Honneur et Amertume

Chapitre 5 : La Bataille de la Marche de la Soif III : La Rescapée

4171 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/01/2021 12:40

La haute cime des arbres surplombait Shaiélaè et leur vaste feuillage frémissait sous la bise. Tant ils étaient grand que le campanile du temple de Taillemont aurait pu entier tenir entre deux troncs. Un doux tapis de mousse, de feuille et de bruyère tapissait le sol sur lequel était allongée, logée entre les racines tordues épaisses comme des chênes centaines et un bosquet de sumac vénéneux, véritable forêt sous la forêt.


"Suis-je morte ? "


Seul le souffle du vent et le vrombissement des insectes venaient troubler la quiétude des lieux. Et un rayon de soleil perçait à travers la futaie pour se poser exactement sur le visage de la petite elfe. Ce soleil la brûlait, et l'éblouissait.


Il fallut un effort colossal à Shaiélaè pour réussir à se lever et se décaler de quelques mètres. Elle se laissa enfin tomber d'un bloc sur l'humus frais , profitant de l'ombrage retrouvé. Ou non. Un vicieux éclat étincelant perçait également la pénombre à cet endroit, où elle était pourtant certaine de l'avoir vu dans l'obscurité. L'astre martelait son crâne, l'aveuglait en dépit de ses efforts pour se couvrir les yeux de la main. Shaiélaè se leva, s'enfuit. Le soleil la poursuivi où qu'elle se réfugie. Aucune feuille, aucune branche ne semblait pouvoir l'en protéger. Elle couru, poursuivie par le rayon et le bourdonnement de plus en plus intense des insectes. La panique la gagna. Elle ne voyait plus rien, n'entendait plus rien. Elle courrait à l'aveuglette harcelée par le bruit et la lumière, s'épuisant en vain de s'en protéger. Son pied dans sa course frénétique, se posa dans le vide et avec horreur, elle tomba, tomba, tomba...


Ses yeux s'ouvrirent d'un coup, ses poumons s'ouvrirent en grand en quête désespérée d'un peu d'oxygène. La flamme du soleil pénétra ses pupille, brûla ses yeux. Shaiélaè les referma aussitôt et poussa un cris qui se noya dans la masse de ceux qui résonnaient tout autour d'elle, aux quatre coins du champs de bataille. La petite elfe resta un instant à haleter penchée sur la terre. Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait. Une douleur atroce le bloquait la poitrine à chaque inspiration, comme jamais elle n'en avait connu avant.


Finalement habituée à la luminosité, elle osa jeter un œil autour d'elle. Elle était allongée au milieu de dizaines, de centaines, de milliers de corps qui jonchaient la vallée à perte de vue. Un essaim de mouche tourbillonnait autour d'elle. Les insectes se posaient sur sa peau pour s'y nourrir de sa sueur et de son sang. Le soleil amorçait sa course descendante à l'horizon. Il allongeait les ombres et rougissait peu à peu l'atmosphère, mais ses rayons dardaient encore cruellement.

La mémoire lui revenait peu à peu... Ils avaient trouvé les légions qui remontaient depuis le sud et derrière eux, le Domaine Aldméri arrivait. Elle avait passé la nuit à patrouiller et ne s'était endormie qu'à l'aube... pour se voir réveillée une poignée d'heures plus tard par l'ordre de se mettre en route. Ils avaient marché vers la vallée où la bataille faisaient rage. Elle avait vu les lignes interminables de soldats se faire face et s'entrechoquer. Sa cohorte longeait la crête des collines jusqu'à prendre place à l'extrême bord de la bataille, là où les formations s'arrêtaient brutalement.


Shaiélaè tenta de se relever. Ce mouvement lui arracha un gémissement. Un étau lui broyait la poitrine. La douleur insoutenable la força à se rasseoir, le temps de reprendre sa respiration. D'un geste agacé de la main, elle chassa les mouches qui tournoyaient autour d'elle. La bataille était finie, de toute évidence. Il n'y avait dans la vallée plus l'ombre d'un combat. Mais la petite elfe aurait bien été en peine de deviner lequel des deux camps en été sorti vainqueur et elle s'en fichait. Tout ce qui lui importait pour le moment, c'était de s'en aller d'ici. Le plus vite possible. Et boire. Jamais de sa vie elle n'avait eu la bouche si sèche.


Cavaliers et de chevaux morts jonchaient le sol dénudé à cet endroit. Shaiélaè n'avait aucune idée de comment se déroulait la bataille mais ici, les elfes avançaient et les légionnaires reculaient. Alors l'infanterie légère s'est mise à harceler les flanc ennemis pour le perturber. Ils attaquaient, se repliaient, lâchaient une volée flèche, forçaient l'ennemi à se mettre sur la défensive. Shaiélaè ne se sentait alors pas en danger, en sécurité au milieu de la cohorte. Quelques traits tombaient autour d'elle mais les aldmers se contentaient dans l'ensemble d'encaisser sans se laisser leurrer au point de rompre la formation pour s'en aller poursuivre ces agresseurs vifs et mobiles. Le soleil de plomb qui tambourinait au dessus de leurs crânes, lui, était en revanche un ennemi autrement plus implacable.


Étalée par terre quoique encore hébétée, Shaiélaè eu le loisir de contempler autour d'elle. La poussière soulevée par les milliers d'individus s'entretuant était retombée, recouvrant tout d'une fine pellicule ocre. Les cris et les gémissements de centaines de blessés emplissaient ses oreilles d'une musique atroce qui semblait ne jamais vouloir cesser. Des silhouettes déambulaient entre les corps, achevant celui-ci, ramassant celui-là. Ils portaient des armures de la Légion Impériale, aussi Shaiélaè supposa-t-elle qu'ils avaient gagné, finalement. Elle n'en tira aucun réconfort.


La petite elfe n'était pas sûre de vouloir attendre là que des brancardiers viennent la relever. Elle décida donc de refaire un effort pour se lever et quitter au plus vite cette vallée de la mort. Ses jambes tremblotaient faiblement lorsqu'elle parvint enfin à se tenir dessus, le visage tordu par une grimace de douleur. Shaiélaè tenta quelque pas. Une vague de douleur traversa son corps entier à chacun d'eux. Elle avait l'impression d'avoir été piétinée par un troupeau de mammouth. Ce qui, au fond, ne s'éloignait pas de la vérité.


Cela faisait bien une heure ou deux que le détachement d'infanterie légère attaquait, harcelait, reculait, frappait les points les plus faibles qu'il pouvait identifier. Mais soudain, les impériaux entendirent une trompe sonner et une grande clameur monter dans leurs dos. En se retournant, ils virent des cavalier approcher en nombre. Ils portaient des armures brillantes, des caparaçons dorés et un aigle flottait sur leur bannière sanglante et déchirée. La cavalerie aldmeri revenait. Les officiers impériaux ordonnèrent la retraite. Les soldats se hâtèrent de rejoindre les rangs des légions d'infanteries lourdes, dont les carrés de piques et de boucliers pourraient les protéger. Trop tard. La ligne de cavalerie s'avançait au pas inexorablement puis arrivée à quelques mètres , chargea au galop.


Shaiélaè se demanda où pouvaient donc pouvaient bien être passé les autres. Elle n'était tout de même pas la seule survivante, non ? Elle voyait pourtant bien trop de visages connus allongés dans la poussière, qui la fixaient de leurs yeux vides. Et Ioreck ? réalisa-t-elle d'un seul coup. Ce grand idiot bien trop brave pour son propre bien, pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé. Par Yffre, nous n'aurions jamais dû venir ici...


Pris de frénésie, Shaiélaè fouilla des yeux le sol autour d'elle, le cœur battant la chamade. Non, non, non, il ne pouvait pas être bien loin. Elle le portait toujours avec elle.... Elle finit par trouver ce qu'elle chercher, brisé en deux morceaux reliés par une corde. Son vieil arc ne lui servirait plus jamais, réalisa la petite elfe avec un gouffre dans la poitrine. Elle se pencha lentement pour ramasser précautionneusement les morceaux et les tint contre son cœur comme une mère bercerait son enfant. 


Comme s'il sentait sa peine, un cheval solitaire approcha doucement d'elle. Shaiélaè l'entendit à peine arriver, mais sentit son souffle sur son dos, et son nez fouiller les cheveux sur sa nuque. La petite elfe se retourna.


" Salut, toi..."


Il portait un harnachement de métal doré elfique. La poussière et le sang tâchaient sa robe grise et des mouches constellaient ses grands yeux humides et tristes. Shaiélaè posa la main sur son chanfrein. Comme elle, lui non plus ne devait pas savoir ce qu'il faisait ici. Pourquoi mêler les animaux à une guerre qui ne les concerne pas ? La petite elfe sentait sa peur, sa peine, son besoin de réconfort. Elle était pourtant certaine que, quelques heures plus tôt, le cheval comptait aux nombre de ceux qui décimèrent sa cohorte.


Les fantassins s'enfuyaient à toute jambes. Quelques un à peine se tournaient pour faire face, dans le fol espoir de stopper la charge ou du moins, la retarder. Après quelques instants de course effrénée, Shaiélaè ôta de son étuis les trois flèches qu'il lui restait . Elle s'appliqua pour tirer et un colosse à la peau dorée alla rouler dans la poussière au bas de son cheval. La seconde s'envola avant même que la première sa cible, mais l'archère ne vit pas si elle fait mouche. Shaiélaè ne se rappelait pas avoir tiré sa dernière, mais peut-être l'avait elle fait. A la suite de quoi la marée d'homme, de métal et de chevaux l'avaient engloutie. Un choc violent lui broya la poitrine et l'obscurité l'avala.


Shaiélaè se demandait si le cheval qui recherchait les câlins si âprement appartenait à l'elfe abattu par sa première flèche. Tout été allé si vite, comme dans un rêve. Elle ne parvenait pas à se rappeler de la couleur qu'il pouvait bien avoir. Et au fond, ne voulait pas vraiment le savoir.


Le cheval gris la suivi lorsqu'elle décida de se mettre en route, de retrouver la colline d'où de haut de laquelle elle avait passé la fin de la nuit à surveiller la vallée. Pas même une journée ne s'était écoulé depuis ce moment, la petite elfe avait peine à le croire. Ca semblait si lointain... Mais elle était certaine d'y retrouver l'avant-poste médical installé derrière par la Légion, pour accueillir les survivants de la Marche de la Soif. Là-bas, quelqu'un pourrait la renseigner sur où aller pour retrouver sa légion et sa cohorte.


Shaiélaè gardait la main sur l'encolure du cheval en avançant. Le contact du poil rêche et crasseux la rassurai, lui redonner des forces. Mais pas assez pour s'arrêter quelques dizaines de mètres plus loin, terrassée par la douleur et la fatigue. Elle envisageait de le monter pour s'épargner la marche et cherchait le meilleur moyen de l'escalader sans raviver le martyr de sa poitrine lorsqu'il fit un brusque écart de côté en bronchant. Surprise, Shaiélaè se retourna en quête de la raison à ce trouble soudain. Elle n'aperçut qu'un éclair métallique s'abattre sur elle. La petite elfe n'eut que le temps de lever le bras par réflexe pour protéger son visage. Une douleur fulgurante lacéra son coude. Une forme dorée se jeta sur elle, abattis son couteau à de multiples reprises. Gênées par les bras de Shaiélaè, la lame ne parvint pas à l'atteindre. La petite elfe tomba à terre sous la violence de l'assaut mais l'agresseur, heureusement, ne se soucia pas plus de sa victime. Il l'enjamba, attrapa aussitôt sur la bride du cheval gris et l'entraina dans sa course, puis monta en selle alors même que l'animal entamait son galop.


L'action se déroula à une telle vitesse que Shaiélaè n'eut ni le temps de crier, ni celui de comprendre. Mais elle commençait maintenant à saisir la nature des événements, alors qu'à la douleur de son thorax s'ajoutait celle de son bras. Au loin, une guerrière elfe blessée s'enfuyait au galop à travers les champs de bataille sur le dos du cheval gris, ses longs cheveux blonds flottant librement derrière elle.

La fuyarde n'alla pas loin. Jailli de nulle part, un légionnaire se jeta devant la course du cheval, faisant un barrage de ses bras écartés. L'elfe encouragea l'animal à forcer le passage coûte que coûte, quitte à culbuter l'intrus. Mais l'homme ne flancha pas, ne bougea pas. Sauf au dernier moment où d'un pas de côté, il esquiva le choc frontal et empoigna fermement la bride alors que la cavalière le dépassait. Gênés dans sa course, le cheval n'eut d'autre choix que de ralentir en pivotant autour du légionnaire, en laissant échapper les hennissements indignés. L'elfe furieuse distribua alors des coups de poignards. Son adversaire désarmé lui attrapa le bras alors qu'elle tentait de le frapper de son poignard et tira dessus. Déséquilibrée sans avoir eu le temps d'enfiler ses pieds dans les étriers, la guerrière glissa lentement de la selle.


Divers légionnaires et brancardiers qui erraient sur les ruines du champs de bataille avaient remarqué la scène et accouraient en renfort. Mais de tous, Shaiélaè était la plus proche. Elle ramassa une épée tombée à terre, se força à se lever et à courir vers le combat. Chaque pas lui arrachait une vague de douleurs dans les côtes, accompagnés de maints jurons crachés entre les dents.

La guerrière elfe balayait l'air devant elle avec la lame de son poignard et tentait d'arracher la bride aux mains du légionnaire qui ne pouvait faire grand chose d'autre d'éviter les coups. Il se déplaçait autour d'elle à pas vif, tâchait de garder entre deux le cheval gris.

Shaiélaè attrapa à pleine main les cheveux de l'elfe et tira en arrière de toute ses forces. La guerrière poussa un cris de surprise. Déséquilibré, elle tomba sur le dos. D'un coup pied, la petite elfe envoya valser le poignard de la main qu'elle trouvait bien trop dangereusement proche de sa cuisse à son goût. Et pointa l'épée sur la gorge de sa prisonnière, qui, la rage au cœur, accepta la reddition.


Les légionnaires arrivèrent presque aussitôt et quelque minutes plus tard, la guerrière quittait le champs de bataille devant la pointe d'une lance, escortés par un peloton de gardes. Son regard s'attarda longuement en passant, lourd est glacial, sur les oreilles pointues de Shaiélaè. Intimidée, la petite elfe baissa les yeux, et releva les pans de son foulard pour s'en couvrir la tête.


" Ca va ? " lui demanda le soldat qui avait intercepté la cavalière. Shaiélaè hocha la tête. Sans être profonde, la coupure au bras la piquait et saignait abondamment." Merci de m'avoir aidé, " reprit-il. " Je n'ai pas réfléchi à ce que j'avais perdu mon épée quand je me suis jeté sur elle... Mais c'est mieux de l'avoir capturée plutôt que tuée, non ?"


Shaiélaè considéra son interlocuteur. C'était un rougegarde, plutôt jeune et de petite taille, mais taillé de manière athlétique. Il portait un brigandine cloutée et quelques pièces de cuir et de mailles. Un ensemble assez hétéroclite qui semblait indiquer son appartenance au corps auxiliaire de l'infanterie légère. Son visage, quoique tuméfié de coups, couvert de poussière et tâché du sang d'une balafre fraîche lui disait quelque chose...


C'est le rougegarde qui, le premier, trouva la solution :


"Eh, mais c'est toi ! Je te reconnais, tu es celle que j'ai relevé ce mâtin de sa garde, en haut de la colline. Content de voir que tu t'en es tirée !"


Il était réconfortant de voir un visage familier après cet enfer. Aussi peu connu soit-il.


"Moi aussi. J'avais peur d'être la seule vivante..."


Il tendit la main, qu'elle serra après un moment d'appréhension.


" Je m'appelle Saïd ", déclara le rougegarde avec un sourire fatigué.


" Et moi Shaiélaè."


Cheval gris était encore là. Il a avait regardé sans broncher son éphémère maitresse être emportée vers un camps de prisonnier fouillait maintenant le sol de son sabot à la recherche de touffes d'herbes qui auraient survécus à l'écrabouillement. Quand il vit que Shaiélaè se tenait les côtes de douleurs à chaque pas qu'elle faisait, il se proposa de la hisser en selle, qu'elle chevauche jusqu'au camps. La petite elfe rougit mais avant d'avoir eu le temps de balbutier un mot, deux bras puissants la soulevaient avec délicatesse et la plaçaient au sommet de l'animal.


" Je suis suffisamment petite, " assura-t-elle à la fois reconnaissante et humiliée. "Il y a de la place pour deux. "


Saïd déclina poliment et devant l'insistance de la bosmer, affirma qu'il ne souhaitait pas la gêner et de toute manière, avait assez de force pour marcher. Il se contenta donc de prendre cheval gris par la bride pour le guider.


Par politesse et car le silence devenait gênant, Shaiélaè demanda pendant le trajet à Saïd d'où il venait.


" De Refuge, " répondit le rougegarde. " Mes grands-parents y ont émigrés, je n'avais jamais mis les pieds à Martelfell avant la guerre... C'est étrange de retourner au pays de mes ancêtres dans ces conditions. J'espère un jour voir Hégathe de mes yeux, la cité d'où ils étaient originaire."


Puis il posa la question qui devait brûler sur ses lèvres depuis qu'il l'avait rencontrée :


" Et toi ? Qu'est ce qui t'a amené dans la Légion ? "


Saïd était visiblement assez courtois pour ne pas l'attaquer frontalement sur ce point : Elle n'était pas seule elfe engagée dans la Légion Impériale, mais ceux-ci étaient assez rare pour susciter l'interrogation de ceux qui les croisaient. Elle sentait la curiosité implicite de ses mots et ne répondit qu'à moitié :


" J'étais mercenaire : ma compagnie a offert ses services à l'Empire quand la guerre a éclatée, et ses membres se sont trouvés dispersés dans diverses unités. "


Une surprise mêlée de respect illumina les yeux de Saïd. C'est malin... Il la prenait à présent pour une dure à cuire et elle, la rendait plus gênée que jamais.


L'avant-poste médical du matin s'étendait maintenant à perte de vue. Brancards et grabats disposés à même le sol occupaient tout l'espace disponible. Impossible de circuler sans gêner le passage de dizaines de guérisseurs, de brancardiers, qui couraient dans tout l'essence. L'air empestait le sang, la magie, la gangrène et les décoctions alchimiques. Les bouquets de lys et de lavandes attachés aux poteaux des auvents pour purifier l'air et chasser les mouches ne fonctionnaient qu'à moitié. Des nuées d'insectes s'accrochaient aux plaies, aux tas de bandages usagés jetés ça et là.


Aucun des guérisseurs interrogés ne souhaita jeter un œils à leurs blessures respectives, jugées ni graves, ni prioritaires. On leur conseilla par contre de dégager du chemin et plus vite que ça.


Shaiélaè quitta l'hôpital avec une boule au ventre, à se demander si Ioreck comptait parmi tout ces mutilés qui attendait leur opération. Ou pire, parmi les morts laissés laissé sans sépulture sur le champs de bataille. Elle n'avait pas eu trop le temps de penser à lui depuis son réveil mais la vision de robustes légionnaires pleurant comme des enfant sur le billard lui rappela que, si grand et fort soit-il, Ioreck ne restait qu'un tas de chair et d'os capable de saigner...


Quand ils arrivèrent au gigantesque camps retranché que l'armée impériale avait dressé en un temps record, Saïd et tête et Shaiélaè à sa suite sur le dos de cheval gris, la petite elfe chercha plus volontiers sur les panneaux d'indication griffonnés à la craies l'emplacement de la XIème cohorte de choc que la XVème d'infanterie légère. Quand elle l'eut trouvée, elle poussa les pas de cheval gris sur l'allée menant au carré de tente correspondant. Saïd s'enquit du changement de direction :


" Où vas-tu ? Notre unité a ses quartiers de l'autre côté ! "


"J'arrive ! Je dois voir quelqu'un ! "


Saïd lui emboita le pas.


Elle trouva Ioreck et ses comparses en cercle autour d'un tonneau, le contenu duquel diminuait furieusement à chaque gobelet copieux que les mains avides plongeaient dedans. Le torse nu enveloppé de bandages, le Nordique ressemblait à un golem tant la sueur et le sang mêlés de poussières le recouvraient d'une croute épaisse séchées par le soleil. Les autres n'était guère plus reluisant et Shaiélaè se crût un instant de retour à l'hôpital de campagnes tant ils lui apparurent en piteux état. Un orque le bras au bras en écharpe s'aspergeait de grandes giclées du liquide issus du tonneau. A l'odeur entêtante qui s'en échappait, Shaiélaè devina qu'il ne s'agissait pas d'eau, mais d'alcool. Suzanna riait stupidement, le teint si rouge qu'il camouflait les tâche de sang qui le maculaient.

Peu importe tout cela : Ioreck était repoussant, blessé et ivre, mais il était vivant.


" Et moi qui tuerai juste pour de l'eau... "


Le nordique se retourna et remarqua la silhouette familière qui le toisait d'un air de reproche, juchée au sommet d'un cheval. Il embrassa le tonneau à plein bras, déclenchant un concert de protestation de la part des autres buveurs et bégaya :


" Ceci, est un cadeau de notre légat. Du cognac. Pas dégueu, mais pas génial non plus. Pour fêter notre coup d'éclat sur la Colline aux Flèches qui a contribué à la victoire finale, et pour commémorer dignement les 40% de perte de notre chère cohorte ! On a trouvé plus facilement de l'alcool que de l'eau, dans ce foutu désert..." reprit-il plus sérieusement pour se justifier.


Suzana lui lança un signe de main amical et Ioreck s'approcha de la petite elfe pour la serrer dans ses bras. Avec presque autant d'affection que pour le tonneau tout à l'heure.


" Aïe ! Tu m'étouffes !!! " hurla Shaiélaè alors qu'il l'arrachait presque de sa selle. " Arrêtes, arrêtes, mes côtes, mes côtes ! Elles sont blessées ! "


Seulement là son ami la libéra, tout penaud.


" Tu n'es pas trop blessée ? Je suis passé au campement de ton unité, tout à l'heure... Ils avaient beaucoup souffert et tu n'y étais pas, alors j'ai crû que..."


" Donc tu es aller t'enivrer avec tes camarades ? "


" Pour boire à ta mémoire... " maugréa Ioreck.


Pour la première fois de la journée, Shaiélaè étouffa un petit rire. La pression retombait d'un coup. Comme il était bon d'être vivante... Ioreck désigna cheval gris du menton :


" Qu'est ce que c'est ? Tu es montée en grade ? On t'a muté dans la cavalerie ? "


" Prise de guerre !" lui lança-t-elle d'un ton mystérieux. "Je te raconterais... "


"Et lui ? " ajouta-t-il en destinant un clin d'œil à Saïd, resté à distance respectable des terrifiants soudards. " C'est aussi une prise de guerre, ou c'est ton écuyer ? "


Shaiélaè rougit de honte, presque autant que le pauvre rougegarde.


" C'est un ami, il s'appelle Saïd ! " protesta la petite elfe. " Il est de mon unité. D'ailleurs, on devrait retourner la voir... Par Yffre, j'espère qu'eux auront de l'eau, par pitié..."


" Ton ami me fait un peu peur..." avoua Saïd sur le chemin du retour, à bonne distance des oreilles du guerrier.


" Ioreck ? Non... Il est doux comme tout. "


Le cantonnement de la XVème cohorte auxiliaire d'infanterie légère sonnait un peu creux. Plus de frères d'armes s'en étaient tiré qu'elle ne le craignait, mais beaucoup moins qu'elle ne l'espérait. Pas de cris de joie ce soir là dans cette partie du camps. Les fantassins s'assirent autour des feux et passèrent de main en main de maigres outres d'eaux. Et quand la potée de choux bouillis au lard du diner leur fut servie, Shaiélaè n'eut ni la force, ni l'énergie de séparer la viande des légumes... Assise au côté de Saïd, elle avala sa ration sans un mot avant d'aller se coucher dans la tente à moitié vide et de sombrer dans un profond sommeil sans rêve.



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