Oblivion Corporation

Chapitre 6 : Highschool Sunset

6593 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/04/2021 13:50

Quand leur professeur d'anglais expulsa Arenden de son cours pour bavardages, usage de téléphone et insolence, Fahliilyol ressentit envers lui une petite pointe de jalousie. Pourquoi était-ce pour lui si facile d'échapper aux chaînes de leur lycée ? Elle, s'il lui arrivait de se faire remarquer en classe, la nouvelle parvenait aussitôt aux oreilles de son père. Et Mehrunes Dagon se montrait implacable au sujet de la discipline à laquelle il exigeait que sa fille se plie.

Fahliilyol était certaine qu'Arenden ne mettrait jamais les pieds chez le CPE chez qui il venait d’être envoyé. Au lieu de ça, il quitterait le lycée l'air de rien et s'en irait rejoindre le groupe dehors pour traîner et chercher de nouvelles manières de se distraire. Clorisse n'avait pas pris la peine de se montrer au lycée aujourd'hui. Johanna avait suivi les cours de la matinée, pour la rejoindre à la pause du déjeuner et sécher l'après-midi. Arenden avait enfin réussi à se faire expulser. Quant aux autres membres du groupe, ils étaient plus âgés et hors du système scolaire. Daelyna avait mis ses études de côté le temps d'amasser assez d'argent pour les poursuivre en travaillant dans un salle de sport, L'archer enchaînait les petits boulots. Personne ne savait vraiment ce que faisaient pour vivre les jumelles Gri'lra et Gra'shra, mais tant qu'elles arrivaient à se payer leurs bières, Fahliilyol doutait qu'elles ne se posent elles-mêmes la question. Quant au doyen du groupe, Gor'shro, il réparait des motos et revendait des pièces détachées.

Les explications de madame Murmevent sur le texte d'Ernest Hemingway qu'ils étudiaient lui entraient par une oreille puis ressortaient par l'autre. Elle aurait bien aimé se forcer à écouter mais vraiment, elle avait la tête ailleurs. Elle imaginait le groupe s'amuser et rire de leur liberté, alors qu'elle restait coincée ici. La jeune fille croisa les bras sur sa table et cala sa tête dedans.

En tournant les yeux, elle pouvait regarder par la fenêtre, de l'autre côté de sa voisine Klothild qui l'en séparait. La voiture noire qu'elle aperçut, garée en face de la grille, acheva de lui saper le moral. Les vitres teintées lui cachaient l’intérieur, mais Fahliilyol savait qu'au volant attendait un des hommes de main de son père. Où qu'elle aille, Mehrunes Dagon avait chargé Boéthia de la faire accompagner d'un agent de sécurité. La simple vue de cette berline noire rappela à la lycéenne qu'elle n'était pas libre. Et que même si elle trouvait une excuse pour sortir du lycée et rejoindre les autres, il lui faudrait aussi tromper la surveillance de son garde du corps. Au moins, se rassura-t-elle en soupirant, celui-ci devait s'ennuyer presque autant qu'elle, à glander toute la journée sur le siège de sa voiture…

Klothild non plus n'était guère attentive. Appuyée au radiateur installé sous la fenêtre, elle était si avachie dessus qu'elle donnait l'air d'avoir fusionné avec. C'était une grande perche blonde massive et athlétique, quaterback dans l'équipe féminine de football du lycée, les Stormcloack de New-Tamriel. Sans doute une grande carrière sportive l'attendait dans le futur. Elle se montrait en attendant assez peu brillante dans les matières autres que le sport. Son cerveau avait la fâcheuse tendance à griller quelques minutes après que les cours aient commencé. Et si l'étude de  Pour Qui Sonne le Glas avait éveillé son intérêt parce que "BASTON ! " , il n'en allait pas de même pour  Le Vieil Homme et la Mer



Une légère vibration dans sa poche lui indiqua qu’elle venait de recevoir un message. Après s’être assurée que madame Murmevent s’intéressait à la réponse d’une de ses camarades, elle jeta un œil à son téléphone. Le message venait de L’archer. La notification indiquait qu’une image y était associée. Elle déverouilla donc l’écran pour voir ce qu’il lui voulait. Le jeune homme posait d’un air nonchalant avec les jumelles autour d’une moto. Un message suivait, juste en-dessous : “Viens, Gor’Shro a réussi à réparer une nouvelle Yamaha !” 

Avec un soupir, elle rangea l’objet dans sa poche. Elle aimerait les rejoindre, s’amuser un peu avec eux, mais elle ne pouvait pas. Si son père l’apprenait, encore une fois, elle serait punie. Deux minutes plus tard, une nouvelle vibration la dérangea. Encore un SMS de son ami, qui insistait : “Répoooooond ! ” 

Jamais il ne la laisserait en paix. Elle se décida donc de prendre le risque de répondre : “Je suis en cours, je vous rejoins après. Arenden arrive, il s‘est fait virer. ” 

Elle avait à peine verrouillé l’écran qu’une notification s’y affichait : “Me dis pas que ça te plaît de passer deux heures à te faire insulter parce que tu ne sais pas enchaîner plus de dix pompes. On sait que tout ce qui t'intéresse, c’est de mater le prof.” Ce message sentait Clorisse. Elle avait dû piquer son téléphone à L’archer.  “Mon père me surveille”, écrivit-elle pour dissiper le malentendu. “Je peux pas sécher.” “Pour le sport, il pourrait faire une exception. Surtout avec ce cinglé de prof.” 

Le léger coup de coude de Klothild pour lui signaler l’approche de leur professeur d’anglais l’empêcha d’envoyer le message en cours de rédaction. Elle se hâta de dissimuler son téléphone dans la poche de son sweat noir et  fit mine de relire un passage du texte étudié. Clorisse avait raison, leur professeur de sport était… particulier. S’il avait permis aux Stormcloack d’atteindre le sommet du championnat et de s’y maintenir cinq saisons d'affilée, il ne faisait preuve en revanche d’aucune pédagogie auprès des autres élèves. Son caractère les effrayait, il se montrait impitoyable envers la faiblesse. Et ne détestait rien de plus que des dispenses d’assiduité... Plus d’une fois, Fahliilyol était rentrée chez elle à deux doigts de l’évanouissement tant la séance de course d’endurance s’était révélée intense.

— Madame, couina soudain Ellëana, l’une de ses amies. Je peux aller à l’infirmerie ? J’ai très mal au ventre… 

Leur professeur la fixa un instant, puis lâcha un léger soupir. La fin de l’heure d’anglais approchait. Le début de celle de sport également. Fahliilyol doutait que madame Murmevent ne soit vraiment dupe des raisons qui poussaient régulièrement ses élèves à réclamer un passage à l’infirmerie à ce moment précis de la semaine.

— C’est une habitude, grommela la professeur. Je n’y crois pas …

— C’est pas ma faute, répliqua la jeune fille à moitié pliée en deux. 

— Bon, vas-y, capitula madame Murmevent après avoir jeté un œil à sa montre. Tu t’arrangeras avec monsieur Hurlorage. Vihna, tu l’accompagnes ? 

Une rouquine hocha la tête et se leva. Elle attrapa la malade par les épaules pour la soutenir et la guida vers la sortie. Fahliilyol la regarda partir avec un mélange d’envie et de compassion, consciente que la frêle jeune fille ne jouait pas la comédie. Sa carrure plus proche du sac d’os que du tas de muscles lui avait causé de nombreux soucis durant les séances de sport, dont une cheville foulée. Les complications qui avaient suivi à cause de l’entêtement du professeur Hurlorage, autant que la douleur, l’avaient traumatisée. Ses parents, conscients du problème, savaient qu’elle séchait souvent les cours de sport ou trouvait des dispenses pour y échapper. Ils étaient même prêts, parfois, à lui fournir une excuse pour l’en préserver. 

Fahliilyol ne pouvait s’empêcher de ressentir la jalousie lui chatouiller les côtes chaque fois qu’elle y pensait. Son père, lui, n’avait jamais daigné bouger le petit doigt pour la dispenser de sport. Pourtant, elle suivait des cours d’arts martiaux et d’équitation, elle avait même accepté durant une année de faire un peu de musculation pour lui faire plaisir. Mais malgré quelques tentatives de discussion avec lui, il avait refusé de lui signer le moindre papier pour lui permettre d’échapper à ce professeur tyrannique et effrayant. 

La sonnerie retentit peu après. Les élèves rangèrent à contrecœur leurs affaires. Ils savaient bien que cette même sonnerie annonçait le début de la séance de sport si redoutée. Madame Murmevent stoppa leur élan, insista que c’était elle qui ordonnait la fin du cours, non la cloche. Tous durent rester assis le temps qu’elle termine son analyse et leur demande d’écrire une page de résumé pour la semaine prochaine. 

Les élèves protestèrent : monsieur Hurlorage supportait mal les retards et leur en incomberait certainement la responsabilité. Liandra, la déléguée, tenta sans succès d’argumenter. La professeure d’anglais acheva ses instructions après avoir plusieurs fois réclamé le silence, puis les libéra.

Sans surprise, monsieur Hurlorage les attendait devant son gymnase. Les premiers mots pour sa classe à sortir de sa bouche furent un flot de réprimandes. En silence, les élèves se dépêchèrent d’entrer dans les vestiaires, où ils pourraient profiter d’un bref moment de répit en l’absence de leur sévère professeur. Mais l’incident avait aspiré la motivation même des plus persévérants et l’ambiance y était plus morose que jamais. 

Klothild seule gardait la pêche. C’était facile, elle, monsieur Hurlorage l’appréciait. Le sport était sa matière favorite et la seule où elle excellait. La jeune fille n’avait aucun mal à remplir les exigences surhumaines de leur professeur. Et son rôle non négligeable dans les victoires récentes des Stormcloack lui valait un quasi-traitement de faveur de sa part. 

Fahliilyol la perdit un court instant, durant lequel la sportive s’absenta pour échanger deux mots avec le professeur au sujet de leur dernier match. Son amie commença à se changer sans l’attendre, aussi silencieuse que ses camarades occupées à faire de même autour d’elle. La porte s’ouvrit au bout de quelques instants sur Klothild, qui s’installa à côté d’elle, un sourire aux lèvres. Elle donna une petite tape sur son épaule. 

— T’en tires une de ces têtes, toi… 

— Le prof n'a pas l’air de bonne humeur, grommela la frêle jeune fille. 

— Alors en fait, si, expliqua la géante musclée. Il est ravi qu’on ait gagné à domicile la semaine dernière ! Tu vas voir, ça va aller. 

— Avec toi, peut-être, grogna sa camarade. Mais nous, il va nous défoncer, comme d’hab… 

Klothild profita qu’elle soit occupée à changer de t-shirt pour lui chatouiller les côtes. 

— En même temps, déclara-t-elle sans faire attention à son exclamation indignée, voir une carrure de crevette comme la tienne, ça fait pitié. Muscle-toi un peu, bon sang ! 

— C’est pas en me forçant à mourir à la tâche que je vais m’y mettre, répliqua-t-elle avec une moue vexée. 

Klothild éclata de rire. Elle enfila sa tenue de sport, qui mettait en valeur ses puissants muscles, pendant que Fahliilyol attachait ses lacets. Elle préférait de très loin la compagnie de son cheval et sa tenue d’équitation, autrement plus belle que son legging de course et cette paire de baskets qui ne lui plaisait qu’à moitié. Quel cruel manque de goût de leur faire porter une horreur pareille… des chaps en cuir au-dessus d’une belle paire de boots lustrées, c’était tout de même plus esthétique ! Et plus confortable, aussi… Et les lacets, quelle traîtrise ! Ils passaient leur temps à se défaire, se mouillaient dans les flaques et, pire, menaçaient par moments de la faire tomber. Avec un soupir, elle suivit sa camarade lorsqu’elle eut fini de se préparer.

Monsieur Hurlorage ne laissa à personne le loisir de rester oisif une fois qu’ils furent en tenue de sport. A peine toute la classe fut-elle réunie sur le terrain extérieur qu’il ordonna les premiers exercices, sous forme de quelques tours de piste histoire de se dérouiller. Debout sur le bord, sifflet pendu aux lèvres, le professeur traquait le moindre élève dont la cadence de course ralentissait. Klothild ne tarda pas à se trouver en tête de peloton, puis à distancer ses camarades en prenant un tour d’avance. Quant aux moins sportifs, la sueur perla bientôt sur leur front sans qu’ils n’osent réduire leur vitesse de peur de s’attirer les foudres de leur bourreau. 

Fahliilyol se tenait le flanc, terrassée par un point de côté.  Elle soufflait, jurait, maudissait Ellëana qui avait réussi à échapper à cette torture, crachait sa haine sur ce prof sadique qui attendait avec impatience le moment où elle flancherait pour lui crier dessus et la rabaisser. Non. Elle ne craquerait pas. Elle tiendrait quoi  qu’il en coûte. Elle irait jusqu’au bout, jusqu’au bout. Encore un pas, puis un autre.. Mètre après mètre… Monsieur Hurlorage finirait bien par siffler la fin de l’exercice. L’exercice aurait bien une fin, n’est-ce pas ?

Klothild la dépassa d’un pas léger.

—C’est lent tout ça ! lui lança-t-elle. 

Elle se retourna pour la narguer et marcha quelques mètres à reculons pour encourager la crevette. Elle tapait dans ses mains en cadence avec ses foulées amples, s’éloignait de sa camarade même en marche arrière. Fahliilyol remarqua cependant que son lacet s’était défait, mais, trop essoufflée pour parler, elle ne put la prévenir. 

Elle n’en n’aurait de toute façon pas eu le temps, Klothild marcha dessus. Le petit bout de cordelette  eut raison de la grande athlète, qui bascula en arrière, emportée par son élan. Avec un cri de surprise, elle tendit le bras pour essayer d’amortir la chute. Sa paume heurta le revêtement granuleux avec violence. Son poignet plia sous le choc, écrasé par sa masse. Un étrange bruit retentit, accompagné d’une exclamation de douleur de la sportive. Fahliilyol s’arrêta avec un petit rire.

— Ca, ça s’appelle un bon retour de karma, ahana-t-elle, la main appuyée sur son flanc. 

Elle fronça cependant les sourcils devant la pâleur subite de son amie et la façon dont elle se tenait le poignet. Inquiète, elle s’agenouilla à ses côtés. 

— Klo ? demanda-t-elle. Ça va ? 

— C’est… c’est rien, assura-t-elle. 

La crevette essaya de lui prendre la main pour regarder l’étendue des dégâts. Elle reçut une violente poussée en retour. 

— Touche pas ! s’exclama l’autre. Ça fait mal. 


Fahliilyol remarqua la bosse au niveau du poignet, ainsi que le sang qui dégoulinait sur son bras. Dans sa chute, elle s’était râpée la paume et le coude. 

   

— Pouvez-vous m’expliquer, mademoiselle Dagon, ce qu’il se passe ici ? gronda une voix menaçante dans son dos. 


La jeune femme déglutit. Elle se tourna pour faire face à son professeur, qui attendait, les bras croisés et le visage déformé par un agacement profond. 


— Klothild est tombée, expliqua-t-elle. 


— J’ai marché sur mon lacet, confirma la blessée. C’est rien, je peux continuer à courir. 


Son expression contredisait ses paroles, mais elle semblait prête à tout pour éviter des ennuis à sa camarade. Elle avait cherché, elle assumerait les conséquences de sa bêtise. 

— Alors que faites-vous encore à terre ? Relevez-vous immédiatement et reprenez l’exercice !

Klothild s’exécuta avec difficulté. Elle se tenait toutefois toujours le poignet, et semblait à deux doigts de tomber dans les pommes. 

— Et vous, mademoiselle Dagon : expliquez-moi pourquoi vous faites tomber vos camarades ?

— Mais je ne l’ai pas fait tomber… bredouilla la pauvre jeune fille, au bord de la panique. 

— Alors pourquoi était-elle à terre quand je vous ai vu la déconcentrer ? 

Monsieur Hurlorage jeta un regard à sa précieuse quaterback  qui se traînait douloureusement, avec un visage aussi pâle que du lait caillé. Il gronda d’une voix mençante :  

— Je vous préviens que si elle n’est pas en état de suivre l'entrainement de demain, ma fureur ne connaîtra pas de limite. 

— Ta fureur n’est rien à côté de la mienne, Illidan. Que se passe-t-il ici ? 

— Ma… iev ? 


Madame Maiev Chantelombre s’approcha de l’incident d’un pas énergique. Les élèves pouvaient à présent voir le doute s’installer sur le visage de leur professeur de sport. Il était de notoriété publique, dans le lycée, que la proviseure était la seule individue capable de calmer les cruels instincts de monsieur Hurlorage. Fahllilyol le savait également et en conçut un grand soulagement. Elle était sauvée, songea-t-elle le cœur empli de reconnaissance envers cette samaritaine sévère mais pleine de justice. 

— Es-tu encore en train de maltraiter tes élèves, Illidan ?

— Bien sûr que non ! 

Il tendit un index accusateur droit sur le front de Fahliilyol.

— Mademoiselle Dagon a fait chuter mademoiselle Hache-Sanglante. 

— Non, elle ne l’a pas fait : j’observe ton cours depuis un moment déjà. Mademoiselle Hache-Sanglante est tombée par la seule faute de sa propre maladresse. D’ailleurs, pourquoi n’est-elle pas à l’infirmerie comme il se doit ? 

— Je n’ai pas jugé…

—Tu n’as surtout pas la moindre jugeotte, l’interrompit brutalement madame Chantelombre. As-tu vu la tête qu'elle tire, sa pâleur ? As-tu vu comme son poignet est enflé ? Ta séance de sport peut attendre, Illidan, lorsque la santé de l’un de tes élèves est en jeu ! Mademoiselle Dagon ?

— Oui, madame ? couina Fahliilyol. 

Elle avait beau se placer de leur côté, madame Chantelombre l’effrayait au moins autant que monsieur Hurlorage lorsqu’elle s’énervait…

— Conduisez mademoiselle Hache-Sanglante à l’infirmerie, immédiatement. Quant à toi, Illidan, je te prierais de venir faire un tour dans mon bureau après tes cours. Nous avons de vieilles querelles à régler.

Fahliilyol ne prêta pas attention à la suite de la dispute. Les mots “ conduisez mademoiselle Hache-Sanglante à l’infirmerie “ étaient les seuls à la satisfaire. Elle se hâta de prendre son amie par son bras valide et de s’éloigner du terrain de sport, ravie de trouver là une occasion d’échapper à la séance. Fait remarquable, Klothild ne protesta pas. Ce simple fait suffit à la renseigner sur la gravité de son état. 

Ce n’est qu’une fois remise entre les bonnes mains de l’infirmière et le SAMU sur le chemin du lycée que la jeune fille retrouva le nouveau le fardeau d’aller en cours de sport. Mais plus elle y réfléchissait, plus elle arrivait à penser qu’elle devrait tirer parti de cette petite pause et la transformer en grande absence. L’idée de revoir son professeur de sport lui donnait envie de vomir… Il avait déjà fait l’appel, aussi était-elle marquée présente. Peut-être qu’à cause de son altercation avec la proviseure, la disparition d’une élève passerait inaperçue. Ou qu’il s’en ficherait. Et si ce n’était pas le cas, elle pourrait toujours prétexter la prochaine fois qu’elle était restée avec Klothild. Elle serait prête à mentir s’il le fallait pour l’aider. De la bouche de la quaterback des Stormcloack de New-Tamriel, cette affirmation donnerait beaucoup de poids à sa version. 

La jeune fille se glissa donc dans les couloirs jusqu’à une petite porte, qu’elle poussa d’un geste franc. Elle pénétra dans une petite cour ombragée, au centre de laquelle deux gros saules poussaient. Sans un regard pour les arbres, elle traversa la pelouse et emprunta un passage entre deux haies. La voix forte de son professeur de sport lui parvint depuis le terrain de course. Un frisson la parcourut. Les buis la séparaient du reste de la classe, mais elle savait que, si monsieur Hurlorage jetait un regard dans sa direction, il remarquerait son tshirt rose fluo à travers les branches. Elle s’empressa donc de traverser le passage pour se réfugier derrière le gymnase. Elle s’y arrêta un instant, tendit l’oreille pour s’assurer que l’enseignant tyrannique était toujours occupé à expliquer l’exercice aux autres, puis se faufila jusqu’à une fenêtre ouverte, à environ deux mètres du sol. Elle jeta un oeil autour d’elle. Personne. Son coeur accéléra, ses mains devinrent moites. Elle les essuya sur son pantalon, fit quelques pas en arrière. 

Elle s’élança ensuite vers le mur. A moins d’un mètre de celui-ci, elle prit appui au sol pour s’élancer vers l’ouverture. Ses mains en aggripèrent le bord, ses bras se tendirent pour la maintenir au-dessus du sol. Elle posa ses pieds contre le mur bétonné et poussa pour rester en l’air. Le passage, bien qu’étroit, lui permettrait de rentrer sans trop de problèmes. Elle força sur ses muscles, réussit à passer son buste par la fenêtre. D’un coup de reins, elle ramena ses jambes dans l’ouverture et posa une main sur le haut d’une cloison de plastique épais. Elle se balança un instant au-dessus de la cabine, s’assura que personne ne se trouvait en-dessous et se laissa tomber sur la cuvette fermée. 

La blondinette retint son souffle, tant à cause de l’odeur que pour pouvoir écouter les sons autour d’elle. Rien, hormis les pulsations assourdissantes de son sang dans ses tempes. Elle lâcha un léger soupir de soulagement et se glissa hors des toilettes d’un pas tranquille. Personne, normalement, ne devrait rentrer pour le moment. Elle pouvait donc prendre le temps de se changer avant de ressortir par le chemin qu’elle venait d’emprunter. 

La porte du vestiaire grinça lorsqu’elle la poussa, mais elle n’y prêta guère attention. Elle était seule. Tranquille. Un sourire ravi étira ses lèvres lorsqu’elle se saisit de son téléphone, rangé dans la poche de sa veste. Il vibrait ; Clorisse essayait de la joindre. Elle n’eut cependant pas le temps de décrocher avant que l’appel ne bascule sur sa messagerie. Elle déverrouilla aussitôt l’appareil et lâcha une petite exclamation stupéfaite. En l’espace d’une heure, le groupe avait essayé vingt-sept fois de l’appeler, laissé dix-huit messages sur la boîte vocale et envoyé une bonne centaine de SMS. Elle ne prit pas le temps de tout consulter. Une photo de la pièce vide avec un petit sourire satisfait et deux mots suffirent à leur répondre via sa conversation avec Clorisse : “j’arrive !” 

Fahliilyol s’empressa de se changer. Sa tenue de sport rejoignit en quelques instants son sac, et, pendant qu’elle enfilait ses baskets montantes, son téléphone se remit à vibrer. Cette fois, c’était Arenden qui tentait de la joindre. Elle ignora l’appel, glissa l’appareil dans sa poche, passa son sac sur son épaule et reprit d’un pas tranquille la direction des toilettes. Elle retourna dans la petite cabine, remonta sur la cuvette, jeta un coup d’oeil à l’extérieur pour s’assurer que personne ne traînait dans les environs. Elle jeta ensuite son sac dehors, puis recommença son petit numéro de gymnastique pour sortir à son tour. 

L’atterrissage, cette fois, fut plus brutal. Elle ne pouvait en effet se raccrocher à rien côté cour, et tomba un peu lourdement sur l’herbe. Une grimace déforma un instant son visage à l’impact. Elle se redressa tranquillement, épousseta sa veste et ramassa son sac, dont elle sortit une paire d’écouteurs. Elle les glissa dans ses oreilles, puis les brancha sur son téléphone, juste à temps pour prendre un nouvel appel de son ami. 

— Alors, t’as échappé à Satan ? 

— Oui, confirma-t-elle après un bref coup d’oeil en direction du terrain de sport, masqué par le gymnase. Mais j’ai encore un cerbère à passer et je sais pas comment faire.

Tromper la vigilance du professeur n’était que la partie facile de l’escapade. Déjouer celle des agents de sécurité de son père chargés de sa surveillance serait une autre paire de manches.   

— Laisse tomber l’entrée, alors, lâcha Arenden. Il te reconnaîtra facilement à tes vêtements.  Surtout qu’y pas trente-six filles avec un polo Armani dans ce lycée. 

— Je préfèrerais un t-shirt de Nightwish, grogna-t-elle. 

— T’attends quoi pour demander à ton copain de t’en offrir un ? 

Elle baissa d’un ton le temps le longer la haie qui la séparait du cours de sport.

— Que mon père arrête de me casser les pieds à  me dicter ce que je dois porter ? Et puis d’ailleurs, il est même pas au courant pour mon copain...

— Et t’attends quoi pour l’envoyer chier ? 

— C’est précisément ce que je fais en séchant le sport. Je sors comment, du coup ? 

— Bâtiment C, au bout du couloir du troisième étage, la porte marquée “ Interdit aux élèves “ : Elle donne sur un escalier en colimaçon.

— Ouais… comment tu sais que c’est un colimaçon ? Nan, oublie la question, en fait. Ensuite ? 

— Tu descends. T’arriveras derrière la cantine, au niveau de la salle de repos des cuistots. Tu longes le couloir jusqu’au bout, en t’arrangeant pour pas te faire choper. Si Chantelombre te trouve là, t’es bonne pour un aller simple en colle samedi matin. 

— Une excuse à lui fournir ? 

— Heu… 


Un bruit dans le micro lui indiqua que le téléphone venait de changer de mains. 

— Tu l’envoie se faire voir, répondit une voix rauque. Tu cours plus vite qu’elle, j’en sais rien. Et si elle te fout une colle, tu n’y va pas. 

— Merci Clorisse, soupira la jeune fille. D’autres conseils utiles dans le genre ? 

— Grouille toi, on va pas t’attendre six mois. 


Le téléphone rechangea de mains. Le vrombissement d’une moto lui déchira les tympans, suivi de près par les exclamations des jumelles. Fahliilyol poussa la porte du bâtiment C. 

— Bon, heu… t’es où, là ? lui demanda Arenden. 

— Je monte, répondit-elle alors qu’elle escaladait les marches deux à deux. Mais j’aimerais savoir quoi faire avant de m’engager dans une partie du lycée où je suis pas censée aller. Au bout du couloir, y’a quoi ? 

— Les salles de travail de l’internat du bâtiment H, mais t’as pas besoin d’y aller. Y’a une porte qui donne direct sur la rue, c’est là que tu sors. Elle est fermée par un lecteur de cartes et, bien sûr, s’ouvre qu’avec celles du personnel. Mais ça va, c’est pas compliqué à forcer. T’auras juste besoin d’un tournevis, que tu trouveras dans la boîte à outils du concierge, et un aimant. T’en as bien un dans ta poche, hein ? 

— J’ai une tête à me balader avec un arsenal de bricolage sur moi ? 

— Mais c’est la base, un aimant ! s’exclama le jeune homme d’un air scandalisé. Au pire, y’en a dans les salles de physique. Tu t’introduis dans la réserve et t’en piques un, de préférence les gros machins en néodyme. Il y a des électroaimants de 160 V dans le tiroir de gauche fermé à clé après les ordis, mais un aimant standard de puissance standard suffira. 

— Et j’entre comment ? 

— Ben, par la porte, pourquoi ? 


Fahliilyol lâcha un soupir. 

— J’entre comment sans me faire repérer, grogna-t-elle. Parce que je suppose que me pointer en disant “salut ! il me faudrait un aimant et un tournevis pour péter la porte du bâtiment H et sortir du bahut sans me faire griller !”, ça va pas passer…

— T’as quinze minutes avant que les préparateurs ne reviennent de leur pause café. T’as intérêt à te grouiller si tu veux pas te faire choper. 

— Bon, okay… et après ? Je la pète comment, la porte ?

— Tu te contentes de dévisser le boîtier au niveau de la charnière, en bas, et tu passes l’aimant au-dessus. Ça va court-circuiter complètement le truc et le système de blocage de la porte va se désactiver tout seul. Après, si tu trouves vraiment que c’est trop de boulot, tu peux toujours activer l’alarme incendie, mais là tu risques de te faire tuer par Chantelombre.


— Dans tous les cas, je me fais tuer si je me fais choper. C’est foireux, ton plan. 


— Mais non ! Fais ce que je te dis pour la porte et tu seras libre comme… comme un pet de monsieur Hurlorage qui aurait trouvé son chemin hors de son jogging. 

Un rire échappa à Fahliilyol. 


— T’es con, souffla-t-elle. 


— Du coup t’acceptes ta mission ? 


— J’ai pas le choix, de toute façon ?


— Si tu veux tester une moto avant ta mort, non ! Allez, je peux même venir t’attendre devant la porte pour t’emmener au viaduc plus vite. 


— T’as pas le permis, puis j’ai pas envie que tu te foutes de moi quand je serai en train de galérer à ouvrir la porte. 


— Depuis quand faut un permis pour conduire ? 


— Contente-toi de me faire les trois prochains devoirs d’info et je vous rejoins. 


Fahlilyol ralentit lorsqu’elle atteignit la dernière volée de marches à la séparer du troisième étage. Elle pencha la tête hors de la cage d’escalier pour s’assurer que nul intrus ne s’y trouvait. Personne. Le couloir était vide. Elle s’y engagea.  


— Ca me va aussi ! Et grouille-toi, il te reste dix minutes avant que les préparateurs ne rentrent ! 

La jeune fille raccrocha, un petit sourire aux lèvres. Elle devait bien avouer que se dresser contre l’autorité du lycée, et celle de son père par ricochet, lui procurait une certaine satisfaction. Elle savait aussi que, si Mehrunes Dagon venait à apprendre qu’elle avait séché, il lui collerait la pire punition de sa vie. Elle préféra ne pas penser à cette éventualité, et se concentra sur sa route. La salle où était entreposé tout le matériel nécessaire aux travaux pratiques de physique se trouvait droit devant elle, à une dizaine de mètres tout au plus. La porte, fermée, portait un simple panneau indiquant aux élèves qu’ils devaient frapper et attendre qu’on leur ouvre. Fahliilyol s’exécuta, inquiète. 

Elle patienta une petite minute avant de juger que la pièce était vide. Elle actionna la poignée d’un geste hésitant, nerveuse, et glissa la tête dans l’ouverture. Personne. Elle jeta un oeil dans le couloir pour s’assurer que personne ne l’avait suivie, puis se décida à entrer. Elle referma la porte derrière elle avec soin avant de chercher les aimants. Elle repéra le tiroir auprès des ordinateurs, fermé à clé, comme prévu, balaya la salle du regard à la recherche d’autre chose. Elle ouvrit plusieurs tiroirs non étiquetés, laissa tomber ceux qui portaient diverses mentions comme pendules, lentilles ou encore générateurs. Plus le temps passait, plus elle se sentait nerveuse, persuadée que quelqu’un la trouverait et qu’elle se ferait envoyer chez la proviseure aussitôt. 

Son regard finit par tomber sur une étagère, où plusieurs aimants étaient empilés dans une boîte. Elle en attrapa un, s’assura sur le bout de papier collé au scotch en-dessous qu’il s’agissait bien de ce qu’elle cherchait, puis le glissa dans son sac avant de sortir. Elle remarqua une boîte de tournevis sur un plan de travail, décida de s’en emparer aussi. Elle s’assura ensuite que personne ne venait dans le couloir, et sortit comme si de rien n’était. Au moins, elle avait récupéré le matériel. 

Son cœur ne ralentit pas pour autant sa cadence. Elle reprit sa route vers les dernières portes, atteignit celle qu’elle cherchait. Le panneau semblait former une barrière effrayante devant ses yeux, presque moqueur, comme s’il lui rappelait qu’elle s’apprêtait à faire quelque chose d’interdit. Elle jeta un oeil à son téléphone, remarqua un message de Klothild. Malgré sa nervosité, elle prit le temps de regarder les quelques lignes que son amie venait de lui envoyer : “Je crois que je vais avoir une attelle… ”

Quelques secondes plus tard, une nouvelle notification l’informa de la réception d’une photo. Elle regarda à nouveau sa liste de messages avec Klothild pour découvrir un selfie de son amie prise dans l’ambulance, attachée sur le brancard. Son visage affichait une moue mi-résignée, mi-amusée. 

Un instant, elle hésita. Elle aurait dû être en train de courir, sous les coups de sifflet de monsieur Hurlorage. Elle aurait dû rester, en parfaite petite fille sage, avec ses camarades dans la cour pour suivre son cours. Elle pensa qu’elle pouvait encore faire demi-tour, retourner bien sagement voir son professeur et lui indiquer que Klothild était partie en ambulance. Et redevenir son mouton noir. A la réflexion, elle préférait encore rencontrer la proviseure dans les couloirs. Et puis, elle avait déjà volé des objets dans la réserve. Elle ne pouvait pas retourner les rendre l’air de rien, désormais. Surtout, Arenden la harcelait de SMS pour savoir où elle se trouvait et si elle s’en sortait. Elle reçut aussi un message moqueur de Clorisse : “ Toujours pas grillée ?” 

Piquée au vif, Fahliilyol leva son téléphone, prit la pose. D’un geste du doigt, elle envoya en retour à Klothild et Clorisse une photo d’elle en train d’ouvrir la porte, le signe “ Interdit aux élèves “ bien en évidence. Satisfaite, elle pénétra dans la zone sans le moindre remords. 

C’est sur la pointe des pieds qu’elle s’aventura dans l’escalier qui menait au bâtiment H, les oreilles à l’affût du moindre bruit qui lui indiquerait l’approche d’intrus. Les marches de béton nu, sale et poussiéreux, ne devaient être que rarement utilisées. Nul autre son que l’écho de ses propres pas ne venait en troubler le silence. 

Au terme de sa descente, elle arriva dans un couloir. Un coup d'œil rapide dans l’entrebâillement d’une porte lui indiqua qu’elle avait bien atteint la salle de repos derrière la cantine. Elle s’engagea donc à pas de loup sur le sol carrelé, effrayée à l’idée d’entendre à un moment le claquement sec des talons de la proviseure. Elle repéra un placard dans lequel se planquer en cas de problème, continua sa route, aux aguets. 

Enfin, elle trouva la porte métallique comme Arenden l’avait prédit. Le boîtier du mécanisme de fermeture électronique se trouvait juste sur le mur, au niveau de la charnière du bas. La partie la plus difficile de son évasion l’attendait à présent. Elle n’avait plus qu’à se mettre au travail et s’en remettre aux talents de bricoleur de son ami. Pire que de se faire attraper par un adulte, ce serait une véritable humiliation que d’échouer à suivre ses instructions pour le forcer. 

Elle sortit l’un des tournevis de la trousse qu’elle avait piquée, vérifia la taille sur les vis et commença à retirer celles-ci. Elle détacha la plaque, puis regarda les circuits ainsi révélés d’un air perplexe. Elle sortit l’aimant, le passa au-dessus, assez près des câbles. Un bip retentit, suivi par le claquement caractéristique de la démagnétisation de la porte. 

D’un geste tremblant d’excitation devant sa réussite, Fahliilyol poussa la porte d’un geste vigoureux. Elle s’ouvrit dans un grondement de métal et un rai de lumière vint la frapper au visage. Le soleil vespéral dépassait de par-dessus le toit de la barre d’immeubles située en face et baignait l’esplanade, sur laquelle elle venait de déboucher, d’une vive lumière qui commençait à se teinter de rouge. 

Jamais le son des voitures mêlé au roucoulement des pigeons n’avait été une musique si douce aux oreilles de la jeune fille. Elle s’avança, ivre de liberté, et laissa la porte se refermer derrière elle dans un claquement sans plus s’en soucier. Ses doigts fébriles fouillaient sa poche à la recherche de son téléphone pour informer ses amis de son succès quand le grondement d’une moto retentit sur son côté. Une Suzuki Katana grise à quatre cylindres alla se garer devant elle.  

L’archer remonta la visière de son casque et, tout sourire, lui en tendit un supplémentaire : 


— Madame cherche un taxi ? 

   

Fahliilyol attrapa l’objet, radieuse. Elle l’enfila, monta à l’arrière, s'agrippa à la taille de son ami. Un instant plus tard, l’engin vrombissait  à travers les rues de New-Tamriel. Un rire échappa à la blondinette : Princesse gardée par un dragon, elle devenait  fille de l’air. La moto slalomait au milieu du trafic et l’emportait au loin. Loin de son lycée, de ses professeurs. Loin de son garde du corps. Loin de l’influence de Mehrunes Dagon.  



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