Ô nuit, étoiles, Revenez!

Chapitre 4 : Un charme si puissant, si sublime

3849 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 14:02

Rey aurait voulu ne pas être impressionnée par le vaisseau de Kylo Ren. Elle aurait voulu le juger tape-à-l’œil et extravagant, partir du principe que le Premier Ordre avait à disposition de bien meilleurs vaisseaux que celui affecté à aller la chercher sur Jakku. Mais elle ne put pas s'empêcher d'être impressionnée. Le vaisseau lui rappelait un peu l’intercepteur léger qu’elle avait déjà ‘piloté’ dans le simulateur. C'était un vaisseau armé, pouvant servir selon les cas pour du transport ou du combat, avec de lourds canons et d’excellents boucliers. Jamais Rey n’avait vu de vaisseau aussi beau que celui dans lequel était venu Kylo Ren. Il était couvert d’un solide alliage noir qui scintillait sous la lumière. Le chrome des canons était reluisant lui aussi.

L'intérieur était encore mieux ; en grimpant à l'intérieur, Rey découvrit un tableau de bords et des systèmes de commande à la pointe de la technologie, plus perfectionnés que tous ceux qu’elle avait déjà vus, en vrai ou sur simulateur. Tout était neuf, et rutilant. La sangle du harnais de pilotage n’avait pas un accroc. Des espaces de rangement le long d’une paroi portaient des étiquettes soignées indiquant ‘réserves alimentaires’ ou ‘matériel médical’.  Rey fut émerveillée à la vue de toutes ces choses et resta plantée derrière le siège du pilote, bouche-bée.

Kylo Ren se racla la gorge, et elle sortit de sa torpeur pour lui céder le passage et s’installa dans le siège du copilote. Elle s’attendait à ce qu’il sache piloter ; il était venu sur Jakku par ses propres moyens, visiblement tout seul, et elle ne jugea pas pertinent de faire des commentaires sur ses méthodes de pilotage. Mais alors qu'il prenait place au poste de pilote, son inexpérience lui sauta aux yeux. Il poussa une quantité adéquate de boutons et tira les bonnes manettes, mais resta impuissant lorsque le vaisseau se mit à vibrer et vrombir, mais refusa de décoller.

Il poussa un soupir exaspéré et s’apprêtait à tout éteindre pour redémarrer l’engin, quand Rey finit par intervenir, d’un ton prudent, 

“Le circuit d’alimentation auxiliaire est allumé. Ici. Il ne décollera pas tant que le circuit d’alimentation auxiliaire sera allumé.” 

Il tourna la tête vers elle d’un air impassible et la regarda un moment, puis sans mot dire, poussa l’interrupteur du circuit auxiliaire.

Alors que le vaisseau s'élevait au-dessus du sol, Rey l’entendit dire, 

“Tu sais piloter.” C'était une constatation plus qu'une question, mais Rey haussa les épaules et répondit, 

“En théorie, oui. J’ai passé tellement d’heures dans le simulateur de vol que j'ai perdu le compte.” 

Il répondit peut-être, mais Rey n’écoutait plus. Aucun simulateur n’aurait pu la préparer à l'émotion, aussi réelle que violente, qu’elle ressentit en réalisant qu’elle quittait Jakku.

Elle se pencha vers la vitre, ne quittant pas des yeux l’avant-poste Niima rapetisser jusqu’à ne plus pouvoir distinguer les bâtiments les uns des autres. Alors que le vaisseau prenait de l’altitude, Rey vit la falaise, et le cimetière de vaisseaux. Là, cette petite tache grise sur le sable, c'était l’AT-AT échoué qui était devenu sa maison depuis tant d'années. Elle ne put s'empêcher d’essayer de repérer son Speeder volé, mais à cette altitude, c'était impossible. Le vaisseau montait encore, droit vers le ciel, donnant à Jakku l’apparence d’une vaste décharge sans âme. Rey songea que peut-être Jakku n’avait jamais été autre chose. Peut-être que cet endroit n'était qu’un gâchis désertique. 

Elle ferma les yeux et prit appui contre son dossier, soudain terrassée par le mal de l’air.

Le vaisseau filait à la verticale, elle le sentait, et la sensation d'étourdissement mit longtemps à se dissiper. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, Kylo Ren était occupé à actionner de nombreux boutons et manettes, et ses doigts dansaient sur l’écran de l’ordinateur sophistiqué pour y entrer ce qui devait être des coordonnées. 

“Accroche-toi,” dit-il à Rey, et elle se cramponna aux accoudoirs de son siège. Le vaisseau effectua comme une violente poussée, et soudain Jakku disparut.

Les étoiles autour du vaisseau s'étirèrent jusqu’à devenir des lignes blanches infinies, puis le vaisseau se trouva dans un tourbillon bleuté aveuglant que Rey reconnut comme étant l’hyper-espace. Ils voyageaient à la vitesse de la lumière. Ce n'était pas une simulation. Cette simple pensée submergea Rey, et elle du cacher son visage dans ses mains pour reprendre son souffle. 

“Tu as envie de vomir?” Demanda Kylo Ren depuis l'autre fauteuil, et Rey fit Non de la tête. 

“Non,” Dit-elle d’une voix étranglée. “Seulement… C’est beaucoup pour une seule journée, c'est tout.” 

“Tu peux te détacher et te mettre à l’aise. À cette vitesse, le voyage jusqu’à la base va durer vingt-neuf heures.” 

“Vingt-neuf heures?”  Répéta Rey. Elle se redressa, et en se levant de son siège elle dit malicieusement, “ce sera à déduire de ma période d’essai de deux semaines, vous en êtes conscient.” 

“Et bien, je ne peux pas aller plus vite,” l’informa Kylo Ren. Rey se dirigea vers la cabine du passager, admirant au passage les jolies étiquettes sur les tiroirs, et se demandant ce que contenait celui qui disait ‘matériel médical’. Sur Jakku, il lui était arrivé souvent de laisser ses coupures ou ses plaies sans aucun traitement, parce qu'elle n’avait rien à  troquer contre des soins. Elle regarda par dessus son épaule et constata que Kylo Ren était toujours occupé par les commandes de l’hyper-espace, et laissa un moment ses doigts sur la poignée du casier, n’osant pas ouvrir.

Finalement, elle tira la poignée, et le casier s’ouvrit dans un glissement. Rey admira les petits récipients parfaitement ordonnés à l'intérieur, les flacons et les bocaux empilés avec soin. Il y avait du désinfectant, des anti-douleurs, et quelque chose d'étiqueté ‘solution cicatrisante.’ Rey se demanda à quoi ça servait, et se saisit du flacon pour lire la notice. Il était écrit, Usage recommandé sur les plaies peu profondes avec écoulement de sang. Appliquez quelques secondes jusqu’à coagulation du sang et cicatrisation de la plaie. 

Rey songea qu'elle aurait bien eu besoin de cela auparavant. Ça aurait été efficace contre les coupures dues morceaux métalliques qui s'enfonçaient dans les doigts à la station de lavage, ou pour les écorchures qui saignaient en surface. Peut-être même contre le nez qui saigne? Rey fut soudain troublée, se souvenant de la façon dont Kylo Ren avait soigné son propre nez, quand elle lui avait donné un coup de coude. Elle rangea la solution cicatrisante dans le casier et referma ce dernier, et se retourna vers Kylo qui se levait justement de son fauteuil de pilote. Il ne fit aucune remarque sur le fait qu’elle soit occupée à fouiner dans le vaisseau sans en avoir demandé la permission. 

“Comment avez-vous fait, pour soigner votre nez, dans la tente?” Demanda Rey, sans transition. “Je vous ai frappé du coude, vous saigniez vraiment beaucoup. Mais ensuite vous avez fermé les yeux et ça s’est arrêté. Comment avez-vous fait?” 

“C'est le même genre de tour de magie que pour déplacer les coussins,” dit-il. Rey fronça les sourcils et il expliqua, “Tout est possible grâce à la Force. La télékinésie - le fait de contrôler les objets par la pensée - est une des compétences de base, et une des premières qui te sera enseignée. Le reste est plus difficile. Les soins, sur soi-même ou sur les autres, sont loin d'être évidents. Plus difficile encore, il y a ce qu'on appelle la ‘vision obscure’ - la capacité à voir l’avenir en plusieurs versions, et à manipuler les événements pour éviter les pires.” 

Une fois de plus, Rey fut bouche-bée. Elle trouvait que ça lui arrivait souvent, depuis qu’elle avait rencontré Kylo Ren. Le son aigu de sa propre voix la surprit, lorsqu’elle demanda, “et quoi d’autre encore?” 

Il parut plutôt amusé par la question, et fit un pas dans sa direction. “Tu veux que je te montre?”, demanda-t-il d’une voix suave et profonde. Cela fit un drôle d’effet à Rey, une chaleur soudaine entre ses jambes, accompagnée d’un battement au creux de son ventre. Elle déglutit et s’efforça de dissiper au mieux la sensation physique inattendue provoquée par cette réponse. Elle acquiesça en silence, lui donnant l’autorisation de lui montrer de quoi ‘la Force’ était capable. 

“Ferme les yeux,” dit Kylo Ren, et Rey hésita.

Kylo Ren s’était encore approché d’elle, et elle recula instinctivement jusqu’à se trouver dos aux casiers. Son expression était étonnement douce lorsqu'il fit un geste du menton et lui dit, “Ne t’inquiète pas. Je ne vais pas te faire de mal. Je vais te montrer quelque chose. Ferme les yeux, Rey.” 

Il y avait quelque chose d’apaisant dans sa voix profonde, et Rey ne put plus lui opposer de résistance et obéit. Elle laissa ses paupières retomber, tout en songeant que de toute façon, il n’existait pas d’issue, dans un vaisseau en hyper-espace. Autant le laisser faire sa démonstration. 

Elle s’adossa aux casiers, attentive à la fraîcheur du métal contre son dos. Au début, il ne se passa rien, puis elle ressentit bizarrement la présence d’une main devant son visage. Elle ne voyait pas la main, mais elle savait qu'elle était là. Elle pouvait la ressentir, dans l'éther derrière ses paupières. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais avant qu'un son ne sorte de sa gorge, elle ressentit un froid glaçant dans tout son corps. Le givre la dévora de l'intérieur et s’empara de chacune de ses cellules. Le néant noir derrière ses yeux devint soudain d’un blanc aveuglant, et il fallut à Rey un long moment pour comprendre ce qu’elle ‘voyait’. Elle poussa un cri de surprise, réalisant soudain de quoi il s’agissait. 

De la neige. De petits flocons blancs tombaient doucement du ciel, et Rey eut envie de crier de joie devant ce spectacle incroyable. Elle comprenait à présent pourquoi son corps avait si froid : elle était debout dans la neige! 

La neige disparut aussi vite qu’elle était venue. Tout s’estompa dans le grand vide autour de Rey, qui essaya de rattraper les flocons. Son sang se réchauffa, et l’obscurité se dissipa en une nouvelle vision. Il y avait du vert partout autour d’elle… Tellement de vert!

Des feuilles qui reluisaient, dégoulinantes de gouttes de pluie qui s'écrasaient aux pieds de Rey. Rey se sentit trempée, comme sous le robinet de l’avant-poste Niima. Mais la sensation était bien plus agréable que sous le robinet ! La pluie était tiède, et apaisante, et dans le lointain Rey entendait des chants d’oiseaux. Elle sentit le larmes lui monter aux cils, et ne put plus dire si elle préférait la neige, ou la pluie. Elle voulut parler, appeler Kylo Ren et lui demander quelle était la part de vrai dans tout cela, mais elle n’en eut pas l’occasion.

Elle suffoqua, hoqueta, chercha de l’air, et quand ses yeux s’ouvrirent, neige et pluie avaient disparu. Elle était dans un vaisseau, le vaisseau de Kylo Ren, et elle s'affaissa légèrement contre les casiers. Sa tête tournait tant qu’elle n’arrivait pas à avoir une pensée cohérente, et ses jambes ne la soutenaient plus. Elle était pourtant consciente que des mains serraient sa taille, qu’il la portait devant lui, et elle revint d’un coup à la réalité. Elle parvint à respirer, à se redresser, et il retira vivement ses mains de sa taille.

“Qu’est-ce qui s’est passé?” Demanda-t-elle avec plus de colère qu’elle ne l’aurait voulu. “Je n’ai pas seulement vu la neige et la pluie. Je les ai senties. Comment avez-vous fait ça?” 

Il humecta sa lèvre inférieure comme pour gagner du temps, et Rey remarqua le bout de sa langue glisser de droite à gauche. Elle eut un frisson, comme si des restes du paysage enneigé étaient encore sous sa peau. Kylo Ren dit d’une voix étrange, 

“Tu peux le faire aussi. Tu en as déjà les capacités. Ce n’est qu’une question d’entraînement. Viens dans ma tête.” 

“Je vous demande pardon?” Protesta Rey, déstabilisée. Elle eut la sensation désagréable qu’il se tenait trop près d’elle, à cet instant ; elle sentait une odeur de sel, de sueur, et d’autre chose d’ostensiblement masculin irradier de lui. C’était obsédant de le sentir si proche, et elle aurait voulu pouvoir lui demander de reculer un peu. Comme s’il avait lu ses pensées, il fit un pas en arrière, et elle vit ses pommettes rougir. 

“Regarde-moi dans les yeux”, dit-il d’un ton franc, “et essaie de ressentir ce qu’il y a dans ma tête.” 

Rey n’avait pas la moindre idée de ce qu’il attendait d’elle. Elle leva les yeux au ciel et poussa un soupir, mais elle obtempéra en plongeant son regard dans le sien et en essayant de percer ses pensées. Elle n’était pas certaine de comment s’y prendre, et se contenta donc d’observer ses yeux. Si elle le regardait longtemps et que rien ne se passait, elle pourrait au moins dire qu’elle aurait essayé. 

Ses yeux étaient d’un brun foncé, piqués de paillettes dorées qui semblaient danser sous la lumière bleutée du vaisseau. Il y avait quelque chose de profond dans son regard, comme une tristesse dissimulée qui ne partirait jamais, même s’il souriait. Ses yeux étaient plantés dans les siens, et Rey eut soudain la sensation de ne plus pouvoir s’en détourner. Il ne cligna pas des paupières, et elle se sentit aspirée à l’intérieur de lui. Elle fit de son mieux pour ne pas résister à cette sensation, fit de son mieux pour s’abandonner à cet esprit qui venait de se briser comme mille morceaux de verre, et qui l’invitait à entrer. 

Un besoin profond, et obsédant, de soutien - le soutien d’une forme précise, mais floue. La peur d’être inutile, d’être rejeté. La détermination de mener à bout tout ce qu’il entreprenait. La pression permanente du perfectionnisme, la conviction que la moindre erreur suffirait à tout gâcher et à anéantir tout ce qu’il avait accompli jusqu’alors. Un malaise insidieux à se faire dicter sa conduite, mêlé à un besoin viscéral de se préparer à la suite. Et là, tout de suite, beaucoup de confusion. La sensation d’être captivé, capturé, assourdi et abêti par quelque chose de magnifique, et d’inaccessible. De la perplexité à ce sujet. Une lutte interne jusqu’au fond de son âme.

Rey fut rejetée hors de l’esprit de Kylo Ren, et comprit alors qu’il ne contrôlait plus du tout les parties de son esprit auxquelles elle avait accès. A vrai dire, ce n’étaient pas des ‘pensées’ qu’elle avait ressenti, mais plutôt des motivations, des émotions, des tempéraments. Elle songea qu’il l’avait autorisée à lire en lui pour qu’elle voie ce qui était tapis sous le regard de pierre, les lèvres charnues et cette mâchoire toujours serrée. 

Rey se redressa contre le casier et le défia du regard, consciente mais indifférente à combien sa respiration était irrégulière. Ça faisait beaucoup d’informations d’un seul coup, pensa-t-elle. L’idée qu’il puisse planter des pensées si profondément à l’intérieur de sa tête, l’idée qu’elle puisse comprendre qui il était sans qu’il n’ait besoin de prononcer une parole. L’idée que tout cela n’était que la couche supérieure des possibilités qu’offrait la Force, et qu’un jour elle puisse faire beaucoup plus. La perspective d’abandonner Jakku et de voyager vers une base enneigée inquiéta subitement beaucoup moins Rey. 

“Nous avons encore beaucoup d’heures de vol,” s’entendit-elle marmonner, et elle baissa les yeux comme pour dissiper la tension électrique qu’il y avait entre eux. Ça ne fonctionna pas vraiment ; la seule vue de ses bottes provoqua une étrange sensation sous sa peau. Elle ferma les yeux un instant et fit de son mieux pour prendre un ton léger en demandant, “Est-ce qu’il y a des distractions ou des hololivres, ou quoi que ce soit du genre, pour passer le temps sur ce vaisseau?” 

Elle sentit son bras frôler son visage et battit des paupières alors que sans un mot, il ouvrait un autre casier derrière elle. Elle ne fit pas un geste, alors qu’il s’avançait pour s’approcher du casier et prit appui au-dessus d’elle. Rey retint sa respiration, pour ne pas sentir de nouveau son odeur. Elle regarda droit devant elle, scrutant le tissu noir et râpeux de sa tunique. Heureusement, il ne fouilla pas longtemps dans le casier, et le ferma avant de tendre un hololivre à Rey. Il recula et lui dit avec douceur,

“C’est un roman classique, à propos d’une esclave Twi’lek qui s’empare de l’Empire commercial d’un Hutt.” 

“Oh.” Rey acquiesça et regarda l’hololivre, mais son esprit fusait dans tous les sens, dans un tourbillon de sensations. Elle leva les yeux vers lui et vit qu’il avait toujours les joues rouge-pivoine. Il se passa la main dans les cheveux pour dégager son visage, et Rey essaya de ne pas le regarder faire. “Merci,” dit-elle, en montrant le livre. Il fit un signe du menton en guise de réponse et fit quelques pas en arrière, avant de retourner en silence s’asseoir dans le fauteuil du pilote. Il ne parla presque plus pendant tout le reste du voyage.

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