Evan-escence

Chapitre 12 : Stratégies alambiquées

Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 11:47

 

Chapitre onze
 
Stratégies alambiquées
 
 
 
 
- Bon sang, ça m’énerve ! Quel est ce fichu mot de passe et pourquoi ces ordinateurs refusent de fonctionner correctement ? Allez, tout doux ma jolie, allez accepte ce code… 
Le docteur McKay s’agite sur le clavier de son ordinateur. Il a relié sa machine au central d’Atlantis et cherche désespérément comment neutraliser le virus, ou plutôt l’intelligence artificielle, qui parasite le réseau. Dans d’autres circonstances il aurait trouvé depuis longtemps ce code mais voilà, même son si précieux computer, ami des bons et mauvais jours, refuse de l’y aider. Composer toutes les combinaisons possibles lui prendrait un siècle, voire plus si on compte le temps gaspillé à râler. Du coup le scientifique calme et discret, image d’Epinal d’un autre temps, s’est transformé en un gamin nerveux et bougon. Encore quelques essais infructueux et voici le Rodney national d’Atlantis qui bazarde son ordinateur comme un vulgaire jouet. Geste d’énervement aussitôt regretté, mais pour rien au monde McKay ne l’avouerait ! L'air dépité, il regarde son meilleur allié qui en ce jour fatidique refuse toute alliance, puis lui tourne le dos, comme s’il espérait que les synapses électriques de son portable le supplient de revenir… amers illusions…stupides illusions.
Tout comme le docteur Weir et la majorité des Atlantes, McKay a peu de sommeil derrière lui. Il est particulièrement à fleur de peau et anxieux. Après avoir traversé tant d’épreuves avec le lieutenant-colonel Sheppard, il se sent abandonné, presque jaloux de Lorne… presque.
Il quitte la salle de contrôle dans le but de rejoindre les docteurs Weir et Beckett, mais avant, l’urgence est de se calmer… aussi fait-il un détour par le self où un sublime sandwich de dinde l’attend. Une pensée pour John, l’adepte inconditionnel de la dinde, et en route pour le bloc chirurgical.
 
 
 
***
 
 
 
Ils sont de retour sur « le monde ». Lorne n’en revient pas.
Il lui avait semblé errer indéfiniment dans le noir au milieu de cris des êtres chers. Pourtant il savait que ce n’était qu’une illusion dans laquelle le temps n’existait plus. Il aurait aimé croire que cela n’avait duré que quelques minutes mais il devait se rendre à l’évidence. Il était le jouet du divin depuis bien trop longtemps. Ils avaient quitté la planète que Sheppard nommait « la tombe » et étaient retournés sur celui qu’il nommait « le monde ». Décidément la vie aimait se moquer d’eux et leur jouer des tours.
Le major Lorne est également de retour dans son corps. Il voit par ses yeux et ressent ce que son corps vit à l’instant présent. Le faire souffrir n’amuse peut-être plus son parasite ?
- Ce n’est pas cela, mais j’ai besoin de ta voix et de ta détermination d’humain. J’ai besoin de tes sens et pas seulement de ton corps et pour cela… même si je répugne à l’avouer, j’ai besoin de te savoir proche de moi. On manipule plus facilement un pantin quand les cordes sont solides et courtes… si je t’éloigne de trop, je suis moins précis. 
Voila pourquoi l’entité ne l’avait pas propulsé dès le départ dans de terribles cauchemars. Non seulement elle n’en tire pas autant de plaisir que son double psychique mais surtout elle a besoin de sentir son hôte proche d’elle pour mieux l’exploiter. Lorne se demande si la solution n’est pas là, dans cette faille qui le met si près de la sortie.
Un espoir…. vite abandonné.
Quelle sortie ? Lorne n’est pas prisonnier d’une entité immatérielle comme l’était Sheppard. Aucune chance que sa simple pensée puisse l’en débarrasser. Alors où est l’espoir ?
Le sien n’existe plus et sa fin semble non seulement inéluctable mais également synonyme de destruction et de chaos. Cependant, il reste Atlantis et tant qu'elle résistera à l'ennemi, il subsiste la possibilité de la protéger. La motivation, l'envie de lutter et de sa battre, l'envie de vivre pour sauver sa cité et sa famille de cœur. L'espoir est de retour finalement!
 
 
Le divin progresse dans la steppe pour rallier assez rapidement le petit village qu’avaient visité le major Lorne et son équipe. Sur la route Evan croit reconnaître le lieu qui fut la dernière demeure de Mégane. Une pensée rapide pour celle qu’il aimait… une pensée aussitôt reprise en écho par un rire sournois et perfide.
- Elle était jolie et m’a été très utile. Rien n’est plus simple pour briser un homme que de lui faire détruire ce qui lui est le plus cher. 
Evan ne répond pas mais garde cette information qui rebondit dans son esprit comme un signal, une petite pièce supplémentaire à mettre à l’édifice d’un espoir futur.
 
Le village a beaucoup changé depuis leur départ. C’était il y a combien de temps ? Quelques jours, quelques semaines ? Il n’y a plus de femmes, plus d’enfants qui jouent... quoiqu’en y réfléchissant, le major Lorne se demande s’il y avait jamais eu de signe extérieur de joie de vivre sur ce caillou géant. Pourtant cela va bien au-delà. Le village semble abandonné, plus aucune trace de vie, plus de troupeau broutant l’herbe rare.
Le divin s’approche de la grande hutte qui fut la maison de son hôte de prédilection. Il s’arrête devant la porte et ne bouge plus.
Evan se demande ce qu’il attend, ce qu’il espère, mais la réponse ne tarde pas à venir. De l’intérieur surgit un bruit comme un râle, puis la porte s’ouvre. Le chef du « monde » sort sa tête comme une tortue cherchant à quitter sa carapace. En voyant son Dieu devant lui, il ne peut retenir un cri de joie. Il se jette à ses pieds dans une terrible supplique.
- Mon divin, mon Dieu, j'ai cru que vous nous aviez abandonné.
- N’as-tu point confiance en moi ? Tu me déçois fortement.
- Mais…. bien sur mon divin, jamais je ne mettrai en doute votre amour pour nous, ton peuple.
- Et bien chef, je suis revenu pour mettre à l’épreuve ceux qui durant tant de siècles m’ont assuré fidélité et amour sans limite et sans retenue. 
L’homme se prosterne plus bas encore, baisant les pieds de Lorne. Evan ressent un terrible haut le cœur et étonnement réalise que son corps exprime effectivement ce dégoût. Une surprise pour lui qui depuis bien longtemps avait renoncé à être maître de son corps et se contentait d’être spectateur; mais également un effarement pour l’entité qui prend conscience de la dangerosité d'une proximité avec Evan. Le chef du caillou nommé « le monde » voit également le corps de son dieu qui se spasme. Se méprenant sur la signification de cette réaction physique, le chef se redresse et hèle les autres membres de sa communauté, restés visiblement terrés dans leurs maigres habitations.
- Venez, venez tous acclamer le divin et son pouvoir sans fin. Venez rendre hommage à celui par qui et pour qui nous vivons! 
Il se tourne vers Lorne et se prosterne de nouveau devant lui, imité aussitôt par les autres hommes de la tribu. L’entité, à travers le major Lorne, bombe le torse et montre une prestance digne de son statut déifié.
- En ce jour, mes amis, j’ai besoin de vous. Vous allez enfin rejoindre mon monde. 
Une clameur accompagne ses mots. D’abord quelques cris de plaisir et de satisfaction, puis un véritable chant d’allégresse. La folie a envahi le village. Une folie divine.
 
Un peu enfouit sous une jubilation qu’il est loin de partager, le major Lorne perçoit le plan démoniaque de l’entité. Le désir de sacrifice qui comme un jeu va lui permettre de rayer de la carte ce caillou et ce passé encombrant afin de recommencer ailleurs, de recommencer sur Atlantis. L'entité est heureuse de partager son plaisir avec son hôte.
- Oui, mais pas seulement. Leur sacrifice aura également un rôle à jouer dans la conquête de la galaxie. Je ne leur mens pas, je leur propose réellement d’être les instruments de ma victoire, de mon triomphe sur les humains, les anciens et tout ce qui a pu, un jour, renier mon droit au pouvoir absolu.
- Vous êtes un malade. Un mégalomane complètement malade. Vous allez tuer tous ces gens dans le simple but de me prouver et de prouver au monde entier que vous avez de l’ascendant sur l'espèce humaine?
- Oui, mais mon but est plus stratégique que cela. Vous ne les sentez pas ? 
La question perturbe un peu le major Lorne qui avait cessé de s’ouvrir sur le lointain. Rassuré par les sensations de son corps qu'il pouvait à nouveau s'approprier, Evan avait un peu laissé de côté les perceptions plus externes.
- Quoi ? Qu'est-ce que je devrais ressentir ?
- Vos amis, vos alliés. Ils vous recherchent. 
A cette évocation, Evan s’ouvre complètement sur ce que perçoit l’entité. Pour Evan, lâcher prise et se laisser de nouveau envahir pas toute la puissance et la jubilation de la bête qui sommeille en lui, est effrayant et nécessite un effort proche du sacrifice. Pourtant ce qui vient le meurtrir de plein fouet ne  provient pas des perceptions du divin, mais davantage de celles du colonel Sheppard et de l'inquiétude qui en résulte.
- Que se passe-t-il John ?
- Le Daedale. Le vaisseau est à proximité de la planète mais il ne la voit pas. Votre entité l'a occultée comme cela avait été le cas lors de mon passage dans la région.
- Comment peut-il occulter une telle surface? Je n'ai pas croisé la moindre installation ou technologie permettant ne serait-ce que de supposer une telle capacité.
- Je pense qu'il agit sur la matière tout simplement. A la différence de mon entité qui se limite à maîtriser l'eau, votre faux dieu agit sur tout type de matière un tant soit peu minérale. Rodney saurait nous expliquer cela mais pour ce que j'en comprends, je dirais simplement qu'il interfère sur la façon dont est réfléchie la lumière et donne l'illusion qu'il n'y a rien. Pourtant, non seulement nous sommes bien présent mais en plus nous sommes en mouvement. Je ne sais pas ce qu'est réellement cette planète, une lune, une construction des Anciens, une sorte de vaisseau... j'ignore ce sur quoi nous sommes posés, mais nous avançons droit vers le Daedale... et de plus en plus très rapidement.
- Alors c'est cela. Ils veulent utiliser « le monde » comme arme, un projectile qui se fracassera sur le vaisseau du colonel Caldwell, laissant peu de chance de résistance au bouclier.
- Mais c'est un plan dément!
- Un plan parfait pour deux psychopathes en mal de reconnaissance. Le sacrifice fait partie intégrante de l'expression du pouvoir sur autrui. Autour de moi, des hommes se prosternent dans une hystérie collective incroyable. Il faut le voir pour le croire John !
Ils sont endoctrinés et l'idée de mourir pour leur dieu les emplie d'une joie phénoménale. Ils accueillent leur mort avec l'intime conviction qu'il ne s’agit que d'un passage.
- Doctrine sectaire par excellence. Pour ces êtres humains il est infiniment trop tard. Pour le Daedale... il ne nous reste plus qu'à croiser les doigts et espérer qu'ils entrevoient le caillou avant l'impact et … Que se passe-t-il Evan ?
- Mon parasite fait un discours et se fait ovationner. Voilà, nous les laissons à leur triste sort. J'ai la nausée, John, je... 
Lorne suspens les explications. Il vit avec intensité la dévotion des adeptes du divin. Cela le perturbe plus qu'il ne l’aurait voulu. La part de lui qui est aux prises avec l'entité jouit du sacrifice et de la mort à venir des adeptes et des ennemis. L'autre partie de lui, celle dont il a repris le pouvoir, celle qui caresse maintenant le divin de très près, de trop près, souffre de ces morts inutiles. La proximité des deux parts de son être perturbe sa lucidité sur le présent. Lorne lutte pour ne pas se laisser dériver davantage vers la psychose de l'entité. La présence du colonel Sheppard est en ce sens un filet de sécurité auquel Evan s'accroche avec énergie.
 
Ayant terminé de motiver ses troupes de kamikazes, le divin sélectionne quatre hommes vigoureux parmi son peuple puis ensemble retournent vers le jumper où Sheppard les attend. Fière de son plan de conquête, le divin fait pénétrer les hommes de son peuple dans le petit vaisseau ancien.
- Voila du renfort et du divertissement pour vos amis sur la cité. Allez, colonel Sheppard faites décoller cette merveille et direction la porte des étoiles !
 
Sheppard s'exécute sous l'influence de son hôte. Si le colonel Sheppard suit à la lettre les ordres de son allié provisoire, John, l'esprit perdu dans son propre corps, cherche à résister aux impulsions de l'entité. En symbiose parfaite avec l'entité qui le parasite, John tente de lui faire percevoir sa propre vision des choses.
- Pourquoi est-ce lui qui donne les ordres? 
Pas de réponse mais une hésitation dans les manœuvres de décollage du jumper.
- En tant qu'être ascensionné, n'as-tu pas davantage de légitimité pour être le maître d'œuvre de votre triomphe?
- Cela suffit, tu essayes de me perturber mais tu ne le pourras pas cette fois-ci ! 
- Pourtant, j'ai raison et tu le sais.
- Tais-toi ! Disparais ! 
L'ordre est immédiatement suivit d'une impulsion psychique qui plonge de nouveau le colonel dans ses cauchemars.
Lorne perçoit la sanction. Il réprime difficilement l'envie d'ajouter sa touche personnelle à la manipulation de John. Le colonel avait raison, le plan est efficace mais il sera long et pénible... pour tous les deux. Finalement la notion de sacrifice les touche également, mais ont-ils vraiment d'autres choix?
Lorne s'éloigne de John qu'il sent pourtant en souffrance et se rapproche de son entité. Le jumper a décollé et s'éloigne du caillou. L'entité de Sheppard a commis une erreur. Influencé par les pensées de Sheppard qui le parasitent aussi sûrement qu'il envahit lui-même le corps du militaire, l'entité a omis d'enclencher l'occulteur du jumper, révélant par cette simple faute sa présence au Daedale. Bien joué John ! Le jeu en valait la chandelle. Maintenant le petit vaisseau est visible à tout observateur. Le jumper, mais également la planète toute entière. Lorne comprend alors que le discourt de son ami a également atteint sa propre entité. Les deux êtres, initialement identiques et maintenant si distincts, sont intimement liés et ce que perçoit l'un, il ne peut le cacher à l'autre. Lorne pensait qu'une part de chacun était enfouie et inaccessible pour l'autre. Cela est peut-être le cas, mais dans le doute, dans la perplexité et la complexité de leurs sentiments, ils sont incapables de se fermer totalement. Un atout incontestablement... un piège à éviter, un gouffre dans lequel il ne faut pas s'enliser et se perdre. Il faudra à Lorne et à Sheppard jouer très serré s'ils ne veulent pas être pris à leur propre piège. Lorne essaye de se recentrer sur le plan mais des idées et des sensations se bousculent, perturbant sa concentration.
Une couleur. Le blanc. La glace.
 
 
 ***
 
 
 Sa vie défile si vite qu'elle se demande comment cela se fait qu'elle n'ait pas encore fini. Peut-être est-ce l'impact de la balle qui arrêtera le temps ou accélèrera les dernières années de sa vie ? En tout état de cause c'est bien la balle qui arrêtera sa vie tout court !
Le caporal la met en joue sans la moindre hésitation. Au fond d'elle-même Elisabeth sait qu'elle aurait du réagir, elle aurait du dire quelque chose ou peut-être se jeter au sol avec la dextérité d'un cascadeur. Mais voilà, la fatigue, le stress ont eu raison d'elle... et définitivement cette fois-ci. Elle cherche à fermer ses yeux, voulant fuir la vision de sa mort mais impossible. Son regard est attaché fermement sur la crosse de l'arme que pointe le jeune caporal. Il était gentil pourtant, se souvient le docteur Weir.
De son côté le docteur Beckett ne peut se défaire du sentiment d'échec. Non seulement il n'aura pas sauvé le caporal mais en plus il aura sur la conscience la mort d'Elisabeth et la sienne. Oh, et puis finalement quelle importance ? Sa conscience, là où il va, il s'en dépatouillera sans doute sans trop de problème.
Etranges comme les pensées affleurent avec la rapidité du message synaptique quand on sent sa mort arriver.
Etrange aussi, comme le temps sait se faire élastique quand cela l'arrange !
Etrange enfin, comme le destin aime parfois se jouer de nous.
Alors que le doigt du militaire se crispe sur la détente de l'arme, une autre main, moins ferme, moins sur d'elle, au contraire se relâche.
Arrivé sur ces entre faits, le docteur McKay laisse le primaire qui est en chacun de nous agir, purement par réflexe. Sans aucune réflexion préalable, ce qui pour le docteur McKay est extrêmement rare mais nécessaire si l'on souhaite que l'action soit rapide, McKay se jette sur l'assaillant. Enfin, quand on parle de se jeter, on devrait plutôt dire jette tout ce qu'il peut sur l'assaillant. Son sandwich d'abord et lui ensuite ! Excellente initiative qui d'un coup de dinde bien placé, fait voler le révolver du caporal. S'en suit la chute lourde et sans grâce de Rodney sur le pauvre malheureux.
Elisabeth tarde à réagir une fois de plus. L’image surréaliste de la dinde entre deux tranches de pain venant heurter violemment la main du caporal lui fait se poser des questions quant à sa santé mentale, ou sa probable arrivée dans un étrange au-delà. Le regard figé des deux ex-otages sur le sandwich n'échappe guère au pauvre Rodney qui lutte avec acharnement pour maintenir une emprise précaire sur le militaire.
- Bon, décidez-vous ! Mangez-le ou venez m'aidez, mais bon sang... agissez !!  
 
 
***
 
 
 La partie commence à peine et déjà on entend la glace qui se fend. Un craquement d'abord comme une brindille sur laquelle on marche.
Crack
Puis une succession de petits bruits de cloques qui explosent et enfin l'apothéose, les cris des enfants,  la panique et la peur.
Le petit John court avec ses camarades vers la berge qui signe la sécurité. Derrière lui un cri plus aiguë que les autres. Une fille, la fille.
Le petit groupe de copains avait décidé d'affronter Mère Nature au jeu du « t'es pas chiche ». Malheureusement ils avaient été chiches. Cap' de traverser la mare gelée. Cap' de montrer aux autres que la peur ne les arrêterait pas. John avait voulu faire marche arrière en voyant l'eau glisser sous la glace diaphane. Il aurait voulu jouer le grand frère rabat-joie.
Mais voilà, non seulement il était le plus jeune, comme toujours, mais en plus elle était là. Elle, c'était April, la petite nouvelle. John se sentait bête quand elle était là. Il n'aimait pas comment il se sentait et pourtant il adorait être près d'elle.
Aussi quand April avait décidé d'affronter elle aussi Dame Nature, le petit John avait senti son cœur bondir de courage et sa raison disparaître derrière ses sentiments tout neufs.
Et voilà maintenant la belle qui disparaît dans l'eau glacée de l'étang. John oublie une fois de plus la raison et retourne vers le centre insécure de la glace dans l'espoir de sauver sa belle. Jolie prouesse de chevalier. Malheureusement, à dix ans, même un chevalier ne peut lutter contre plus fort que lui.
John glisse sur la glace, ventre contre le froid mortel et accueillant. Il tend sa main en avant dans le but de la refermer sur celle d'April avant sa disparition définitive dans l'eau. Leurs doigts se touchent, se frôlent, et un sentiment de chaleur envahit tout le corps du petit Sheppard. Ses yeux se plongent dans ceux de la petite fille de douze ans. Elle est l'incarnation de l'ange. Un visage très pâle illuminé exclusivement par de grands yeux bleus intensément ouverts sur Sheppard et la vie. Une seconde qui dure une éternité, une seconde durant laquelle leurs doigts s'entremêlent. Puis April s'enfonce et entraîne avec elle le bambin pas plus costaud que la glace qui se fêle.
Un nouveau craquement puis John tombe brutalement dans l'eau, faisant s'extraire une épaisse couche de glace qui projette momentanément le corps d'April hors de son étau glacé.
Pendant quelques instants, John voit à travers le flux aqueux de l'étang le visage d'April qui se trouble. L'instant suivant leurs mains se séparent dans un mouvement ralenti. Même sous l'eau, John perçoit le bruit que fait le mini iceberg en retombant dans la mare et le bruit non moins violent du corps d'April qui le suit.
 
Le colonel Sheppard s'attendait évidement à une contre attaque brutale mais ce souvenir sorti de sa mémoire le sidère. Voilà quelque chose qu'il avait totalement occulté. April... ce prénom semble venir de si loin qu'il ne le touche pas autant qu'il le devrait. John sent bien que ce souvenir doit être important sinon l'entité ne l'aurait pas choisi.
- A moins qu'il ne l'ait extrait par hasard. Pensant que ce que ce souvenir oublié cache quelque chose. 
John ne s'était pas rendu compte de la présence du major Lorne à ses côtés.
- Je suis là depuis le début. J'essaye de me faire discret pour ne pas majorer la douleur de se souvenir et pour m'en protéger également.
- Comment cela ?
- Je ne sais pas. Mon entité est troublée et de ce fait, je me sens confus. C’est à cause de vos propos sur la possession du pouvoir.
- Tant, mieux, c'était le but ! Evan... j'ai froid. 
Ces mots sont aussitôt suivis par un plongeon psychique dans le souvenir qu’il avait très momentanément ignoré. Malheureusement, à l'instant précis où John sent le froid de l'eau le saisir, tous ses souvenirs tronqués refont surface.
La jolie April. Son visage blanc, ses lèvres blanches et ses yeux bleus.
Ils coulent ensemble. Le petit John veut rester avec elle. La brûlure du froid lui fait moins mal que le regard vide de sa princesse. La brûlure des ses poumons lui fait moins peur que la honte de ne pas être à la hauteur de son rôle de preux chevalier.
Il veut mourir avec elle, mais ça, c'est avant.
Avant de sentir le manque d'oxygène comprimer son cerveau et sa perception du monde. Avant que se courte vie ne défile en deux secondes trente, laissant le goût amer de l'abandon. La peur l'envahit alors aussi sûrement que l'eau glacée de l'étang... puis c'est le néant. Un trou noir accompagné d'une étrange sensation, celle de s'élever dans les airs.
Le petit John pense aussitôt qu'il vogue vers le paradis où l'attend April, éperdue d'amour.
Puis la douleur réapparaît, sans préavis, sans demande préalable, simplement, brute et intense.
John ouvre les yeux. Un visage est penché sur lui, un homme baraqué à l'allure de méchant. La peur se surajoute à la douleur, mais elle est de courte durée. John à l'impression d'exploser. Comme une bombe, il s'ouvre, projetant ça et là trippes et boyaux.
 
Le colonel Sheppard hurle mais aucun son de sort de sa bouche. Sa carcasse humaine est calmement installée aux commandes du jumper. Tout juste si on devine au coin de sa bouche un sourire ou un rictus, un petit signe de plaisir.
Le colonel Sheppard, celui qui est tapis dans son souvenir hurle et lutte contre l'homme qui veut le réanimer.
- Je ne veux pas, non, laissez-moi ! 
Evan s'engouffre dans la brèche béante qu'est la souffrance de Sheppard. Il perçoit sa douleur et sa peur, les prémisses de la schizophrénie face aux corps morcelés.
- John, ce n'est pas ton sang qui s'écoule mais l'eau qui sort de tes poumons ! 
L’enfant ne l'écoute pas et laboure de coups de poing le soldat qui lui administre les premiers soins. Sur la glace, une équipe de militaires a pris en charge les enfants et leurs parents affolés. Certains crient, d'autres pleurent sans retenues, d'autres encore sont tétanisés, emprisonnés dans un syndrome post traumatique naissant.
- Tout cela, c'est du passé John.
- Non, Evan, je la sens qui revient... en pire. La peur, la douleur, la mort et la honte, tous ces sentiments je les ai pleinement ressentis ce jour-là, puis je m'en suis blindé. Associant le militaire qui m'a extrait de l'eau à tout ce que je n'étais pas et à tout ce à quoi j'allais aspirer à être.
- Tu n'étais qu'un enfant.
- Un enfant qui pensait être un homme. Tu sais que les parents d'April m'ont toujours tenu pour responsable, moi le plus jeune. J'ai été désigné comme l'instigateur. J'ai voulu l'impressionner et je l'ai tué. 
Aussitôt le visage d'April s'imprime dans l'esprit de Sheppard et de Lorne puis se transforme progressivement en celui plus masculin du colonel Sumner pour l'un, et celui plus adorable de Mégane pour l'autre.
C'est Evan qui le premier rompt le silence.
- Nous avons tous nos croix à porter. Finalement j'avais tord John.
- Sur quoi ?
- J'ai eu l'impression que de partager mes cauchemars m'affaiblirait car me monterait nu, sans armure, mais en fait nous pouvons partager notre souffrance et l'alléger bien plus que je ne le pensais.
- Peut-être. Possible. Probablement... oui. 
 
Alors que les deux hommes ont enfin le sentiment de sortir la tête de l'eau au sens propre comme au figuré, une souffrance inouïe les envahie. Celle-ci est si intense qu'elle ne peut s'exprimer par un simple ressenti physique. Elle est psychique et impalpable. Elle est le trait d’union entre le vivant et la mort, entre ce qui fut et ce qui sera. John et Evan sont brutalement extraits du songe et propulsés dans le jumper. Devant eux, le spectacle saisissant d'une explosion aux frontières de l'hyperespace.
Le peuple qui jadis occupait une planète nommée « le monde » vient, par son suicide collectif, d'entraîner la plus phénoménale décharge d'ondes psychiques jamais perçues. Les deux entités s'en gorgent jusqu'à saturation. Les deux humains se recroquevillent le plus loin possible du plaisir de leurs parasites. Les quatre survivants de l'holocauste applaudissent le sacrifice consenti par leurs amis.
 

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