Hiraeth

Chapitre 10 : Chapitre X — De mauvaises fréquentations

7186 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/10/2022 05:47

Chapitre X

De mauvaises fréquentations

 


Aemillia s’éveilla avec un goût désagréable en bouche, une odeur nauséabonde dans les narines, et le corps perclus de douleurs. L’esprit encore embrumé par le sommeil, elle ne percevait de ses environs qu’un grincement régulier et un tapotement faible qui allait et venait. Une pluie fine s’écrasait goutte après goutte sur le toit de chaux et de paille, devenant une berceuse l’invitant à se rendormir et à prolonger ses rêves le temps de la matinée. Elle ouvrit subitement les yeux, les écarquillant à en imprégner la charpente boisée sur ses rétines et ses sclères.

Quelque chose clochait.

Elle se releva d’un bond de la couche sur laquelle elle était allongée, et se retrouva en position assise. Ce n’était pas son lit. Ce n’était pas la charpente de sa chambre. Ni même l’auberge où elle avait vécu ces dernières années et sous le toit de laquelle elle s’était endormie la veille. Elle avait été amenée en un lieu inconnu dans son sommeil – ce goût amer qui ne quittait ses lèvres quand bien même elle y passait sa langue devait être celui d’une substance qu’on lui avait administrée à son insu afin de la garder inconsciente. Mais qui pourrait en venir à de tels recours ? Et dans quel but ?

« Bien dormi ? »

Une voix l’appela dans un doux murmure – celle d’une femme adoptant un ton maternel et qui se voulait rassurant mais qui, au vu de la situation, ne faisait qu’angoisser toujours plus Aemillia. Elle tourna vivement la tête, éveillant une douleur dans sa nuque encore raide qui n’avait pas apprécié être ainsi malmenée à froid. Sa main gauche se dirigea instinctivement vers son cou afin d’y palper l’anneau. La droite, quant à elle, glissa jusqu’à sa cuisse où elle gardait habituellement sa dague – sans pouvoir l’y trouver.

« Qui êtes-vous ? » articula-t-elle difficilement en déglutissant.

La panique la gagnait, accélérant sa respiration et la rendant difficile. L’anneau n’était plus à son cou. L’anneau n’était plus à son cou ! Et les yeux de cette femme l’observaient, s’arrondissant tandis qu’elle esquissait un sourire sous la coule qui lui recouvrait le visage. Assise en hauteur, sur le rebord d’une étagère de bois vide et rongée par les insectes, elle la toisait d’un air supérieur. Sa jambe gauche pendait, se balançant d’avant en arrière, et tapotant quelquefois du talon le meuble. C’était ce son qui l’avait réveillée.

« Quelle importance ? répondit la femme en secouant les épaules. Tu es au chaud, au sec, et… encore en vie. »

Un frisson parcourut le corps d’Aemillia, aussi violent qu’un courant électrique provoqué par un sort qu’on lui aurait jeté. Comment avait-elle pu se rendre aussi vulnérable ? L’auberge était pourtant surveillée, il n’était pas si facile d’y entrer et d’enlever ses occupants ! D’autant plus qu’elle reconnaissait cette armure. C’était, en effet, un miracle qu’elle fût encore en vie.

« On ne peut pas en dire autant de la vieille Grelod, n’est-ce pas ? »

La flamme des bougies disposées à côté d’elle, sur le bord de l’étagère, se reflétait dans ses iris. L’Impériale n’aimait pas ce premier contact. Bien trop austère, bien trop intimidant. Bien trop inégal, et bien trop dangereux. Elle était sans défense, dans un lieu inconnu dont elle devinait l’unique porte d’entrée et de sortie verrouillée, et cette Nordique qui la fixait lui avait dérobé l’anneau, ainsi que la chaînette et son arme. Son champ d’action était plus que limité.

« Vous êtes au courant, souffla Aemillia en reprenant peu à peu le dessus sur la panique, et en s’asseyant sur le rebord du lit où elle avait été couchée, tournée dans la direction de l’inconnue.

– La moitié de Bordeciel est au courant. »

Ses oreilles bourdonnèrent. Était-ce vrai ? Pourtant ça ne faisait que trois jours, ou quatre peut-être. Mais dans ce cas, Ri’saad l’aurait sûrement appris…

« Une vieille harpie qui se fait massacrer dans son propre orphelinat ? C’est le genre d’anecdotes qui a tendance à se répandre, » rit la femme, à la fois divertie par l’histoire sordide à laquelle elle faisait référence et par le spectacle que lui offrait sa captive.

Aemillia chercha ses mots, de quoi répliquer. Mais rien ne lui vint.

« D’autant plus que le message était clair. Cette trace de main dessinée avec le sang de la victime. Autant dire que cela nous a fait de la publicité. »

Ainsi ses soupçons s’étaient-ils confirmés. Elle avait bel et bien face à elle un authentique membre de la Confrérie. Ils avaient répondu à son appel à peine dissimulé. Cependant, une zone d’ombre subsistait. Comment étaient-ils parvenus à remonter jusqu’à elle ? Le mystère restait entier depuis qu’elle avait reçu ce message d’avertissement à Faillaise, et elle avait beau y réfléchir, aucune réponse satisfaisante ne lui venait à l’esprit.

« Oh, comprends-moi bien, ce n’est pas une critique. C’était un beau meurtre. La vieille bique l’avait bien cherché. Et tu as sauvé un groupe de gamins, par-dessus le marché. »

Il était difficile pour la jeune femme de prendre cela comme un vrai compliment. Et il était hors de question de remercier cette Nordique. Ce serait reconnaître qu’elle était bel et bien l’assassin s’étant chargé de Grelod. Peut-être pourrait-elle feindre l’ignorance ? Bien qu’elle eût voulu contacter la Confrérie, l’issue de cette entrevue ne lui apparaissait guère lumineuse, bien au contraire.

« Mais il y a un léger problème, reprit la femme en appuyant sur le silence entrecoupant ses mots. Figure-toi, le jeune Aretino cherchait la Confrérie Noire. Il nous cherchait, mes associés et moi. Or, aucun de nous ne s’est rendu à Faillaise pour le remplir. Pourtant, quelqu’un a eu l’audace de laisser notre signe sur les murs de l’orphelinat afin de revendiquer le meurtre comme ayant été commis par la Confrérie. »

Oh, misère, pourquoi avait-elle tant désiré leur rendre service en les usurpant ? Elle aurait mieux fait de juste assassiner cette vieille et fuir les lieux…

« Grelod la Douce était un contrat qui revenait de droit à la Confrérie Noire. Une exécution que tu nous as volée… »

Le ton de la femme s’était fait plus ferme, et plus insistant. Elle s’était redressée sur son promontoire, et se penchait légèrement en direction d’Aemillia. Un gémissement étouffé lui parvint de l’autre côté de la pièce, mais elle préférait l’ignorer. Elle ne voulait pas voir, ni savoir, ce qui se trouvait un peu plus loin sur sa gauche. Elle voulait uniquement se concentrer sur cette femme, afin de comprendre comment fuir ces lieux maudits et rester en vie. Et surtout, elle voulait récupérer son anneau, qu’elle devinait en la possession de cette Nordique au regard perçant qui sondait son âme.

« En d’autres termes, un meurtre que tu dois nous rembourser, » acheva l’inconnue en plissant les yeux – Aemillia s’imaginait qu’elle souriait d’une manière cruelle sous le pan de tissu qui dissimulait le bas de son visage.

L’Impériale resta silencieuse, préférant éviter de dire quoi une chose qui pourrait se retourner – ou être retournée – contre elle. Qui savait de quoi était capable cette femme ? Elle s’attendait à être exécutée de la pire des façons à tout instant. Elle savait que ça n’était pas dans les habitudes de la Confrérie Noire, mais les années avaient passé, et cette famille maudite n’était plus que l’ombre d’elle-même – c’était un miracle, d’ailleurs, qu’elle eût survécu aussi longtemps après la destruction progressive de chacun de ses sanctuaires en Cyrodiil. Cela ne l’étonnerait pas si les vestiges de ce groupe d’assassins avaient renié leurs principes fondateurs et œuvraient en tant que véritables parias au sein des fantômes de leurs prédécesseurs…

« Tu es bien silencieuse, ricana-t-elle avant de reprendre un ton plus posé. Rassure-toi, je ne vais pas te prendre ta vie, elle est bien trop précieuse pour cela.

– Qui voulez-vous que je tue ? » demanda timidement l’Impériale en faisant malgré tout de son mieux pour paraître sûre d’elle.

La vérité était qu’elle était terrorisée. Sans l’anneau ni sa dague, elle était incapable de faire quoi que ce fût. Et la présence de cette femme la mettait terriblement mal à l’aise, elle n’était pas à sa place ni en sécurité. Trop de questions se bousculaient dans sa tête – comment l’avait-elle retrouvée, comment l’avait-elle arrachée à l’auberge du Candelâtre, comment avait-elle su pour l’anneau… Mais la première qu’elle avait pu articuler était celle-ci, bien plus cohérente avec le reste de la conversation, bien plus directe. Cette Nordique voulait faire des affaires, profiter de ses services. Il fallait faire honneur à la réputation qui semblait la précéder.

« C’est amusant que tu me poses cette question… »

Les gémissements reprirent – elle identifia plusieurs voix, au moins deux. Le bruit d’os cognant le sol de bois retentit – quelqu’un venait de se cogner et réprimait un grognement de douleur. Elle n’osa pas tourner la tête. Elle connaissait les histoires au sujet de la Confrérie, elle savait ce dont ils étaient capables. Et elle redoutait le spectacle qu’elle s’imaginait représenté dans l’autre moitié de la pièce…

« Si tu te retournes, tu remarqueras mes invités, poursuivit la femme sans perdre de ce ton désagréablement hautain et malveillant. Je les ai  “récupérés” auprès de… Oh, ce n’est pas très important. C’est l’instant présent qui importe. »

Aemillia déglutit. Jamais n’avait-elle ressenti autant d’émotions contradictoires en un instant auparavant. Il était difficile de décrire cet amalgame qui bouillonnait en elle ; à la fois un soulagement de voir la Confrérie encore debout, une satisfaction d’avoir eu une réponse à son appel presque désespéré, et une terreur indicible à la simple idée de ce qu’il adviendrait d’elle une fois cette discussion terminée. Qu’allait dire cette femme ? Quel était ce contrat douteux qu’elle souhaitait lui proposer ? Bien qu’elle eût une petite idée de ce qui l’attendait, la jeune femme redoubla de vigilance, et resta aussi silencieuse qu’immobile. Le seul changement qui s’était opéré chez elle était la contraction de ses doigts, resserrés en un poing, afin d’évacuer l’appréhension qui la gagnait et qui aurait rapidement raison d’elle si elle ne s’extirpait pas de cette cabane délabrée au plus vite.

« La tête de l’un d’eux est mise à prix, annonça la Nordique, et la personne concernée ne pourra pas quitter la pièce en vie. Mais, grinça-t-elle dans un rictus amusé qui étirait le tissu de sa coule, de qui s’agit-il ? »

Elle jeta aux pieds de l’Impériale une dague aiguisée dont la pointe vint se ficher dans le parquet d’ores et déjà abîmé. Aemillia ramassa l’arme, réprimant un petit pincement au cœur en constatant le mauvais traitement qu’elle avait subi dans les mains de l’inconnue de la Confrérie Noire. Qu’en était-il alors de l’anneau… ? Elle ne pourrait quitter ces lieux sans, quitte à assassiner cette femme qui se moquait d’elle du haut de son étagère, qu’elle fût sa seule piste ou non !

« Allez, conclut-elle en se réinstallant confortablement dans son coin de mur, en haut de son perchoir, voyons si tu parviens à le découvrir. »

Aemillia tourna la tête, sans pour autant se lever du lit qui ne ressemblait plus tant que cela à une couche décente. Sur sa gauche, dans ce qui autrefois devait être la pièce de vie de cette petite bâtisse, étaient alignées trois personnes. Deux hommes et une femme, à en constater les carrures. Un Khajiit, deux Nordiques. Au vu de leurs vêtements, une femme ordinaire, un marchand itinérant et un mercenaire sans foi ni loi.

« Fais ton choix, pressa la femme. Tue l’un d’eux. J’aimerais t’observer… et admirer. »

L’Impériale jeta un dernier coup d’œil dans sa direction. Son regard croisa celui de la Nordique. Bleu-gris, il lui évoquait le ciel nuageux des matins hivernaux de Vendeaume. Ces yeux ressemblaient à tant d’autres, à ceux de chacun de ces Nordiques qu’elle avait rencontrés, côtoyés, peut-être même appréciés pour certains. Ceux de Naalia étaient d’un gris pur comme l’argent, brillant, éblouissant. Aemillia avait appris à s’y perdre lorsqu’elle l’écoutait lui raconter ses histoires, ou lorsqu’elle lui enseignait l’art de la couture. Cette femme, en face d’elle, n’avait rien de comparable. Elle n’était qu’un caillou coincé dans la semelle de sa botte, tandis que Naalia était la montagne qui surplombait l’horizon. En cet instant, elle réalisa combien sa mentor lui manquait.

« Dois-je prendre ton silence pour un oui ? »

La jeune femme revint à elle. Cette plongée dans les souvenirs, aussi désagréable pût-elle être, lui avait permis de remettre ses idées en place. Elle obéirait, pour repayer ses fautes. Et après, tout cela serait pour de bon derrière elle. Elle avait fait un écart, c’était une sottise dont elle devait assumer les conséquences, mais tout cela prendrait fin sitôt aurait-elle accompli la volonté de cette femme, et quitté cette maudite cabane dont l’air devenait toujours plus étouffant à chaque instant. Tuer l’un de ces individus, et elle serait libérée de ces obligations.

« Dans ce cas tu connais la règle. Fais-moi une victime et nous serons quittes. Repayer ta dette est à ta portée, au prix d’un coup de dague. »

Les trois individus reposaient sur les genoux, mains liées dans le dos, et une cagoule en tissu sombre recouvrait à chacun son visage. Le plus à gauche, au plus près de la cheminée de pierre dans laquelle brûlait un feu réconfortant, était, comme elle l’avait premièrement identifié, un homme Nordique. Sa supposition se confirma lorsqu’il prit la parole ; il y avait dans le ton de sa voix cet accent typique de la province, qu’elle ne retrouvait chez aucun représentant d’autres races. Il avait dû l’entendre ou la sentir se rapprocher, puisqu’il releva la tête dans sa direction, plus ou moins orientée de sorte à regarder le visage de l’Impériale malgré le capuchon qui lui obscurcissait la vue, et articula quelques mots d’une voix inquiète, pour ne pas dire terrifiée.

« Qu’est-ce que j’ai fait ? Je vous en prie, peu importe ce que c’était, je suis désolé !! »

Aemillia l’observa longuement. L’armure à écailles de l’homme – un mercenaire comme elle l’avait autrefois été, très certainement – reflétait les flammes avides du foyer. Il n’avait aucune arme sur lui ; tout comme elle, la Nordique avait dû le dépouiller afin qu’il fût parfaitement inoffensif.

« Qui êtes-vous ? demanda-t-elle sobrement, masquant du mieux qu’elle pouvait la véritable intonation de sa voix.

– Je m’appelle Fultheim, répondit l’intéressé de manière hâtive, comme s’il espérait que la rapidité de ses réponses lui accorderait son salut. Je suis un soldat… Enfin, un mercenaire, plutôt. »

Elle le coupa. Ce n’était pas sa tête qui était mise à prix. Il avait à peine les tripes d’agir en tant que lame à vendre. Aemillia en avait rencontré, des bandits dont on pouvait louer les services. En Cyrodiil comme en Bordeciel, elle en croisait assez fréquemment. Tous avaient cette attitude, cette prestance, qui montrait clairement leur efficacité et leur impassibilité face au travail qu’on leur demandait. Ce Fultheim était une mauviette, qui préférait agir en douce et poignarder ses ennemis dans leur sommeil. À peu de choses près, elle trouvait qu’il lui ressemblait.

La seconde personne était une femme de la même ethnie. Son teint, de la couleur des champs labourés au printemps avant les semences, laissait l’Impériale dubitative, mais une fois encore l’accent trahissait son origine. Vêtue d’une tunique à ceinture d’une qualité moindre que celles façonnées par les mains de Naalia, sa corpulence donna l’impression à Aemillia qu’il s’agissait d’une mère de famille. Le ventre rebondi gardait les traces de plusieurs grossesses, et contrastait avec les cicatrices de guerre qui apparaissaient entre les plis de ses vêtements au niveau de la clavicule.

« Enlevez-moi ça !! » vociféra-t-elle d’une voix de matrone qui savait se faire respecter.

Le grincement du parquet rongé par les insectes et l’humidité avait trahi la présence de l’Impériale tandis qu’elle s’approchait. La femme avait aussitôt réagi, invectivant d’une voix désagréable un ordre auquel la jeune femme ne voulait se soumettre. Elle eut beau vouloir interroger la femme, connaître son identité afin de se faire une idée, la Nordique effrontée lui répondait d’une manière agressive, l’incitant à la tuer si tel était son souhait. Elle ne craignait pas la mort. Peut-être était-ce parce qu’elle l’avait vue de très près par le passé ? Ou bien cette femme, quel que fût son nom, savait pertinemment qu’il ne pouvait y avoir de contrat sur sa tête, pour une raison que l’Impériale ignorait.

« Mara en est témoin, renchérit-elle, si je n’avais pas cette cagoule sur la tête, je vous cracherais au visage ! »

Aemillia détourna le visage. Cette femme avait beau lui évoquer Grelod dans sa façon de manquer de respect aux autres, elle était cependant moins coupable que cette dernière.

Si l’avis de l’Impériale était d’ores et déjà fixé, il se confirma néanmoins lorsque le Khajiit, un Suthay-raht comme Ri’saad et tous ses autres compagnons de caravane, agenouillé tout à droite, dans la même position que ses deux comparses, prit à son tour la parole lorsqu’elle se stoppa face à lui.

« Allons, fit-il dans un tamrielique impeccable, sans le moindre accent des déserts d’Elsweyr. Quel que soit le problème, nous pouvons en discuter comme des êtres civilisés, non ?

– Vasha, souffla la jeune femme pour elle-même.

– Oui, acquiesça le Khajiit, Vasha, à votre service. Vasha le receleur, le tueur, le souilleur de jeunes filles. Je vois que vous avez entendu parler de moi. »

Ce Suthay-raht s’exprimait avec la même aisance qu’un Bordeciélois natif, et non comme un Khajiit élevé selon les anciennes traditions d’Elsweyr. Après des années à côtoyer la caravane et ses membres, Aemillia avait pu apprendre le Ta'agra qu’ils employaient afin de parler entre eux – dire qu’elle le parlait couramment était un mensonge, mais elle savait tout de même se débrouiller. Le discours dans la langue natale des Khajiits, bien que selon les régions et les formes khajiites cette langue différât de diverses manières, se faisait sans distinction de la personne. Si le tamrielique s’articulait autour de pronoms personnels, le Ta’agra était invariable en nombre et en genre. C’était à peine s’il existait un concept de conjugaison.

Quoi qu’il en fût, à entendre ce Khajiit parler de lui-même à la première personne du singulier, Aemillia devina qu’il ne s’agissait pas d’un vrai Khajiit. Celui-ci avait renié son origine, sa langue, afin de faire ses affaires et œuvrer dans l’ombre. Elle le connaissait. Non seulement avait-elle entendu parler de lui par le biais de Ri’saad, lorsqu’elle épiait ses conversations avec Ma’dran la nuit, alors qu’ils pensaient qu’elle dormait dans sa tente tandis qu’ils faisaient une halte sur les routes cyrodiilennes, mais elle avait en plus fait personnellement l’expérience d’une rencontre avec lui. Elle en gardait un désagréable souvenir qu’elle ne voulait pas ressasser.

« Peut-être mes hommes ont-ils gravé mon nom sur votre chair lorsque vous y avez eu affaire ? »

Elle devinait, sous ce masque de tissu opaque qui dissimulait la face intacte de ce Khajiit opulent, un rictus malveillant et satisfait. Ce chat de gouttière, malgré la richesse des vêtements qu’il portait, ne valait pas mieux qu’un rat crevé dans le caniveau. Aemillia avait tant entendu parler de lui, elle se remémorait sans mal la longue liste d’horreurs qu’ils s’amusait à commettre pour son simple plaisir. C’en était trop. Se dessinait très clairement dans son esprit l’air malicieux et malveillant que prenait son visage dissimulé par le pan de tissu. Elle l’avait déjà vu, de très près, il y avait de ça bien longtemps.

« Vous souvenez-vous de la petite Chenius ? »

La question s’échappa des lèvres d’Aemillia. Elle l’avait pensée si fort qu’elle l’avait vocalisée. Tant pis. Ce petit jeu prenait fin, ici et maintenant.

« La gamine de la soi-disant baronne ? ricana le Khajiit sans dissimuler son mépris, ni se soucier de sa position de faiblesse. Cette histoire doit remonter à dix ans, qu’est-ce que j’en sais ?

– C’était une de vos cibles, à l’époque. Je me trompe ?

– Peut-être. Mais qu’en ai-je à faire ? La gamine doit être morte et enterrée depuis le temps, on ne l’a plus jamais revue. »

La jeune femme perdit patience. Un instant, l’envie de l’égorger se fit puissante, presque irrésistible. Elle n’y succomba pas. Pas encore.

« C’est plutôt le contraire, fit-elle en contenant tant bien que mal ses pulsions. Des avis de recherche avec son nom et son visage trônent dans tous les forts impériaux. La récompense est belle. Si vous me donnez les informations que je souhaite, je vous dirai où la trouver. Pour Vasha le receleur, le tueur, le souilleur de jeunes filles, c’est une aubaine, pas vrai ? »

Il garda le silence, baissant la tête comme s’il réfléchissait, pesant vraisemblablement le pour et le contre. La proposition était alléchante, Aemillia le savait. Et elle était confiante, ne doutait aucunement de son approche. Ce chat de gouttière n’avait aucun scrupule et était uniquement intéressé par les gains. Le plaisir sadique faisait partie de la longue liste de récompenses que lui octroyaient ses activités malfaisantes, qui causaient autant de tort à autrui qu’il n’en tirait de bénéfices.

« Oui… La fillette de la baronne Chenius… Je me souviens qu’on m’a payé cher pour son enlèvement.

– Tout ne s’est pas déroulé comme le prévoyait le plan, pas vrai ?

– Mes hommes, ces stupides hommes, l’ont lâchée par-dessus le pont quand ils ont vu quelqu’un dessus. Elle a failli se noyer, mais cet homme l’a sauvée. Il va sans dire que les mercenaires que j’avais engagés ont fini eux-mêmes dans le fleuve quelques jours plus tard.

– Pourquoi cet enlèvement ? »

L’Impériale se retenait du mieux qu’elle pouvait afin de ne pas perdre son sang-froid. La cruauté dont avait fait montre ce stupide félin était inhumaine. Pour être honnête, il avait tout d’inhumain. De l’apparence jusqu’à l’âme, ce prisonnier aux mains liées dans le dos n’avait d’égale que les monstres des mythes et légendes que l’on retrouvait dans ces livres pour enfants que lui lisaient sa nourrice le soir avant de dormir. Sauf qu’à présent, il n’y avait aucun valeureux soldat ou mage pour sauver les victimes en détresse. Il n’y avait qu’elle, sur le chemin qui la mènerait à la vengeance. Pas après pas, elle atteignait son but, quand bien même cela la blessait que de briser sa promesse avec Ri’saad. Mais il n’en saurait jamais rien. Ce doux mensonge résonnait en elle, prolongeant son écho instant après instant…

« L’appât du gain, ma chère Dame. Saviez-vous que le père était un haut fonctionnaire appartenant à l’une des plus hautes gardes de l’Empereur ? Avec la mère assassinée, il aurait été prêt à payer de belles sommes pour retrouver son unique progéniture. Sur ce coup-là, si ces rats de la Confrérie Noire avaient mieux surveillé leurs arrières, jamais l’information de leur contrat n’aurait fuité, et nous n’aurions pu monter notre coup… »

Les doigts d’Aemillia se resserrèrent sur le manche de la dague. Il lui fallait tant se faire violence pour ne pas porter le coup fatal en cet instant… ! Les informations que lui apportait le Suthay-raht valaient l’attente – c’était ce qu’elle se répétait, se convainquant chaque seconde un peu plus, tout en luttant contre ses propres désirs.

« Il nous a fallu quoi, un an pour la récupérer ! s’énerva-t-il, haussant le ton. Elle se terrait dans un trou à rats ! Je la croyais morte ! Je l’ai confiée à mes meilleurs gars, des héritiers des Arcs Noirs ! Ils l’ont gardée à l’abri dans une caverne habitée en attendant que la rançon nous parvienne. Tout ce qu’on a retrouvé de ce campement, ce sont des cadavres ensanglantés, défigurés et dévorés par les bêtes. Pas un survivant. Si elle a échappé à ça, j’ignore comment.

– Je vois. »

Ainsi, telle était la vérité derrière cet enlèvement subi par une pauvre orpheline arrachée à ses foyers et ses proches. Aemillia frissonna devant tant d’inhumanité.

« Mais si c’est son intégrité qui vous inquiète, sachez que j’ai personnellement veillé à ce qu’aucun mal ne lui soit fait, à ce qu’elle soit immaculée. Nous ne trouvons plus beaucoup de fillettes de cette qualité de nos jours, elle tombait à point nommé. Et elle avait bien plus de valeur en restant inviolée. C’est regrettable qu’elle ait disparu.

– Après avoir détruit son innocence, c’était la moindre des choses que de la laisser vivre sa vie tranquillement, » siffla Aemillia en croisant les bras sur sa poitrine.

Le Khajiit émit un son intraduisible et secoua la tête. Il semblait en avoir assez de cette conversation qui n’allait que dans un sens, et pas dans le sien.

« Remplissez votre part du contrat, grinça-t-il. Vous m’aviez dit que vous saviez où la trouver. Je vous ai dit tout ce qu’il y avait à savoir sur l’enlèvement, à vous de répondre désormais ! »

La jeune femme sentait l’assemblée s’impatienter. Les deux Nordiques prisonniers devaient être horriblement mal à l’aise dans cette position, et n’avaient aucun lien avec ce dont il s’agissait là. Quant à la femme au fond de la cabane, elle devait très certainement sourire sous sa coule en observant les méthodes de l’Impériale. Oh, elle allait être servie. C’était là que l’histoire devenait intéressante.

« J’y viens, » commença-t-elle par répondre sobrement, avant de se relever et de faire quelques pas autour du Khajiit.

Elle étudiait plus en détail l’arme qu’on lui avait donnée. De plutôt bonne facture, fraîchement meulée, elle ferait l’affaire. La cible ne ressentirait qu’une petite piqûre là où la lame s’enfoncerait dans ses chairs et organes.

« Après avoir vécu dans ce trou à rats comme vous l’appelez, la petite Chenius a erré de ville en ville, sur les routes, avec une escorte qui l’a protégée et éduquée. Jusqu’à migrer en Bordeciel, où elle serait à l’abri des avis de recherche qui diffusaient son nom et visage à travers toute la province sous dominance impériale. Je me demande comment elle réagirait si elle tombait nez à nez avec vous. Peut-être chercherait-elle à se venger de celui qui a détruit son enfance heureuse au sein d’une famille aimante, vous ne pensez pas ? »

Vasha commençait à se tortiller sur place, mal à l’aise. Il sentait que la situation ne tournait pas à son avantage, qu’il avait trop parlé et trop misé sur le fait qu’il se tirerait de cette cabane indemne. Elle ne lui offrirait pas ce plaisir.

De nouveau située face à lui, Aemillia articula quelques derniers mots.

« J’espère que le Néant vous octroiera une place privilégiée où vous souffrirez pour l’éternité. »

Le Khajiit laissa s’échapper un petit miaulement de protestation, tout du moins en eut-il à peine l’occasion. La lame de la dague s’enfonça mollement dans les chairs, perforant les riches vêtements finement taillés, la peau, et les organes que rencontraient le métal froid. Le sang, carmin et bouillant, s’échappa de la plaie, teintant le tissu de sa couleur si riche et si belle, avant d’imbiber le manche de l’arme et de ruisseler sur la main de l’Impériale, traçant les imperceptibles détails de sa peau claire comme les canaux creusés par les fleuves dans la terre avec les siècles.

La respiration de Vasha s’accéléra tandis que la panique et la douleur le gagnaient. Son cœur devait très certainement avoir accéléré le mouvement, battant de plus belle afin de compenser la quantité de liquide vital qui s’échappait sans rien pouvoir faire afin de limiter l’hémorragie. Et tandis que son corps réalisait peu à peu l’imminence de sa mort, dans d’atroces souffrances, le scélérat cherchait à marchander.

« Dites-lui que je regrette ! Je ne voulais pas lui faire de mal ! C’était un accident !! »

Il commençait à se débattre, cherchant à délier ses mains afin de faire pression sur la plaie qui s’agrandissait à chacun de ses mouvements. Aemillia ôta la lame de son corps dans un sourire satisfait, et s’agenouilla à sa hauteur. Quelques gouttes vinrent former un début de flaque sur le parquet.

« Il fallait y penser avant de commettre vos actes. C’est trop tard, désormais. »

Elle arracha la coule masquant le visage du Khajiit. Quel plaisir de voir ses traits autant déformés par l’angoisse et la douleur ! Mais une autre expression vint s’ajouter à ce doux mélange.

Lorsque les yeux sales de Vasha se posèrent sur son visage, ils s’ouvrirent comme jamais, et ses lèvres grandes ouvertes déformèrent son expression.

« Vous… »

Aemillia acquiesça. Elle. Le temps ne lui avait pas fait de cadeau, on reconnaissait toujours la petite fille de l’époque dans ce visage durci par les épreuves. Sauf que toute innocence avait quitté ces traits, seule l’amertume et le désir de vengeance transpiraient. Et Vasha, qui à l’époque ne craignait rien venant de sa cible inoffensive, ressentait à son tour la terreur d’être la proie chassée par le prédateur. Les rôles avaient été échangés. Et dire qu’il ne s’était jamais soucié de savoir qui était cette fausse Ohme qui traînait avec Ri’saad et sa caravane lorsqu’il venait de temps à autre leur échanger quelques biens, en tentant de les arnaquer. S’il avait su que, depuis tout ce temps, cette fillette qu’il avait tentée de marchander, en vain, se trouvait là, sous ses yeux !

Il chercha à articuler quelques derniers mots, à tenter de négocier sa vie. Toutefois, elle ne voulait plus entendre ses fausses excuses bidons, et l’irritation commençait à la gagner.

Esquissant un sourire cruel, empli de satisfaction d’avoir enfin pu se venger de l’une des causes de cette succession d’événements tous plus désastreux les uns que les autres, elle agita sous les yeux du Khajiit la lame, dont le fer gris et luisant était recouvert de son propre sang. Puis, dans un mouvement gracieux comme ce qu’on lui avait appris à l’époque, elle trancha la gorge du félin. Une touffe de poils s’échappa, en même temps que le sang s’échappant de la carotide, et vint s’écraser au sol sans un bruit. Un râle d’agonie lui parvint.

Vasha n’était plus. La vie avait quitté son corps dans la peur et la douleur – tout ce que méritait un chat de gouttière de son acabit.

Aemillia prit à peine le temps d’essuyer le sang de la dague. Les deux autres détenus se faisaient silencieux, craignant que leur sort ne fût le même que celui du Khajiit dont le corps commençait timidement à refroidir. Du haut de son perchoir, la Nordique esquissa un mouvement d’applaudissement, et se permit un commentaire grinçant.

« Ah, le Khajiit sournois. Un chat pareil doit assurément avoir bon nombre d’ennemis. Cela ne m’étonne pas que tu l’aies choisi… Surtout au vu de ton passif.

– Je vous ai repayé votre contrat, coupa la jeune femme, feignant d’ignorer le sens caché de ces paroles. Que voulez-vous de moi, désormais ? »

La femme secoua les épaules en riant légèrement. Elle tira d’une sacoche nouée à sa taille une petite clé, qu’elle lui tendit. L’Impériale hésita un instant, puis étira ses doigts dans sa direction afin de s’en saisir.

« Tu as remboursé ta dette. Comme promis, voici la clé de la cabane.

– C’est tout ? C’est tout ce que vous attendiez de moi ? »

La Nordique se redressa, la toisa de toute sa hauteur, puis effectua un léger bond qui lui permit d’atterrir en toute souplesse sur le sol. Elle dominait Aemillia d’une tête, et posait sur elle un regard à la fois empli de jugement et d’intérêt. Quelque chose chez la jeune femme attisait sa curiosité, et l’Impériale détestait ne pas savoir ce dont il s’agissait. Une chose était cependant certaine. Cet assassin de la Confrérie Noire savait qui elle était, et connaissait son passé – tout du moins, une partie de ce dernier. Et elle n’aimait pas cela.

« Mon nom est Astrid. Je suis à la tête de la Confrérie Noire. J’aimerais t’inviter à rejoindre officiellement ma famille. Tu as du potentiel, développé autrefois par d’anciens amis, ce serait navrant de le gâcher ainsi. Abandonner le crime pour devenir tailleuse ? Combien de temps encore aurais-tu tenu ainsi à Vendeaume ? »

Elle avait changé, baissé sa garde, foncé tête baissée dans un piège. Peut-être Astrid savait-elle déjà qui elle était et d’où elle venait bien avant que la caravane ne franchît la frontière. Peut-être l’un de ses subalternes avait-il épié et suivi le groupement de Khajiits tandis qu’ils arpentaient les routes délabrées de Bordeciel. Et peut-être Elda avait-elle vendu la mèche, offrant sur un plateau d’argent la clé qui menait à sa chambre, laissant à cette Nordique l’opportunité de la droguer et de l’amener dans cette cabane délabrée.

Si elle avait abandonné Aventus, si elle avait refusé ce contrat, si elle s’était faite discrète, si elle n’avait pas dessiné de sa main l’emblème de la famille maudite en espérant attirer leur attention… Toutes ces possibilités résonnaient dans sa tête. Pourquoi ne parvenait-elle à être ravie que cette femme lui proposât de retrouver les siens ? Elle qui avait quitté Cheydinhal dans un déchirement, elle qui avait constaté les ruines de ce sanctuaire qui était autrefois le sien…

Pourquoi cette route qu’elle s’apprêtait à suivre ne lui inspirait-elle donc rien de bon ?

« En mémoire de Rasha, viens chez moi. Dans les contrées du sud-ouest de Bordeciel, dans la pinède, tu trouveras l’entrée de notre sanctuaire. Elle est à quelques pas de la route, à l’abri des regards… »

Astrid lui tendit sa véritable dague, l’échangeant contre l’autre, tachée par le sang qui refroidissait sur sa lame et sa garde. Aemillia observa sa propre main, écarlate. Elle était tant habituée à la voir teinte de cette couleur qui n’était pas la sienne, cette constatation ne lui fit pas le moindre effet.

« Lorsque la Porte Noire t’interrogera, murmura-t-elle afin que les deux derniers prisonniers n’entendissent, réponds-lui "Silence, mon frère". On te fera entrer, et ta nouvelle vie commencera.

– Comment pouvez-vous être aussi sûre que je vais vous suivre ? »

La Nordique brandit l’anneau qui se balançait au bout de la chaînette qu’elle tenait fermement entre ses doigts. Le mouvement de pendule hypnotisa Aemillia, dont la respiration se coupa. Son cœur rata un battement – un début de panique commença à la gagner. Cette femme n’allait tout de même pas lui confisquer l’anneau pour l’obliger à les rejoindre, si… ?

« Parce que je sais qui tu es, et je sais d’où tu viens. Je connaissais déjà toute l’affaire de Cheydinhal avant même que tu ne quittes Cyrodiil. J’ai suivi ton parcours, ton tableau impressionnant. La frontière, Helgen, Faillaise… Ces crimes commis de sang froid sur mon territoire m’ont étonamment plu. Tu as ça dans le sang, Rasha l’avait senti. Avec toi à nos côtés, la Famille pourrait retrouver sa gloire d’antan. Ne gâche pas ton potentiel. »

Elle tendit le bras dans sa direction, offrant l’anneau et la chaînette du bout de ses doigts à leur propriétaire illégitime. La jeune femme s’empressa de le récupérer, de vérifier qu’il s’agissait bel et bien du sien, d’étudier chaque parcelle de son métal afin de s’assurer qu’il n’avait pas été abîmé… Astrid ricana, amusée par cet attachement excessif à un simple bijou auquel elle vouait un véritable culte. Cet anneau valait bien plus que sa propre vie, et elle savait combien cela semblait ridicule aux yeux de certains infidèles qui ne pouvaient voir au-delà des apparences, au-delà du paraître. Aemillia garda le bijou au creux de sa paume, décidée à laver et purifier la bague dès que cela lui serait possible.

« Laissez-moi un peu de temps pour réfléchir, répondit-elle sur la défensive. Ce n’est pas une décision que je peux prendre à la légère…

– Tu sais où me trouver. Un cheval t’attend à l’extérieur pour faciliter ton trajet retour. N’oublie pas ta bourse, elle te sera utile pour te nourrir et te reposer. »

La femme adoptait presque un ton maternel. Avait-elle eu des enfants ? À observer ses yeux creusés par les cernes, elle donnait l’impression d’avoir l’âge qu’aurait eu sa propre mère. Elle semblait véritablement vouloir guider l’Impériale dans leur sanctuaire. Et bien qu’elle eût désiré cela durant toutes ces années, Aemillia doutait. Était-ce réellement ce qu’il y avait de mieux à faire ? Avait-elle seulement une chance d’y retrouver celui qu’elle cherchait ?

Tous ces sentiments se contredisaient. L’envie, la peur, le manque et l’appréhension, son esprit était assailli de toutes parts et ne parvenait à prendre une décision claire. Était-ce l’habitacle fermé, donnant naissance à un ressenti presque claustrophobique, qui lui pesait autant ? Sa respiration s’accélérait, se faisait moins satisfaisante – son cœur criait, appelait au secours, lui intimait l’ordre de se calmer et de se reprendre. Mais rien n’y faisait. Les vertiges commençaient à la gagner, la nausée se faisait savoir au creux de son estomac. À coup sûr, son teint pâlissait de plus belle à chaque instant…

« Merci, souffla-t-elle. Je vais réfléchir à tout ça. Merci pour l’invitation… »

Elle rassembla ses affaires, vérifia qu’il ne lui manquait rien. Par chance, tout était en ordre – ne restait plus que les deux autres prisonniers qui gémissaient d’impatience, et le cadavre de Vasha dont on aurait presque pu croire qu’il dormait. Astrid l’informa qu’elle s’occuperait des détails, que ça n’était pas à elle de s’en soucier. Aemillia prit congé, tournant fébrilement la clé dans la serrure de la porte d’entrée boisée, étonamment en meilleur état que le reste de la cabane.

Tandis que les rayons du soleil réchauffaient sa peau, et que l’air extérieur dissipait son malaise, elle entendit une voix lui parvenir de l’intérieur. Amicalement, Astrid la saluait une dernière fois.

« Je te verrai à la maison. »

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