La fille aux yeux rouges
Joshua retourna au lycée où il raconta ses mensonges sur mon départ à New York. Tout le monde le crut. Même le shérif, trop content de ne pas avoir à faire des recherches.
La période des examens commença.
Puis, ce fut le tour de la cérémonie de fin d’année. Joshua y prononça un beau discours. Mais je ne pus y assister à cause de la présence d’un soleil radieux.
J’étais vraiment déprimée d’avoir raté ça. Je n’avais jamais aimé l’école alors j’aurais aimé pouvoir en fêter dignement la fin.
La chaleur de l’été écrasait
Car ma situation me démoralisait de plus en plus. Nous étions en Juin et, dans 3 mois, Josh partirait pour le New Hampshire. Que ferais-je alors ? Je ne pourrais pas aller m’installer à Boston comme je l’avais prévu initialement. Seule dans une grande ville, sans Joshua, ce serait un carnage. D’ailleurs, une partie de moi avait envie que je choisisse cette option. La partie monstrueuse, bien sûr.
Mon avenir était sombre, solitaire et désespéré. Je pensais partir vers le nord, dans les vastes forêts du Canada où je pourrais me cacher, loin du monde des hommes. Mais comment ferais-je alors pour me nourrir ? Je n’arrivais pas à trouver de solution car le problème, c’était moi. Peu importe la direction vers laquelle j’allais me diriger, je resterais la même. J’étais un vampire et je n’avais pas ma place dans ce monde.
Peu à peu, au fil des nuits, j’envisageais une nouvelle solution. Je savais qu’elle s’avérerait difficile à mettre en pratique mais je savais que c’était possible, je l’avais vu de mes propres yeux . Un vampire pouvait mourir. Je n’étais pas suicidaire, je n’avais pas envie de mourir. Au contraire, je voulais vivre. Je voulais voir mon frère devenir médecin, je voulais me marier, avoir des enfants, etc… Mais cette vie là m’avait été arraché. Dorénavant, je ne pourrais plus qu’assister à la vie des autres. J’étais hors course. Tant que mon frère était près de moi, je pouvais supporter cela. Mais quand il partirait, que me resterait-il ?
La nature prévoyait toujours des contre-pouvoirs. Ainsi, dans la chaîne alimentaire, il y en a toujours un pour manger l’autre. Il devait donc exister des prédateurs de vampires.
Des tueurs de vampires, comme Buffy. Ou ce Van Helsing dont j’avais lu l’histoire dans un bouquin que Joshua m’avait ramené de la bibliothèque. D’ailleurs, il me semblait impossible qu’aucun être humain n’ait connaissance de l’existence des vampires. Quelqu’un devait bien les combattre.
Mais je souhaitais une mort rapide et je me doutais que je mettrais du temps à trouver l’ennemi naturel des vampires. Les vampires pouvaient périr par le feu, j’avais pu le constater moi même. Aussi, si j’arrivais à rallumer le feu en moi et à l’y garder au lieu de l’expulser, alors j’arriverais à mes fins.
Depuis que j’avais entrevu le paradis, tout autour de moi me paraissait dur et compliqué. Pendant un court instant, j’avais été envahi d’une sensation de bien être absolu. Tout avait été alors si simple, si doux. Parfois, je me disais que l’enfer c’était la vie sur terre. Je n’avais jamais raconté à Joshua ce que j’avais vécu. Je n’aurais pu le raconter à personne. J’étais persuadée que je n’avais pas rêvé. Il y avait quelque chose après et j’étais bien décidé de retenter mon examen de passage. Après tout, je n’avais tué personne. Il n’y avait aucune raison pour qu’on me bannisse du paradis. J’étais une victime, je n’avais pas demandé à être comme ça.
_ « J’ai mis en vente la maison et la ferme ce matin » me dit Joshua, alors que nous étions à la mi-juin.
_ « C’est bien. »
_ « L’agent immobilier dit qu’on pourra en tirer un bon prix. »
_ « Tu n’auras qu’à garder tout l’argent pour toi. Je n’en aurais plus besoin maintenant. »
_ « Je pensais que nous pourrions acheter une maison à Hanover » continua-t-il sans me regarder.
Hanover était la ville dans laquelle était située l’université de Darthmouth.
_ « Pour quoi faire ? Tu n’auras qu’à prendre une chambre sur le campus. Moi je n’ai pas besoin de maison »
_ « Quelle fille n’aurait pas besoin de salle de bains ! ! » pouffa-t-il.
_ « Je n’ai pas l’intention de te suivre à Hanover de toute façon »
_ « Ah bon ! Et que vas-tu faire alors ? » dit-il sur un ton de défi.
_ « Voyager »
C’était nul mais c’était tout ce que j’avais trouvé. Il haussa les yeux au ciel.
_ « Ne fais pas l’idiote ! »
_ « Ecoutes, pas la peine d’insister. De toute façon, je ne peux pas te suivre là-bas. »
_ « Et pourquoi donc ? »
_ « A ton avis, Josh ! » m’emportai-je « Que crois-tu qu’il se passerait si je me retrouvais dans une ville pleine de jeunes étudiants ? Combien crois-tu que j’en tuerais en une seule nuit ? »
_ « Et combien de gens tueras-tu quand tu seras toute seule ? »
Là, il m’avait bâché.
_ « Je … je resterais à l’écart … dans la forêt. »
_ « Il y a de grandes forêts dans le New Hampshire. »
_ « Non, je ne veux pas. Il est temps que nous nous séparions. Que chacun fasse sa vie de son coté. Nous n’avons plus rien en commun maintenant. Je ne peux plus être ta sœur, je ne suis même plus humaine. »
Mes paroles l’avaient blessé car son visage se ferma.
_ « C’est ça que tu rumines depuis des jours ? Tu sais, je ne crois pas un mot de ce que tu es en train de dire. Quand tu seras partie de ton coté, est-ce que tu as l’intention de mettre fin à tes jours, Lucy ? C’est ça ton plan ?»
Je le regardais, ébahie. Là, je dois dire, il m’avait scié. Il était visible que je broyais du noir ces derniers temps mais de là à ce qu’il devine mes pensées suicidaires…
Devant mon étonnement, il secoua la tête.
_ « Mais je n’appartiens plus à ce monde ! » me défendais-je lamentablement.
_ « Tu n’as même pas essayé d’y appartenir ! Tu restes cloîtrée à la maison à ressasser ce que tu ne peux plus faire. »
Il avait dû tomber sur ma liste. Je me maudissais d’avoir été si négligente.
_ « Je ne peux pas sortir, Josh. Les odeurs… ça serait vraiment trop dur. » soupirais-je.
_ « Pourtant tu es venue à l’hôpital, tu as parlé avec le réceptionniste, tu as respiré des tas d’odeurs humaines et tu n’as tué personne. »
_ « J’ai retenu ma respiration avec le réceptionniste. Dès que je sens une odeur humaine, c’est comme un feu qui me ravage la gorge. Je n’ai alors plus qu’une envie, c’est éteindre l’incendie. Peu importe la manière. Je perds totalement le contrôle. »
_ « Dans ce cas, pourquoi respires-tu ? »
_ « Si je veux parler, il me faut du souffle.»
_ « Ecoutes-moi bien, Lucy. Je veux que tu viennes avec moi à Darthmouth. Nous allons vendre la ferme et nous allons acheter une maison à Hanover. Nous y vivrons tous les deux le temps que je fasse mes études là-bas. »
_ « Josh » l’interrompis-je.
_ « Laisses moi finir. Darthmouth possède une bibliothèque vraiment impressionnante. Il y a des millions de livres, parfois très anciens, des centaines de milliers de magazines et de journaux, des bases de données hyper perfectionnées. Nous devons faire des recherches pour en apprendre plus sur ton état et pour améliorer tes conditions de vie. »
_ « Nous savons déjà très bien ce qui m’arrive. Je suis un vampire. »
_ « C’est tout. L’histoire s’arrête là. Tu n’as pas envie d’en savoir plus ? Peut-être a-t-il existé des vampires comme toi ? Perdus et effrayés. Je suis persuadé qu’il est primordial qu’on n’en sache le plus possible sur ceux de ton espèce. »
Il parlait avec tellement de conviction que je sentais ma détermination faiblir. Il ne voulait pas me quitter. Je savais que c’était mal mais ça me faisait extrêmement plaisir.
_ « Si je ne me contrôlais pas, je pourrais t’attirer des ennuis. Je ne veux pas te gâcher la vie. » soupirais-je piteusement.
_ « C’est en disparaissant que tu gâcherais ma vie. J’ai déjà failli te perdre une fois, je refuse de revivre ça une seconde fois ».
Je baissais la tête. Il ne me laisserait pas partir, je m’en rendais compte. Il n’était pas encore prêt à me perdre. Après tout, s’il voulait encore de moi, pourquoi lui refuser ça ? Pourquoi me refuser ces derniers moments avec mon frère ? Je resterais auprès de lui le temps qu’il voudra. Pour ma part, j’avais tout mon temps.
_ « Faudra pas te plaindre si il y a des disparitions mystérieuses sur la campus » dis-je dans une ultime provocation.
Il avait compris qu’il avait gagné aussi c’est d’un ton plus léger qu’il reprit.
_ « Il n’y aura rien de tout ça parce que tu vas te maîtriser. Et, pour cela, tu vas t’entraîner pendant les trois prochains mois. »
_ « M’entraîner ? C’est à dire ? »
Il était clair que ces derniers temps je n’avais pas été la seule à comploter. Si Josh avait tout deviné de mes pérégrinations, moi, au contraire, j’avais tout loupé des siennes.
_ « Tu dois connaître tes limites »
Je ne répondis rien, le ton était sans appel. Il avait tout planifié et je n’avais plus la force de me battre avec lui. J’étais résignée. Je n’avais pas vraiment envie de le quitter et je me demandais si je n’en aurais jamais le courage.
Quelques jours plus tard, Josh décida de débuter mon entraînement. Un soir, il m’emmena dans une station essence et me donna pour mission d’entrer dans la boutique et d’acheter un paquet de chips.
Sur le parking désert, je pris une longue inspiration que je bloquais dans mes poumons.
Lorsque j’entrais, trois hommes discutaient au comptoir. Un flot de salive envahit instantanément ma bouche. Les battements de leurs cœurs résonnaient à mes oreilles comme une musique entraînante. Ils se retournèrent vers moi dans un même mouvement. Je me détournai et me dirigeais vers le rayon des chips, le regard des trois hommes planté dans mon dos. Je pris le premier paquet que je trouvais et retourna vers le comptoir. Inutile de s’attarder. Les hommes me regardaient toujours. Je devais faire un drôle d’effet avec ma peau diaphane et mes lunettes de soleil. Les deux qui étaient devant le comptoir s’écartèrent pour que je puisse accéder à la caisse. Je pouvais sentir la chaleur de leur corps et le sang qui courrait dans leurs veines, ça rendait les choses presque aussi difficile que si j’avais senti leurs odeurs.
Je forçais mon esprit à ne pas divaguer en me concentrant sur la tâche que j’avais à accomplir. Je sortis un billet de ma poche et le tendis à l’homme derrière le comptoir.
_ « Alors ma jolie ! On est de passage ? » fit l’un des hommes.
Je ne relevais même pas la tête pour regarder celui qui m’avait parlé. J’aquiesçais simplement, récupérais ma monnaie et filais hors de la boutique.
A mon retour dans
_ « Alors ? »
_ « Personne n’est mort. »
Il eut un large sourire qui voulait dire un truc dans le genre « je te l’avais bien dit ».
_ « Mais on a un problème. »
_ « Quoi ? »
_ « Il y a une autre chose qui me rend folle. En plus des odeurs, je veux dire. J’entendais leur sang couler, leur cœur battre, leur chaleur … » Je lâchais un gémissement « Démarres ! »
Le souvenir des sensations était aussi fort que les sensations elle-même. Heureusement, Joshua fut prompt à la détente et nous nous éloignâmes rapidement de la station service. Dans un instant de folie, j’envisageais d’y retourner plus tard, je chassais cette idée de ma tête.
Une fois à la maison, je me retirais dans ma chambre en souhaitant bonne nuit à Joshua. Le test avait été éprouvant et je n’avais pas du tout envie d’une séance de debriefing.
Le lendemain matin, j’entendis Josh se lever tôt et partir avec
_ « J’ai quelque chose pour toi ! » lança-t-il en rentrant dans la maison.
Il me jeta un petit paquet carré dans les mains.
_ « Un lecteur MP3 ? Merci ! »
_ « Comme le tien s’est cassé dans l’accident, j’ai pensé que ça serait bien de le remplacer. »
Je le regardais. Il me cachait quelque chose.
_ « Tu t’es levé aux aurores parce que tu estimais qu’il était temps de remplacer mon MP3 ? Arrête ton cinéma. Pourquoi m’as tu acheté ça ? »
_ « J’ai pensé qu’avec ça sur les oreilles, tu n’entendrais plus ni les bruits qui te perturbent. »
Je soupirais et haussais les épaules. Une fois encore je baissais les armes devant sa détermination.
Nous continuâmes les expériences tout au long de l’été. Je devais admettre que les écouteurs dans les oreilles avec la musique à fond étaient très pratiques. Toutefois, privé de mon odorat et de mon ouïe, je me sentais en perpétuel danger. Je devais sans cesse lutter contre mes instincts pour éviter de respirer. Pour Josh, je manquais juste d’entrainement. Au début, il m’emmenait dans les boutiques d’Arcadia. Je devais y acheter quelque chose et ressortir. Au bout de quelques temps, il décréta que c’était trop facile car, à chaque fois, je n’avais à faire qu’à une ou deux personnes. Je ne lui dis pas qu’en réalité c’était ça la difficulté. Se retrouver seule avec une personne dans un endroit confiné.
Nous passâmes donc aux fast-foods. Joshua m’y emmenait toujours aux heures de pointe. Mais, comme je m’y attendais, il fut plus facile pour moi de résister. Si j’évitais de me concentrer sur une personne en particulier et envisageais la foule dans son ensemble, je ne déterminais pas de proie précise, mon instinct demeurait alors en suspens, dans l’attente d’une décision. Mais il suffisait que je remarque quelqu’un en particulier pour que le naturel revienne au galop. Mon instinct de chasseur reprenait alors le dessus et mon esprit balayait les innombrables possibilités pour écarter ma proie du troupeau. De tout cela, Josh était totalement ignorant.
En fait, il était très fier de moi. Mais ces expériences ne démontraient qu’une chose : côtoyer des humains était un combat permanent contre ma propre nature. En aucun cas, je ne pouvais interagir avec eux. Leur parler, me lier avec l’un d’entre eux, me faire des amis, tout cela était exclu.