Le Seigneur de l'Anumidium

Chapitre 2 : Une mission pas comme les autres

2597 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 04/12/2020 23:39

« Tout a commencé par un bel après-midi d’âtrefeu, lorsque le commandant Talerior est venu me trouver en personne. Je venais tout juste de rentrer d’une mission assez tranquille, mais fatigante. J’en avais un peu marre de courir après les adeptes de Talos à travers l’Empire, mes supérieurs le savaient, alors il m’a proposé une mission plus… secrète, dirons-nous. J’avais le profil, la motivation, et, selon lui, la curiosité et le sang-froid nécessaire pour l’accompagner. Bien entendu, je n’ai pas hésité longtemps avant d’accepter sa proposition. J’ai à peine eu le temps de me préparer que nous étions déjà repartis pour l’ambassade de Bordeciel, où nous devions rejoindre le reste de l’équipe.

« J’y ai fait la rencontre du lieutenant Faelwen et des soldats Aranor, Varelion et Allana. Tous quatre ont été placés par le commandant sous mes ordres, mais nous n’étions pas les seuls à obéir à Talerior. J’ai rencontré les capitaines Arro, Methelion et Nëvanya, ainsi que les lieutenants Evënwen, Ocanto et Lëvaya. Chacun possédait son propre groupe de trois ou quatre soldats, sans compter l’équipe de mineurs et scientifiques qui nous accompagnerait. Une dizaine de soldats avait été placés sous le commandement direct de Talerior et devaient surveiller les civils tout en assurant leur protection. Je ne comprenais pas trop pourquoi, puisque les quatre équipes présentes regroupaient toutes des soldats d’élite et des membres des services secrets.

« Le commandant a attendu le dernier moment pour nous informer des détails de la mission. Une expédition dans des ruines dwemer, durant laquelle nous devions rechercher des artefacts uniques et puissants. Lui-même ignorait ce qu’ils devaient trouver exactement. L’unique indication qu’il tenait de ses supérieurs était la puissance de l’artefact et la possible énergie magique qui pouvait l’entourer. Il nous a expliqué que nous devions dans un premier temps laisser les archéologues faire leur travail, juste déjouer les pièges laissés par les dwemers et détruire si possible les automates qui pourraient menacer les scientifiques. Rien de bien palpitant, mais toujours davantage que de courir après des hérétiques.

« Nous sommes donc partis le lendemain, par petits groupes pour ne pas attirer l’attention des nordiques ou de l’Empire. La route s’est déroulée sans encombre jusqu’aux ruines, hormis une rencontre avec deux spriggans et leurs animaux. Nous n’avons pas mis longtemps à tuer tout ce petit monde, bien sûr.

« Le plus dangereux, et aussi le plus délicat, a été notre arrivée aux ruines. Il nous a fallu du temps pour les trouver, masquées comme elles l’étaient alors par la végétation luxuriante qui les recouvraient. Une fois que nous avons identifié les portes, cependant, nous avons su que nous étions au bon endroit et nous avons pu commencer les fouilles. Il nous a d’abord fallu nettoyer le terrain avant l’arrivée des civils, car de nombreux chaurus infestaient les environs. Et, bien sûr, des falmers les accompagnaient. Les combats ont été fastidieux pour nous, malgré notre entraînement, puisque nous étions à… quoi, un contre cinq ? De plus, le poison de ces sales bêtes pouvait nous mettre hors de combat bien plus vite que les griffures d’un smilodon ou les morsures d’un loup. Et leur fichue carapace était difficile à percer, comme vous le savez sûrement, princ… Athana.

« Nous avons toutefois réussi à vaincre ces créatures et à établir un campement relativement sûr pour les scientifiques. Ils sont arrivés deux jours plus tard, chargés d’une tonne de matériel encombrant. Je me suis demandé comment ils avaient bien pu faire pour ne pas se faire remarquer. Ou, s’ils avaient été repérés, quelle excuse ils avaient pu trouver pour justifier leur présence si loin des territoires du Domaine Aldméri. Dans tous les cas, ça ne les a pas empêchés de se mettre au travail.

« Nous n’avions pas le droit de les interrompre, ni même d’interférer dans leurs fouilles. Ils étaient les maîtres du camp, après Talerior. Nous, nous étions là juste pour empêcher les automates qu’ils réveillaient de les tuer. Comme c’était pénible… Nous avions obligation de faire ce qu’ils demandaient, et en même temps, nous devions les protéger. Je vous laisse imaginer à quel point notre mission devenait compliquée lorsqu’une araignée dwemer sortait de nulle part et se jetait sur eux, que nous devions la désactiver, mais attention, sans l’abîmer ! Parce que, au nom d’Auri-El, un tel spécimen robotique en parfait état de marche méritait d’être étudié sous toutes ses coutures… »

Athana laissa échapper un petit rire. Arnael lui jeta un regard étrange, mi-surpris, mi-vexé. La princesse bredouilla des excuses :

—    Désolée, mais je me rappelle d’une mission au cours de laquelle j’avais dû supporter des scientifiques. Des biologistes, qui m’avaient demandé de garder une troupe de braillards des falaises en parfaite santé pour les étudier. Vous avez sans doute déjà entendu parler d’eux dans d’anciens récits. Des sortes d’oiseaux sans plumes, avec un bec acéré et des griffes redoutables. Un véritable fléau à Morrowind, à l’époque. Mais reprenez votre récit, capitaine.

Arnael grimaça un court instant, mais s’exécuta.

—    Donc, disais-je, la mission devenait compliquée à exécuter, avec les archéologues et le commandant qui nous demandaient des choses contradictoires. Si bien qu’il a fini par y avoir des accidents. Des blessés, des empoisonnés. Un mort, aussi. Tué par un centurion dwemer pas franchement ravi que nous l’ayons involontairement tiré du sommeil. Bien sûr, nous nous sommes faits taper sur les doigts. Talerior n’était pas ravi, mais ça lui a permis de comprendre que nous ne pouvions pas obéir aux deux ordres en même temps. Il a demandé aux scientifiques de faire plus attention, et nous a donné l’autorisation de les ignorer s’ils venaient à se mettre en danger. Eux-mêmes semblaient avoir compris la leçon. Ils ont arrêté de nous demander de laisser les machines dwemers intactes et ont accepté que nous les abîmions un peu si cela était vraiment nécessaire pour leur survie.

« A partir de là, la mission est devenue plus facile. Plus calme, aussi, puisque nous avions déjà bien nettoyé les ruines et que les civils ne se mettaient plus en danger lorsqu’ils entendaient les rouages d’un automate s’activer. J’en suis presque venu à apprécier l’architecture dwemer et les pistons géants encore actifs dans tous les coins.

« Les fouilles ont duré trois mois avant que nos ouvriers ne trouvent l’objet de notre présence sur place. Une machine immense, très étrange, contrôlée par divers leviers et boutons disposés sur une plateforme de commandes. Une sorte de cadre métallique trônait au milieu de la pièce, sous un immense système de miroirs très complexe, de toute évidence utilisé pour canaliser de l’énergie et faire fonctionner la machine. Nos spécialistes se sont aussitôt penchés sur son utilité. Il nous a fallu attendre encore trois jours avant de trouver, dans une pièce adjacente et éboulée en partie, une série de carnets qui contenaient différents schémas de la machine et des annotations en langue dwemer sur son fonctionnement.

—    La machine était en réalité une sorte de portail interdimensionnel, expliqua ensuite Faelwen. Les archéologues n’en comprenaient pas le fonctionnement et ont mis une bonne semaine à déchiffrer les notes des dwemers. Ils expliquaient le montage, comment activer le noyau d’énergie avec les miroirs pour le faire marcher. Rien, cependant, n’expliquait à quoi servaient les leviers et les boutons. Ils ont cherché une semaine supplémentaire, mais n’ont rien trouvé.

Elle afficha un sourire fier.

—    C’est moi qui ai fini par découvrir leur utilité, reprit-elle non sans une pointe d’orgueil dans la voix. Les leviers servaient en fait à ouvrir et fermer le portail, et les boutons à programmer différentes séquences chiffrées qui correspondaient à des sortes de coordonnées. Toutes celles que nous avons alors essayé ne fonctionnaient pas. En fait, la plus grande partie ne faisaient rien. Nous notions tout au fur et à mesure, avec soin, pour essayer de trouver une logique dans tout ça.

—    Le commandant Talerior nous a appelés deux jours plus tard pour nous remettre un parchemin où étaient indiquées des coordonnées, compléta Arnael. Il nous a dit qu’il avait été trouvé dans une autre pièce par l’équipe de la capitaine Nëvanya. Il nous a ensuite demandé, si le portail s’ouvrait, d’aller voir de l’autre côté ce qu’il y avait. Une sorte de mission de reconnaissance, en somme. Nous nous sommes exécutés. Faelwen a entré les chiffres dans la machine. Le portail s’est ouvert sous nos yeux. Nous n’avons pas pris le temps de réfléchir aux implications d’une telle découverte pour Tamriel. Nous avons passé la barrière lumineuse.

« La sensation était assez étrange. Perturbante, aussi. Un peu comme si votre corps se disloquait sans douleur pour se recomposer ailleurs. En l’occurrence, dans l’obscurité la plus totale, dans un monde inconnu. Il nous a fallu plusieurs minutes pour nous habituer à la faible luminosité environnante. J’ai ensuite repéré cette jeune fille, assise auprès d’une cheminée où un feu achevait de brûler. Elle était agenouillée, un livre posé sur ses genoux, et nous regardait bouche bée. Le soldat Aranor s’est assuré assez vite qu’elle ne nous poserait aucun souci. Il l’a maîtrisée en quelques gestes. Nous avons ensuite tenté de lui parler, mais elle ne comprenait pas notre langue.

—    Elle parlait une sorte de dialecte cyrodiiléen, enchaîna Faelwen. Ses phrases étaient cousues d’horribles fautes de prononciation, de grammaire et même de conjugaison. J’ai eu du mal à la comprendre, et je crois bien que c’était réciproque. J’ai toutefois fini par deviner que nous étions ailleurs pour de bon, dans un autre monde où Tamriel ne semble être qu’une légende. En plus, elle tenait ce livre-là, qui nous a semblé bien fragile au premier abord.

—    J’ai pensé que le commandant serait content d’avoir une… invitée de ce nouveau monde avec qui parler, reprit le capitaine. Nous l’avons donc emmenée, malgré ses réticences à nous suivre. Et une fois de retour à Tamriel, nous avons remarqué de légères différences chez elle. Une fois le portail passé, elle avait perdu son apparence d’humaine et était devenue une elfe, telle qu’elle vous apparaît aujourd’hui. Pourtant, lorsque nous avons franchi le portail pour entrer dans son monde, aucun de nous n’a vu son apparence changer. Nous ne comprenons pas ce qu’il s’est passé.

—    Une manifestation magique quelconque ? suggéra la princesse.

—    Sans doute, confirma Faelwen. Personne n’a cependant pu déterminer son origine.

—    Intéressant, souffla la générale pour elle-même. Continuez, je vous prie.

—    Le commandant a cru qu’on se moquait de lui, s’exécuta Arnael. Il a commencé par crier, jusqu’à ce qu’on lui montre le livre. Il a essayé d’interroger Amaranthe, sans succès. Non seulement elle ne le comprenait pas, mais, en plus, quand Faelwen a voulu faire la traduction, elle n’a plus voulu ouvrir la bouche. Ça n’a pas plu au commandant, qui l’a faite enfermer dans l’espoir de la rendre plus coopérative.

—    Et ce livre ? questionna Athana. Pourquoi vous l’avez emporté ?

—    J’étais juste curieux, avoua Arnael. Je me suis demandé comment ils avaient pu intégrer une peinture aussi détaillée sur la couverture sans que l’on ressente le moindre coup de pinceau. Et j’aurais aimé pouvoir demander à Amaranthe de quoi il parlait, parce qu’elle me l’a presque arraché des mains quand je l’ai ramassé, chez elle. De toute évidence, elle y tient beaucoup.

—    Vous en avez parlé à votre supérieur ?

—    L’unique raison pour laquelle le commandant ne nous a pas envoyés rejoindre Amaranthe en prison, c'est ce livre, indiqua Faelwen. Il semblait ravi qu’on l’ait ramené, mais nous ignorons pourquoi.

La générale plongea dans ses pensées un long moment. Les deux soldats se regardèrent, inquiets. Tous deux sentaient que quelque chose les dépassait, que, sans le vouloir, ils avaient été embarqués dans une histoire bien plus vaste que ce à quoi ils s’attendaient lorsqu’ils avaient accepté leur mission. Le livre, surtout, les intriguait. Comme l’avait dit Arnael, Talerior semblait tenir à cet ouvrage dont ils ne comprenaient ni l’objet, ni même le titre. L’intérêt que lui portait Athana leur certifia qu’il renfermait sans doute une information utile, peut-être même capitale.

—    Nous ferions mieux de reparler de cela demain, finit par lâcher la princesse. Nous n’aurons pas de réponses tant qu’Amaranthe dormira, et elle a besoin de se reposer.

Les deux collègues acquiescèrent d’un même signe de tête. Malgré leurs questions, l’un comme l’autre sentaient qu’il serait impossible de la faire changer d’avis. De plus, Faelwen se sentait un peu coupable d’avoir ainsi arraché une jeune fille à son foyer alors qu’elle ne comprenait même pas leur langue pour l’enfermer dans une salle humide et froide, sans la moindre explication sur ce qui lui arrivait. Elle aurait aimé avoir une discussion avec elle pour en apprendre davantage sur son monde et lui révéler quelques informations sur Nirn. Cependant, lorsque son regard se posa sur sa silhouette endormie, elle ne put se résoudre à la réveiller. Les évènements avaient dû l’épuiser, surtout qu’elle ignorait ce que Talerior avait pu lui faire entre le moment où ils l’avaient déposée dans sa prison et celui où Athana l’en avait libérée.

Les deux soldats imitèrent donc leur prisonnière et s’allongèrent à même le sol, l’un sur le dos, l’autre sur le flanc, dans l’espoir de profiter de quelques heures de sommeil jusqu’au lendemain. Athana, elle, resta pourtant éveillée, en apparence pour monter la garde. Cependant, les deux elfes se doutaient que, comme eux, la princesse s’interrogeait sans doute sur ce nouveau monde et ce mystérieux livre…

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