Assassin de l'Aube, symbole du Couchant

Chapitre 5 : Un choix déchirant

Chapitre final

3047 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 12/05/2017 09:45

Quand je me réveille, une prêtresse m'informe que Tilda est elle aussi revenue à elle. Sans attendre, je saute au bas du lit et me précipite vers la guerrière allongée. Elle semble en bien meilleure forme que la veille. Ses joues ont repris une légère teinte rosée, ses plaies sont refermées ou en bonne voie pour cicatriser et son regard a repris sa brillance habituelle. Quand elle me voit, elle sourit et son visage rayonne de joie. Je m'agenouille près d'elle en lui prenant la main avant de lui demander:

- Comment tu te sens? 

- Mieux qu'hier, me répond-elle avec un regard reconnaissant. Tu m'as sauvée. Merci.

Je me sens rougir. Les pommettes de la guerrière ont elles aussi pris de la couleur et son regard pétille plus que d'habitude. Je la soupçonne d'être encore sous l'effet des potions que les guérisseuses lui ont administrées. Je sais que ce n'est pas son genre de me remercier de cette façon. Et en même temps, son ton est si sincère que je me surprends à espérer qu'elle est vraiment consciente de ce qu'elle raconte... puis je repense à la créature démoniaque qui nous a attaqué la veille. Tilda semble remarquer mon trouble et me demande:

- Ça ne va pas? 

- J'ai quelque chose à te demander, je commence en hésitant un peu. 

- Je te préviens, dit-elle d'un ton plus menaçant que je lui reconnais déjà mieux, ce n'est pas parce que tu m'as sauvée que je vais exécuter tes quatre volontés!

- Je ne t'en demandes pas tant, je lui réponds. Je veux juste que tu m'expliques qui tu es vraiment. 

Elle soupire et baisse la tête avant de murmurer:

- Très bien. Je te dois au moins ça. Mais pas ici. 

Elle jette un regard furtif autour d'elle avant de tenter de se lever. Elle laisse échapper un gémissement de douleur, mais se redresse tant bien que mal. 

- Tu devrais te reposer, lui dis-je en voyant sa grimace quand elle tente de bouger les jambes. Cette... chose a quand même failli te priver d'une jambe, ne l'oublie pas. 

- Je ne resterai pas immobile plus longtemps, me lance-t-elle. 

Elle repousse la couverture et essaye de poser ses pieds par terre. Je laisse échapper une exclamation de surprise en voyant l'état de sa jambe droite: rouge et enflée, recouverte de nombreuses plaies plus horribles les unes que les autres, d'où suinte un liquide transparent et visiblement produit d'une infection et par endroits menaçant de se rouvrir, elle est clairement inutile à la guerrière pour le moment.

- Tu n'iras nulle part comme ça, la prévins-je. 

- Ne t'inquiètes pas pour ça, me répond-elle d'un ton mordant, ça ne m'empêchera pas de bouger. 

Elle tente de se lever. Je la rattrape de justesse quand sa jambe blessée la lâche. Elle s'appuie sur moi et tente de se relever. Je la force à se rasseoir malgré ses protestations et ses coups de poings. 

- Tu n'iras nulle part dans cet état, lui ordonnai-je. Tu es blessée, Tilda. Attends d'aller mieux avant de vouloir remarcher. 

Elle lâche un hurlement digne du dragon de la veille. Des guérisseuses accourent, pensant qu'elle s'est blessée ou qu'elle se sent mal. La guerrière leur demande de reculer et d'un geste brusque avec sa dague, elle rouvre ses plaies infectées. Elle pâlit en serrant les dents et tente de les nettoyer elle-même. Je l'oblige à se rallonger et les guérisseuses prennent en charge le nettoyage de sa plaie. Quand elle se calme enfin, les guérisseuses s'éloignent. Elle se redresse et, avec des sorts visiblement pointus, elle soigne les plaies une à une sans se soucier de ma présence et des conseils des prêtresses de Kynareth. Quand elle a fini, elle se tourne vers moi et me lance un regard de défi.

- Quand je te dis que je veux sortir, je veux sortir. 

Elle tente une nouvelle fois de se lever et lâche un hurlement de rage et de douleur quand sa jambe la lâche à nouveau. Je la prends dans mes bras en lui disant:

- Tu peux soigner instantanément une coupure, mais pas des os broyés. 

Elle gronde encore une fois avant de laisser retomber sa tête contre moi. Je la porte en dehors du temple malgré les protestations des prêtresses qui m'assurent qu'elle ne survivrait pas. Je me dirige vers un coin de la ville où je suis sûr que personne ne viendra. Je demande alors à Tilda de m'expliquer. Elle semble hésiter, puis murmure:

- Je suis l'Enfant de Dragon. Je ne voulais pas que tu le découvres avant parce que je ne te faisais pas encore assez confiance... 

- Je m'en doutais, je lui avoue. Mais je ne l'ai deviné qu'après l'attaque du dragon. Mais pourquoi le caches-tu? Tu es celle qui a sauvé Bordeciel! Tu n'en es pas fière?

Elle hésite encore, puis répond en baissant la voix:

- Justement. Je suis tellement appréciée que les gens me demandent toutes sortes de bénédictions dans les villes. C'est pour ça que je mets un casque. Sans lui, tout le monde sait qui je suis. 

- Mais personne ne semblait te reconnaître, au temple!

- Je pense que si, justement. Et je ne tiens pas à en faire le test.

- Tu as d'autres raisons de te cacher? 

- En dehors des villes, j'ai beaucoup d'ennemis. Les thalmors et l'Empire veulent me tuer parce que je suis l'espoir des nordiques et que je me suis alliée aux sombrages. De nombreux daedras veulent ma mort ou mon asservissement, chose que je leur refuse car le seul que je sers est Shor. Je tiens à aller en Sovngarde à ma mort. Et je sais qu'elle peut survenir à tout moment. 

Je reste ébahi par les nouvelles que mon amie vient de me faire. Elle me lance un regard presque craintif, que j'interprète comme la possibilité qu'elle voie en moi un ennemi. 

- Tous les daedras veulent t'asservir? je demande en pensant soudain à Azura et à son manque de réaction face à mon alliance avec mon amie. 

- Presque tous, me répond-elle. Pourquoi cette question?

Je me sens tiraillé entre deux idées contraires. Je veux lui révéler ce que la déesse a fait de moi, et en même temps... je sais que cette dernière m'en voudrait de le lui dire. Tilda semble comprendre que je lui cache quelque chose car elle fronce les sourcils. 

- Tuomas? me demande-t-elle. 

Je soupire. Tant qu'on en est aux révélations, autant tout lui dire tout de suite. Je tente de parler trois ou quatre fois avant de réussir à bégayer:

- A mon tour de te révéler quelque chose. Mais je voudrais que tu ne m'en veuilles pas et que tu m'écoutes. 

- Vas y, me répond-elle simplement.

Je lui raconte alors ce qu'Azura a fait de moi. Comment, d'un enfant perdu et triste, je suis devenu un assassin craint et respecté par tous les disciples des daedras et le champion d'Azura. Son visage prend différentes expressions, d'abord effrayée, puis impressionnée et enfin impassible. Quand j'ai terminé, elle me dit:

- Tu as assassiné des gens dès ton plus jeune âge? Tu ne tiens vraiment pas à aller en Sovngarde?

- Je ne crois pas à l'existence d'un tel lieu, je réponds. Je ne jure que par Azura. Les Divins et les autres daedras sont pour moi les ennemis de ma déesse. 

- Donc, reprend Tilda, parce que je vénère Shor tu me tuerais?

Je garde le silence. Tilda fronce les sourcils et semble prête à me lancer un sort. Soudain, son visage disparaît,remplacé par celui d'Azura. La déesse me dit d'un ton courroucé:

-Je pensais avoir été claire. Tu ne devais pas en parler à qui que ce soit, et certainement pas à cette...

-Je ne la tuerai pas, répondis je d'un ton décidé.

Le visage d'Azura change complètement et devient terrifiant. Puis il est remplacé par celui de Tilda. La guerrière inquiète me fixe avec anxiété.

-Tu vas bien, Tuomas? s'inquiète-t-elle.

-Azura... je murmure. Elle m'en veut, je crois.

La guerrière lâche un soupir.

-Tu vas devoir me tuer.

-Hors de question! je hurle.

Elle me regarde sans comprendre. Emporté par mon élan, je lui avoue:

-Je t'aime, Tilda. Tu es la guerrière la plus incroyable que je connaisse. Je n'en ai strictement rien à faire que tu vénères Shor ou Talos, Clavicus Vile ou Nocturne. Je me fous complètement de ce qu'Azura peut penser, mais je t'aime, et je ne veux pas te perdre, ma belle guerrière.

Je la prends doucement dans mes bras, plus de peur de lui faire mal qu'autre chose. Je l'embrasse doucement, et je sens mon cœur bondir quand elle me répond.

-Je t'aime aussi, Tuomas, me souffle-t-elle.



Suite à cette révélation, nous restons plusieurs semaines en ville, le temps qu'elle guérisse. Nous passons beaucoup de temps ensemble, plus que jamais liés l'un à l'autre. Mais j'aurais dû me douter que ce bonheur n'allait pas durer.

Un jour, alors que la guerrière est presque remise, nous sortons faire un tour dans la campagne, pas trop loin pour pouvoir rentrer avant la tombée de la nuit. Seulement, près d'un cours d'eau, l'espace est remplacé par quelque chose d'autre: je me retrouve dans une pièce aux murs de roses noires, au fond de laquelle un trône de roses sanglantes se dresse. Dessus est assise la Reine de l'Aube et du Crépuscule. Son expression est grave, terrifiante. Je pose un genou au sol, juste devant elle.

-Dame Azura, je murmure respectueusement.

-Relève-toi, Tuomas.

Son ton est clairement menaçant. Je m'exécute, persuadé qu'elle va me tuer. Le sort qui m'attend est bien pire...

-Tu vas tuer cette mortelle, m'ordonne-t-elle d'un ton cinglant.

-Je ne peux pas, Ma Dame.

-Tu le dois, Tuomas. Je ne peux t'accorder cette faiblesse. Si tu refuses, je te livrerai à mes créatures. Et tu sais ce qu'elles seront capables de te faire.

-Je préfère mourir plutôt que de tuer Tilda, je réplique.

Son visage devient si effrayant que la terreur m'envahit.

-Tu dois choisir, Tuomas. C'est elle ou moi.

Cette remarque me laisse sans voix. La déesse qui m'a protégée depuis si longtemps est prête à m'abandonner... je tiens beaucoup à Tilda, certes, mais je ne peux supporter de perdre l'amour de la déesse. Elle est ma seule famille...

-Très bien, je soupire. Vos désirs sont des ordres, Ma Dame.

Tout disparaît de nouveau autour de moi, me laissant dans le noir complet.

-Tuomas, ça va? Tuomas!

La voix de Tilda me sort de la transe dans laquelle j'étais plongé. Je ressens un pincement au coeur en voyant ses yeux inquiets se poser sur moi.

-Tuomas, que t'es-t-il arrivé? me demande-t-elle. Tu avais l'air... ailleurs.

Des larmes envahissent mon champ de vision. Tilda me regarde sans comprendre, visiblement très inquiète à mon sujet. Je finis par enfin réussir à lui annoncer ce qu'Azura me demande, ce qui la remplit d'effroi et de résignation. Elle dégaine son épée en soupirant et rabat la visière de son casque.

-Puisque c'est comme cela que ça doit finir, murmure-t-elle, dégaine ton arme et bats-toi. Je ne crains pas la mort: Sovngarde m'ouvrira ses portes, quoi qu'il arrive, tant que je ne me déroberai pas au combat. Si je dois te tuer, je le ferai. Mais tue-moi si tu le dois.

Elle se jette sur moi, épée levée. J'ai tout juste le temps de dégainer la mienne pour bloquer sa lame avant que cette dernière ne me transperce. Le coup de Tilda est dévié, mais la guerrière revient à la charge et frappe de toutes ses forces pour tenter de me désarmer. Tilda est plus qu'une guerrière, je m'en rends compte durant notre dernière danse mortelle... sa force est celle de ses ancêtres nordiques, son courage et sa détermination sans failles ceux de son peuple. Elle manie sa lame aussi facilement qu'un forgeron manie le marteau ou qu'un marin guide son vaisseau, son épée semble même être un prolongement de son bras, elles ne font qu'un. Je suis impressionné par sa détermination à m'affronter malgré sa faiblesse et son manque d'entraînement durant ces dernières semaines, mais elle me donne tout de même du fil à retordre, et l'amour que je lui porte doit probablement amplifier le phénomène.

Nous nous battons longtemps, sans pause. Nous avons combattu ensemble suffisamment longtemps pour connaître les faiblesses et les forces de l'autre, au point que nous semblons de force et de maîtrise égales. Chaque coup de Tilda est arrêté par ma lame, chacune de mes feintes est contrée par une des siennes. Un coup, une parade, une esquive, un coup... nous nous battons sans répit, mais nous ne réussissons pas à prendre le dessus sur l'autre... je ne puis m'empêcher de penser à une phrase que la guerrière m'a dite, alors que nous nous entraînions, il y a quelques mois: "Se battre est comme danser: c'est une chorégraphie parfaitement synchronisée entre toi et ton adversaire, à la fois gracieuse et dangereuse..." Jusqu'à maintenant, je ne pensais pas qu'elle disait vrai: je me contentais de défendre ma vie ou de prendre celle des ennemis d'Azura. Mais face à Tilda, je comprends ce qu'elle voulait dire: nos gestes sont parfaitement synchronisés, nous nous tournons autour à la fois pour nous tuer et nous éviter... elle a raison: la combat est une danse mortelle. La dernière danse d'un guerrier.

Soudain, tout s'accélère: Tilda trébuche, ma lame lui entaille profondément le flanc et elle hurle de douleur. Je retire ma lame de la plaie, à la fois horrifié de l'avoir blessée et pressé d'en finir. La jeune femme relève la visière de son casque d'une main et brandit une dernière fois son épée. Je la désarme d'un coup et murmure en plongeant ma lame dans son cœur:

-Pardonne moi, Tilda...

La guerrière ne semble ni surprise, ni effrayée. Elle sourit doucement en comprenant que la mort l'entraîne loin de Nirn et murmure:

-Je t'aime, même si tu préfères ta déesse...Adieu, Tuomas.

Elle ferme les yeux et ne bouge plus. Il me faut un certain temps pour réaliser qu'elle est morte, et que je l'ai vraiment tuée. Je tombe à genoux près d'elle en pleurant et pour la première fois de ma vie, je demande aux Divins de veiller sur elle en Sovngarde. Je reste longtemps à pleurer sur son cadavre, le coeur brisé. J'essuie le sang qui tache son armure et glisse mes doigts dans ses cheveux pour les démêler, je referme magiquement toutes les petites plaies que je lui ai causé, je referme ses doigts sur son arme... Je la prends ensuite dans mes bras et la porte jusqu'à Blancherive, où je l'embrasse une dernière fois avant de la confier aux prêtresses de Kynareth.

Son enterrement est l’événement de l'ère: Tout Bordeciel semble s'être rassemblé pour lui rendre hommage, les Grises-Barbes eux-mêmes sont descendus du Haut-Hrothgar pour elle. Une trêve a été signée entre Sombrages et Impériaux le temps de son enterrement, Ulfric et Tullius se tiennent devant son tombeau creusé dans la neige respectueusement. Des chants nordiques s'élèvent dans l'air, son corps est enfermé dans le tombeau de pierre avec des amulettes, son armure, son épée et des pierres précieuses, plusieurs personnes sont en leurs...

Ce jour-là, je me tiens à l'écart. Personne ne me regarde, isolé au sommet d'un arbre d'où j'observe la scène. Mon cœur est ravagé par le chagrin et la culpabilité, je me sens triste et désespéré suite à la mort de la jeune femme nordique. Je revois ces derniers mois passés avec elle, son sourire qui illumine ses yeux bleus, sa façon de s'exprimer quand elle s'énerve... Soudain, je me retrouve de nouveau dans la salle du trône d'Azura. Les murs sont faits de roses pâles, le trône de la déesse de roses d'un rose profond. Quelque part, j'ai l'impression qu'elle se moque de moi, mais son sourire bienveillant m'apaise un peu.

-Tuomas, me dit-elle, mon champion... Je vois que tu as du mal à lui dire adieu. Si cela peut te rassurer, Sovngarde l'a accueillie, comme elle le souhaitait. Je comprends que tu aies du mal à l'oublier... après tout, vous avez passé beaucoup de temps ensemble, il est normal pour toi de la pleurer.

Je ne réponds pas. Azura semble comprendre que je n'ai pas envie de parler, car elle me dit:

-J'ai une nouvelle mission pour toi. Il faut que tu ailles détruire un groupe de drémora qui préparent un rituel pour Molag Bal.

-Bien, Ma Dame, je murmure dans un souffle.

La vision disparaît. Je soupire et attends que la cérémonie se termine. Quand il n'y a plus personne, je m'approche du tombeau et y dépose un bouquet de roses.

-Adieu, Tilda, je murmure avant de tourner le dos à la sépulture.

J'attrape un cheval et prends la direction indiquée par la déesse, seul et désespéré. Tilda aura vraiment réussi à me changer...

Laisser un commentaire ?