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Chapitre 3 : INTERLUDE : Tamriel 1940

2779 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/03/2021 09:04

Difficile par ce temps de distinguer où commençaient les cieux et s’achevait la mer. Pas un seul nuage ne couvrait de son ombre cet éclatant jour d'été. Les côtes anglaises, que les caprices de la météo drapaient souvent d’un voile brumeux se détachaient aujourd’hui de l’horizon, à la gauche d’Aegon,que par une mince rayure blanche. 12 000 pieds plus bas, l’ombre des cinq Supermarine Spitfire MKIX de l’escadrille d’Aegon courait le long des vaguelettes d’une mer d’huile, comme autant d’albatros noirs à la recherche d'une proie sous les flots.


Une si belle journée inspirait aux pique-nique au bord de la Tamise ou aux promenades le long des allées des parcs. Aegon Dellatre se surprit à imaginer son jeune frère disputer une partie de cricket dans la cours de son pensionnat. Avant de se rappeler que l'école avait fermé et qu'Eamon comme tant autres avait été évacué à la campagne, loin de la menace des raids aériens allemands.


La voix grésillante dans la radio du chef d’escadrille le ramena à la réalité : Cinq Messerschmits allemand approchaient depuis le sud, il était temps d’aller leur chercher l’affrontement. Le major avait bon œil : surgissant depuis le soleil, Aegon n’avait pas remarqué leur présence. L’heure ne se prêtait guère aux repas champêtre : ce temps splendide était aussi le favori de la Luftwaffe pour leurs sorties sur le ciel britannique…


Les quatre pilotes de l’escadrille Paladin se dispersèrent aussitôt en engagèrent le ballet aérien contre leurs homologues germains. Les ordres secs fusaient dans la radio. Quelques plaisanteries nerveuses et encouragements aussi. Aegon vira sur l’aile droite et et décrivit une boucle serrée pour aborder par le flanc la cible de son duel et se positionner pour la poursuite, tout en veillant à garder ses équipiers dans le champs de vision que lui délimitait l’habitacle de son Spitfire. Aegon sentait la chaleur monter dans l’atmosphère confinée du cockpit. La pression comme le soleil le mettaient en nage dans son épaisse combinaison de vole. Comme étrangères à lui même, ses mains restaient ferme et précise sur le manche, vierge de toute goutte de sueur qui, sous ses gants de cuir, les auraient rendu moites.


Une rafale de balles traçantes dessina dans la ciel un long trait pointillé à quelques mètres de son aile.


« J’en ai un sur moi », annonça calmement Aegon dans la radio. Il modifia sa position pour sortir de la ligne de mire avant que l’allemand n’ai le temps d’ajuster son tir.


« Je lui colle au train », assura Dawling, tandis qu’un long crachat de mitrailleuse indiqua à Aegon que son équipier le rejoignait en couverture. Ils bénéficiaient de la vitesse et de la manœuvrabilité supérieur de leurs Spitfires. Aegon parvint à se garder hors de danger par de courtes manœuvres évasives que son poursuivant se trouvait mécaniquement incapable d'imiter. Quand à Dawling, il n’avait qu’à patienter jusqu’au moment où le teuton se retrouverait fatalement aligné dans sa mire. Une rafale déchira les cieux, Aegon aperçu dans son rétroviseur le moteur du Messerschmit capoter et prendre flamme. Dawling tirait encore, les balles fendirent impitoyablement la tôle de l’aile. L’avion décrocha et dans un panache de fumée, vrilla vers mer.


Le souffle du jeune pilote se libéra une fois le risque éliminé. Ses yeux fouillèrent le ciel à la recherche de la cible qu’il s’était attribué au début du combat… juste à temps pour piquer brutalement et se mettre hors de la trajectoire d’un second Messerschmit qui déboula sur son flanc. La pression atmosphérique lui broya les tympans, mais il venait d'y échapper belle. Les balles fusèrent autour de lui, quelques unes vinrent se ficher dans le capot et briser la verrière de son cockpit. Les éclats translucides vinrent encombrer son giron mais, grâce soit louée à Dieux, le port de lunettes préserva ses yeux de bris de verres.


« Soyez plus attentifs, Dellatre... » gronda dans la radio la voix sévère du major Norrington. « Portez vous sur mon aile droite, Dawling sur mon aile gauche avec trente pied d’écart. On les achève, ne les laissez pas rentrer chez eux... »


Outre l’appareil abattu par Dawling, un autre Messerschmit s’abîmait lentement vers la Manche. A priori intact, mais tout laissait à penser que seul un pilote mort se trouvait au commandes. Et un autre, endommagé par Norrington, faisait mine de s’en retourner vers la côte française. Quand aux deux restants, le combat tournant en leur défaveur, ils semblaient chercher une occasion de s’éclipser du guêpier en toute sécurité.


Smith se lança à la poursuite de l’appareil endommagé. Sans doute, songea Aegon, pour formellement s'assurer que sa victoire aérienne ne soit comptabilisée. Il ne s’était pas éloigné de peu lorsqu’Aegon remarqua une série de points noirs approcher depuis les hauteurs, plusieurs centaines de pieds au dessus de leurs têtes. Il n’y avait pas à sa connaissance d’autres escadrilles britanniques dans le secteur et il reconnu bien vite, alors qu’ils grossissaient à vue d’œil, la forme caractéristique des ailes d'avions du Reich.


« Messerschmits en approche depuis les cieux, quart nord-est ! Attention, c’était un piège »


Effectivement. Les deux appareils précédemment mis en fuite virait sur leur aile pour un match retour. Leur soi-disante déroute n'était que feinte et maintenant, des renforts les accompagnaient. Smith dû remarquer le danger également. Il abandonna sa poursuite sans attendre l’ordre de Norrington et alla se regrouper avec ses camarades.


Aegon ne parvint pas par la suite à se rappeler des détails du combat qui avait suivi. Il s’était battu avec l'acharnement d'un condamné, avec du début à la fin la certitude de ne pas en réchapper. Pourtant quand les derniers allemand rompirent le combat et s’en retournèrent à leur aérodrome, il était vivant. Smith, Dawling et Norrington, eux, ne l’étaient pas. Épuisé, terrassé par le stress, la pression, gelé par le vent qui s’engouffrait dans son cockpit à la verrière brisée, Aegon ne songea pas à s'attarder sur les lieux. Il arrivait à bout de son carburant. Les allemands aussi, à n’en pas douter. Dommage pour eux : Les mitrailleuses d’Aegon n’avaient plus une seule munition en réserve.


Quelques cratères de bombes parsemaient encore la piste d’atterrissage du terrain d’aviation de la RAF. Des ouvriers s'activaient à les reboucher, mais la moitié du travail restait à faire. Ils s’écartèrent avec leurs pelles en voyant l'appareil solitaire descendre vers eux. Aegon serra les dents en voyant le sol irrégulier s’approcher. Encore un dernier effort… Il n’avait pas survécu à cette bataille pour mourir dans un atterrissage.


Armé d’un drapeau, un mécanicien agitait les bras pour signaler au pilote de danger de ces mortels nids-de-poules. Aegon visa entre deux cratères, serra les dents s’en péter l’émail. Le train d’atterrissage frôla le sol, rebondit, le toucha pour de bon. Il roula près d’un trou, dépassa un autre à pleine vitesse. L’avion décélérait peu à peu. Mais ne pu manquer un gros cratère au beau milieu du tarmac. L’un des ses trains le percuta. Le Spitfire perdit l’équilibre, glissa de côté pour continuer sa course dans l’herbe qui bordait la piste. L’appareil tanguait dangereusement. Une seule roue touchait le sol, l'autre tournait dans le vide à un bon mètre de hauteur. Pendant quelques dizaines de mètres, il manqua de se renverser complètement. L’une des ailes racla le sol, creusa un long sillon dans les herbes folles. Mais le Spitfire ralentissait. Lentement, le deuxième train d’atterrissage retomba sur le sol. Et l’avion d’Aegon s’immobilisa en bordure de la piste d’atterrissage.


Il lui fallut les efforts combinés de plusieurs mécaniciens pour l'aider sortir de l’habitacle, tant il flageolait. Ses muscles tétanisés refusaient de bouger d’eux même. Les efforts d’Aegon pour les y forcer se révélèrent vain . Ses pieds maladroits touchèrent enfin le sol béni de l’Angleterre. C’était fini. Il était rentré. On aida Aegon hagard à se diriger vers le mess où se reposaient les pilotes en dehors des missions.


« Voyez ce pilote : Sur quatre membres de son groupe de combat, trois sont morts. Nos pertes sont colossales et ceux qui restent sont à bout, regardez-le : il n’est clairement plus en état de voler. » se lamenta le colonel Harvey, qui observait à distance le retour d’Aegon au bercail.


« Nous manquons cruellement de personnel pour les remplacer. Il lui faudra reprendre les cieux. Faire de nouvelles sorties » expliqua l'Air Marshall lord Vandoren. D’un mouvement de canne, il faucha quelques mauvaises herbes qui dépassaient de l’aérodrome qu’il était venu inspecter. « Encore aujourd’hui, peut être. Demain, certainement. »


Le colonel Harvey contempla d’un air désolé le terrain d’aviation qu’il commandait. Il était dans un triste état. La Luftwaffe ne l’avait bombardé pas plus tard qu'à l'aube ce matin. Il ressemblait à un fromage suisse, percé de cratères de bombes. Un entrepôt brûlait encore et les carcasses d’avions détruits au sol jonchaient les environs en attendant d'êtres évacués. Quand aux victimes, elles s'alignaient dans l'herbe, recouvertes de bâches. 


« Ils iront jusqu’où il est humainement possible d’aller. Passé cette limite, je ne puis rien garantir de leur part. »


« Je n’en doute pas. » affirma lord Alastar Vandoren d’un ton sec. C’était un grand et sec qui se tenait droit et fier dans un uniforme ajusté à son corps au milimètre. Il le portait un chic qui mettait en valeur les rangs et les distinctions qu’il portait. Des pommettes hautes encadraient des yeux gris au regard perçant et hautain, surmontés de de cheveux grisonnants soigneusement taillés. Lord Vandoren avait conscience d’occuper une charge élevée et tout de son apparence montrait sa fierté de s’en montrer digne. L’histoire des Vandoren remontait aussi loin que celle de la noblesse anglaise, lorsqu’un de ses ancêtre avait suivi Guillaume le Conquérant à la conquête de l’île. Ils avaient depuis été nombreux à remplir de hautes fonctions militaires et politiques. Et si la modernité de l’aviation avait fait de l’actuel lord Vandoren le premier à porter le titre d'Air Marshall, il n’en faisait pas moins que suivre avec rigueur la longue tradition familiale consistant à n’occuper rien de moins que le haut du panier.


Avec l’humour grinçant qui le caractérisait, le colonel Harvey ajouta :


« Au moins, l’espérance de vie de nos pilotes est inférieur au temps qu’ils mettent avant de développer une crise de nerf. Ils n’ont pas le temps de craquer. » Il désigna Aegon d’un geste du menton. « Celui-là sera mort d’ici trois jours. Donnez-moi plus de pilotes. »


« Vous avez les étrangers. »


« Ils ne parlent pas un mot d’anglais. Comment voulez-vous coordonner une escadrille correctement si personne ne comprend les ordres ? »


« Puis-je les voir ? »


« Suivez-moi, mylord. »


Le colonel Harvey avait anticipé la demande de l'air marshall et rassemblé les volontaires dans une baraque en prévision de leur revue. Il le guida vers cette salle de briefing improvisée. L’explosion d’une bombe de 250kg avait soufflé ce matin le toit de la précédente.


« Attendez-moi ! » hurla une voix derrière eux. Le colonel Harvey et lord Vandoren se retournèrent. Et les pupilles de se dernier se changèrent en braise ardente.Il reconnaissait la petite femme qui courait vers eux en zigzaguant pour contourner les cratères.


« Reprenons-la visite. » dit-il à son guide avec une voix devenue aussi tranchante qu’un éclat de bombe. « Il est inutile d’attendre… elle. »


« Mais je… » protesta Harvey, ahuri, avant que lord Vandoren ne lui empoigne fermement le bras pour lui faire reprendre son chemin vers la baraque des volontaires étrangers.


La jeune femme les rattrapa cependant. Elle portait un uniforme mal repassé d’officier de la RAF assorti d’une jupe lisse. Il manquait un bouton à sa vareuse et le col mal positionné irritait son cou rougit par le frottement. Son visage avait des airs de souris, avec un petit nez pointu et des lèvres boudeuses. Et ses cheveux coiffé en carré coupé de travers n’avaient du être peigné autrement qu’en y passant ses doigts avant de venir.


« Colonel Harvey, » le salua-t-elle en lui tendant la main. « Je suis l’Air Marshall Ondine Auris, du bureau du premier ministre. Vandoren… » ajouta-t-elle froidement en fixant son homologue avec des yeux rétrécit à la taille de têtes d’épingles.


« Auris… » grinça lord Vandoren entre ses dents avec la même expression sur son visage.


« Je n’étais pas informé de votre venue… » expliqua Harvey après avoir regardé l’un et l’autre successivement sans trop comprendre de quoi il retournait. »


« Je devait accompagner cette… chose de Vandoren pour l’inspection de votre base, mais ce… cette sombre banane n’a pas jugé bon de m’attendre avec sa voiture. J’ai dû emprunter un taxi pour venir. »


Lord Vandoren balaya la remarque d’un mouvement de la main.


« Je n’ai pas jugé bon de requérir votre assistance, Auris. Elle n’est point nécessaire. Même si le premier ministre Churchill à juger bon vous envoyer me… seconder. » Il insista sur ce mot en le prononçant lentement, comme pour savourer toute la signification d’ordre hiérarchique que son sens évoquait. « Et j’espère que vous avait fait attendre votre taxi, ma voiture n’a hélas pas de place non plus pour vous pour le chemin du retour. »


« Il a dit accompagner, imbécile ! C’est pas pareil, tu peux pas me donner d’ordres ! Et oui, mon taxi attend ! Jamais je monterais dans ta voiture, j'en supporterais pas l’odeur ! »


« Vous n’as rien à faire ici ! Laissez la conduite de la guerre à ceux qui s’y connaissent et retournez faire mumuse avec vos radars ! »


« Je ferais mumuse avec mes radars quand tes avions arriverons à les empêcher de se faire bombarder ! »


« Si vos radars arrivaient à repérer à temps les bombardiers, peut être que mes avions arriveraient à faire leur boulot correctement ! »


Le colonel Harvey s’interposa entre Auris et lord Vandoren pour les empêcher d’en venir aux mains. Il avait le visage rouge de fureur et de honte et craignait que le personnel de la base n’ai assisté à la scène. Il ne comprenait pas vraiment la réaction des deux officiers, mais puissent s’oublier ainsi et humilier la RAF lui était scandaleux.. Lord Vandoren avait pourtant fait bonne impression, avant l’arrivée de l'Air Marshall Auris. L'immaturité dont il faisait preuve à présent contrastait avec l'image sévère qu'il lui avait renvoyait . Voilà qui était incompréhensible... Harvey se promit d’informer Churchill dès la fin de cette inspection de la discorde déshonorante dont il avait été témoin. Et sans prendre de pincette sur ce qu’il en en pensait.


Auris et lord Vandoren s’échangèrent encore une poignée d’insulte. Harvey parvint à les calmer un moment et à les convaincre de reprendre le cours de l’inspection. Cela dura jusqu’à ce qu’ils se fassent trébucher mutuellement par croche-pattes tout au long chemin menant à la salle de briefing.


Le colonel Harvey soupira. Il se souvint de sa dernière rencontre avec Churchill, il y a quatre ans, alors que le premier ministre n’était encore que lord de l’amirauté. Harvey lui avait fait miroité la dégustation d’un scotch fabuleux pour ne découvrir qu’ensuite qu’il avait oublié avoir finit la bouteille quelques jours auparavant. C’est avec une déception à peine dissimulé que Churchill s'était contenté d’un breuvage de qualité inférieure. Et Harvey se demanda si ce n’était pas en souvenir de ce triste incident que le premier ministre ne lui avait envoyé à dessein ces deux zigotos…

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