De l'autre côté de la frontière

Chapitre 14 : Chapitre XIV — Maîtres et apprentis

4947 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/02/2023 14:43

Chapitre XIV

Maîtres et apprentis

 


Une sensation d'écrasement, comme un poids qui oppressait la poitrine et empêchait la respiration, tira Elenaril de son sommeil. Allongée sur le dos dans un lit confortable, elle tenta de se tourner sur le côté, en vain. La pression exercée sur son corps rendait tout mouvement impossible, malgré toute la force qu'elle mettait dans ses épaules et ses muscles pectoraux pour pivoter.

Elle leva malgré tout sa main gauche, et tâtonna par-dessus la couette qu'elle avait remontée jusque sous son menton. Peut-être était-ce en réalité un poids physique, et non pas le contrecoup de la boisson de la veille, ou encore de son éloignement prolongé de sa terre natale...

Ses doigts rencontrèrent une tignasse particulièrement douce, bien que courte. Elle fit glisser sa main le long de la fourrure, captivée par cette sensation agréable et le bien-être qui en découlait. L'endorphine gagnait son corps, tandis qu'elle caressait ce manteau soyeux qui s'étirait au-dessus d'elle.

Puis, il y eut un ronronnement, le plus fort qu'elle n'eût jamais entendu jusqu'alors. Enfin, un miaulement confirma ce qu'elle supposait. Posie lui réclamait davantage de caresses, étendant ses pattes de tout son long, et plongeant sa tête dans le cou de l'Altmer, sans que ses bruissements de plaisir ne diminuassent.

Inondée par les démonstrations d'affection du palico, l'elfe ne sut comment réagir. Elle était tentée de la faire bouger, car Posie était certes dotée d'une petite stature, elle pesait toutefois son poids, mais d'un autre côté elle adorait cette sensation enivrante qui la gagnait, et lui donnait envie de s’assoupir à nouveau...

Il y eut un bruissement non loin d'elle, comme si quelqu'un dormait à quelques mètres à peine de là, et remuait dans son sommeil. Elle ouvrit alors les yeux, et constata le plafond de bois qui grinçait faiblement au-dessus d'elle, dans le lit superposé à celui qu'elle avait investi. L'autre locataire de la chambre était un gros dormeur qui ne pouvait s'empêcher de bouger — elle était ravie de ne pas être réveillée facilement, au moindre bruit, sans quoi elle n'aurait guère dormi cette nuit-là.

Randall était parvenu à obtenir cette couche de la part d'un de ses colocataires, qui n'y avait vu aucune objection étant donné qu'il s'en allait chasser au moment où ils étaient parvenus dans le quartier résidentiel. Aiden et Uthyr, bien que titubant encore légèrement, s'en étaient allés rejoindre leurs propres chambres, laissant l'elfe seule avec son compagnon d'aventures, qui troqua ce lit en moyennant ses services de récolte, qu'il exécuterait dès lors qu'il serait de retour sur le terrain.

Ainsi, elle se retrouva à partager une chambre avec Randall, et un autre de ses colocataires, qui vint les rejoindre à l'aube, en rentrant de son expédition. Les autres, quant à eux, s'en étaient allés traquer des monstres sur ordre du commandant Gareth et de la Guilde. Après avoir changé les draps du lit, en suivant les directives de Randall qui parvenait difficilement à croire que les Altmers avaient une autre méthode que la sienne, à en voir ses soupirs d'amusement, Elenaril retrouva le confort moelleux d'un matelas rembourré. Et il fallait admettre que la literie à Astera était particulièrement agréable. Le plaisir qui s’en dégageait était comparable à celui de son propre lit, à Eyévéa, si ce n’était qu’il était même supérieur.

Elle s’était endormie aussi rapidement que cela lui avait été permis, profondément assoupie pour voir quelques rêves fort plaisants, et s’était éveillée sous le poids de Posie après avoir pleinement récupéré. La satisfaction qu’elle éprouvait d’avoir eu un sommeil aussi réparateur lui annonçait une merveilleuse journée riche en découvertes. Le sourire aux lèvres, Elenaril remua légèrement afin de déloger Posie qui, après quelques supplications et ronronnements, accepta de glisser le long des draps, et se retrouva blottie contre le flanc de l’Altmer.

« Où est ton chasseur ? fit cette dernière en se relevant, et en constatant que la couche qu’occupait Randall était vide. Il s’est déjà levé, non ? »

Le palico leva le nez, encore un peu perdu dans le monde des rêves, et laissa s’échapper un faible miaulement, avant de bailler.

« Il est parti à l’armurerie pour vous, miaula Posie dans sa langue féline, dénuée d’accent. Il disait qu’il avait quelque chose de très important à faire. Et il a dit aussi qu’il allait voir le Commandant pour lui faire son rapport.

— Je vois… »

Randall avait dû s’éveiller bien plus tôt qu’elle, et débuter sa journée comme si de rien n’était. Elle l’en remercia silencieusement ; elle détestait être réveillée lorsqu’elle n’avait pas fini sa nuit, et ne désirait pas plus qu’on la vît au réveil. Ses cheveux s’étaient ébouriffés et emmêlés, elle était convaincue que sa joue gardait la trace de l’oreiller, et elle était en chemise de nuit, pour combler le tout. C’était tout sauf l’allure présentable d’une Altmer telle qu’elle !

Elenaril prépara un petit sort de lumière, auquel son corps réagit de façon tout à fait normale. La magie coulait à merveille dans son sang, et bien que la régénération ne se fît toujours pas naturellement, elle avait encore beaucoup de réserves. Une petite sphère lumineuse vint se fixer au-dessus de sa tête, contre le bois du sommier du lit supérieur. Dérangée par cet éclairage, Posie détourna la tête et l’enfouit dans son pelage soyeux.

Un autre sort d’illusion suivit, celui d’invisibilité. Bien qu’il n’y eût personne pour l’observer, Elenaril préféra être pleinement cachée par sa magie le temps de se déshabiller et d’enfiler une tenue plus adéquate et confortable, à savoir ses robes de mage. L’armure qu’elle avait revêtue la veille sentait terriblement mauvais, un mélange de sueur et d’alcool, et bien qu’elle ne pût faire mieux que de se débarbouiller dans la bassine prévue à cet effet disposée dans un coin de la chambre, elle trouvait que sa propre odeur corporelle n’était pas la plus abominable.

Elle tira de son sac, lui-même bien rangé au fond du coffre de Randall – il lui avait gentiment confié un double de la clé qui l’ouvrait afin qu’elle pût se débrouiller sans lui –, un peigne et un miroir, qu’elle utilisa en les faisant léviter autour d’elle afin de s’assurer que son apparence était impeccable. Elle avait par ailleurs examiné son avant-bras, sur lequel l’ecchymose bleuissait, et la griffure sur sa joue qui avait toujours une meilleure allure que la veille. La fierté de ses blessures de guerre éclipsait difficilement l’inquiétude qu’elles se vissent encore lorsqu’elle rentrerait chez elle. Les autres illusionnistes verraient clair à travers ses sorts, et découvriraient ce qu’elle avait à cacher… Une nouvelle fois, elle regretta de ne pas avoir suivi de cours sur la magie de guérison. Cela lui aurait été terriblement utile, en cet instant.

Fin prête, l’elfe coupa son sort de lumière, et se dirigea vers la porte de la chambre en toute discrétion afin de ne pas réveiller le dernier endormi de la pièce. Le cliquetis des griffes de Posie attira son attention, et elle se retourna pour constater que le palico avait fait l’effort intense de se lever à son tour, et de l’accompagner. Les yeux plissés afin d’éviter le plus de lumière possible, elle avançait en reniflant autour d’elle afin d’éviter les obstacles, jusqu’à rejoindre l’Altmer dans un ronronnement adorable. Même une fois dehors, elle rechignait à ouvrir les yeux, et se repérait au bruit et aux senteurs pour suivre et accompagner Elenaril.

« Il m’a aussi dit que je pouvais vous emmener aux bains si vous le vouliez, fit-elle finalement lorsque l’elfe eût refermé derrière elles la porte de la chambre. Et déjeuner, aussi. Il m’a donné les zennys qu’il faut pour payer pour vous.

— C’est très gentil, merci Posie. Mais je ne peux accepter…

— Il m’a dit d’insister, aussi. Que c’est très important que vous vous sentiez bien ici. Et que si vous refusiez, il s’occuperait lui-même de vous dans ce cas.

— Je doute qu’il puisse être en l’état, rit doucement Elenaril. Mais j’accepte, à condition que tu m’accompagnes. »

Le palico acquiesça, un sourire aux lèvres dévoilant les petites canines qui dépassaient un peu. Finalement, au bout d’un moment, elle entrouvrit ses yeux verts et prit les devants, guidant Elenaril à travers l’immense ville-colonie. Malgré sa patte tordue, elle marchait bien, et n’avait même aucun problème pour se mouvoir.

Elle amena dans un premier temps l’elfe jusqu’à la cantine, où elle l’aida à commander un repas à la hauteur de son appétit. Ensemble, elles dégustèrent de délicieux fruits et un plat de volaille rôtie à souhait, ainsi qu’une omelette agrémentée d’oignons et de champignons, le tout accompagné d’une tasse de thé fumant, et succulent. Un mélange de thym et de citron, parfumé et délicieux, qui ravit le palais d’Elenaril. Il s’en dégageait même une touche de miel, et cette association de sucré et de salé au petit-déjeuner était plutôt surprenante, en plus d’être agréable.

Le ventre plein, elles s’en allèrent alors jusqu’aux bains, qui se présentaient comme des thermes cyrodiilens, dont elle avait déjà vu des croquis dans un de ses nombreux ouvrages. Le complexe était plutôt dense, et avait lui aussi subi quelques modifications afin de pouvoir accueillir la population grandissante. Divisé en deux, le bâtiment permettait une séparation entre les hommes et les femmes, mais d’après ce que racontait Posie, les deux moitiés étaient parfaitement symétriques. D’abord, un espace dans lequel on lavait le corps à l’aide de bassines d’eau et de savons divers, puis d’immenses baignoires creusées à même le sol permettaient de se baigner et de se prélasser jusqu’à en être satisfait. Guidée par le palico, qui lui montrait et expliquait tout dans les moindres gestes, Elenaril profita de chaque instant passé en ces lieux où la nudité ne gênait personne.

De retour en plein cœur d’Astera, le duo improbable avançait au rythme d’une promenade agréable, bien qu’étrange, au cœur de l’agitation de la colonie. Tandis que l’activité humaine provoquait un brouhaha incompréhensible, entre les coups de marteau des forgerons, le marché à ciel ouvert et les mouettes qui allaient et venaient au-dessus de tout cela, elles marchaient lentement, l’elfe se permettant de scruter chaque point d’intérêt qu’elle apercevait et, par les Ancêtres, il y en avait tant ! À chacune de ses questions, Posie répondait, et se révélait bien plus bavarde qu’elle ne l’aurait cru. Ses petits miaulements enjoués témoignaient d’un esprit vivace, et l’Altmer ne se lassait pas de l’interroger. Lorsque le palico finit par avoir la gorge sèche, Elenaril l’invita à se désaltérer, et à lui raconter en retour tout ce qu’elle désirait entendre à propos de son monde « au-delà de la mer et au-delà encore » comme elle l’avait si joliment dit à leur première rencontre. D’abord un peu pudique, ne sachant guère comment formuler ses explications sans trahir son origine étrangère à ce monde, elle finit par se laisser aller, en totale exaltation, et raconta avec moult détails tout ce qui faisait la spécificité de Nirn et de ses environs.

« Est-ce vrai que vous pouvez faire voler les objets sans les toucher ? finit par interroger Posie après avoir écouté patiemment toutes ses histoires.

— Oh, Randall t’en a parlé ? »

Le felyne acquiesça.

« Il m’a aussi dit que vous tiriez des flèches invisibles sans arc !

— Décidément, il t’a révélé tous mes plus grands secrets ! rit doucement Elenaril. Mais il y a encore bien des choses qu’il ignore. Sais-tu que je peux me rendre invisible, ou encore que je peux invoquer de la lumière ? »

Les yeux de Posie s’arrondirent de plus belle. Ses prunelles luisaient de curiosité. Elle était terriblement adorable, et il y avait fort à parier qu’elle savait jouer de ses talents pour se voir octroyer quelques faveurs.

« C’était ça, ce matin ? Je me disais bien que des bougies ne pouvaient pas faire autant de lumière !

— Et il y a encore bien plus de tous de magie, là d’où je viens. Des personnes comme moi utilisent des dizaines d’autres sorts, bien plus puissants encore ! »

Face aux ronronnements de joie du palico, Elenaril sourit de plus belle. L’innocence des habitants d’Astera face à la curiosité qu’elle était pour eux était ravissante. Que ce fût Randall et son intérêt particulier, ou bien Posie qui s’émerveillait de tout et de rien, elle ne pouvait s’empêcher de penser à la marque qu’elle laisserait dans l’esprit de celles et ceux qui avaient assisté à ses démonstrations de magie. Si toutefois une puissance venait à désirer s’approprier ses facultés, combien de personnes s’y opposeraient et tenteraient de la protéger ? Par exemple, si le commandant Gareth, aussi sympathique lui eût-il paru, prenait la décision de l’utiliser pour des raisons personnelles, ou encore pour le bien de leur colonie, est-ce que Randall, Posie, Aiden et Uthyr viendraient à son secours ? Qu’en était-il de Dylis et Marissa ? Certes, elle ne connaissait que très peu tout ce petit monde, en comparaison du chasseur à qui elle devait sa survie dans ce milieu hostile, mais elle espérait toutefois que tous désirassent la protéger si les autorités en avaient après elle. Car, après tout, elle-même était prête à donner sa vie pour les aider, si cela était nécessaire…

À l’origine, elle avait souhaité ne pas se faire remarquer. Lorsqu’elle avait compris qu’elle n’était plus en Tamriel, et encore moins sur Nirn, ni même en Mundus, au point où elle en était, elle avait voulu faire profil bas, et suivre les ordres. Mais elle était une Altmer, caractérielle comme elle se le devait d’être, et à la moindre contrariété, elle se devait de riposter. On ne manquait guère de respect aux Altmers, à leur magie, ni même à leurs croyances, après tout ! Mais à force de vouloir aider, de vouloir être considérée en tant que telle… ne laissait-elle pas derrière elle une trace indélébile de son passage ?

Si par malheur le Thalmor ou toute autre organisation au moins aussi puissante venait à remonter jusqu’à elle et ses voyages… Cela ne signerait-il pas la fin de ce monde indépendant et merveilleux ?

Pour la première fois, Elenaril sentit la tête lui tourner face à sa contemplation des possibles. Elle avait rarement envisagé aussi sérieusement que le pire pût arriver. Après tout, elle s’était convaincue d’avoir assuré ses arrières, de ne pas avoir été trop explicite quant à ses recherches là-bas, à Eyévéa, mais si elle était dotée d’une intelligence non négligeable comparée à celle de certains de ses pairs, elle ne devait surtout pas oublier que d’autres, au sein de la Guilde et même ailleurs dans l’Archipel de l’Automne l’étaient davantage encore. Et si l’une de ces personnes cherchait à s’approprier les richesses d’Astera, du Nouveau Monde et de l’Ancien, par-delà les mers, alors rien ne l’en empêcherait, bien au contraire. Elenaril avait ouvert un passage entre leurs mondes, et la porte était grande ouverte pour quiconque désirait suivre sa trace. La magie était certes formidable, elle n'était pas pour autant exempte de défauts. Remonter sa piste serait un jeu d’enfant. Et aucun sort à sa connaissance ne lui permettait de la brouiller. Au mieux, elle pouvait bloquer tout passage en son absence, ce qui était toujours une meilleure garantie de leur sécurité que de n’avoir aucun verrou, mais serait-ce suffisant… ?

« Oh, Elenaril. Je vous cherchais ! Je vois que vous êtes bien accompagnée ! »

La voix rassurante de Randall l’arracha à ses pensées sombres. À vrai dire, le bruit de ses béquilles aussi l’avait sortie de ses réflexions, mais ce fut réellement cet appel, doucement agréable, qui chassa ces mauvaises idées qui lui venaient, pour en amener d’autres, bien plus sympathiques.

« Bonjour, Randall ! répondit-elle en retour, en accompagnant le tout d’un signe de la main. Je ne savais pas trop où vous trouver, alors j’ai suivi Posie, et voilà que vous venez à nous !

— Tu as bien fait ton travail, Posie, sourit le chasseur en tendant le bras jusqu’à la tête du palico, et en la grattant affectueusement tout en tenant en équilibre à l’aide d’une seule béquille. Merci d’avoir veillé sur elle. »

Le miaulement ravi du felyne étira le sourire qu’affichait l’homme, qui finit par prendre à son tour place autour de la petite table. Elenaril s’empressa de demander à ce qu’on apportât une boisson au chasseur, qui ne refusa pas. Il se permit toutefois une petite pique ; après tout, ce ne serait pas l’Altmer qui paierait la note finale, mais bien lui.

« J’aimerais beaucoup pouvoir vous repayer tout ce que vous m’offrez. Vous dépensez votre argent durement gagné pour m’aider et répondre à mes caprices, c’est indigne de ma race d’accepter tout cela.

— Oh, ne vous en faites pas. Je vous l’ai déjà dit, ça ne me dérange absolument pas. Je n’ai pas besoin de beaucoup d’équipement, et mes munitions ne me coûtent presque rien puisque j’amène généralement tous les ingrédients nécessaires à leur préparation. Si ma solde peut aider et vous être utile, alors je ne m’en priverai pas !

— Vous êtes trop bon, Randall, sourit l’elfe. Je vous le revaudrai, tôt ou tard. »

Il lui rendit son sourire, sincèrement heureux de cette honnêteté et intégrité que montrait Elenaril. Sirotant sa boisson, un thé noir parfumé aux fleurs, il adressait à l’Altmer un regard amusé, dont elle ne parvenait pas à déchiffrer une partie. Elle n’avait jamais été la plus douée pour interpréter le langage corporel de ses interlocuteurs, et pour une fois cela lui aurait bien été pratique qu’il en fût autrement, mais force était de constater qu’elle devait se débrouiller avec ce qu’elle avait.

« Il y a bien quelque chose que vous pourriez faire pour moi, finit-il par dire, peut-être las d’attendre qu’elle fît le premier pas. Si vous jugez que cela peut être possible, alors j’aimerais beaucoup que vous m’enseigniez votre langue. »

Elle resta un instant silencieuse, cachant sa surprise derrière une mine faussement songeuse. Elle ne s’était absolument pas attendue à une requête de ce genre. Il aurait pu lui demander des tours de magie, davantage d’artefacts communs en Tamriel mais extrêmement rares à Astera, ou bien d’autres choses encore… Mais de tout ce qu’elle pouvait lui offrir, c’était des cours d’altmeri qu’il avait réclamé.

« Vous comprenez que ça nécessite que je mette fin à mon sort de traduction ? Sans ce dernier, nous n’allons guère pouvoir nous comprendre…

— Vous n’aurez qu’à utiliser des phrases simples. Par exemple, me décrire des objets de cette table, des personnes autour de nous… C’est bien comme ça que l’on apprend une langue étrangère, non ?

— Vous êtes très inventif, Randall. J’apprécie votre ingéniosité. »

Le sourire du chasseur s’élargit de plus belle, avant qu’il ne le dissimulât grâce à sa tasse et son thé. Le regard de Posie allait et venait de l’un à l’autre, et ses moustaches se redressaient tandis qu’elle poussait de doux miaulements amusés.

« Vous allez bien ensemble, miaître, lâcha-t-elle finalement, cette fois-ci en langue commune, agrémentée de son fort accent. Elle est gentille. Je comprends pourquoi vous l’aimez bien ! »

Elle se releva finalement, déposant sur la table quelques pièces afin de régler sa propre consommation – et même un peu plus, probablement en cadeau pour éviter au chasseur de payer encore une fois pour tout le monde –, et s’en alla d’un pas léger, sa queue rayée de noir et de roux se balançant de gauche à droite avec allégresse. Elenaril resta silencieuse, guettant la réaction de Randall pour savoir comment elle-même devait réagir. Le chasseur ne disait rien, enfonçant davantage son visage dans la tasse – mais n’était-elle pas vide, désormais ? –, et si le rouge qui montait à ses joues n’était pas dû à la chaleur qui se dégageait de celle-ci, alors Elenaril était convaincue que c’était là une réaction physiologique normale lorsqu’un individu ressentait un embarras difficilement contrôlable, comme l’autre fois, dans l’aile médicale. Il finit par se racler la gorge, mettant un terme au silence qui s’était installé, et reposa doucement la tasse sur la table.

« Pourriez-vous m’apprendre un peu votre langue, alors ? finit-il par dire. Nous pourrions commencer par des expressions toutes simples. Et si vous le désirez, je pourrai vous apprendre la nôtre.

— Si vous le voulez, Randall, alors c’est d’accord. Et que diriez-vous d’apprendre aussi notre écriture ? J’ignore comment s’articule votre langue à l’écrit, mais peut-être pourrions-nous trouver des similitudes dans la graphie qui vous permettraient de comprendre plus facilement le système que nous employons. »

Il semblait quelque peu perdu, en témoignaient ses sourcils froncés. Était-ce à cause du langage qu’elle utilisait ? L’inconvénient d’être une personne lettrée et plongée constamment dans ses recherches, ainsi que dans un entourage de scientifiques et autres personnes hautement éduquées, était qu’il était aisé d’oublier que tout le monde n’avait pas le même accès à la connaissance, et que cela pouvait aussi s’exprimer à travers le langage un peu pointu qu’elle utilisait, et que lui ne comprenait pas.

« Commençons, alors, le voulez-vous ? Mais je compte sur vous pour me sortir de la panade si quelqu’un vient nous parler alors que mon sort est dissipé ! »

Il rit doucement. Sa voix était si agréable ! Un instant, elle se laissa divaguer, emportée par cette belle mélodie, et ces yeux amusés qui la scrutaient avec gentillesse. Randall était sincèrement curieux au sujet de Nirn, Tamriel et l’Archipel de l’Automne. Elle était si heureuse de l’avoir rencontré, et de s’être autant liée à lui malgré les différences qui opposaient leurs deux univers. Une scientifique et un chasseur, voilà qu’ils formaient un étrange duo ! Mais à ses yeux, ils étaient complémentaires, tout comme les deux faces d’une pièce. Ils allaient bien ensemble, elle en était convaincue. Et du fond du cœur, elle espérait que cela resterait ainsi pour toujours.

« Bien. Vous êtes prêt, Randall ?

— Attendez, nous devrions peut-être convenir d’un signe à faire lorsque nous aurons besoin de pouvoir dialoguer à nouveau, non ? Comment vais-je pouvoir vous faire savoir que j’ai à vous parler ? »

Elenaril ne put contenir son amusement, et se permit de pouffer tant les inquiétudes de Randall étaient drôles, bien que toutefois légitimes.

« Dans ce cas, que dites-vous de celui-ci ? »

Elle serra ses doigts en un poing qu’elle secoua deux fois, avant de les écarter. L’équivalent en langue des signes altmeri du verbe « cesser » – bien que très peu de personnes usassent de cette langue, principalement parce qu’elle avait été développée par des sourds ayant fui l’Archipel de l’Automne autrefois, et qu’il n’y avait aucune place pour les infirmités quelles qu’elles fussent chez les Altmers, aussi triste cela pût être pour les personnes n’y étant guère habituées. L’homme tenta d’émuler son geste, bien que maladroitement, mais finit par donner son accord.

Elenaril dissipa alors son sort, du bout des doigts, encore une fois. Le brouhaha ambiant duquel elle pouvait jusqu’alors tirer quelques sons devint une masse informe de bruits inintelligibles dont elle ne comprenait absolument rien. Il lui fallut un instant ou deux pour s’y habituer, et pour parvenir à se concentrer sur Randall qui, en face d’elle, lui posa quelques questions dans sa langue natale. Enfin, elle s’imagina qu’il s’agissait de questions à l’intonation, mais en réalité, elle n’en savait rien.

« Nanye Elenaril, fit-elle. Nat Randall. »

Il répéta maladroitement, cherchant à articuler correctement les sons consonne, et même s’il y parvint rapidement, il peinait à reproduire l’accentuation particulière de l’altmeri. Lorsqu’il commença à comprendre la différence entre nanye, « je suis », et nat, « tu es », il commença à l’utiliser correctement.

« Nanye Randall, tenta-t-il alors, bien que maladroitement dans l’intonation à mettre sur les sons voyelle. Nat Elenaril. »

Elle applaudit afin de l’encourager. Il semblait plutôt fier de ses prouesses.

Pendant de longues minutes, elle lui apprit plusieurs mots de vocabulaire altmeri, et tenta de lui enseigner à compter, ainsi que des phrases un peu plus longues. Elle perdit bien rapidement son public, bien qu’il s’accrochât de toutes ses forces. Peut-être allait-elle trop vite pour lui. Si elle avait été à sa place, si cela avait été lui qui lui apprenait la langue d’Astera, alors peut-être aurait-elle eu besoin de davantage de temps. Elle s’excusa – bien qu’il ne pût comprendre le sens derrière ses paroles –, et reprit doucement.

Toutefois, leur petite leçon fut soudainement interrompue par l’arrivée de Máel, si Elenaril se souvenait bien de lui, l’un des chasseurs œuvrant à Astera, qui avait été chargé de s’occuper et de guider les nouveaux arrivants de la Cinquième Flotte. Cela fit tout drôle à l’Altmer que de le voir se déplacer en-dehors du poste de commandement, où elle l’avait toujours aperçu, mais peut-être souhaitait-il manger un bout, ou bien boire quelque chose ? Pourtant, à voir la mine grave de Randall, leur discussion n’avait rien de plaisant. Et ce ne fut qu’une fois le jeune homme reparti que le chasseur fit le signe, appelant Elenaril à relancer son sort.

« Que voulait-il ? interrogea-t-elle, un peu inquiète par l’air qu’affichait Randall. Quelque chose ne va pas ?

— Son grand-père… Le Commandant, pardon, veut nous voir. Je suis désolé, je dois y aller. »

Il sortit de sa sacoche une poignée de pièces, qu’il entassa aux côtés de celles que Posie avait laissées un peu plus tôt. Puis il se releva, attrapant du bout des doigts ses béquilles afin de s’appuyer dessus. Elenaril nota que les tremblements de ses bras s’étaient calmés ; il commençait à s’habituer à se déplacer ainsi. Mais l’expression sombre qui traversait son visage, elle, ne disparaissait pas.

« Je vous retrouverai tout à l’heure, d’accord ? En attendant, n’hésitez pas à vous promener autant que vous le voulez, Astera est à vous. »

Il n’attendit même pas sa réponse, et s’éloigna pas à pas, avançant tant bien que mal jusqu’à l’ascenseur, en contrebas. Elenaril le regarda disparaître, un pincement au cœur. Pourvu que les nouvelles ne fussent pas trop mauvaises pour lui. Elle hésita à le rejoindre, à le suivre discrètement pour savoir de quoi il en retournait, mais elle se ravisa. Randall avait droit à son intimité, et s’il n’avait pas voulu qu’elle l’accompagnât, alors elle devait respecter son souhait.

Mais l’Altmer devait admettre que l’inquiétude commençait lentement à la ronger de l’intérieur…

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