Le Secret D'Aya
Cela faisait plus d’un quart d’heure que nous slalomions entre les arbres. Je ne parlais pas.
Je me contentais de me serrer contre le jeune homme pour éviter de tomber. Je me sentais vidée de toute énergie.
— Tu t’appelles comment ? demanda-t-il, sans doute pour briser le silence.
— Aya… murmurai-je doucement. Aya Okada.
— Aya Okada… répéta-t-il pour lui-même. J’ai déjà entendu ce nom quelque part…
— Hwoarang, ce n’est pas japonais, je suppose ? lançai-je malicieusement.
— Tu supposes très bien, répondit-il en riant. Je suis coréen.
Au même moment, le bruit sourd de sa moto s’arrêta. Nous étions arrivés devant une grande maison, à la fois simple et chaleureuse.
Je descendis avec peine du véhicule tandis qu’Hwoarang se hâta de porter le corps d’Alisa. Xiao lui ouvrit aussitôt la porte, et ils se dépêchèrent de « rebrancher » l’androïde, si j’avais bien compris. Je marchai en titubant, la douleur au bas de mon dos devenait insupportable. Je m’accrochai au canapé du salon où je les rejoignis.
— Merci d’être venu nous aider, dit Xiaoyu en jetant un regard à Hwoarang.
— Ce n’est rien, répondit-il en haussant les épaules. Je ne faisais que passer.
Elle lui sourit et s’installa auprès d’Alisa.
— On restera pour la nuit. Demain, on reprendra la route, soufflai-je, lasse.
— Tu devrais te reposer, dit Xiaoyu, inquiète. Ça a été dur pour toi aujourd’hui.
— Ne t’inquiète pas pour moi, dis-je en agitant la main. Toi aussi, repose-toi, d’accord ?
— Dès qu’Alisa se réveillera, je pourrai dormir, soupira-t-elle. Je serai rassurée.
— Viens, je te montre ta chambre, lança Hwoarang, déjà en train de s’éloigner.
Je le suivis tant bien que mal, gravissant les marches en m’accrochant à la rampe. Ma respiration se faisait courte. Pourquoi mes forces m’abandonnaient-elles ainsi ? D’ordinaire, j’étais bien plus résistante… Arrivée en haut, Hwoarang m’attendait avec un sourire moqueur.
— Eh bien, tu en mets du temps, ricana-t-il.
Je tentai de suivre son pas dans le couloir, mais ma vue se troubla. Mes mains tremblaient, mes jambes fléchissaient.
— J… je…
Avant que ma tête ne heurte le sol, il me rattrapa de justesse.
— Qu’est-ce que t’as ? s’inquiéta-t-il en me tenant dans ses bras.
— M-mon… dos… réussis-je à articuler.
Il me souleva aussitôt et me déposa sur le ventre dans une chambre. En retirant ma veste imbibée de sang, son visage se figea.
— Merde… souffla-t-il. Il faut prévenir un médecin ! Xiaoyu ! Viens vite !
Je fermai les yeux. Si j’avais eu encore un peu de force, je l’aurais empêché de l’inquiéter davantage. Xiaoyu entra, la main sur la bouche, choquée.
— Veille sur elle, dit Hwoarang d’un ton grave. Je vais chercher un médecin !
Il disparut aussitôt, tandis que Xiaoyu improvisait un bandage de fortune avec un vieux tissu.
— Ça devrait stopper le sang, dit-elle, soulagée.
Je lui serrai la main et esquissai un faible sourire pour la remercier.
— A… Alisa ? murmurai-je avec difficulté.
— Elle va bien. Ne t’inquiète pas. Elle s’est réveillée, répondit Xiaoyu avec un sourire doux. C’est de toi que je m’inquiète.
Ses doigts se resserrèrent sur les miens. Je sombrai dans le noir.
Quand je rouvris les yeux, une silhouette vêtue d’une blouse blanche se tenait près de moi : « Dr Tanaka », lisais-je sur l’étiquette.
— Laissez-nous, dit-elle aux autres.
Xiaoyu et Hwoarang sortirent, inquiets.
***
Je fermai doucement la porte, refusant presque de lâcher la poignée. Voyant que je restais immobile, Hwoarang prit mes mains dans les siennes.
— T’inquiète pas, le médecin est là, dit-il en d'un ton rassurant.
Je lui rendis son sourire et nous décidâmes de redescendre.
— Elle est vraiment comme son frère… soupirai-je à voix basse. Toujours à prétendre que tout va bien.
— Son frère ? répéta-t-il en arquant un sourcil.
— Laisse tomber, dis-je en baillant.
Il marmonna quelque chose dans sa barbe, puis ses yeux s’illuminèrent soudain.
— Ah ! s’exclama-t-il, visiblement fier. Mais oui, c’est la directrice des firmes PCC ! Aya Okada… comment j’ai pas pu la reconnaître ?
Je ne pus m’empêcher de rire face à son comportement. C’est alors qu’Alisa réapparut.
— Tu vas mieux ? lui demandai-je en m’affalant sur le canapé.
— Oui, je suis rechargée, dit-elle en souriant. Et Aya ?
— Elle est entre de bonnes mains, répondit Hwoarang en souriant à son tour.
Un bruit résonna soudain : quelqu’un frappait à la porte. Je me levai aussitôt.
— C’est qui ? je demande au propriétaire des lieux.
— J’en ai aucune idée, dit-il en haussant les épaules. J’vais aller voir.
Il s’absenta quelques minutes, puis une voix familière résonna. Des pas se rapprochèrent.
— Lars ! s'écrit Alisa en accourant à ses côtés.
Il posa une main affectueuse sur sa tête avant de m’offrir un sourire rassurant.
— Il est venu voir comment on allait, expliqua Hwoarang en croisant les bras. Ils savent que le dôjô de maître Wang a été attaqué.
— Comment vas-tu, Xiaoyu ? me demanda Lars.
— Bien, merci, répondis-je avec un sourire un peu forcé. Dis-moi, j’aimerais savoir… qui nous a attaqués ? Kazuya ?
Lars fronça les sourcils.
— J’suis allé vérifier les lieux. J’ai croisé ton grand-père. Il s’est retiré pour un moment, et d’après lui… ces soldats n’étaient pas ceux de Kazuya.
Il marqua une pause, pensif.
— Alors qui ? je soupire.
— Je me le demande. Kazama ? tente le rouquin.
Je me retournai brusquement, les mains sur les hanches pour paraître plus autoritaire.
— Ne te fiche pas de moi ! Jin ne ferait jamais de mal à grand-père. Et il n’essaierait pas de nous capturer !
Je croise les bras, vexée.
— Ça va, ça va… j’ai rien dit. Je plaisantais, marmonna-t-il en détournant le regard.
Lars soupira face à notre comportement, mais avant qu’il n’ajoute quoi que ce soit, son téléphone sonna. Il s’éclipsa aussitôt.
— Toujours à défendre Jin, hein ? rit Alisa.
Je sentis mes joues s’empourprer. Lars revint, toujours le téléphone à l’oreille.
— Ils voudraient savoir si une fille nommée Aya est avec vous, dit-il.
J’hochai la tête positivement.
— Oui, elle est avec nous, confirma-t-il en la cherchant du regard.
Mais à ce moment-là, le docteur Tanaka descendit les marches.
— On se reverra, lança Lars en raccrochant.
Je me précipitai vers elle, suivie de Hwoarang.
— Alors ? demandai-je en joignant les mains.
— C’était une hémorragie externe. Heureusement qu’elle a eu la présence d’esprit de mettre sa veste pour ralentir l’écoulement du sang. Et merci à toi d’avoir pensé à changer le tissu, dit-elle en me jetant un regard approbateur. Je lui ai administré une pommade qu’elle devra appliquer tous les soirs, ainsi qu’un changement régulier de bandages. Ça cicatrisera. D’ici une semaine, ça devrait commencer à disparaître. Heureusement, ce n’était pas trop grave, conclut-elle en souriant.
Un soupir de soulagement s’échappa de nos lèvres.
— Il lui faut juste un peu de repos. Je me suis permise de lui emprunter des vêtements, ajouta-t-elle à l’attention de Hwoarang.
— Merci beaucoup, dis-je en m’inclinant poliment.
Hwoarang raccompagna la doctoresse jusqu’à la porte. Lars, les bras croisés, attendait toujours des explications. Ce fut Alisa qui parla la première.
— Quand on s’est battus… un soldat l’a transpercée avec une épée, dans le bas du dos, dit-elle tristement.
— On l’a su en rentrant, soupirai-je. Elle nous a tout caché.
— Et j’ai appelé le médecin, ajouta Hwoarang en revenant.
— Bien, dit Lars en se massant le front.
Il se reprit.
— Bon, c’est pas tout ça… mais Hwoarang, tu peux me montrer une chambre, s’il te plaît ?
— Bien sûr, répondit le motard en l’emmenant à l’étage.
***
Alors qu’ils disparaissaient dans le couloir, je m’approchai de Lars.
— Tu sembles épuisé. Tu devrais te reposer.
— Pas tant que je n’aurai pas trouvé qui vous a attaqués, répliqua-t-il en serrant les poings.
Je posai ma main sur la sienne pour le détendre.
— Ça ne sert à rien de t’énerver. Tu finiras par trouver, dis-je en souriant.
— Tu as raison, souffla-t-il en me rendant mon sourire.
Puis son regard se fit plus sombre.
— Dis-moi… le “il” que tu avais au téléphone, c’était… ?
— Jin, répondit-il sans détour. Qui veux-tu que ce soit ? soupira-t-il. Tu restes avec eux ce soir ?
— Oui, ils ont besoin de moi.
— Bien. Dans ce cas, je vais me retirer, dit-il en tournant les talons.
— Fais attention à toi, lançai-je.
Il me sourit avant de disparaître. Peu après, j’entendis un claquement et le bruit d’un véhicule qui s’éloignait.
— Tiens, ta chambre est juste à côté de celle de Xiao, dit Hwoarang en ouvrant une porte.
Je le remerciai et m’allongeai aussitôt.
Je ne vais pas dormir puisque je connais pas le sommeil.
Je suis celle qui veilla la nuit et qui protège mes amis.
***
LE LENDEMAIN
Je me redressai lentement sur mon lit, m’étirai et passai une main dans mon dos. La douleur s’était apaisée. J’étais bien mieux qu’hier.
Je remarquai que j’étais vêtue d’une courte robe blanche. Mes affaires, elles, étaient posées sur la table de chevet, tachées et inutilisables. Je relevai un peu le tissu pour observer le bandage : il entourait fermement mon bassin. Super. Je soupirai. Il allait falloir que je cesse de me battre un temps, au risque de rouvrir la plaie.
Le ciel était encore noir derrière la fenêtre. La pendule du salon indiquait 5h31.
Le soleil ne tarderait pas à se lever.
J’ouvris doucement la porte, traversai la maison sur la pointe des pieds et m’enfonçai dans la forêt. L’herbe humide caressait mes pieds nus.
Arrivée dans une clairière, je décidai de tester ce pouvoir dont maître Wang m’avait parlé. S’il me permettait de repérer les auras négatives… peut-être pouvais-je percevoir aussi les positives.
Je tendis les bras, fermai les yeux et me concentrai. Une douleur sourde au bas du dos me fit grimacer, mais je résistais.
— Allez… tu peux le faire, soufflai-je pour me donner du courage.
Une brise légère passa, caressant mon visage. Dans l’obscurité de mes paupières closes, de petites lumières apparurent : les auras des animaux. Des lapins, des cerfs, des renards, des écureuils, des oiseaux… et un panda. J’ouvris les yeux, stupéfaite. Tous les animaux s’étaient rapprochés de moi. Panda, surtout, avançait avec douceur. Je caressai affectueusement son crâne. Je n’arrivais pas à croire ce que je voyais. Je ne les avais pas appelés… ou alors, peut-être avaient-ils été attirés par mon aura ?
Les autres réclamèrent aussi des caresses. Je ris, émerveillée, quand Panda me souleva doucement de son museau pour me porter sur son dos. Elle s’avança vers le sommet d'une montagne, suivie de tout le cortège d’animaux.
Là, face à l’horizon, nous contemplâmes ensemble le soleil levant.
***
Dans l’ombre d’un arbre, quelqu’un observait la scène. Ses yeux brillaient d’un éclat énigmatique.
Elle attire les animaux… Et cette aura… pure, chaleureuse…
Un silence pesant s’installa, comme si même la forêt retenait son souffle.
— Elle a donc un pouvoir… murmura la voix dans l’obscurité. Cela me rappelle quelqu’un.
L’homme appuya sur son oreillette.
— Enquêtez sur les liens de parenté d’une certaine Aya Okada. Je veux tout savoir, dit-il d’un ton froid et déterminé.
Un instant plus tard, il disparut dans la nuit, comme avalé par les ombres.