Des lettres contre une lettre
Ma chère Blaze Fielding,
Quel crucifiement fut pour moi la lecture de votre lettre, en dépit de la joie que me procura sa réception ! Plusieurs fois je crus mourir en apprenant les dangers auxquels vous fûtes exposée, alors même que je cheminai indolemment vers mon domicile. Comme je m'en voulus, de vous avoir laissé partir seule, de ne rien avoir pu faire pour vous porter secours ! Mais je découvre avec éblouissement qu'aucune aide ne vous fut nécessaire pour vous extirper de l'embuscade dans laquelle vous tombâtes. Si j'avais besoin de preuves supplémentaires de votre valeur, cette anecdote m'aurait fourni un argument suffisant pour acter définitivement votre place parmi les forces d'élite de la police. Et puisque vous m'affirmâtes votre assentiment à vous joindre à moi dans la lutte contre la corruption qui s'empare de la ville, je vais donc vous révéler l'origine de mes soupçons et l'état d'avancé de mes investigations.
Depuis quelques mois, nombre d'affaires se sont retrouvées classées sans suite, concomitamment au limogeage des officiers engagés dans leurs enquêtes respectives. Les manœuvres furent conduites sans soucis de discrétion, et revenaient trop fréquemment pour passer inaperçues, si bien que je compris avec horreur que la police s'avérait corrompue au plus haut niveau, et que les coupables se sentaient à ce point sûr de leur emprise qu'ils ne cherchaient même plus à dissimuler leurs méfaits. Je me décidai à faire la lumière sur la chose, tout en prenant soin de ne pas me retrouver la cible d'un licenciement malveillant, ce qui m'aurait ôté mon meilleur atout : ma présence au sein de la police, au cœur de l'engrenage diabolique qui gagne chaque jour en puissance.
Parmi les plaintes qui aboutirent à la destitution de leur enquêteur, un contingent non négligeable émanait d'entrepreneurs de travaux publiques qui s’estimaient lésés par la procédure d'appels d'offre de la municipalité. J'ai prudemment étudié certaines de ses affaires, et il m'apparut que des chantiers furent effectivement attribués pour des montants déraisonnablement élevés à des entreprises qui n'avaient été inscrites au registre du commerce et de l'industrie que quelques jours auparavant. Il était naturellement suspicieux que des sociétés expérimentées et proposant des devis plus avantageux fussent éconduites au profit d'autres qui n'apportaient aucun gage de leur savoir faire et ne pouvaient justifier les sommes aberrantes qu'elles réclamaient. Je décidai de me rendre au siège sociale de plusieurs de ces sociétés nouvellement créées, et je découvris qu'elles étaient domiciliées parfois dans des bâtiments en ruines, parfois dans des locaux manifestement vides, ou encore au sein d'immeubles hébergeant des bars dont les liens avec la mafia étaient notoires. La conclusion s'imposait avec évidence : il s'agissait de sociétés-écrans.
Qui se tapis derrière ces écrans ? Voilà ce qu'il me tarde de découvrir, et voici le plan que j'élaborai pour cela : nous espionnerons l'un de ces chantiers qui ont pullulé dans notre ville, gonflant les dettes de la municipalité, et qui tous semblent presque à l'arrêt. Peut-être que les ouvriers ou les fournisseurs de ces entreprises nous permettront de remonter vers le commanditaire.
Rejoignons-nous cette fois le ... vers cinq heure A.M., à la salle d'arcade du Georges Washington Boulevard. Vous m'y trouverez près de la borne Pac-Man, située contre le mur du fond.
Le plaisir de vous revoir se mêlant à l'appréhension des dangers auxquels je vous expose, je ne sais si je dois terminer cette lettre sur l'espoir que nous nous retrouverons dans deux jours. Mais enfin m'inclinant devant votre volonté et la fermeté de votre engagement à me suivre, et respectant ce courage qui m'impressionna tant dès nos premiers échanges, je vous adresse le plus confiant des au-revoir.