la surcharge et toute la station exploserait.

- Je ne suis pas sûr d'aimer ça, ironisa Canderous. Remarque, l'univers serait sauvé…

- L'onde de choc et les débris de cette base pourraient avoir des retombées sur Tallaan, sans parler de la déflagration des trois korendums. Non, nous devrons procéder autrement.

- Avec le module d'Ageer, n'est-ce pas ?

- Oui, je vais le rappeler dans notre dimension.

La Dame de Sérénité leva la main droite, paume tournée vers le plafond. Une lumière verte émana de sa main, et le module d'Ageer se matérialisa juste au-dessus de ses doigts fins. Une douce lumière couleur d'émeraude pulsait de l'intérieur.

- Décidément, je ne m'y ferai jamais ! Ca défie toutes les lois de la physique !

- Les Kathols ont appris à contourner ces lois, docteur Lohrn.

- Que comptez-vous faire de ce truc ? demanda Dankin.

- Si nous détruisons l'un des korendums, il y aura déséquilibre, mais si nous nous contentons d'en modifier la structure, l'effet en sera différent.

- Donc, vous voulez dire que ce ne sera plus un canon laser géant ?

- Oui, Canderous, quand la fusion entre ce petit module et le korendum aura opéré.

Dame Liryl marcha vers l'un des énormes cristaux, mais s'arrêta à quelques mètres du socle. Elle recula avec une grimace de douleur. Ezra s'inquiéta.

- Ma Dame, que se passe-t-il ?

- C'est bien que ce que je craignais…

- Quoi, quoi ?

- Je n'osais pas vous en parler parce que j'espérais que ça n'arrive pas… mais je ne puis approcher davantage. Maintenant que j'ai sorti le module d'Ageer, cela a déclenché un effet secondaire : en la présence de ce module, l'énergie émise par ces cristaux grimpe de façon significative, et devient trop forte pour moi. Mon organisme n'endure pas de telles doses de radiations.

- Comment ça se fait ? Je croyais que vous vous étiez exposée à ces vibrations !

- Justement, ma structure moléculaire est devenue trop similaire à celle de ces cristaux. Je risque d'être attirée par le cristal comme par un aimant, puis absorbée avant d'avoir pu faire quoi que ce soit. Si j'essaie de me jeter dessus, il y a un trop gros risque que le module n'intègre pas le cristal et tombe dans le réacteur !

- Alors, donnez-moi ce module, je vais…

- Non ! Votre cerveau ne survivrait pas au flux de Force qui irradiera.

- Moi, je m'en fous, de la Force ! aboya Canderous. Je peux le faire !

- Avec vous, ce serait pire ! Votre métabolisme provoquerait une trop forte résistance, et vous désintégrerait !

- Mise à feu dans une minute.

La voix de l'officier responsable des opérations avait une nouvelle fois éclaté dans les haut-parleurs. Les deux femmes se tournèrent vers les autres. La Dame de Sérénité cria à l'attention du groupe :

- Il n'y a qu'une seule personne parmi nous qui puisse faire quelque chose !

Les autres avaient déjà compris, et s'écartèrent de la petite silhouette de Chi'ta Koskaya. Celle-ci avança lentement, toujours l'air absente. Dame Liryl lui présenta le petit objet.

- C'est le moment de mettre le projet « Renaissance » à exécution, Chi'ta. Es-tu prête ?

La jeune Drall ne répondit pas. Elle approcha les doigts de l'artefact qui pulsait de plus en plus fort, et l'empoigna à deux mains sans hésiter. Il y eut un affreux grésillement alors que de la fumée jaillit d'entre ses phalanges. Mais elle ne broncha pas. Sur son visage, Canderous, Dankin et Ezra ne lurent qu'une incroyable imperturbabilité. Elle se déplaça à petits pas jusqu'à l'un des trois grands korendums. Sa cape virevoltait, soulevée par un souffle d'énergie de plus en plus fort, mais elle restait impassible, et avançait toujours. La lumière cramoisie était devenue éblouissante. La voix de l'opérateur résonna encore dans le hangar :

- Mise à feu dans trente secondes.

Canderous beugla :

- Vous pensez qu'elle peut le faire ?

- Regardez, écoutez… et croyez, répondit Dame Liryl.

Chi'ta était maintenant devant le grand korendum. Elle resta immobile pendant quelques secondes, contemplant rêveusement les ondulations colorées qui parcouraient la surface transparente. Puis elle souleva des deux mains le module DarkStryder au-dessus de sa tête, comme un poignard, et frappa de toutes ses forces le korendum. Un torrent d'étincelles crépitantes jaillit de l'impact, et en un instant le petit artefact fondit dans le cristal. Quelques secondes plus tard, la lumière cramoisie changea, et devint dorée, avec des reflets d'émeraude. Cette illumination envahit rapidement les câbles qui reliaient les cristaux entre eux, et la couleur dorée se propagea sur les deux autres korendums.

La jeune fille se tourna lentement vers les autres. Elle regarda ses quatre amis sans mot dire, avec détermination. En voyant la petite padawan, immobile devant toute la machinerie qui s'était pliée à sa volonté par le biais du module d'Ageer, ils furent tous bouleversés. L'impression de puissance et d'assurance qui émanait d'elle brisa leurs derniers doutes. Dankin tomba à genoux, et inclina sa grosse tête féline. Émue plus qu'à son habitude, Ezra murmura à l'attention du mercenaire :

- Comme elle est belle… on dirait une déesse !

- Elle a bonne mine, ta déesse, avec ses longues dents et ses moustaches roussies…

Mais il n'y avait aucune conviction dans cette moquerie, Canderous était bel et bien convaincu par les paroles de la Calipsa.

D'accord !… Je peux peut-être bien rêver… pour une fois.

Liryl eut un éclatant sourire.

- Tu as réussi ! Grâce à toi, les Kathols vont être enfin libres !

La voix de l'opérateur tonna de nouveau dans le réacteur.

- Alerte ! Erreur système. Réinitialisation du compte à rebours.

- Voilà qui nous fera gagner du temps, constata le mercenaire. On s'arrache !

Ils ne se le firent pas dire deux fois. La Dame de Sérénité tendit la main vers la Drall.

- Rejoins-nous, Chi'ta ! Remontons au vaisseau !

Docilement, la padawan suivit les autres, Canderous récupéra son fusil au passage, puis ils relancèrent l'élévateur. Ils gravirent de nouveau l'escalier quatre à quatre, puis entrèrent dans l'élévateur.

Pendant qu'ils montaient, Liryl demanda au mercenaire :

- Canderous… vous êtes blessé ?

- J'ai connu pire, vous en faites pas.

- Ce n'est pas une raison pour vous laisser souffrir quand je peux faire quelque chose.

Ayant dit, la jeune femme posa sa main sur le bras du Mandalorien. Une chaleur bienfaisante se répandit dans les muscles et les os du guerrier, réparant en quelques instants les dégâts commis par Bratak. Celui-ci ne marmonna qu'un vague « merci ».

Enfin, ils avaient regagné la surface. Canderous serra les dents en voyant arriver des soldats de choc, mais ceux-ci, paniqués, ne prêtaient pas attention aux fuyards. Toute la Sphère était secouée, comme prise d'un séisme. Les changements d'énergie n'étaient pas du meilleur effet sur la superstructure. Les appareils électroniques les moins solides explosaient les uns après les autres. Canderous sortit de sa poche son petit communicateur de secours.

- Mister V, fais chauffer les moteurs, on décolle dès que nous sommes à bord !

- Oui, capitaine Tal !

Les cinq compères s'empressèrent de regagner le Vandread – façon de parler pour Chi'ta, toujours sur le dos du Togorien. Canderous se jeta plus qu'il ne s'installa sur les commandes.

- Le vaisseau est prêt à partir ?

- Oui, capitaine Tal, mais…

Canderous n'attendit pas davantage. Il poussa d'un coup sec la manette des gaz, et le transport spatial partit en avant.

- Capitaine, laissez-moi au moins rentrer les trains d'atterr…

Le Vandread sortit du hangar et s'éloigna à toute vitesse de la S.A.T.A. Ezra rejoignit péniblement Canderous dans le cockpit, et devait se raccrocher à tout ce qu'elle pouvait pour ne pas être renversée par le tangage.

- Stabilise ton vol, espèce de brute !

Enfin, le vaisseau reprit une allure régulière. Dankin, Liryl et Chi'ta entrèrent à leur tour dans l'habitacle.

- Et maintenant ?

- Oh bon sang ! Canderous !

- Quoi, mon pote ?

- Regarde les senseurs !

Le petit écran indiquait une montée d'énergie exponentielle. Le mercenaire fit quelques réglages. L'écran latéral s'alluma, présentant l'image retransmise par la caméra de sécurité située à la poupe du Vandread. Le superlaser de la S.A.T.A. était en marche : une dizaine de canons concentraient leurs rayons sur un point située au-dessus du centre de la parabole concave.

- L'arme fonctionne quand même…

- Oh non, non, non !

- Mais c'est pas vrai ! Ce n'est pas…

Une colonne de lumière dorée aux étincelles vertes jaillit de la Sphère À Torpilles Avancée. Or, ce n'était pas de l'énergie pure, destinée à réduire sa cible en cendres. Quand le rayon frappa Kathol, il n'y eut pas d'impact physique, bien qu'une onde irisât toute la planète en quelques secondes. Et à travers le vide spatial, une chanson résonna directement dans leurs esprits.

C'était le Chant de la Sérénité, chanté par des millions de voix.

Un grand silence plana dans le cockpit. Aucun des cinq compagnons ne put articuler une syllabe. La surprise, le soulagement, l'incrédulité les laissaient tous pantois. Et les voix continuaient à chanter avec passion.

Canderous rit de joie.

- Allez-y les gars ! Tous en chœur !

Et il chanta aussi de toutes ses forces avec un enthousiasme qui ne lui était pas coutumier, sans lâcher les leviers de commande. Le docteur Lohrn s'y mit aussi, et même Dankin gronda en rythme. Mais Chi'ta ne partagea pas l'allégresse, et préféra se retirer dans sa cabine. Dame Liryl dit alors :

- Canderous, dirigez-vous vers la Tour du Conseil de Tallaan !

- Je veux bien, mais pourquoi ? On ne risque pas de se retrouver au milieu de la baston ?

- Notre mission n'est pas encore tout à fait terminée.

- Jamais deux sans trois, il faut encore arrêter la Reine, n'est-ce pas ?

- Exactement, docteur Lohrn. Je sens sa présence dans le bâtiment administratif. Cela dit, elle n'est plus en pleine possession de ses moyens, maintenant. Ce qui est en train de se passer perturbe son contrôle sur les Kathols, elle doit être vulnérable.

- Bon, c'est parti.

Pendant que Canderous manoeuvra l'appareil, Ezra quitta son siège.

- Je vais rester près de Chi'ta, histoire de la surveiller.

- T'as raison, j'imagine qu'elle est dans un état où elle risque de péter une durite et faire une bêtise ! J'ai pas envie qu'elle passe du Côté Obscur dans mon vaisseau !

La doctoresse quitta le cockpit, mais ne rejoignit pas tout de suite la jeune Drall. Elle bifurqua après avoir franchi le sas d'entrée, et se retira dans la cabine sanitaire. Une fois la porte verrouillée, elle s'appuya contre le mur carrelé, et s'autorisa enfin à relâcher le verrou qu'elle maintenait sur son psychisme depuis déjà plusieurs heures. Lentement, elle glissa le long de la paroi et se retrouva assise par terre. Elle expira un grand coup, laissa sa tête tomber entre ses mains, et réalisa alors pleinement ce qu'elle venait de vivre. Elle sentit une vague de tristesse immesurable noyer son cœur, et ne put retenir plus longtemps ses larmes.

- Je suis désolée, fiston… gémit-elle doucement.

Quelques minutes plus tard, le Vandread filait comme une flèche chromée entre les immeubles vitrifiés. C'était la panique : de nombreux appareils de classe militaire croisaient des navettes hospitalières, des corvettes de la police neutralisaient les quelques speeders des citoyens paniqués qui n'avaient pas obéi aux consignes de sécurité intimant de rester au sol. Canderous fronça les sourcils en voyant que certains immeubles avaient été proprement découpés, exactement comme le palais des Mecetti sur Obulette. Les Kathols n'avaient pas retenu leurs attaques. Quand il entendit les messages radio des forces de l'ordre, il coupa les communications et accéléra jusqu'à la plus haute tour de la ville, la Tour du Conseil. Il se posa sur la plate-forme réservée aux navettes privées sans façon. Personne ne l'avait arrêté, le chaos était trop général.

- Ma Dame, vous la sentez toujours ?

- La Reine est dans ce bâtiment, c'est une certitude.

Canderous courut vers l'atelier du vaisseau. Là, il ouvrit en grand le placard secret où se trouvaient ses armes. Il empoigna fermement son blaster lourd, confiant son fusil à impulsions au docteur Lohrn, et se remplit les poches de grenades. Il n'avait pas l'intention de laisser à la Reine Na'toth la moindre chance. Il lança à Dankin un paquetage contenant un jeu de carreaux explosifs.

- Tout le monde est prêt ? Eve, ouvre la trappe !

La rampe d'accès s'abaissa. Le mercenaire fut le premier à descendre, blaster lourd en avant, prêt à s'en servir. Il n'y avait personne, cependant. Toujours autant de panique dans le ciel, mais rien sur la piste d'atterrissage.

- Alors, y a quelque chose ?

- Pas le moindre petit cafard. Je m'attendais à une légion de Krakraï…

Dankin descendit à son tour sur la piste. Tous sens en alerte, il jetait de brefs coups d'œil aux alentours. Soudain, il perçut quelque chose sur sa gauche. Il se retourna juste à temps pour voir une mite géante planer vers lui. Il la renvoya d'un coup de crosse, et la maintint en joue, comme Canderous. Tous deux s'apprêtaient à réduire la créature en bouillie, mais celle-ci ne se redressa pas. Peu à peu, elle cessa de bouger. Ezra rejoignit les deux guerriers.

- Que se passe-t-il ?

- Regarde.

La carcasse luisante de la créature se mit à scintiller, de plus en plus fort. Peu à peu, elle se désagrégea, tomba en poussière, une poussière dorée qui se dispersa et s'envola dans le ciel. Canderous fronça les sourcils.

- Tiens ? Qu'est-ce que ça signifie, encore ?

- Jusqu'à présent, ils ne disparaissaient pas comme ça !

Le docteur Lohrn se tourna vers Liryl, accompagnée de Chi'ta.

- Ma Dame, avez-vous une explication ?

- Non. Je dois avouer que je ne comprends pas, cette fois.

Un cri terrible retentit au-dessus d'eux. Un Krakraï volant à l'aide de deux longues ailes membraneuses percuta l'une des parois du bâtiment, et s'écrasa sur l'asphalte. Un dernier râle d'agonie, et l'hybride d'insecte s'immobilisa, puis se transforma à son tour en poussière dorée.

- On ne relâche pas l'attention, marmonna le Mandalorien.

Ezra n'eut aucun mal à pirater le panneau de sécurité de la porte menant dans la tour. Le petit groupe entra.

On n'entendait que le hurlement lointain d'une alarme, et un message préenregistré invitant à évacuer. Canderous remarqua d'un regard en coin un panneau indiquant les différentes directions à prendre.

- On essaie le bureau du Conseil ?

- D'accord.

Quelques minutes de pas prudents dans les couloirs richement décorés plus tard, Canderous enfonça la porte d'un coup de pied. Ils étaient arrivés dans un grand bureau circulaire, dont les parois étaient transparentes. La vue était magnifique, si l'on ne tenait pas compte des nuées d'insectes géants. Dame Liryl eut les larmes aux yeux devant ce tableau.

- Chi'ta ne dit rien, mais j'imagine qu'elle ressent toute la détresse de ce peuple.

Des dizaines de panaches de fumée s'élevaient de partout. Des immeubles entiers s'écroulaient l'un après l'autre. Des vaisseaux, des speeders s'écrasaient au sol. L'isolation étouffait mal les alarmes et sirènes des véhicules d'intervention, ainsi que les grondements des bâtiments tombant.

Le bruit d'un vase cassé ramena l'attention des cinq camarades au bureau. C'était un Humain un peu ventripotent serré dans son uniforme de conseiller, caché derrière le grand bureau en demi-cercle, qui venait de le faire tomber en se relevant. Il redressa maladroitement ses lunettes, et passa une main nerveuse dans ses cheveux bruns en bataille. Il était couvert de sang, mais n'avait pas l'air trop affaibli. Ezra s'approcha de lui.

- Hé, ça va ?

- Je… oui, ce n'est pas mon sang. Ils… ils sont…

- Où sont les conseillers ?

- Ils sont… tous… morts.

C'est alors que l'odeur caractéristique frappa les narines de la jeune femme. Trop absorbés par le panorama apocalyptique, ils n'avaient pas tenu compte de l'état de la pièce elle-même. Le mobilier n'avait pas été trop dérangé, mais il y avait une demi-douzaine de cadavres éparpillés sur la moquette.

- Et vous êtes encore en vie ? C'est une chance !

- Je… ne comprends… pas. Elle… cette femme… cette espèce de sorcière… elle allait me régler mon compte, et puis… elle s'est arrêtée… en plein mouvement.

- Où est-elle ?

- Partie… partie par là, répondit le conseiller en montrant une porte menant vers un chemin de ronde extérieur d'un doigt tremblant.

Dankin partit aussitôt en éclaireur. Les autres le suivirent du regard à travers la baie vitrée, jusqu'à ce qu'il descendît un escalier, disparaissant à leur vue. Le conseiller regarda la petite Drall avec insistance en fronçant les sourcils.

- Qui êtes-vous ?

- Je crains qu'elle ne soit pas en état de vous répondre, lui dit Dame Liryl.

- Il me semblait l'avoir déjà vue quelque part… tant pis.

Canderous releva son blaster lourd en voyant revenir son vieil ami. Le Togorien déboula dans le bureau.

- Venez voir dehors ! Vite !

Tous le suivirent, à l'exception du conseiller qui resta assis sur le bureau.

- Tu l'as trouvée ?

- Non, mais vous allez voir quelque chose que vous n'avez jamais vu.

L'escalier métallique menait à une grande terrasse située sur une petite aspérité annexe de l'immeuble. Ezra, Canderous, Chi'ta et Liryl tombèrent en arrêt quand ils levèrent les yeux. Un incroyable spectacle se déroulait au-dessus de l'horizon, quelque chose qu'ils n'avaient pas pu voir dans le bureau.

Une immense colonne de lumière dorée, qui prenait sa source de nombreux points sur la surface de la planète, ondulait lentement en spirale jusqu'à la construction de téléportation derrière la planète Kathol. Ezra comprit rapidement de quoi était constituée cette spirale en voyant des vaisseaux Kathols se changer en poussière d'or, poussière qui fut emportée, aspirée par la colonne de lumière.

- Ouais, c'est ça… Les gars, tout ça, c'est les restes des Kathols.

- Tu crois, Ezra ?

- Ma dame, à votre avis, de quoi s'agit-il ? demanda Dankin à l'intention de Liryl.

- Les âmes des Kathols quittent définitivement notre dimension. Elles empruntent un chemin par ce portail, qui les mènera dans un autre plan où elles pourront trouver le repos éternel. Nul ne sait où partent les âmes des défunts, quelle que soit leur race, mais en l'occurrence, les esprits tourmentés des Kathols ont maintenant trouvé le chemin.

- Voilà donc ce que voulait Ageer : délivrer les siens de leur souffrance.

- Oui, ils quittent définitivement ces enveloppes difformes dans lesquelles ils ont été condamnés à survivre pour rejoindre l'éternité, et partir en paix.

- J'y pense, ma Dame. Cela fait déjà un moment que cette chanson revient régulièrement dans nos pérégrinations, mais je ne sais pas du tout de quoi ça parle ! Vous pouvez traduire ?

La Dame de Sérénité réfléchit un court instant avant de répondre à la Calipsa :

- Il s'agit d'une très ancienne chanson, probablement aussi vieille que le peuple des Kathols lui-même. En gros, elle dit : « Priez, sauveur, rêvez, enfants de prière. Pour toujours et à jamais, apportez-nous la paix. »

Les deux Humains, la Kathol et le Togorien pivotèrent sur leurs talons en entendant un long gémissement guttural retentir derrière eux. Ezra, Dankin et Canderous avaient déjà fusils à impulsions et arbalète en avant. Chi'ta n'avait même pas tiqué.

La doctoresse n'était pas surprise de voir la Reine des Kathols, qui présentait un tout autre visage que celui qu'elle avait arboré devant Bodé Leobund quelques mois plus tôt, quand elle était fière, furieuse et en pleine possession de ses moyens.

Sortie du bâtiment par une petite porte donnant dans un salon de thé, Na'toth se traînait lamentablement sur le ventre. Elle releva la tête. Il n'y avait ni haine, ni rage sur son visage, simplement une profonde amertume. Elle eut même un petit rire de soulagement alors que des larmes creusaient des sillons dans la poussière qui recouvrait son visage. Ezra s'avança avec circonspection, et s'accroupit près de la reine Kathol. Derrière elle, Canderous et Dankin étaient prêts à tirer. Na'toth se redressa tant bien que mal sur les genoux, s'appuyant péniblement sur ses doigts meurtris. Un tel spectacle désola la doctoresse.

- Dame Na'toth…

- Vous… vous aviez raison… depuis le début.

- Si seulement ça ne s'était pas passé comme ça… je suis certaine que les Kathols avaient encore beaucoup à nous apprendre.

- N'en… soyez pas si sûre… Humaine. De tous les peuples… que nous avons affrontés… vous êtes le seul… qui ait réussi… à nous surpasser.

- Je ne considère pas ça comme une victoire héroïque, Altesse. C'est un vrai gâchis.

- Sans doute… mais vous avez gagné… sans violence. Seuls les plus sages y parviennent… même nous, autrefois si philosophes, avions oublié cela. Votre jeune ami Ta-Ree avait raison. Vous… pourrez le lui dire ?

Ezra entendit un gémissement étouffé alors que Chi'ta enfouit sa tête dans les bras de Liryl, trop triste pour se montrer. Elle se contenta de répondre :

- Thorn l'a tué.

- Oh… alors… dans une autre vie… peut-être. Eh ! Regardez… le soleil !

Na'toth eut un sourire béat, et s'écrasa face contre terre. Peu à peu, elle tomba en poussière, et chaque petit grain se changea en une minuscule paillette dorée éclatante de lumière. Le nuage de poudre d'or qui avait été Na'toth s'envola et fut aspiré par la colonne.

Le soleil montait lentement au-dessus de l'horizon. Une nouvelle journée commençait.

Liryl regarda pensivement l'astre illuminer peu à peu toute la surface visible de la planète.

- C'est beau, n'est-ce pas ? Un jour nouveau pour un nouveau départ.

- Oui, c'est magnifique, approuva Ezra.

- C'est magnifique, mais ça m'a tout l'air d'un adieu.

- Un… un adieu ?

- Oui, maître Dankin. Il est temps de se réveiller. Et donc, de partir.

- Mais de quoi parlez-vous ?

Dame Liryl se tourna vers le mercenaire, l'air grave.

- Canderous, je ne vous ai pas tout révélé sur moi, il reste un détail que j'aimerais vous dévoiler à présent. En fait…

Alors que la jeune médiatrice parlait, Ezra remarqua qu'elle pâlissait à vue d'œil.

- Dame Liryl ? Ca ne va pas ?

- Je vous en prie, docteur Lohrn, je dois dire la vérité. Ageer et moi avons volontairement caché une toute dernière chose.

La Dame de Sérénité faiblissait, avait de plus en plus de mal à se tenir debout. Elle s'assit sur l'une des tables.

- Je ne suis pas une personne comme vous le concevez, mes amis. Je ne suis pas un être vivant à proprement parler.

- Que… qu'est-ce que ça veut dire ? bredouilla Dankin.

Dame Liryl prit son inspiration, et raconta :

« Il y a des centaines de millénaires, les Kathols ont conçu l'Univers, avec d'autres races très anciennes. Le travail conjugué des Grands Anciens a permis à la vie de progresser, aux différentes formes d'intelligence d'évoluer. Les Kathols ont aidé grandement les Humains en leur apportant la technologie de l'hyperespace. Grâce à cette technologie, les Humains ont étendu leurs possibilités en voyageant d'un système à l'autre, ont pu rencontrer d'autres peuples, avec qui ils ont eu des contacts constructifs. Bien sûr, certaines de ces rencontres se sont soldées par des conflits meurtriers, mais quelques-unes se sont révélées extrêmement positives. Parfois, il suffisait d'une idée, d'un simple concept, pour faire progresser les races. L'hyperespace a été l'un de ces pas en avant, avec les secrets de la maîtrise de la Force, les structures de grandes constructions pratiquement immunisées aux affres du temps, et bien d'autres…

« Les Kathols aspiraient plus que les autres à contribuer à l'élévation de l'intelligence universelle. Mais ils ne pouvaient tout maîtriser, naturellement. Et les guerres ont empoisonné leurs efforts. Pire encore, certains représentants des peuples qu'ils avaient tant voulu soutenir se retrouvèrent animés par la convoitise. C'est ainsi que les légions de la secte des Sith, voulant satisfaire leur soif de pouvoir, résolurent de prendre par la force tout ce que les Kathols étaient pourtant disposés à leur accorder par petites parts. L'armée des Jedi, sentant venir le danger, tenta de les arrêter. Le point culminant de leur course fut le secteur Kathol.

« Les affrontements qui suivirent furent d'une violence jamais atteinte jusqu'alors. Les Jedi, les Sith, les Humains, les non-Humains s'entredéchiraient comme des animaux sauvages. La peur et les puissantes fluctuations du Ta-Ree faisaient perdre tout raisonnement logique aux protagonistes, même certains Jedi étaient devenus des machines à tuer aveugles. Les malheureux Kathols tentaient bien d'empêcher ces batailles, mais s'ils étaient technologiquement plus évolués, ils étaient bien moins nombreux, et refusaient d'user de la violence.

« Alors que les troupes des Sith étaient aux portes de la planète Kathol, les principaux dirigeants suggérèrent au couple royal de fuir. Quitter le secteur provisoirement pour semer leurs poursuivants et attendre que les choses se tassassent. La mort dans l'âme, le Roi Martouf et la Reine Na'toth acceptèrent, sans imaginer qu'ils avaient scellé le sort de leur peuple. Ils lancèrent la procédure de téléportation de toute la planète. Les machines devaient être alimentées quelques jours avant de fonctionner. Ces quelques jours suffirent à un petit groupe de Jedi affolés pour voir de leurs yeux l'installation, et imaginer qu'il s'agissait d'une arme destinée à anéantir tout le système.

« C'est alors que les Sith débarquèrent sur Kathol. Eux aussi remarquèrent la parabole géante de téléportation. Plus effrayés encore, ils lancèrent leur offensive sur le peuple des Kathols, qui eut bien du mal à se défendre. Et les Jedi sabotèrent la parabole alors qu'elle commençait à ouvrir un portail vers l'hyperespace. C'est ainsi qu'il arriva ce que vous savez : tout le secteur fut plongé dans un chaos sans précédent. Quelques-uns des dirigeants des Kathols, le couple royal compris, eurent le temps de se mettre à l'abri. Physiquement, ils étaient coincés, ne pouvaient rien faire tant que quelqu'un ne les tirât de leur sommeil artificiel. Mais psychiquement, ils étaient parfaitement alertes.

« Les Kathols assistèrent ainsi à la chute de tout ce qu'ils avaient mis tant de millénaires à bâtir. En l'espace d'à peine quelques semaines, des générations et des générations de recherches, de découvertes, d'inventions, de maîtrises des forces psychiques, furent perdues. La souffrance fut trop dure à supporter, et peu à peu, les Kathols survivants nourrirent une amertume qui se changea en désespoir, désespoir qui laissa place à une haine profonde envers tous ceux qu'ils avaient tant voulu aider.

« Heureusement, l'un d'eux avait réussi à assumer cette tragédie, et n'avait pas éprouvé de la colère. Il avait pris sa catalepsie consciente avec philosophie, profitant de cet état non pas pour ruminer ses échecs, mais penser à l'avenir. Et quand il fut accidentellement libéré, plus de quatre mille ans plus tard, il fut transporté de joie à l'idée de pouvoir mettre ses projets à exécution.

« Ageer – c'était bien lui – savait qu'il n'avait pas la moindre chance d'entreprendre seul le projet « Renaissance ». Il avait besoin de disciples. Comme il vous l'a expliqué, il a pu en former une première vague, mais fut interrompu par la folie destructrice de Palpatine. Pour lui, l'histoire se répétait. Il se terra sur Wakeelmui pendant des années, et se mit à la recherche d'autres disciples après la Bataille d'Endor. Une fois encore, un Sith perturba ses projets en le traquant, en le poursuivant jusqu'à son refuge, et en le laissant pour mort.

« Trop blessé, trop vieux et aux pouvoirs fortement amoindris par sa longue captivité et son exil, Ageer savait qu'il était condamné, même le Ta-Ree ne suffirait pas à le sauver. C'est alors qu'il décida d'utiliser ses dernières forces pour matérialiser une part de son esprit. Sous les yeux de son dernier disciple, il créa par la force de ses pouvoirs une messagère pour continuer son travail en la compagnie de ce disciple. Le disciple s'appelait Duncan Blackstorm. Ce fut lui qui donna son nom à la jeune femme qui venait d'apparaître juste devant lui. Quand l'invocation lui demanda un nom, il lui donna celui de sa propre mère. Il la nomma Liryl. »

Aucun des quatre compères ne put articuler une syllabe. Dame Liryl reprit son souffle, et avait visiblement du mal à respirer. Ezra pointa un index tremblant vers la jeune femme.

- Mais… mais alors… vous n'êtes pas…

- Ageer et Blackstorm nous ont mené en bateau ! cracha Canderous. Et vous aussi !

- Pourquoi ces secrets, Liryl ? Ca n'aurait rien changé ! Nous vous aurions toujours considérée telle que vous êtes ! On aurait compris !

- Je n'en suis pas si sûre, docteur Lohrn, répondit Liryl avec un sourire navré.

« Voyez-vous, ce qui compte, c'est la réalité, et seulement la réalité. Tous ces artifices sur la Sérénité, tous ces miracles que l'on a pu m'attribuer, cela ne m'a jamais rien apporté de bon. Quand les gens me voyaient comme une sorte de messie, ils perdaient tout sens du réel, et plaçaient leurs espoirs dans une chimère. Je ne suis que la concrétisation d'un esprit tourmenté, avec une part de conscience fermement ancrée au plus profond de lui-même. Je suis une création, un fantasme imaginé par Ageer. Je n'ai pas seulement été son élève, j'ai été ses yeux et ses oreilles dans le Secteur Tapani. La raison de mon existence était simplement de pousser les gens tels que vous à se surpasser, à percevoir les choses au-delà des apparences, et à vivre à travers la réalité, sans plus de croyances superflues. Dire qui j'étais vraiment n'aurait rien apporté de bon. La masse des gens n'y aurait pas cru. Ou pire, elle aurait admis ce fait. Dans les deux cas, elle perdait confiance en moi, et en son avenir.

« Vous êtes cependant ceux qui vont changer les choses, car ce que vous avez accompli, c'est bien réel. Vous avez percé à jour l'illusion, et révélé à l'univers qui sont vraiment les Kathols : les fantômes d'un peuple prisonnier de sa folie meurtrière, enfin libres de disparaître comme les illusions qu'ils sont devenus avec le temps. Quant à moi, je sens que l'âme d'Ageer n'est pas loin. Il me rappelle à lui, et je vais réintégrer sa psyché, lui rendre cette énergie spirituelle qu'il m'a prêtée pour me permettre d'être parmi vous pour un temps. »

Dame Liryl n'arrivait plus à tenir debout, et Dankin la soutenait délicatement de ses bras musculeux, genou à terre. La petite Drall joignit les mains sur celle de Liryl, et l'appliqua tendrement contre son museau.

- Je sens que tu es triste de me voir partir, mais j'ai fini ma mission, et la tienne débute vraiment. L'univers n'aura plus jamais rien à craindre des Kathols… mais il y aura d'autres menaces… et c'est à toi de les prévenir… désormais. Je pars satisfaite, car je sais que tu sauras reprendre le flambeau, et le transmettre à d'autres. Le Projet « Renaissance »… ne fait que commencer.

Doucement, sa tête bascula en arrière, et elle relâcha ses membres alors qu'elle était de plus en plus éthérée. Elle dit encore :

- Le rêve se termine, mais j'ai été… heureuse… de le partager… avec vous tous.

Comme elle finissait cette phrase dans un souffle, son corps disparut complètement, et de la même façon que pour Na'toth, de petites particules lumineuses sortirent des bandelettes, voletèrent autour de Dankin, puis des autres, et se mêlèrent à l'immense colonne lumineuse. Le guerrier Togorien resta stoïque, mais quand Ezra regarda son visage, elle eut un choc. Pour la première fois depuis qu'elle le connaissait, elle vit les yeux sombres du chasseur inébranlable se gorger de larmes, et remarqua qu'il tremblait, et avait du mal à respirer. Canderous baissa la tête, et tapota doucement l'épaule de son ami. Quant à Chi'ta, elle était par terre, hoquetant sur le dos, les bras en croix, les yeux hors de leurs orbites, la fourrure maculée de larmes de sang. Ce deuxième choc de Force qu'elle venait d'encaisser, à peine quelques heures après le premier, avait fini de briser sa raison. Dankin se releva, et laissa s'échapper le cache-poussière qui s'envola, emporté par le vent. Alors, le Togorien leva les poings vers le soleil levant, et poussa un long rugissement très grave, laissant éclater pour la première fois depuis des années la somme de toutes ses tristesses refoulées.

Laisser un commentaire ?