New Orleans Haunted Tour

Chapitre 8 : Solitaire à un souffle de toi

4464 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/02/2018 13:07

Le titre est un vers de la chanson "Nuit" de JJ Goldman - que je prémédite en songfic pour le fandom Buffy depuis longtemps. Mais ce soir, rien d'autre ne me venait pour habiller les solitudes croisées des personnages.

Nous sommes la même nuit où Sam et Dean ont affronté le mystérieux fantôme gardant la stèle de Delphine Lalaurie.

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SOLITAIRE A UN SOUFFLE DE TOI


sSs


Motel 6, New Orleans, Louisiane

Une fois n'était pas coutume, Dean était sorti en hâte avec leur sac de linge sale pour aller faire la lessive, tandis que Sam était resté dans leur chambre à compulser des cartes. Le vrai motif de ce soudain dévouement, Sam pouvait le soupçonner sans difficulté. C'était plutôt parce que son frère avait vu une jolie fille entrer dans la buanderie collective du motel qu'en raison d'une vraie préoccupation domestique...

Quand ils y étaient revenus après leur équipée au cimetière, fidèle à lui-même, l'aîné n'avait pas cherché à parler dans la voiture. Les choses auraient pu pourtant très mal tourner pour lui lorsqu'il s'était imprudemment saisi du coffret dans la stèle de Delphine LaLaurie. Il n'avait pas pipé non plus lorsqu'ils avaient regagné leur chambre à quelques kilomètres de là. Non, il avait juste sauté sur l'occasion de pouvoir draguer, et peut-être plus si affinités, afin de ne surtout pas y penser…

En tant que cadet, Sam était habitué à devoir s'ajuster aux façons de faire de son frère. Il ne lui serait pas venu à l'idée de se plaindre ou de le remettre en question car il savait trop bien tout ce qu'il lui devait. Il avait été pour lui un substitut de père, de mère, de nounou, et de fait la chose la plus proche qu'il ait jamais eu d'un ami… Pendant toutes ses jeunes années, Dean avait été son référent exclusif, la seule source affective, le symbole même de la vie la plus sûre qu'ils pouvaient avoir, alors que l'adolescent s'assurait chaque jour que son cadet mangeait trois repas par jour, dormait suffisamment et faisait ses devoirs... Pour ça, il prenait des jobs après l'école, quand il y allait, car l'argent que leur laissait leur père ne suffisait pas toujours si ses chasses s'éternisaient.

Par nature, Sam éprouvait plus souvent le besoin de parler, mais peu à peu son frère s'était mis à préférer le mutisme comme "mode de gestion". Depuis qu'ils avaient repris la route ensemble après la mort de Jessica, il finissait lentement par calquer son attitude sur celle de son aîné, par respect pour lui et pour ne pas le forcer à prendre en compte des émotions qu'il voulait à tout prix tenir à distance. Certes, le caractère de Dean s'était affirmé quand son père l'avait traité tôt comme un petit adulte, mais Sam n'était pas dupe. Il était seulement triste que son frère n'ait pas eu d'autre choix que de faire face à des responsabilités écrasantes pour un jeune, alors que lui aussi avait été en deuil de leur mère, que lui aussi aurait aimé voir leur père plus souvent au lieu d'être abandonné de longues semaines dans des villes différentes à chaque fois...

Mais cette nuit, il avait failli le perdre encore et que le sujet devienne systématiquement tabou, ça ne lui plaisait pas. La désinvolture affichée de son aîné face à la mort ne lui semblait pas naturelle et ce d'autant moins qu'il était allé en Enfer. Ce qui aurait été sain selon lui, ça aurait été qu'il ne veuille surtout pas y retourner de sitôt !… Ou alors, il ne lui avait pas tout dit. Ça aussi c'était très Dean, de vouloir croire qu'il pouvait lui épargner des angoisses en se taisant ! De faire comme si Sam n'avait pas appris à lire parfaitement, avant même ses dix ans, le moindre froncement de sourcil, le plus petit frémissement dans le muscle de sa joue, la crispation de ses épaules, ou jusqu'à la manière dont il tenait une arme.

C'était la raison personnelle pour laquelle le plus jeune des Winchester était motivé pour boucler ce dossier.

Clignant des yeux pour se reconcentrer sur ce qu'il faisait, il accommoda sur une page du cadastre de la ville qu'il voulait étudier de plus près. Comparer les vieux plans et les nouveaux pouvait être riche d'enseignements, surtout au niveau de potentiels tunnels de voirie abandonnés qui faisaient de merveilleux passages secrets en temps de guerre ou de prohibition... Il les avait obtenus facilement car le motel n'était pas situé loin de l'université. Il y avait veillé, car pour une année ou deux encore, il pourrait peut-être se faire passer pour un étudiant et y faire des recherches à l'œil dans des archives historiques plus détaillées.

Sam avait besoin de comprendre qui était l'étrange petit fantôme au visage cendreux qui les avait assaillis un peu plus tôt. A défaut, comment ce dernier avait pu venir depuis le Manoir jusqu'au cimetière. De toute évidence, ce n'était pas Delphine LaLaurie dont la stature et la corpulence ne correspondaient pas. Il fallait qu'il trouve quelle était la connexion potentielle avec elle et pour cela, il avait rouvert sa biographie. Un nom l'attirait depuis le début : celui de Marie Laveau, grande prêtresse vaudou, dont il pouvait supposer qu'elle avait pu enseigner à son amie comment protéger cette boîte par des maléfices aussi puissants.

Bien plus tôt dans la journée, il avait eu le temps de rédiger un mail pour un certain Daniel Graves, journaliste local au Times Picayune, qui avait fait un papier sur elle pour le site de la commune. Il espérait une interview et peut-être des infos moins "grand public"...

Mais ça, c'était il y a plusieurs heures et il n'avait encore reçu aucune réponse.

En cliquant sur la boîte d'envoi pour le relire et vérifier si la façon dont il l'avait tourné était suffisamment polie, il réalisa qu'il avait fait une regrettable erreur… Au lieu de l'adresse de "Daniel Graves" il découvrit que celle qui était entrée était... "Dana Scully" !

Il avait lâché son ordinateur comme s'il venait de se brûler, contemplant l'écran avec une mine horrifiée. Son cœur s'était mis à galoper frénétiquement.

Quand ils avaient rencontré les agents, Sam avait fait des recherches sur eux. Ces recherches l'avait conduit à confirmer qu'elle était bien employée dans un hôpital, tandis que l'homme avec elle ne semblait pas avoir de profession. Pour protéger les données, il les avait cryptées dans un dossier portant le nom de "La Belle et le Clochard", mais l'adresse mail de la femme s'était ajoutée, dieu savait comment, dans son répertoire.

Sous le choc, Sam grimaça et serra les poings de frustration en se traitant de tous les noms. Ce n'était pas difficile de comprendre ce qui s'était passé. Pas difficile et guère réconfortant. Pressé de rejoindre son frère tout à l'heure, il avait dû manquer d'attention à la dernière seconde et au lieu d'une adresse inconnue comme celle de Graves, sa messagerie en avait substitué une autre, déjà présente. Et il ne l'avait pas vu.

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Il faisait encore trop souvent ce genre d'erreurs pendables qui mettaient Dean en colère. Ça passait quand il avait une douzaine d'années et qu'ils craignaient les réactions intransigeantes de leur père, mais beaucoup moins aujourd'hui. Sa vilaine habitude de penser à plusieurs choses à la fois, au lieu de rester concentré sur seule, comme le lui avait toujours conseillé son frère, ne lui passait pas et pour cause. Sam croyait fermement que ce mode de pensée linéaire lui faisait perdre un temps précieux et c'était d'autant moins pardonnable qu'il pressentait qu'ils auraient une vie bien trop courte.

Assez vite, il tenta de se raisonner. Comment pourrait-elle connaître l'adresse qu'il avait utilisée ? Il avait signé d'un faux nom. Il surfait derrière un firewall et son fournisseur d'accès était connu pour ne pas se déballonner sous la pression des institutions gouvernementales en protégeant les données de ses clients... Selon toute vraisemblance, son mail finirait dans les indésirables, et peut-être Mme Scully ne le verrait-elle pas avant plusieurs jours, ou même jamais…

Il fit un bond sur sa chaise en entendant pile à ce moment le son d'un message entrant qui vint flanquer par terre toute cette magnifique théorie. Abasourdi, il regarda la petite enveloppe à côté de laquelle l'identifiant Dr Scully D., le narguait, s'étalant en lettres grasses comme tout bon message non lu qui se respecte...

Il inspira profondément. Le fait d'y penser simplement ne pouvait pas avoir déclenché ce résultat. C'était simplement qu'il se sentait coupable. OK. La première chose à faire, c'était de ne surtout pas ouvrir ce message. Il ferma les yeux et en croisant les bras, il cala ses mains sous ses aisselles pour ne pas être tenté d'y toucher… Ne pas l'ouvrir avec curiosité, fébrilité et impatience...

Derrière ses paupières closes, l'image résiduelle du beau visage rectangulaire, mélancolique et grave de cette femme si impressionnante revient l'assaillir. Son long nez fin, au bout un peu pointu, ses grands yeux gris-bleus aux paupières légèrement tombantes sous son haut front, le pli ourlé de sa bouche à la moue un peu moqueuse. Il se dit qu'elle avait un menton un peu grand, parfait se glisser entre le pouce et l'index… et retint sa respiration.

Parfait pour rien du tout ! Fantasmer un peu sur une femme qui avait toujours des connexions au FBI, est-ce que ce n'était pas aussi intelligent que de faire confiance à un démon comme Ruby ? avait suggéré le diablotin perché sur son épaule gauche et qui avait bizarrement la voix d'Alastair.

Malgré les efforts de Ruby pour le gaver de sang de démon, à la base, Sam n'avait pas le tempérament sanguin de son frère (qui s'arrangeait mieux que lui de l'absence de toute relation féminine durable) et affichait pour son malheur un goût très sûr, et hélas très sélectif, pour des filles hors de portée ou carrément dangereuses. Il savait que son frère le trouvait plutôt naïf avec la gent féminine, sans doute parce qu'il n'avait jamais été du genre à collectionner les conquêtes, aussi décida-t-il en pleine conscience d'étouffer dans l'œuf les idées qui lui venaient en repensant à Dana, pour ouvrir le message et faire face à la réalité.

"Cher M. Ward,

La lecture attentive de votre message sollicitant une entrevue, m'incite à croire que vous vous êtes trompé de destinataire, car je ne suis pas journaliste au Times Picayune et je ne m'appelle pas non plus Daniel Graves – indice plus que plausible d'une bénigne erreur d'aiguillage. Le ton de votre mail semblait légèrement pressant, ce qui me pousse charitablement à vous signaler cette erreur au lieu de l'ignorer, afin que vous puissiez le réadresser à son bon destinataire dans les meilleurs délais.

L'histoire ne dit pas pourquoi je suis dans vos contacts, j'imagine que vous devez être apparenté à l'un de mes patients. Quoi qu'il en soit, j'espère que vous trouverez les informations que vous cherchez sur l'énigmatique Marie Laveau.

Sincèrement vôtre,

D. S."

Malgré lui, le visage de Sam s'était éclairé d'une expression plus douce car il pouvait se faire une représentation mentale d'elle assez précise, entendant presque sa voix agréable et posée prononcer les mots qu'il avait sous les yeux. Il l'imaginait en train d'hésiter à répondre, bataillant contre l'indifférence et peut-être ce côté bon samaritain qu'elle devait avoir du fait de sa religion, scrupuleuse au point d'avoir impressionné Castiel…

Il sourit de ses lèvres fines et décida qu'il devait se montrer bien élevé.

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xXx

Washington, appartement de Dana Scully

Elle était lovée sur son canapé deux places avec ses jambes repliées sous elle et l'ordinateur calé en équilibre sur un accoudoir tandis qu'elle consultait un article sur une greffe délicate dans une revue médicale scientifique, un grand verre de merlot à la main.

A dire vrai, son esprit avait déconnecté depuis quelques minutes parce qu'elle repensait à Mulder, et regrettait un peu d'avoir refusé de l'accompagner à Chicago. Elle devait reconnaître qu'elle lui était reconnaissante de sa compréhension le midi même.

Bien sûr, il l'avait mise en colère sur le moment mais maintenant que c'était retombé, elle voyait bien qu'il avait seulement essayé d'être gentil. Mais même ça, c'était bizarre, parce qu'au total, ça n'avait jamais été comme ça entre eux. Ils n'avaient jamais eu de rendez-vous, de fleurs, de sorties. De l'attirance certainement, au début, parce qu'ils étaient jeunes, parce que leur boulot exigeait d'eux qu'ils se fassent confiance très vite, parce que les épreuves se faisaient chaque fois pires et que ce partenaire qu'on connaissait par cœur devenait peu à peu le seul pilier stable dans la tourmente. Une sorte de relation étrange où l'amour n'était pas le commencement de quelque chose mais son aboutissement… Elle frissonna de dégoût envers elle-même en considérant le peu de passion qu'il y avait dans cette affirmation.

Il était encore assez tôt mais ce n'était pas son premier verre et elle se sentait épuisée. Le mieux aurait été qu'elle aille se coucher. Irrationnellement, elle craignait que Mulder n'aille se fourrer dans une situation délicate et n'osait pas s'endormir trop tôt, attendant silencieusement qu'il lui envoie un texto laconique pour lui signifier, mine de rien, qu'il allait bien... Quand ils bossaient ensemble, elle n'avait jamais peur de cela, parce qu'elle en avait des preuves sous les yeux chaque jour. Mais depuis qu'ils avaient continué leur route chacun de leur côté, une forme d'inquiétude plus insidieuse avait quelquefois raison d'elle, dans les périodes de doute qu'elle traversait régulièrement. Et aujourd'hui était, comme il avait dit, "un jour sans".

Aussi fut-elle légèrement surprise quand malgré l'heure plus que tardive, un message signala son arrivée. Elle s'étonna du moyen de communication, car elle savait que Mulder était un fanatique du téléphone et qu'il pouvait appeler pour un message court, jamais rebuté d'en passer par le répondeur, là où n'importe qui d'autre se serait contenté d'un texto…

Elle fit glisser ses doigts sur pavé tactile pour aller le lire et découvrit que ce n'était pas Mulder qui lui avait écrit. Le message disait :

"Docteur,

Je me sens terriblement confus de mon erreur et de vous avoir causé ce dérangement. Je vous suis néanmoins reconnaissant d'avoir pris le temps de me le signaler, je viens de réexpédier mon message. Normalement, vous ne devriez plus le recevoir intempestivement.

Merci encore de votre gentillesse.

S. W. Ward"

L'expéditeur si poli avait beau signer "S. Ward", comme elle l'avait dit à Mulder le midi même, elle savait très bien de qui il s'agissait. Loin d'être une crack en informatique, elle en connaissait cependant assez pour essayer de remonter simplement une piste sur internet avec les outils normaux à disposition...

Lorsqu'elle avait reçu le premier message en fin de matinée, elle avait failli l'ignorer en effet. Mais le sujet et la tournure l'avaient intriguée. En cherchant sommairement un peu plus d'informations sur Marie Laveau, elle se s'était souvenue alors où elle avait entendu ce nom récemment : pendant la visite guidée de la Nouvelle-Orléans hantée.

Quand elle avait cherché des informations sur Sam Ward sur le web, elle avait tout de suite compris qu'il n'y avait guère de chance qu'il puisse s'agir d'un célèbre producteur australien. La difficulté à trouver la moindre info pertinente en des époques où tout le monde avait un profil, au moins professionnel si ce n'était personnel, était un autre indice. Quand elle avait cherché qui était Daniel Graves et quel était son domaine de prédilection, l'addition de tous ces facteurs lui avait permis de supposer (quoique sans preuve formelle) que l'auteur de ce message inopiné pouvait être l'un des frères Winchester et très vraisemblablement le plus jeune. Ce genre de piste trop légère ne serait pas du tout passé quand elle travaillait au FBI où il fallait du solide, mais... elle n'y travaillait plus. Elle ne pouvait pas dire par contre pourquoi il cherchait à la recontacter de cette façon, l'air de rien.

Mais parce qu'elle était seule ce soir-là, déstabilisée par une journée assez déprimante, et mécontente finalement d'être restée chez elle à s'ennuyer ou à penser à sa mère qui ne la reconnaissait pas… Parce qu'elle était légèrement ivre et d'humeur frondeuse (ce qui ne lui arrivait jamais quand elle était sobre, il va sans dire), elle avait répondu que ce n'était rien et ajouté impulsivement qu'elle lui souhaitait de trouver ce qu'il cherchait.

A sa réponse téméraire et immédiate "M'aideriez-vous, si vous le pouviez ?", elle avait préféré ne pas donner suite. Posant son ordinateur refermé sur la table basse, elle avait seulement tiré le plaid pour couvrir ses épaules. Elle essaya de penser qu'il n'était pas un pauvre petit garçon perdu lui rappelant irrésistiblement William, qu'elle en avait plein d'autres à l'hôpital qu'elle pouvait soigner de choses dont eux pouvaient potentiellement mieux guérir que de l'absence d'une mère ou simplement d'une présence féminine bienveillante.

Elle préférait admettre qu'elle était trop fragile aujourd'hui pour raisonner clairement. Car Sam Winchester n'avait certainement rien d'un enfant hybride aux pouvoirs spéciaux, recherché par des gens impitoyables aux desseins obscurs, qui n'avaient que le désir de se servir de lui pour asservir l'humanité.

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sSs

Chicago, Comic con, la même longue nuit de novembre

Depuis trente minutes, Castiel tendait ses sens de perception spirituelle au maximum, au point que ça en devenait maintenant douloureux. Il n'était pas stupide au point de croire que son Père n'avait pas le moyen de rester caché s'il le voulait. Et manifestement, il le voulait à fond. Mais il espérait.

Une fois, il avait vaguement essayé d'en parler à Sam. Mais comment cette pauvre créature pouvait espérer saisir le fonctionnement d'un sens que son espèce inférieure ne connaissait pas ? Les présences angéliques ou célestes pouvaient être "ressenties" sans difficulté, même si elles ne se trouvaient pas dans le périmètre immédiat. Même ici sur Terre et pas au Paradis. Le jeune homme l'avait regardé avec un sourire amusé et légèrement condescendant (comment pouvait-il se permettre de l'être lui restait un mystère) pour demander :

"Tu ressens comme… un grand bouleversement dans la Force ?"

Alors l'ange atterré avait répondu que ce n'était pas une question de force et l'humain lui avait tapé familièrement sur l'épaule, en lâchant avec un petit sourire d'excuse deux ou trois mots qui ne voulaient rien dire non plus :

"Désolé mec, référence pop-culture".

Il était sûr qu'aucun ange de son entourage n'avait jamais entendu parler de ça. Peut-être Metatron ? Mais lui non plus, on ne savait pas où il était...

Tenter d'avoir une conversation intelligible les Winchester lui avait fait découvrir des abîmes de perplexité et un sentiment nouveau qu'ils avaient l'air de bien connaître et appelaient la frustration. Quatre-vingt pour cent de ce qu'ils babillaient tous les jours était perdu pour lui. A sa décharge, il avait vérifié auprès de Dean que lui non plus ne savait pas ce que ça voulait dire une force bouleversée, et s'en était senti vaguement rasséréné.

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Aujourd'hui, ici, il ressentait quelque chose de diffus, mais également pas mal de nervosité. Et peut-être aussi un peu d'indignité. Que ferait-il si son Père s'avérait déçu du tour qu'il avait donné à son existence ? Déçu de voir qu'il s'intéressait à ces faibles créatures humaines au lieu d'être resté son soldat loyal et obéissant ? Déçu de voir qu'il se laissait corrompre à son tour par ce mal insidieux qui avait déjà touché Lucifer – un concept donné aux humains mais interdit aux anges : la fascination pour le libre-arbitre ?

Castiel ne l'aurait pas réclamé pour lui-même. Pas encore. Il était plus dans une sorte de phase d'observation pour tâcher de saisir de quoi il retournait. En tant qu'Ange du Seigneur, il n'avait jamais rien eu d'autre à faire que d'obéir aux ordres de ses supérieurs. Essayer de penser sans en référer, c'était déjà un assez grand chamboulement de ses habitudes.

Au cœur de cette étrange réunion humaine d'une nature qu'il ne cherchait même pas à comprendre, il ressentait bien quelque chose de céleste et de puissant dans les parages, et pourtant si insaisissable. Sans pouvoir dire pourquoi, il restait magnétisé par un endroit où pouvaient se rendre ceux qui se sentaient déshydratés. Rien d'étonnant à cela, les lumières artificielles au plafond émettaient une chaleur trop importante…

Dans un coin de la buvette, deux hommes discutaient tranquillement un gobelet de plastique vide à la main (pourquoi vides ?...) et il les avait repérés pour deux raisons. La première, ils n'étaient pas bruyants, la seconde : l'un d'entre eux était un homme qu'il avait déjà vu avec les Winchester. L'Incroyant. Le compagnon de l'exceptionnelle Dana… à la foi si pure qu'il aurait presque pu la confondre avec la Grâce d'un ange. La trame de son aura était fascinante parce que les épreuves et les doutes de sa vie l'avaient renforcée au lieu de l'étioler comme celle de son compagnon, ou comme celle de Dean.

A sa décharge, Dean était allé en Enfer, subjectivement assez longtemps, aussi l'état de son aura était-il parfaitement excusable. Il faudrait du temps pour lui. Michael le voulait pour Vaisseau mais une fois encore, Castiel doutait que l'ordre qui lui avait été donné de le tirer de là pour le ramener à la vie soit judicieux, sans voir que ce doute même l'éloignait déjà de tous ses frères. Certes les deux Winchester étaient parmi les derniers héritiers d'une lignée remarquable – ce dont ils étaient du reste totalement ignorants – mais le sang qui coulait dans leurs veines et qui en faisait les aînés de l'humanité était une chose. L'état de leur véhicule mortel, la façon dont ils le maltraitaient et leur manque de sainteté en était une autre...

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Son attention fut détournée une fraction de seconde par un frémissement ondulatoire dans l'espace alentour qui le fit légèrement froncer du nez. Une femme aux longs cheveux bruns, portant devant tout le monde une paire ridiculement petite de fausses ailes blanches, venait de s'approcher de lui en souriant.

Il s'appliqua immédiatement à l'ignorer et à ne pas réagir. De temps à autre, des humains impudiques lui adressaient sans frémir des requêtes excessivement luxurieuses, et il avait déjà reçu depuis qu'il était là nombre de propositions mortifiantes, sans parler de gestes déplacés attentant répétitivement à la sacralité de son enveloppe... Il fit mine de regarder ailleurs, préférant se concentrer sur les deux types au gobelet vide.

— Salut mon tout beau ! roucoula-t-elle. J'ai quelque chose pour toi que tu vas adorer…

Imperturbable, Castiel ne cilla même pas. Regarder les deux hommes. Tenter de se concentrer sur leur conversation.

— Excusez-moi, je ne suis pas intéressé, marmonna-t-il le regard toujours fuyant, en l'esquivant d'un mouvement en crabe de pas chassé glissé qu'il perfectionnait depuis son arrivée.

— Une main de Dieu, ça ne t'intéresse pas ? dit-elle d'un ton incrédule en dévoilant brièvement ses yeux soudain totalement noirs d'encre.

Par pur réflexe, l'ange déclencha d'un geste vif du poignet le mécanisme dans sa manche qui lui permettait de faire tomber sa dague angélique directement dans sa paume.

— Allons, allons, chuchota-t-elle amusée à son oreille, en lui bloquant l'articulation dans un étau de fer. Est-ce que tu ne ressens pas sur moi que je dis la vérité ? Je l'ai là dans ma poche et je peux te dire que ça chatouille drôlement…

Il leva une main qui, en planant devant la poitrine du démon, capta les influx nets. Il n'y avait aucune chance qu'un démon puisse émettre une parcelle de divinité, elle devait donc dire vrai. Castiel sentait aussi qu'elle aurait aimé utiliser le charme de son hôtesse pour le circonvenir plus aisément mais il n'était pas un de ces faibles mortels aisément mystifiables. Sous son apparence flatteuse, il discernait son vrai visage de démon et ce dernier était déjà nettement moins engageant.

— Je te suggère qu'on aille dans un coin plus discret pour te faire connaître mes conditions. Tu sais bien, n'est-ce pas, que les humains ne peuvent pas être exposés à une Main de Dieu sans dommages terribles…

— Je ne négocie pas avec des démons ! répliqua-t-il. Retire-toi tout de suite !

— Volontiers, viens avec moi alors et aucun d'eux ne sera blessé…

Embarrassé, Castiel croisa le regard de l'Incroyant à la Coupe Vide. Ce n'était pas le moment qu'il vienne lui parler et s'expose à être pris en otage par cette démone de bas étage. Il allait devoir régler ça ailleurs. Il fallait absolument lui reprendre cet objet qui pouvait rendre virtuellement un démon inattaquable, pour autant qu'il ait la force d'en supporter le rayonnement.

— C'est d'accord, concéda-t-il de mauvais gré.

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Plus loin, la haute silhouette sombre de Rufus Turner et celle plus petite de Bobby Singer se remirent discrètement en mouvement pour les filer à quelque distance.

— Qu'est-ce que je t'avais dit ? se rengorgea le premier.

Bobby ne dit rien, mais ses yeux brillaient d'anticipation et d'appréhension mêlés.

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(à suivre)


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