Evan-escence

Chapitre 2 : J-7

Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 19:42

 

Chapitre un
 
J-7
 
 
 
 
- Vous nous quittez déjà ? 
L’homme qui parle porte une barbe sans âge, hirsute et grisonnante. Il est à l’image de la plupart des hommes vivants sur ce caillou géant qu’ils nomment pompeusement « Le monde ». Curieuse façon de parler et curieuse façon de vivre.
 
Vu de l’espace, « Le monde » est incroyablement vivant. Le soleil projette sur la planète des ombres qui semblent danser comme les aurores boréales terriennes. C’est une toute petite planète, plus proche en diamètre de la lune terrestre que de tout autre astre connu. Elle est si insignifiante au regard du gigantisme des autres mondes et pourtant elle éblouit l’espace de sa sublime aura rougeâtre. Si McKay était là, nul doute qu’il se lancerait dans une explication complexe sur les phénomènes chimiques, ioniques, moléculaires et bien d’autres encore, qui engendrent une si étrange luminosité.
Fort heureusement pour le major Lorne, Rodney ne fait pas parti de l’expédition et ce ne sont pas les trois autres membres de son équipe qui joueront au larsen cérébral.
 
En trois jours, le major Lorne a eu plus de temps qu’il en faut pour explorer la surface de la petite planète et le continent unique qui émerge d’un océan tumultueux. Celui-ci alterne des zones principalement arides où ne poussent que des cailloux et d’autres recouvertes de steppes. Que se soit donc d’un point de vu militaire et stratégique ou énergétique, cette planète n’a guère de ressources utiles aux terriens. Rien d’étonnant finalement à ce que les Anciens n’aient pas jugé utile de mettre une porte en orbite autour de ce tout petit monde perdu dans l’infiniment grand.
 
La population locale vit au rythme des migrations bovines. De grands troupeaux aux fausses allures de vaches qui parcourent les étendues de lichen et emportent avec elles, hommes, femmes et enfants, nomades par cultures et par nécessité.
Le major Evan Lorne regarde ce peuple agraire et s’étonne du paradoxe qui existe entre leur nature presque primitive et leurs regards, à peine surpris, face à la technologie des Atlantes. Dès leur arrivée, ils ont été accueillis à bras ouverts et intégrés dans le village, bien grand mot pour décrire trois tentes et une grande hutte en bois. Le chef a expliqué à Lorne le mode de vie de son peuple mais n’a pas posé la moindre question quant à l’origine du major et de ses hommes. Par curiosité, Evan a commencé à parler des Anciens, des wraiths, mais le chef a aussitôt dévié la conversation sur la qualité de son troupeau.
 
Trois jours qui n’auront finalement rien appris de capital pour la survie d’Atlantis ou pour la lutte contre les wraiths. Est-ce que cela valait vraiment la peine de faire cette expédition ?
Quand le major Lorne pense aux vingt-trois heures de jumper qui l’attendent avant de trouver la plus proche porte, il regrette presque sa mise à pied dans la cité. Pourquoi diable le lieutenant-colonel Sheppard explore-t-il toujours des mondes étranges peuplés de créatures plus voluptueuses les unes des autres, alors que lui ne trouve que des peuplades primitives et inintéressantes ?
Lorne serait presque jaloux des aventures de son supérieur. Cependant, à y bien réfléchir, il préfère de loin ses petites explorations monotones mais agréables, à celle de la First Team qui finissent toujours entre les mains expertes du docteur Beckett. Même leurs vacances au Canada n’ont pas échappé à la règle.
 
- Je vous en prie, partagez encore notre repas de ce soir. 
Lorne sort de ses réflexions.
- Je vous remercie mais il est grand temps de retourner auprès des nôtres.
- Ce soir, c’est la nuit rouge.
- Qu’est-ce que c’est ?
- Une fête en l’honneur de notre dieu protecteur. Il vit par delà l’horizon et assure notre subsistance depuis la création de notre peuple. Il a créé « Le monde » et nous a déposé, nous ses adeptes, dans ce lieu où nous pouvons le vénérer librement et sans contrainte.
Le major est subitement intéressé. Enfin le chef consent à dévoiler un peu plus de qu’ils sont réellement.
- Pourquoi sans contrainte ? Ce n’était pas le cas auparavant ?
- Non, avant la création du monde, nous devions cacher notre culte car sinon les premiers dieux nous chassaient. Mais tout cela c’était avant… maintenant nous ne risquons plus rien, ni des nôtres, ni de ceux qui comme vous sont susceptibles de venir des étoiles. 
Un membre de l’équipe qui s’est approché subrepticement tire doucement Lorne en arrière.
- Voila enfin l’explication de leur apparente sérénité face à notre expédition. Ils ne nous craignent pas plus que les wraiths car ils se sentent protéger par leur dieu.
- Oui, sauf que dieu ou pas, les wraiths ne font pas dans la dentelle. Si ce peuple ne les craint pas c’est qu’ils n’ont visiblement pas été soumis à la sélection. Il faut en apprendre plus sur leur divinité. Cette mission commence à devenir intéressante.
- Evan ? 
 
Le major adresse un superbe sourire au lieutenant. C’est une jolie femme élancée et sportive qui a rejoint depuis peu l’expédition Atlante. Le major Lorne et le lieutenant Mégane Frès ont effectué leurs classes ensemble et étaient particulièrement proches du temps de leurs années terriennes. Evidemment depuis l’arrivée de la jeune femme sur Atlantis, le major Lorne s’est imposé une distance et une conduite irréprochable pour un supérieur. C’est malheureusement ainsi que cela doit se passer au sein de l’armée, n’en déplaise à leurs cœurs et à leurs corps. Si dans un premier temps, Mégane s’est sentie rejetée et blessée, elle a vite compris que le dédain apparent de Lorne cachait en fait un désir jamais oublié. Depuis, un petit jeu s’est installé entre eux. Plus elle le taquine et l’aguiche et plus il joue les bourrins militaires. Ha, comme il est beau dans son habit d’homme viril et insensible ! Ha comme elle l’aime quand il la fuit des yeux alors que tout son corps vibre de désir !
Mégane était enchantée lorsque le docteur Weir lui a demandé d’accompagner Evan dans cette mission. Elisabeth Weir n’ignore rien des liens qui unissaient Lorne et Frès sur Terre et en tant que femme elle sait ce que Lorne ressent pour la belle, bien mieux que Lorne lui-même. L’affectation de Mégane n’est pas le fruit du hasard mais celui d’un plan mûrement établi pour re-booster le major et lui octroyer, l’air de rien, des petites vacances au frais de la princesse.
Mégane se remémore leur conversation juste avant le départ.
- Votre mission sera sûrement encore plus routinière que d’habitude. Cette partie de la galaxie ne recèle rien de bien palpitant en dehors d’une culture de gros cailloux, mais c’est exactement ce qu’il faut au major Lorne. Je n’ignore pas vos relations passées et à venir avec le major…
- A venir ?
- Atlantis est certes régie par des lois militaires, mais je ne vois pas en quoi les relations amoureuses qui pourraient naître dans la cité mettraient en périls sa survie. Si le major Lorne et vous êtes épris l’un de l’autre, vous avez ma bénédiction.
- Ha ! Et vous-même, vous appliqueriez ce nouveau règlement à vos propres sentiments ?
- Heu… Moi, c’est différent, je dirige la cité, je ne peux pas me permettre de…
- Et bien, voyez-vous docteur Weir, je pense qu’Evan, enfin… le major Lorne ne contreviendra jamais à une règle militaire, aussi douloureuse soit-elle. Peut-être sur nos temps de congés, mais...
- Bien, faites comme vous l’entendez, mais sachez que vous avez carte blanche pour lui changer les idées et lui faire oublier son stupide sentiment de culpabilité. 
Elisabeth avait souri avant de poursuivre.
- Considérez que c’est une prescription médicale en accord avec le docteur Heigthmeyer.
- Bien madame. 
Et la conversation s’était arrêtée là, laissant le docteur Weir en pleine introspection sur son libre choix et celui des militaires, et le lieutenant Frès dans l’expectative sur sa conduite à tenir. Finalement, Mégane avait décidé de ne rien faire de plus. Etre présente, le taquiner, l’aguicher, le torturer gentiment et attendre de voir… Si Evan succombe, elle ne le retiendra pas. Si au contraire il résiste, elle résistera aussi. Ils s’étaient fougueusement aimés et ils s’aimeraient encore, il suffirait d’être patients. Un jour bientôt, Evan lui dira de nouveau des mots tendres à son oreille.
 
- Qu’est-ce qu’il y a lieutenant ? 
La réponse du major Lorne sort Mégane de ses douces rêveries.
- Tu ne crois pas que les premiers dieux pourraient être les Anciens ?
- C’est possible. 
Le major se rapproche du chef resté poliment à distance de la conversation.
- Nous acceptons volontiers votre invitation. En quoi consiste cette fête ?
- Nous allons festoyer et célébrer sa force divine en buvant le nectar qui nous lie à lui. Rejoignez-nous dans ma hutte lorsque la nuit sera noire et ensemble nous la teinterons de rouge. 
Sur ces mots, le chef pénètre dans sa hutte.
Le lieutenant Frès se colle au major Lorne.
- Teinter la nuit de rouge n’est pas une image particulièrement engageante.
- Non, tu as raison, ça donne plutôt la chair de poule. Viens, on retourne au jumper se préparer. 
 
Alors que les deux militaires retrouvent leurs amis auprès du petit vaisseau, le chef du village se prosterne devant un petit monticule de feuilles et d’ossements, priant un dieu qu’il vénère plus que tout, plus que la vie elle-même.
-  Voila mon divin, tout sera fait comme vous l’avez demandé. 
- C’est très bien, mais l’homme et la femme ont des doutes, il faudra être plus rusé qu’eux. 
Le chef est seul face à un petit miroir qui orne le centre de l’hôtel dédié à son dieu. Lorsque ce dernier s’exprime, c’est par le biais du shaman dont la voix se mue en une sorte de raclement ponctué de gargarismes étranges. Même son visage se modifie. Ses traits se durcissent, ses yeux sont comme exorbités et hantés d’une luminosité rouge effrayante. Le dialogue entre le chef et son reflet se poursuit dans l’intimité de la hutte.
- Je serai prudent mon divin. Les offrandes seront votre et la nuit sera plus rouge que jamais.
- La nuit sera mienne et avec cet homme, ce major Lorne, c’est le monde qui s’ouvre de nouveau à moi. Ha comme l’attente fut longue.
- Oui mais elle sera récompensée par-delà nos espérances. 
 
 
 
***
 
 
 
Dans quelques heures, une journée tout au plus, le Daedale sera de retour dans la cité Atlante. Le vaisseau apporte non seulement de nouvelles recrues mais également deux cadeaux Bonux, le docteur McKay et le colonel Sheppard.
Au bloc infirmier, c’est l’effervescence. La chambre du colonel Sheppard était restée inchangée depuis sa disparition quelques semaines plus tôt, mais les choses sont en train de bouger. Un groupe d’Athosiens a décidé d’y brûler de l’encens et d’y installer un nombre considérable de bougies parfumées. Selon une légende datant de la nuit des temps, cette purification chasserait le mauvais œil qui indubitablement a jeté son dévolu sur le malheureux colonel.
Dans la cité, on ne parle que de cela. On en pleure ou on en rit, mais cela ne laisse pas indifférent. Même Elisabeth Weir regarde l’étrange cérémonie athosienne avec curiosité. Pour tout dire elle aimerait stopper cette mascarade plus angoissante que rassurante, mais elle ne voudrait pas désobliger le peuple de Teyla. Aussi le docteur Weir ferme-t-elle les yeux, espérant que toute cette agitation se calmera avec le retour de la fine équipe et surtout l’arrivée de nouveaux visages.
Une voix provenant du centre de contrôle interpelle la chef atlante.
-  Docteur Weir, nous recevons un message de major Lorne. Il souhaite prolonger sa mission de quelques jours.
- Très bien ! 
Pour le docteur Weir, ceci est une excellente nouvelle. Bien qu’ayant eu l’aval du docteur Heigthmeyer, le major Lorne lui semble encore un peu fragile. Fragile, mais surtout très sensible lorsqu’il s’agit du colonel Sheppard et du docteur McKay.
Un zeste de rancœur envers le scientifique ?
Elisabeth sourit en pensant au citron, une bonne blague que le docteur McKay a chèrement fait payer au major Lorne. A moins que cela ne soit encore la culpabilité d’avoir laissé sa place au colonel Sheppard (Fanfic : Autres regards et Huis-Clostrophobie), l’entraînant dans une succession de mésaventures plus dangereuses les unes des autres?
Quoiqu’il en soit, Elisabeth préfère gérer un problème à la fois. D’abord accueillir les deux naufragés. Quant à Lorne, que son contre temps soit lié à la présence du lieutenant Frès ou à la richesse du paysage, le docteur Weir s’en félicite. Si le major Evan Lorne a trouvé une occupation à l’autre bout de la galaxie, loin des tracas de la cité, tant mieux !
 
 
 
***
 
 
 
Le major Lorne, suivi par deux de ses hommes, ont attendu que la nuit soit bien entamée pour rejoindre le village. Par prudence le major a préféré laisser Mégane dans le jumper, lui intimant l’ordre de rester en mode furtif. Dans un premier temps Mégane a refusé mais les arguments militaires du major ont fait mouche, tant ils étaient irréfutables.
En cas de problème, il est impératif qu’un des leurs puisse contacter Atlantis. L’ordre du major étant de joindre la cité s’ils ne sont pas de retour le lendemain avant midi. De même, Mégane a interdiction de lever le voile d’invisibilité tant que l’un d’eux n’est pas de retour. Une protection nécessaire face à un peuple inconnu hier, et ce soir, fidèles d’un dieu qui pourrait protéger Atlantis des wraiths.
Quant à savoir pourquoi le major Lorne a choisi de laisser le lieutenant Frès en retrait et pas un autre membre de son équipe ? Et bien parce que ce sont les ordres et cela ne se discute pas !
 
Visiblement les habitants du « monde » n’ont pas la même définition du mot festoyer. A l’approche du village seul des rythmes lents de tamtams résonnent. De grands flambeaux sont disposés autour de la hutte d’où émane un faible brouhaha.
Le major Lorne fait signe à ses hommes de le suivrent à l’intérieur.
-  Ok, le but de cette fête est d’honorer un dieu dont l’origine ou la représentation peut être une technologie utile contre les wraiths. Essayez de ne pas gaffer et tendez bien les oreilles. Au moindre truc suspect ou potentiellement dangereux, on met les voiles. Est-ce bien clair ? On ne joue pas au héros et on rejoint le jumper. Des questions ? 
Un signe de tête unanime et l’équipe pénètre dans la hutte.
 
La première chose qui surprend le major et ses hommes est l’odeur.
Métallique, chaude et entêtante, une odeur que l’on connaît mais que l’on ne peut définir. La seconde est la sobriété de la tablée. En effet une grande table a été dressée au milieu de l’habitation. Plusieurs hommes vêtus de longs manteaux sombres sont déjà attablés alors que les femmes regroupées à une extrémité de la pièce se contentent de préparer un repas exclusivement à base de viande. Le chef se lève et ouvre grand ses bras hospitaliers.
- Prenez place parmi nous ! Nous allions commencer le repas. Joignez-vous à nous ! 
Suivant l’invitation du shaman, Lorne s’assoit à sa droite alors que ses hommes se dispersent au hasard des places libres. A l’aide de son micro, Evan tente de rétablir un minimum de cohérence dans la disposition des places.
- Vous êtes trop éloignés, restez groupé, c’est un ordre ! 
Aussitôt ses deux hommes se relèvent pour s’installer ensemble mais à l’autre extrémité de la table.
- Nous sommes loin de vous major, s’il y a du grabuge de votre côté nous ne pourrons agir.
- Je me débrouillerai. En aucun cas vous ne devez vous isoler, nous serions des proies trop faciles. Soyez prudents. Je trouve votre éloignement relativement suspect. 
Le shaman poursuit son repas avec aisance et naturel. Une femme drapée d’un blanc, tranchant avec les tenues ténébreuses des hommes, dispose les assiettes richement garnies. En découvrant son plat, Lorne ne peut réprimer un haut le cœur. La viande y est plus que saignante, elle est carrément crue.
Le chef y plonge un couteau, saisissant de la pointe l’épaisse tranche qu’il exhibe aux regards de tous.
- Louons notre divin qui fait de beaux et vigoureux troupeaux. 
Il poursuit à l’attention du major et de ses hommes.
- Cette viande est le symbole de notre force et de notre virilité. Notre dieu nous a fait don de nos bêtes qui enrichissent et engraissent notre peuple depuis la création du monde.
- Heu…oui, je comprends parfaitement, mais pourquoi la manger crue ? 
Tout en parlant le chef a pris en main une coupe qu’il tend au major Lorne.
- Pour nous purifier par le sang de la bête. Buvez ! 
Lorne se contente de regarder la chope que le chef continue de glisser vers lui.
- C’est le nectar qui nous lie à notre dieu. Vous vouliez le connaître n’est-ce pas ?
- Oui, effectivement, je voudrai en savoir un peu plus sur lui mais… est-ce une sorte de rite initiatique ? Que contient cette coupe ? 
En attrapant la chope, le major pense aussitôt à un élixir hallucinogène comme on en voit dans tant de cultures où dieux et hommes s’unissent dans la magie. Cependant, dès que son regard se porte sur le liquide épais qui suit lentement les mouvements de son réceptacle, Lorne comprend qu’il s’est trompé. Le liquide est rouge, presque noir. Il émane de lui l’odeur si caractéristique qui emplie la pièce, l’odeur qui subitement prend un nom. Le sang.
 
La surprise fige sur place les trois hommes.
- Ceci est le lien qui coule en nous.
- C’est du sang. Est-il… humain ?
- Oui. Dans votre chope, il y a mon propre sang que j’ai fait couler pour vous. 
Lorne hésite. Il aimerait fuir et laisser un maximum de distance entre lui et ces fous qui boivent leur propre sang. Mais il aimerait aussi comprendre pourquoi cette étrange coutume. Quelle est sa signification ? Un appel radio met fin à ses interrogations.
- Major, doit-on boire ce truc ?
- Non, surtout pas. Attendez mes ordres
Evan repose son verre sans pour autant le lâcher. Il ne veut pas paraître désobligeant. La situation est déjà suffisamment délicate, autant ne pas donner de prétexte à la discorde.
- Grand chef, d’où je viens il nous est interdit de boire du sang humain. Nous sommes très honorés par ce sacrifice, mais nous ne pouvons accepter de nous lier ainsi à votre dieu. Existe-t-il un moyen qui puisse convenir à nos deux peuples ?
- Non, buvez mon sang et nous serons liés. Je pourrai ensuite vous conduire auprès du divin. Buvez major Lorne !
- Non je regrette. 
Le major poursuit à l’attention de ses hommes.
- Il faut levez les camps. Je crains qu’ils n’apprécient pas notre manque de savoir vivre ! 
Avant d’avoir pu esquisser le moindre mouvement, les pires soupçons du major se trouvent confirmés. Une lame tranchante vient se poser sans délicatesse sur sa gorge. Un rapide coup d’œil l’informe de la posture similaire de ses hommes.
 
Evan sent la lame acérée entailler doucement son cou. Une goutte puis un petit filet de sang coule lentement de la fine coupure. Le shaman colle son visage à celui de Lorne. Leurs regards se croisent. Ce que le major y lit doit être particulièrement angoissant car son teint vire aussitôt au gris pâle. Sa déglutition est douloureuse et les mots peinent à quitter sa bouche.
- Que voulez-vous ? 
Le chef porte aux lèvres du soldat la coupe de sang.
- Buvez mon sang et venez avec moi. 
Evan détourne son visage, intensifiant par ce geste la brûlure de la lame. Le shaman laisse échapper un rire dément, aux portes de la folie, puis caresse le cou de Lorne du doigt. Son index se colore de rouge puis sa main fermée en coupelle recueille le fluide vital.
- Votre sang. 
L’homme porte sa main à ses lèvres et commence à boire les quelques gouttes recueillies. Son visage est si effrayant que même les villageois s’en détournent. Lorne a juste le temps de voir flamboyer ses yeux, un peu à la manière des goa’ulds, avant qu’un cri, à l’autre extrémité de la table, n’attire son attention. Là, ses deux hommes sont maintenus sur leur chaise, tête rejetée en arrière. L’un tente farouchement de faire lâcher ses adversaires. Mais c’est peine perdue et les villageois réussissent à les maintenir puis à verser le liquide rouge dans leur bouche.
Le major Evan Lorne ne peut détacher son regard de l’atroce tableau.
Les deux soldats qui étaient quelques minutes plus tôt ses amis ressemblent à présent à des bêtes féroces. Les mains accrochées à leurs chevilles, ils se balançaient d’avant en arrière en grognant et en montrant leurs dents.
La voix redevenue normale du shaman tire le major de sa stupeur.
- Ils sont liés à notre dieu. Il leur montre l’être initial qui est en eux. Venez avec moi major Lorne, venez de votre plein grès et votre vision sera celle de l’être originel. Particule unifiant le bien, le mal, notre monde et le votre. C’est l’univers que je vous offre. 
 
Le shaman tend sa main à Lorne. Sa paume est encore rouge du sang du major. Evan ne peut quitter des yeux ses hommes. Pendant quelques secondes il oublie sa situation inconfortable. Le présent lui est brutalement rappelé par une sensation douloureuse qui le détourne du terrible tableau. Un homme lui tire la tête en arrière comme cela avait été le cas pour ses amis. Son cou le lance violemment mais ce n’est qu’en voyant la lame rougie de sang qu’exhibe le shaman qu’Evan comprend le sens de cette douleur. Sa vue se trouble mais ses autres sens sont en alerte. Il perçoit une étrange sensation de fraîcheur dans sa nuque. Lorsque le chef du clan quitte l’antre de son cou pour coller son visage au sien, Evan comprend enfin ce qui l’attend. Finalement, il aurait peut-être du accepter cette coupe ! Le shaman, la bouche remplie du sang de la coupe, son propre sang, vient poser un baiser mortel sur le major. Alors que leurs lèvres se joignent et que le sang commence à couler dans la gorge du major, Lorne se remémore une vieille légende terrienne. Des vampires. Les adorateurs d’un dieu buveur de sang. Lorne tente de lutter contre le liquide qui s’insinue dans sa bouche, mais les hommes qui l’encerclent ont une grande habitude de la chose. Avec dextérité, ils le plaquent en équilibre sur sa chaise, tête rejetée et arrière, et voies respiratoires obturés.
 
Le sang a le goût du métal chauffé à vif. Il glisse sur la langue et le palais puis emplit entièrement la gorge empêchant tout air de rentrer. Lorne sent ses perceptions l’abandonner. Sa résistance se fait miel, doux et sucré. Il avale et inspire l’air salvateur. Il avale et perçoit le sang qui imprime en lui sa force et sa magie. L’air est loin d’être frais et vivifiant, et le militaire regrette aussitôt la lente agonie de la suffocation. Ce qui l’attend sera certainement bien pire. En cela, au moins, le major Lorne ne se trompe pas.
Evan sombre dans des songes où se mêlent des couleurs et des sensations dont l’intensité lui semble improbable. Des volutes rouges qui dansent autour de corps convulsivants. Des cris de bêtes à l’agonie. L’étrange impression d’être l’auteur du cri. Un corps meurtri, douloureux mais étranger. Un corps qui souffre et se meurt dans l’ignorance de ce qu’il est vraiment. Le major écoute discrètement l’appel de son âme qui agonise. Qu’importe ! Maintenant il est Lui. Il est bien plus grand que l’univers et dorénavant, c’est avec Lui qu’il faudra compter.
Un feu ardant naît dans son cœur et se propage à tout son être. La brûlure réveille la lointaine conscience que l’homme a encore de son enveloppe charnelle.
Un cri.
Encore un.
Et puis ses yeux s’ouvrent sur le monde tel qu’il est vraiment. Cruel. Mortel. Infini.
Douleur infinie d’être et de ne plus être.
Evan hurle si fort que même son esprit en est bouleversé. Un appel si déchirant qu’il transgresse les lois du divin et ramène Evan à son corps présent, mais sûrement pas à venir.
Il est dans une grotte, mains attachées au-dessus de sa tête. A ses pieds, du sang, le sien. Face à lui, deux corps en pareille posture. Ses amis.
Evan regarde ses hommes, conscient qu’ils lui renvoient l’image de lui-même. Un corps blafard lacéré de multiples blessures. Un teint cadavérique et une furieuse envie de… recommencer. Encore.
ENCORE !

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