Le Seigneur de l'Anumidium

Chapitre 1 : Enlèvement nocturne

2532 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 04/10/2020 14:49

Le silence de la nuit fut brisé par l’approche d’un groupe d’ombres entre les arbres. Perchée dans un immense pin centenaire, une silhouette frêle se ramassa sur elle-même afin de passer inaperçue. Qui aurait pu la voir ? Elle se trouvait à une dizaine de mètres de haut, en partie masquée par les épais rameaux piquants du résineux. Elle semblait toutefois prudente, et attentive à ce qui se passait en contrebas.

              Ses yeux perçants dévisagèrent les nouveaux venus. Deux hommes, une femme et une haute silhouette inquiétante, semblable à un démon. Un drémora, de toute évidence. Elle reconnut à leur stature et à leur démarche deux altmers. La dernière membre du groupe, bien plus petite, devait être une bosmer. L’ombre fronça les sourcils. Des agents du Domaine Aldméri, de toute évidence.

              Ils s’arrêtèrent devant les ruines. Une immense porte dwemer s’ouvrait sur la roche, mais semblait condamnée par les éboulis devant elle. En revanche, une grotte s’ouvrait non loin. Après avoir inspecté d’un œil méfiant les environs, les quatre compères s’engouffrèrent dans le passage rocheux. L’ombre attendit quelques instants, puis poussa un cri semblable à celui d’une chouette. Un son identique lui répondit en provenance de sa droite, signe que ses complices l’avaient entendue. Elle dégaina donc un arc fin, y encocha une flèche. Elle changea de position afin d’être plus stable pour tirer, puis reprit son attente.

              Au bout de longues minutes, des cris résonnèrent dans le tunnel. La silhouette cachée dans son arbre banda son arc, flèche pointée sur l’entrée du boyau souterrain. Deux silhouettes en sortirent, la première vêtue d’une splendide armure elfique, la seconde habillée d’une simple tunique de prisonnière. Elle les laissa quitter son champ de vision et recentra son attention sur les éventuels poursuivant qui pourraient émerger à leur tour des ténèbres.

              Il ne lui fallut pas longtemps pour décocher son premier tir. Un homme, de toute évidence mage, courait après les deux fuyardes et leur lançait des sorts pour tenter de les ralentir. Le trait mortel de l’archère lui transperça la gorge avec une redoutable efficacité. Il s’effondra au sol, mort. Bien vite, quatre autres personnes sortirent de la grotte, dont deux que l’ombre ne connaissait pas. Quatre mages, occupés à semer des runes magiques et à lancer boules de feu et éclairs mortels à leurs poursuivants. L’ombre encocha une nouvelle flèche, attendit que le groupe recule et que leurs ennemis se montrent, et lâcha un nouveau tir qui se ficha dans le bras de l’un d’eux. Blessé, il leva les yeux pour chercher l’origine du trait. Une nouvelle flèche se planta dans son crâne.

              Alors qu’il s’affalait au sol, ses compères comprirent qu’ils n’auraient pas le dessus. Ils se replièrent donc dans la grotte, autant pour soigner leurs blessés que pour échapper aux tirs des mages. L’archère, satisfaite, sauta au sol avec souplesse. Elle rejoignit les quatre fuyards, inquiète pour ses deux camarades. Leurs deux acolytes levèrent les mains, brillantes des sorts qu’ils préparaient.

—       Tout va bien, souffla une voix dans l’obscurité. C’est une amie.

Les deux mages restèrent sur la défensive, mais annulèrent leurs sorts. Sans perdre un instant, le groupe s’enfonça dans les bois, guidés par leur camarade. Aucun autre mot ne résonna entre eux le temps de leur trajet. Les quatre fuyards suivaient leur guide avec attention, elle-même occupée à traquer la piste de ses alliées dans l’obscurité.

              Ils parvinrent finalement à une large rivière à moitié gelée. Les traces se perdaient sur la rive, mais la jeune femme ne semblait plus en avoir besoin. Elle remonta le cours d’eau, ses compagnons sur les talons. Par souci de discrétion, tous avaient traversé et marchaient dans le courant pour que celui-ci efface leurs traces. Ils se suivaient sans bruit, aux aguets. Tous semblaient inquiets à l’idée que quelqu’un ait pu les suivre.

              Enfin, après plus d’une heure de marche dans le liquide glacé, ils quittèrent la rivière pour escalader une série de rochers. Ils se perdirent dans les débris d’un éboulis ancien, remontèrent le flanc d’une montagne et finirent par arriver dans un nouveau bois dense. L’archère toujours en tête, ils s’enfoncèrent dans les bosquets, jusqu’à entendre les grognements d’une créature. Un ours. L’elfe laissa échapper un soupir de soulagement. Ses camarades comprirent qu’ils étaient arrivés et allaient pouvoir enfin réchauffer leurs orteils frigorifiés. La guide leur indiqua une direction et leur demanda de faire attention, car la silhouette du plantigrade se dessinait sous les arbres, menaçante. Ils firent donc un détour pour l’éviter.

              Après quelques minutes, la faible lueur d’un petit feu leur parvint. L’archère poussa un nouveau cri, cette fois semblable à celui d’un smilodon. Ils émergèrent ensuite dans une petite clairière entourée de fourrés touffus, organisée en camp minuscule où un groupe de femmes discutait à voix basse autour de l’unique source de lumière et de chaleur. L’une d’elles se leva lorsqu’ils sortirent des buissons.

—       Ah, vous voilà, leur lança-t-elle. Tout s’est bien passé pour vous ?

L’une de ses acolytes hocha la tête.

—       Nous n’avons eu aucun souci pour sortir, expliqua-t-elle. Nous avons même eu de l’aide pour nous enfuir.

—       Vous avez le livre ?

L’autre mage sortit un épais volume de sa poche. La couverture cartonnée avait perdu sa couleur à cause des heures passées en plein soleil, mais l’image d’un magicien au haut chapeau pointu, un bâton à la main, restait reconnaissable sur celle-ci. Des caractères inconnus ornaient deux bordures dorées en haut et en bas de l’ouvrage, rédigé dans une langue incompréhensible pour les elfes. Celle qui semblait être leur chef afficha un sourire satisfait.

—       Où est Amaranthe ? demanda alors l’unique homme présent. Et pourriez-vous nous expliquer qui vous êtes, vous ?

Il restait sur la défensive, comme sa camarade. Tous deux semblaient un peu perdus, aussi. La jeune femme leur adressa un regard amusé, et désigna un corps étendu un peu plus loin, sous une épaisse couverture.

—       Elle dort, expliqua-t-elle. La pauvre, elle était épuisée. Et affamée. Et puis, c’est quoi ces vêtements que vous lui avez donnés ? C’est une prisonnière ou une invitée censée vous aider ?

—       Le commandant Talerior a insisté pour qu’on la retienne captive, expliqua la mage, mal à l’aise. Je n’étais pas d’accord, mais…

—       Mais votre grade inférieur au sien ne vous donnait pas voix au chapitre, comprit la chef de l’équipe.

—       Vous avez l’air bien renseignée… remarqua l’homme.

Son interlocutrice lui adressa un sourire amusé.

—       Je le suis, capitaine Arnael. Je sais tout de vous et de votre… mission. Et je puis vous assurer que le commandant Talerior n’est pas celui qu’il paraît être. Loin de là, même.

—       Comment cela ? s’étonna l’homme.

Elle reporta son attention sur la jeune fille endormie.

—       Depuis combien de temps la retenez-vous prisonnière ? questionna-t-elle avec douceur.

—       En quoi cela vous concerne-t-il ? grogna le capitaine.

—       Elle est la clé qui me permettrait de retrouver Mère, révéla la soldate au bout de longues minutes de silence.

L’officier fronça les sourcils.

—       Vous m’avez l’air de ne plus avoir toute votre tête…

Arnael reçut un regard noir de son interlocutrice. La fureur sur les traits de son visage noble rappela soudain au mage un portrait, qu’il avait aperçu plus d’une fois dans le palais royal d’Alinor. Celui d’une femme, en armure, noble et belle. Une altmer royale, puissante, qui avait apporté ses heures de gloire à leur faction des Eres auparavant. Celle qui avait fondé le Domaine Aldméri.

—       Da… dame Ayrenn ? s’étonna-t-il, vaguement conscient de la portée de sa remarque s’il s’agissait bien d’elle.

—       Non, soupira l’elfe. Je ne suis pas elle, mais je suis de son sang.

—       Princesse Athana, devina alors l’autre mage. La fille d’Ayrenn, disparue en même temps que le premier Domaine Aldméri.

—       Impossible, affirma Arnael. Personne ne peut vivre aussi longtemps, même les altmers…

—       Quelques-uns ont cette capacité, expliqua Athana. Ceux qui sont nés bien avant la Guerre des Alliances. Bon, pas tous… c’est compliqué, en fait.

La princesse reporta son regard sur la prisonnière qu’ils venaient de sauver. Elle ne répondit pas tout de suite, perdue dans ses pensées. Les deux soldats du Domaine attendirent en silence qu’elle poursuive ses explications. L’un comme l’autre sentaient qu’elle n’était pas leur ennemie. Les cicatrices sur son visage, la lueur de ses iris et même son expression teinte d’une sagesse immense leur faisaient comprendre qu’elle ne mentait pas. De manière incroyable, la princesse avait survécu à la Guerre des Alliances, à la Crise d’Oblivion et à la Grande Guerre. Elle avait traversé les Eres, vécu bien plus de choses que ce qu’ils osaient imaginer. Ses soldates aussi, à en juger par la façon dont elles avaient agi lors de leur attaque.

—       Mon récit risque d’être long, confia enfin Athana. Et j’aimerais que cette demoiselle l’entende aussi. Elle est concernée par mon histoire.

—       Comment ça ? demanda la femme.

—       Ne soyez pas si pressée, lieutenant Faelwen, souffla-t-elle. Je vais tout vous expliquer, mais laissez-moi le temps de le faire. J’ai beaucoup de choses à vous conter, et, avant, je souhaiterais en apprendre davantage sur cette jeune fille et son livre.

L’altmer rougit, et hocha la tête, le regard baissé sur ses mains.

—       A vos ordres, princesse, répondit-elle.

—       Appelez-moi juste Athana, la pria-t-elle. Je ne suis plus héritière du trône d’Alinor depuis la disparition de Mère, vous savez. De plus, en mission, je n’ai jamais aimé être appelée par mes titres. Si vous souhaitez vraiment m’en donner un, appelez-moi générale, mais je préfère Athana.

—       Comme vous voudrez, princ… Athana.

Le silence s’installa à nouveau entre eux. La princesse se rassit auprès du feu et fut vite imitée par les deux mages. Arnael l’observait le plus discrètement possible. Sa camarade, elle, ne se cachait pas et fixait la fille d’Ayrenn d’un œil émerveillé, comme une enfant face au Père Noël. Il lui donna un petit coup de coude pour lui faire baisser les yeux, mais rien n’y fit. Sa collègue, plus jeune encore que lui, ne semblait guère décidée à faire preuve de discrétion. Un soupir lui échappa. A leurs côtés, les soldates discutaient à voix basse entre elles, semblaient presque insouciantes malgré la gravité de la situation. Elles parlaient avec calme, comme des amies de longue date réunies autour d’un feu de camp pour une soirée camping. Seule l’archère qui les avait guidés semblait manquer à l’appel. Le bruissement léger de feuilles et le grognement proche de l’ours confirmèrent aux deux officiers qu’elle montait la garde auprès de l’animal. Quoi de plus normal pour une bosmer, après tout ?

—       Capitaine Arnael, demanda soudain Athana, pourriez-vous m’expliquer comment vous avez trouvé cette fille ? Et ce qui s’est passé lorsque vous l’avez ramenée ici ? Mes espions n’ont pas pu tout me révéler. J’ai juste eu vent de son arrivée, j’ignorais même jusqu’à son nom avant que vous ne me le donniez.

—       Avant, j’aimerais savoir ce qui vous est arrivé, princesse, réclama l’altmer. Aucun livre ne mentionne votre existence.

Athana lui adressa un regard impérieux.

—       Arrêtez avec le « princesse », capitaine. Je vous l’ai dit, ce titre ne me va plus depuis la chute du Premier Domaine Aldméri. Et je vous ai dit que je vous conterai mon histoire, mais plus tard. Parlez-moi un peu de vous et de cette jeune fille, en attendant.

—       Pardonnez-moi d’être méfiant, princesse.

—       Appelez-moi encore une fois comme cela et je vous fais avaler votre langue, capitaine.

Son regard, bien que calme, dissuada Arnael de la provoquer. Il soupira, puis céda. Et commença son récit, le regard de plus en plus perdu dans les flammes à mesure que les évènements revenaient à sa mémoire.

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