Des lettres contre une lettre

Chapitre 4 : Bornes d'arcade, skateboard, et cargaison suspecte

1673 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 01/10/2025 13:40

Cher Axel Stone,


Quelle soirée mouvementée ! J'ai tant découvert, nous avons tant à supposer encore, que je ne sais par où commencer l'inventaire de mes réflexions. Je brûle également d'apprendre de votre plume quels secrets vous avez pénétré.

Peut-être que reprendre le fil des événements dans leur ordre chronologique sera le plus abordable pour mon esprit troublé. Mettre mes pensées par écrit m'a toujours été profitable, et les circonstances actuelles n'y feront assurément pas exception.


Alors commençons par ce qui vous semblera ridiculement anecdotique, mais qui ne l'est peut-être pas, et que je n'ai pu vous partager sur l'instant. En effet, j'admets qu'une excitation enfantine m'animait hier après-midi, et que je ne pu rester en place à mon domicile en attendant l'heure de notre rendez-vous. Je gagnais dès quatre heure A.M. la salle d'arcade que vous m'indiquâtes, comme si m'y rendre en avance pouvait vous y attirer plus tôt et mettre fin à mon anticipation bouillonnante. Je découvris un univers qui m'était jusque là inconnu, et qui me fascina. Des vaisseaux spatiaux affrontait des hordes d'extra-terrestres, un petit homme devait sauter pour esquiver des tonneaux que lui jetait un méchant gorille... Je pouvais lire la passion sur les visages tendus des joueurs, j'entendais leurs cris de joie ou de rage, selon les succès ou les échecs de leurs tentatives, et je comprenais tout cela, quand bien même je n'éprouvais pas moi-même le désir d'essayer ces jeux d'arcades. Toutefois, au bout de plusieurs minutes, je me fis la réflexion que mon attitude pouvait paraître suspecte, à me contenter d'observer sans participer. Je me résolus donc à m'installer à une borne, et n'ayant pas d'appétence pour l'une plutôt que l'autre, je choisis celle qui nous tenait office de point de ralliement. Je perdis ainsi une vingtaine de dollars à déplacer une petite boule jaune sans jamais parvenir à échapper très longtemps aux fantômes colorés qui la pourchassaient. J'espère qu'il n'y a pas là un quelconque avertissement prémonitoire, et que mes échecs à Pac-Man n'annonceront pas ma capture par les gangs mafieux qui nous font face ! Quoique, si tel est le cas, c'est-à-dire que ce logiciel et notre aventure sont liés, je serais en confiance quant au succès de notre entreprise, car je n'ai pas manqué de remarquer que les cinq meilleurs scores enregistrés sur la borne sont attribués à un certains AxS, qui est fort suspect de se nommer en vérité Axel Stone ! Je ne vous cache pas mon admiration, car j'ai pu éprouver toute la difficulté de ce que l'on présente comme une distraction, mais qui mobilise à un haut niveau des compétences variées comme la dextérité, la réactivité, l'intelligence spatiale, et qui peut ainsi légitimement se présenter comme le plus sérieux des entraînements pour un officier de police. Vous ne m'aviez pas fait part de votre goût pour les jeux vidéo, et je m'excuse de l'avoir découvert à votre insu. Soyez assuré que vous n'avez nullement à en rougir, je n'en conçois que plus de respect pour votre personne.

Cette digression, quoiqu'assez éloignée de ce qui doit nous préoccuper le plus, me semblait nécessaire, n'ayant su vous faire part de mes impressions, lorsque vous êtes entré dans la salle d'arcade et m'avez surprise entrain de jouer. Je fus troublée et prise de cours, certainement honteuse d'avoir décelé l'un de vos secret, et me contentai d’acquiescer à vos paroles sans réussir à dérouler une quelconque parole digne d'intérêt. La suite des événements occulta rapidement tout ceci, et voici donc les raisons de mon retard quant à mes aveux.


Et quels événements ! Ainsi donc nous nous rendîmes en premier lieu, suivant votre plan, aux abords d'un chantier de construction d'un pont autoroutier. Il est vrai que les travaux semblaient à l'arrêt, et pourtant il s'y trouvait une certaine activité. Des ouvriers allaient et venaient, déchargeant des caisses dont rien ne laissait deviner le contenu. Nous remarquâmes toutefois qu'elles arboraient toutes la même inscription : un unique et mystérieux X. Les camionnettes repartaient une fois vidées, tandis que les ouvriers s'affairaient à entreposer les caisses dans les baraques de chantier sans chercher à les déballer. Il nous parut clair que ce manège n'avait pas pour but d'approvisionner les ouvriers en outils ou matériaux nécessaires à la poursuite des travaux. Nous convînmes que notre enquête réclamait de faire la lumière sur cette étrange cargaison. Vous avez été sage de proposer d'attendre le départ du personnel et de crocheter une baraque à la faveur de la nuit. Je supposai nonobstant que des vigiles seraient certainement postées et se relayeraient jusqu'au jour, s'il y avait là à surveiller des marchandises plus onéreuses et moins honnêtes que de menus instruments de construction, comme nous en formions l'hypothèse. Avisant une nouvelle camionnette, et craignant que ce ne fut la dernière, je ne pus laisser passer l'occasion de la prendre en filature, afin de découvrir sa provenance. Car c'était une autre possibilité d'en apprendre plus sur leur chargement, et cette idée me traversa l'esprit en même temps que le douloureux pressentiment que cette opportunité pouvait ne plus se représenter. C'est pourquoi je pris sur moi de ne point argumenter ma décision de contrevenir à notre accord de rester groupés, et je m'en allai précipitamment, saisissant l'heureuse circonstance qui plaça un skateboard sur ma route. Je regrette d'avoir du bousculer le jeune adolescent qui en était propriétaire, et j'espère sincèrement que le billet que je laissai tomber à son intention le dédommagea suffisamment. Bien que je vous tournais déjà le dos, je cru percevoir votre muette expression de surprise, et je regrette encore la peine que que je vous causai. Mais vous avez - et je n'en doutais point, ce qui autorisait ma hardiesse - cet admirable sang-froid d'officier supérieur, et vous poursuivîtes votre plan, prenant toutes les mesures pour laisser retomber l'agitation que je venais d'engendrer, afin de ne pas risquer d'éveiller les soupçons des vigies du chantier. Optimiste quant à la poursuite de votre mission, je m'élançais dans les rues de la ville sans percevoir la dangerosité de mes actes. C'est une heureuse disposition de l'esprit, de pouvoir occulter toute prudence dans les moments critiques, et de ne pas devoir hésiter quand le péril le justifierait mais que l'hésitation même précipiterait. Je découvris avec satisfaction que mon moyen de locomotion n'était rien de moyen qu'un cruiser de la marque Santa Cruz, formidable invention qui ne pouvait avoir émergée que de ce creuset prolifique qu'est notre côte Ouest. Bien que novice en sport de glisse, je trouvais quelques ressources dans ma pratique assidue de la lambada, et je sus maintenir mon équilibre. Je profitais également, il est vrai, d'un itinéraire peu fréquenté. Cette circonstance, qui m'évitât probablement quelques carambolages, me conforta dans l'idée que le chauffeur de la camionnette n'était pas des plus honnêtes, et tenait à une certaine discrétion.


Enfin, sans m'étendre plus que nécessaire sur les sueurs froides et chaudes que me valut cet éprouvant trajet, j'arrivais au terme de mes peines. Le véhicule suspect braqua subitement et s'engouffra par un portail que deux loubards s’empressèrent de refermer derrière lui. Je stoppai ma course folle assez loin pour ne pas me faire repérer, mais pu néanmoins apercevoir, au travers d'un grillage surmonté de barbelés, la camionnette qui se dirigeait vers des hangars jouxtant le port. Je ne manquai pas de noter la présence étonnante d'un chapiteau de cirque au milieu des installations de cette zone portuaire clôturée. M'attardant quelques instants, enveloppée des ombres du crépuscule et de la plus grande prudence, j’aperçus de singuliers jongleurs, maniant qui des torches, qui des haches. Je me figurais sans mal qu'ils ne préparaient pas un innocent spectacle à l'attention d'un public enfantin.

Bien que tout ceci ne nous éclaire pas encore sur la situation, je conclus que je tenais là à tout le moins le début d'une piste, et qu'il n'était pas raisonnable de poursuivre plus avant mon investigation. Je m'en retournais donc sans prendre le moindre risque.


Le moindre risque. Voilà que j'écris ces mots bien égoïstement, satisfaite d'être hors de danger, tandis que mille mésaventures ont pu vous advenir ! Je suis bien lâche de m'être convaincue que votre expertise suffirait à vous tirer de tous les périls qui pourrait vous faire face, des périls dont nous ignorons encore l'étendu comme la nature ! Ah, je n'ai point encore reçu de vos nouvelles, et je me réjouissais de vous devancer. Mais ne devrais-je pas craindre plutôt que ce silence ne révèle que quelque malheur se soit abattu sur vous ? Comme je mords ces doigts scélérats qui se complaisaient à écrire mes vains succès de filature, lorsqu'ils n'auraient du que quémander après vous la seule indication qui comptât : êtes-vous oui non sain et sauf ? Je n'ose relire ma lettre tant j'ai honte de n'avoir parlé que de moi, et je ne tracerai plus un mot avant d'avoir de vos nouvelles, me raccrochant ainsi à l'espoir irrationnel que mon silence hâtera vos propos. Nul doute que vous ayez beaucoup à m'apprendre, mais le seul fait de savoir que vous êtes en état de le faire me comblerait.


Retenant mon souffle que j'ai déjà par trop dilapidé, je vous prie d'abréger mon attente angoissée par un quelconque mot de vous.

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