Oblivion Corporation

Chapitre 4 : War Never Changes

1666 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/03/2021 13:41

" Il y a des nouvelles têtes à ce que je vois. C'est bien... Vous voulez vous présenter, dire un mot ? Toi, par exemple, si tu veux bien. Mais je ne te force pas..."


" Pas de problème, ça ira... Bonjour..."


Les vétérans saluèrent en cœur.


" Je m'appelle Shaiélaè, mais on me surnomme Shiala. Vous pouvez m'appeler comme ça. J'ai servi pendant cinq ans... La section de reconnaissance du 75ème régiment de Rangers. J'ai été en Bosnie, Irak, Somalie. Je n'ai pas voulu être soldat. J'ai eu des problèmes de famille, je me suis retrouvée à la rue. J'ai rencontré des amis qui se sont engagé, alors j'ai fait pareil... "


La jeune femme aux yeux vagues marqua une pause. Les autres vétérans l'observaient, ramassée sur sa chaise. La plupart avaient le même regard qu'elle. Elle reprit d'une voix laconique :


" Mon contrat a expiré il y a un an. Il y a un an et demi, j'étais encore en Somalie. Le pays m'a jamais vraiment manqué quand j'étais là bas. J'ai plus vraiment de famille, personne pour qui vouloir rentrer. Par contre, je voulais être partout ailleurs que dans cette merde. Je voulais en partir à tout prix. Pourtant maintenant, je suis rentrée. Et je voudrais y retourner... Je suis pas violente et j'ai un peu peur de mourir. J'ai vu ce que ça faisait, surtout quand... enfin, bref... c'est juste que j'ai l'impression de pas être à ma place ici. J'ai l'impression que je serai mieux là bas. "


" Ta section c'était un peu ta famille, je pense. Dans une équipe, on se sent utile, valorisé, " expliqua l'animateur sur un ton bienveillant. " En opération, on ne peut compter que les uns sur les autres pour que chacun reste en vie. Ça arrive très souvent qu'en rentrant, les soldats se sentent comme un maillon détaché de leur chaine. Il faut que tu trouves quelque chose qui te valorise ici, au pays si tu veux te débarrasser de cette nostalgie du combat. Quelqu'un d'autre ressent la même chose, voudrait ajouter un mot ? "


" Moi, " intervint un grand barbu , une paire de béquille posée sur ses genoux. " Je voulais juste dire que je ressens la même chose. Voilà. "


" Merci. Tu vois ? " conclut l'animateur avant de reprendre sur le ton de la discussion. " Alors tu as été en Somalie, Shiala ? Comment ça s'est passé ? Tu veux partager un souvenir, quelque chose qui t'as marqué ? "


L'espace d'un instant, Shaiélaè se retrouva assise à la portière d'un Blackhawk. Ses jambes pendaient dans le vide et son fusil M14 à lunette de marksman posé sur les genoux, la ranger surveillait les rues en contrebas. L'hélicoptère de combat survolait Mogadiscio baigné sous un soleil de plomb. Le vent produit par la vitesse de l'appareil agitait les franges du keffieh qui voilait sa tête, dont les pans flottaient dans son sillage. Elle sentait le poids de son gilet, le contact de ses compagnons, assis à ses côtés et debout derrière d'elle. Elle entendait le grondement régulier des rotors et quand les turbulences les faisaient s'entrechoquer, le cliquetis de la bande de cartouches de la mitrailleuse de porte qui dépassait de par dessus son épaule. Le Blackhawk filait au dessus du quartier, passa haut au dessus d'une place et de son marché. Un flash blanc aveugla Shaiélaè, si proche qu'une vague de chaleur la happa, déséquilibra un instant l'appareil. Une odeur puissante, acide entra dans ses narines. Des langues de feu blanc volèrent haut dans le ciel comme des étincelles crépitantes. Quand elles retombèrent, la fumée et les flammes avaient envahies ce qui fut un instant auparavant une place de marché. Et les cris parvinrent à ses oreilles, en même temps que les appels paniqués dans la radio grésillante. Le pilote vira de bord et l'hélicoptère se mit à tourner, tourner au dessus du lieu de l'explosion.


" Le phosphore ! " répondit brutalement la jeune femme, sans même y penser . "Le phosphore blanc... "


Elle se tut après cette réponse. Et l'animateur s'intéressa à l'histoire d'un autre. Shaiélaè écouta d'une oreille distraite, plongée dans ses pensées.


La séance prit fin une demi-heure plus tard. C'était normalement l'occasion pour les anciens combattants de fraterniser, de discuter entre eux autour de gâteaux et de café. Elle n'avait pas l'intention de s'attarder. La jeune femme enfourna dans la poche de son vieux treillis une poignée de muffins et s'éclipsa discrètement dans la nuit.


Shaiélaè avait considérablement maigrie depuis la fin de son service. La jeune femme flottait dans sa veste militaire. Un keffieh usé et délavé, celui là-même qu'elle portait ce jour-là à bord de l'hélico s'enroulait autour de son cou et recouvrait en partie ses cheveux bruns ternes décoiffés. Le soleil de la corne d'Afrique avait tapissé de tâches de rousseur son visage ordinairement pâle.


Les mains dans les poches et le pas trainant, l'ancienne combattante se dirigea au hasard dans les rues. Elle cherchait simplement à s'éloigner de la salle de réunion des vétérans. La séance l'avait mise mal à l'aise. Des souvenirs lui avaient échappé sans qu'elle ne puisse les contrôler. Elle s'en voulait mais pourtant, sentait un peu mieux en sortait qu'avant d'y entrer. Elle n'excluait pas d'y retourner la semaine prochaine...


Une Ford Escort grise se gara devant elle. Shaiélaè s'arrêta alors que la fenêtre s'ouvrait.


" Déjà fini ? Tu as quitté tôt... " fit remarquer la conductrice d'une voix éraillée. Shiala monta sans un mot. La Ford redémarra et s'incrusta dans la circulation.


Agnès Kaid était tout comme Shaiélaè une ancienne combattante. Mais vraiment plus ancienne. Elle avait servi pendant la Guerre du Viet-Nam, au sein d'une unité spéciale des Navy SEAL. Aujourd'hui elle s'était reconvertie comme détective privée et employait parfois Shaiélaè pour quelques menues besognes.


" Je n'avais pas envie de rester discuter. "


" Tu as les photos que je t'avais demandé ? " interrogea la détective sans quitter la route des yeux.


Shaiélaè fouilla dans sa poche. Elle répandit des miettes de muffin sur son siège quand elle en tira deux boites de rouleaux de pellicule.


" Je n'ai pas eu le temps de les développer, désolée. Je comptais le faire ce soir. Conduis-moi si t'as le temps, sinon je te les enverrai demain. Sauf si tu préfères le faire toi même..."


" Je t'y emmène, mais je ne reste pas. J'ai encore du travail. "


A partir de là, le trajet se déroula sans qu'un mot de plus ne soit prononcé.


Agnès portait les stigmates de la guerre sur son visage. Il était dur, fermé et nerveux. Elle gardait depuis le Viet-Nam le crâne rasé, ce qui donnant l'allure d'une patiente atteinte de cancer et dévoilait les cicatrices marbrant son cuir chevelu.


Le major Kaid aurait été une héroïne de guerre reconnue si ses opérations n'avaient pas été placé sous le sceau du secret le plus absolu. Elle n'avait pas parlé, même à Shaiélaè de ce qu'il s'était passé là bas : Opérations spéciales au Cambodge, sabotages, assassinat et guérilla en territoire nord-vietnamien avaient été son quotidien pendant la guerre. Une taupe finit par trahi son groupe de combat dans l'assaut qui suivi, elle fut la seule de son unité à survivre. Elle avait alors poursuivi les assaillants dans marche du retour pour assassiner l'officier soviétique et ses principaux lieutenants qui les commandaient. Après quoi Agnès avait traversé à pied les 200km de jungle en plein territoire ennemi qui la séparaient des lignes alliées. Une patrouille la captura pourtant au dernier moment et elle fut retenue plusieurs années dans une geôle soviétique, avant de parvenir à s'évader. 


A sa disparition, le gouvernement l'avait déclarée morte. Son aventure ne s'arrêta pourtant pas là : elle avait découvert en prison l'existence du SITHIS, une cellule terroriste secrète en action sur le territoire américain. Le temps de se libérer, les plus hautes sphères du gouvernement et de la société étaient infiltrées. Faute de parvenir à prouver au gouvernement de l'existence de cette menace, elle avait alors agi seule pendant plusieurs années pour éradiquer elle-même le nid de terroristes. 


La licence détective privée n'était qu'un moyen pour parvenir à ses fins, une couverture de plus pour une mission sous couverture supplémentaire. Cette fois-ci, sans autre commanditaire que sa seule détermination.  


La chute de l'URSS n'avait pas marqué la fin du SITHIS. Il était devenu au fil du temps si puissante qu'elle n'avait plus besoin de tirer ses ressources des caisses noires du KGB. Au lieu de se dissoudre, elle avait pris son indépendance et comme une tumeur devenue folle, agissait maintenant en totale liberté, exempte des objectifs et de l'idéologie du régime soviétique. Quel était leur but à présent ? Agnès l'ignorait encore, mais n'empêchait pas SITHIS de croître et d'infecter médias, gouvernements et conseils d'administrations. Elle avait passé ses dernières années à démanteler des dizaines de leurs groupuscules et installations aux quatre coins du globe.


De piste en piste, Agnès avait découvert l'existence d'une société de façade faisant le lien entre des activités mafieuses locales et le financement du groupuscule à l'échelle mondiale. Agnès était aujourd'hui bien décidée à frapper ici, au ventre mou de l'organisation. Elle n'avait qu'à s'en prendre à cette société écran pour tarir l'économie de SITHIS. S'en prendre à Oblivion Corporation.

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