La fille aux yeux rouges
Notre maison était minuscule. Le rez de chaussée était constitué de la cuisine, du salon et de la salle de bain. A l’étage, le grenier avait été aménagé pour créer nos deux chambres.
Quand j’entrais dans cet endroit si familier, le soulagement m’envahit. J’étais enfin rentrée à la maison. Toute la tension de la nuit dernière retombait enfin. Si ce n’est le désordre caractérisé qui régnait, rien n’avait changé. Mais c’était comme si je découvrais les lieux pour la première fois. Ma vision nouvelle me permettait de voir les choses qui m’entouraient avec une acuité incroyable. La texture des rideaux, les renflements de la tapisserie, les lézardes sur les placards de la cuisine.
Je respirais un grand coup pour me donner du courage et je me dirigeais vers la salle de bains pour découvrir l’ampleur du désastre.
Je me plaçais devant le miroir sans oser un seul regard. Est-ce que j’allais au moins me refléter dans le miroir ? Quel angoisse si je ne pouvais même pas voir à quoi je ressemblais maintenant !
Je levais lentement les yeux.
Ce que je vis me glaça d’effroi. Une inconnue au regard rouge sang me dévisageait l’air mauvais.
_ « Oh ! » lâchais-je avec un mouvement de recul inconscient.
Je n’arrivais pas à croire qu’il s’agissait de moi. J’avais été une jolie brunette, les yeux marrons-verts et la peau dorée.
Je n’étais plus qu’une ombre blafarde. Mon apparence était sinistre et glacial. Je m’étais figée en me voyant, du coup je ressemblais à une statue de pierre. Je ne reconnaissais même plus les traits de mon visage. A tel point que je me demandais si on ne m’avait pas changé de corps.
Pourquoi ? Pourquoi est-ce que ça m’était arrivé à moi ? Je voulais redevenir moi !
En me voyant enfin, je comprenais que ma vie telle que je l’avais connu était finie. Désormais rien ne serait comme avant. Un nœud de désespoir et de tristesse s’était formé dans ma gorge et je tremblais comme une feuille. Tout dans mon apparence indiquait que je n’étais plus humaine, que j’étais un monstre.
Il m’avait volé ma vie. Je le haïssais.
J’ouvris violemment un tiroir, le faisant sortir de ces gonds par la même occasion. Je ne supportais pas la pâleur de ma peau. J’attrapais mon tube de fond de teint et m’en appliquais une bonne dose sur le visage.
J’avais toujours l’air aussi inhumaine mais au moins j’avais meilleur mine. Avec un peu de couleur il me semblait que je retrouvais un petit peu de mes anciens traits. Mais j’avais mis une telle couche de fond de teint que je m’apparentais plus à un pot de peinture qu’à une fille.
De plus, les yeux rouges rendaient l’ensemble complètement hideux. Un élan de colère me fit fracasser le tiroir contre la glace. Le miroir se fissura et le tiroir explosa en mille morceaux éparpillant mon maquillage dans la salle de bains.
Je me rinçais le visage pour enlever cette mascarade ridicule. Mes yeux me piquaient et je mis quelques temps à comprendre qu’en réalité j’avais envie de pleurer. Pourtant aucune larme ne venait rouler sur ma joue. Je compris alors que je ne pouvais plus pleurer, mes yeux n’en semblaient plus capable. Ils me piquèrent encore plus.
Accablée par mon chagrin, je me déshabillais doucement et j’entrepris de me doucher. L’eau chaude réchauffa mon corps et me délassa.
Peu à peu, je me calmais. Il fallait que je m’accroche, si ce n’était pour moi, au moins pour Joshua.
A la pensée de Josh, mes yeux se mirent à me piquer à nouveau. J’étais si angoissée. Comment allait-il ? S’il mourrait, je ne pourrais pas le supporter. J’essayais de chasser cette idée atroce de mon esprit.
J’appliquai une bonne dose de démêlant sur mes cheveux car je commençais à me transformer en rastaman. Après ça je montais dans ma chambre pour enfiler un jean et un tee shirt propre.
La maison était sens dessus dessous. On aurait dit qu’il y avait eu un cambriolage ou peut être même la 3eme guerre mondiale. J’avais du être absente assez longtemps. Je vérifiais sur le calendrier accroché au frigo. Je me souvenais que l’accident avait eu lieu le mardi soir et le dernier jour coché sur le calendrier était le vendredi. Ce qui signifiait que nous étions probablement le samedi.
Mon séjour en enfer avait donc duré 3 jours.
En tout cas, une chose était claire. Mon frère ne pouvait pas se passer de moi plus de 3 jours. Le sol était jonché de choses en tout genre (chaussettes sales, caleçons, emballages vides, etc…) et collait dans certains endroits.
L’évier de la cuisine était obstrué par une vaisselle sale digne de Fantasia sauf que je n’avais pas les mêmes pouvoirs magiques que Mickey. Le frigo était totalement vide à part des restes de pizza dans un stade de décomposition avancé.
J’avais besoin de m’occuper l’esprit et je songeais que lorsque Joshua rentrerais de l’hôpital (car il sortirait sans dommage de cette mésaventure), il serait plus sain pour lui de retrouver une maison propre. Aussi, je commençais par ramasser tous les objets divers et variés qui étaient éparpillés sur le sol, puis je les triais en fonction de leur destination, poubelle ou bac de linge sale. Une fois le bac plein, je lançais la machine à laver.
Je m’attaquais ensuite à la vaisselle. Je cassais 3 assiettes et 2 verres puis je tordais une poêle en la frottant avec trop d’entrain. J’avais un peu de mal à maîtriser ma force.
Ensuite, je me mis à passer l’aspirateur partout dans la maison. Sans m’en rendre compte, je soulevais le canapé d’une seule main pour aspirer ce qu’il y avait en dessous. Je haussais les épaules. Il fallait bien qu’il y ait quelques avantages à cette situation.
Enfin, je lavais le sol de la cuisine. L’eau était si noire que je repassais la serpillere une seconde fois.
Lorsqu’enfin, j’eus terminé, la machine à laver bippa pour me signifier, qu’elle aussi, elle avait fini son travail.
J’attrapais le panier à linge et transvasais le contenu de la machine dedans. Sans réfléchir, je sortais de la maison pour étendre le linge dehors.
Je m’arrêtais net sur le perron. Il faisait grand soleil. J’hésitais à l’ombre de la maison. Ce matin, j’étais sortie en plein jour mais à ce moment-là le soleil n’avait pas encore percé les nuages.
Je posais le panier au sol et doucement je m’avançais vers le soleil les yeux fermés. Je ne sentis rien. Le soleil ne semblait pas me carboniser. Soulagée, je vérifiais en regardant mes bras. Je ne pus retenir un cri. Ma peau scintillait de mille feux. Je ressemblais à une boule à facette.
En fait, le soleil ne brûlait pas les vampires, il les rendait seulement voyant. Il trahissait leur condition, comme si leurs immondes yeux rouges n’étaient pas suffisants pour cela.
Etant donné qu’en Louisiane, il faisait soleil pratiquement tous les jours, je ne pourrais donc pas sortir beaucoup. Sauf la nuit. A nouveau mes yeux me piquaient.
J’allais récupérer mon panier à linge tel un automate.
Il allait falloir que je dresse une liste de ce que je ne pouvais plus faire, songeais-je.
Quand j’eus fini toutes mes corvées, je m’asseyais sur une des chaises de la cuisine pour réfléchir à ce que j’allais pouvoir faire pendant cette après midi radieuse. Toutes les choses auxquels je pensais me renvoyaient à ma triste condition. Je ne pouvais appeler aucun de mes amis, je ne pouvais pas aller en ville faire du lèche vitrine.
Tout ce que je pouvais faire c’était m’inquiéter pour Josh. Etait-ce grave ? Allait-il se réveiller ? Le ménage m’avait permis d’occulter toutes ces pensées mais maintenant que je n’avais plus rien à faire, mes inquiétudes avaient pris le dessus. Je songeais à appeler l’hôpital mais je retins mon geste. Qu’allais-je dire ? Je suis la sœur disparue depuis 3 jours que toutes les polices recherchent. Vu mon état il valait mieux que je me fasse discrète.
Je finis par me dire que le mieux pour moi serait d’aller dormir. Ca me ferait oublier un petit moment le tournant chaotique que ma vie venait de prendre. Et puis, après tout, les vampires étaient censés dormir la journée.
Je montais donc dans ma chambre et m’étendit sur le lit. Toutefois, le sommeil ne vint pas. Je n’étais même pas fatiguée. Je restais étendue là espérant que l’inconscience me prenne. Rien n’y fit. Au bout de plusieurs heures, je me relevais et m’installai à mon bureau. J’allais finalement faire ma liste.
Ne peux plus pleurer.
Ne peux plus dormir.
Ne peux plus rêver.
Ne peux plus sortir au soleil.
Ne peux plus avoir d’amis qui ne soient pas également des vampires.
Arrivée là, je m’arrêtais. Il y avait d’autres vampires, c’était une certitude. Etaient-ils tous aussi monstrueux et cruel que celui auquel j’avais eu à faire ? Etaient-ils tous des bêtes assoiffées de sang ? Parce que moi, même si j’avais de dangereuses pulsions meurtrières, jusque là je n’avais tué personne. Peut –être qu’il y en avait d’autres comme moi ? Ou alors j’étais une exception, comme Brad Pitt dans « Entretien avec un vampire ». Un vampire avec une âme. Parce que, clairement, je n’avais pas envie de tuer des gens. C’est seulement que je ne savais pas si j’arriverais à m’en empêcher.
Et si je trouvais des vampires sympas, voudraient-ils de moi ? Sachant que j’ai tué l’un des leurs dans des circonstances affreuses ? Dans le même film, la compagne de Brad Pitt était exécutée pour avoir tué Tom Cruise, son créateur. Car il était interdit de tuer un vampire. Je concluais que après ce que j’avais fait, il vaudrait mieux que j’évite la compagnie d’autres vampires
Ne peux plus avoir d’amis qu’ils soient vampires ou humains.
J’envisageais d’autres choses que je ne pouvais plus faire mais je résumais tous ces petits détails dans une seule et même phrase.
Ne peux plus avoir une vie normale.
Voilà qui résumait assez bien la situation.