La fille aux yeux rouges
CHAPITRE 7 : DARTHMOUTH
Depuis quelques semaines, mes yeux semblaient adopter une teinte plus sombre. Du rouge sang, mes pupilles avaient virées au bordeaux. C’était toujours surnaturel et monstrueux mais, même moi, je devais reconnaître que c’était moins voyant.
J’espérais que, bientôt, je n’aurais plus à porter des lunettes de soleil. En Louisiane, ça pouvait passer inaperçu mais dans le New Hamphire, nettement moins ensoleillé, ça attirerait l’attention.
A la mi-août, un jeune couple se porta acquéreur de la ferme. Nous fîmes donc nos adieux à
Cela nous prit 3 jours de voiture pour traverser le pays et rejoindre Hanover. Nous nous installâmes dans un motel tout près de l’université.
La rentrée universitaire de Josh était prévue dans deux semaines. Nous avions prévu d’utiliser ce laps de temps pour découvrir les lieux. Joshua était obsédé par le fait que je puisse manquer de sang. Il entreprit donc immédiatement de trouver une boucherie susceptible de m’approvisionner en sang. A notre grand étonnement, la première boucherie que nous appelâmes vendait du sang de bœuf. La femme que nous avions au téléphone nous expliqua qu’il suffisait de commander à l’avance en donnant son nom, si au bout de deux jours, nous ne venions pas chercher notre commande le sang était jeté. Nous commandâmes donc
Joshua allait et venait. Il avait pas mal de formalités d’inscription à remplir à l’université. On lui avait proposé une chambre dans une des résidences du campus, le Lord Hall, je le poussais à accepter en arguant qu’il pourrait toujours la rendre si on trouvait un logement.
Pendant ses absences, je me promenais dans Hanover. C’était une petite ville qui avait beaucoup de charme. Mais ce qui était vraiment impressionnant, c’était l’université. Ses bâtiments en briques rouges étaient disséminés à travers un campus qui devait faire la moitié de la ville. Le point d’orgue de ce prestigieux ensemble était la bibliothèque qui siégeait majestueusement au centre du campus. Le long des murs, des étagères en bois portaient des milliers de livres sur deux niveaux. Pour lire, les étudiants pouvaient s’installer sur des fauteuils ou des canapés moelleux placés près des fenêtres pour plus de luminosité. Pour accéder au deuxième niveau, il fallait emprunter des escaliers en colimaçon qui menait à des passerelles ouvertes sur le rez de chaussée.
Ce lieu était hors du temps, il y régnait un calme envoûtant. Je m’y sentis immédiatement bien.
A sa plus grande joie, Josh se vit proposer un poste à la bibliothèque qu’il s’empressa d’accepter.
Tout semblait donc s’arranger. Sauf que notre recherche d’une maison était au point mort. Les maisons d’Hanover coûtaient deux fois plus que l’argent que nous avions obtenu pour la ferme. Nous étions résignés quand Mme Perkins, l’agent immobilier, nous rappela pour nous proposer une maison dans nos prix.
La maison se situait à l’écart de la ville, en plein milieu de la forêt. Quand je la vis, j’eus immédiatement le coup de cœur. Elle était parfaite. Il s’agissait d’une vieille maison construite en bois et en brique. Elle était petite mais douillette. Des meubles usés mais fonctionnels avaient été laissés par l’occupant précédent.
Je regardais Josh, il semblait conquis mais perplexe.
_ « Comment se fait-il que cette maison soit si peu chère ? » demanda-t-il à Mme Perkins qui nous faisait visiter. « Le propriétaire pourrait en demander le double ! »
Mme Perkins était une petite femme dodue et souriante.
_ « Et bien… Les gens du coin refusent d’acheter cette maison car un meurtre s’est produit ici. » répondit-elle avec un air un peu embarrassé.
_ « Vous voulez dire qu’il y aurait des fantômes dans cette maison ? » demanda mon frère.
_ « Non ! » s’insurgea-t-elle « Ce ne sont que des racontars. »
Joshua m’interrogea du regard.
_ «Elle est parfaite Josh ! » lui murmurais-je mais je savais qu’il pouvait déjà le lire dans mes yeux.
_ « On dirait qu’on est vraiment chanceux ! » reprit-il à l’attention de Mme Perkins. « Peut-on savoir qui est le propriétaire ? »
_ « Euh, non. Le propriétaire souhaite rester anonyme. »
_ « Ah »
Il me regarda et fronça les sourcils.
_ « Vous voulez bien nous laisser quelques minutes, s’il vous plaît »
La grosse femme nous sourit d’un air entendu et sortit rapidement.
_ « Qu’est ce que tu en penses ? » l’interrogeais-je dès que nous fûmes seuls.
_ « Je ne sais pas. C’est un peu étrange tout de même. »
_ « Je ne te comprends pas. Qu’est ce qui est étrange ? »
_ « Tu ne trouves pas que depuis qu’on est arrivé ici tout s’arrange merveilleusement bien. D’abord, on me propose un poste à la bibliothèque alors que ce sont des postes très demandés et il est pratiquement impossible d’en décrocher un sans du piston. Et maintenant, cette maison qu’on nous offre presque ! »
_ « On s’en fiche ! On ne va pas se plaindre parce qu’on a enfin un peu de chance dans la vie. C’est une occasion en or ! »
_ « Ok ok. N’empêche… » Il s’interrompit et me regarda intensément.
_ « Elle te plaît vraiment ? »
_ « Oh oui !! Elle est merveilleuse. Et puis ces histoires de revenants… Je vais peut-être pouvoir me faire des copains !»
Il me sourit.
_ « Bon alors d’accord. Mme Perkins !! »
La grosse femme revint, toujours le sourire aux lèvres.
_ « Nous désirons acheter cette maison. » annonca-t-il.
A ma grande surprise, le sourire de Mme Perkins s’élargit encore plus alors que je n’imaginais pas que ce soit possible.
La vente fut conclue rapidement et nous emménageâmes une semaine plus tard. Joshua décida de conserver sa chambre dans le Lord Hall sur le campus. Ca serait plus pratique pour lui. J’en fus soulagée et effrayée à la fois car cela signifiait que nous nous verrions moins. J’avais peur de la solitude, de l’effet qu’elle pourrait avoir sur moi. Ressentant peut être mes craintes, Josh resta avec moi jusqu’au dernier moment. Puis il partit faire sa rentrée universitaire. Je savais que je continuerais à le voir régulièrement, la maison n’étant qu’à une quinzaine de kilomètres du campus. Mais ce fut quand même pour moi un déchirement.
Sa nouvelle vie commençait, une vie qui l’éloignerait progressivement de moi. Alors que je demeurerais dans cette demi-vie pour une durée encore indéterminée. Mais Josh devait prendre son envol, vivre la vie que je n’aurais jamais. J’étouffais le sentiment d’envie qui étreignais mon cœur et lorsque Josh revenait me voir le soir pour me raconter les dernières nouvelles du campus j’affichais une mine réjouie.
La nuit tombée, j’avais pris l’habitude de courir à travers les bois vers l’est jusqu’à l’océan. Je mettais toute ma force dans ces courses effrénées. L’absence de sensation en provenance de mon corps était insupportable. Je ne ressentais ni fatigue, ni douleur. Je n’éprouvais jamais aucun plaisir, aucun bien être. Je n’avais jamais de sentiment de satisfaction même lorsque je mangeais car le sang de la boucherie avait un goût infect et ne me rassasiait guère.
Je vivais dans un corps mort.
Mais lorsque je courrais, j’arrivais à me sentir vivante. La sensation de vitesse, le vent dans mes cheveux était la seule chose que j’appréciais dans mon nouvel état. Alors, nuit après nuit, je répétais ma course. Espérant qu’un jour, je serais fatiguée.
Quelques semaines après la rentrée, Josh vint manger à la maison. A peine avait-il mis un pied dans la maison que je remarquais son air comploteur.
_ « Alors qu’est ce que tu fais de tes journées ? » me lanca-t-il d’un air détaché.
C’était donc ça, me dis-je. Il allait encore me reprocher de rester cloîtrer à la maison.
_ « Tous les deux ou trois jours, je passe à la boucherie. »
_ « Ah »
_ « Et la nuit, je cours jusqu’à l’océan. »
_ « Sympa ! Qu’est ce que tu fais une fois là-bas ? »
_ « Je reviens »
_ « Ah »
Il enchaina sur ses propres journées littéralement surchargées. Apparemment, il avait beaucoup de travail.
_ « Du coup, je n’ai pas pu effectuer beaucoup de recherches à la bibliothèque sur les vampires. » conclut-il d’un air désolé.
_ « Ce n’est pas grave. De toute façon, je ne vois pas ce qu’il y a à savoir de plus. »
_ « Oh si au contraire. J’ai quand même fait deux ou trois recherches et il y a pas mal de bouquins qui traitent du sujet. Bien entendu, il faudrait faire un tri mais je pense qu’on pourrait trouver des choses intéressantes. »
_ « Oui mais si tu n’as pas le temps de faire les … »
Je m’interrompis. Il n’allait quand même pas me demander de passer mes journées dans une bibliothèque pleines d’étudiants appétissants ! Voyant que j’étais en train de comprendre son projet, il reprit rapidement.
_ « Toi, tu pourrais vu que tu ne fais rien de tes journées. »
_ « Josh ! C’est trop risqué ! »
_ « Ca fait une semaine qu’on n’a pas vu un rayon de soleil ! Tu peux sortir sans danger maintenant. Si tu as peur d’attaquer des étudiants, tu n’auras qu’à venir que quand j’y serais. Tu sais que ma présence calme tes ardeurs… »
_ « Ok ok. J’essaierais » dis-je surprise par ma propre réponse.
Il me regarda ébahi. Visiblement, il ne s’attendait pas à ce que j’accepte aussi vite. Mais il avait sous estimé le poids de ma solitude. Je voulais voir son monde. Je voulais vivre et, en cet instant, je n’avais écouté que mon égoïsme.