La Fiole Blanche

Chapitre 4 : La ruse de Mogrimm'Dar

5317 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 13/04/2025 08:37

Ombrenoire s’enfonçait dans l’obscurité en un tunnel sinueux. Ses parois couvertes de glaces, étaient larges et sa voûte, d’une hauteur suffisante pour permettre à de grandes créatures comme des trolls, de s’y déplacer sans difficultés. Il y régnait un silence angoissant, seulement troublé par le discret écho cristallin des gouttes d’eau qui tombaient par intermittence le long des stalactites. Plus ils progressaient, plus les traces d’une ancienne activité humaine étaient visibles. Des caisses étaient empilées dans un coin à côté de divers outils, et plus loin, ils passèrent devant une table et d’une chaise renversée. Au bout d'un certain temps, le passage déboucha sur un grand espace où des plateformes en bois avaient été construites afin d’aménager le sol de la caverne. On y avait installé des tentes confortables, entourées par quelques meubles de rangements et des râteliers d’armes. Un petit espace pour cuisiner se trouvait près d’un feu de camp — éteint depuis longtemps. Il y avait même, au fond de la caverne, une forge.

- Ouaaah, lâcha Agmund, en observant les derniers vestiges du lieu de vie des bandits.

- Ils étaient bien installés, dit froidement Calyndra. Leurs vols devaient être lucratifs.

Mais à regarder le campement plus attentivement, on se rendait compte de la violence de l’attaque des trolls. De longues estafilades avaient perforées certaines tentes, signifiant qu’ils avaient été surpris par les créatures dans leur sommeil. Quelques armes aux lames encore ensanglantées, traînaient dans la poussière à côté de flèches à la hampe brisée. Mais il n’y avait aucun corps, seulement du sang séché dispersé un peu partout.

De larges trainées sanglantes sur le sol, menaient jusqu'à une ouverture étroite au fond de la caverne, qui s'enfonçait encore plus profondément sous terre. L'abominable puanteur venait de cet endroit.

- Où cela mène-t-il ? demanda la Haute-Elfe à Mogrimm'Dar.

- Au bout de ce tunnel se trouvait leur tanièrrre. C'est là, que les trrrolls ont emportés les corps des Brrrigands.

Agmund fut parcouru d'un frisson. Calyndra posa une main sur son épaule, puis s'approcha du Khajiit.

- Et les trolls, vous les avez tous tués ?

- Leurs restes s'y trrouvent encorre, si vous voulez y jeter un œil... répondit-t-il avec un geste d'invitation.

La jeune femme le fixa pendant quelques secondes, jaugeant l'expression de son visage triangulaire.

- Non, ça ira.

Son regard était devenu aussi sombre qu'une nuit sans lunes, ce qui effaça le sourire légèrement narquois du Khajiit.

- Dans ce cas, je propose qu'on allume un feu avant qu'ont finissent tous par se changer en stalagmites... dit l'adolescent qui sautillait sur place en se frottant énergiquement les bras.

Mogrimm'Dar hocha la tête et s'éloigna en direction du passage menant à l'entrée de la grotte.

- Mogrimm'Darrr va poser des pièges. S'il y a un intrus, nous serrons tout de suite alerrrté.

Calyndra et Agmund se chargèrent quant à eux, de préparer leurs couchages pour la nuit. Dénichant les couchettes les moins abîmées et les moins sales, ils les ramenèrent près du feu de camp, qu'ils entreprirent ensuite d'allumer. Ne voulant pas délaisser l'apprentissage du jeune Nordique, Calyndra lui demanda d'allumer le feu par magie.

- Si tu as pu lancer un sort de glace, un sort de feu devrait être à ta portée. Mais fais attention, la prévint-elle, le feu est bien plus difficile à contrôler.

Agmund se concentra, la main tendue vers le tas de bois. Une brève lueur rougeoyante, palpita près de sa paume, puis s'éteignit. Le Nordique réessaya à plusieurs reprises ; sans succès. Avant de pousser un soupir de frustration.

- Je ne sais pas pourquoi... mais je n'y arrive pas.

- Essais avec ton bâton de destruction, suggéra patiemment Calyndra. Il est plus facile de canaliser un sort avec les bâtons.

Il opina et défit la lanière dans son dos qui retenait l'ancienne arme de son père. Sculpté en forme d'une tête de dragon à son extrémité, il était marqué par endroit par de profondes éraflures, comme si on l'avait utilisé pour parer une lame. Le bois en noyer à force d'être tenu en main, était devenu extrêmement poli en son centre : Il avait souvent servi. Ce qui n'avait rien d'étonnant. Son père, Havmir Reflet-Ardent, avait combattu durant des années dans l'armée du Yarl Ulfric Sombrage, avant de périr au combat.

Agmund, tenant le bâton entre ses mains, se concentra à nouveau. Il sentit immédiatement la différence. L'énergie passait à travers lui, comme s'il était animé d'une volonté propre. Le saphir en forme d'œil, incrusté dans le bois, s'illumina comme si le dragon avait subitement pris vie et un jet de flemmes embrasa le tas de branches.


***


Plus tard, rassemblés près de la chaleur du feu, ils se forcèrent à avaler un peu de leurs provisions. Même Agmund, avait perdu l'appétit. L'odeur nauséabonde ne les lâchait pas, tout comme leur anxiété.

- Alors Mogrimm'Dar... comment se fait-il que vous vous soyez trouvé là, précisément au moment de l'attaque ? demanda la jeune femme en rompant le silence, l'écho de sa voix ricochant contre les murs.

L'atmosphère déjà inconfortable, s'alourdit encore d'avantage.

- Ce Khajiit devrrrait commencer par le début, répondit l'ami d'Eddling, en s'étirant longuement. Puis il passa nonchalamment une griffe entre ses canines pointues, afin d'y déloger des morceaux de viande séchée qui y étaient restés coincés.

Son attitude exagérément décontractée, n'était pas sans provoquer une pointe d'agacement à la Haut-Elfe.

- Nous devions rejoindre Fort-Ivarr pourr y attendre Eddling. Mais en approchant du village, nous nous sommes aperçus que toute une trrroupe de ces satanés Impérrriaux y était déjà.

Calyndra et Agmund échangèrent un regard.

- Sachez que Mogrimm'Dar n'était encorrre qu'un tout petit chaton quand des mains sans griffes l'ont arrraché aux siens. Ces maudits Impérrriaux l'ont enchaîné et vendu comme on vend un lapin au marché. Ce Khajiit sent encore la froideur du fer sur sa peau, entend encore les bruits des chaînes à ses orrreilles.

Il grimaça à ce souvenir.

- Alors attendre là-bas ? Non. Nous avons campé dans les bois, tapis sous les étoiles, en espérant que ces maudits sans-grrriffes se lassent et s'en aillent. 

Une lueur espiègle passa dans ses yeux verts et dorés.

- Une nuit, Mogrimm'Darrr était parti emprunter un peu d'alcool à la taverrrne.

Calyndra leva un sourcil.

- "Emprunté" ?

Le Khajiit poursuit son récit comme s'il n'avait rien entendu :

- Mais lorrrsque ce Khajiit était revenu, le camp était silencieux. Louve n'était plus là. Ces maudits l'avaient enlevée.

- Vous ne l'avez pas retrouvée ? demanda Agmund avec gravité.

L'Homme-Chat balaya la question d'un léger geste de la main.

- Oh si... répondit-il, il a été aussi facile pour ce Khajiit de suivrrre leur piste que de crrrocheter une serrure mal verrouillée. Ils ont un grrrand campement à l'ouest. C'est là qu'ils retiennent Louve dans une cage, attendant de lui arracher des parrroles sur la Fiole Blanche.

- Alors, vous avez tenté de la sauver, mais sans succès ? Supposa le jeune Nordique.

À l'étonnement de l'adolescent, Mogrimm'Dar laissa échapper un ronronnement amusé, sa longue queue battant l'air.

- Elle n'est pas un jeune louveteau égarrré. Non, ce sont ces sans-griffes d'Impérriaux qui sont à plaindre. Ils garrrdent bien plus qu'une simple prisonnière, croyez-en Mogrimm'Dar.

Par-dessus les flemmes crépitantes, la Haute-Elfe lui lança un regard consterné.

- Et vous n'avez encore rien tenté pour la libérer ? Vous devez être un piètre voleur.

Ne relevant pas sa dernière remarque cinglante, le Khajiit répondit en reprenant son sérieux :

- Non, il aurait été trop imprrrudent de tenter quelque chose alors que Mogrimm'darr était lui aussi recherché. Il fallait faire preuve de patience, jusqu'à ce qu'une occasion se prrésente.

- Cela n'explique toujours pas comment vous avez pu tomber sur nous par hasard, relava Calyndra.

- Oui, ce n'était pas un hasarrrd, confirma Mogrimm'Dar. Mais de la chance.

Cette fois-ci, ce fût au tour de la Haute-Elfe de laisser échapper un rire sans joie entre ses lèvres.

- La chance... n'est pas une explication suffisante, Khajiit.

Il haussa les épaules et se mit à jouer avec une pièce entre ses doigts.

Agmund, qui observait avec désapprobation leur joute verbale, n'osait pas intervenir de peur de diriger les foudres de la jeune femme contre lui.

- Mogrimm'Dar n'est pas votrrre ennemi, souffla le Khajiit. Mais il a l'habitude d'être traité avec méfiance. Laissez-le finir son histoire et aprrrès, vous serrez libre de le croirre ou non.

Il continuait de faire passer la pièce d'or d'une phalange à une autre, de plus en plus vite. Au point, qu'on ne distinguait plus qu'un mouvement flou et doré entre ses doigts. Une telle dextérité impressionna l'adolescent, qui ne pouvait en détacher le regard.

- Très bien, on vous écoute, lâcha Calyndra en essayant de rassembler le peu de patience qui lui restait.

- Morgimm'Darr marchait sous les lunes jumelles, quand lui est parvenu des voix dans la nuit. Ce Khajiit n'avait pas sentit l'odeur des Impérriaux, mais il avait flairré autre chose. C'était l'odeur sournoise du groupe qui vous a attaqué. Ce Khajiit s'apprêtait à glisser dans l'ombrre pour retourner dans sa cachette, quand l'un d'eux a souffler des mots que le vent a emporrrté jusqu'aux orreilles attentives de Mogrimm'Dar. "Fiole Blanche" avait-ont murmuré. Il ne fallut pas plus pour éveiller la currriosité de ce Khajiit...

Il se tourna vers Calyndra et ajouta:

- Cette mage qui a subit votre courrroux, a parrlé de vous et d'Agmund et de la façon dont ils allaient vous tendrrre un piège. Ils devaient se débarrasser de vous avant que d'autres n'apprennent l'existence de la Fiole Blanche. Ce Khajiit a aussi entendu des murmures à propos d'une trahison. Ces sans-grrriffes d'Impérriaux ont brisé leur accord. Ils ont laissé en vie quelqu'un qui n'aurait jamais dû voir une autre aube. Une queue de trop dans la chasse à l'arrrtéfact.

- Ils parlaient de Louve, n'est ce pas ? Demanda Agmund.

Mogrimm'Dar hocha la tête.

- Oui jeune mage, Louve aurait dû être réduite au silence dès les prrremiers instants. Pas enchaînée, ni prrrisonnière. Ils étaient très en colère de leur désobéissance, et surrtout, car ce Khajiit leur avait échappé.

Il plissa les yeux et serra la pièce d'or entre ses griffes.

- Mais ce n'est pas tout... ils ont parlé d'Eddling. 

Mogrimm'Dar sembla hésiter, sa décontraction habituelle avait soudainement disparue. 

- Ils ont dit... qu'il ne serrait bientôt plus qu'un nom dans le vent.

Il les observa tour à tour, comme s'il avait espoir que l'un d'entre eux démente ses paroles. En voyant leurs mines défaites, les épaules du Khajiit s'affaissèrent. La tête basse, il fixa les flemmes qui dansaient en se reflétant dans ses yeux aux couleurs chatoyantes.

- La vie est comme le sable sous les pattes, dit-il en prenant une poignée de cendre tiède. On croit l'avoir, mais il glisse toujours entre les grrriffes.

À ces mots, les cendres, passèrent à travers son poing serré.

- Ce n'est pas juste... non. Ce Khajiit aurait voulu avoir encore quelques lunes en sa sage prrrésence...

Il y eut un silence, où chacun resta un moment plongé dans ses pensées. Quand tout à coup, Mogrimm'Dar se redressa.

- La fiole... si nous la trouvons et qu'il n'est pas encore trrop tard...

- Si la légende est vraie, elle pourrait sauver Eddling, acheva calmement Calyndra.

Agmund, assis en tailleur, attisait les flemmes du bout d'une branche en essayant d'ignorer leurs regards posés sur lui.

- J'y ai moi aussi songé, finit-il par dire. Mais je ne veux pas m'accrocher à un espoir qui peut être vain. Cela me ferait beaucoup trop de mal... Il est le dernier membre de ma famille encore en vie.

Calyndra se rapprocha de lui.

- Comme je te l'ai dis ce matin, tu fais partie de ma famille. Quoi qu'il arrive à Eddling, tu ne sera pas seul, je t'en fais la promesse.

Le garçon acquiesça, mais gêné par la proximité de la jeune femme, se passa plusieurs fois la main derrière la nuque pour s'empêcher de rougir. S'il n'avait pas été aussi timide, il lui aurait avoué que depuis qu'elle était revenu dans sa vie, il se sentait enfin véritablement heureux. Avoir dû assister au déclin de son oncle, l'avait petit à petit, réduit à vivre tel un fantôme, errant, en attendant désespérément que le cours de sa vie s'améliore.

- Ce Khajiit sent ta douleur, il la connaît, dit doucement Mogrimm'Dar. Mais même si une seule étincelle d'espoir brrrille encore pour Eddling, nous devons la saisir avant qu'elle ne s'éteigne.

Calyndra approuva ces paroles d'un hochement de tête, mais n'ajouta rien. Elle savait qu'Agmund avait souffert. Elle l'avait vu sur son visage, le jour de son arrivée. Leurs regards se croisèrent. Comme brûlé par ce contact, le jeune Nordique avait détourné les yeux, pour se plonger dans la soudaine contemplation de ses bottes.

S'apercevant de l'embarras du garçon, Calyndra cru qu'il était ému. Désireuse de lui éviter davantage de gêne, elle se tourna vers Mogrimm'Dar pour relancer la conversation :

- Votre amie Louve, vous savez comment la libérer ? 

En réponse, le Khajiit lui adressa un sourire malicieux.

Mogrimm'Dar leur dévoila son plan, qu'il prévoyait de mettre en œuvre dès le lendemain.

Ils passèrent donc le reste de la soirée à élaborer leur stratégie. Puis épuisés, se préparèrent à se coucher.

- Je prends le premier tour de garde, annonça la jeune femme d'une voix qui ne sous-entendait aucune objection.

- Et moi je prendrais le second tour, répondit précipitamment Agmund, afin de devancer le Khajiit.

Mogrimm'Dar hocha la tête et se pelotonna sur sa couche en paille.

Le Nordique ne voulait pas être celui qu'on protège et couve, sous prétexte qu'il était le plus jeune et le plus inexpérimenté de tous. « Je dois faire mes preuves, sans tarder. » Pensa l'adolescent, en songeant aux récents évènements. Comment il avait perdu malencontreusement ses moyens face au danger. Étendu sur le côté, il regardait les flemmes mouvantes en se répétant inlassablement : « plus jamais je ne laisserais la peur prendre le dessus. Plus jamais. » Il s'endormit. Sa promesse résonnant encore dans son esprit, avant qu'il ne soit happé dans des cauchemars. 


Calyndra s'éloigna du campement, la petite sphère de lumière qu'elle avait à nouveau invoquée chassait les ombres sur sa route. Une fois qu'elle eut jugé être hors de portée des oreilles aiguisées du Khajiit, elle s'arrêta. La jeune femme se sentait préoccupée par les révélations de Mogrimm'Dar car son récit avait fait naître une grande inquiétude pour Eddling.

Son regard se porta sur la chevalière à son doigt et elle resta un moment à la fixer, perplexe. Puis elle secoua la tête faisant volter ses cheveux autour d'elle et lâcha un soupir agacé.

- Et puis zut ! Je ne peux pas rester ainsi sans agir ! maugréa-t-elle en se laissant tomber en tailleur.

Comme dans la petite chambre à Vendeaume, elle sortit sa dague de son fourreau mais cette fois-ci, ce fut au bout de son propre index qu'elle enfonça la pointe de la lame.

La goutte de sang qu'elle laissa tomber, luisit à la lumière de la sphère magique, avant de s'éclater sur la pierre au centre de l'anneau. Aussitôt, le rubis absorba le sang et s'illumina, projetant un halo écarlate sur le visage de la Haute-Elfe toujours penchée près du bijou. Après une longue respiration, elle ferma les yeux et murmura trois fois le prénom de l'alchimiste. 

Calyndra attendit. 

Elle sentait que l'argent de la chevalière à son doigt était devenu chaud, mais en dehors de ce fait étrange, elle n'entendait rien.

- Eddling ? Demanda-t-elle d'une voix hésitante, Eddling, vous êtes là ?

- Oui, je t'entends, répondit la voix du vieux Nordique, la faisant sursauter.

- Que se passe-t-il ? demanda-il d'une voix inquiète, est-ce qu'Agm... 

- Agmund va bien, s'empressa de l'interrompre Calyndra, et moi aussi. Nous avons retrouvé Mogrimm'Dar. 

Elle entendit Eddling laisser échapper un soupir de soulagement.

- Il y a autre chose, sinon, tu n'aurais pas pris le risque d'utiliser ma chevalière. 

Instinctivement, la jeune femme acquiesça avant de se rendre compte qu'Eddling ne pouvait la voir. 

- Oui en effet, confirma-elle en prenant soin de répondre à haute voix cette fois-ci. 

- Nous avons été attaqué par un groupe faisant partie d'une guilde appelée les chasseurs de reliques. Apparemment, leur chef recherche la Fiole Blanche et a ordonné à ce que tous ceux en quête de cet artéfact soient éliminés. 

Calyndra parlait de plus en plus vite car elle commençait à ressentir les effets négatifs du sort qui usait de son énergie et celle d'Eddling pour maintenir leur lien mental. 

Le vieil alchimiste devait l'avoir ressenti lui aussi, songea la Haute-Elfe, car il ne l'interrompit pas.

- Cette guilde collabore avec les Impériaux qui détiennent Louve prisonnière. De ce que nous savons, elle est encore en vie. Mais je voulais vous prévenir Eddling, dit Calyndra d'une voix grave, jusqu'à maintenant, ils vous estimaient comme inoffensif, mais maintenant qu'ils savent que vous nous avez envoyé en quête de l'artéfact, ils risquent de s'en prendre à vous. 

- C'est bien possible, dit Eddling d'une voix songeuse.

L'image de son ancien mentor en train de se passer une main sur son crâne chauve - comme il le faisait souvent lorsqu'il réfléchissait, apparu dans l'esprit de Calyndra.

- Merci de m'avoir averti, ajouta Eddling, je serai sur mes gardes. 

Le temps commençait à leur manquer. Car à présent, une grande fatigue s'insinuait en eux, brouillant leurs pensées et ankylosant leurs membres. 

- Allez-vous pouvoir vous en sortir ? demanda Calyndra. 

Que son ancien mentor soit ainsi exposé au danger alors que sa santé était si fragile, l'inquiétait au plus haut point. 

Comme s'il avait lu dans ses pensées, Eddling répondit avec assurance :

- Oui mon enfant, j'ai peut-être de vieux os mais je n'ai pas encore perdu toute ma sagacité. Je connais bien des cachettes et Verick saura me protéger. 

À ces mots, la jeune femme crut entendre le vieil alchimiste laisser échapper un juron et murmurer dans sa barbe quelque chose au sujet du salaire de son assistant qu'il allait devoir augmenter. 

Mais la fatigue devenait encore plus intense, poussant Eddling à conclure :

- Allons bon ! Il nous faut rompre le contact sans tarder, mon enfant, si je ne veux pas saluer tout de suite mes Aïeux ! 

- Oui Eddling ! S'exclama Calyndra, faites attention à vous ! 

Elle ne sut pas exactement comment, mais elle sentit qu'Eddling avait mis fin au sort qui reliaient leurs esprits. Cette soudaine absence, lui serra la gorge et lui fit monter les larmes aux yeux. 

À des kilomètres de là, le vieil alchimiste porta son regard vers le ciel étoilé à travers les carreaux de la fenêtre de sa chambre.

- Bonne chance mes enfants, murmura-t-il, que Talos vous garde...


***


Il sembla à Agmund avoir à peine fermé l'œil une seconde, quand il sentit qu'on le secouait doucement.

- C'est moi Ag, souffla Calyndra en voyant son air confus.

Elle venait de l'arracher d'un rêve où il était pourchassé en pleine forêt par des loups monstrueux.

- Oui, excuse-moi... Tout va bien ? Demanda-t-il en se levant tout en essayant de rassembler ses pensées.

- Rien à signaler, à part que le Khajiit ronfle, dit-elle en désignant le coupable d'un signe de tête.

Puis elle lui lança un regard en coin.

- Tu étais très agité dans ton sommeil.

Il haussa les épaules et répondit avec un geste englobant les alentours :

- Difficile de bien dormir dans un lieu aussi sinistre.

On entendait le sifflement du vent passer à travers des ouvertures étroites de la grotte, en un son semblable aux gémissements d'un spectre. Elle acquiesça et encore frissonnante, se réfugia sous ses couvertures. Agmund s'éloigna, mais se tint à bonne distance du passage piégé. À la place, il s'adossa contre la paroi glaciale de la caverne. De cette façon, il avait à la fois une vue sur le tunnel menant à l'entrée de la grotte, ainsi que sur l'espace où ses compagnons dormaient. La roche froide lui mordait la peau du dos, le gardant éveillé. Il veilla plusieurs heures durant. Le feu de camp, qu'il devait entretenir pour le garder allumé, était son seul repère sur le temps qui s'écoulait. Quand il sentit ses yeux devenir lourds, il sût que le moment était venu de réveiller Mogrimm'Dar. Mais les ronronnements sonores du Khajiit s'interrompirent avant même qu'Agmund n'est eut le temps de s'approcher de lui. Mogrimm'Dar s'était soudainement redressé, les oreilles plaquées en arrière et la queue hérissée. Son faciès se figeant en une grimace qui laissa passer un feulement strident entre ses dents pointues.

- Qu'est-ce qui se p... voulu demander Agmund au Khajiit, avant de s'interrompre brusquement.

Un abominable hurlement venait de retentir à travers la caverne.

Le cri bestial fit dresser les poils de la nuque d'Agmund et Calyndra s'éveilla en sursaut en regardant partout autour d'elle d'un air affolé.

- Bon sang, c'était quoi ça ?

Son regard accusateur c'était tourné vers le Khajiit.

- Un Trrroll-des-Glaces, répondit Mogrimm'Dar entre ses crocs.

- Ah oui ? N'étaient-ils pas censés être tous morts ? Fulmina la Haute-Elfe en empoignant son long bâton d'ébène. Je n'aurai jamais dû vous faire confiance !

Le Khajiit secoua lentement la tête, les moustaches frémissantes.

- Normalement oui, nous les avions chassés de flèches et de lames enflammées. Ils avaient tous brrrûlé. Mais peut-être que d'autres trrrolls sont venu s'établir ici après le déparrrt de ce Khajiit et de sa partenaire.

- Je ne veux pas vous interrompre, intervint l'adolescent d'une voix aiguë, mais je n'ai pas vraiment envie de finir dans l'estomac d'un troll. Alors, si on pouvait en profiter pour sortir rapidement de cette maudite grotte avant que ces monstres ne nous repèrent... 

Agmund essayait de faire bonne figure, serrant avec force son bâton de destruction entre ses mains légèrement tremblantes. Calyndra retint les paroles cinglantes qu'elle voulait lancer à Mogrimm'Dar. Les mâchoires serrées, elle lança un sort de détection des vivants et se concentra. Après quelques secondes d'observation, elle repéra une lueur rougeoyante en direction de la tanière des trolls. Fort heureusement, la créature était à un point suffisamment éloigné pour être concidérée comme une menace imminente.

- On ne craint rien pour l'instant, dit-elle en continuant son inspection magique. Mais on ne peut plus rester ici.

Mogrimm'Dar et Agmund ne la contredirent pas.

Ils avaient tous hâte de regagner la surface.



***


Le chariot de marchandises avançait en bringuebalant sur la route caillouteuse, ses roues fatiguées grinçant sous le poids de caisses pleines de bouteilles s'entrechoquant bruyamment au rythme de sa lente progression. Ce qui ne semblait nullement déranger la silhouette encapuchonnée qui le conduisait. Un peu plus loin, une patrouille impériale lui fit signe de s'arrêter.

- Oh... tout doux... chuchota une voix masculine à la jument pommelée attelée au chariot.

L'embarcation s'immobilisa.

- Halte-là ! Fit un Impérial en s'approchant pour se tenir à la hauteur du marchand. Son plastron de plate sombre orné du blason de l'Empire - un dragon aux ailes déployées - brillait sous le soleil déclinant. Une cape écarlate, bordée de fils dorés, tombait dans son dos, frôlant le sol à chacun de ses pas. Autour de lui, les autres soldats arboraient une version plus simple de son armure, sans cape ni ornement. Tous portaient un casque fermé, ne laissant voir que l'éclat de leurs yeux.

Le commandant, lui, avançait tête nue, révélant un visage dur, taillé à la serpe et marqué d'une cicatrice ancienne courant de la tempe à la mâchoire.

Son rang ne faisait aucun doute.

- Veuillez soulever votre capuche, ordonna-t-il, la tête légèrement inclinée sur le côté pour mieux discerner le visage dans l'ombre.

Le marchand obéi, découvrant des cheveux auburn aux mèches rebelles, encadrant un visage beaucoup plus jeune que ce que le commandant avait imaginé.

- Par décret Impérial, cette route est soumise à notre contrôle, déclara-t-il en brandissant avec un plaisir non dissimulé le décret en question.

Agmund y jeta un œil ; sous l'écriture finement calligraphiée, figurait le sceau rouge de l'Empire. Mais sans lui laisser le temps de lire, l'homme à la cicatrice enroula déjà le document entre ses mains gantelées de fer.

- Pour commencer, veuillez décliner vos identités, ajouta-il ayant remarqué la présence d'une deuxième personne marchant à côté du chariot.

Celle-ci portait aussi une longue cape à capuchon, mais sa silhouette était plus haute et fine.

- Je m'appelle Erinya, et voici Bjornir, répondit posément Calyndra. J'accompagne ce jeune marchant afin de veiller à ce qu'il atteigne sa destination en toute sécurité.

- Madame... fit le commandant en l'observant de pied en cape. Les routes sont dangereuses, surtout quand elles sont... mal fréquentées.

Autour d'eux, les soldats avaient commencé à faire le tour du chariot, les encerclant lentement.

- Ne vous inquiétez pas, l'interrompit-elle en essayant de garder un ton calme et aimable, malgré la menace. Je suis une mage expérimentée : les voyages sous ma protection se passent toujours sans encombre.

- Hum... tout à fait, répondit Agmund, avec un toussotement nerveux destiné à attirer l'attention du légionnaire.

Du coin de l'œil, il avait vu la main de Calyndra glisser lentement vers le manche de son bâton d'ébène.

La veille, Mogrimm'Dar leur avait expliqué son plan. Le Khajiit et Louve avaient fait l'heureuse découverte de ce chariot rempli d'alcool fort parmi les nombreuses marchandises volées des bandits d'Ombrenoire. Mogrimm'Dar avait donc eu l'idée de l'utiliser à bon escient. Jusque-ici, tout s'était déroulé comme prévu. Mais ils ne devaient en aucun cas se faire arrêter, ou rentrer en conflit.

- Voyez-moi ça ! S'écria un des soldats en inspectant le chariot, de l'eau-de-vie de Cyrodiil !

Il amena une bouteille à son supérieur qui, après un rapide examen, hocha la tête.

- Une marchandise précieuse... à qui est-elle destinée ?

Un silence s'abattit.

Le regard du commandant se durcit, il porta lentement une main à son épée.

- Il vaudrait mieux pour vous de ne pas me faire attendre, je ne suis pas connu pour ma patience... ajouta l'Impérial.

- C'est... une commande spéciale, répondit Agmund, jetant un regard anxieux à Calyndra.

Son cœur battait la chamade. Le moment décisif approchait. Si cela tournait mal, un seul mot de travers suffirait à les faire massacrer sur place.

Le silence s'éternisa encore. Le commandant fronça les sourcils. Sa main se referma un peu plus sur son arme. L'un des soldats s'était rapproché, près à tirer son épée.

Calyndra, elle, s'était légèrement tournée de profil. Prête à frapper, elle aussi. Le bâton d'ébène avait quitté son dos.

Le Nordique inspira discrètement par le nez et murmura la gorge sèche :

- Des Sombrages.

Le visage de l'Impérial se crispa, une colère froide s'allumant dans ses yeux.

- Une commande pour ces chiens de l'Est, hein ? gronda-t-il entre ses dents serrées.

Il fit un signe de tête à ses hommes en direction du chariot.

- On va confisquer ça.

- Attendez... vous ne pouvez pas... protesta Agmund.

- Ne faites pas l'imbécile. Vous devriez savoir que toute marchandise destinée aux rebelles est formellement interdite et doit être immédiatement saisie.

Déjà, les légionnaires s'activaient à détacher la jument de l'attelage. L'animal s'ébroua nerveusement.

- Chut... Torrentiel, tout va bien, murmura doucement Calyndra à son oreille. 

- Coopérez, ajouta le commandant d'un ton sec. Et estimez-vous chanceux que je ne vous fasse pas exécuter pour trahison.

Ils regardèrent les hommes atteler le chariot à une de leurs montures, puis s'éloigner en direction de leur campement. Après avoir poussé intérieurement un profond soupir, Agmund vit sous sa capuche, le sourire triomphal de la Haute-Elfe.

C'était gagné.

Une fois hors de vue, ils bifurquèrent dans les fourrées et grimpèrent, à pas souples, la colline qui dominait le campement Impérial. Là, adossé à une pierre moussue, Mogrimm'Dar les attendait, faisant tournoyer sa pièce en or entre ses griffes. L'adolescent s'accroupit près de lui, le souffle court.

- C'est fait. Ils ont pris l'appât, murmura-t-il avec un sourire satisfait.

Morgimm'Dar ricana en rangeant la pièce d'or dans la poche intérieur de son pourpoint de cuir.

- Bien sûr, que ces imbéciles allaient tomber dans le piège ! Leur cupidité et leur vanité ne connait aucune limite !

Calyndra, toujours debout, fixait d'un air pensif le camp en contrebas.

- Vous êtes certain qu'ils vont s'enivrer ? Ils sont si protocolaires...

- Ce Khajiit a vu le commandant des légions Impérriales, le Général Tullius, quitter le camp il y a quelques jours. De ce que Mogrrimm'Darr a pu voir, c'est un homme extrêmement strict et exigeant.

- Quand l'aubergiste n'est pas là... souffla la Haute-Elfe à voix basse.

Agmund esquissa un sourire.

- Les Ragnards festoient.

Ils restèrent silencieux, à attendre patiemment que le soleil décline lentement à l'horizon. Les étoiles apparaissaient déjà dans le ciel nuageux lorsque s'allumèrent torches et feux de camps entre les nombreuses tentes. Bientôt, des chants, des rires et des éclats de voix s'élevèrent dans l'obscurité : les Impériaux, enivrés par l'eau-de-vie, fêtaient leur prise ainsi que l'absence de leur général.


Quelque part au cœur du campement, une Nordique enchainée, leva la tête. Son regard perça l'obscurité, se posant sur la colline qui les dominait.

- Toi, là ! Qu'es que t'as à sourire comme une idiote ? grogna un soldat en frappant violemment les barreaux de la cage du bout de sa lance.

Le métal vibra dans un grincement rauque, mais la prisonnière ne cilla pas. Au contraire, son sourire s'élargit, moqueur.

- Oh... pour rien du tout, répondit-elle d'un ton amusé, rien du tout...

 

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