La fille aux yeux rouges
J’entendis les battements désordonnés de son cœur avant même de l’apercevoir. Un élan de culpabilité me frappa quand je compris qu’il avait peur.
Je le trouvais la tête levée vers la cime des arbres. Il ne m’entendit pas approcher.
_ « Qu’y a t-il ? » l’interrompais-je.
Il sursauta.
_ « Ah ! » Il se retourna vivement vers moi. « Nom de dieu ! Qu’est ce que tu fiches ? »
J’inspirais pour lui répondre quand je sentis une odeur qui me hérissa instantanément. Instinctivement, je bondis près de mon frère. Je me plaçais juste devant lui dans une posture défensive, les bras écartés et les lèvres retroussées.
_ « Restes derrière moi ! » grondai-je.
Tous mes instincts me dictaient qu’un danger approchait. L’odeur était étrange, elle ne ressemblait à rien de connu et c’était d’ailleurs sans doute la raison de ma réaction.
Un petit ricanement retentit.
Soudain, je sus ce qui allait surgir du couvert des arbres. Je l’avais presque oublié. La rage m’envahit au souvenir de la souffrance qu’ils m’avaient fait subir.
L’homme pâle s’avançait vers nous tranquillement. Il ne portait qu’un jean. Son torse nu miroitait sous le reflet de la lune. Je pouvais constater qu’il était musclé. Son torse n’avait aucun défaut comme s’il avait été retouché sur Photoshop. Et son visage aurait pu ressembler à celui d’un ange s’il n’avait pas eu des yeux rouges de démon. Il avait de longs cheveux noirs corbeaux qui lui tombaient dans le dos.
Mon corps semblait se réchauffer sous l’effet de la fureur et de l’effroi.
Je bandais mes muscles, prête à bondir.
_ « Tiens te voilà ! » me lança-t-il nonchalamment en s’arrêtant à une distance raisonnable.
Son ton était amical comme si nous étions deux amis qui se retrouvaient après une brève séparation.
Cela ne fit qu’aggraver ma rage. J’avais envie de lui sauter à la gorge. Je ne pus réfréner un grognement.
_ « En tout cas, je vois que tu n’as pas perdu ton temps. » ajouta-t-il avec un petit sourire en coin.
Son attitude était nonchalante mais je pouvais voir que ses yeux restaient prudents. Il me détaillait prudemment et devait se rendre compte que la camaraderie dont il faisait preuve n’était pas réciproque. Il se méfiait de moi. Voilà pourquoi il ne s’était pas plus rapproché.
_ « Voudrais-tu en finir que nous puissions y aller ? » me dit-il gentiment en désignant mon frère.
J’étais interloqué. Il affichait un sourire bienveillant. Qu’avait-il voulu dire ? Son regard allait de mon frère à moi. Soudain, je compris son insinuation. Je me mis à trembler des pieds à la tête.
_ « NON ! Allez-vous en ! » lui hurlais-je.
_ « Comment ? » Il semblait interloqué. Il se reprit et ajouta sur un ton paternel : « Tu as dû te rendre compte que tu étais différente à ton réveil. Tu es devenue un être mythique, supérieur. Désormais, une nouvelle vie s’offre à toi. Viens avec moi et je t’enseignerais tout ce que tu dois savoir.»
Il avança vers moi en tendant sa main.
_ « N’approchez pas, espèce de taré ! Vous allez payer pour ce que vous m’avez fait . »
Son sourire se fana et son visage se fit dur comme la pierre. Il n’avait vraiment plus rien d’un ange maintenant.
_ « Ce que je t’ai fait ? Tu es un vampire et tu es désormais immortelle. Quelques heures de souffrance valent bien l’éternité, tu ne crois pas ? »
Je n’en croyais pas mes oreilles. Vampire. Le mot était lâché. C’était ce que j’étais devenue. Des êtres sans âmes s’abreuvant de sang humain. Des êtres damnés. Je flamboyais de rage. Je repensais à la douce clarté qui m’avait enveloppé. C’était lui qui m’avait arraché au repos éternel et, maintenant, je ne pourrais plus y retourner car j’étais un être maudit. Je ne reverrais plus jamais grand-père songeais-je, amère. Mon corps était presque brûlant tant ma haine bouillait en moi. Je voulais lui faire payer. Je voulais qu’il souffre.
D’un coup, je me jetais sur lui.
Il m’avait vu arriver malheureusement. Il m’évita en pivotant sur le côté et m’assena un coup de poing qui m’envoya valser à plusieurs dizaines de mètres. Je sentis que je dégommais plusieurs arbres au passage.
Quand je me relevais, le vampire s’était approché de Josh.
_ « NON ! » hurlais-je.
D’un bond, je les avais rejoint. Mais le temps que je puisse faire quelque chose, le vampire s’était saisi de mon frère par la gorge. Les pieds de Joshua ne touchaient plus le sol et il se débattait contre la poigne d’acier qui l’empêchait de respirer. Ses yeux étaient exorbités et ses jambes fouettaient l’air rageusement.
Je tombais à genou.
_ « Ne faites pas ça, je vous en prie ! » suppliai-je.
_ « Il y a des règles dans notre monde, vois-tu. Et la plus importante de toute c’est qu’aucun humain ne doit connaître notre existence. »
Joshua suffoquait. Mon frère était en train de mourir.
Une onde de chaleur me traversa. Mon corps se mit à se réchauffer très rapidement jusqu’à ce que je me mette à brûler intérieurement. C’était la même atroce douleur que lorsque je m’étais transformée mais quelque chose dans ce feu était différent. Il me semblait que je pouvais m’en débarrasser. Ce que je fis immédiatement par pur réflexe. Je jetais ce feu hors de moi, je le déversais vers la chose qui avait attisé ma haine.
Pendant ce temps, le vampire avait continué de parler mais j’étais trop absorbée par ce qui passait en moi pour lui prêter attention.
_ « … ça te passera… Nous irons en Italie. Beaucoup de gens là-bas désirent te rencontrer…»
Il s’interrompit les yeux écarquillés.
_ « Que … » Il poussa un cri de douleur terrifiant.
Ses mains lâchèrent mon frère qui tomba à terre, inconscient. Mon corps se refroidissait tandis que je déversais le torrent de feu vers mon adversaire. Son corps se mit à rougir et ses mains se mirent à gratter son torse frénétiquement arrachant des lambeaux de chair et creusant un trou béant dans son thorax. Tout d’un coup, il rejeta la tête en arrière pour crier de nouveau mais aucun son ne sortit. A la place, une flamme bleue jaillit de sa bouche. Les flammes sortirent également du trou qu’il s’était lui-même fait dans la poitrine. Il s’écroula à terre, la moitié du corps calciné. L’odeur âcre de chair brûlée avait envahi la forêt et bientôt il ne restait plus qu’un tas de cendre à l’endroit où se tenait le vampire.
J’avais regardé ce spectacle sans bouger, paralysée par l’horreur. Lorsque j’avais projeté le feu vers le vampire, je n’avais plus rien maîtrisé. Le feu s’était écoulé vers lui inlassablement sans que je puisse l’arrêter. J’étais terrifiée par la puissance que j’avais pu déchaîner et surtout par mon incapacité à la maîtriser. Ce que j’avais fait à ce vampire était monstrueux. Il l’avait mérité certes mais savoir que j’étais capable d’une telle horreur me terrorisait.
J’entendais le cœur de Joshua battre doucement et sa respiration régulière mais sifflotante. Je n’osais pas m’approcher de lui car j’avais peur d’être encore dangereuse. Il me semblait que non pourtant, mon corps étant redevenu froid.
J’essayais de me ressaisir car mon état était proche de l’hystérie. Je me levais doucement. Je me sentais faible. Une violente douleur me coupa en deux. Mon estomac semblait doué d’une vie propre et avait décidé de me torturer à son tour. La faim et la soif s’emparèrent de moi avec une rare violence. Ma tête me tournait et j’avais du mal à tenir debout.
Je compris que je ne pourrais pas sortir mon frère de là si je ne me nourrissais pas. Et surtout, dans cet état, je risquais de m’attaquer à Josh. Je pris la direction de la prairie où j’avais déjà tué une vache un peu plus tôt. Je marchais péniblement. Mes jambes étaient beaucoup moins assurées et ma vue était brouillée, du coup je n’arrêtais pas de trébucher.
Quand j’arrivais enfin à la prairie, le jour commençait à se lever. Exceptionnellement, le ciel était recouvert par un fin duvet nuageux. Dans un dernier effort, je me jetai sur une vache qui paissait tranquillement. Je m’accrochais à elle désespérement alors qu’elle essayait de me faire tomber en ruant telle une furie. On se serait dit dans une corrida. Lorsqu’enfin j’enfonçais mes dents dans sa chair tendre et que le sang se déversa dans ma bouche, ce fut un véritable soulagement. Mes forces me revinrent rapidement. Toutefois, une deuxième vache fut nécessaire pour que j’atteigne la satiété.
Aussitôt mon repas terminé, je rejoignis mon frère. Il n’avait pas repris connaissance. Je me penchais sur lui, de grosses echymoses violettes et bleues couvraient son cou. Il respirait mal, je pouvais l’entendre. Je ne savais pas quoi faire. Devais-je le ramener à la maison ou l’emmener à l’hôpital ?
_ « Josh ! » l’appelai-je. Je secouais doucement son épaule. « Je t’en prie, réponds moi ! »
Pendant combien de temps avait-il manqué d’oxygène ? J’étais affolée. Il ne réagissait pas à mes appels. Je me décidais pour l’hôpital.
Je me rendis compte que je ne savais même pas où j’étais. Je repérais un arbre qui avait l’air plus haut que les autres et je grimpais agilement jusqu’à sa cime. Je vis au loin un clocher que je reconnus être celui de la petite ville d’Arcadia où nous allions au lycée.
La ville possédait également un hôpital. Je pris délicatement mon frère dans mes bras (il ne pesait rien) et je m’en fus.
L’hôpital d’Arcadia était un petit bâtiment en pierre blanche situé à l’écart de la ville. La forêt s’étalait jusqu’à ses fenêtres de telle manière qu’il ne fut pas difficile de s’approcher de l’établissement tout en restant caché. L’entrée des urgences était déserte, seule une ambulance était garée devant, les portes arrières grandes ouvertes. On venait probablement d’amener un blessé. Ce qui signifiait que les ambulanciers n’allaient pas tarder à ressortir. Je déposais Joshua sur le sol juste devant les portes automatiques de l’entrée des urgences. Déjà, j’entendais des pas précipités se rapprocher.
Je me cachais sous le couvert des arbres. Les ambulanciers trouvèrent Joshua étendu là, ils le placèrent sur un brancard et l’emmenèrent à l’intérieur.
Je restai dans ma cachette un petit moment. Je ne voulais pas être vue car je me doutais que mon apparence aurait attiré l’attention. Je ne savais pas vraiment quoi faire. Mais je compris vite qu’il ne servait à rien que je reste plantée là. Les médecins allaient s’occuper de Joshua et je n’aurais qu’à revenir pendant la nuit pour voir comment il allait.
Je me résignais à rentrer à la maison.