Le Secret D'Aya
Malgré ma posture de « femme fière », un léger sourire flottait au coin de mes lèvres.
À peine avais-je franchi les portes que les employés présents au rez-de-chaussée s’inclinèrent poliment. Je ne répondis pas. Mon pas s’accéléra. J’étais impatiente.
Arrivée devant l’ascenseur, les portes s’ouvrirent sur une femme blonde. Cette femme blonde.
Immédiatement, mon regard changea.
— Vous êtes ? répliquai-je froidement, reprenant ses propres mots de la dernière fois.
— Nina Williams, dit-elle d’une voix glaciale. Bras droit du président Kazama. Il vous attend.
Elle appuya sur le bouton, imperturbable. Je m’engouffrai dans l’ascenseur, le regard rivé sur la plaque métallique. Elle avait de la chance que nous soyons dans une entreprise. Autrement, je lui aurais fait payer son geste de la dernière fois. Mais je devais rester digne.
— Vous avez fait connaissance avec ma chère sœur, Anna, lança-t-elle en croisant les bras.
Je souris. Je le savais. J’aurais mis ma main à couper qu’elles étaient sœurs.
— Elle est beaucoup plus aimable que vous, répliquai-je en guise de provocation.
Ses lèvres s’étirèrent en un sourire énigmatique.
— Vous vous méfiez des mauvaises personnes, ma petite.
— Évitez de me prendre pour une gamine. Je suis bien plus mature que vous ne le croyez, dis-je en la fixant.
— Je n’en doute pas… mais votre naïveté reste évidente.
— …
Les portes s’ouvrirent enfin. Je sortis rapidement, puis me retournai brusquement.
— Au fait, vous me devez une robe, lançai-je malicieusement.
Elle se contenta de sourire tandis que les portes se refermaient.
Je soupirai, m’ébouriffant les cheveux. Cette femme me faisait perdre les pédales. Son calme constant m’irritait au plus haut point. J’avais l’impression de puiser toute mon énergie rien que pour lui tenir tête. Je me ressaisis en songeant à la véritable raison de ma venue. Devant un miroir, je remis mes cheveux en place. Puis, d’un pas décidé, je frappai doucement à la grande porte.
— Entrez.
J’ouvris et refermai la porte, sans oser lever les yeux.
Il était là. Dos à moi, observant la ville à travers l’immense baie vitrée.
Je m’avançai, le souffle court, les mains moites. Mes jambes tremblaient, mon ventre se nouait.
— Jin… c’est toi ? demandai-je, la voix tremblante.
Il se retourna lentement, comme pour prolonger mon supplice. Et enfin… je vis son visage.
C’était bien lui. Ses traits familiers. Ses mèches sombres retombant sur son front.
Et ses yeux. Ces yeux… autrefois pétillants de vie, à présent vides, sombres comme un gouffre.
Mon sac chuta au sol. Je me jetai dans ses bras, serrant son étreinte avec toute la force du manque accumulé. Les larmes m’envahirent. Tant d’années à attendre cet instant…
Mais lui… il ne répondit pas. Son corps resta raide. Froid.
Je me détachai, le cœur battant.
— Comment as-tu pu collaborer avec le groupe G ? demanda-t-il d’une voix glaciale.
Mon sourire s’effaça aussitôt.
— Je…
— Repars d’où tu viens, Aya. C’est trop dangereux pour toi.
Je me figeai. Avais-je bien entendu ?
Puis la colère prit le dessus. Ma main partit d’elle-même. Le claquement résonna dans la pièce.
— Pathétique… Tu es pathétique ! m’écriai-je, la voix brisée. Voilà des années que j’attends ce moment, que je te cherche comme une folle… Et toi, la seule chose que tu
trouves à me dire, c’est de repartir ?!
Les larmes coulaient. Des larmes de rage.
— Aya, écoute… soupira-t-il. Ce n’est pa—
— Ferme-la ! Tu ne sais pas ce que ça m’a coûté d’espérer ce jour… et tu viens de tout gâcher.
Il tendit la main, comme pour me retenir.
— Moi aussi, Aya… mais pas dans ces circonstances.
Je reculai d’un bond, le dévisageant avec amertume.
— Ils avaient raison. Tu n’es plus le même.
— Si tu savais ce qui s’est passé… tu ne me jugerais pas. Mais tu ignores face à quoi tu te tiens. Tu ignores ce qui approche.
Son regard se durcit. L’ombre de quelqu'un qui ne m'es pas inconnu, semblait planer derrière lui.
— Tu crois que je suis là parce que je ne collabore pas avec toi ? répliquai-je, mordante.
Je savais que ce n’était pas ça. Mais mes émotions me submergeaient.
— Aya…
— Assez ! J’ai du travail. À bientôt, lançai-je en claquant la porte.
Je savais que je regretterais mon geste.
Au fond, je voulais seulement le serrer dans mes bras, lui dire qui j’étais vraiment. Mais mes émotions et son comportement… m’ont poussée à réagir autrement.
Je voulais prouver que je n’étais plus la petite fille sans défense et pleurnicheuse d’autrefois. Que je pouvais me dresser face à eux, les surpasser. Je séchai mes larmes d’un revers de main avant d’entrer dans l’ascenseur. Lorsque j’en sortis, Nina et plusieurs employés me fixèrent, sûrement surpris de mon état. Je ne leur adressai pas un regard et appelai un taxi.
De son côté, Jin soupira lourdement.
— J’y suis allé un peu fort… murmura-t-il pour lui-même.
Il était à la fois anxieux et heureux de m’avoir revue. Mais le simple fait que je ne prenne pas le « bon chemin » l’agaçait au plus haut point.
Au moins, pensa-t-il, il avait été clair. Droit au but. Pourtant, comme toujours, il n’avait pas su exprimer ce qu’il ressentait vraiment. Plus maintenant.
Ses doigts pressèrent ses tempes, son regard fixé au sol. Comment pouvait-il m’expliquer ce que je risquais ? Aller chez moi ? Pour quelle raison, alors qu’il venait de me repousser ?
Il se maudissait.
Une seule chose l’obsédait : malgré mes longs cheveux, malgré les mèches qui cachaient mes yeux… je ressemblais terriblement à sa mère. À chaque fois qu’il croisait mon regard, il avait l’impression de la revoir. Un coup discret retentit à la porte. Jin soupira.
— Entrez.
Il n’eut pas besoin de se retourner. C’était Nina.
— Ça s’est mal passé, dit-elle en observant son expression. Peut-être es-tu allé trop droit au but.
— Peut-être… soupira-t-il.
— Je comprends donc que tu ne lui as rien dit au sujet de Kazuya ? Ni de ce qu’il compte faire ? Je te rappelle qu’elle est en danger, et si tu continues ainsi, elle ne tiendra pas longtemps parmi nous.
Le regard de Jin s’assombrit. Il soupira d’énervement. Nina comprit et sortit sans ajouter un mot.
Rien que de savoir que son père rôdait autour de moi… cela l’irritait au plus profond de lui-même.
Alors qu’il se dirigeait vers la sortie, son pied heurta quelque chose. Il baissa les yeux : mon sac.
Il le ramassa, le serra un instant entre ses mains.
— Voilà une raison d’aller la voir… murmura-t-il en enfilant ses lunettes de soleil.
Puis il quitta la salle.
Le moteur de sa moto s’éteignit devant un grand portail menant à une maison traditionnelle japonaise.
Il remarqua aussitôt que la demeure se trouvait à côté d’un ancien lycée délabré.
Il franchit le portail sans difficulté et frappa doucement à la porte.
À sa surprise, ce fut Xiaoyu, en pyjama, qui ouvrit.
— Qu’est-ce que tu viens faire là ? lança-t-elle sèchement.
— Je veux parler à Aya, répondit Jin, calme, malgré sa surprise devant le ton agressif de la jeune femme.
— Elle dort, dit-elle d’une voix plus posée. Entre.
À l’intérieur, Jin observa rapidement les lieux. Le confort semblait fait pour Aya. Il s’assit sur un fauteuil. Quelques minutes plus tard, Xiaoyu revint avec une tasse de thé.
— Je t’ai réveillée ? demanda-t-il.
— Pas vraiment, répondit-elle en ramenant ses jambes contre elle.
— Aya est là ?
— Elle s’est endormie, épuisée, dit Xiaoyu en le fixant droit dans les yeux. Je ne savais pas que tu pouvais être aussi dur.
— Comment ça ? fit Jin, intrigué.
— Je ne sais pas ce que tu lui as dit, mais en rentrant, elle était furieuse. Elle ne cessait de s’insulter elle-même, puis elle a fondu en larmes, encore et encore, jusqu’à s’épuiser. C’est la première fois que je la vois comme ça. Même blessée gravement, elle n’a jamais cessé de sourire… et il a fallu que toi, tu dises je ne sais quoi, pour qu’elle revienne détruite, lança Xiaoyu d’une voix tremblante de colère. Tu comptes énormément pour elle !
Jamais Jin ne l’avait vue aussi remontée.
— Tu es au courant pour moi et Aya ? demanda-t-il doucement.
Elle hocha la tête, plus calme.
— Je sais que j’y suis allé un peu trop fort…
— Tu m’étonnes ! coupa-t-elle, désespérée.
Jin se leva, prit mon sac et le serra contre lui.
— Je vais déposer ça dans sa chambre. Tu lui diras que je suis passé, d’accord ?
Xiaoyu voulut protester, mais se ravisa après quelques secondes. Elle lui indiqua simplement la chambre.
Jin poussa doucement la porte. L’obscurité enveloppait la pièce. Quelques objets posés çà et là reflétaient ma personnalité. Sur le bureau, il déposa mon sac. Puis, silencieusement, il s’approcha du lit. Son regard se posa sur mon visage. Les traces de mes larmes étaient encore visibles.
— Jin… tu… es… mon… murmurai-je dans mon sommeil.
Il s’agenouilla, passa doucement une main dans mes cheveux soyeux. Un geste familier, comme lorsqu’ils étaient enfants.
La nostalgie l’envahit.
— Je suis désolé… chuchota-t-il, comme pour que moi seule puisse l’entendre. Ce n’est pas que je ne veux pas te voir. C’est juste que… tu es en danger si tu restes ici.
Il soupira, puis déposa un baiser délicat sur mon front avant de se lever.
En sortant, il retrouva Xiaoyu, à moitié endormie.
— Tu devrais aller te coucher, dit-il en posant sa main sur sa tête.
— Je ne suis plus une gamine, ne t’inquiète pas, répondit-elle avec un sourire fatigué.
Un léger sourire étira ses lèvres. Il ébouriffa ses cheveux et quitta la maison sans un mot de plus.
De son côté, Xiaoyu resta dans l’entrée, pensive.
Elle sourit malgré la fatigue. Cette visite nocturne, maladroite, ressemblait à une tentative de pardon envers Aya.
Au moins, elle avait pu le voir. Elle s’étira et remonta dans sa chambre, certaine d’une chose :
Les jours à venir promettaient d’être mouvementés.