Oblivion Corporation

Chapitre 5 : The Scarlet Pimpernel

2204 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 29/03/2021 17:07

Il était 18 heures. La bibliothèque fermerait bientôt. Amëlivyä laissait encore un petit répit aux derniers lecteurs, le temps d'achever le rangement d'un rayon, puis les inviterait à partir. Accoudée au comptoir, Daelyna feuilletait une revue tirée des étagères de périodiques installées dans le hall. Sur la couverture, un homme coiffé d'une extravagante coupe banane blonde peroxydée se fendait d'un sourire éclatant à rendre jaloux le flash du photographe.


— Quel crétin... critiqua Daelyna en tournant sa page. Un flic buté hier soir dans le Hammerfell's Side et ce mec se présente comme la solution à la criminalité. Il va leur faire quoi, aux délinquants ? Cramer leurs yeux avec son sourire ? 


— De qui tu parles ? demanda Amëlivyä qui revenait en poussant son petit chariot vide. On ferme dans dix minutes, s'il vous plaît... ajouta-t-elle à l'attention d'un lecteur. Deaelyna lui montra la couverture du magazine.


— Lui. Captain Fabulous, comme il s'appelle. Ou Captain Colgate, comme JE l'appelle... Ce mec se fait de la thune en prétendant combattre la criminalité, c'est malsain. Pourquoi j'ai l'impression de le voir plus souvent dans les pages des magazines people qu'aux côtés des flics contre les gangsters ?

Amëlivyä rougit :


— Il est mignon, avoue. Les rédactrices ont dû craquer autant que les lectrices. Et il n'est pas tout à fait que tape-à-l'œil : Le sérum de super-soldat que lui a injecté le gouvernement lui garantit une force et une endurance hors-normes. Et puis tu devrais regarder les infos plus souvent : Il ne se passe pas une semaine sans qu'il ne procède à une arrestation. 


— Justement, il aime trop les caméras pour être honnête. Ça pue la mise en scène, tout ça. Rien que de l'esbroufe. Limite de la propagande : Ne craignez rien, citoyens, un justicier veille sur votre sommeil. Ayez confiance en votre gouvernement. Vous êtes en sécurité, votez pour nous. Bla, bla, bla... Et lui en profite pour vendre des parfums à son effigie. J'invente rien, j'ai la pub sous les yeux. 


— Il fait de la prévention, c'est aussi important que d'arrêter des gangsters. Il donne du courage à la population, alors que c'est quasiment la guerre dans nos rues. Je pense que c'est bien pour les enfants de grandir avec une image de preux chevalier sous les yeux. Ça leur donne un idéal. Je suis sûre qu'il est sincère dans ses intentions, mais qu'il doit faire des concessions à cause de son succès. 


— Toi aussi il t'as charmé avec son sourire... J'y crois pas, un vrai lavage de cerveau ! 


— N'importe quoi ! protesta Amëlivyä en rougissant plus que jamais. Oui, il est mignon mais je pense sincèrement qu'il est efficace ! Ses actes ne contreviennent pas à la justice sociale. Ce n'est pas un vengeur aveugle et populiste. Il n'exerce pas de vindicte tel que le terme est défini par Propoktine. Il intercepte les délinquants pris en flagrant délit et les retient jusqu'à l'arrivée de la police. Il n'est ni juge ni bourreau, juste assistant. Ca me semble plutôt honnête. 


Après un moment, de silence, elle ajouta :


— Je pense qu'il faudrait plus de super-héros comme lui. Pour combattre le crime et donner de l'espoir aux habitants. 


Daelyna replaça la revue sur son étagère. Le temps qu'Amëlivyä ferme les fenêtres, verrouille la réserve et éteigne les lumières, les derniers clients avaient quitté la bibliothèque. Une journée de plus s'achevait.


Les deux amies se connaissaient depuis le lycée : Daelyna arrivait alors tout droit du fin fond de son Alabama natal. Elle avait, du sud, gardé l'accent et son langage fruste. La timide Amëlivyä avait alors été la première personne à lui tendre la main dans ce New-Tamriel étranger pour elle. Daelyna avait la peau noire et de longs cheveux qu'elle prenait grand soin à lisser. Amëlivyä, au contraire, possédait une peau pâle qui ne bronzait jamais et des cheveux clairs. Daelyna jetait sans cesse un regard désabusé sur le monde qui l'entourait de ses yeux remplis des visions de pauvreté et d'injustices de son arrière-pays natal. Rêveuse, Amelyvia ne s'intéressait qu'aux considérations philosophiques des problématiques qui révoltaient son amie.


La jeune fille vivait le nez dans les livres depuis qu'elle avait l'âge de déchiffrer les mots. Les ouvrages de Jules Verne, Chrétien de Troyes, Shakespeare avaient bercé son enfance. Ceux de Kant, Nietzsche, Descartes, son adolescence. Sa rencontre avec Daelyna au lycée avait au moins eu l'effet bénéfique de lui faire relever le nez de temps en temps pour découvrir le monde réel. Ce qui ne l'avait pas empêchée de devenir bibliothécaire. Le métier de ses rêves depuis toujours.


Quant à Daelyna, un petit job dans une salle de sport l'aidait à mettre assez d'argent de côté pour payer ses études. Elle ne vivait pas une grande vie, mais au moins arrivait-elle à payer chaque mois son loyer, ses factures, sa nourriture et l'entretien d'une voiture. Chaque soir après le travail, elle passait chercher Amëlivyä au sien pour boire un thé avant de la ramener chez elle.


L'antique Ford Fiesta de Daelyna trouva une place de parking non loin du dinner habituel des deux amies. La pauvre voiture avait connu des jours meilleurs, avec son pare-chocs arrière cabossé et un rétroviseur rafistolé avec du scotch. Elle était par contre toujours propre, sa propriétaire y veillait scrupuleusement. Et devenait particulièrement cruelle quand les amis de son copain y répandaient des miettes de tabac et y oubliaient leurs cadavres de bouteilles. Au moins parvenait-elle à démarrer, c'était l'essentiel. Même si Daelyna était la seule à savoir comment y arriver sans caler.


Installées à une table du dinner, elles parlèrent de travail et d’amis. Ça n'allait pas fort en ce moment avec son copain, expliqua Daelyna en soufflant sur sa tasse. Arenden était tête en l'air, toujours distrait.


— Il ne prend rien au sérieux, même pas les cours. Il en est capable, il pourrait devenir prix Nobel de je-sais-pas-quoi s’il le voulait. C'est le mec le plus intelligent que je connaisse. Il connaît toutes les notions de sciences qu'il étudie en cours, mais s'en fout de les ressortir pendant le contrôle, s'en fout de faire ce que dit le prof. Il ne travaille pas. Il sèche. En fait, il s'ennuie en cours. Et il refuse de s'adapter au cadre scolaire. Je veux JUSTE qu'il soit un peu plus mature... Il se vexe quand je lui fais des remarques...


Elle fit une petite moue mi-triste, mi-exaspérée.


— En plus, ses profs ne l'acceptent même plus en TP... Même avec de l'eau et un peu de jus de citron, il arrive à bricoler des trucs dangereux. 


Elle soupira.


— Pourtant, c'est un vrai génie... Pourquoi est-ce qu'il ne peut pas s'empêcher de faire des conneries?


Amëlivyä avala une gorgée de thé avant de répondre:


— Probablement parce qu'il veut se la péter. Il cherche à attirer l'attention sur lui... Et c'est réussi : il a attiré la tienne. Et maintenant vous sortez ensemble.


Daelyna semblait peu convaincue.


— Tu penses que c'est juste ça? 


Son amie haussa les épaules.


— C'est une façon d'attirer l'attention, j'en suis sûre. Tu connais son histoire familiale, la relation qu'il a avec ses parents, sa famille? Beaucoup de gens en manque d'affection dans leur enfance cherchent à faire parler d'eux pour compenser.. Ça leur donne l'impression d'exister.


— Tu parles comme une psy, se moqua gentiment Daelyna.


— Hé, j'essaye de t'aider ! répliqua Amëlivyä, vexée par sa remarque. Bon, j'ai aussi lu l'intégralité des œuvres de John Watson.

Daelyna sourit.


— Je sais... Mais là, tu pars un peu trop loin. C'est juste un gamin immature... Comme le reste du groupe, d'ailleurs...


La conversation fut interrompue par la sonnerie du téléphone de Daelyna. Cette dernière regarda ses messages, puis un léger sourire se dessina sur ses lèvres alors qu'elle levait les yeux au ciel en soupirant.


— Arenden? demanda Amëlivyä.


— Non, Johanna. Ils vont faire une virée du côté des docks d'Argonia Harbor, près du vieil entrepôt. Je soupçonne Arenden de s'être une fois de plus fait virer du cours...


— Tu vas y aller? demanda son amie.


— Évidemment ! Tant qu'ils ne se servent pas du viaduc comme plongeoir...


Amëlivyä lui lança un petit regard étonné.


— Ils l'ont déjà fait? s'étonna-t-elle.


— Clorisse, Johanna, Gra'Shra et Gor'shro, oui. Arenden était en colle ce jour-là. Et je comptais les points du concours de salto. Enfin, j'ai compté plus de plats que de saltos. "


— Et L’archer?


Elle se rendit compte de son erreur quand Daelyna détourna légèrement le regard à la mention de son ex.


— Je crois qu'il a sauté aussi, admit-elle en se reprenant. Il voulait m'impressionner, je pense...


Amëlivyä arbora un air triomphal : 


— Tu vois! s'écria-t-elle.


— Quoi ? lui demanda son amie sans comprendre.


— Lui aussi cherchait à t'impressionner! La seule différence avec Arenden, c'est la manière dont ils s'y prennent !


— C'est pas pareil ! s'exclama Daelyna. L’archer se met toujours dans la merde, et pas juste pour m'impressionner... Je t'ai dit qu'il a crashé sa voiture en rentrant de soirée ? Et qu'il a aussitôt pris un train pour le Vermont pour aller en chercher une autre chez un pote ? Et il a crashé la nouvelle sur le chemin du retour. Il n'avait pas dormi depuis trois jours. Arenden, lui, c'est juste qu'il a pas l'air de capter que les cours sont importants..."


Son amie la regarda avec un air peu convaincu, puis demanda:


— Et vous allez faire quoi, là-bas?


— Ca, j'en sais rien. Nous éclater, probablement ! répondit Daelyna d'un ton enjoué.


— Et c'est toi qui dis que ton copain est immature...


— J'ai bossé toute la journée, j'ai le droit de me reposer, se défendit Daelyna. Je sais où fixer mes limites. 


— Je ne comprends toujours pas comment tu fais pour traîner avec eux, soupira Amëlivyä en terminant sa boisson.


— Tu dis ça parce que tu ne les connais pas... Ils sont sympas, tu sais ! " argumenta Daelyna, même si elle savait que le tempérament de la bibliothécaire s'accorderait sans doute très mal avec celui de son autre groupe d'amis. Amëlivyä n'était guère du genre turbulente, elle ne s'y sentirait pas à l'aise.


— Je n'ai pas dit le contraire. Je te rappelle juste qu'ils ont tous une fâcheuse tendance à s'attirer des ennuis et à ne pas vraiment respecter les lois...


— Parfois, c'est bien ça le charme !


Elles débattirent encore un moment du plaisir offert par de menues activités illégales, puis se levèrent pour payer avant de sortir. Daelyna déposa Amëlivyä chez elle et redémarra aussitôt en direction des docks, pressée de rejoindre le reste du groupe.


Amëlivyä referma derrière elle la porte de son petit studio. Il n'était pas bien grand, et encombré de livres. Les meubles se coloraient d'un patchwork de cercles bruns laissés par toutes les tasses de thé qui y avaient été posées. Le jeune fille épuisée posa son sac au pied du canapé et s'y affala. Son fessier alla écraser une édition de poche de Rebecca, de Daphné Du Maurier. Et sur la table basse où elle étala ses pieds était posé un exemplaire usé de The Scarlet Pimpernel, le roman de la baronne Orczy. Un macaroni cru dépassait des pages et témoignait de sa dernière occupation avant de refermer l’ouvrage. 


Après un moment passé à observer la couverture depuis son siège, Amëlivyä trouva la force de se lever pour en feuilleter quelques pages. Puis elle ramassa l'un des crayons de couleur qui jonchaient la table basse et de quelques traits, apporta quelques retouches à une feuille déjà couverte de dessins. D'abord discrets, les gestes de la jeune fille gagnèrent peu à peu en assurance, jusqu'à ce qu'elle colorie son œuvre de larges aplats de couleurs vives.


Le résultat ne lui plut pas. Elle roula le papier en boule, le fourra avec d'autres dans une poubelle et tira une feuille vierge d'une ramette. Quelques essais plus tard, Amëlivyä put enfin admirer son résultat d'un œil approbateur. Le dessin représentait une jeune fille qui lui ressemblait trait pour trait, revêtue d'une cape, d'un justaucorps, de grandes bottes. Un loup cachait ses yeux, l'une de ses mains se refermait sur la poignée d'un fleuret d'escrime, l'autre sur un lasso attaché à sa ceinture.


Satisfaite du résultat, Amëlivyä écrivit soigneusement sous son œuvre le nom qu'elle avait trouvé pour son alter-égo de super héroïne : " Scarlet Pimpernel. " 

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